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administrateur théâtres

L'Insoumise ou Scarlett O'Hara au pied du terril

Nous voici à L’ESPACE MAGH, le Centre culturel maghrébin, aussi accueillant que le hall d’un bel hôtel étoilé. A gauche en entrant, un superbe bar, décoration florale majestueuse, d’innombrables théières ventrues bientôt fumantes, l’accueil souriant d’Anissa - Ben Salah, la directrice et créatrice géniale de tout cet ensemble surprenant, à la lisière des Marolles et des quais de Senne. La musique feutrée… vous fait prendre le temps d’examiner de magnifiques toiles lumineuses, suspendues tout le long de la rampe d’accès vers la salle, dissimulée par de lourds rideaux rouges rehaussés de spots. Il faudra passer ce rideau de scène subsidiaire, pour accéder à la salle de spectacle, disposée sur deux niveaux, un concept ancien complètement dépoussiéré qui remplace une ancienne boîte de nuit. C’est confortable comme un lounge VIP.

Et puis voici en contraste fascinant et émouvant, L'Insoumise ou Scarlett O'Hara au pied du terril. « Seule en scène, Jamila Drissi s’est inspirée de sa mère, héroïne ordinaire d’une cité du Borinage, pour dessiner une pièce touchante, loin de tout misérabilisme, hommage à toutes ces mères qui ont connu l’exil et choyé leurs enfants malgré la misère. » Nous sommes au cœur du Borinage.

Jamila Drissi apparaît, dos à un immense écran qui par magie s’allume et se dissipe au moindre de ses signes. Les jeux de lumières très délicats éclairent la lecture de sa jeunesse, de ses rêves, de ses tendres souvenirs. Le fond de misère de son village couvert de la suie des terrils s’illumine des grands espaces américains ou de scènes de films romantiques. Les rêves de l’enfance. La capacité de voir la vie autrement, avec les yeux de l’amour. Avec simplicité elle évoque la solidarité de sa famille et de ce village tout entier, elle rend hommage à la joie, à la tendresse, à l’imaginaire qui recrée les couleurs au milieu de la suie, du travail harassant, des maladies de la mine. Sa mère n'est jamais allée à l'école mais elle adorait le cinéma, le théâtre, l'opéra et elle a semé les merveilleuses graines de la création dans sa fille, insoumise, de mère en fille! Jamila plonge dans le personnage de sa mère, qu’elle essaie de déchiffrer, car les yeux d’une petite fille voient parfois tout autre chose. Souvent un nuage gris menaçant et autoritaire! Elle raconte son père, si vite disparu à l’hôpital devenu sa dernière résidence secondaire… Elle fait raconter à sa mère sa vie en Algérie, sa venue en Belgique à 17 ans. Elle conte ses propres jeux d’enfants, le théâtre de la vie de village. Elle joue en guise de couplet, Anna, l'Italienne toujours au courant de tout, Thérèse et son inséparable caniche, Renée, l'alcoolique fumeuse de Belgas, avec leurs accents multiples, tellement drôles, puis redevient l’enfant irrésistible, riche de sa relation de princesse avec son père, ou bien Jacques Dufilho, ou bien les deux ? Mais il y a aussi Cathy l'Allemande et Henri le nazi revisités avec la lorgnette de l’enfance.

Que connaît-on des adultes ? Comment savoir si on connait bien ses parents ? Que peut-on connaître d’eux ? Cette vision d’enfant reçue au creux de notre main, un oiseau précieux qui ose chanter l’espoir à tue tête, est un bonheur insigne pour le spectateur. Pas la moindre harangue sociologique ou discours racoleur. On jette un regard neuf sur ces centaines d’immigrés venus de toutes parts, avides de se construire une nouvelle vie, digne et respectable. Le texte est plein d’humanité et d’humour et s’achève comme le générique d’un film d’amour. La réponse que reçoit Jamila à la fin de ses interrogations, est un hommage à la liberté et à la dignité de la femme, un envol pour la magie de l’écriture.

http://www.espacemagh.be/index.php

17 rue du Poiçon, Bruxelles

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administrateur théâtres

Mes Nuits sans Robert (Théâtre de la Samaritaine)


La nouvelle pièce de Véronique Gallo avec Véronique Gallo:

MES NUITS SANS ROBERT

OU

« CONFERENCE INTITULEE "LES ACCESSOIRES DU 7E ART QUI TRANSCENDENT NOTRE VISION DE L’AMOUR" »

***

Les paroles de Jean-Jacques nous chatouillent le cœur à regarder Louise évoluer sur la scène avec ses souvenirs en boîtes noires serties de métal froid :

Elle met du vieux pain sur son balcon
Pour attirer les moineaux les pigeons
Elle vit sa vie par procuration
Devant son immense collection…

Un à un elle prendra chaque écrin avec tendresse et commentera les objets fétiches de toute une vie ciselée par la romance du cinéma. Américain, de préférence. En vrai, elle n’a jamais eu la chance de faire La rencontre de celui qui partagera sa vie! Elle connait pourtant tous les ingrédients de l’amour par cœur, elle a analysé tous les comportements et les échafaude en théories burlesques et drôles…. Cela met un peu de distance et lui donne un sens de l’humour irrésistible! Elle peut tout jouer à merveilles, mettre en scène avec brio toutes les légendes de passion fictives…. Fictives ? Elle n’en n’est pas trop sûre !

Et de faire son cinéma tous les soirs sur l’écran noir de ses nuits blanches. Désespérément seule, malgré ses visites à l’herboristerie, attirée par les rêves, les senteurs, elle serait vite la proie facile de toutes les fumisteries. Heureusement qu’il y a les gouttes du Docteur Bach ! Sa vie sentimentale s’est figée une fois pour toutes sur ce beau Robert Redford, elle se le repasse inlassablement, et ne vit plus désormais que sur arrêts sur images impalpables, évanescentes. Il lui manque ce numéro introuvable pour sa collection de magazines…

Et la voilà qui nous livre son personnage le plus vrai : cette horloge biologique qui doucement se fane, affolée, ne sachant plus dans quel sens tourner, tant les minutes comptent…Six fois marraine, Tata Loulou, sent sa sève refluer, l’angoisse va la tuer au milieu de ses objets mythiques à qui elle a donné tant d’âme…

Véronique Gallo établit un rapport avec le public aussi rapide que les vendeurs d’éplucheurs magiques sur les grands marchés, on est fasciné et conquis. On assiste à de la prestidigitation verbale, elle peuple tous les espaces possibles, jusqu’à la régie, de personnages qui lui parlent dans son désert. Et chaque scène va jusqu’au mime des émois les plus profonds: « Coupez ! » hurle-t-elle à la fin…

« Non ! » Car l’éclat de la peau, les pupilles allumées, la chaleur du corps, tout participe: le talent fou !

Sans Robert...Ou sans Georges?

http://www.lasamaritaine.be/saison2009-2010/index.html#bv000004

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administrateur théâtres

Squash (théâtre de l'Arrière-Scène)

du 26 octobre au 6 novembre 2010 à 20h30
(relâche les dim. lun. et mar.)

S Q U A S H

A deux fois quinze ans, deux jeunes yuppies s’ébattent dans une chambre à taper les murs, équipement, shorts et chemises de sport dernier cri. Les chaussures crissent sur le parquet, la violence de la société entre les dents. On est au cœur d’un match dès l’entrée en salle. Le « Squash » est leur exutoire, leur temps de pose et leur temps des secrets, leur connivence masculine hebdomadaire. La vertu du sport calme les nerfs à vif et empêche la guerre : 1-0. Peut-être, mais la violence rampe et la guerre de couple ne demande qu’à éclater. A la base l’insatisfaction, le désir d’autre chose, la confusion, le manque d’écoute, l’ailleurs…

Ryan demande à son partenaire de frasques anciennes de l’aider en lui servant d’alibi pour une soirée mutine. Greg est atterré. Leurs deux femmes sont de grandes amies. Une onde de choc dans un couple menace inévitablement l’autre. Le poison du double bind le fait vaciller. 1-1. Puis les tentations sexuelles si bien mises en scène par Ryan, véritable démon sexuel achèvent de vaincre ses résistances de plus en plus faibles. 1-2. Avantage à Ryan. Descente rythmée aux enfers du mensonge au cours des habillages et déshabillages de plus en plus frénétiques au vestiaire dont nous gratifient les deux comédiens, entrecoupés de musique rock de plus en plus obsédante. Les paroles rebondissent plus que les balles et cela se termine par le sport en chambre ou sur une table de café. Le sport bien pensant a perdu, à peine s’ils pensent encore à jouer ne rêvant plus qu’à jouir. Prêts même à se disputer! L’instinct a vaincu la raison. 1-3. Spectateurs et acteurs sont emportés dans les engrenages effrénés et crus du désir mâle, dans l’échafaudage absurde des mensonges de plus en plus pesants. Dernière scène. Tout est perdu ! Greg finalise, score : 4-3 et à quel prix ?

