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Quelques écrivains du XVIIe siècle

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Marie-Madeleine de LA FAYETTE (1634 - 1693)

Femme de lettres et de salons, Madame de La Fayette a vécu dans une société choisie, qui était celle des milieux précieux et de l'hôtel de Rambouillet : Madame de Sévigné, la Grande Mademoiselle, Ménage, Mademoiselle de Scudéry, La Rochefoucauld enfin, dont elle est l'amie intime. Entre mondanité et repli, elle cultive l'art de la conversation et celui de la lecture, la solitude et l'amitié. C'est à quatre mains, avec Ménage, qu'elle écrit La Princesse de Montpensier, publié anonymement en 1662. A la façon d'un La Rochefoucauld, qui condescend à la publication, elle reste une grande dame qui se respecte assez pour ne pas briser de convenances et conserver sa réputation. Zaïde, qu'elle compose à la fin des années 1660, est ainsi avoué par Segrais. Plaire, se couler dans un monde épris de galanterie et de romans, telles semblent bien pourtant les raisons qui poussent à écrire l'amie si sage de Madame (Henriette d'Angleterre), observatrice distante et dubitative des intrigues de cette Cour enfiévrée par la jeunesse de Louis XIV. La Princesse de Clèves, qui paraît sans nom d'auteur en 1678, met en scène une héroïne rompant, puis rattrappée par cet univers de liaisons et d'intrigues. Devenue auteur presque malgré elle, incarnant le renouveau d'un genre qui, s'il est à l'époque mal considéré, suscite les passions les plus vives, Madame de La Fayette est elle aussi rattrappée par le monde, avec le succès immense de son roman et les polémiques sans fin que suscite sa moralité. Absorbée par le siècle, elle donnera encore les Mémoires, qui en narrant ses intrigues et aventures diplomatiques attestent de la victoire de la Cour sur la plume.

 

La Princesse de Clèves (1778)

Les amours contrariées du séduisant Nemours et d'une jeune épouse fidèle, qui demande à son mari de la soustraire à la tentation. L'amant s'obstine, le mari doute et meurt, la femme opte pour une fidélité posthume qui la fait mourir de langueur. De ce canevas si simple, le roman fait un piège où tombe tout lecteur. Court, concentré sur quelques événements presque purement psychologiques, ce récit qui tranche sur la production romanesque de son temps joue du silence audacieux et de l'innocence impudique de consciences troublées par la passion, prises entre morale et vérité. L'irruption du conjugal dans le romanesque crée à l'époque un scandale, cristalisé sur la scène de l'aveu mais dû à cette arrivée intempestive qui renouvelle complètement la problématique romanesque : la littérature psychologique, celle des cas de conscience et des sacrifices de la vie privée, est en train de naître.




Hector Savinien CYRANO DE BERGERAC (1619 - 1652)

Une enfance soumise au pouvoir des pédants laisse à Cyrano un esprit de révolte qui ne se démentira jamais. Sa courte vie est marquée par un sentiment de marginalité et d'étrangeté, sans doute lié à son homosexualité. Cette difficulté à se couler dans un ordre se jouera dans une pensée libre, rétive à tout système. Figure marquante de ce libertinage semi-clandestin qui traverse le dix-septième siècle, Cyrano est influencé par Gassendi et la pensée naturaliste italienne. Mais si la Nature semble bien être la référence décisive chez lui, son anti-dogmatisme survit à toute doctrine, y compris au matérialisme quelquefois un peu étroit de ses amis libertins. Sceptique, il l'est radicalement, ne se contentant pas de nier une croyance pour en adopter une autre. Il existe pour lui un problème du savoir, comme un problème du langage. Contre l'aristotélisme qui domine encore son époque, il vit jusque dans son propre verbe l'expérience d'une fondamentale polysémie, et reste méfiant à l'égard d'une langue à laquelle ses contemporains accordent un crédit aveugle. La modernité de Cyrano se joue ainsi dans les calembours et inventions verbales qui font éclater l'illusion de la véracité du langage. Si sa littérature est pédagogique, elle enseigne surtout le scepticisme, et ses romans s'appliquent avant tout à mettre en doute les savoirs, quels qu'ils soient. Le Pédant joué (une comédie écrite vers 1654) mime cette dérision de la science ; l'histoire comique des Etats et empires de la Lune, celle des Etats et empires du soleil (post., 1652) apparaissent comme des exercices jubilatoires, radicalisant le doute et jouant de la satire dans la grande tradition de Lucien. Signalons enfin La Mort d'Agrippine, une tragédie de 1653, et des Lettres (1654) qui donnent idée de ce qu'aurait pu être une œuvre trop tôt interrompue.

 

L'Autre monde ou Les états et empires de la Lune (1657)

Le premier éditeur de ce texte en donna une version expurgée, destinée à nuancer la radicalité d'une pensée qui s'avance ici à découvert. Cet autre monde dont il est question, et auquel le narrateur accède après un détour par le Canada et une escale au paradis, n'est pourtant pas un absolu, qui se jouerait dans l'inversion terme à terme des réalités terrestres. Si la Nature semble avoir voix au chapitre sur la Lune, le roman évite l'écueil du didactisme en maintenant un espace du doute. Les satires sur la religion, la mise en cause de la tradition scientifique aboutissent davantage à une ironique confrontation de systèmes qu'à un discours univoque. Donné comme une histoire comique (sous-genre romanesque illustré par Sorel et caractérisé, par rapport à un " vrai " roman comme L'Astrée, par une moindre dignité des héros) ce roman — dans l'acception moderne du terme — est ainsi œuvre ouverte, extravagance au sens fort, jouant d'une fantaisie qui libère la pensée.

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Jean-François Paul de Gondi, CARDINAL DE RETZ (1613 - 1679)

On s'épuiserait à résumer ses Mémoires, publiés après la mort de Louis XIV mais dont les manuscrits, qui commencèrent à circuler sous le règne du Roi-Soleil, causèrent quelques frissons à leurs premiers lecteurs. Comme son successeur Saint-Simon, Retz est un vaincu en politique. Peu satisfait de l'état ecclésiastique auquel le destine sa qualité de cadet, il apparaît d'abord sous la figure d'un jeune homme libertin, commet avec La Conjuration de Fiesque (1631) une première ébauche de ce manuel du conspirateur que voudront être les Mémoires. Brûlant de s'essayer à la politique, il tente sa chance pendant la fronde, profite de sa popularité pour enflammer les masses populaires, fait fuir la cour, louvoie entre ses alliés, tant et si bien qu'il finit en prison. Evadé en 1654, il gagne l'Italie et se remet à intriguer, jusqu'à ce qu'on lui conseille amicalement de quitter Rome. Il rentre en grâce à la fin des années 1660, mais n'obtiendra jamais réellement le pardon du roi, encore enfant pourtant pendant les grandes années du cardinal. Encouragé par Mme de Sévigné, Retz commence en 1671 à rédiger ses Mémoires, se convertit — ce qui peut surprendre, d'un prince de l'Eglise — en 1672, et finit sa vie à l'abbaye de Saint-Denis. De son livre ressort une figure de conspirateur génial, chef de guerre sans scrupule, qui outrepasse sans doute la vérité ; on s'accorde aujourd'hui à penser que si le cardinal est une figure marquante dans l'histoire des lettres françaises, il a sans doute quelque peu exagéré son importance politique et jusqu'à sa noirceur. Mais sa survie littéraire atteste la réussite paradoxale d'une existence marquée par un désir inassouvi de grandeur.

