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le temps qui passe.

 

L'aube d'un visage,

n'est-elle pas la naissance

d'un premier amour,

la délivrance d'un rire,

de mots tout neufs et

chauds, hier encore

grands inconnus ?

l'aube d'un corps,

n'est-elle pas l'audace

d'une première fois,

la maladresse de l'enlacement,

ces caresses débutantes,

démesurées, secrètes,

embryonnaires hier ?

L'aube d'une voix,

n'est-elle pas

une musicalité cristalline

en elle déployée ?

ces mots à l'instar de soleils

que l'on se donne, que l'on

invente dans la froideur

d'une chambre obscure et nue ?

Le crépuscule de tout cela,

qu'est-il ?

La mortalité d'un amour,

le premier, le dernier qu'importe !

C'est si triste ....

L'inertie d'un corps,

 le faire semblant,

ses feintes.

Des phrases coupantes

comme des lames, lapidaires ;

l'absence dedans de vie réelle,

d'ensoleillement.

Si l'aube n'existait plus, pourquoi

les après-midi chauds et bleus

ne seraient-ils pas immuables,

sans fin  ?

NINA

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GOURMANDE...

Lèvres gourmandes

Fraîcheur du fruit

Dents conquérantes

Craquant le bruit!

Sens en éveil

Saveur d'arômes

Joli clin d'œil

La vie embaume!

Petit bonheur

Plus rien n'importe

Profil d'ailleurs

Ouvrir la porte!

J.G.

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A Spa

une aquarelle d'Adyne Gohy

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a inspiré

Promenade autour du Lac de Warfaaz

Haïkus de

Raymond Martin

 

Lac du soir hiboux

Hulule à la lune

Rousse étoilée

 

Lac du matin luit

Au soleil montant brume

Ouatée perfide

 

Lac  à la tanche

Le Carassin  frétillant

Brochet  esseulé

 

Lac du midi bleu

Ciel  suffocant  ses rives

Promenées  fanées

 

Lac aux  lestes  castors

Goûteurs  de racines

Des berges offensées

 

Une grenouille plonge

Onde dans  l’eau ridée

Noie feuilles  de hêtre

 

Wayai  boit  l’eau rouge

Vieilles  fagnes  honorées

Beautés  végétales

 

Spa la tranquille baigne

Les  corps  nonchalants

Douceur  du  santal

 

Voltige égayée

Des  papillons bleutés

Sur  les  feuilles  roussies

 

Feuillages  bigarrés

L’écureuil  virevolte

De branche  en  branche

 

Bleu  du ciel  serein

Dessine les feuilles mortes

Promenade boisée.

 

Le vent est tombé

Pie sautille excitée

Vermisseau au bec

 

                                                              Raymond  Martin  - Automne  2015

Un partenariat d'

Arts 

12272797098?profile=originalLettres

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Précisons d'emblée en quoi le terme d'art poétique (ars poetica) se distingue de la poétique: où celle-ci se veut un discours sur la littérature, voire une science de la littérature, et montre donc une vocation descriptive, l'expression d'art poétique désigne d'abord des traités pratiques, des manuels en prose ou en vers. La notion d'art s'y définit comme un savoir technique, un ensemble de préceptes susceptibles d'enseignement. L'analyse de ce terme permet alors, peut-être, de dissiper une certaine ambiguïté qui s'est introduite au XXe siècle dans la réflexion des modernes lorsqu'ils parlaient de théorie de la poésie ou de la littérature.

L'art, en effet, est-il théorie ou pratique? En fait, il combine l'une et l'autre, et la réflexion d'Aristote est ici fondamentale: il distinguait la théorie, la pratique, mais aussi la «poïétique», qui porte sur la production, la création de l'oeuvre, et à quoi se rattache surtout la poésie.

La généralisation selon laquelle la poétique aurait pour fin l'étude de toute production littéraire ne s'est vraiment accomplie qu'à notre époque. Mais, pour analyser les arts poétiques et leur évolution, il importait de se demander, comme l'ont fait les Anciens, s'il existe une spécificité de la poésie par rapport à d'autres formes de création littéraire - et notamment la rhétorique, comme le pensait Aristote. Une spécificité qui, bien sûr, ne s'est jamais limitée à la seule versification. La perspective choisie ici, qui ne néglige pas les recherches récentes mais les situe dans une problématique plus vaste, a pour conséquence une approche historique, seule capable de montrer dans tous leurs contrastes les différentes interprétations qui ont été données d'une parole: la poésie, dont elles n'épuisent pourtant pas le sens.

 

 

1. L'Antiquité

 

Mythe et représentation

 

Si Platon chasse les poètes de sa république parce qu'ils sont des imitateurs et qu'ils pratiquent la mimésis au lieu du récit, Aristote, dans sa Poétique, décrit les lois du récit épique ou dramatique et justifie la mimésis, capacité d'imitation dévolue au langage, en disant qu'elle est vraisemblable et qu'elle peut, en la représentant, nous apprendre quelque chose sur l'action humaine. Platon condamne les fictions (sauf les mythes, dont il fait usage lorsque la dialectique est impuissante); Aristote demande qu'on représente la nature. Platon dénonce l'immoralité des passions, que les poètes rendent séduisantes. Aristote répond par sa théorie de la catharsis: la pitié et la crainte, aidées par la musique des poètes, purifient et apaisent les autres passions.

On voit que la doctrine ainsi exposée par le philosophe de Stagire est à la fois littéraire et philosophique. À la différence de Platon, qui se défiait de toute sophistique, il a voulu réconcilier les deux types de discipline; pour lui, la poétique est très proche de la rhétorique, notamment par l'emploi des tropes, métaphore et métonymie, et par l'usage des vertus du langage: clarté classique ou merveilleux qu'apprécieront plus tard les «baroques». Mais Aristote ne se limite pas au texte et à sa forme, comme on l'a cru parfois. Cela est particulièrement sensible dans sa conception du théâtre, imitation d'une action, c'est-à-dire d'une mise en acte donnant forme et unité à une matière (notons qu'Aristote conçoit l'unité d'une manière générale; les «trois unités» n'apparaîtront qu'avec les commentateurs de la Renaissance). La poétique (de poiein, faire, créer) dépend alors de l'ontologie. Cela était déjà vrai chez Platon (Ion, Hippias majeur) qui pensait qu'elle était inaccessible à la raison parce qu'elle appartenait à l'ordre de l'inspiration, de l'irrationnel, de l'indicible. Il la rejoignait parfois dans le mythe. Aristote a un point de vue plus optimiste. Il croit, lui, à la possibilité d'un art, qu'il soit technique, pratique ou qu'il se donne comme un simple manuel.

 

Éloquence et poésie

 

Les deux nuances vont rester confrontées à travers l'histoire. Dans le Pro Murena (62 av. J.-C.), Cicéron reprend la théorie de l'inspiration qui lui vient de Platon et d'Héraclite et tente de la concilier avec l'éloquence prônée par Aristote. Dans l'Orator, il pose la doctrine du beau idéal (l'artiste prend l'Idée pour modèle), qui gardera beaucoup d'influence. Dès son premier traité de rhétorique, le De inuentione, il avait déjà évoqué l'exemple du peintre Zeuxis qui, devant peindre à Crotone Hélène, la plus belle des femmes, avait combiné les beautés des cinq plus jolies filles de la ville.

Le second ouvrage romain à définir un art poétique est constitué par les Bucoliques. Certes, Virgile n'a pas composé d'art poétique en forme. Mais nous pensons que les églogues en tiennent lieu dans la mesure où elles fournissent à la fois une théorie de l'imitation, une théorie de l'amour, une théorie de la grandeur ou de l'élévation. Imitation: Virgile combine l'idylle et l'élégie, Théocrite et Catulle, pour rejoindre l'épopée en y introduisant la grandeur et la modestie de la réalité paysanne, de la terre, de la patrie. Il peut ainsi accorder les Anciens et les Modernes, Lucrèce et Asinius Pollion. On a montré comment les églogues se répartissent selon une structure pyramidale: on est d'abord avec Tityre sub tegmine fagi, puis on monte jusqu'aux astres avec Daphnis avant de redescendre, dans la IXe églogue, sur les rives du Mincio où tombe une pluie du soir. Tel est sans doute l'amour du poète qui gagne le ciel mais revient vers la terre. Énée ne fera rien d'autre après son voyage aux champs Élysées et il se sera rappelé, en voyant Didon, que la poésie est pitié autant que détachement. On pourrait dire la même chose à propos d'Orphée. Le chant IV des Géorgiques sera à son tour une méditation sur la poésie.

Les Bucoliques ressemblent beaucoup, par leur structure et par leur conception de l'amour, au Phèdre de Platon. Nous savons d'autre part que Virgile fut un élève de l'épicurien Siron et qu'il a lu le De rerum natura de Lucrèce. Nous comprenons que sa poésie tend à la sagesse et qu'elle peut refléter un dialogue ou une conciliation entre les diverses écoles.

Le même débat a peut-être existé chez Horace, mais nous croyons qu'il a choisi l'épicurisme. L'Épître aux Pisons, qui est plus généralement appelée Art poétique, est un poème de 476 vers hexamètres, dédié sans doute aux petits-fils de Pison, ancien consul, rival puis allié de Cicéron, qui vivait dans une belle villa d'Herculanum qu'il avait consacrée à l'enseignement de l'épicurisme. Le principal personnage en avait été, dans les années 50 av. J.-C., un Grec, Philodème de Gadara. Il avait rédigé, entre beaucoup d'autres, un traité: Péri poièmatôn, qui nous est parvenu très mutilé, où il critiquait les prétentions de l'aristotélisme relatives au caractère éducatif de la poésie.

Horace a connu tout cela: l'ensemble de son oeuvre comporte de nettes résonances épicuriennes. Mais il choisit pour son art poétique un plan d'origine aristotélicienne: le poème (il s'agit de l'agencement formel); la poésie (théorie des grands genres: épopée, théâtre); le poète (sa philosophie, les conditions de sa création). En fait, nous constatons que si Horace recueille avec beaucoup de lucidité toutes les tendances qui l'ont précédé, il les purifie en les resserrant autour de quelques nuances. Il ne parle pas des figures. Il ne revient pas, après Aristote, sur la totalité des vertus du discours, mais soumet tout à la grâce, à la convenance, à ce qu'il appelle la callida iunctura, l'habile jointure. Platon en avait parlé, mais Horace l'interprète essentiellement en fonction du plaisir (non satis est pulchra esse poemata, dulcia sunto). Cette idée de douceur reparaît dès qu'il s'agit de définir la sagesse du poète: miscere utile dulci. Il ne s'agit plus seulement du beau et de l'agréable, comme chez les péripatéticiens.

Nous ne pouvons quitter la littérature antique sans revenir au grec pour évoquer deux oeuvres qui ne constituent pas à proprement parler un art poétique, mais dont l'influence a été essentielle. Au Ier siècle, Denys d'Halicarnasse étudie les styles ou «harmonies» et la métrique (De compositione uerborum); d'autre part, le Traité du sublime du pseudo-Longin, dont l'auteur en réalité est inconnu, a dû paraître dans la seconde partie du Ier siècle après J.-C. L'influence dominante, cette fois, est stoïco-platonicienne. La grandeur d'âme est une vertu que prônait le Portique: le sublime en est l'écho. Le traité se demande comment on peut exprimer une telle élévation: toutes les figures sont permises, à condition de mettre en valeur la simplicité et la limpidité des mouvements spirituels.

 

 

2. La scolastique et l'humanisme

 

Poésie et théologie

 

Rédigés le plus souvent en latin, les arts poétiques témoignent au Moyen Âge de la persistance de la culture antique. Divers arts poétiques sont rédigés à la fin du XIIe siècle, notamment par Matthieu de Vendôme et Geoffroy de Vinsauf, qui s'inscrivent dans le cadre d'un modernisme savant. Ils connaissent Horace et la iunctura, mais reprennent aussi ce que le poète latin avait rejeté: l'étude des figures. À partir des tropes, ils réfléchissent sur le sens figuré, qui fonde ce qu'ils appellent l'ornata difficultas. L'ornata facilitas réside au contraire dans les tropes qui tendent à souligner le sens propre. L'ensemble de ces procédés, qui sont complémentaires, se retrouve, en langue profane, dans la poésie courtoise: si celle-ci subit peut-être des influences venues des pays islamiques, elle trouve sa source dans la rhétorique antique. Nos théoriciens font naturellement une place très grande à l'exemplum et à la descriptio. Ils réfléchissent sur les techniques du récit, selon qu'il procède par retour en arrière, en partant du commencement de l'histoire ou en étant introduit par des maximes intemporelles. L'imitation fait la part grande à la poésie de la latinité d'argent, notamment Stace et Lucain.

Mais toutes ces recherches ont un caractère profane. Or la plus belle part de la poésie médiévale, rédigée en latin, est constituée par l'hymnodie. Avons-nous des arts poétiques religieux? Pour trouver une réponse, il faut remonter très haut, jusqu'au De doctrina christiana de saint Augustin, et il faut le compléter par la Théologie mystique du pseudo-Denys l'Aréopagite et par son Traité des noms divins (VIe s.). Deux idées majeures se dégagent. Augustin s'interroge sur la rhétorique chrétienne. En méditant sur le sublime et l'élévation, il montre qu'on ne peut les séparer de l'expression de l'amour qui dépasse le plaisir et le désir. On découvre dans la charité même le pathétique des larmes, qui parle au coeur et à la sagesse et qui concilie Platon et les Évangiles pour s'élever par le symbole jusqu'à l'idée. Le pseudo-Denys montre qu'aucun nom n'est capable d'exprimer l'absolu. Il faut donc recourir aux figures du style pour dépasser le simple pouvoir des mots et obtenir une meilleure approche de l'infini. Mais, au-delà d'elles, il faut reconnaître les vertus du silence, qui purifie tout langage parce qu'il subsiste seul dans la nuit de l'extase.

La tendance savante et la tendance mystique peuvent-elles se rencontrer? Saint Bernard affectait d'en douter. Mais Jean de Salisbury, évêque de Chartres avant 1180, les accorde dans une vision d'ensemble de la culture dont témoigne son Metalogicon. À la même époque, les chartrains, suivis par Alain de Lille, présentent une théorie de la création où l'esthétique platonicienne du Timée se marie avec une théorie chrétienne du mythe (inuolucrum et integumentum). L'esthétique chrétienne, au temps de la scolastique, à partir du XIIIe siècle, ne cessera de combiner l'union établie par le thomisme entre l'être et le sensible et les degrés du symbolisme selon Bonaventure: sens littéral, moral, allégorique (qui renvoie au Verbe), anagogique (qui renvoie à la gloire céleste). Au XIVe siècle, la fusion des différents courants devient complète, avec Dante puis avec Pétrarque et Boccace (De genealogia deorum), qui proclament dans sa plénitude l'identification de la poésie et de la théologie.

 

Du platonisme à la «fureur» poétique

 

La Renaissance éprise de beauté va déployer, surtout en Italie, un extraordinaire ensemble d'arts poétiques. Ici encore, le latin est la langue dominante, mais l'italien joue lui aussi un très grand rôle. Après Pétrarque et Boccace, le symbolisme ne recule pas. Mais la sensibilité s'accentue, en même temps qu'on redécouvre les formes païennes du plaisir poétique, qui donnent leur place aux jeux du langage et de la chair.