Le ton et le langage sont tellement justes que l’on dirait du cinéma sur scène: tout bouge, tout le temps, pas le temps de respirer, l’infernal s’enchaîne, les actes se posent et éclatent comme des bombes d’émotion. Le physique est roi. Les plans se chevauchent et se contredisent. Quel brio dans la mise en scène et dans l’interprétation des comédiens qui pas un instant ne nous lâchent….tout corps, tout jeu, tout verbe. Un spectacle captivant, miroir cruel et lucide d’une époque qui encense la réussite à tout prix, la jeunesse du corps, veut tout et son contraire, tout en même temps. Miroir d’une société fondée sur l’avoir, le mensonge, la corruption - où le pouvoir, l’argent et le sexe aveuglants et obsédants, vous enferment dans leurs filets. Me first, society! We will, we will … squash you!

Squash, d’Andrew Payne

http://squash.over-blog.com http://www.arriere-scene.be/saison_details.php?ID=205

Mise en scène : Clément Manuel

Avec : Charlie Dupont et Clément Manuel Direction d’acteurs : Tania Garbarski Lumières : Pierre Ronti

Musique : Greg Remy de Ghinzu Assistanat : Benjamin Ramon Costumes : Lacoste et Bellerose

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administrateur théâtres

Les Reines (Théâtre de la Flûte Enchantée)

Du 29 octobre au 21 novembre 2010


(Reprise)

de Normand Chaurette


Mise en scène: Jacqueline Préseau
Avec : Muriel Audrey, Céline Robaert, Brigitte Louveaux, Jacqueline Preseau, Sibylle du Plessy, Emilie Duvivier

Édouard IV, l’aîné des York, agonise dans sa chambre. Le roi en voie de putréfaction, n’est plus à même plus à même de maintenir l’ordre. Qui règne alors au château ? Le chaos. Se fermant le nez aux remugles persistants de la décomposition, les femmes rêvent toutes de la vacance du pouvoir. Toutes espèrent poser la couronne d’Angleterre sur leur front ambitieux. L’inspiration des noms des Reines revient à Shakespeare, mais cela pourrait se passer en Chine, à Venise, sous les Médicis, ou dans n’importe quel autre lieu où règnent le vide et l’avidité dévorante du pouvoir.

Ces femmes, toutes majestueuses, belles comme des porcelaines de Saxe, décolletés de rêve, couvertes de bijoux sont aussi incapables de communication que les pourceaux sous le pouvoir de Circé. Elles sont emmurées non seulement dans la tour de Londres mais dans leurs fantasmes et leur folie dominatrice. Un régal pour certains… Elles s’agitent, foulent le parquet, parlent, ne s’écoutent, ni même ne s’entendent, se font taire ou carrément rendre muette…. On assiste à un ballet verbal absurde et le spectateur attend. Il n’y aura pas d’histoire, que de l’intrigue, du fiel et des sarcasmes perfides. De très belles tirades pleines d’éloquence, déclamées par des voix tour à tour délicieuses ou sorcières, des rythmes d’alexandrins, douceur suave pour l’oreille, sont inlassablement jetés dans le vide. Ils meublent l’attente et restent sans écho.

Le désespoir, la solitude et l’approche de l’odieuse vieillesse d’une Marguerite d’Anjou, devenue un ballot d’amertumes et de rancoeur refusé sur tous les continents, nous remplissent d’effroi glacial. ...Où trouverait-elle quelque tendresse? Deux nouveau-nés incapables de cris, sont ballottés au gré des ambitions et des menaces mortelles. Et toujours pas d’histoire.

S’il fallait mettre le spectateur mal à l’aise, c’et parfaitement réussi. Déjà avec le dépeçage de la vérité historique il doit rentrer dans un tourbillon d’absurdité et est éjecté sans ménagements hors du temps. Côté espace, le fauteuil du spectateur, comme la ville de Londres qui se dissout peu à peu ce 20 janvier 1483 dans une tempête surréaliste, semble s’évanouir à son tour. Il essaie de rester assis entre deux chaises : celle de l’envie de partir, tant on est inconfortable, ...et celle de rester, car la curiosité et le talent extrême des comédiennes nous retiennent! Et aussi cette jeunesse ensorceleuse de Anne Warwick, douze ans, ou plutôt 22, visage de Botticelli et sourire de jeune louve.

Le maléfice atteint son comble avec les mots de Cécile d’York qui, jalouse de l’amour passionné qui unissait ses enfants Anne et Georges petits, a toujours refusé la naissance et l’existence de cette belle grande fille muette à la bouche en cœur qui erre sur la scène parmi les Reines. Petits, elle leur a cousu un silence à vie, ajoutant à sa fille l’odieuse punition de lui faire couper les mains. Anne ? Un prénom d’une fille qui n’existe pas… Et si, rompant le sortilège infernal, elle se met subitement à parler, personne ne l’entendra. Spectacle dérangeant, n’y emmenez pas vos enfants, ils ne comprendront rien et vous ne pourrez rien leur expliquer, il ne s’y passe que malaise, mal-être et maléfice. Même si le décor, les costumes sont séduisants et le jeu des comédiennes, jeunes virtuoses, étincelant.

Les talents et le théâtre sont bien au rendez-vous, mais qu’ont donc fait les femmes, à Normand Chaurette ?

http://www.lafluteenchantee.be/

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Malheur aux malentendants !



Ô Seigneur ! Est-il possible que le calice passe loin de moi, qu’il ne me soit jamais permis de le saisir ? Moi qui suis à la tâche, jour après jour, indéfectible, comme d’autres... au temple, zélés et fervents !


______________



A quinze ans, la terre ne nous appartient pas encore mais le monde n'existe que pour nous - du moins, pour nous qui sommes capables de lui répondre par l’affirmative : « Oui, je le veux ! Oui, je le peux ! »


A quinze ans, on aime tout ce qui a été pensé pour notre âge, tout ce qui nous est destiné, proposé, offert - pour peu qu’on puisse se l’offrir. On espère, on supplie, on désire, on ordonne, on convoite ; et que dire de toutes ces attentes erratiques, confuses qui ne savent pas vraiment ce qu’elles attendent...


A quinze ans, on dépense tout comme de l’or car la pacotille se vend chère puisqu’elle ne s’affiche jamais comme telle : commerce oblige ! On jette les mots par la fenêtre et les parents, leur argent : la paix est à ce prix et le compromis, maintenant historique... aussi. C’est le joueur de flûte avec sa sérénade brillante et vive ; une sérénade hypnotique et luisante que personne ne lui interdira de jouer car, ceux qui ne souhaitent pas y succomber, sont déjà sans voix.


Un monde fait sur mesure donc, un monde voué à tous les commerces et à tous les rackets : demander, exiger, recevoir, arracher... c’est la seule préoccupation qui ordonne tout le reste. Et là, le monde est d’une clarté totale ; un point aveugle cette clarté au-delà de laquelle plus rien n’est visible.


***



Ados.jpgA quinze ans, on se nourrit d’un rien, d’une précipitation de jouissance, sans autre souci que d’aller à la rencontre - à toutes les rencontres -, pourvu qu’elles nous mènent au plus près du but : à la découverte d’une floraison soudaine de possibilités nouvelles porteuses de mille transgressions.