 

Mémoires (1717)

Ce récit d'une vie agitée s'ouvre sur une déclaration d'exactitude qui ne semble pas correspondre à la réalité. Destiné au public, il ne vise pas, comme les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, à favoriser l'introspection, mais se trouve au contraire placé sous le signe de l'action. L'intériorité se réalise dans l'intrigue, la prévision, cependant que l'acte politique — préparé, calculé — occupe presque tout l'espace de la narration. Des portraits sans complaisance viennent mettre en valeur la figure machiavélique de l'auteur, dont tous ou presque sont les dupes. Peu à peu toutefois, l'échec se manifeste, demande à être expliqué, et les leçons de stratégie deviennent amères.




Jacques-Bénigne BOSSUET (1627 - 1704)

Ce maître de la rhétorique n'acceptait pas sans réticence qu'une parole pût plaire. Célébrant le modèle de Saint-Paul et son efficace simplicité, il s'en détache pourtant par un éclat, une pompe à peine atténués par la lecture quotidienne de Virgile. Elève de Vincent de Paul, Bossuet est ordonné en 1654, et commence sa carrière dans l'Est de la France avant de se fixer à Paris en 1659. Ses talents de prédicateur le rendent vite célèbre ; prêchant devant le roi et la Cour, il fait de l'enseignement évangélique une parole plus encore que publique, politique (Oraison de Michel Le Tellier). Prônant avec l'absolutisme la vision gallicane d'une église d'Etat, indépendante de Rome, il appelle de ses vœux une politique chrétienne. Engagé dans le siècle, il use de la parole comme d'un instrument de conquête, s'adaptant à ses auditoires parisiens et versaillais, travaillant les cœurs et les esprits, jouant de la terreur et de l'espoir pour mieux enchaîner les âmes. Bataillant sans relâche contre les protestants, le quiétisme de Madame Guyon, l'exégèse biblique de Richard Simon, il a l'occasion de préciser sa vision providentielle du monde en devenant précepteur du Dauphin, pour qui il écrit le Discours sur l'histoire universelle (1681). Précepteur, il l'est dès les premières de ses Oraisons funèbres, qui entraînent le traditionnel éloge vers la voie plus didactique des Sermons. Entre l'instruction aux libertins et la leçon faite aux rois, sa parole se fait prophétique, tirant sens de la vie des Grands pour donner ordre au monde.

 

Oraisons funèbres (publiées en 1672 et 1689)

Bossuet contribua à modifier profondément ce genre en infléchissant l'obligatoire panégyrique posthume vers une méditation morale et religieuse intense, construite sur une idée centrale qui peut être une citation biblique. L'orateur réinvestit une thématique chrétienne dans une forme romaine. Conversions (Condé, la princesse Palatine), endurances extraordinaires dont la foi est le secret (Anne d'Autriche), composent une histoire édifiante de la vie des Grands, que l'auditoire est amené à méditer, entraîné par les périodes harmonieuses et pathétiques.

 

Sermons (1643 - 1702, publiés à titre posthume en 1772 - 1778)

L'éloquence est ici au service de l'enseignement, la parole du prédicateur se faisant plus discrète. Prêchés devant la Cour ou en des lieux plus modestes, ils développent une doctrine insistant sur la mort et la vanité des choses humaines. Brutaux à l'occasion, ils témoignent d'une piété austère et directive, dont la violente image de l'homme a pour pendant la force du rachat, où la dénonciation des injustices ramène à la Providence et à son ordre caché.

 




Marie de SEVIGNE (1626 - 1696)

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, s'impose comme une figure profondément originale dans un siècle où l'imitation est encore un principe des beaux-arts. Elle devient vite classique cependant, investissant le champ littéraire sans l'avoir véritablement voulu. Si elle a bien conscience qu'une publication est possible, si la correspondance au dix-septième siècle ne relève pas d'une stricte intimité, ce n'est qu'à titre posthume, en 1726, que ses Lettres seront publiées. On y découvre, telle qu'en son journal, une personnalité étonnante de liberté en même temps que soucieuse de l'honneur de sa maison, liée par le sang et l'éducation à un cercle d'écrivains qui préfigurent les salons lettrés du siècle suivant : Ménage (son précepteur), Bussy-Rabutin (son cousin), La Rochefoucauld, Madame de La Fayette, la Grande Mademoiselle. Sa correspondante la plus régulière demeure sa fille, dont le mariage et le départ pour Grignan la séparent en 1671. L'absence exalte une passion qui couvait et lance définitivement l'écriture : deux ou trois lettres par semaine pour commenter l'actualité parisienne et versaillaise (être au courant : chose indispensable en province, quand on veut tenir son rang), faire chronique de son siècle, de ses proches, de soi-même, maintenir un contact dont de trop rares voyages avivent le besoin. Railleuse et passionnée, goûtant le geste d'un grand comme les promenades de son château breton, Madame de Sévigné prend cœur à tout sans jamais se départir d'une savoureuse ironie — car elle reste avec son siècle méfiante envers le moi. Au détour d'une ligne, dans le phrasé d'un style varié et naturel, il se fait jour pourtant, malgré les sympathies jansénistes et la tenue de la grande dame, qui invente une forme de confession, entre la liberté de la plume et le souci de l'autre.

 

Lettres

Il a fallu attendre quelques centaines d'années pour en avoir une édition fiable : la première avait été expurgée, dans le souci d'épargner aux survivants du grand siècle les railleries posthumes de la marquise. Sa crudité quelquefois étonne, témoignant de l'absence de tout projet littéraire public. Mais le naturel et la souplesse du style ne font pas oublier cet incoercible désir de séduire, qui rattache l'authenticité épistolaire à la rhétorique. L'insertion occasionnelle de vers, évoquant la littérature galante, nous rappelle que cette correspondance est aussi un produit culturel. Et son succès au dix-huitième siècle, en un temps où l'on s'engoue pour le roman par lettres, témoigne des ambiguïtés de ce naturel sans cesse traversé d'une volonté toute littéraire de faire du style — pour jouer, pour distraire, pour un plaisir partagé de celle qui dit suivre le fil de sa plume et de ses lecteurs multipliés.




