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C’est en 1907 que Claudel publie son « Art poétique », qui est en fait un ensemble de trois traités.

 

Le premier traité, "Connaissance du temps", avait paru en Chine en 1904. Il est daté de Kouliang, 12 août 1903. Le deuxième, "Traité de la connaissance du monde et de soi-même", est daté de Foutchéou, 1904. Le troisième enfin, "Développement de l' église", avait été écrit en France, d'avril à juillet 1900. Les trois traités s'inscrivent entre la première et la seconde partie de la première des "Cinq grandes Odes", "Les muses". Ce fut une période particulièrement tragique et déchirée dans l'existence de Paul Claudel, d'où est sorti le "Partage de midi".

 

De ce déchirement rien n'apparaît, d'ailleurs, dans les traités qui ont une forme sévèrement didactique. Le premier, ainsi que les différents articles du second, qui est, du reste, le plus long et le plus important, sont précédés par des "Arguments" analytiques où se trouvent résumés les principaux thèmes et la démarche de la pensée. Si l'ensemble a reçu le titre d' "Art poétique", cette expression ne doit pas être prise dans le sens d'Horace ou de Boileau. La traduction allemande de Robert Grosche s'intitule "Ars poetica mundi", et ce titre latin répond beaucoup mieux au contenu de l'ouvrage, car il s'agit, en réalité de goûter la création, telle qu'elle est sortie des mains du divin Poète (faiseur, créateur) et telle que peut l'apprécier, somme toute, un confrère. C'est en quoi la connaissance poétique diffère radicalement de la connaisssance scientifique ou de la connaissance métaphysique.

 

Claudel commence par la "connaissance du temps", c'est-à-dire de ce mouvement perpétuel et circulaire, qui anime l'ensemble de la création visible, et dont les hommes se servent pour marquer le temps. Il traduit l'insuffisance de la création, dont l'homme est à la fois le témoin et l'oblateur. Si aucune de ces choses qui passent était suffisante, elle ne passerait point. Or, non seulement elle passe, mais elle a besoin pour "être" du concours de toutes les autres. La connaissance du temps, c'est d'abord la connaissance de cette simultanéité totale qui fait, par exemple, qu'à l'heur même où Napoléon perdait la bataille de Waterloo, un pêcheur de perles, dans l'Océan Indien, émergeait de sa longue plongée. A une heure donnée, il est toutes les heures à la fois, et le poète s'efforce de percevoir cette heure totale, qui est en même temps une heure unique, et que l'on ne reverra jamais plus. Achevant ce premier traité, Claudel écrit: "Il ne me reste à tirer sous ces lignes aucune barre: que ce discours débouche dans le silence et le blanc! Où seule ne peut se dissoudre cette dernière question: Mais enfin, le sens, ce "sens" de la vie que nous appelons le temps, quel donc est-il? Tout mouvement, nous l'avons dit, est d'un point, et non pas "vers" un point. C'est de lui que part le vestige. C'est à lui que s'attache toute vie déroulée dans le temps, c'est la corde sur laquelle l'archet commence et achève sa course. Le temps est le moyen offert à tout ce qui sera d'être afin de n'être plus. Il est "l'invitation à mourir", à toute phrase de se décomposer dans l'accord explicatif et total de consommer la parole d'adoration à l'oreille de "Sigè" l'Abîme".

 

 

Le second traité repose en partie sur un jeu de mots que l'on rencontre dans son titre même: connaître, c'est co-naître, c'est-à-dire naître avec. Nous naissons, nous existons dans un certain rapport avec toutes les autres créatures, de sorte que, d'un bout à l'autre de la création, il ne cesse pas d'y avoir continuité. Nous avons affaire à une immense série d'existences complémentaires, et la vocation du poète est précisément de saisir ces rapports, qui sont l'origine et la justification de toute métaphore. Le traité est divisé en cinq articles, dont le premier porte sur la connaissance brute; le second sur la connaissance chez les êtres vivants; le troisième sur la connaissance intellectuelle; le quatrième sur la conscience, c'est-à-dire la connaissance que l'homme a de lui-même; le cinquième enfin sur la connaissance de l'homme après sa mort. Il ne saurait être question ici d'analyser en détail cette somme poétique, où l'on trouve tous les principes de la poésie claudélienne. Une citation encore donnera le ton: "O lecteur patient, dépisteur d'un vestige élusif, l'auteur qui t’a conduit jusqu'ici en menant ses arguments comme Cacus faisait des bêtes volées qu'il entraînait vers sa caverne, t'invite à bien te porter. Glissante est la queue de la vache biscornue! Ramène vers la crèche légitime cet animal maltraité, et que te rémunère l'ample don du laitage et de la bouse! Pour moi, les mains libres, je regagne la pipe et le tambour, je referme derrière moi la porte de la Loge de la Médecine. Qu'ai-je promis de vous donner la connaissance de vous-mêmes, quand, à celà, suffit au bout de votre bras votre main que vous refermez?"

 

 

Le troisième traité, moins important, est une sorte d'application des principes posés à un cas particulier, le développement de l' église; non de l'Eglise communauté des fidèles, mais de la maison où ils se réunissent. Claudel compare et oppose l'église chrétienne au temple païen, celui-ci étant la demeure du dieu, jalousement fermée aux fidèles qui se réunissent autour, et non pas à l'intérieur, tandis que celle-là est un carrefour de routes que l'on a barrées, un lieu de réunion et de communion.

 

 

On ne saurait exagérer l'importance de "L'art poétique", non seulement dans l'oeuvre de Claudel, mais aussi dans le développement de la poésie contemporaine. Ce sont ici les leçons de Mallarmé, les exemples de Rimbaud, tout l'effort poétique depuis Baudelaire qui trouvent leur aboutissement dans une vision cosmique, qui est en même temps celle de la philosophie de l'Ecole, puisque Claudel avait longuement lu et médité saint Thomas d'Aquin avant d'écrire son ouvrage. Le style est un mélange unique et savoureux de didactisme parfois très sec et d'élans poétiques qui interrompent tout à coup le développement, l'ouvrent ou l'achèvent. L'enseignement de "L'art poétique" se retrouve, sous une autre forme, dans les "Cinq grandes Odes" et il est impossible de vraiment comprendre les procédés dramatiques de Claudel si l'on n'a pas médité "L'art poétique", dont le style s'apparente, par ailleurs, à celui des poèmes de "Connaissance de l'est", qui furent écrits sensiblement à la même époque ou un peu auparavant. "L'art poétique" est à la fois l'oeuvre la plus dense et, à bien des égards, la plus importante de l'auteur du "Soulier de satin".

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