On rêve, on mime, on improvise sur un emploi non contraint du temps et toujours trop court. La nuit n’est qu’un mal nécessaire à l’heure où il nous faut rentrer même si ce refuge nous est bien utile parfois car, on peut encore y trouver la sécurité après une conduite porteuse de tous les risques face aux dangers d’un monde qui n’est qu’un loup pour son propre monde. Elle signifie à peine le repos cette nuit qui s'annonce déjà ; à l’aube, tout sera à recommencer ou bien, à poursuivre : on reprendra le cours là où on l’a quitté, le long d’une pente tantôt douce, tantôt brutale.


A quinze ans, on occupe tout le temps dont on dispose. Aucune culpabilité. Tout est promis à l’oubli et pourtant, tout semble inoubliable, dans un monde qui a une bonne mémoire, la meilleure des mémoires : une mémoire courte ; celle qui ne vous autorisera aucune retour en arrière au delà de l'heure qui s'est écoulée et qui s'est achevée dans la plus parfaite absence de mémoire et dans une indifférence insolente face à cette lacune qui n'en est plus une aujourd’hui.


Quant à la prochaine heure... celle qui s'écoule là, maintenant, sous nos yeux, le monde n'ose déjà plus y penser, de peur de devoir s'en souvenir.


Une génération entière s’est ennuyée, la suivante a tout juste le temps pour elle ; elle va à l’aventure sur un écran de dix sept pouces ou sur un écran géant, le temps de passer de la lumière à l’obscurité... mais la lumière revient toujours à la fin de la séance ! La prochaine épopée chassera la précédente. Hallucinés, du rêve, on passe au songe, du songe à la réalité jusqu’à taire la peur qui nous taraude face à cette inconnue immense : notre vie de demain dans dix ans dans un monde instable et sans remords ; et là, c’est déjà une autre aventure, une tout autre histoire.


A quinze ans, Dieu ! Qu’est-ce qu’on fait comme bruit ! On ne s’entend plus et pour peu qu'on nous conseille vivement de nous taire et d'écouter... en classe, soudain, tout devient difficile ou bien, incompréhensible ; en cours, on ne participe plus, on s'éloigne, on se retranche dans les derniers rangs, on quitte la classe avant tout le monde ; et c'est alors que le collège ou le lycée ne vous appelle plus le matin et ne vous promet plus rien sur le trajet qui y mène.


Sans illusion quant à l’usage qu'ils peuvent espérer faire de cette disgrâce, les adolescents connaissent le prix d’un tel échec et sa récompense : les portes qu'il vous fermera au nez avant même que vous ayez eu le temps d'y frapper car on vous aura vu venir de loin et... nombreux ; et personne ne nous sera d’aucun secours, prisonniers d’une solitude intouchable.



***



L’adolescence tient en trois mots, trois séismes : le désespoir impalpable aux causes aussi multiples qu'indéfinissables, l'amour toujours à refaire et la joie infinie, sans antécédent, sans passé, sans avenir, fruit d'une insouciance sans conséquence pour l'heure.


Oui ! La joie ! Joies qui se succèdent, courtes, spontanées, sans raison, pour un rien et pour un peu. Une lumière cette joie ! Une lumière même quand la lumière fait défaut. Intouchables on est ! Indestructibles ! Il ne manque plus rien aussi longtemps qu'elle est là, à nos côtés. Une vibration cette joie ; une vibration venue du centre de la terre ; aussi vieille que la croûte terrestre et les danses tribales cette joie qui accroît notre être, l’étend, l'enveloppe. Son souffle nous rend légers et nous permet de franchir bien des obstacles en les ignorant, tout simplement. Joie d’être, joie de vivre ! Et ce sourire qui nous illumine ! Regardez-le ce sourire si précieux ! Regardez-les ! Regardez-nous à quinze ans déambuler le long des rues, dans ces avenues qui nous appartiennent le temps de les traverser. Et cette lueur dans les yeux : c'est encore la lumière de la joie bien sûr ! La joie de l’instant qui va nous combler, tout ce qu’on se promet, là, maintenant ou bien, dans l’heure qui suit.


Allez ! Rendez-la-nous cette joie, ce chahut salutaire !



***


Enfant, tout est immense. A quinze ans, on mesure le monde à l’échelle de ce qui sera possible d’y accomplir. Signe de notre temps : aujourd’hui, très vite, c’est déjà trop tard. Jadis, on pouvait s'offrir quelques années d'insouciance, aujourd’hui, on nous conseillera de tout prévoir, de tout envisager, même et surtout le pire en cas d’échec que l'on pressent très tôt ; le succès aussi, pour peu qu’on ait de bonnes raisons de l’espérer.


A quinze ans, ce qui se passera, on ne le voit pas toujours et aussi, ce qui ne se passera pas. Voués au meilleur et au pire, on vit de ce qu’on prend et reçoit du monde, de ce qu'on lui arrache aussi quand il nous oublie au passage ou nous ignore car, si l’abondance nous empêche de voir, le manque, lui, nous couvre de honte : on réclamera son dû. Et c’est alors que la colère et l’impatience nous conduiront tout droit à la révolte et au scandale pour s'empresser de jeter sur la douleur de vivre cette indigence qui surplombe tout et dont on ne saurait porter la responsabilité, notre dévolu d'insultes, d'intimidations et de menaces. Stratégie de survie avec soi-même et les autres qui nous le rendront bien et au centuple, avant longtemps.


A cet âge, tout le mal que l'on se fait, on l'ignore jusqu'à la cure qu'est l'âge adulte, pour peu que l'épuisement nous y aide et puis… parce qu'il faut bien se faire une raison ; la résignation est pareille à l'usure du temps qui guérit bien des maux ; elle prend sa place sur la pointe des pieds alors qu'il fait encore sombre ; et plus elle arrive tôt, plus ses chances de mater cette révolte sont grandes.


A quinze ans, de l’âge adulte, on se rapproche, même si c'est pour mieux nous en éloigner. On se complait de tout. Aucun retrait, aucun recul, c'est la vie qui nous submerge. On hurle. On crie. On bouscule son entourage. On l’ignore.


Autre signe de notre époque : à quinze ans, dehors c'est dedans ; on est partout chez-soi. Au delà du périmètre dans lequel notre action se déploie, rien d’autre existe, rien ni personne ; et tant pis pour les autres qui devront prendre leur mal en patience ou bien, se retirer sans broncher.


A quinze ans, on se cherche un visage, un vrai visage : le sien. Mille essais, mille emprunts, preuves d’une fertilité et d’une inventivité ingénieuses et brouillonnes qui peinent à trouver sa forme. La maturité y pourvoira pour peu qu’il en soit toujours question. Car, si on n'a pas encore à trouver sa voie, en revanche, on se doit de trouver très vite sa place.

Quand on est seul, c’est l’ennui et le désarroi. En bande, on échappe à l’angoisse d’aujourd’hui qui n’est que la négation des responsabilités et des incertitudes de demain. Menu indigeste que demain ! Novice, on avance par à-coups dans un couloir plongé dans le noir. Quand on trouve l'interrupteur et la lumière, c'est le soulagement : on n'a plus peur jusqu'à la prochaine épreuve.


A quinze ans, on veut plaire, être comblé jusqu’à la saturation. Être vivant à quinze ans, c’est être vu et reconnu, escorté du regard et du cœur, mille cœurs entre tous, si possible... et pourquoi pas ! On recueille toutes les faveurs quand on sait les susciter. On vit sans ordre. On a des colères soudaines, sans arrière-pensée et puis, on sait calculer, manipuler, manœuvrer en expert aussi. On s’enflamme, on étouffe, on suffoque, l’amour est minuscule, infini. Et puis un jour, on le fait. Ce jour là, on devient quelqu’un d’autre. Quelque chose a été percé. Quelque chose en nous a fondu. C’est la mue. Une autre peau émerge. On n’y comprend pas grand-chose mais... c'est sûr : on a changé !