MOLIERE, Jean-Baptiste Poquelin, dit (1622 - 1673)

La Critique de l'Ecole des Femmes énonce fièrement cette seule loi du théâtre : plaire. Molière le voulut, dès l'abandon précoce de la vocation drapière des Poquelin. Le succès tarde ; quinze ans sur les scènes de province le rompent aux ficelles d'un métier alors bien peu considéré (que l'on se souvienne du Roman comique), avant que les ultimes fêtes de Vaux ne le révèlent. Fouquet y perd tout, Molière y gagne la faveur royale. Il laisse alors la farce pour des divertissements plus spectaculaires, réfléchissant les fastes de la jeunesse de Louis. Auteur, acteur, metteur en scène, régisseur de sa troupe où il va jusqu'à prendre femme, il compose une trentaine de pièces, monte avec Lully des comédies-ballets (comme Amphitryon) qui animent les châteaux royaux. Ses grandes comédies sont présentées au public dans la salle du Palais-Royal. On s'y presse : Les Précieuses ridicules, L'Ecole des femmes, Les Femmes savantes sont des succès mémorables. Si Tartuffe se heurte à l'efficace opposition des dévots, Molière revient à la charge et enrichit la comédie d'une vision sociale sceptique et corrosive, où se croisent dupeurs (médecins, prêtres), habiles révoltés (femmes, fils, valets) et cet inévitable barbon qu'il joue le plus souvent lui-même, représentant ridicule d'une loi qui s'effondre et tourne en manie : celle de l'Avare, du Bourgeois gentilhomme, du Malade imaginaire. Ainsi, la comédie farcesque (Le Médecin malgré lui, Les Fourberies de Scapin) prend-elle très vite la couleur macabre du Misanthrope et de Dom Juan, joueurs désabusés qui paient de leur vie et de leur solitude un regard proche de la folie à force de raison et de vérité. Le jeu est chose sérieuse ; Molière le savait avant d'en donner, abandonné par la faveur royale, une dernière preuve en mourant sur la scène du Malade imaginaire.

 

Les Fourberies de Scapin (1671)

C'est l'une des dernières pièces écrites par Molière, mais elle se rapproche davantage des comédies de ses débuts. Brève (trois actes), bouffonne, physique (scène du sac), elle est tout entière menée par le personnage du valet, qui prend en main le mariage des deux jeunes gens et ridiculise leurs pères, en multipliant les inventions : la duperie généralisée, les mises en scène de Scapin, font de cette pièce autre chose qu'un avatar tardif de la comédie d'intrigue des débuts de Molière, du théâtre sur le théâtre, la mise à nu d'un faire — une réflexion, en somme.

 

Le Médecin malgré lui (1666)

Farce pleine de subtilités, cette pièce associe une thématique comique, c'est-à-dire usant drôlement des ressorts de la vie quotidienne et de personnages de bas niveau social, et une composition très ferme, soutenue par une langue parfaite : tous les ingrédients d'un succès qui fut immense, en ce temps où le genre comique était marqué par une écriture plus relâchée. Satire de la médecine, ici pratiquée à son corps défendant par Sganarelle, la pièce use dans une intrigue classique (la maladie jouée, l'héritage providentiel et le mariage final) de toute la panoplie de la comédie d'intrigue à l'italienne, qui rejoint ici la tradition française de la farce : mystifications et délire logorrhéiques évoquent irrésistiblement Pathelin.

 

L'Avare (1668)

Avec cette pièce jouée la même année qu'Amphitryon, également adapté de Plaute, Molière abandonne le vers pour une prose qu'il trouvait plus naturelle mais que spectateurs et critiques n'admirent guère quand la pièce fut créée. Type achevé de la comédie à caractère (c'est-à-dire fondant les personnages sur une qualité, un défaut, ou un état social) l'Avare présente avec Harpagon l'un des grands monomanes de Molière, envahissant de sa folie une intrigue classique, à valet rusé et retournement final.

 

Le Malade imaginaire (1672 - 1673)

Dernière pièce composée par Molière, cette comédie se signale par le faible volume des emprunts : la critique s'est demandée si le fond n'en était pas autobiographique. De fait, la critique du monde médical, habituelle dans le théâtre de Molière, prend ici un tour particulièrement féroce ; le modèle de la mauvaise foi dévoilée et de la confusion des intérêts permet autour de l'hypocondriaque l'association objective de la marâtre et des médecins. Comme dans Tartuffe, c'est à une mise en cause de l'institution que se livre un Molière vengeur, et la mascarade, le jeu des déguisements (la servante médecin, la mort jouée) s'assombrissent de la proximité du drame et de la violence du propos. Il n'est pas tant question de personnes que de formes sociales, et le rire ne fait pas oublier qu'il est question de vie — et de mort.

 

Le Misanthrope (1666)

... fut un échec sur scène. La haine universelle d'Alceste parle encore cependant, et l'opinion de Boileau a fini par prévaloir : Molière reste avant tout le créateur du Misanthrope, figure extrême avec Dom Juan de la monomanie critique, dont la folie fait voler en éclat tout ce qu'elle touche. Dans un univers de mensonge et d'hypocrisie dont les acteurs finissent par être dévoilés, le grand mécanisme de la désillusion donne ici toute sa mesure. Eclatant dans la juxtaposition des scènes, incarnée par un personnage complexe, à la fois comique et tragique, une vérité invivable se fait jour. L'union retardée puis rompue d'Alceste et de Célimène fonde l'intrigue d'une pièce dont l'intérêt réside davantage dans le travail sur les caractères que dans une action qui est ici secondaire.

 

Dom Juan (1665 - 1666)

Victime de la colère des dévots, cette pièce ne fut jouée que quelques semaines, avant d'être oubliée pendant deux siècles. Le " grand seigneur méchant homme " incarne pourtant avec panache toutes les ambiguïtés d'un mythe récent mais nourri déjà d'un demi-siècle de théâtre depuis Tirso de Molina. Entre comédie et tragédie, le thème théologique de l'endurcissement du pécheur est ici compliqué des manifestations de la raison, une raison qui tourne à l'aveuglement et à la folie mais n'en est pas moins un révélateur corrosif de l'hypocrisie du monde. Héros d'un désir qui est avant tout provocation, défi à une providence absente, appel à Dieu presque, Dom Juan finit par trouver dans le commandeur un répondant, garant ultime d'un ordre du monde sérieusement mis en question. Douteur invétéré, il est à la fois valorisé (par son courage, sa générosité, son intransigeance) et puni, se dressant comme une figure unique parmi les grands monomanes de Molière.

 

Le Bourgeois gentilhomme (1670)

Créée à Chambord pour le roi, cette comédie-ballet en cinq actes fut écrite dans le même esprit que Monsieur de Pourceaugnac : agrémentée d'intermèdes chantés et dansés (Molière travaille encore à cette date avec Lully), elle est destinée à un public de Cour, qui plus qu'un autre saura goûter les ridicules de M. Jourdain, dont les prétentions et l'émerveillement font une dupe assez facile pour deux aristocrates, puis pour le jeune Cléonte, bourgeois comme lui et qui pour cela se voit refuser la main de Lucile, la fille de M. Jourdain. Suit un travestissement du prétendant qui, devenu le fils du Grand Turc, jouera à anoblir un Jourdain transporté et consentant. Ces deux thématiques essentiellement moliéresques que sont la folie et le paraître, la qualité du texte, ont assuré à la pièce un succès qui ne s'est jamais démenti.