Un prodigieux moment d'équilibre se situe dans la Florence de Laurent le Magnifique. L'ouvrage dominant est ici le De amore de Marsile Ficin auquel il faut ajouter les Dialoghi d'amore de Léon l'Hébreu. Le platonisme triomphe, mais un platonisme de la lumière, où, dans la tradition angélique du pseudo-Denys, toute beauté s'humanise comme dans le De ente et uno de Jean Pic de La Mirandole.

Ange Politien rédige à Florence les Prolusiones, cours inauguraux versifiés, qui justifient et mettent en oeuvre son art savant. Il paraît l'héritier du Moyen Âge, comme Cristoforo Landino qui, au même moment, dans ses Disputationes camaldulenses, mêle saint Thomas et Platon dans un commentaire symbolique de Virgile. Mais le Moyen Âge tel que le voit Politien vient aussi de Stace, et la profusion savante et serrée de sa poésie annonce le maniérisme, qui se déploiera pendant le XVIe siècle italien au fil des recherches et des essais, d'abord avec l'Actius du Napolitain Pontano, qui évoque et commente les recherches créatrices d'un poète plus grand encore: Sannazar, dont l'influence dominera l'épopée et la pastorale maniéristes. En 1527, on aboutit à l'Art poétique de Vida, trois chants versifiés en latin, où les leçons d'Horace s'accordent avec l'inspiration de Virgile. Les figures de style, que le Moyen Âge avait rétablies, sont ici étudiées et présentes.

Le XVIe siècle présente une harmonieuse combinaison des enseignements de la rhétorique et de la poétique. Trissino médite sur la grandeur à propos de Pétrarque et de Dante. Fracastor, dans son dialogue Naugerius (1540), montre que la poésie est le seul genre qui vise spécialement l'idéal, comme Cicéron le disait à propos de la rhétorique. Minturno (De poeta, 1559) accorde les préceptes énoncés par Quintilien dans son Art oratoire avec une théorie de l'admiration. Vers 1553, Robortello puis Paul Manuce publient le Traité du sublime. Parallèlement, on redécouvre les grands genres: l'épopée, la tragédie.

La fin du siècle verra s'instaurer une série de débats fondamentaux. Déjà, dans son Dialogo delle lingue (1542), Sperone Speroni s'interroge sur les rapports du latin et de la langue profane, annonçant la Défense et illustration de la langue française (1549), écrite par Du Bellay en manière de réplique à l'Art poétique français (1548) de Thomas Sébillet. Francesco Patrizi da Cherso le suivra en une large mesure dans ses divers dialogues sur la poétique. Mais avant d'en arriver là, dans la seconde moitié du siècle, après le concile de Trente, on voit se dessiner une esthétique originale, où Aristote prend sa revanche, avec les médecins philosophes de Padoue, contre le platonisme de Ficin. Cela commence, dans les années 1540, avec le De pulchro et le De amore de Nifo qui reproduisent la structure des dialogues de Platon lui-même (surtout de l'Hippias majeur) pour justifier une conception plus sensible et sensuelle du beau et de l'amour en s'appuyant sur Aristote. Le débat recevra une forme plus savante avec les sept Poetices libri publiés en 1560, deux ans après la mort de leur auteur. Jules César Scaliger est un Padouan exilé à Agen. Avec une érudition extrême, il combine l'idée platonicienne (qui, chez ce réaliste, se confond avec la matière même de l'oeuvre) et la forme aristotélicienne qui réside dans les genres et le langage. Son modèle est Virgile, dont il oppose la science aux maladresses d'Homère. Sa science (qui doit beaucoup au sophiste Hermogène, le plus grand rhétoricien du IIe siècle apr. J.-C., traduit vers 1435 par le Crétois Georges de Trébizonde) lui permet d'analyser dans le détail les couleurs et les tours du style, de la violence à la délicatesse. Il ouvre ainsi deux voies majeures pour le XVIIe siècle. Sa technique et son savoir seront utilisés et diffusés par les jésuites, dont l'influence s'affirme après le concile de Trente.

Les décades de F. Patrizi: Della Poetica (1586), reviennent pour leur part aux sources platoniciennes d'une philosophie du beau, lié à l'admiration qui se produit dans l'instant où la vérité se révèle. Vient ensuite la contemplation, qui n'est plus l'affaire de la poésie mais de la philosophie. Patrizi voulait répondre au Tasse qui, dans ses Discours, avait insisté sur les vertus du pathétique. L'admiration, dans l'épopée baroque, se confondait quelque peu avec le merveilleux. En 1594, Tasso publie un dialogue, Della bellezza, où il fait parler Minturno. En réalité, il s'inspire de Nifo pour introduire l'idée que la beauté est un «je-ne-sais-quoi». Il peut ainsi se réconcilier avec Patrizi. Le XVIe siècle finissant établit donc un accord nouveau entre Platon et Aristote, non sans se heurter aux apories ou aux impossibilités qu'implique la connaissance de l'absolu. Ainsi, d'Érasme à Cervantès en passant par l' Arioste et par l'expérience personnelle que le Tasse fait de la mélancolie, on découvre le rôle de la folie dans la poésie. Giordano Bruno écrit les Fureurs héroïques en un temps qui n'est pas éloigné de celui d'Hamlet, tandis que Campanella se place sous le signe de Dante et de l'énergie «solaire» où s'affirme une liberté prophétique.

 

 

3. Du baroque au néo-classicisme: les métamorphoses de la grâce

 

L'artifice et le naturel

 

Le XVIIe et le XVIIIe siècles n'iront pas toujours aussi loin dans la réflexion sur la création littéraire. Le premier fait qui les caractérise est l'approfondissement du maniérisme. Avec Gracián ou Tesauro, celui-ci aboutit à sa forme extrême, qui ressemble fort aux ornementations du «plateresque» espagnol. En matière de langage, on parle essentiellement de pointes et de concetti à travers lesquels on cherche à ressaisir le sens, la sententia des anciens déclamateurs, dans son aspect formel de concision («conception» est tout proche) et d'oxymore.

Ainsi s'épanouit le baroque, surtout en terre ibérique. Les Français, qui reçoivent en même temps le message italien du cavalier Marin, combineront les deux tendances avec l'enseignement sénéquien que Juste Lipse donnait à Leyde et à Louvain à la fin du siècle précédent. Ainsi se forme le classicisme, d'abord avec Guez de Balzac, ensuite avec Boileau. L'Art poétique (1674) est d'abord cartésien, l'apparente imitation d'Horace n'excluant pas une très grande différence d'esprit. Boileau s'attache essentiellement à critiquer la préciosité et l'italianisme. Dès les années qui suivent directement l'Art poétique, Boileau, admirateur de Racine, se tourne d'autre part vers le pseudo-Longin, qui concilie la grandeur avec la simplicité. La grâce, le sublime, tels sont les deux traits dominants de l'esthétique de ce siècle.

Au XVIIIe siècle, en France, la grandeur va peu à peu céder le pas à la grâce. On ne doit pourtant pas surestimer cette évolution. Fénelon, dans le Projet de poétique que comporte la Lettre à l'Académie, marque, en s'inspirant de Virgile, le lien essentiel qui existe entre les deux notions: l'une et l'autre s'accordent dans l'expression directe et transparente du sentiment. Ainsi prend source un courant qui, parfois (de Rollin à l'abbé Batteux), se borne à rassembler les différents aspects de la tradition et à concilier dans l'imitation de la nature Fénelon et Bossuet lui-même; d'autres fois, il va plus loin dans l'audace et conduit jusqu'à Rousseau: le sentiment se fait alors pure saisie de l'être.

 

L'élégance et le sublime

 

Deux autres faits majeurs doivent être soulignés. D'abord, l'art poétique a tendance à se confondre avec la théorie générale des arts. On s'y était beaucoup appliqué dès le siècle précédent avec les travaux de Vossius et le De pictura ueterum de François de Jon (Junius). On avait abouti à l'essai de Dufresnoy qui, traitant de la peinture, paraphrasait Horace. Au début du siècle, l'abbé Du Bos va dans le même sens, avant Batteux lui-même.

Le deuxième grand fait est le progrès de la réflexion sur le langage, qui coïncide avec l'évolution de la philosophie. Fénelon, le père Lamy restent dans la tradition de Descartes. Mais le sensualisme instauré par Locke conduit à des vues nouvelles qu'expriment Du Marsais, Diderot et surtout Condillac. Le langage naît de la combinaison des idées qui se construisent elles-mêmes par la combinaison des sensations. Pour bien parler, il faut donc procéder par analyse, partir de petites sensations vraies, voir comment elles se forment en mots, en phrases, en textes.

Cette période est très féconde dans les différents pays européens, où s'épanouit un universalisme nouveau. Partout, on voit se développer des réflexions qui annoncent le XIXe siècle. La France elle-même tend à échapper à la tradition classique, dont Boileau, Rapin, Bouhours, tous attentifs au sublime et à la grâce, se faisaient les défenseurs. Pope introduit un «criticisme» qui permet d'accorder Virgile avec Milton et peut-être Shakespeare. Shaftesbury s'efforce de contrôler l'enthousiasme par ce qui deviendra l'humour. Mais, au milieu du siècle, Burke (marqué lui aussi par Milton et la Bible) va opposer le sublime et la grâce: la seconde n'est que douceur et beauté, le premier implique la ténèbre et le terrible.

Les Italiens avaient donné l'impulsion la plus originale avec Vico. Celui-ci, dans Origines de la poésie et du droit, avait montré que la poésie est le langage des peuples primitifs, qu'elle est irréductible aux sciences exactes et que, n'en déplaise à Descartes, elle doit être étudiée avant elles. Mais Vico ne proposait aucun art poétique. Bien plus, il s'écartait progressivement de l'étude des figures, telle qu'il l'avait trouvée chez les théoriciens de la Renaissance, pour lui substituer l'interprétation des mythes. Il annonçait ainsi la pensée allemande et Herder, qui remplaçait le rationalisme universaliste des Français par l'étude des génies nationaux et des traits qui faisaient l'originalité historique des patries et de leurs littératures. En même temps, chez les Allemands aussi, de Baumgarten à Schiller en passant par Kant, se développait une théorie du sublime qui donnait une signification nouvelle au dialogue de la raison et de la passion. Tout à fait à la fin du siècle, Hölderlin trouvait la réponse: elle résidait dans la découverte d'un ethos religieux. Les temps du romantisme étaient venus.

 

 

4. La modernité

 

Au XIXe siècle, nous ne trouverons plus guère qu'un Art poétique qui se déclare tel: celui de Verlaine. Mais précisément le titre est employé par antiphrase puisque l'auteur refuse toute technique et par là même tout «art». Telle est en effet la grande question qui se pose pendant toute la période. Elle conduira jusqu'au surréalisme.

 

Le temps du romantisme

 

Cependant la réflexion sur le sentiment poétique en tant qu'objet de recherche reste très vivante. Cela est vrai en Angleterre autour des grands platoniciens: Coleridge, Keats, Shelley, et en Allemagne auprès de Novalis et Hegel.

Parmi les oeuvres qui en France peuvent tenir lieu d'arts poétiques, nous citerons d'abord les écrits de La Harpe (partisan du néo-classicisme et du sublime). Fontanier et Stendhal, chacun à sa manière, prolongent la tradition du sensualisme. Dans son Cours d'esthétique, Jouffroy ne la trahit point mais l'approfondit dans l'esprit de Kant et arrive à une découverte essentielle: la beauté est un invisible, qui procède par le symbole. À son époque, Vico a été redécouvert par Michelet et Ballanche qui, eux aussi, méditent sur les mythes historiques. Ballanche, ami de Chateaubriand dont le Génie du christianisme était essentiellement une poétique du catholicisme.

La poétique romantique paraît à première vue se confondre avec celle de la passion, ce qui supprime encore une fois le rôle de l'art. Mais cela n'exclut ni la réflexion historique ni les projets esthétiques, comme l'attestent les manifestes de Victor Hugo: théorie du drame dans la Préface de Cromwell, rejet des normes classiques dans les Contemplations, théorie de l'art et de la vision dans William Shakespeare. L'art est une valeur religieuse et sacrée: il implique un contact direct avec l'absolu et il appartient au langage poétique de traduire une telle intuition par le contraste, l'arabesque et l'abondance.

Une synthèse essentielle: Baudelaire

En écrivant l'Art romantique, en affirmant que la poésie doit être à la fois liée à la vie moderne et au beau idéal, Baudelaire définit un programme qu'il accomplit exactement, alors que ses contemporains versent tantôt dans le culte parnassien de la plastique tantôt dans le mépris du style. Mais surtout il écrit les Correspondances et réalise ainsi l'intuition de Jouffroy selon laquelle la poésie est symbolique. Pour arriver à cette idée, il est paradoxalement aidé par un poète américain: son véritable art poétique est l'Euréka d'Edgar Poe, qui reprend une théorie plotinienne de l'unité pour faire entrer dans la poésie le cosmos positiviste des savants de son temps.

L'oeuvre de Baudelaire conduit parfois à rejeter les arts poétiques (ce sera le cas pour Verlaine, Lautréamont). Mais il les influence aussi jusqu'à nos jours. Par exemple, il nous conduit jusqu'à Mallarmé qui apparaît d'abord comme l'héritier du symbolisme. Il chante le «démon de l'analogie», mais non sans quelque ironie. Sa véritable poétique se trouve exprimée dans le Coup de dés, ou dans Igitur. La question que pose Mallarmé est de savoir si la poésie relève de l'idée platonicienne ou du hasard des sensations fines. Il essaie de concilier l'un et l'autre en cristallisant le discours et en le brisant. Naturellement, l'art n'intervient plus qu'au sens «artiste» (ou artistique) bien connu de Baudelaire, qui en indique la signification spirituelle et plastique dans les Salons et dans l'Art romantique. Il n'est plus question d'aligner les préceptes techniques de l'expression littéraire mais d'accorder dans le beau idéal la modernité et la tradition.

Dès lors, l'influence de Mallarmé va se diviser en deux courants. Le premier, qu'illustre Valéry, met dans la création poétique l'accent sur le rôle de l'«intellect». L'auteur décrit les démarches de l'esprit dans leur spécificité artistique, en se référant à un des maîtres les plus profonds de la Renaissance, Léonard de Vinci. En héritier des sophistes, il souligne que le poète crée le sens par la parole et le compare dans Eupalinos à l'architecte, et dans L'Âme et la danse à la ballerine qui, elle aussi, construit son corps dans le mouvement.

Avant Valéry, dans les années 1905, Paul Claudel écrit l'Art poétique et qui insiste avec puissance sur l'autre aspect de la tradition mallarméenne: le symbolisme, qu'il saisit dans une vision réaliste, en s'inspirant d'abord de l'analogie thomiste, mais aussi du platonisme augustinien, dont il trouve alors la marque dans les Moralia sur Job de Grégoire le Grand. Plus tard, Claudel se tournera aussi vers saint Bonaventure et insistera sur la pensée du pseudo-Denys l'Aréopagite. L'analogie, telle que la conçoit le poète, exprime, fût-ce dans la douleur, la joie qui naît de la création, où tous les êtres forment un concert puisqu'ils se connaissent dans la co-naissance.