Un mystère qui n’en était pas un, cette interrogation - du moins, pas longtemps, car bientôt, tout ça n’aura plus d’importance ; l’essentiel est ailleurs, bien sûr : dans ce qui nous attend, dans cinq ans, dans dix ans d'ici...



***


A quinze ans, c’est fini, plus rien à faire dans la vie, sinon la vivre. Une vie détachée de soi, prodigue d’elle-même et de ceux dont on partage la même vie, au même âge, au jour le jour, d’heure en heure... jusqu’à la suivante. Ce qui doit arriver arrivera toujours assez tôt ; on aura bien le temps de faire face à cette insécurité qui nous attend, une fois que l'on ne pourra plus compter sur ceux qui nous ont mis au monde et qui avaient toujours su nous en protéger.


suite-serie-adolescence.jpg

Si à quinze ans on connaît la peur, on sait la contourner. Si on la frôle, on l'oubliera très vite pour s'empresser d'en chercher une autre ailleurs : ses jouissances sont trop grandes pour qu'on les abandonne à la première alerte, le goût de vivre, plus fort encore. On compose avec la peur comme on compose avec tout le reste : la peur des mauvaises notes, la peur d’être découvert, la peur de l'humiliation, la peur du rejet, la peur de la violence de ceux qui ne craignent rien, ni personne, et surtout pas, ceux qui ont peur.


Parfois, les adultes contribueront à diffuser cette peur qui leur va si bien depuis qu’elle les mène et les force à resserrer leur vie pour diminuer le rayon de son action et réduire le champ de ses ambitions et de son influence.


Adolescent, cette peur est sans doute l’information la plus importante que nous recevons du monde ; une des premières ; s’y soumettre annonce des lendemains plus alarmants encore.



***


Volonté de prendre, de jouir ! Volonté exténuante, désirs insatiables ! A quinze ans, on mixe, on brasse, on mélange tout, même si ce sont les autres qui distribuent les cartes à notre insu. C’est notre façon d’y voir clair en ne voyant rien de ce qui se trame au loin, sans guide pour nous accompagner.


Et tout nous y encourage. "On a le temps !" nous assènent les ondes de la voix du monde et les pixels de sa représentation, là où toute parole vers le haut est impossible. Une voix sur mesure, pour notre immaturité qui ne peut qu’écouter cette voix. Tellement dans son époque cette voix qui jamais ne se trompe ni ne s’égare, au plus près, serrée, collée à notre inconséquence juvénile, telle une sangsue. Pas d’époque sans voix quelle qu’elle soit, aussi dévastatrice soit-elle. Toujours !


Qui possède le Verbe et les décibels, conduit le Monde. Une voix d'usuriers du désert, trompeuse et assourdissante, cette menace proférée sous le couvert d’une attention désintéressée ; une voix condescendante qui absorbe très vite la meilleure part de l'esprit et empêche tout exercice d'une attention claire envers soi-même ; une voix aux éclats incessants telle un marteau sur l’enclume, qui obstrue toute perspective d'élan en nous privant d'un tremplin pour rebondir plus loin, plus haut ; et peu nombreux sont ceux qui sauront le faire à temps.


Une nuisance cette voix pour quiconque souhaite la faire taire. Dans ces moments là, c’est toute la vie qui vire à la lutte, une douleur dans le dos - dans le bas des reins, plus précisément - à force de résistance, en parents confrontés à un âge sans discernement, et à un prix bien plus élevé aujourd'hui qu’hier : pas de conte de fées et pas de happy end pour nous rassurer : dans le meilleur des cas, happés ils seront, au passage de l'écho de cette voix, et dans le pire, broyés, pris en étau entre les incisives et les molaires de sa mâchoire d'ogre.


L’autre voix, elle, est inaudible pour l’heure. Le moment venu, elle n’aura pas besoin de porte-voix. Bientôt, une autre réalité se chargera de nous la faire entendre car, à quinze ans, on est de l’autre côté de la vitre, à l’intérieur ;

Dehors nous attend une surprise : tout ce qui aura été tu des années durant et qui nous est maintenant hurlé.


Et là, malheur aux malentendants !


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On n'est pas sérieux quand on a 17 ans

Poème de Rimbaud

LEO FERRE pour la musique



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Extrait du titre : "La consolation" - disponible chez TheBookEdition


A propos de l'ouvrage... cliquez La consolation





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La fête des morts

Pour ceux qui ne l’évoque plus


par pudeur


parce que l’enfance


à enfermé en eux


un manque


qui leur fait encore mal


un père parti trop tôt


une mère perdue


un frère, une sœur


indispensables confidents.



J’irai à la fête des morts


avec un pot de fleurs


dans un grand champ de pierre


à l’allure éphémère


d’un parc de Versailles.


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administrateur théâtres

Jalousie en trois mails (Théâtre Argan 42)




JALOUSIE EN TROIS MAILS

COMÉDIE D'ESTHER VILAR

06 Octobre 2010 >> 30 Octobre 2010

Une avocate d’âge mûr intelligente et sensible, une femme fatale architecte -la vamp irrésistible et blonde en robe noire, chignon sensuel et bouche peinte se refermant sur une éternelle cigarette dans un penthouse de rêve, et l’étudiante bouddhiste en jeans, végétarienne. Trois générations. Elles habitent le même immeuble. Epouse ou maîtresses, elles partageront inéluctablement les palpitations et les affres de la jalousie pour le même homme. Ce Lazlo, est omniprésent dans leur monde intérieur mais absent de la scène, sauf qu’il circule, habilement entre les étages, insaisissable. Les empoignades se font à coup de mails, de véritables argumentaires pleins de fiel, de poison et de verve : tour à tour des salves de perfidie, de désespoir, d’amour passionné tombent avec fracas dans les maibox. Les textes sont beaux, du Sacha Guitry version féminine. La rivalité entre ces femmes révèle en chacune la mesure de leur passion pour le même homme et la douleur insupportable de l’abandon. Pas de clichés, un crescendo de souffrance et de violence, boomerangs verbaux, bombes de détresse et de sarcasmes vengeurs. Les monologues se croisent et se répondent sans jamais réellement communiquer entre eux, chacune se croyant pathétiquement à l’abri dans sa bulle, jusqu’au dernier moment, à l’abri dans la croyance folle d’être aimée. Mais les déconvenues sont d’autant plus cruelles, jusqu’à friser le suicide. L’une lit avec effroi le texte qu’elle vient de recevoir, l’autre livre ses pensées aux fenêtres ou s’adresse virtuellement à sa rivale, l’une lit son texte en l’écrivant rageusement, chaque fois l’émotion est au paroxysme mais pas de confrontation réelle, ni de bagarre, le sentiment n’en est que plus aigu.

La voix de " l'autre" est prisonnière de l'écrit, comme un moustique coincé dans un microscope. C’est donc le verbe qui se charge de la vérité de l’émotion. Et de l’évocation des ravages du temps… mais les femmes, statistiquement, ne sont-elles pas gagnantes ? D’un bout à l’autre, la jalousie est disséquée avec brio jusqu’à la scène finale où paradoxalement il sort une véritable surprise rhétorique voluptueuse. Exaltation. Vive l’intelligence …

Le spectacle est aussi dans la salle : des spectateurs masculins, totalement inconscients des dangers des relations extraconjugales ont les yeux qui brillent, le sourire flottant, et se trémoussent d’une fesse sur l’autre. J’en ai vu saisir leurs accoudoirs et se lever à demi, transportés par le bonheur imaginaire de se sentir Lazlo – quelle erreur! – et des femmes soupirer d’aise quand à son tour la maîtresse, femme fatale « tombe »…

Rosalia Cuevas, Carole Weyers et Cloé Xhauflaire sont toutes trois, solaires!