 

Les Femmes savantes (1672)

... ou, une fois de plus, la folie au pouvoir : à l'instar d'un Jourdain, Philaminte, Armande et Bélise entendent régler la vie de leurs proches sur leur propre manie : elles introduisent au sein de leur famille des prétendants aussi pédants qu'elles, menaçant ainsi les amours de la jeune Henriette. Avant l'heureuse conclusion, le spectacle des ridicules et les jeux du paraître, les intérêts dévoilés enfin fondent un plaisir théâtral du faux-semblant, en paradoxale harmonie avec la promotion dans la pièce du naturel.

 

L'Ecole des femmes (1662)

L'histoire en est connue, et par ailleurs relativement classique : un barbon tient recluse une jeune fille afin de l'épouser, confondant innocence et ignorance. Il sera joué, et avec lui tombe une idéologie de l'asservissement imbécile de la femme — les dévots ne pardonneront pas cette chute à Molière. En même temps qu'est préparée la querelle du Tartuffe, c'est une révolution théâtrale qu'opère l'Ecole des femmes, pièce à bien des égards fondatrice. Sans insister sur les qualités des dialogues (entre Arnolphe et Agnès), sur les trouvailles scénographiques (l'amant raconte ses progrès au cocu) il faut en effet comprendre que le passage de trois à cinq actes permet un approfondissement considérable des caractères, accru encore par ce coup de génie : Arnolphe, le cocu, est le personnage central, présent dans presque toutes les scènes. Il devient ainsi le premier des grands monomanes de Molière, une figure de l'aveuglement, et, dans sa volonté de s'expliquer, bien plus qu'une fonction : un discours, et un personnage.

 

Les Précieuses ridicules (1659)

En un acte, la première pièce publiée d'un auteur qui réussit grâce à elle son retour définitif à Paris. C'est d'ailleurs contre la province et ses caricatures de la préciosité que se dresse cette satire. Le paraître, le déguisement, la folie : tout Molière est déjà là ; conseillés par leurs maîtres, deux valets entreprennent de séduire d'impertinentes jeunes bourgeoises en singeant le langage et les gestes des romans à la mode ; une bastonnade met fin à la comédie, pour la plus grande honte des fausses précieuses. Entre farce (pour la duperie) et comédie à l'italienne (par le rôle des valets), cette pièce innove par un réalisme alors inusité, qui prend la forme du burlesque.

 

Tartuffe (1664)

... ou l'imposteur. Corriger les mœurs est certes une fonction essentielle de la comédie, mais celles des dévots sont taboues en 1664 ; de surcroît, une dimension politique se fait jour chez Tartuffe, qui put apparaître comme l'incarnation du clan religieux gravitant autour d'Anne d'Autriche. On comprend alors sans peine les difficultés que connut Molière pour faire représenter une pièce à laquelle il tenait manifestement beaucoup. Violente en effet est la présentation de ce dévot s'introduisant au cœur des familles, profiteur lubrique réduisant tout à sa loi, menaçant de briser les liens les plus sacrés sous le prétexte de détacher Orgon, le père, des biens de ce monde. L'hypocrisie cache bien sûr l'être le plus intéressé, dont le succès semble assuré par l'aveuglement du chef de famille. Reste le roi, dont l'intervention seule peut sauver ces bourgeois entièrement piégés, malgré les intrigues de quelques membres de la famille. A la fois ridicule et rusé, entre l'amant du trio bien connu et le traître politique, Tartuffe est une figure à la fois ancienne et entièrement neuve, centre d'une pièce qui plus qu'aucune autre chez Molière fait du théâtre un lieu de représentation de la société, aux enjeux et à l'engagement marqués.

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Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT (1594 - 1661)

" Je loge en moi tout l'univers ", écrit ce poète de la luxuriance baroque, marin, soldat, voyageur, qui entre l'Amérique et les tavernes compose l'une des œuvres les plus originales de son siècle. Huguenot, puis catholique, Saint-Amant semble en réalité plus proche du courant libertin que des différentes confessions sous la bannière desquelles il se range tour à tour. Protégé par le comte d'Harcourt, il est à la fois l'ami de Théophile, comme lui héritier de Villon et membre de la confrérie des Goinfres, et un poète de cour. Le burlesque, dont il est avec Scarron l'un des inventeurs, réunit les ingrédients du rire mondain, nourri d'allusions mythologiques, et une insolence plus débridée, familière, voire argotique (Rome ridicule, 1643). C'est là une voie poétique nouvelle, jouant des charmes de la personnalité pour fonder une esthétique de la surprise. Qu'il réinvente l'ode pour y célébrer ses propres états d'âme (La Solitude, composée vers 1618), qu'en ses caprices il montre une ingéniosité digne du cavalier Marin, Saint-Amant cherche toujours à surprendre un lecteur incapable de résister à cette poésie de la sensation, où la fantaisie dame le pion à cette raison dont le siècle s'entiche. Le fantastique des songes et visions nocturnes (Les Visions, 1624) fraie la voie au merveilleux chrétien de l'idylle héroïque (Moïse sauvé des eaux, 1653), cependant qu'une veine descriptive s'épanouit dans les poèmes dits des Saisons. Du monde au moi, Saint-Amant cherche à saisir dans l'imprévu une approche de l'inspiration.

 

Poésies (1629, 1642, 1649)

Des trois volumes d'Œuvres, c'est généralement le premier, plus riche en poèmes courts, que l'on lit. La virtuosité verbale se joue dans le travail lexical en une coexistence inédite du haut et du bas. Saint-Amant use des ruptures de ton pour se forger un style composite, destiné par sa vivacité à susciter l'admiration du lecteur mondain. Mais cette recherche passe par le naturel et le personnel, l'art contourné devient jaillissement verbal, brisant le cadre étroit de la lecture mondaine. L'extravagance de Saint-Amant dépasse ainsi les jeux de la politesse, entre en communication avec un monde physique qu'elle contribue à inventer.



Pierre CORNEILLE (1606 - 1684)

Bourgeois, il célèbre le monde expirant des valeurs aristocratiques dans un théâtre de la force, où l'acte et la parole se confondent en sublime. Chacun s'éprouve dans l'éclat d'une gloire qui est paradoxale soumission au regard de l'autre. Cet univers de vainqueurs et de vaincus est avant tout héroïque ; mais il trouve une dimension tragique dans la douleur du dépassement de soi et dans la difficile confrontation entre les intérêts de l'individu et ceux d'un ordre politique, providentiel, ou idéologique. L'œuvre explore une Histoire conçue comme rencontre entre le héros et l'Etat, où au fil des pièces se consomme le sacrifice de l'être dans une politique de plus en plus autonome. Des fondateurs (Horace, Auguste) aux victimes (Tite), l'histoire des héros cornéliens fait écho à celle d'un poète qui affirme peu à peu sa maîtrise, s'élève au rang des Grands, avant d'être détrôné par Racine. Si la vie de Corneille, entre l'office paisible des débuts et les madrigaux de l'hôtel de Rambouillet, est rien moins qu'héroïque, on s'étonne cependant du combat que ne cessa de mener un auteur s'échinant à promouvoir ses pièces, à défendre sa poétique (Examens, Discours), voire à réclamer ses droits, préfigurant ainsi un Beaumarchais. Si certaines de ses pièces ne seront vraiment apréciées que de nos jours (Rodogune), il connaît de son vivant un immense succès (L'Illusion comique, puis ces quatre fables de la fondation que sont Horace, Le Cid, Cinna, Polyeucte). Pénétré du sentiment de sa valeur, refusant de s'inféoder durablement à un protecteur, il jouit royalement de son empire sur le public. En ce siècle où un homme bien né ne condescend que rarement à écrire, Corneille impose ainsi une véritable dignité de l'écrivain. Aussi participe-t-il dans sa célébration d'une morale défunte à la fondation de l'âge moderne.