La tradition de Mallarmé peut prendre un troisième aspect, dans lequel elle se concilie avec les plus importantes découvertes du romantisme. On ne doit pas oublier qu'au début de sa vie André Breton a été l'un des admirateurs du poète. Mais il faut aussitôt préciser que le surréalisme combine une telle mise en question du langage avec la recherche de la spontanéité que procurent le rêve et la folie. Ainsi s'accomplit une libération de l'image.

 

Un élargissement nécessaire de la poésie

 

Les poètes qui viendront par la suite auront à combiner ces diverses influences. Ils poseront des problèmes qui recevront une coloration nouvelle. Alors que les règles de la versification vont s'effacer au profit de la prose ou du verset, il s'agira de marquer la spécificité de l'expérience poétique. Les créateurs (Cocteau, Reverdy) rétabliront le rôle du travail et de la virtuosité. Les néo-thomistes (Raïssa Maritain...) combineront les deux tendances en réfléchissant aussi (à propos de la scolastique) sur l'obscurité qu'ils justifient mais qu'ils veulent dépasser dans la «percée de l'intuitivité» vers l'être.

Nous arrivons ainsi à une problématique plus récente, qui se développe surtout après les années 1940. Elle a un caractère à la fois philosophique et scientifique. Mais elle se caractérise surtout par les progrès de la linguistique.

En philosophie deux débats se dessinent, selon qu'elle s'oriente vers la sociologie ou la métaphysique. Ils se rejoignent dans la réflexion sartrienne sur le conditionnement, l'engagement et la liberté (Situation I). La réflexion métaphysique sur le sens pose, elle, la question de l'absolu (Maurice Blanchot, dans le sillage de Hegel) et celle de l'être: Heidegger, s'inspirant de Hölderlin, distingue la poésie des autres disciplines parce que seule elle présente un langage de l'être et non seulement de l'étant. Dans la même période, Joë Bousquet, dialoguant avec Jean Paulhan, écrit les Capitales, qui renvoient à Duns Scot. C'est dire qu'on redécouvre les problèmes médiévaux et notamment le nominalisme - dont, chacun à sa manière, Umberto Eco et Michel Foucault (Les Mots et les choses) reprendront à leur compte certains postulats.

 

Poésie et linguistique

 

Le fait de redécouvrir le Moyen Âge implique une renaissance de la culture, qui est passée notamment par E.R. Curtius. En se rapprochant de la science, la poétique se fait historique et descriptive. Elle conteste les normes mais reconnaît leur présence et leur diversité. On aboutit alors aux recherches de J. Roubaud, qui a commenté dans La Vieillesse d'Alexandre l'évolution de l'alexandrin, et dont l'oeuvre trouve à la fois son inspiration dans la poésie des troubadours et dans la combinatoire mathématique.

Une telle exigence scientifique, qui vise à décrire objectivement les règles d'élaboration du texte, à dégager les «constantes du poème» (A. Kibédi-Varga), est évidemment liée aux progrès de la linguistique. La poétique retrouve ainsi ses relations avec l'étude de la forme (versification, figures). Mais la théorie moderne souligne que, dans le signe linguistique, il existe toujours une relation étroite entre le signifiant et le signifié. La doctrine fondamentale de Jakobson enseigne que la démarche poétique consiste à traiter le signifiant comme un signifié, selon les axes de la métaphore et de la métonymie.

Nous arrivons ici aux réponses qui sont actuellement données aux questions que nous formulions en commençant. Nous venons d'indiquer ce qui appartient en propre à la poésie. Est-elle un art? Les modernes sont tentés de la confondre avec la théorie de la littérature. Nous n'insisterons pas ici sur cet aspect. Mais nous avons montré que, jusqu'à nos jours, elle est aussi une technique et un artisanat, également une recherche de l'absolu, puisqu'elle se veut création. De là ses deux orientations actuelles:

-Elle se présente comme un jeu dialectique avec le langage, dans ses aspects vulgaires comme dans ses raffinements élitistes. De Paulhan à Queneau, on revient ainsi à une réflexion sur la rhétorique qui récuse la «terreur dans les lettres» et qui, à la liberté naïve des «exercices de style», joint la grâce de l'ironie (jusqu'à U. Eco). On aboutit aussi à la chanson (Art poétique de Boris Vian).

-Chercheuse d'absolu, la poésie scrute le langage ou l'herméneutique de l'être. Elle utilise ainsi et dépasse la psychanalyse pour redécouvrir, après Rilke et ses Sonnets à Orphée, un symbolisme des profondeurs. Cela se traduit avec force chez René Char ou Yves Bonnefoy en même temps que chez les poètes chrétiens: Jouve, Emmanuel, Patrice de La Tour du Pin, dont la Somme de poésie n'est tout entière qu'une méditation sur le Jeu du seul (jeu du langage, absolu et solitaire). Dieu pourrait être le seul poète (Urs von Balthasar).

L'art poétique, au sens moderne, se trouve ainsi confronté à une problématique que définissent Borges et Caillois: une rhétorique de l'être, une combinatoire de l'absolu.

Les littératures 

 

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administrateur théâtres

1274660243.jpgVoyage métaphorique ?
Falling asleep? Eveil, ou réveil ?  « Falling: A Wake », c’est le titre original  de la pièce de l’auteur canadien Gary Kirkham. Traduction en français : « Une veillée ». Il est certain que vous ne vous endormirez pas! Le bruit infernal de l’explosion de l’avion qui s’écrase à côté d’une ferme « sur un point indéterminé de nulle part » a de quoi réveiller le spectateur en manque de sieste ! La pièce se base sur un fait réel : le crash dramatique du vol 103 de Pan Am suite à un attentat terroriste en 1988. Il y a presque trente ans. Les 150 victimes de l’airbus Germanwings, c’était l’année dernière, à Pâques.

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Au début de l’histoire, des pièces d'un avion commencent à tomber du ciel, et l'un des passagers, sanglé dans son siège. Un beau jeune homme au visage limpide. Le vieux couple du professeur de mathématique Harold et Elsie qui avait choisi de reprendre la ferme paternelle, découvre cette chose totalement ahurissante et apocalyptique dans leur univers clos, qu’ils annoncent avec humour, quelque part sur un chemin, par une pancarte surréaliste : « Si vous pouvez lire ce ci, c’est que vous êtes perdu !»   Et en avant les phrases sibyllines, surréalistes, vêtues de sens multiples, touchantes comme les galets littéraires semés par Samuel Beckett ou Harold Pinter. 825857779.jpgLe froid humide, l’absence de lumière de la cave souterraine où se joue la pièce contribue à l’atmosphère lugubre. Si on sort les couvertures sur scène, on les sort aussi dans les fauteuils de l’assistance, question de se mettre au diapason. Harold et Elsie réagissent à cet accident terrifiant, métaphore de la fin du monde, chacun à leur manière. Harold (Alexandre Trocki) s’empresse auprès de sa femme, en lui prodiguant mille attentions amoureuses et tendresse de longue date. Il fait la lumière à commencer par une torche, puis une lanterne puis une armée de bougies, photophores et chandeliers, pendant que la femme veille le mort, et se met à lui parler. Son âme et-elle encore là ou est-elle déjà partie ? Elsie (Brigitte Dedry) prend l’initiative d’une longue conversation à sens unique avec le jeune homme mort. Elle risque la prière. Lui, recrée minutieusement sur la scène de l’accident un semblant de vie  domestique quotidienne en amenant auprès de la femme qu’il aime, fauteuil de salon, tapis, chocolat chaud…A la façon de ces oiseaux fidèles, faiseurs de nids, indissociables et tendres.

3968818209.jpgEt puis, si tout cela n’était qu’invention commune? Recherche désespérée de sens? Une pure invention, comme le jeu des enfants, quand leur imagination est palpitante en regardant les étoiles et en entendant les cris féroces de la nuit. Et si, sur scène on voyait se réaliser la magie de l’amour? Et si ces comédiens vieillis étaient tout simplement en train de mettre en commun leur âme d’enfant ? Et si cette mise en scène était la catharsis d’une douleur ancienne innommable? Une perte insupportable? Peut-on nommer la douleur la plus grave pour des parents? Vous êtes bel et bien en plein voyage métaphorique! La dernière phrase tombe : comme une pièce détachée de métal brûlant. « Mais comment peut-on expliquer tout cela ?» « Il n’y a rien à expliquer !» 
La mise en scène de Virginie Thirion, jointe à la scénographie et aux costumes de Marie Szersnovicz ont de quoi glacer le corps mais pas le cœur…La création sonore palpitante, grande composante de la pièce, est signée Marc Doutrepont.

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UNE VEILLEE

De Gary Kirkham.
Avec Alexandre Trocki et Brigitte Dedry.

Belle comédie dramatique

DU 08/03/16 AU 30/04/16

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=420&type=1

Lire en +:
Pièce de résistance par Marie Baudet in La Libre, le 10 février 2016
Tendresse grinçante et résistance par Marie Baudet in La Libre, le 18 février 2016
Alexandre Trocki, la force tranquille par Catherine Makereel in Le Soir, le 20 février 2016
Les veillées de Gary Kirkham : le travail du deuil sous le masque du domestique par Sébastien Barbion in Le Rayon Vert Cinéma, le 21 février 2016
Une veillée *** par Eric Russon in Moustique, le 24 février 2016
«Une veillée» funèbre pour reprendre le fil de la vie par Catherine Makereel in Le Soir, le 2 mars 2016

Le mot de  Virginie Thirion :

Cette pièce canadienne, création mondiale en langue française que nous vous proposons, est une petite perle sensible et tellement humaine. Un duo porté par Alexandre Trocki et Brigitte Dedry, dans une mise en scène de Virginie Thirion. Souvenez-vous du tendre J’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin, la saison dernière.

Ainsi commence l’histoire :

«Si vous pouvez lire ceci, c’est que vous êtes perdus». Voilà comment on arrive chez Harold et Elsie.

Le début de la nuit, il fait froid.

On entend le faible bruit d’un avion au loin.
Ensuite, le fracas sourd d’une explosion.
Silence.
Quelque part, un chien aboie.

Elsie : C’était quoi ce bruit ?
Harold : Je sais pas… un orage peut‐être.
Elsie : Quoi ?
Harold : Je disais, un orage peut-être.
Elsie : Il fait froid. Tu as mis quelque chose de chaud ?
Harold : Oui, j’ai un manteau.

Harold sort avec une lampe torche. Il porte des bottes en caoutchouc et le manteau de sa femme.

Quelque part entre Harold Pinter et Samuel Beckett, Harold et Elsie, fermiers par hasard, élevant des poules en pleine campagne, « un point indéterminé de nulle part, parce que si nous étions au milieu de nulle part, on pourrait encore nous trouver… », comme le dit si bien Harold, ancien professeur de mathématique qui a gardé le souci de la précision. Deux personnages tout en humour et tendresse. Si je devais pointer l’enjeu majeur de la mise en scène, ce serait celui-ci : servir la tendresse et l’humour présents dans le texte, dans l’histoire. C’est une vraie gageure, s’agissant de deux êtres confrontés à l’insupportable. Et pourtant. Ils résistent, chacun à leur manière. Elsie parle, elle raconte, elle choisit ce qu’elle veut croire, elle maintient le contact, elle parle pour tenir la tristesse à distance, pour maintenir son mari proche. Harold résiste en acte : d’accord, un événement imprévu et dramatique, emprunt de mort, les expulse de chez eux. Mais il ne s’avoue pas vaincu pour autant, il lutte pied à pied, accumulant fauteuil, lampe, tapis, pantoufles, bougies…. n’hésitant pas à recréer du confort et une possibilité de vie là où l’inimaginable et le traumatisant s’étaient imposés. Et à deux, unis par un amour nourri et construit tout au long de leur histoire et de leurs épreuves communes, ils font reculer l’insupportable injustice de la vie, l’adversité, le chagrin, l’isolement.

Brigitte Dedry et Alexandre Trocki sont les deux interprètes. Ils ont pour eux cette finesse, cette intelligence du texte, et cette belle capacité à en faire entendre les délicatesses. Avec eux, nous découvrons et explorons ce que les personnages se disent vraiment lorsqu’ils se parlent. Nous découvrons comment l’auteur a parfaitement construit leur histoire, lors de cette incroyable nuit, et comment il a subtilement balisé leur cheminement vers la paix et la sérénité.

– Virginie Thirion –

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Un beau commentaire d'Isabelle Fable de l'Association Royale des écrivains et artistes de Wallonie sur AGIR ET ACCUEILLIR. Merci!

" Un ouvrage petit par la taille mais riche de contenu. Attrapée au coin de la vie par un cancer sournois, Martine Rouhart ne se laisse pas abattre. Obligée, par la force des choses, de ralentir, de se retrancher de la vie active, de subir de plein fouet la maladie et les traitements, elle rebondit en mettant à profit ce temps de latence et de souffrance pour « penser » et pour noter ce qu’elle ressent, ce qu’elle comprend, ce qu’elle voit changer en elle et autour d’elle pendant ces mois consentis au cancer, ces mois où elle mettra tout en œuvre pour en venir à bout et même faire de cette épreuve une occasion de grandir en force et en sagesse.

On aurait pu mettre le titre à l’envers : Accueillir et agir. Car la première étape était bien d’accepter, et non seulement d’accepter mais d’accueillir le cancer, de l’apprivoiser, d’en tirer profit et de vivre intensément chaque moment, de réapprendre à savourer les choses, le rayon de soleil, le merle au jardin, les mille clins d’œil de la vie… Garder l’espoir et le goût de vivre, sans toutefois se bercer d’illusions. « La vie est partout, brève mais insistante, intense, insouciante. Elle est en moi aussi, pressante. Non, ma vie ne tient pas qu’à un fil. Chaque jour, chaque minute, je tresse consciencieusement un cordage qui doit résister à la volonté de puissance des forces contraires. Dur et rugueux, il est forgé de résolutions, d’acceptation et d’une part de résignation. » Elle semble avoir trouvé le juste dosage, la bonne attitude à prendre face à la maladie, acceptant de son mieux les hauts et les bas, les moments de bonheur à se voir surmonter l’épreuve et les moments de faiblesse, où on lâche prise. L’important étant de se relever après chaque chute, comme dit Confucius. Entre solitude et présence des proches, elle navigue, à la fois fragile et forte, patiemment, « laissant libre cours à sa nature contemplative, pour vivre plus par la pensée que par l’action. »

Elle nous livre ses états d’âme et ses états d’esprit en brèves notices sincères et bien tournées, qu’on peut lire en piochant de gauche à droite, comme un recueil de poèmes ou un psautier où picorer une certaine joie de vivre, une volonté tranquille, le témoignage d’une malade qui guérit. La présente édition est complétée par une ajoute, écrite six ans après, où Martine Rouhart nous dit – et c’est sans doute le mot de la fin : « Si cet « épisode » était le prix d’un commencement de sérénité, ce n’est pas si cher payé. » Elle porte désormais une attention plus vive à la vie et aux autres. Et, cerise sur le gâteau, elle a prolongé le processus d’écriture entamé dans des oeuvres de fiction, que salue Claire Anne Magnès dans la préface qui ouvre le livre.