Petit Théâtre Mercelis:Du 06/10/10 au 09/10/10 Et du 14/10/10 au 30/10/10 à 20h30
BOZAR: Le 12/10/2010 à 20h30
Infos et Réservations: www.argan42.be et 070/75.42.42

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Quand on ramène un oublié des amoureux d'Arts et de Lettres, s'appuyer sur un grand nom de la littérature belge me semble une manière plus que logique.
Je vous livre donc la préface du recueil ' L'heure équilibre' de Gaston Godfrin par Michel Joiret en 1982. Tous les recueils de ce poète sont en possession de ma famille. Ce que je trouve le plus regrettable c'est que le sang de son sang ne prête pas plus d'attention à celui qui les aima tant. Je prends le relais, ne lui arrivant pourtant pas à la cheville. Aujourd'hui, mieux que jamais, je comprends d'où provient cette hypersensibilité qui m'habite.

Voici donc cette préface, qui vous fera sans doute comprendre et connaître qui était ce poète belge:

"Peut-être oserais-je mourir
Un rêve fou entre les dents...."

Gaston Godfrin parle si doucement de la mort que d'obscures connivences se tissent entre le poète et sa lyre noire. On ne peut en effet être dupe : chez un être dont l'intelligence des choses est toujours en éveil, une connaissance profonde de l'espace et de ses limites prend des formes concrètes et nuancées. N'est-ce pas Camus qui disait que la lucidité est une forme supérieure du désespoir ? Godfrin ne définit pas la poésie mais il parle d'un état de grâce et de disponibilité second à aucun autre........

"Longues rames d'ennui
Dans les gares sans tête
Un train trébuche et tette
Le sein plat du ciel gris."

On observera l'aisance de la transcription métaphorique, la disposition classique d'un hexamètre très souple, la musicalité des syllabes élues semble-t-il pour leurs vertus acoustiques, l'intériorité d'un ensemble que le confort du genre dispute à la fantaisie, voire à l'audace du trait. Poète rassurant par le ton et l'obédience à la tradition, Gaston Godfrin cède à l'inquiétude quand elle s''écrit en filigrane de la tendresse d'être, cette même tendresse qui est le patronyme de la poésie de Godfrin, présente à tous les échelons d'une existence aux sens tendus comme les conques, toujours à l'écoute des êtres et des choses. L'heure équilibre est le recueil d'un autre temps, sorti vivant des " yeux du Grand Meaulnes".

" Seul l'homme est briseur d'équilibre
Ses mains ouvertes sont plateaux
D'une balance que ne vaut
Pas le poids clair d'un oiseau libre "

Dieu, la femme, l'enfant, la mort sont les protagonistes d'un drame dont le poète distribue les rôles selon l'humeur des choses et du temps. "'Refermons ce silence" dit le poète sensible à la vie intérieure, à l'absence même de la vie là où Dieu s'arrange avec l'image qu'il laisse de lui aux hommes de passage.

" Crane à l'envers
Où roucoule la pluie"

Il est clair que Gaston Godfrin a toujours recherché la vérité par de fréquentes plongées dans l'inconscient, il est évident qu'il vivait en poésie comme on vit en religion, toujours prêt à assumer l'indifférence des tribuns et des marchands.
Qu'on se garde de "tuer quelqu'un
à coup de mémoire"
le poète, lui, résistera à la vanité des thuriféraires comme au geste débonnaire des indifférents. " J'ai le bonheur profond au sein de ma maison", disait-il en substance à ceux qui voulaient bien l'écouter. Mais écoute-t-on les poètes dont l'engagement est bien plus un acte de foi qu'une incitation à la parole ?

Il se devait que Marin mourût au cœur de la bataille de la lys et que Périer s'éteignît tout près du Bois de la Cambre. Il est juste, sans doute, que Gaston Godfrin trouve au terme de ses jours, des accents nouveaux, qu'il avait appelés de toutes ses forces mais qui l'attendaient au terme de son existence, comme s'il fallait les mériter, les voir venir, comme si la douleur et l'ombre négociaient pour s'approprier avec l'âme, la charpente verbale du poète. Ainsi, Godfrin restera le poète d'ombre et de lumière comme chez Périer, comme chez Marin. A nous de faire le jour au-delà de l'éloignement.

" Laissons mourir le rêve
D'avoir été nous-mêmes"

Tout ceci est simple, presque évident. Carême se rapproche. On se souvient de Bernier, de Périer, de Marin. On dresse le couvert pour l'éternité et les mots circulent. Gaston Godfrin nous parle avec lenteur, ce ralenti d'un vécu intense, d'une circulation vive de l'essentiel.

Décidément, il y a des mots qui nous font douter de la mort elle-même....


Michel Joiret
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administrateur théâtres

LE MEC DE LA TOMBE D'À CÔTÉ (théâtre Le Public)

LE MEC DE LA TOMBE D'À CÔTÉ de Katarina Mazetti


Mise en scène: Michelangelo Marchese / Avec Florence Crick et Guy Theunissen

DU 26/10/10 AU 31/12/10 au théâtre Le Public

Daphné Merlin, Bac+5, se rend régulièrement sur la tombe de son jeune Hugo de mari, un alter ego qui a eu le mauvais goût de mourir sur son vélo, la tête dans un casque où il écoutait des chants d’oiseaux. Bibliothécaire, et citadine en diable, elle vit dans un appartement impeccable, tout blanc, plantes vertes, très tendance, pas une tache. Au cimetière, elle rencontre le mec de la tombe d'à côté, dont l'apparence rustique l'agace souverainement, autant que la stèle orgueilleuse et son abondante vie végétale, digne d’un pépiniériste. La tombe où elle se recueille est nue et sobre, pas même un rosier, car le mec d’avant, amoureux du vide, en avait décidé ainsi, réglant tout dans sa vie, jusqu’à ses obsèques. Depuis le décès de sa mère, Jean-Marie vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières. Il est fort affecté du vide laissé par la mort de sa mère, mais il a de l'humour et de l'autodérision et le rêve inavoué d’un « je t’aime, tu m’aimes, on sème… ». Chaque fois qu'il rencontre « la dame beige », bonnet ridicule fiché sur sa masse vaporeuses de cheveux, il s'énerve contre la 'Crevette' qui occupe le banc au cimetière avec lui, avec son carnet et son incroyable « stylo à plume !» « Est-ce qu’elle compterait les maris qu’elle a enterrés ? » Tout les sépare et pourtant, les monologues intérieurs sont éloquents, chacun éprouve un désir confus. « Un arc-en-ciel a surgit entre nous » dit-il au premier sourire involontaire de la belle. Une histoire d’amour démarre.

Ils vont se raconter tour à tour, se rencontrer, s’aimer, se séparer, se rattraper, se disputer copieusement, vivre une relation charnelle à la Lady Chatterley…. Mais le choc des cultures ! Le tournant ce sera cette phrase des moutons qui tue. Innocemment Jean-Marie lâche : « Il va falloir qu’on les rentre… » Totalement étrangère aux choses de la ferme, la crevette se cabre. Saisie d’une peur panique elle voit en un instant le piège épouvantable d’une vie de paysanne se refermer sur elle, et, devenue chevrette sauvage, elle prend la fuite. Et ce "ON", terrifiant pronom menteur, qui s'emble l'avoir inclue! Pourtant tous deux nourrissent des illusions romantiques…

Le duo Florence Crick et Guy Theunissen joue avec brio, malice et justesse, ces deux personnages un peu manichéens. C'est en fait cela leur problème: aucun lieu de rencontre, si ce n’est le lit de leurs amours et le cimetière de leurs illusions. La volubilité, et les mouvements de poursuite et d’esquives brillent comme des éclairs. Les yeux et les sourires parlent plus que déclarations. Les moments de tendresse sont profonds comme une meule de foin, et sublimes alors qu’ils sont assis sur une tombe. La lucidité de la paysannerie est là : « On va aussi bien ensemble que la merde et les pantalons verts, comme disait mon grand-père. Et je ne veux pas que ça s'arrête. A chaque jour suffit sa peine, je n'aurai qu'à apprendre à faire avec. » La campagne et ses odeurs tenaces, l’immense ferme un peu délaissée, la bibliothèque, le théâtre et la ville sont magnifiquement rendus par la parole et le geste. Dommage que le seul lieu de rencontre ne soit qu’un cimetière, s’ils pouvaient y enterrer leur ego une fois pour toutes, tout irait mieux. « Mieux vaut franchir les minutes une à une, les avaler comme des pilules amères, essayer de ne pas penser à toutes celles qui restent "» Qui fera le pas, et enterrera en même temps la hache de la guerre du couple ?