 

L'Illusion comique (1636)

Auteur de comédies qui lui ont déjà apporté quelque notoriété, Corneille donne avec cette pièce un étourdissant mélange des genres, exhibant et démontant les moyens de l'illusion théâtrale tout en les faisant jouer à plein sur des spectateurs piégés. Théâtre dans le théâtre, la pièce est en fait un assemblage de poupées russes, qui nous montre une tragédie jouée par les personnages d'une comédie qu'un magicien fait voir à un vieillard. Métamorphoses des acteurs, éclatement des repères temporels et spatiaux contribuent à brouiller le jeu de codes théâtraux qui se bousculent. Dans le kaléidoscope ainsi créé, quelques figures se détachent, dont celle du ridicule Matamore — spadassin vantard qui n'est autre qu'une figure de l'acteur.

 

Horace (1640)

Sur les épaules du héros reposent les destinées de l'empire. Malheureusement liés par différents mariages, les Horace et les Curiace doivent combattre pour départager Albe et Rome. Sur le mythe fondateur raconté par Tite-Live, Corneille jette son héros entre les exhortations impitoyablement vertueuses d'un père et les inquiétudes d'un gynécée lié à l'ennemi. Horace vainc, puis tue sa sœur dont les scrupules l'offensent. Raison est rendue à l'Etat, et le patriotisme est récompensé par l'oubli du fratricide. L'héroïsme se nourrit ici de puissance sur soi-même, la représentation se dramatise du contraste entre les larmes féminines et les rigueurs de la loi, incarnée dans la voix du père.

 

Le Cid (1637)

De l'histoire traditionnelle inspirée du champion médiéval, différents auteurs avaient tirées des œuvres de qualité diverse. Corneille n'en conserve que le conflit entre l'amour et de l'honneur, dramatisé au maximum et qui devient le pivot de sa tragi-comédie. Le dénouement est suspendu à une réitération en laquelle s'exacerbent la bravoure, l'amour, et le devoir, noués en une situation dont seule la ruse aura raison. On contesta entre autres points l'unité de temps et l'invraisemblance de l'amour d'une fille pour le meurtier de son père ; Corneille ne digéra jamais ces attaques et revint souvent à la défense de cette pièce, avec laquelle la tragédie française est en passe de prendre sa forme définitive.

 

Cinna (1642)

Que l'extraordinaire soit aussi vraisemblable : tel est l'enjeu poétique d'une pièce dont l'auteur souhaite qu'elle rachète aux yeux des savants les extravagances du Cid et d'Horace. Auguste est le véritable héros de cette tragédie de la conquête de soi, où la maîtrise de l'univers s'affirme dans la maîtrise de soi. Tel est le sens d'une clémence qui finit par avoir raison des caprices de quelques conspirateurs, convertis in fine par un souverain trouvant ainsi sa légitimité.




Nicolas BOILEAU (1636 - 1711)

L'histoire littéraire a longtemps gardé de lui une image de maître d'école un peu grincheux qui ne correspond pas à la réalité. Sa position sera longtemps marginale dans le monde des lettres, et son élection à l'Académie, en 1684, apparaît comme un défi à l'institution. Issu de la bourgeoisie parlementaire, Boileau est comme Racine élève du collège d'Harcourt. Détenteur d'un bénéfice ecclésiastique, il n'aura guère de souci matériel et pourra se permettre de protester contre le système nouveau des pensions — jusqu'à ce qu'on le fasse taire en lui en accordant une : en 1677, il sera nommé historiographe du roi. C'est avec ses Satires (1660 - 1708) qu'il se fait d'abord connaître : violentes, incisives, elles attaquent personnellement des écrivains en vue, qui souvent en prennent ombrage. Protégé par Mme de Montespan, Boileau sévit ainsi pendant une décennie, avant d'adoucir son propos en donnant des Epîtres (1669 - 1698). Prenant position contre le merveilleux chrétien (alors associé à un certain nationalisme culturel), Boileau s'oppose à Desmarets de Saint-Sorlin, puis à Perrault et Fontenelle. Dans cette querelle dite des Anciens et des Modernes, l'auteur burlesque du Lutrin (1674) exalte la leçon de Malherbe en donnant les critères d'une beauté simple, toute de clarté et dont le ressort serait la grandeur de la pensée. Au nom de quoi il attaque presque toute l'Académie... L'Art poétique (1674), suivi d'une traduction du traité Du sublime, alors attribué à Longin, apparaît moins, a posteriori, comme le manifeste d'une doctrine que comme l'expression d'un goût personnel. Mais les enjeux n'en sont pas moins essentiels : la définition d'un métier de l'écrivain va de pair avec l'idée d'une littérature du sens, appelée à révéler, en lui donnant forme, une vérité jusqu'alors informulée.

 

Satires (1660 - 1708)

De l'ardeur de la prime jeunesse à l'amertume du vieil âge, les satires de Boileau concentrent toute la verve d'un écrivain dont les productions outrepassent la pensée théorique. Affirmer une indépendance, tel semble le premier enjeu d'un exercice que Boileau pratique en digne émule des modèles antiques. Contre les femmes (X), c'est-à-dire la mollesse du goût moderne, contre l'équivoque (XII) — celle, morale, des jésuites ou littéraire des plumes académiques — et contre les écrivains eux-mêmes, victimes du stylet acéré d'un auteur d'une rare vivacité.




François de Salignac de La Mothe FENELON (1651 - 1715)

On a du mal aujourd'hui à mesurer ce que fut la célébrité de Fénelon, auteur du best-seller absolu — après la Bible — jusqu'en 1914 ; ce qui est pour le moins paradoxal, s'agissant d'un ouvrage rédigé à l'intention d'un seul, dont la publication n'avait pas été voulue par son auteur. On oppose traditionnellement celui-ci à Bossuet ; ecclésiastique comme lui (et comme la majorité des écrivains de son siècle), il cultive davantage les douceurs sentimentales du quiétisme que la parole tonnante du prédicateur, préfère les subtilités du monde grec à la rigueur martiale du latin, et sans fuir les honneurs, évolue plus facilement dans la sphère privée que sur la scène publique. C'est toute l'ambiguïté de la fonction qu'il occupe à partir de 1696 auprès des enfants du Grand Dauphin : nommé leur précepteur, il doit en particulier assurer l'éducation du duc de Bourgogne, héritier du trône : de là la dimension politique du Télémaque, dont la sévère critique des caprices princiers, destinée à un jeune homme difficile, déplut au roi et valut à son auteur un exil doré à l'évêché de Cambrai. Le succès immédiat de l'ouvrage faisait d'ailleurs de celui que la postérité appellerait, pour sa douceur et la finesse racée de sa plume, le cygne, une figure éminente dans le monde des lettres du dix-huitième siècle commençant. Et si éloigné qu'il nous paraisse aujourd'hui d'un Voltaire, il faut bien comprendre ce que lui doit toute la littérature des Lumières ; entre sentiment et musicalité, c'est une nouvelle façon d'écrire qui se fait jour avec Fénelon. Son souvenir anime encore bien des pages du dix-neuvième siècle, dont les plus grands auteurs (Balzac, Nerval, Baudelaire, et jusqu'au Zola de La Faute de l'abbé Mouret) ont en tête l'immense réserve d'images du Télémaque, devenu mémoire de toute arcadie.