Bilan positif donc et tout le monde s’en réjouit. Comme le dit si bien Sylvie Godefroid, il y a de belles choses à vivre après un cancer".

Isabelle Fable

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Telle une cuisse de nymphe émue !

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                                                     Telle une cuisse de nymphe émue !

    Elle exhale autour de lui
     Légère et céleste
                L'arôme de ses fruits défendus
                         Voluptueuse maladresse 
            D'une délicieuse mousseline

Charmé!

                         Il chavire sur les rondeurs intimes 
                  D'une callipyge.

 
Rosyline 16/01/2015

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Ma Muse

Ma muse

 

Elle arrive doucement lorsque le jour a fui,

Et pendant mon sommeil elle me dicte ses mots

Qui me parlent de fleurs, d’amour, de renouveau.

Quand mes vers se dessinent tout au bout de la nuit,

Elle s’enfuit légère, mais sera là ce soir,

Quand mes yeux seront clos, près de moi, dans le noir.

 

2016-03-16

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Bien des membres du réseau souhaitent entrer en littérature.

Je constate malheureusement que bien des fois ils n'ont pas la moindre idée de la manière dont ils est nécessaire de se présenter.

Bien souvent, ils envoient une photo de la couverture de leur livre.

Et s'en tiennent là. 

Quand je leur propose alors d'envoyer aussi deux ou trois "bonnes feuilles", ils me demandent ce que c'est que des "bonnes feuilles...

D'aucuns même, en envoyant la photo de couverture ne prennent pas la peine d'ajouter un titre à leur communication.(le même phénomène se produit également pour des peintres qui ne prennent pas la peine de remplir le champ titre qui a été créé par les ingénieurs du réseau pour les aider).

Tout ceci est décourageant. 

Heureusement, certains envoient quand même souvent de très bons textes que je met alors en vedette.

Je publierai par la suite des billets concernant ces sujets.

 

- Les agents littéraires

   durée d'écoute de ce podcast de France culture: 53 minutes 59 secondes

- L' édition indépendante

- Agents, traducteurs, salons : la fabrique mondiale du best-seller

- L'aube des librairies indépendantes

(Tous documents diffusés par France culture)

En espérant que chacun y puisera de précieux renseignements que - seule au monde, à mon avis - France culture est capable de réunir.

R.P. 

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administrateur théâtres

817052537.jpgGEORGES ET GEORGES, CENTRE CULTUREL AUDERGHEM Une comédie conjugale grinçante  d’Eric-Emmanuel Schmitt.

 

« Faites sauter le boîtier d'une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs. C'est une pièce de Feydeau qu'on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c'est une pièce de Feydeau vue de la salle - les heures passent, naturelles, rapides, exquises.» disait Sacha Guitry.

 Héritier d’Eugène Labiche, auteur de vaudevilles célèbres, Georges Feydeau écrit et joue ses plus grandes réussites de 1892 (Monsieur chasse) à 1912 (Mais n'te promène donc pas toute nue !). Il produit une pièce par an. Le théâtre de Feydeau est explosif et d’une saveur langagière inimitable.  Son théâtre regorge  de mouvement, de portes qui claquent, de situations  burlesques, de quiproquos  et oscille entre observation intransigeante de la société et  farce  théâtrale sur le ton de la caricature et de la distanciation.  Le délice des bons mots s’enchaîne à un  abattage verbal effréné et déclenche  la mécanique jubilatoire du rire.  Trève de rire, en 1919, atteint par la syphilis, Feydeau est interné par ses fils et meurt deux ans après. Il avait divorcé d’avec sa femme suite à une terrible dispute, en 1916. Cet observateur de la société  fin de siècle, qui avait fait rire jusqu’au délire le public de la Belle Epoque, finit ses jours dans une stupéfiante tristesse.

GEORGES ET GEORGES (Théâtre Rive Gauche-Paris14ème) crédit F. RAPPENEAU - 015 - HD Light.jpg

 C’est peut-être cette situation inversée  qui a inspiré  Eric-Emmanuel Schmitt dans l’écriture de  sa pièce « Georges et Georges », un pastiche de l'écriture de Feydeau, et un hommage à ce prince de l'écriture vaudevillesque.  Rebondissant sur la  phrase  de Feydeau « N’est-elle pas plus morale, l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ? » (La Dame de chez Maxim), Eric-Emmanuel Schmitt met en scène le ménage de Georges et Marie-Anne Feydeau, atteints par la déconfiture d’un mariage usé jusqu’à l’ennui ou pire, jusqu’au ressentiment. Ni l’un ni l’autre ne sont plus « comme avant », c’est le nom de la maladie. Mais qui peut se targuer au bout de plusieurs décennies d’amour partagé d’être encore « comme avant ? ». Nous sommes des êtres vivants, et la vie, n’est-ce pas le changement, l’évolution, la transformation ? Donc si de part et d’autre, le couple se  berce dans  une puérile nostalgie, cela a un côté agaçant et  futile.  

 L’élément intéressant et original est cette inversion des sentiments qui atteint Georges, pris de folie : il rit devant les situations insoutenables et « pleure jaune » quand il nage dans le bonheur. On fera appel au docteur Galopin (Alexandre Brasseur) et à son fauteuil révélateur de fantasmes  pour venir le guérir, avec comme résultat un beau dédoublement de personnalité. Mise en scène bondissante de Steve Suissa dans un tourbillon de portes. Si vous aimez cela !

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Davy Sardou, Molière 2014 du comédien dans un second rôle pour sa pièce « L'affrontement » présentée au Centre Culturel d’Auderghem l’an dernier, joue avec grande maîtrise le rôle  du double Georges Feydeau avec Christelle Reboul comme « desperate wife » survoltée et particulièrement énervante. L’accumulation de situations cocasses est galopante, les costumes très carnavalesques, la course derrière le chimérique argent est de bon ton mais l’accent de la reine de Batavia est incompréhensible – du faux allemand- qui aurait pu être du flamand, on aurait préféré. Véronique Boulanger (récompensée du Mini-Molière 2014 de la meilleure actrice) finit par lasser.

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Les facéties clownesques accompagnées d’aboiements de Thierry Lopez nous paraissent répétitives et lourdes et la soupe de griottes peu ragoûtante, si pas carrément vulgaire. Zoé Nonn (apparue dans le célèbre "Toc toc") joue la môme crevette, oui, très crédible, mais ce n’est pas Eric-Emmanuel Schmitt qui l’a inventée! Sic : « Il n’y a que dans les courts instants où la femme ne pense plus à ce qu’elle dit qu’elle dit vraiment ce qu’elle pense ! »


Le médecin « magnétothérapeute » insomniaque et maniaque sexuel,  joue bien son rôle d’apprenti sorcier et de maître de ballet dont il a perdu les clés. L’ensemble, joué jusqu’à l’étourdissement (« génial » diront certains) laisse néanmoins une impression de beaucoup de bruit pour rien, et le rire si prémédité n’en finit pas de se tarir. On préfère vraiment Eric Emmanuel Schmitt dans le reste de son œuvre et surtout son dernier roman, tellement admirable, celui-là, que l’on voudrait l’offrir à tous ceux qu’on aime: « La nuit de feu ».

134866563055719548d067a.jpgDistribution:

Davy Sardou : Georges et Georges
Christelle Reboul : Marianne, son épouse
Alexandre Brasseur : le docteur Galopin

Véronique Boulanger : La Reine de Batavia

Zoé Nonn : La Môme Crevette
Thierry Lopez : Hercule Chocotte

 http://www.cc-auderghem.be/

Jusqu’au 20/03/16

CENTRE CULTUREL AUDERGHEM

Boulevard du Souverain 183 – 1160 Bruxelles

Infos Réservations : 02/660 03 03

 

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Je m'enrobe coquelicot

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 Je m'enrobe coquelicot

 

J'enfile ma robe rouge.

Se déplisse mon coquelicot.

Dans ma poche, les graines bougent.

Ecossent et grésillent les grelots.

 

Je tiens dans mes mains, en bouquet

mes étamines jaune abricot.

Bondit amusé un criquet,

sur la broche de mon petit mot.

 

Un air joyeux nous emmène,

en ronde bercée par le vent.

De ma gaieté, je vous parsème,

sur mes pollens à l'air du temps.

 

Le soleil au doux sourire,

me pelote dans sa laine.

Sa grande envie de me cueillir,

ravive ma joie soudaine.

 

Rosyline 15/06/2012

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administrateur littératures

  "Les questions les plus intéressantes restent des questions: elles enveloppent un mystère. A chaque réponse, on doit joindre un "peut-être". Il n'y a que les questions sans intérêt qui ont une réponse définitive". Paroles extraites de "Oscar et la dame rose" de E-E. Schmitt, et l'on peut ajouter que les réponses fluctuent au fur et à mesure de l'évolution de nos pensées ou tout simplement de nos humeurs. Nos pensées ont une vie, donnent la vie: les questions sans réponse concrète alimentent notre réflexion sur le monde et nous-mêmes, Rainer Maria Rilke: "Soyez patient envers tout ce qui n'est pas résolu dans votre coeur et essayez d'aimer les questions elles-mêmes, comme si elles étaient des salles verrouillées ou des livres écrits dans une langue qui vous est étrangère. Ne cherchez pas les réponses maintenant car elles ne peuvent vous être données, vous ne seriez pas en mesure de les vivre. L'important, c'est de tout vivre! Vivez les questions maintenant! Peut-être serez vous alors progressivement capable, sans même vous en apercevoir, de vous approcher doucement des réponses." Rilke, a-t-il raison ou tort? Plus l'un que l'autre probablement et il y a le fait que nos pensées conditionnent considérablement les réponse, nos débuts de réponse.

  L'état d'esprit? Essentiel: l'un estimera qu'il n'est que poussière animée à sa naissance, avec le seul but, un but louable, de gagner sa vie par le travail quel qu'il soit; l'autre se verra un être doté d'une âme qui a la force de s'extraire de sa condition ou du quotidien dans le but de mener ce qu'il appellerait sa mission suprême.

  L'un stagnera, forçat d'une certaine manière, pour gagner sa croûte, réussira ainsi sa vie par sa persévérance et sa détermination, une réussite comme une autre; l'autre, animé intérieurement par on ne sait quel génie, évoluera, souvent en marge, s'élèvera, partagera ses idées, les développera, fera des adeptes, un autre type de succès qui sera surtout bénéfique pour lui-même, son âme, son esprit, son coeur, et il rayonnera intérieurement à faire pâlir d'envie les autres, la plupart ne comprenant probablement pas d'où vient cette motivation.

  La question sans réponse? Le premier, surtout préoccupé par ses investissements et ses comptes en banque, passera à côté de celle-ci, ne se posant que des questions pratiques, d'ordre matériel, éludant les questions existentielles la plupart du temps mais avec malgré tout un but souvent honorable: la constitution d'un capital. Le second, pas nécessairement plus intelligent mais habité par on ne sait quel diable du point de vue du premier, apportera avec le temps des esquisses de réponse, chercheur et aventurier de l'être dans l'âme. Une coexistence pacifique entre le premier et le second? Pas toujours malheureusement, la frustration aidant, des divergences émergeant quant aux réponses...

  Les Arts? Les Lettres? Les livres? Peuvent-ils apporter des réponses? Mark Twain: "Le danger, ce n'est pas ce qu'on ignore, c'est ce que l'on tient pour certain et qui ne l'est pas." Devrait-on laisser les livres clos? Ne pas les lire par crainte des réponses données qui ne nous satisferaient point, ou d'y découvrir des vérités qui n'en sont point? Schmitt a cette réponse, sur les livre clos, dans sa nouvelle "Un amour à L'Elysée": "Il en est des destins comme des livres sacrés: c'est la lecture qui leur donne un sens. Le livre clos reste muet; il ne parlera que lorsqu'il sera ouvert et la langue qu'il emploiera sera celle de celui qui s'y penche, teintée par ses attentes, ses désirs, ses aspirations, ses obsessions, ses violences, ses troubles. Les faits sont comme les phrases du livre, ils n'ont pas de sens par eux-mêmes, seulement le sens qu'on leur prête."

  S'écarte-t-on ici de notre sujet "les questions sans réponse"? Livre clos, esprit clos: pas de question soulevée, point de réflexion, point de réponse! La meilleure des solutions? L'ouvrir ou le laisser clos irrémédiablement? Voici une question qui a une réponse claire et nette, qui nécessite une réponse: un choix est à faire, ferme! S'ouvrir ou se fermer comme une huître? La réponse est en vous et, en théorie, qui cherche trouve...

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Récente perte

Soliloque

Je m'aperçois que m'a quittée
La muse qui dans le silence
Par grâce de la providence
De jolies phrases chuchotait. 

Sa douce voix que j'écoutais
D'une façon habituelle
Avait une influence telle
Que j'écrivais sous sa dictée.

J'ai tenté, depuis, or ne peux
Transmettre mes émois intimes
En des vers sincères qui riment
Et paraissent mélodieux.

Comment des mots soudain s'attirent,
Dans la boîte de la magie
Pour créer de la poésie?
Nul savant ne pourra le dire.

14 mars 2016

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Etienne DRIOTON

Dans les pas d'Auguste MARIETTE, de Gaston MASPERO et des Français qui se succédèrent à la direction du Service des Antiquités d'Egypte, au Caire, ETIENNE DRIOTON se montra un administrateur avisé, un grand égyptologue. Appelé par le roi d'Egypte en 1936, il fut le dernier Français à occuper cette haute fonction. En 1952, lors de la destitution de Farouk Ier. il adressait sa démission au Ministre de l'Instruction publique au Caire " ;..Un ordre nouveau vient de naître en Egypte, et il se trouve que je reste maintenant le dernier étranger à la tête d'un service public [...] ayant été très honoré de la confiance et de l'amitié de l'ex-souverain et destiné à être déchargé de ma fonction sous peu de temps, je n'aurai plus auprès de mes subordonnés l'autorité indispensable pour la remplir sérieusement..."
"Etienne Drioton, l'Egypte, une passion"

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administrateur théâtres

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« Tout ce qui ne me transporte pas me tue. Tout ce qui n’est pas l’amour se passe pour moi dans un autre monde, le monde des fantômes. Tout ce qui n’est pas l’amour se passe pour moi en rêve, et dans un rêve hideux. Entre une heure d’amour, et une autre heure d’amour, je fais celui qui vit, je m’avance comme un spectre, si on ne me soutenait pas je tomberais. Je ne redeviens homme que lorsque des bras me serrent ; lorsqu’ils se desserrent je me fais spectre à nouveau. »

La Mort qui fait le trottoir (Don Juan), Acte II, scène 4

Henry de Montherlant


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Un concert dans un auditoire ? Mais oui, cela nous parle et nous rajeunit!  Le concert « A Musical Feast » à l’auditoire des sciences de Louvain-La -Neuve est sold out, une assistance impatiente attend  que la fête musico-nomique  commence. Les papilles d’écoute se pourlèchent déjà même si les sièges sont un peu durs et les tablettes sans syllabus. Le programme conçu par Daniel Lipnik est une entreprise audacieuse. Il nous présente dans son splendide florilège, un périple  à travers les  correspondances : tout, pourvu que l’étreinte de la musique et de la poésie nous fasse oublier notre statut de mortels.  Ce programme regorge de poésie, d’humanité et de feu prométhéen. Les jeux de lumière pendant le concert et les applaudissements de  salle comblée en témoignent.