Daphné insiste cruellement : « Bien sûr que c'est possible de vivre comme ça, être les meilleurs amis du monde, chacun sur son étoile, puis s'amuser ensemble lorsqu'on sent le souffle de la solitude sur la nuque? Bien sûr que c'est possible? » Une attitude triste à pleurer, hélas typique de notre époque postmoderne, où l’engagement est devenu si difficile, où jamais on ne veut lâcher prise et se donner vraiment à l’autre, où «chacun vit sur une autre planète ! » Dans la peur panique du lien.

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=257&source=agenda&year=2010&month=10&day=26

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administrateur théâtres

Lettre d'une inconnue

De Stefan Zweig, avec Nathalie Stas.

Le drame intégral: « Tu ne m’as jamais reconnue! » Un message qui à force, va tuer cette belle inconnue car il lui manque le souffle conjoint de l’autre pour respirer, elle ne respire qu’à demi. Et pourtant le feu des regards se rencontrait, mais pas l’intelligence. Au cours de leurs quelques rencontres, l’amant passionné mais distrait, futile et ébloui à chaque femme sublime, ne la reconnaît jamais et il ne garde aucun souvenir. Il ne saura jamais qu’elle l’aime passionnément depuis l’âge de 13 ans, avec le mystère de l’adoration totale. Tragédie de l’amour : cécité et aveuglement conjugués. Privée de figure paternelle, à l’âge de l’absolu, elle a concentré sur cet écrivain rencontré au seuil de l’adolescence, toutes les cristallisations de son désir de femme et d’enfant. Un amour caché d’enfant, est plus fort encore que celui d’une femme.

Nathalie Stas en corsage et pantalons de dentelles pudiquement recouverts d’un peignoir de soie blanche, sa longue crinière sombre frôlant les chandeliers qui font encore croire à la vie, le visage défait, mais la vénération de son amant fichée dans les yeux, achève de lui écrire une lettre, plutôt une longue confession d’amour. Les reproches y sont presqu’absents tant son amour est vaste. Elle lui avoue leur enfant caché, mais il vient de mourir, à trois ans. Elle lui a caché son existence, s’épargnant une nouvelle non-reconnaissance, et se ménageant un seul espoir de vie, la trace vivante de leur amour… « Cet enfant, il était tout pour moi : il venait de toi ; c’était encore toi, non plus l’être heureux et insouciant que tu étais et que je pouvais retenir, mais toi pour toujours, pensais-je, m’appartenant, emprisonné dans mon corps, lié à ma vie… » Si l’enfant meurt, elle ne peut survivre.

Né du désespoir, ce texte est d’une finesse exquise, la description de cet amour fantasmé et malheureux y est analysé jusqu’au moindre frisson. Les joies et les extases alternent avec la douleur profonde, nous sommes au cœur d’un mystère intime, d’une symphonie déchirante et romantique. Lorsque l’écrivain lira enfin la longue missive, elle sera déjà de l’autre côté du miroir : « Son regard tomba alors sur le vase bleu qui se trouvait devant lui sur sa table de travail. Il était vide, vide pour la première fois au jour de son anniversaire. Il eut un tressaillement de frayeur. Ce fut pour lui comme si, soudain, une porte invisible s’était ouverte et qu’un courant d’air glacé, sorti de l’autre monde, avait pénétré dans la quiétude de sa chambre. Il sentit que quelqu’un venait de mourir ; il sentit qu’il y avait eu là un immortel amour : au plus profond de son âme, quelque chose s’épanouit, et il pensa à l’amante invisible aussi immatériellement et aussi passionnément qu’à une musique lointaine ».

Nathalie Stas incarne un théâtre de pure émotion, la mobilité de son visage est telle qu’elle annonce presque le texte qui lui passe par le corps. Sa voix épouse le trouble et la volupté, tremble l’indicible, révèle la profondeur du sentiment, galope dans l’azur du bonheur éphémère. Sa féminité absolue et sa beauté brune sous-tendent le texte à merveilles. Elle empêche presque le public de respirer… à moins qu’on ne se sente soudainement mal, tant le duo du texte et comédienne est intense et poignant.

XL Théâtre - Théâtre du Grand Midi Tél. : 02-513.21.78

http://www.xltheatredugrandmidi.be rue Goffart 7 1050 Ixelles

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A l'aube du 27 septembre, le prince Frédéric, en quittant Bruxelles, s'inclinait devant l'irrémédiable. La dure partie, menée par son père depuis quinze ans, était perdue. Le sort de la Belgique s'est joué pendant les quatre journées de Bruxelles.
Ces combats ont été meurtriers. Du côté de l'armée, les pertes furent de 108 tués et 620 blessés, tandis que les insurgés eurent 430 tués et 1.200 blessés. Moins bien armés, indisciplinés, ils souffrirent plus que leurs adversaires. La première journée fut la plus sanglante pour les Belges. C'est cependant le 23 que les insurgés étaient le moins nombreux, (quelques centaines pendant les premières heures du combat), mais la lutte était âpre et la protection malaisée.
Ainsi tombèrent à Bruxelles des journaliers, des ouvriers, des artisans, des petits commerçants, des domestiques, des employés et quelques membres des professions libérales, artistes ou écrivains, beaucoup de pauvres diables et peu de vrais bourgeois. Le petit peuple de Bruxelles fournit le plus fort contingent de combattants le premier jour. A ses côtés se battirent ce jour-là, avec l'énergie du désespoir, des bourgeois hardis, les volontaires liégeois et les petits groupes d'hommes décidés arrivés de la province depuis le début du mois ainsi que des étrangers, fanatiques de la liberté.
Quand l'armée fut bloquée dans le Parc, des bourgeois de Bruxelles reprirent courage, des paysans des communes voisines accoururent et s'amenèrent bientôt des villes, des bourgs et des hameaux du Brabant wallon et du Hainaut, des journaliers, des artisans, des ouvriers, des cultivateurs, d'enragés braconniers, conduits par d'anciens grognards, par des rentiers, par des avocats, par des industriels.
Aux portes de Namur, de Louvain, de Mons, de Tournai, de Liège des patriotes se sont battus avec ardeur. C'est animés d'un même esprit que dans les émeutes de Bruges, de Gand et d'Anvers de « petites gens » moururent sur les barricades. Les combattants de septembre veulent chasser le Hollandais, mettre fin à la domination du Nord, donner l'indépendance à la patrie qui protégera les libertés.
Le sentiment national est le seul qui rende raison de l'opiniâtreté de la résistance, de la sympathie agissante témoignée à Bruxelles par les provinces wallonnes, de la rapidité du ralliement des Flandres et de la Campine au régime nouveau.
Tous les observateurs étrangers sont unanimes à constater la violence de la haine des Belges pour les Hollandais à la fin du mois de septembre 1830 et au début d'octobre. « Au 1er octobre, il y a dans toutes les têtes une excitation patriotique dont aucun autre pays peut-être n'offrirait l'exemple dans les mêmes circonstances: « mort aux Hollandais! », est le mot de ralliement. La rupture entre les deux peuples est inévitable », écrit le ler octobre Staedtler, intendant du duc d'Arenberg. Deux jours plus tôt, revenant de Bruxelles, W. H. Lytton Bulwer au début d'une brillante carrière diplomatique, chargé d'une mjssion spéciale en Belgjque par Lord Aberdeen, écrit de Gand au secrétaire d'Etat: « Bien qu'il y ait une animosité décidée à travers ce pays à l'égard de la Hollande, je n'ai nulle part entendu exprimer un voeu en faveur de l'intervention ou de l'aide française. La lutte oppose les Belges aux Hollandais, et l'enthousiasme qui les anime augmente sans cesse ». Tandis que l'internonoce Cappacini, le 26 septembre, faisait savoir à Rome « que la résistance si acharnée des Bruxellois est la conséquence de la haine qu'ils nourrissent contre les Hollandais, et c'est cette haine qui les a amenés à se faire tuer et brûler vifs plutôt que de céder devant les soldats hollandais... L'aversion qui oppose les Belges et les Hollandais va devenir une haine implacable ». La désagrégation de l'armée royale, la chute rapide des places fortes sont dues aussi à cette ferveur patriotique qui explique le succès de la Révolution de 1830.
A l'origine cependant, les mouvéments d'opposition ont eu un caractère régional, communal même, nettement marqué. La variété des drapeaux en est le signe. Le 4 octobre, Namur désirait un représentant de la province au Gouvernement provisoire. A Gand, les autorités orangistes pour semer la discorde voulaient arborer l'étendard noir et jaune et former un Gouvernement provisoire flamand. Entre les villes, les rivalités et les égoïsmes subsistèrent. Chacune songea d'abord à sa défense et à sa sécurité. Des Hutois, le 18 septembre, ne souhaitaient pas l'arrivée de Liégeois dans leur cité, car cela devait provoquer une démontration militaire, tandis qu'à Verviers où l'on était pourtant plus avancé et prêt à défendre la ville, la Commission de sûreté décidait encore le 17 septembre que l'on n'enverrait pas de secours armés si Liège était attaquée.
Mais la disparition rapide ou du moins l'effacement de ce particularisme témoigne de la force du sentiment national à cette époque. Les couleurs brabançonnes et liégeoises l'emporteront et finalement le drapeau tricolore sera l'emblème de tous. Les divergences provinciales encore accusées ont cédé devant l'exigence de l'unité.
Fait remarquable: entre les deux anciennes capitales, Bruxelles et Liège, l'entente est parfaite. Les éléments les plus actifs y sont à la pointe du combat pour la liberté. L'hommage aux patriotes liégeois venus au secours de Bruxelles (12 septembre 1830), est significatif de cette fraternité:

« Nous allons donc, enfans de la patrie, Nous réunir chacun sous nos couleurs, Et protéger une mère chérie,
Dont les périls font battre tous les coeurs... ...En répétant qu'entre Liège et Bruxelles, C'est désormais à la vie, à la mort. »

La Révolution de septembre 1830 est essentiellement une révolution nationale, mais c'est aussi une révolution libérale: les libertés désirées par les « philosophes » et les « apostoliques » ne devant jamais mieux être réalisées que dans l'indépendance. Les conceptions politiques qui divisent les deux grandes tendances de l'opinion passent, à ce moment, à l'arrière plan. Les ministériels ont tout fait pour semer le désordre entre les unionistes. Leurs efforts astucieux, à Liège, notamment, ont été vains. Il est incontestable que parmi les hommes de la Réunion centrale et parmi les extrémistes, les libéraux avancés, les « Jacobins », comme on les appelait à l'époque, étaient les plus nombreux. Le très perspicace gouverneur Sandberg a finalement analysé, le 19 septembre 1830, les forces révolutionnaires à Liège: « Peu importe au fond où ce torrent a pris naissance, qui depuis trois ou quatre ans n'attendait qu'une occasion pour déborder, peu importe d'où est parti ce premier flocon de neige qui forma l'avalanche, mais Sire, encore une fois, ce ne sont ni les nobles, ni le parti prêtre, c'est le parti ultra libéral qui est vraiment redoutable et auquel la noblesse, ainsi que le clergé se sont adroitement adjoints: ce sont les jeunes avocats, les jeunes gens des classes secondaires, ceux qui veulent percer, les mécontents de toute espèce, et ce mouvement (quoique non français), a toute analogie avec les événements de France: haine à tout privilège, jury, langue, responsabilité ministérielle, partage d'emplois, cri contre les impôts, voilà leur drapeau et si un seul jour la noblesse et le clergé s'avisaient d'arborer un autre avis, ils n'oseraient plus se montrer ». Le comte de Mercy-Argenteau écrivait de même le 7 septembre: « Ce ne sont pas les armes de France qui triompheront de nous, effectivement, elle ne l'essayera même pas, ce seront les principes libéraux ».
La noblesse ne s'est guère montrée, mais de brillantes exceptions font ouvertement la liaison entre les « libéraux » avancés et l'opposition des milieux traditionalistes. Le comte Félix de Mérode est le plus remarquable de ces nobles gagnés au régime nouveau. Sa présence au Gouvernement provisoire, dès le 26 septembre, est d'un poids énorme pour le ralliement de l'aristocratie au nouvel Etat. L'ardeur patriotique l'anime, comme elle brûle son frère Frédéric. Celui-ci quittant sa femme à Chartres, le 25 septembre, pour aller se battre en Belgique et y mourir en héros, lui dit: « il faut être raisonnable, il y a des circonstances où on ne peut pas rester neutre et je ne peux pas oublier que je suis Belge ».
Quant aux étrangers, animés de la passion de la liberté, ils voyaient dans Guillaume 1er et son armée, l'avant-garde de la Sainte-Alliance et l'agent des oppresseurs des peuples. Brûlants d'ardeur libérale et démocratique, ils savent que l'expulsion des Hollandais apportera la liberté à leurs frères belges et ils feront le coup de feu pour la libération des opprimés. Ainsi Nation et Liberté sont indissolublement unies.
Enfin, la révolution de 1830 est-elle une révolution sociale? Incontestablement, dans les premiers jours, des manifestations résultant de la détresse des classes populaires se sont produites. Cependant, le choc initial était bien d'ordre politique et la bourgeoisie a réussi à calmer les soubresauts de la misère. Le malaise économique en 1830, l'aggravation des conditions matérielles de l'existence, dès le début des troubles, ont certes contribué à l'excitation du peuple, mais sa colère s'est tournée contre le Hollandais.
Néanmoins, un nouveau personnel politique, administratif et judiciaire s'empara des leviers de commande. Un rajeunissement radical des cadres fut réalisé. Comme au temps de Gambetta, on pourrait parler de « la venue et de la présence dans la politique d'une couche sociale nouvelle ». L'ordre équestre, dernier souvenir légal de l'inégalité, disparut, les idées démocratiques firent des progrès tant en Flandre parmi le clergé qu'en Wallonie chez les bourgeois. Ainsi, dans la phase constructive du nouvel Etat, y a-t-il un aspect social qu'il conviendrait d'étudier.
Dans sa phase destructive, la Révolution de septembre 1830 est l'exemple le plus clair de la force du sentiment de la liberté nationale chez les Belges, à un moment de leur histoire. Un combattant des barricades de Bruxelles, le brasseur Isidore Gillain, de Namur, a rendu, dans une lettre, témoignage de l'héroïsme des hommes à qui la Belgique doit plus d'un siècle de grandeur. « Je suis décidé de mourir plutôt que de céder à ces lâches Hollandais, écrit-il à ses parents le vendredi 24 septembre... Nous avons une grande quantité de braves qui sont morts pour défendre leur liberté. Mais en revanche, nous avons fait un massacre des jenfoutres qui veulent nous enchaîner. Peut-être que ce soir, nous serons maîtres du Parc; mon courage ne se ralentira pas et si je dois mourir, consolez-vous et vous direz que votre fils est mort pour la liberté.
» Adieu, je vole au combat.
» Je vous écrirai, si j'échappe, dimanche ou lundi.
» Adieu, ne vous mettez pas en peine.
» Ayez du courage, nous vainquerons.
» Je vous embrasse tous ».