 

Télémaque (1699)

ou comment, parti à la recherche de son père, le fils d'Ulysse parcourt la terre et les Enfers, accompagné de son précepteur Mentor, qui s'avère être Minerve : de véritables aventures dessinent l'itinéraire d'une formation, à travers divers royaumes. Destiné à un prince, cet ouvrage fonde une pédagogie du romanesque, où l'intérêt du pupille, soutenu par les nombreuses péripéties (naufrages, batailles) est amené à se fixer sur une typologie politique axée sur la question centrale de l'ambition. Le style, les couleurs antiques (le roman est un développement du livre IV de l'Odyssée) dessinent au contraire à travers la poétique une autre idée de la grandeur, majestueuse sans ostentation, à la fois ordonnée (rhétorique) et naturelle, loin de la pompe toute versaillaise d'un Bossuet. Le modèle social de Salente est déjà passéiste à l'époque, mais les harmonies nouvelles de la prose du prélat et ses nombreuses images connaîtront une fortune éclatante, dont la trace est encore sensible chez les modernes, à commencer par le premier : Baudelaire.





Charles PERRAULT (1628 - 1703)

L'écrivain que nous connaissons est déjà un vieil homme. Du jeune Perrault, on sait qu'à l'ombre de son frère Claude (théoricien de l'architecture), il s'essaie au burlesque, avant de devenir pour Colbert une sorte de ministre de la Culture. Dès lors, sa tâche sera claire, et l'on peut considérer que l'essentiel de son activité d'auteur sera consacré à la défense, voire à l'apologie de la littérature de son temps. Le Poème sur le siècle de Louis le Grand entame une campagne qui va se prolonger pendant plus de dix ans, jusqu'aux Contes qui constituent aussi une illustration des thèses de leur auteur. Perrault défend la grandeur des modernes, s'opposant à Boileau pour définir un modèle esthétique hors de l'Antiquité. Théoricien et critique, il infléchit dans le sens d'une modernité bien comprise les arguments des chantres d'une littérature nationale : feignant de voir dans les partisans des Anciens des défenseurs de la plus plate imitation, il prône l'invention, défend la légitimité du particulier contre la toute-puissance de l'universel. Aux ouvrages critiques, il joint une inlassable activité dans le monde des lettres : secrétaire de l'Académie, il dispose des deniers de l'Etat, distribue les distinctions pour encourager une production littéraire autochtone dont Colbert a bien compris qu'elle ferait la gloire du régime — l'ironie de l'histoire étant que ceux de ses contemporains qui nous semblent aujourd'hui justifier les thèses de Perrault sont presque tous partisans des Anciens.

 

Contes (1694 et 1697)

Initialement constitués en deux recueils (le premier en vers, le second en prose), ces Contes, dits quelquefois de ma mère l'Oye (titre du second recueil) puisent dans une réalité française et merveilleuse et dans le savoir populaire la matière d'une interrogation constante sur les structures de cette petite société qu'est la famille. L'inspiration en est diverse, du folklore aux œuvres de Boccace. Les contes sont aussi une mode de cette fin du dix-septième siècle, mode dont Perrault semble avoir apporté la preuve qu'elle pouvait donner naissance à des chefs d'œuvre durables.



Blaise PASCAL (1623 - 1662)

A en croire la biographie rédigée par sa sœur Giberte, la vie de Pascal serait bien proche de celle d'un saint. En fait, c'est davantage à la notion pourtant si vague de génie que l'on serait tenté de se référer pour qualifier cet esprit universel. Chacun connaît l'anecdote des propositions d'Euclide retrouvées ; l'Essai sur les coniques (1640), les travaux sur le vide, la machine arithmétique (1645) nous laissent deviner un précoce homme de science, qui rencontre Descartes et correspond avec Fermat. Profondément religieux, il trouve dans le jansénisme une exigence et une logique qui vont au rebours du catholicisme libéral et casuistique de son temps. Après l'expérience mystique relatée par le Mémorial de 1654, il se retire du monde. Il fréquente Port-Royal, s'engage bientôt dans la bataille contre les Jésuites en publiant Les Provinciales, qui ont un succès considérable et sont mises à l'Index. De cette expérience du combat littéraire naît une réflexion sur les forces de la rhétorique (De l'esprit géométrique et de l'art de persuader, 1657). Après Les Provinciales, Pascal songe à entreprendre une Apologie de la religion chrétienne qu'il ne pourra achever mais dont les fragments, réunis après sa mort et publiés par ses amis de Port-Royal, deviendront les Pensées. Commence alors une vie posthume qui verra l'écrivain effacé par les figures diverses que lui donneront les siècles suivant : cruel inventeur de langue pour Voltaire, sceptique bouleversé au dix-neuvième siècle, jusqu'à ce que le vingtième siècle nous redonne connaissance de ce converti passionné, créateur paradoxal d'une rhétorique du naturel où l'amour du vrai est soutenu par les forces trompeuses du langage.

 

Pensées (1669 — rédigées entre 1657 et 1662)

Ebranler l'incroyant, l'amener à " écouter Dieu ", c'est-à-dire à la lecture des textes sacrés : tel est le projet de l'Apologie tel que Pascal a pu l'exposer devant ses amis de Port-Royal. L'apologétique de l'époque part de Dieu pour arriver à l'homme ; Pascal part de l'homme, s'étend longtemps sur la misère d'une condition qu'un reste de grandeur ne laisse pas sans issue. Toute l'entreprise amène à faire désirer la grâce, par la peinture violente de l'homme sans Dieu. Misère des comportements humains menés par la concupiscence, c'est-à-dire tournés vers la créature et non plus le créateur : de là une fuite sans fin et sans signification. Misère de la connaissance, où le sceptique est balancé à son corps défendant entre les opinions les plus opposées, perdant son assiette jusqu'à ressentir comme en un vertige le besoin d'une vérité stable. L'apologiste exacerbe les contradictions de la condition humaine, montre à quel point elles sont invivables, laisse des questions sans réponse, avant de mettre son lecteur au pied du mur : il faut choisir. Commence alors, après l'argument du pari, l'exposé des preuves historiques, autour de la figure de la rédemption christique, qui fait pendant à celle de l'homme déchu. S'attaquant à la raison mais plus encore au cœur d'un incroyant qui serait surtout un indifférent, Pascal invente une écriture violente, intéressant le lecteur à son propre sort en usant tour à tour du style le plus haché, des périodes les plus travaillées, et au besoin en faisant entendre la voix effrayée de l'incroyant, que l'on a longtemps prise pour la sienne.