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 Des rubans de choristes  se placent sur le plateau exigu déjà occupé par les musiciens, enfin le chef d’orchestre, Daniel Lipnik, le sourire musical aux lèvres salue brièvement avant de lever sa baguette pour entraîner l’effectif très imposant du chœur, de l’orchestre et des solistes! Les premier rangs sont dans la proximité immédiate de la Res Musica, comme on ne l’a jamais été, les derniers rangs jouissent d’une vue de théâtre antique. Chaque pupitre est bien visible, les bois sont vifs et charmeurs, les violons enjoués et plein de bravoure dans une salle dont l’acoustique musicale n’est pas la raison première,  l’orchestration très contrastée, cohérente, ferme et joliment expressive. Les choristes déploient toute leur noblesse vocale dans leur voyage de l'ombre à la lumière.

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La pente des gradins est forte et le regard que l’on a sur les musiciens et les choristes donne déjà un certain vertige. Il y a aussi le vertige inhérent au programme qui promène l’auditeur de Virgile à Mozart, en passant par Purcell, Haendel, Gluck, Montherlant, Rimbaud : « Ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient… »  . L’antiquité et ses mythes tissent des liens indestructibles avec les grandes figures de la musique classique. Quatre solistes  de tout premier plan ont lié leur art musical avec ceux-ci - une histoire d’amour, finalement.

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 Daniel Lipnik, qui dirige depuis  plus de trente ans  La Badinerie, le chœur mixte de 90 choristes à Louvain-la-Neuve, s’est adjoint  le très beau timbre et la  voix  vertigineuse et fraîche  d’Aurélie Moreels, soprano. Remarquable dans la Reine de la Nuit! Elève de Marcel Vanaud, nous l’avions applaudie en jolie veuve de 20 ans dans  l’Amant jaloux de Grétry en 2013.  Elle chante sous la direction de Guy van Waas, Parick Davin et dans des salles prestigieuses : au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, au théâtre  des Champs-Elysées, à l’Opéra Royal de Wallonie…

 La prestation de la  mezzo-soprano Anaïs Brullez a elle aussi, été remarquable et largement applaudie. C’est elle, le courageux Orphée et son lumineux désespoir,  dans  « Che faro senza Euridice ? » Elle se produit avec l’Opéra Royal de Wallonie, De Munt, le Chœur de Chambre de Namur, le Grand-Théâtre de Verviers, la Chapelle des Minimes, Le Petit Sablon Consort, le Festival de Wallonie, le Grand-Théâtre du Luxembourg…

L’humour s’est invité en force, avec le Baryton, Kris Belligh flanqué par un ténor malicieux, Michiel Haspeslagh. Son expérience en récital et oratorio comprend les Passions et la Messe en si de Bach, Le Messie, les Requiems de Mozart, Fauré et Brahms, le Stabat Mater et la Petite Messe Solennelle de Rossini, La Création de Haydn, Italienisches Liederbuch et Winterreise. Lors de cette soirée  à Louvain-La-Neuve, c’est sans doute son interprétation du Génie du froid dans le « King Arthur » de Purcell et son duo avec Aurélie Moreels « Al fin siam liberti, la ci darem la mano » du « Don Giovani » de Mozart qui auront été les plus acclamées. 

La Badinerie a enfin démontré ses grandes qualités musicales dans  son interprétation du « Dixit Dominus » de Haendel. Dans le « Kyrie » extrait du « Requiem » de Mozart, même les instrumentistes, pris par le vertige de la prestation et la profondeur de l’intériorité, et en particulier, Bernard Guiot au clavier,  accompagnaient de leur voix  dans un même élan de ferveur solidaire.

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Liens utiles:

http://www.labadinerie.be/

http://gdegives.wix.com/eclecticsingers#!mezzo-sopranes/cknc

  

     

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On appelle «littérature apocalyptique» une masse d'écrits organiques que les juifs anciens, du IVe siècle avant J.-C. à la fin du IIe siècle de l'ère chrétienne, ne cessèrent de produire et de promouvoir. Des éléments précurseurs s'en retrouvent plus ou moins nettement dans plusieurs livres, antérieurs et contemporains, de l'Ancien Testament hébraïque. Les textes chrétiens du Nouveau Testament sont eux-mêmes, pour nombre d'entre eux, en tout ou en partie, largement apocalyptiques. Tous ces écrits ont pour langue originale l' hébreu, voire l' araméen, et le grec. Traduits en d'autres idiomes comme le syriaque, le latin, l'éthiopien, le copte, l'arabe, l'arménien et le slavon, c'est par ce canal que, adoptés volontiers comme livres sacrés par les communautés chrétiennes locales, ils sont parvenus jusqu'à nous. Ils émanent d'à peu près toutes les tendances ou mouvements du judaïsme ancien, à savoir, principalement, pharisien, essénien, zélote, samaritain et chrétien. On ne saurait donc parler à leur sujet ni de marginalité ni d'hétérodoxie. Bien au contraire, ils sont l'effet direct et significatif, sur la terre nationale des juifs comme dans la Diaspora, d'un habitus littéraire généralisé dont il existe différents et solides témoins. C'est donc à la constitution du tableau d'ensemble de la société juive des derniers siècles du Second Temple que la littérature apocalyptique nous renvoie: c'est là qu'elle peut et doit trouver son explication.

Le mot «apocalypse» est l'exacte translitération du terme grec apokalypsis, le premier de l'Apocalypse chrétienne dite de Jean, oeuvre qui porte précisément son nom: elle le céda, comme générique, à bien d'autres antérieures de la même veine. Ce terme, qui signifie «révélation», dérive du verbe apokalyptein, «découvrir», «révéler», que la Bible grecque des Septante utilise pour traduire les verbes hébraïques galâh et hâsaph, dont la signification précise est «découvrir» (Exode, XX, 26) ou «révéler» (I Samuel, II, 27). Le livre de Daniel, le premier des livres bibliques à répondre à la perfection à la définition du modèle ou de la forme apocalyptique, l'a introduit dans le sens spécifique de «révéler les secrets» (II, 29). Il est utilisé d'une façon identique dans les épîtres de Paul de Tarse (ainsi: Galates, II, 2). Il n'est donc pas étonnant que, dès l'Antiquité, on ait intitulé volontiers «apocalypses» les écrits annonçant, et souvent décrivant, «révélant» donc l'état et le statut définitifs des choses, terrestres et célestes, à la phase ultime de l'histoire. L'apocalypticien, c'est donc le prophète de la fin des temps qui utilise les procédés d'écriture conventionnels de l'expression dite apocalyptique. La «fin» des temps comme moment, acte et réalités, se disant en grec eschaton ou, au pluriel, eschata, «choses dernières», on dit et on peut dire de l'apocalyptique que la dimension «eschatologique» lui est essentielle. Or l'oeuvre et la forme apocalyptiques sont relatives à la transformation radicale du système de représentations des relations entre ce qui est divin et ce qui ne l'est pas et, en deçà, aux conditions historiques globales dudit système.

La fixation et la définition par l'Église, voire par les Églises, du canon des Écritures ont eu pour effet que l'on désignât comme «apocryphes», respectivement «de l'Ancien Testament» et «du Nouveau Testament», nombre de livres très proches, par leur écriture et par leur contenu, des écrits bibliques, juifs et chrétiens. Imputée à une littérature qui couvre des siècles, avant et après Jésus-Christ, cette appellation ne manque pas d'ambiguïté, s'agissant du moins de l'Ancien Testament: les catholiques ne lui donnent pas le même sens que les protestants.

 

La littérature apocalyptique

 

Comme repère originel de l'écriture apocalyptique, il faut placer la destruction du Temple de Jérusalem en 587 avant J.-C. et l'Exil à Babylone. Occasion d'un croisement religieux et culturel aux effets imprescriptibles, l'Exil entraîna une renaissance véritable, caractérisée par le maintien de l'essentiel éthique, voire culturel, d'une religion nationale, celle de Moïse, conservée aussi pure que possible sur une terre étrangère et par la réinterprétation de cet héritage fondamental par le retour archaïsant de ce qui était très ancien, tant des traditions nationales que des cultures voisines. Plus précisément, il fut le lieu et le moment de réhabilitation des cultures et le creuset de refonte des mythes anciens. Ce vaste engouement pour l'Antiquité, remarquable jusque dans le vocabulaire utilisé, ne se limita pas à Israël: il reflétait même, largement, une tendance générale. La longue période qui précéda tout au long du VIIe siècle avant J.-C. et jusqu'en 587, comme celle antérieure à l'édit de Cyrus en 538 avant J.-C., fut celle des restaurations et des renaissances, des retours aux sources lointaines et des croisements culturels. Dans la littérature biblique de cette époque, on est frappé par le lien presque systématique entre, d'une part, un réinvestissement mythique très soutenu jusque dans la forme et, de l'autre, l'usage fréquent d'archaïsmes bibliques. L'exemple de Shadday, mot solidement enraciné chez les Sémites du Nord-Ouest et épithète de El dans les couches les plus anciennes des livres de la Genèse et de l'Exode, est des plus éloquents. Ce terme réapparaît justement au moment de l'Exil comme désignation de la divinité des Patriarches et du Dieu d'Israël, chez Ézéchiel, dans le document dit Sacerdotal et tout particulièrement dans les dialogues du livre de Job. On pourrait multiplier les exemples significatifs de ce processus de remythisation archaïsant au service du monothéisme: ils s'agencent tous dans le contexte original et suffisamment homogène de l'écriture biblique contemporaine; et, comme tels, ils constituent les signes précurseurs, déjà déterminés, de l'écriture, c'est-à-dire de la forme apocalyptique. On peut donc de quelque façon homologuer cette formule de S.B. Frost: «Nous pouvons définir l'apocalyptique comme la mythologisation de l'eschatologie.»

Accompagnant l'Exil, cette fois comme cassure politique aux effets gravement irréversibles et non tellement comme expérience originale de communication, à son début et à son terme, il y a le Temple de Jérusalem, détruit puis reconstruit. Pour le peuple concerné, l'Exil désignait un déplacement radical, et même une révolution pure et simple dans l'ordre et, partant, dans la représentation des choses. Refaire ou reconstruire simplement ce qui existait auparavant ne suffirait pas pour rétablir l'équilibre profond, tant politique que religieux, des réalités, des croyances et des symboles. Les institutions les plus centrales, les plus nécessaires même, le Temple et le culte sacrificiel au premier chef, avaient fait la preuve, en 587 avant J.-C., du caractère faillible voire provisoire de leur existence. Reconstruites, on ne pourrait plus miser sur elles comme médiatrices des biens rédempteurs ultimes ni même comme garantes des enjeux spirituels vitaux. Il fallait chercher autre chose. Et c'est dans cette autre chose, fruit systématique d'une défiance totale, que se trouve le noyau de l'apocalyptique.

La période directement pré-exilique et la période exilique elle-même furent celles de la transformation résolue des principes et des schémas constitutifs du système historiographique d'Israël, dont le livre d'Isaïe en ses chapitres I à XXXIX est l'excellent représentant sinon le premier témoin. Rompant avec les peuples ou les cultures environnantes, les Israélites avaient instauré la distinction entre l'ordre de la vision et du mythe d'une part et celui de la réalité et de l'histoire de l'autre; ce faisant, et pour la première fois dans l'histoire, ils avaient su respectivement identifier, désigner et représenter, comme séparés, le domaine cosmique et le domaine terrestre. Dès lors, à la grande différence encore de ce qui déterminait et animait les autres religions contemporaines, l'origine, ou la source, de l'expérience religieuse israélite ne trouvait pas ses fondements ni ses racines en des mythes théogoniques. Le rapport de cette expérience à l'histoire était dès lors possible; elle devait même devenir nécessaire. Le prophète avait pour fonction de le maintenir actif et de l'éclairer en l'actualisant sans cesse au gré des événements ou situations nouvelles. On sait combien la synthèse dite deutéronomiste avait transposé en un vrai système doctrinal cette transparence de l'histoire aux intentions divines, l'avenir historique, ou l'avenir tout court, y étant envisagé comme le moment des vérifications morales et comme le lieu des rendez-vous rétributifs (Deut., XXVII et XXVIII). Un tel système était construit sur la base politique de la royauté et du culte centralisé. Cet équilibre subit le choc des revers et des échecs, de la faillite même des VIIe et VIe siècles avant J.-C. Aussi, le fondement, la structure et le cadre éthique d'Israël furent-ils, dans un premier temps, secoués et, dans un second temps, transformés. Et, de leur côté, la voix et la plume des prophètes furent elles-mêmes contraintes d'intervenir dans un tout autre sens.

Avec les prophètes déjà exiliques Jérémie et Ézéchiel, les choses changèrent en profondeur. Il y eut à cela deux résultats: l'un, théorique en quelque sorte, fut le passage d'une finalité éthique, ou «eschatologie», reposant sur l'histoire à une autre, toute différente, impliquant la vision; l'autre, sémantique à la vérité, consista dans la mutation de l'oracle dans la vision. Précisons que l'oracle débouchait sur une éthique plane, aux dimensions politiques et aux perspectives historiques claires, tandis que la vision capitalisait et mémorisait le lot exhaustif des informations sur l'au-delà et donc sur le monde céleste. Avec le prophétisme classique, le rendez-vous ultime, rédempteur peut-on dire, était dans l'histoire, c'est-à-dire dans le champ visible ou transparent de l'activité divine; avec Jérémie et Ézéchiel déjà, il était ailleurs et autrement que dans cette histoire-là. Et ainsi apparaissaient des schémas et des signaux, littéraires, vraiment d'apocalypse. Pour Ézéchiel, le passé d'Israël n'est plus démonstratif du salut national ni justificatif des croyances et des rites liés à celui-ci (chap. XVI et XXIII). Un pessimisme fortement initié par Jérémie se dégage de ses textes, poussé jusqu'à l'outrance: le passé d'Israël est à ses yeux l'histoire d'une vaste rébellion. Et le prophète de regarder vers l'acte futur susceptible de redonner la vie, la vie nationale bien sûr (XXXVII, 12-14). Chez lui, la vision se fait englobante et quasi absolue. Né sur la vision du char céleste (chap. Ier), le «livre» qu'on lui fait manger (III, 1-3) se termine pas la longue et belle vision du Temple céleste des chapitres XL à XLVIII: le Temple tenu comme en réserve, «vu» et «révélé», et destiné à être manifesté comme le Temple véritable lors de l'ultime rendez-vous de l'histoire. Le grand connaisseur H.H. Rowley avait bien raison de dire que l'apocalyptique était «la fille de la prophétie» tout en étant différente d'elle.

