« Tout ce qui ne me transporte pas me tue. Tout ce qui n’est pas l’amour se passe pour moi dans un autre monde, le monde des fantômes. Tout ce qui n’est pas l’amour se passe pour moi en rêve, et dans un rêve hideux. Entre une heure d’amour, et une autre heure d’amour, je fais celui qui vit, je m’avance comme un spectre, si on ne me soutenait pas je tomberais. Je ne redeviens homme que lorsque des bras me serrent ; lorsqu’ils se desserrent je me fais spectre à nouveau. »
La Mort qui fait le trottoir (Don Juan), Acte II, scène 4
Henry de Montherlant
Un concert dans un auditoire ? Mais oui, cela nous parle et nous rajeunit! Le concert « A Musical Feast » à l’auditoire des sciences de Louvain-La -Neuve est sold out, une assistance impatiente attend que la fête musico-nomique commence. Les papilles d’écoute se pourlèchent déjà même si les sièges sont un peu durs et les tablettes sans syllabus. Le programme conçu par Daniel Lipnik est une entreprise audacieuse. Il nous présente dans son splendide florilège, un périple à travers les correspondances : tout, pourvu que l’étreinte de la musique et de la poésie nous fasse oublier notre statut de mortels. Ce programme regorge de poésie, d’humanité et de feu prométhéen. Les jeux de lumière pendant le concert et les applaudissements de salle comblée en témoignent.
Des rubans de choristes se placent sur le plateau exigu déjà occupé par les musiciens, enfin le chef d’orchestre, Daniel Lipnik, le sourire musical aux lèvres salue brièvement avant de lever sa baguette pour entraîner l’effectif très imposant du chœur, de l’orchestre et des solistes! Les premier rangs sont dans la proximité immédiate de la Res Musica, comme on ne l’a jamais été, les derniers rangs jouissent d’une vue de théâtre antique. Chaque pupitre est bien visible, les bois sont vifs et charmeurs, les violons enjoués et plein de bravoure dans une salle dont l’acoustique musicale n’est pas la raison première, l’orchestration très contrastée, cohérente, ferme et joliment expressive. Les choristes déploient toute leur noblesse vocale dans leur voyage de l'ombre à la lumière.
La pente des gradins est forte et le regard que l’on a sur les musiciens et les choristes donne déjà un certain vertige. Il y a aussi le vertige inhérent au programme qui promène l’auditeur de Virgile à Mozart, en passant par Purcell, Haendel, Gluck, Montherlant, Rimbaud : « Ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient… » . L’antiquité et ses mythes tissent des liens indestructibles avec les grandes figures de la musique classique. Quatre solistes de tout premier plan ont lié leur art musical avec ceux-ci - une histoire d’amour, finalement.
Daniel Lipnik, qui dirige depuis plus de trente ans La Badinerie, le chœur mixte de 90 choristes à Louvain-la-Neuve, s’est adjoint le très beau timbre et la voix vertigineuse et fraîche d’Aurélie Moreels, soprano. Remarquable dans la Reine de la Nuit! Elève de Marcel Vanaud, nous l’avions applaudie en jolie veuve de 20 ans dans l’Amant jaloux de Grétry en 2013. Elle chante sous la direction de Guy van Waas, Parick Davin et dans des salles prestigieuses : au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, au théâtre des Champs-Elysées, à l’Opéra Royal de Wallonie…
La prestation de la mezzo-soprano Anaïs Brullez a elle aussi, été remarquable et largement applaudie. C’est elle, le courageux Orphée et son lumineux désespoir, dans « Che faro senza Euridice ? » Elle se produit avec l’Opéra Royal de Wallonie, De Munt, le Chœur de Chambre de Namur, le Grand-Théâtre de Verviers, la Chapelle des Minimes, Le Petit Sablon Consort, le Festival de Wallonie, le Grand-Théâtre du Luxembourg…
L’humour s’est invité en force, avec le Baryton, Kris Belligh flanqué par un ténor malicieux, Michiel Haspeslagh. Son expérience en récital et oratorio comprend les Passions et la Messe en si de Bach, Le Messie, les Requiems de Mozart, Fauré et Brahms, le Stabat Mater et la Petite Messe Solennelle de Rossini, La Création de Haydn, Italienisches Liederbuch et Winterreise. Lors de cette soirée à Louvain-La-Neuve, c’est sans doute son interprétation du Génie du froid dans le « King Arthur » de Purcell et son duo avec Aurélie Moreels « Al fin siam liberti, la ci darem la mano » du « Don Giovani » de Mozart qui auront été les plus acclamées.
La Badinerie a enfin démontré ses grandes qualités musicales dans son interprétation du « Dixit Dominus » de Haendel. Dans le « Kyrie » extrait du « Requiem » de Mozart, même les instrumentistes, pris par le vertige de la prestation et la profondeur de l’intériorité, et en particulier, Bernard Guiot au clavier, accompagnaient de leur voix dans un même élan de ferveur solidaire.
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