Jean RACINE (1639 - 1699)

Sa vie est traversée d'une ambition : parvenir, et d'une fidélité, à Port-Royal où il reçoit sa première éducation et où l'Abrégé de l'histoire de Port-Royal (1697) marque son retour. Entre la carrière théâtrale et la piété janséniste, contradiction ? Elle existe : homme de théâtre, Racine accède à la Cour et à ses passions ; abandonnant la scène, il renoncera à tout cela. Mais la polémique avec Nicole, en 1666, ne doit pas faire illusion : l'auteur du Traité sur la comédie attaque surtout Corneille et ses personnages ivres de leur gloire. Racine, jusque dans les sujets les plus païens, est animé d'une vision du monde profondément augustinienne. L'homme immolé par la chair ou détruit par la folie du siècle prend figure de victime sacrificielle, errante, sens perdu d'avoir trop désiré les objets fugaces de la terre. La fatalité de la passion ressemble de fort près à la vision pascalienne de l'homme damné, vivant dans la concupiscence et y trouvant sa perte. Il serait trop facile de voir en Racine un modèle de cette erreur, cultivant l'estime du roi et les succès sur la scène (Andromaque, Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie) pour finalement trouver son salut dans une vie pieuse et rangée, repentante presque ; si en 1677 il renonce pour longtemps au théâtre, c'est surtout à cause du demi-échec de Phèdre, et c'est aussi parce qu'avec sa fonction d'historiographe du roi et son titre d'académicien il a enfin trouvé cette place après laquelle nous le voyons courir dès 1661. Dès lors, il ne sort presque plus du silence, donnant encore sur le tard Esther et Athalie, où se renoue plus solidement que jamais le lien entre l'écriture, débarassée du siècle, et la foi.

 

Andromaque (1667)

Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque — mais la veuve d'Hector n'aime personne, sinon son enfant. La galanterie devient ici tragique, dessinant un schéma qui se perpétuera dans les pièces à venir. La fatalité amoureuse, conjuguée aux intérêts de l'Etat, amène à la catastrophe : folie, mort. Au contraire du dépassement cornélien, le mécanisme du choix impossible débouche ici sur l'écrasement de l'être, attaché à sa passion comme à un destin. C'est une poétique qui naît, avec une intrigue déjà simplifiée, un lexique restreint ; le succès de la pièce consacra avec la victoire de Racine sur Corneille une nouvelle idée du théâtre, où le drame tout intérieur se tisse de paroles données, reprises, et ne trouve de solution que dans la mort vers laquelle il s'achemine.

 

Britannicus (1669)

Néron en " monstre naissant ", sa mère Agripppine le voyant échapper à sa tutelle, Britannicus enfin, demi-frère promis au sacrifice : une pièce romaine, aux enjeux politiques plus marqués que dans Andromaque. Mais si l'intérêt de Néron est bien de faire place nette autour de lui, seuls sa folie et surtout l'affrontement avec sa mère l'entraînent à cette cruauté encore avivée par son amour pour Junie, promise à Britannicus. Jusqu'à la catastrophe, nul héros, mais la terreur et la pitié, cependant que la mécanique tragique s'emballe, précipitant les innocents dans la mort et Néron vers lui-même.

 

Bérénice (1670)

Titus, vainqueur de la Judée, ramène à Rome la reine Bérénice. Confident de leurs amours, Antiochus aime la reine ; Titus, lui, décide de se plier à la loi romaine et de ne plus l'épouser : les conflits entre l'intérêt politique et les passions humaines se compliquent ici d'un troisième terme, l'oubli de soi pour l'autre. Chacun des personnages survit à la crise amputé d'une partie de lui-même, le sacrifice étant celui de l'amour — non pas à la façon cornélienne de l'héroïsme, mais sur le modèle pathétique de la plainte. Sans intrigue presque, d'une violence contenue, la tragédie apparaît ici sublimée en un drame sans persécution, sans monstre, glissant presque sans heurt vers une fin tristement logique. L'horreur ne réside plus dans la conclusion fatale d'un cycle de violence, mais dans la continuité et la survie.

 

Bajazet (1672)

Tragédie orientale, Bajazet se déroule dans l'espace clos du sérail de Constantinople. L'univers ottoman, même contemporain, apparaît comme le lieu de toutes les violences, exacerbées par un érotisme trouble qui annonce Phèdre. Roxane, la favorite du sultan, espère sauver le jeune frère de celui-ci, condamné, et le faire monter sur le trône. L'ingrat en aime une autre ; entre chantage et vengeance, l'action tourne vite au drame et se conclut dans la mort ou le suicide des principaux protagonistes. Comme dans Britannicus, Racine montre ici l'innocence brisée par les intrigues brutales d'une passion irrépressible, associée au pouvoir.

 

Iphigénie (1674)

Le retour de Racine à Euripide et au mythe fut un succès sur la scène. Promise au sacrifice, la fille d'Agamemnon croit épouser Achille, avant de découvrir une rivale, Eriphile, et avec elle son destin. Différents personnages s'emploient à retarder la venue d'une conclusion qui semble inévitable, jusqu'au coup de théâtre final, qui voit la mort d'Eriphile libérer Iphigénie. La sororité est en fait dédoublement, permettant l'accomplissement du fatum, d'une parole divine dont toute la pièce se révèle lecture, déchiffrement progressif : sous le masque des dieux se devine la chrétienne providence, à laquelle le poète invite à prêter l'oreille.

 

Phèdre (1677)

Inspirée d'Euripide, cette tragédie dont la création fut entachée d'un parfum de scandale fut la dernière de Racine avant un silence de treize ans. Le drame se noue autour de la passion violente et illicite de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. L'amour de celui-ci pour la jeune Aricie, la jalousie de Phèdre, le retour soudain du père, Thésée, structurent cette histoire d'amour et de mort, qui s'envenime après qu'Hippolyte a repoussé les avances de sa belle-mère ; celle-ci lance alors une calomnie qui aboutit à la mort d'Hippolyte ; désespérée, Phèdre meurt devant Thésée, en un ultime aveu. La pastorale brisée, l'écrasement du jeune couple sont d'un tragique moins dense que l'existence même de Phèdre, bourreau entraîné par une passion qui provoque sa mort.