La vision du Temple céleste d'Ézéchiel signifie vraiment l'inauguration de l'écriture apocalyptique. Le trait le plus fondamental de celle-ci consiste en ce qu'elle transforme, transfigure plutôt, les biens institutionnels, de longue date acquis, en des réalités célestes dont seule la vision peut à sa façon permettre l'approche en même temps que justifier le fait. Le premier de ces biens à être ainsi transformé, ce fut le Temple. La reconstruction de celui-ci, vers la fin du VIe siècle avant J.-C., ne changea rien, au contraire: la vision se maintint envers et contre tout; elle se renforça même en proliférant, et elle devint foncièrement polémique. Entre le Temple de Salomon, détruit, et le second, reconstruit, il y avait eu l'Exil à Babylone, c'est-à-dire une brèche avec laquelle, quoi qu'il en fût des compensations successives, il faudrait à tout jamais compter. On connaît les interrogations graves, violentes même, dont les derniers chapitres d'Isaïe (LIX, LXV et LXVI), probablement contemporains de la reconstruction du Temple, vers 520 avant J.-C., sont entre autres déjà porteurs. Ces invectives visaient le Temple fraîchement rebâti et, avec lui, le système sacrificiel dans son ensemble. Bien plus, elles désignaient comme certain, à terme, l'échec ou la caducité irréparable du sens éthique et de l'idéal de rédemption reposant précisément et toujours sur ce Temple. Ce faisant, elles manifestaient les symptômes d'une crise généralisée de la plus vitale importance. Loin d'être un rejet, elles signifiaient l'exigence nécessaire d'une transformation radicale et même absolue des choses.

C'est le Livre d' Hénoch qui, dans sa partie initiale datant d'au moins la première moitié du II siècle avant J.-C., propose la description la plus précise du Temple céleste comme transposition systématique et dernière du Sanctuaire de Jérusalem. Il s'agit de fait d'une page étonnante (XIV, 8-24), de la veine apocalyptique la plus pure: elle fait nettement écho à la fameuse vision du char céleste d'Ézéchiel (chap.Ier), avec, surtout: le trône, le feu, les roues et le cristal, et elle est aussi en correspondance forte avec l'image du «Vieillard» divin assis sur le trône du livre de Daniel (VII, 9 et 10). Mais c'est surtout le passage du Ier livre des Rois consacré à la «Maison» de Yahvé (chap. VI) dont on retrouve l'évocation nette. Selon ce texte biblique, le Temple de Salomon était constitué de deux parties: l'une, extérieure, la «Maison» proprement dite ou hékal (VI, 14); l'autre, intérieure, au coeur de celle-ci, ou débir. Dans la seconde et intime partie de l'édifice, seul pouvait pénétrer le grand prêtre, une fois l'an, le jour de l'Expiation (Lév., XVI). Or cette configuration bipolaire du Temple historique de Jérusalem se trouve reprise dans le passage du Premier Livre d'Hénoch, les deux éléments y étant transposés dans la vision céleste du visionnaire, Hénoch lui-même. De plus, à l'instar du grand prêtre du Temple, le grand prêtre céleste, Hénoch en personne, entre lui-même dans la cour du Sanctuaire; il pénètre ensuite à l'intérieur de celui-ci, puis il entre dans l'équivalent céleste du Saint des saints. C'est en cet endroit unique et préservé que se produit la théophanie royale du Dieu cosmique siégeant sur son trône de gloire, autour duquel tout est silence. Les anges, prêtres transfigurés, sont eux-mêmes exclus de ce lieu particulièrement sacré tout comme l'étaient les prêtres du service terrestre. On a ici le modèle idéal des représentations apocalyptiques du Temple que l'on peut repérer en nombre d'écrits apocalyptiques de la fin du Second Temple, et ce, comme dans le sillage même d'Ézéchiel. Les fraternités de Quoumrân homologuèrent très largement ce schéma nouveau, jusque dans leur vie même. Le fameux texte, le dernier et le plus long que l'on ait découvert sur les bords de la mer Morte, dénommé Rouleau du Temple par les spécialistes, en témoigne amplement. Dans l'attente de la révélation concrète du Temple céleste, le seul vrai, la communauté dite de la Nouvelle Alliance, apocalypse vivante en quelque sorte, rompant combien polémiquement avec l'édifice et avec le culte de Jérusalem, faisait office de Temple véritable. Jésus de Nazareth lui-même, plus que tout autre et à sa façon déterminée de prophète galiléen, a plongé profondément dans ce courant quasi généralisé à son époque. Ses fameux discours sur la ruine ou la purification du Temple de Jérusalem, probablement nombreux et authentiques (Matth., XXIV, 1 et 2, etc.), en témoignent, comme aussi l'annonce du remplacement du Sanctuaire terrestre par le Temple «où l'on adorera le Père en esprit et en vérité» (Jean, IV, 21-24). Dans l'écriture, les évangiles préciseront, en l'homologuant largement, cette idéologie nouvelle.

Ézéchiel est l'ancêtre littéraire de l'apocalyptique par nombre d'autres éléments que ses deux fameuses visions, celle du char divin et celle du Temple céleste. Ainsi est-il l'initiateur du thème de l'écriture céleste, le plus fonctionnellement significatif et déterminant de la forme apocalyptique avec celui du Temple nouveau. On sait en effet comment le «livre», obligatoirement divin, est dit avoir été communiqué au prophète magiquement. Les livres d'apocalypse s'emploieront à cultiver ce qui était ainsi semé.

C'est ici qu'il faut retenir la mention relativement fréquente mais d'importance majeure des «tablettes célestes», sur lesquelles sont écrits les «secrets» de l'histoire, passée, présente et future, des hommes et même du monde. Ces «tablettes» se trouvent surtout dans les très grands textes apocalyptiques des IIIe et IIe siècles avant J.-C. que sont: le Premier Livre d'Hénoch, le Livre des Jubilés et les Testaments des Douze Patriarches, plus précisément le Testament de Lévi et le Testament d'Asher. C'est ainsi par exemple que, dans le passage suivant (Ier Hénoch, LXXXI, 1 et 2), tout empreint de divination, on voit Hénoch, manifestement la réplique juive du héros babylonien Enméduranki, recevant communication des secrets célestes par l'intermédiaire des tablettes divines:

«Il [l'ange] m'a dit encore: "Regarde, Hénoch, ces tablettes célestes, lis ce qui y est écrit et apprends-en tout le détail." J'ai regardé ces tablettes, j'ai lu ce qui était écrit et j'ai tout appris. J'ai lu le livre et tous les actes des hommes, de tous les enfants de la chair vivant sur la terre, jusqu'à la génération finale.»

D'autres extraits de la même oeuvre pourraient être cités (ainsi: XCIII, 1 et 2; CIII, 2; CVI, 19; CVIII, 7). On y verrait que la «révélation» totale, y compris celle des choses ultimes de l'histoire, a été transmise à Hénoch par les anges, qui ont libre accès aux écritures célestes, les seules qui, à l'instar du Temple, soient désormais vraies. L'acte médiateur de cette transmission y est la vision, avec ou sans divination. Hénoch, institué interprète et même «scribe» céleste, est de ce fait élevé au rang des anges, autrement dit des êtres célestes véritables.

C'est l'autre grande oeuvre apocalyptique connue sous le nom de Livre des Jubilés qui, au IIe siècle avant J.-C., donna à l'usage céleste des tablettes scripturaires leur signification précise. Cet écrit propose une interprétation nouvelle, radicalement transformante, du don de la Loi à Moïse. Cet acte fondateur qu'est la révélation de la Torah n'est plus situé au Sinaï mais dans les cieux. Bien plus, Dieu en personne est dit l'auteur des choses désormais inscrites, un ange écrivant comme sous sa dictée sur les tablettes célestes. Dans cette révélation, qui est la seule vraie car étant la dernière, sont censés contenus tous les commandements de la Loi sinaïtique; bien des exemples pourraient le montrer. Or ces commandements sont désormais liés à une révélation: celle, sur les tablettes célestes cette fois, de l'histoire totale des hommes montrée et «visible» dans son achèvement, ce qui veut dire sa transformation. C'est cette histoire qui prend dès lors exclusivement place et véritablement sens dans l'écriture sur les tablettes célestes.

Nous sommes ici en présence d'une transposition radicale, dans les cieux et dans le contexte des déterminations ultimes de l'histoire, du don de la Loi au Sinaï. Avec l'apocalyptique, on le sait, le Temple et le service cultuel se sont trouvés transformés et transfigurés dans le régime céleste, qui est nécessairement le dernier. De même en allait-il de la montagne du Sinaï et des deux partenaires qui s'y rencontrent, Dieu et Moïse: ils sont à tout jamais des êtres irrésistiblement célestes.

Au moment où l'on écrivait ces diverses oeuvres d'apocalypse auxquelles l'on s'est ici référé, la Loi de Moïse, constituée alors des cinq premiers livres bibliques, était résolument instituée: elle s'imposait comme la charte sacrée, en grec nomos, et la constitution interne, en grec nomothésia, des juifs. On sait en effet quel avait été le rôle décisif d'Esdras, deux siècles plus tôt au moins, dans la normalisation d'un vrai culte de la Torah. Les juifs de l'époque avaient donc le bénéfice et la contrainte de deux institutions majeures: le Temple, avec son culte et ses agents, la Torah, avec sa lecture et ses interprètes. Les mêmes conditions, qui ont fait que le Temple et son service ont été transformés en réalités célestes, ont entraîné pratiquement à la même époque, la transformation de la Torah de Moïse en tablettes célestes. Et l'on peut avancer dès lors que le processus qui a vu ou fait apparaître l'écriture et les écrits apocalyptiques est l'effet d'une crise généralisée commencée très haut dans l'histoire. Pour les juifs contemporains, la question majeure était celle-ci: comment assumer ou seulement pallier le déséquilibre d'une situation dont on éprouvait, jusqu'au niveau le plus intime de son existence, les dommages profonds? Il y avait déséquilibre grave, entre, d'un côté, la puissance du système représenté conjointement par le Temple et par la Loi de Moïse, et, de l'autre, l'impossibilité lourde, à la différence de l'époque préexilique, de maîtriser cet ensemble au moyen d'un pouvoir politique adéquat. À l'époque, un tel pouvoir ne pouvait être que celui de la royauté! Or celle-ci tombait aussi de fait sous le coup de la crise désignée. D'ailleurs, la restauration nationaliste du roi sous les Hasmonéens, avec Aristobule (104-103 av. J.-C.) ou Alexandre Jannée (103-76 av. J.-C.), n'arrêta pas le processus de réinterprétation systématique de toutes les choses acquises. Au contraire, le fait que ces rois aient été aussi grands prêtres accentua le mouvement de crise profonde: la surqualification du second des deux titres désignait d'autant plus la cible première qu'était le Temple. Quant à la royauté douteusement juive, hellénistique et pro-romaine d'Hérode le Grand (40-4 av. J.-C.) et de ses successeurs (4 av. J.-C-44 apr. J.-C.), malgré ou avec l'édification du Temple grandiose que l'on sait, renforça et accéléra encore la forte tendance polémique vis-à-vis du Sanctuaire central. Il est certain que, dans ce contexte, culturellement et chronologiquement immédiat, l'annonce par le prophète apocalyptique Jésus de Nazareth de l'avènement du «Royaume des cieux» ne pouvait qu'apporter, sous la forme d'une synthèse quasi parfaite des représentations acquises, la réponse la plus opportune et la plus juste à l'attente «visionnaire» des contemporains. La réussite rapide du mouvement religieux ainsi initié a suffisamment vérifié ces choses.

L'écriture apocalyptique apporta à la crise du Second Temple une réponse déterminante et en quelque sorte, à sa façon, globale. Ses promoteurs s'engagèrent sur la voie d'une interprétation généralisée de tout bien institutionnel. Ce faisant, ils proposèrent à lire, à «voir» même, car il s'agissait de visions, la transfiguration systématique de tout ce qui était terrestre. La terre elle-même, et tout ce qui la peuple, n'échappait pas à ce fait, devenant «terre nouvelle», ni bien sûr l'homme, promu comme magiquement au rang et à la condition des êtres célestes, c'est-à-dire des anges (voir, par exemple: Testament de Job, XLV à LII et, de la même époque, les déclarations de Paul de Tarse aux chrétiens dans Philipp., III, 10 et Coloss., III, 1-3). Les effets directs de cette transfiguration de l'homme sont eux-mêmes décrits dans les textes apocalyptiques, juifs proprement dit mais aussi juifs chrétiens. Ainsi, élevé à l'ordre céleste, parle-t-on la langue des anges. Et c'est ici que se place le phénomène de la glossolalie ou «parler en langues», privilèges des anges et des humains bénéficiant de leur condition (Testament de Job, ibid.; Paul de Tarse dans Ire épître aux Corinthiens, XIII, 1 et XIV, 14 et Romains, VIII, 26; Actes des Apôtres, II, 11 et X, 46). Mais la communication dans les cieux n'est pas une conversation, elle est une vraie liturgie; et c'est par le moyen de l'«hymnologie des anges» (Testament de Job, ibid.) que, devenus êtres célestes, les humains s'expriment désormais (Apocalypse d'Abraham, XV, 5 et 6). Une telle liturgie suppose que ses participants, qui sont ses agents, soient parés des vêtements adéquats, vêtements de gloire comme ceux-là mêmes de Dieu et de ses anges (Testament de Job, ibid.; Apocalypse de Sophonie, VIII, 1-15; Apocalypse de Jean, passim; etc.). Il n'est pas besoin de revenir sur l'écriture, divinement «inspirée» et portée sur les «tablettes célestes». On trouve parfois l'inscription d'énoncés de gloire sur le vêtement, ce qui annonce un thème que la littérature mystique dite de la Merkabah développera ultérieurement. Le tableau apocalyptique, c'est-à-dire, littéralement, «révélé», se trouve donc complet: le monde et la société, l'homme et l'ensemble de ses conditions d'existence, naturelles et acquises, en bref tout ce qui concerne l'homme se trouve présenté comme définitivement transfiguré et constitutif dès lors de l'univers céleste, lequel englobe désormais, exhaustivement, tout ce qui vit et tout ce qui, d'une façon ou d'une autre, est nécessaire à la vie. Aussi, il allait de soi qu'un tel processus de saturation fût désormais la source et la raison de toutes les exigences éthiques; ce qui explique la place que tient la parénèse ou l'exhortation morale à côté des visions dans les oeuvres d'apocalypse.

Le premier résultat, objectif en quelque sorte, de l'élaboration du modèle apocalyptique fut la transformation radicale de la relation entre l'homme et la divinité, et partant l'apparition d'une conception tout autre de Dieu.

Dieu, désormais, c'est l'être absolu et transcendant, qui n'apparaît plus ni dans la tempête ni même, comme à Moïse, dans le buisson. Avec l'apocalyptique, l'axe de la verticalité s'est trouvé définitivement construit. Un mode nouveau d'immanence était ce faisant postulé: il devait être le garant de la transcendance divine nouvellement établie. Avec l'idée, l'image même puis le concept de médiation, le christianisme allait apporter à cet ordre totalement transformé des choses, son facteur décisif d'équilibre. La question de la relation entre le Dieu exclusivement céleste et l'homme persistant envers et contre tout dans l'histoire, posée différemment, trouvait ainsi sa réponse. La vision, autrement dit l'apocalypse, permettait à l'homme de donner forme et, ce faisant, d'une certaine façon, réalité à sa virtualité d'être céleste, les anges étant son infaillible référence.

Il y a un second effet ou produit, littéraire celui-ci, de la riposte apocalyptique à la crise généralisée de la société et de la conscience juives du Second Temple: c'est la manifestation de la forme spécifique d'écriture qui caractérise, soit partiellement soit entièrement, les oeuvres dites apocalyptiques.

Globalement, cette forme est celle du «livre», homologue et supplétif apocalyptiques de l'«oracle» prophétique. On sait comment ce mot fut introduit par Ézéchiel; il fut largement honoré par la suite jusqu'à l'Apocalypse de Jean, désignée par son auteur comme «livre prophétique» (XXII, 7 et 19). Or ce livre qu'est l'oeuvre d'apocalypse est toujours signé. À la différence des oracles des grands prophètes classiques de la Bible, sa signature n'est pas celle de l'auteur, qui demeure inconnu: elle est fictive et on la dit «pseudonymique». Les juifs du Second Temple, ainsi que les juifs chrétiens des origines, ont en effet cultivé et développé la pseudonymie, dont ils n'avaient d'ailleurs pas l'exclusivité dans l'Orient méditerranéen contemporain. L'oeuvre apocalyptique est donc à la fois anonyme mais pseudonymiquement signée. Ce signateur, ce n'est pas n'importe qui. Tantôt, c'est tel héros fondateur ou tel ténor du peuple ou de la nation dite élue: ainsi, Moïse dans le Testament de Moïse, Abraham dans le Testament d'Abraham, Élie dans l' Apocalypse d' Élie, les douze fils de Jacob dans les Testaments des Douze Patriarches; tantôt, tel ancêtre de la première humanité, par exemple et surtout Hénoch dans le Livre d'Hénoch (il y en eut plusieurs, différents) et même Adam dans le Testament d'Adam, etc. Le choix de ces pseudonymes n'était ni arbitraire ni neutre. Ces personnages signateurs étaient mis en scène dans les écrits d'apocalypse dont ils sont narrativement les héros; et ce, non plus comme agents marquants voire prestigieux de l'histoire passée, histoire nationale mais aussi, en amont et en aval, histoire de l'homme et des hommes, mais, ici et maintenant, comme médiateurs véritables de l'histoire définitivement actualisée du monde. Cette actualisation signée, par des procédés divers - le songe, la divination et la magie par exemple-, se monnaie en «vision»; et dès lors elle est apocalypse, autrement dit «révélation». Cette histoire ainsi révélée est donc comme secrètement inscrite dans l'histoire elle-même, que le nom des signateurs évoque de soi. Le moment et l'acte de sa mise au grand jour dans sa réalité profonde et sa signification ultime devaient obligatoirement porter la trace indélébile de leur identité. Cette fonction pseudonymique relève éminemment du déterminisme, l'un des traits souvent inavoué de l'apocalyptique. De plus, en tant que figure nécessaire, ce signateur au demeurant fictif est à la fois le narrateur d'ensemble et le héros central voire quasi exclusif des livres d'apocalypse.

Ainsi, entre le IIIe siècle avant J.-C. et le IIe siècle environ après J.-C., le processus apocalyptique entraîna, chez les juifs d'abord puis chez les chrétiens eux-mêmes, la prolifération exceptionnellement riche de produits structurés d'écriture, présentés comme les «Livres», les «Testaments» puis enfin les «Apocalypses» des éminentes figures jalonnant l'histoire, tant celle d'Israël ou des juifs que celle de l'humanité tout entière. Il s'agissait d'oeuvres littéraires où étaient organiquement liées ces deux choses: d'une part, la récapitulation systématisée et parfois chiffrée (comme dans le Livre des Jubilés, qui découpe la première tranche de la Bible, couverte par la Genèse et Exode, I-XII, en périodes de quarante-neuf ans) de l'histoire passée, saisie des origines jusqu'à l'heure présente, sorte de généalogie exhaustive de ce que l'on appelle désormais «ce monde-ci» (en hébreu: ha-'ôlam hazzeh; en grec: hô aïôn houtos); de l'autre, la description détaillée de la fin des temps ou plus exactement de ce qui se montre, en des visions ou «révélations», comme «le monde qui vient» (en hébreu: ha-'ôlam habbâ; en grec: ho aïôn mellôn).

En bref, bien que secrète dans ses choix et ses raisons, la signature de tous ces livres s'affirmait pour ainsi dire comme un rite magique, autrement dit comme le «sacrement» scripturaire marquant le monde en proie à une crise profonde et généralisée, et dès lors l'homme en perdition, d'un signe indélébile de vie. Perçue et désignée dans l'irrésistible au-delà qu'est le monde céleste, cette vie devait donc être nécessairement perçue comme «éternelle».

La renaissance culturelle des Sémites occidentaux aux VIIe et VIe siècles avant J.-C., avec le croisement des cultures qui en avait résulté, fut, on le sait, l'un des facteurs de la gestation de l'écriture apocalyptique. Or les grandes oeuvres résolument apocalyptiques sont, pour une part et plus ou moins indirectement, l'effet d'un phénomène analogue, plus tardif de trois bons siècles et étendu aux territoires méditerranéens et orientaux régis par les successeurs d'Alexandre le Grand.

Le système impérialiste, mis en place par les Lagides d'Égypte d'un côté et les Séleucides de Syrie de l'autre, avait réduit à néant la plupart des royautés locales. Cette absence de roi était un manque irréparable pour nombre de groupes nationaux dont certains avaient déjà souffert des jougs babylonien et perse, avant de connaître plus tardivement celui de Rome. On a pu recenser une série de mouvements de rébellion, de révoltes indigènes faisant appel aux valeurs anciennes bafouées, en Égypte, en Asie Mineure, chez les Parthes ou, plus à l'est, dans l'antique Élam. L'insurrection pratiquement contemporaine des Maccabées en Judée ne fut donc pas un fait isolé: elle est à placer dans un contexte bien plus large où motifs religieux et raisons politiques sont à conjuguer obligatoirement.

Tous ces mouvements, datables des IIIe et IIe, et même Ier siècles avant J.-C., s'accompagnèrent d'effets que l'on peut dire nationaux-littéraires non sans similitudes frappantes avec la production apocalyptique des juifs.

Pour l'Égypte, il convient de retenir surtout deux documents. Il y a d'abord la Chronique démotique, appelée plus justement Prophéties patriotiques. C'est un papyrus fragmentaire de la période ptolémaïque qui, après avoir rappelé dans ses grandes lignes l'histoire de l'Égypte sous les sept derniers pharaons, annonce un futur décisif, à savoir la «montée d'un souverain à Héracléopolis». Ce texte visait à motiver la rébellion contre les chefs politiques étrangers et à renforcer l'attente d'un roi idéal. On doit signaler aussi le fameux Oracle du potier, du IIe ou IIIe siècle avant J.-C. On y décrit une période de calamités frappant l'Égypte tandis que la terre se trouve ravagée. La cause de ces malheurs est la présence d'envahisseurs étrangers. La situation, annonce-t-on, sera renversée: Alexandrie sera dévastée et les dieux autochtones retourneront à Memphis, restaurée comme la cité nourricière universelle; enfin, un «roi venu du soleil» sera envoyé par Isis, et l'Égypte connaîtra alors la prospérité de l' âge d'or.

Du côté de la Perse, sous contrôle séleucide, il faut mentionner d'abord l' Oracle d'Hystaspes. Le récit y commence par un songe, interprété par un jeune homme au don de prophétie. Un temps de grande détresse et de désolation est annoncé, avec des signes dans les cieux. Mais Dieu entendra l'appel des justes, et il enverra un grand roi comme libérateur, Rome connaissant son déclin et l'Ouest se trouvant soumis à l'Est; enfin, le feu divin descendra pour consumer les méchants et purifier les bons. Cet oracle peut être mis en liaison avec les campagnes de Mithridate contre Rome au Ier siècle avant J.-C. Avec la description du cataclysme que suivent la venue d'un roi céleste et la rénovation du monde, nous retrouvons bien la forme même des oracles politiques du Moyen-Orient hellénistique à laquelle appartiennent, pour une part du moins, les apocalypses juives contemporaines. Il faut savoir que l'on trouve quelques textes parallèles à l'Oracle d'Hystaspes dans la littérature perse ancienne, le plus connu étant le document apocalyptique Bahman Yasht. Cet écrit se distingue par le fait que, pour lui, l'intervention du roi sauveur suivra l'apparition et l'effondrement du «quatrième royaume», l'oracle étant construit bien sûr sur la vision bien connue des quatre royaumes. Correspondant à une division systématique et périodicisée de l'histoire à laquelle doit succéder l'intervention ultime et rédemptrice de Dieu, ce tableau des quatre royaumes était très répandu dans le Proche-Orient ancien: on le rencontre dans la Bible, au livre de Daniel (chap. II et VII), mais aussi ailleurs comme dans le Quatrième Oracle sibyllin et dans plusieurs textes latins.

Cette brève enquête permet de saisir combien l'apocalyptisme méditerranéen et oriental était construit sur la base d'un internationalisme de fait et à dimension triple, à savoir: politique, culturelle et littéraire. Le système hellénistique d'ensemble, dans tout ce qu'il comportait d'officiel et d'institué, se trouvait donc doublé d'un réseau plus ou moins ouvert ou patent de phénomènes contraires. Cette situation constituait le creuset de l'apocalyptique, l'inspiration de celle-ci étant donc orientale tout autant que juive. Néanmoins, le processus original d'où sont sorties les oeuvres apocalyptiques, et celles-ci comme telles ont des raisons éthiques ultimes et une domiciliation nationale qui demeurent exclusivement juives, juives chrétiennes pour certaines.

La littérature apocalyptique constitue un corpus particulièrement important, quantitativement, certes, mais aussi qualitativement. Comme ensemble littéraire grandement majoritaire, elle est imputable à ce que l'on devrait légitimement reconnaître, à l'instar et à côté de l'Antiquité grecque et de l'Antiquité romaine, comme l'Antiquité juive. En tant que production littéraire propre, cette littérature relève d'un véritable habitus scripturaire auquel on doit aussi, en plus de la masse étonnante d'écrits d'origine juive, la plupart des textes chrétiens primitifs, canoniques ou non, pour autant qu'on puisse les dire littéraires. Il n'est d'ailleurs pas d'écriture contemporaine chez les juifs, ni chez les juifs chrétiens, qui ne fût, totalement ou partiellement, apocalyptique.

Héritières de l'enseignement tout apocalyptique de Jésus de Nazareth, la doctrine puis la dogmatique chrétiennes se sont élaborées sur la base de référents et d'énoncés fortement apocalyptiques. C'est dès lors avec raison que le grand théologien allemand E. Käsemann a écrit, en 1960: «L'apocalyptique est devenue la mère de toute théologie chrétienne.»

 

 

Les écrits apocryphes

 

Les apocryphes de l'Ancien Testament

 

Le mot grec apokrypha, dérivé du verbe kryptein, «cacher», signifiait à l'origine «choses cachées»; il s'appliquait plus précisément aux livres «cachés» ou «secrets» de par leur contenu. Pour les juifs, l'adjectif «caché» imputé aux livres saints n'était pas péjoratif. Ils disaient «cachés», en hébreu guenûzim - de la racine ganaz, qui a donné guénizah, «cachette» adjacente à une synagogue -, les livres ou fragments de livres bibliques qui, en raison de leur état de détérioration, devaient être retirés de l'usage et conservés à l'écart pour la raison qu'ils portaient le nom divin (on les appelait des shemot, «noms»). Ils appliquaient également ce terme aux écrits dont la qualité et dès lors le statut d'Écritures saintes se trouvaient encore discutés (Talmud, Shabbat, 13b et 30b).

Dans l'Église des premiers siècles, apokrypha apparut pour la première fois, dans son sens spécifique, au temps d' Irénée de Lyon (seconde moitié du IIe siècle), à propos du conflit qui opposait l'Église aux hérétiques, les gnostiques principalement. Les découvertes de Nag Hammadi ont bien montré que les auteurs gnostiques présentaient volontiers leur enseignement comme une «doctrine secrète»; l'un des documents porte même le titre précis d'«Apocryphe de Jean». On sait combien la littérature gnostique fut combattue comme «fausse» par les Pères ou auteurs ecclésiastiques des IIe et IIIe siècles; le mot «apocryphe» devint alors synonyme d'«hérétique». C'est ainsi que le même Irénée rapproche apokryphos de nothos, «bâtard» ou «corrompu» (Contre les hérésies, I, XIII, 1), Tertullien, de son côté, utilisant apocrypha, en latin cette fois, comme équivalent de falsa (La Pudicité, X, 12).

Plus tard, l'Église classa parmi les livres «secrets», à l'instar des «apocryphes» gnostiques, les écrits d'origine juive que les maîtres de la Synagogue ou rabbins avaient exclus du corpus de leurs Écritures sacrées. Un nouvel usage du mot «apocryphe» apparut donc. Ces livres dits ainsi «apocryphes» connurent un temps chez les chrétiens une grande faveur, au point que, pour d'aucuns, ils furent homologués parfois comme des faits réellement canoniques. Il s'agissait surtout d'oeuvres d'apocalypse (ainsi: le Premier Livre d'Hénoch et le Livre des Jubilés dans l'Église éthiopienne) dont la forme et le contenu étaient nettement perçus comme ésotériques. C'est dans ce sens qu'Origène (seconde partie du IIIe siècle) parle de ces écrits comme d'«apocryphes». Vers l'an 400, comme en témoigne saint Augustin, le sens dépréciatif du mot apokryphos, appliqué aussi désormais à ces textes légués par les juifs, prévalait fortement.

Cette littérature dite apocryphe car non canonique est immense. Elle comprend bien sûr les apocalypses au sens strict, mais encore: les Testaments, qui sont nombreux; les oeuvres originales de Quoumrân, importantes, elles aussi, et d'autres plus difficilement classables. Dans un souci d'aligner davantage la terminologie sur les raisons d'objectivité qu'exige la recherche, ample et vigoureuse, on la désigne de plus en plus aujourd'hui à l'aide de ces deux appellations: «pseudépigraphes de l'Ancien Testament» (c'est le titre, The Old Testament Pseudepigrapha, des deux volumes de l'édition en langue anglaise dudit corpus, par l'Américain J.H. Charlesworth) ou «littérature intertestamentaire» (formule naturellement protestante adoptée par l'édition de La Pléiade: La Bible. Écrits intertestamentaires). Les éditions récentes de pays à tradition plus nettement catholique comme l'Italie et l'Espagne continuent d'employer la formule traditionnelle, aux connotations plus confessionnelles: «Apocryphes de l'Ancien Testament». Notons que les éditeurs allemands ont adopté une terminologie plus neutre, pour la série composée de nombreux fascicules qui s'intitule: Jüdische Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit. Quoi qu'il en soit de leur diversité, ces appellations témoignent éminemment de l'importance qu'a de nos jours cette vaste et riche littérature. Et l'on doit donner acte au consensus des chercheurs d'avoir lavé celle-ci du péché littéraire qu'était pour elle la non-canonicité.