François de LA ROCHEFOUCAULD (1613 -1680)

Homme de guerre et d'ambition, le duc bataille et complote pendant plusieurs dizaines d'années pour voir reconnaître son importance, avant de se faire, maté par Louis XIV et la cinquantaine venue, le chantre désabusé du néant de l'activité et des vanités humaines. Tout finit, tout commence par ses Mémoires, qui marquent le passage au littéraire et tentent de redessiner une Histoire qui échappe à ce grand féodal — on retrouvera chez Saint-Simon la même réappropriation du monde par l'écriture. Devenu homme de salon, il fréquente chez Madame de Sablé, Mademoiselle de Scudéry, chez la Grande Mademoiselle ; on pratique beaucoup dans ces sociétés l'art de la maxime, dont s'accommode visiblement bien le duc. Il joue bientôt les francs-tireurs et publie seul, après avoir consulté ses amis, un recueil qui fait aussitôt l'objet de contrefaçons. Ces Réflexions ou sentences et maximes morales connaissent un vif succès, dont témoignent les éditions successives. L'une des clés de cet engouement semble résider dans la brutalité nihiliste d'une peinture de l'homme qui s'oppose résolument à l'imagerie idéale des romans précieux alors en vogue. Que le moraliste, conseillé par Madame de La Fayette, adoucisse au fil des années l'arrogance amère de sa plume n'enlève rien à la violence de cette image de l'homme qui va au rebours de toute idéalisation, sans pour autant proposer au lecteur l'issue pascalienne d'une grandeur en Dieu. La lucidité de La Rochefoucauld va pourtant de pair avec un imaginaire héroïque où la valeur est absolue : mais cette valeur règne dans un passé mythique, à jamais révolu. De ce monde rêvé, vivant encore chez un Corneille, les Maximes sont le Requiem, chant de mort qui du présent fait table rase.

 

Réflexions ou sentences et maximes morales (1664 - 1665)

On s'étonnera à juste titre de la longueur de cet intitulé, prolixité inhabituelle au duc et à laquelle la postérité a préféré — à juste titre — les Maximes. Dense, serré, hautain, le style de La Rochefoucauld est à l'image d'une pensée qui ne connaît pas le relatif et travaille inlassablement à ramener l'apparence au réel, la vertu à l'amour-propre, toutes choses à l'intérêt qui les fait naître. Dans une méfiance toute moderne envers les séductions du langage, les assertions lapidaires construisent sur la ruine des illusions un monument classique.



Jean de LA BRUYERE (1645 - 1696)

Son portrait par Largillière ne laisse pas de fasciner : cet homme patelin serait la plume la plus méchante de son siècle ? Avant le triomphant succès de scandale des Caractères, La Bruyère vécut caché, en véritable moraliste : l'obscurité d'un office, puis un poste de précepteur chez les Condé lui laissent toute lattitude d'observer les différents mondes, sans être connu que de ses proches. Cette liberté se paye d'une sensible amertume, d'une aigreur qui le rapproche par delà les conditions, de celle, hautaine, d'un La Rochefoucauld. A l'instar de ces entomologistes qu'il moquera, il prend des notes, classifie, épingle, au jour le jour. Collectionneur malgré lui, il dresse un catalogue des tares, un panorama des vices et des ridicules, qui sous la référence à Théophraste est un portrait fidèle de la société de son temps. Saisissant les attitudes, figeant les poses, La Bruyère invoque l'universalité, cependant que ses lecteurs tentent avec succès de repérer dans ses portraits moraux de bien vivantes personnes : dès la parution de son livre, des listes de clés circulent manuscrites, qui seront publiées après sa mort. Aussi l'obscur précepteur, projeté subitement sur la scène publique, se fait-il des ennemis. Mais les éditions successives, qui s'accroissent sans cesse de nouveaux caractères, l'imposent définitivement comme un écrivain, seul à pratiquer un genre qu'il a presque inventé. Il entre donc en 1693 à l'Académie, où son discours de réception est remarqué. Mort en pleine gloire trois ans plus tard, il met ainsi la touche finale à ce portrait dont tous les autres ne sont que le reflet, multiplié comme en un prisme : le sien.

 

Les Caractères (1688 pour la première édition)

Inspirés des trente Caractères de Théophraste, dont ils sont donnés pour la suite, ces morceaux de prose éparpillés constituent un modèle de l'écriture moraliste, usant d'un style varié, haché, tranchant comme les maximes qui l'animent. Sous les noms grecs, rattachant l'ouvrage à quelque intemporalité, se cache une peinture très précise de la société de son temps. De sorte que l'ouvrage louvoie entre le singulier (tel ou tel collectionneur) et l'universel (" De l'homme "). Explosant dans la charge finale contre les esprits forts, un pessimisme proche de celui de Pascal domine l'œuvre. Fondamentalement conservateur, La Bruyère invente pourtant une manière de voir, très concrète, isolant les tics et la théâtralité physique de chacun : le dix-huitième siècle s'en souviendra, lisant et récrivant sans relâche ce moderne qui s'ignore.




Jean de LA FONTAINE (1621 - 1695)

" Volage en vers comme en amours ", La Fontaine ? Aérien, certes, mais sous l'apparente diversité de l'œuvre et les papillonements de la vie, on découvre d'insoupçonnées fidélités. A Fouquet d'abord, qu'au contraire de nombre de ses contemporains il n'abandonne pas lorsque Louis XIV s'avise de prendre ombrage des fastes de Vaux. A une perfection de l'écriture, ensuite, que ne démentent ni les contes érotiques, ni les œuvres de circonstance. Il se rencontre en cela avec le classicisme, qu'il représentera durablement dans les écoles. Quelle cruauté pourtant dans ses Fables aux antipodes de toute mièvrerie, où le monde animal est placé sous le signe de la force, de la prédation ! La morale dans laquelle la fable affirme sa légitimité est quelquefois digne des plus belles pages de Machiavel. La nature, qu'il célèbre ailleurs à la façon d'Epicure, est chez La Fontaine carnivore ; aussi la pastorale et l'idylle de ses premiers essais se voient-elles supplantées par ce genre jusqu'alors dédaigné, qui dans une forme antique réintroduit des images de la littérature populaire du Moyen-Age. Si, fidèle aux habitudes littéraires de son temps, il imite et traduit (Esope, Phèdre, Ovide), le fabuliste se fait inventeur et virtuose, en nourrissant son art de réminiscences. La souplesse et l'ingéniosité du vers et de la strophe permettent une expressivité maximum, la poésie se voyant dotée des possibilités de la prose. Son art du récit laisse rêveur, mais c'est dans l'animalisation totémique des caractères que La Fontaine trouve sa place dans la mémoire collective. Aussi ses formules et clausules sont-elles devenues proverbes, revenant à la sagesse populaire par le détour inattendu de la plus haute littérature.

 

Fables (1668, 1671, 1678 et 1694)

Instruire et divertir sont l'objectif des six premiers livres, dédiés au Grand Dauphin ; les suivants promettent " un air et un tour nouveau ". Entre les traductions en vers d'Esope et une personnalité qui s'affirme au fil des éditions, La Fontaine développe et dramatise l'antique apologue tout en l'enrichissant de traditions plus modernes : littératures médiévale, indienne (Pilpay), renaissante (les emblèmes). Aussi invente-t-il peu de sujets, mais déploie son génie dans l'art de l'anecdote, la théâtralisation, la liberté du ton, faisant de la fable un condensé de tous les genres.

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