Les protestants donnent, encore aujourd'hui, au mot «apocryphe» une signification technique qui leur est propre. Ils désignent de la sorte les livres que, à la différence des catholiques, ils ne retiennent pas dans leur canon des Écritures. Cet usage ne s'est bien sûr imposé qu'après la Réforme. Il remonte cependant à saint Jérôme (mort en 420). Lorsque ce dernier se fit le champion de la hebraica veritas, il exclut du canon biblique véritable, comme «apocryphes», les livres que l'on ne trouvait que dans la Bible grecque et donc absents de la Bible hébraïque. Contre saint Augustin et les Églises d'Occident, il optait ce faisant pour la pratique orientale, attestée déjà par le contemporain d'Irénée, l'évêque de Sardes, Méliton.

Dans ce cens, le mot «apocryphe» fut institué par l'ouvrage de Karlstadt, De canonicis scripturis (1520). C'est à la Bible de Luther qu'il dut sa promotion décisive. Même s'il leur arrive de figurer dans les Bibles protestantes, ces «Apocryphes de l'Ancien Testament» ne sont pas considérés par les fils de la Réforme comme des livres vraiment canoniques. Pour Jérôme comme pour Luther, «apocryphe» ne voulait pas dire «hérétique» ni «caché» ou «secret», mais simplement d'un degré inférieur à celui que l'on reconnaît aux autres livres qui constituent la «règle» (en grec: canon) pour la doctrine et pour la foi. Dans la Bible protestante, où ces livres dits apocryphes ne devraient pas figurer, le vide littéraire est chronologiquement grand entre le dernier livre de l'Ancien Testament, exclusivement hébraïque, et le premier livre du Nouveau Testament. Dès lors, les écrits «intertestamentaires» peuvent-ils assurer les liens d'une suffisante continuité. L'adjectif «intertestamentaire», tout protestant comme on le sait, trouve là seulement sa pertinence.

À la différence du protestantisme, l'Église romaine considère comme livres canoniques à part entière ces «apocryphes» protestants. Pour sa part, elle les appelle «deutérocanoniques». Contrant les réformateurs, le concile de Trente a fait figurer ces textes en bonne et due place dans sa liste des «Livres saints», inspirés et canoniques. Il adoptait ainsi, définitivement, l'antique tradition de l'Église occidentale défendue par Augustin. Quant au mot «apocryphe», il sera conservé par les catholiques, qui l'imputeront définitivement à l'immense corpus d'origine juive composé surtout, en tout ou en partie, d'apocalypses ou d'oeuvres à teneur apocalyptique.

C'est en 1556 que furent utilisés pour la première fois, par Sixte de Sienne, les mots «protocanonique», s'appliquant aux livres «au sujet desquels il n'y a jamais eu doute ni discussion dans l'Église», et «deutérocanonique». Ces deux appellations concernent l'Ancien Testament comme le Nouveau.

Les deutérocanoniques de l'Ancien Testament catholique, qui sont des apocryphes protestants, sont: Tobie, Judith, Sagesse de Salomon, Ecclésiastique ou Ben Sira, I Baruch, Ier et IIe livres des Maccabées, Esther, X, 4 à XVI, 24 (selon la Vulgate latine), Daniel, III, 24-90, et XIII et XIV). Pour la plupart, ces livres ne nous sont parvenus que par le texte grec des manuscrits et éditions de la Septante. Notons que, dans la série de leurs apocryphes, les protestants ajoutent Troisième et Quatrième Esdras ainsi que la Prière de Manassé.

Les deutérocanoniques du Nouveau Testament sont: épître aux Hébreux, épître de Jacques, IIe épître de Pierre, IIe et IIIe épîtres de Jean, épître de Jude, Apocalypse de Jean.

 

Les apocryphes du Nouveau Testament

 

Il est extrêmement difficile de préciser la notion d'apocryphes du Nouveau Testament. En dehors des quatre textes canoniques tout évangile était apocryphe. Plus tard, la notion s'élargit. On classa dans cette catégorie des livres connus et estimés de tous, nullement blâmables, mais que l'Église ne désirait pas adjoindre à son canon. Enfin on en arriva à considérer comme apocryphes des ouvrages suspects, dangereux et même formellement hérétiques, de sorte que le terme signifiait simplement «ce qui n'est pas totalement approuvé par l'Église romaine». C'est ainsi qu'on établit des catalogues de livres apocryphes, c'est-à-dire interdits, tel ce fameux décret du pape Gélase (qui régna de 492 à 498), très discuté par les historiens, qui prohibe une foule d'écrits, rassemblant les évangiles apocryphes, les apocryphes de l'Ancien Testament, etc., et même les oeuvres de certains écrivains suspects, comme Eusèbe, Tertullien ou Lactance.

Il est nécessaire de revenir à une acception plus étroite du terme. Celui-ci doit être compris en fonction du canon des saintes Écritures chrétiennes, c'est-à-dire en particulier du Nouveau Testament. Deux sortes d'ouvrages peuvent venir ici en discussion: d'abord ceux qui se présentent, quant à la forme et au fond, d'une manière analogue aux livres du Nouveau Testament (évangiles, actes, épîtres et apocalypses apocryphes); d'autre part les ouvrages chrétiens qui, par leur ancienneté ou leur renommée, auraient pu être et parfois ont été admis dans le catalogue des livres saints, bien qu'ils fussent différents, dans la forme, des textes canoniques. Cette deuxième catégorie est évidemment assez vaste et risque d'atteindre de très grandes proportions. Mais il est indispensable d'en donner un aperçu, si bref soit-il.

 

Les «livres saints» apocryphes

 

Dans cette première catégorie on trouve les quatre espèces d'ouvrages parmi lesquels l'Église a choisi ses livres saints. Mais il faut distinguer, dans cet ensemble, deux sortes de textes. Certains sont contemporains et même antérieurs aux livres canoniques. S'ils n'ont pas été admis dans le canon, c'est qu'ils avaient pris naissance dans des Églises éloignées du centre romain ou qu'ils manifestaient des tendances doctrinales archaïques, qui parurent plus ou moins hérétiques aux autorités romaines, imbues d'un christianisme plus évolué. C'est le cas, entre autres, de l'Évangile des Hébreux, de l'Évangile des Égyptiens, de l'Évangile des Ébionites et de l'Évangile de Pierre qu'on peut considérer comme des évangiles judéo-chrétiens de forme très ancienne. C'est peut-être le cas aussi de l'Évangile de Thomas, retrouvé dans les papyrus de Nag Hammadi.

À côté de ce premier groupe, d'autres ouvrages sont manifestement postérieurs à la rédaction des textes canoniques. Ils en développent les données, soit pour en souligner le merveilleux, soit pour les utiliser dans un dessein de propagande en faveur de tendances ascétiques. Il faut citer le Protévangile de Jacques et ses remaniements, le Transitus Mariae, l'Histoire de Joseph le Charpentier, le Récit des enfances du Seigneur par Thomas, l'Évangile arabe de l'enfance, enfin l'Évangile de Nicodème     , appelé aussi Actes de Pilate.

Les Actes apocryphes semblent pouvoir être datés de la seconde moitié du IIe   siècle ou du début du IIIe. Ils forment un groupe homogène sur le plan littéraire, mais surtout par leur tendance doctrinale très nettement marquée d'encratisme (ascétisme sévère). Ils représentent un christianisme populaire et archaïque, assez éloigné de l'«orthodoxie» romaine. On connaît les Actes de Jean, les Actes de Pierre, les Actes de Paul, les Actes de Thomas, les Actes d'André. Ce sont les plus importants et les plus anciens. D'autres sont attribués à Philippe, à Matthieu, à Barnabé.

Les épîtres apocryphes ont surtout été attribuées à l'apôtre Paul, dont on a voulu compléter la correspondance. La Troisième Épître aux Corinthiens     est une suite aux Actes de Paul. L'Épître aux Laodicéens est composée de fragments canoniques. Les quatorze lettres de la correspondance avec Sénèque sont assez récentes. La correspondance du Christ avec Abgar, roi d'Édesse, est peut-être plus ancienne (fin du IIe s.).

Parmi les apocalypses apocryphes, la plus ancienne est l'Apocalypse de Pierre, qui semble liée à l'Évangile du même apôtre. L'Apocalypse de Paul est un peu plus récente. Elles sont toutes deux conformes au genre littéraire de ce nom et supportent la comparaison avec l'Apocalypse de Jean. Un groupe nettement postérieur et moins heureusement inspiré comprend l'Apocalypse de Thomas, l'Apocalypse d'Étienne, trois Apocalypse de Jean, deux Apocalypse de la Vierge, et d'autres attribuées à Barthélemy, à Zacharie, à Daniel, à Esdras, etc. En revanche, bien qu'elle ne porte pas le titre d'apocalypse, il faut citer ici l'Épître des Apôtres, qui est une révélation du Christ, transmise aux fidèles dans un message apostolique. Le fond, la forme, la date rapprochent cet écrit de l'Apocalypse de Pierre.

 

Les apocryphes au sens large

 

Les savants qui, du XVIe au XVIIIe    siècle, ont établi des recueils d'apocryphes du Nouveau Testament, s'en sont tenus à la définition stricte utilisée jusqu'ici. Mais, en 1866, Hilgenfeld rompit avec cette tradition en publiant un Novum Testamentum extra canonem receptum, qui élargissait beaucoup la notion. Il ajoutait aux livres reçus comme apocryphes plusieurs ouvrages chrétiens très anciens et même des livres juifs. C'est la même conception qui est à la base de la grande publication de E. Hennecke parue en 1904 sous le titre de Neutestamentliche Apokryphen et rééditée à plusieurs reprises. On l'a vivement critiquée. Pourtant le problème se pose réellement. Il existe une catégorie assez considérable d'ouvrages qui sont en marge du Nouveau Testament et en constituent en quelque façon les apocryphes.

Il y a d'abord les apocryphes de l'Ancien Testament d'origine chrétienne. Certains considèrent comme tels les Testaments des douze patriarches ou même l' Hénoch slave. En fait ce sont des livres juifs. Mais il en est trois d'une extrême importance, qui doivent être regardés comme chrétiens: l' Ascension d'Isaïe, mis à part les premiers chapitres, est une apocalypse chrétienne du Ier   siècle, très proche de l'Apocalypse de Pierre; les Odes de Salomon, bien qu'étroitement liées aux Psaumes de Salomon, comportent 42 hymnes magnifiques, qui furent chantés dans l'Église syriaque primitive; les Oracles sibyllins chrétiens (VI, VII, VIII), analogues sans doute aux livres juifs (III, IV, V), manifestent un christianisme archaïque, mais sans équivoque. Il faut ajouter que les chapitres d'introduction et de conclusion (I, 2; XV, 16) du Quatrième Livre d' Esdras, qu'on a appelés Cinquième Esdras   et Sixième Esdras, se situent dans la même atmosphère que les ouvrages précédents. Il convient donc de donner à cet ensemble une place à part.

De même, certains livres du christianisme primitif, classés depuis Hilgenfeld parmi les apocryphes, nous ont été transmis par des manuscrits bibliques. Le Sinaiticus nous donne le texte grec du Pasteur d' Hermas et de Barnabé, l' Alexandrinus celui des deux lettres attribuées à Clément de Rome. Il semble donc que ces ouvrages furent, au moins à une certaine époque, considérés comme «livres saints». On y a joint, depuis sa découverte en 1883, la Didaché, ou Doctrine des apôtres. Ces cinq ouvrages peuvent évidemment être rangés parmi les oeuvres des Pères apostoliques. Mais ils gardent un certain nombre de caractéristiques communes très archaïques qui les situent hors du cadre normal des textes patristiques et les rapprochent des apocryphes.

Enfin la découverte de toute une bibliothèque gnostique copte en 1947 à Nag Hammadi (Khenoboskion), dans la haute Égypte, comprenant une cinquantaine d'ouvrages jusqu'alors inconnus, pose à nouveau le problème. Beaucoup de ces textes ont des titres qui en font des apocryphes: Évangiles de Vérité, de Thomas, de Philippe, Apocalypses de Pierre, de Paul, de Jacques, Actes de Pierre, Épître de Pierre     , Livre secret  (apocryphe) de Jean, etc. Pour l'instant, beaucoup de ces textes sont restés inédits. Mais il est normal que les rares livres publiés, l' Évangile de Vérité, l' Évangile de Thomas, l' Apocalypse de Jacques, l'Apocryphe de Jacques, aient pris place dans le corpus des apocryphes du Nouveau Testament.

 

Importance des apocryphes du Nouveau Testament

 

Ces ouvrages, qui semblent en marge des textes chrétiens officiels, sont en réalité d'une extrême importance. D'une manière générale, ils nous permettent de connaître certaines formes du christianisme qui s'écartent réellement du courant majoritaire. C'est le cas en particulier des textes de Nag Hammadi, dont la publication éclaire d'un jour nouveau le monde du gnosticisme, qui nous est surtout connu par les notices de ses adversaires.

Mais, si l'on s'en tient aux apocryphes connus avant Nag Hammadi, on peut considérer que, dans l'ensemble, mis à part certains textes plus récents, ces ouvrages constituent le dossier complet de cette forme naissante du christianisme qu'on a coutume d'appeler maintenant le judéo-christianisme. C'est en étudiant ces textes, écartés par l'Église romaine du catalogue de ses livres saints, qu'on peut atteindre la véritable doctrine de ce mouvement. Une telle littérature, qui rend un son étrange à nos oreilles habituées à des formules plus élaborées, et qui déjà paraissait «    apocryphe     » aux Pères de l'Église chrétienne des IIIe et IVe siècles, exprime en réalité la forme la plus ancienne et la plus typique du christianisme primitif. Son étude doit donc être entreprise par l'historien avant celle des grands textes classiques du Nouveau Testament, comme une préparation et une introduction indispensables à une véritable compréhension de ceux-ci.

Les littératures 

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L'écluse à Sainte anne

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L'écluse à Sainte-Anne
défilent dans les deux sens
les gens d'aujourd'hui.


Derrière des rampes
de très nombreux promeneurs
attentifs attendent.


Bateaux de plaisance
amarrés le long des quais
regards envieux


Riches et clochards
fréquentent le même endroit
chacun à sa place.

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SONNAILLES

C'est une belle histoire que l'on m'a racontée

Le berger s'en est allé ce Vendredi , et tout au long du chemin  du village au cimetière

les sonnailles ont tinté

Mais les moutons étaient restés dans l'enclos

Ce sont les bergers , sur le sentier pierreux tant de fois emprunté qui ont accompagné

Jean -Louis

par le son familier des clochettes vers la lumière de son dernier voyage

Un bel hommage à l'Ami  Berger des grands chemins

Photo AA Le Moustiers de Thorame  Basse Alpes

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Les pendus

Rien ne sert de lutter à être condamné.
C’est pour une fois un des cas les moins ardus,
Le plus simple, parmi ceux que l’on a croisé,
Quand rien n’est à attendre que d’être pendu !

Un gibet à première vue n’est pas plaisant,
Ainsi que ferait rêver la Baie des Anges.
Mais cette corde qui balance à tous vents
Noie des discordes que plus rien ne dérange.

Alors la scène des spectacles de pendus
A réjoui des ans de grandes concordes.
On pendit à juger du bien des cas tordus
Que l’on fit gigoter au bout d’une corde.

Ainsi ils se voyaient entourés d’attentions,
Et pour la première fois se sentant repérés,
Ne devant pas décevoir leur vocation,
Se mettaient à danser, enfin fiers d’être aimés !

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