 

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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La Révolution belge de 1830 est un événement européen. Depuis des siècles, la question des Pays-Bas préoccupait les grands Etats. Dès qu'elles reçoivent la nouvelle de l'émeute du 25 août, les chancelleries sont alertées, car une pièce de base du système établi par le Congrès de Vienne est ébranlée. Les puissances absolutistes, la Russie, l'Autriche, la Prusse, veulent évidemment comprimer cette explosion libérale et nationale. Chacune, cependant, réagit d'une manière différente devant les événements de Belgique. Le tsar Nicolas ler, autoritaire et cassant, encourage son beau-frère, le prince d'Orange, à se montrer énergique. Il se déclare prêt à intervenir par la force et il concentre des troupes. Mais la Russie est loin en 1830! Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, beau-frère de Guillaume ler, vient de marier son fils Albert à la prjncesse Marianne, fille du même Guillaume 1er. En 1825 déjà la fille de Frédéric-Guillaume III, Louise -Augusta -Wilhelmina Amalja, avait épousé le prince Frédéric des Pays-Bas. Le roi de Prusse aimerait aider son parent, mais il craint un conflit avec la France. Quant à Metternich, il s'intéresse assez peu aux Pays-Bas, toute son attention étant retenue par l'Italie qui bouge. La Grande-Bretagne, elle, hésite. Wellington n'aime pas les libéraux. Il souhaiterait l'écrasement de la rébellion qui risque de troubler la paix européenne, car qui peut répondre de l'attitude du peuple français? Le 28 août, Guillaume 1er a averti son royal beau-frère des événements de Bruxelles et lui a demandé de pouvoir compter sur la coopération des troupes prussiennes dans le cas oùles moyens à sa disposition ne suffiraient point pour maintenir le royaume des Pays-Bas et ses droits dans l'état assuré par les traités. Immédiatement, des ordres sont donnés à Magdebourg et à Erfurt, afin que de forts détachements des deux divisions du corps d'armée n° 4, soient dirigés vers le Rhin. On compte à Berlin pouvoir mettre sur pied, en six semaines, deux cent cinquante mille hommes et la caisse militaire contient neuf millions d'écus courants, destinés à rendre cette armée mobile. Bruits de bottes à l'Est... mais ils seront vite étouffés.
Frédéric-Guillaume III est prudent. Le 9 septembre, il écrit à Guillaume 1er qu'il s'entendra avec leurs alliés communs, car l'attitude de la France, pour qui toute intervention étrangère aux Pays-Bas justifie sa propre intervention, « nous prescrit une prudence et une circonspection plus qu'ordinaire ».
Une modification de la Loi fondamentale dans le sens d'un relâchement de l'unité était en contradiction avec l'acte du 21 juillet 1814, par lequel Guillaume d'Orange avait accepté les « huit articles » fixant les conditions mises par les Puissances à la réunion de la Belgique à la Hollande. Le consentement des Puissances était dès lors nécessaire. Le 7 septembre, Verstolk, ministre des Affaires étrangères des PaysBas, demanda l'ouverture d'une conférence à La Haye. Avant que toutes les réponses ne lui soient parvenues, les Journées de septembre avaient provoqué une tension diplomatique grave, car Guillaume 1er a pris l'initiative de réclamer l'appui armé des vainqueurs de Napoléon. Le 28, Verstolk annonce aux représentants de l'Angleterre, de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche, que Guillaume ler déclare n'être plus assez fort pour réprimer la Révolution et qu'il va, en vertu des traités existants, s'adresser à ses alliés pour solliciter leurs secours, afin qu'ils lui prêtent assistance matérielle pour étouffer l'insurrection et rétablir l'ordre légal dans le royaume. Le lendemain, Guillaume écrit à son beau-frère, le Roi de Prusse « ... la gravité du mal a rendu mes efforts infructueux. Dans cet état de chose déplorable à la fois par l'atteinte qu'il porte au bien-être de mes fidèles sujets et par les complications dont il menace le maintien de la paix en Europe, mon Envoyé accrédité auprès de Votre Majesté aura incessamment l'honneur de présenter à son ministre des Affaires étrangères un exposé de la situation de la Belgique dans lequel j'ai cru devoir demander la coopération militaire de mes alliés ».
Le 2 octobre, le ministre des Affaires étrangères envoie la demande officielle d'assistance militaire. Mais l'attitude prussienne n'a pas changé. Le 6, Bernstorff, ministre prussien des Affaires étrangères, déclara au ministre des Pays-Bas, de Perponcher, que les intentions de son maître « étaient de ne point envoyer immédiatement des troupes dans les Pays-Bas », et que Frédéric-Guillaume III se concerterait avec ses alliés avant d'adopter cette mesure. «La Prusse s'est obligée collectivement avec les Alliés à maintenir le Royaume des Pays-Bas », mais non point à agir seule. La Prusse ne peut risquer une guerre contre la France et quatre millions de Belges. Sans doute peut-elle compter sur l'appui de la Russie, mais elle n'est point encore fixée sur l'attitude de l'Autriche et d'autre part, l'Angleterre prône la conciliation. L'armée prussienne est « l'avant-garde de la Grande Coalition » et « elle ne pourrait pojnt s'aventurer... à moins de savoir les autres armées à portée comme soutien ». Des raisons proprement allemandes empêchaient en outre toute actjon extérieure : des secours en troupes sont réclamés à la Prusse de tous les côtés de l'Allemagne. On ne peut songer à envoyer des troupes hors de l'Allemagne où « l'esprit de vertjge et de révolte qui s'est répandu a pris un caractère si menaçant que pour le comprimer il a déjà fallu aviser les mesures les plus rigoureuses ». Enfin, la situation financière de la Prusse impose la prudence.
L'influence pacificatrice de Bernstorff et du général de Witzleben, chef du Cabinet militaire, l'ont emporté. Les efforts bellicistes du maréchal russe comte de Diebitsch, en mission extraordinaire à Berlin où il promettait, au nom du tsar, l'envoi d'une armée de 150.000 hommes à la frontière de la Prusse et l'embarquement immédiat de 10.000 hommes pour être débarqués en Belgique, ont échoué. Le 15 octobre, Bernstorff répondit à la demande officielle remise le 6 octobre. C'était un refus aimable. Les circonstances exigeaient la circonspection : la solution des problèmes soulevés, d'une gravité considérable pour l'avenir de l'Europe, devait être réservée aux délibérations communes et à la décision unanime des Puissances alliées. Et l'on savait déjà alors que l'Angleterre avait renoncé définitivement à une action militaire.
Quant à Metternich, le 11 octobre, sa décision est prise: la cause des Pays-Bas est entièrement perdue et la demande du roi des Pays-Bas, qui voudrait obtenir de l'Autriche un secours matériel, est irréfléchie, les efforts de l'Autriche devant se porter vers l'Italie, Le 20 octobre, l'empereur François répondra à Guillaume ler d'une manière aussi polie que décourageante pour le roi des Pays-Bas. « La position géographique de nos deux Etats m'empêche de me regarder comme placé sur la première ligne de l'action matérielle dont Votre Majesté m'a adressé la demande. C'est aux puissances les seules à portée de lui prêter un secours pareil, à peser et la position dans laquelle se trouvent placées les choses, et leurs propres facultés. Ce qui, dans le cas présent, est de mon domaine, c'est l'appui moral, que je n'hésiterai jamais à étendre jusqu'à une entière solidarité dans ce que le conseil de l'Alliance arrêtera dans sa sagesse ».
Restait la Russie. Le 2 octobre, Guillaume Ier envoya au tsar la demande de coopération militaire de ses alliés, mais les distances sont longues entre La Haye et Twer Oil se trouve Nicolas ler. Le tsar était prêt à répondre à l'appel angoissé du père de son beau-frère. Dès le ler octobre, il faisait savoir à Londres qu'il était « disposé à mettre en avant immédiatement une armée de 60.000 hommes ». Mais le vice-chancelier Nesselrode et son ambassadeur à Londres l'engagèrent à la prudence et le tsar se résigna à n'intervenir que conjointement avec ses alliés. « Toute action isolée de ma part, loin de répondre au but qu'elle se propose, y apporterait peut-être un préjudice réel ». Ainsi la clef était à Londres... Il y avait plusieurs semaines déjà que les chancelleries savaient que l'Angleterre n'interviendrait pas par les armes. L'opinion anglaise était favorable au nouveau régime français. Les radicaux avaient salué avec joie les «Trois Glorieuses », que les libéraux considéraient comme un nouveau 1688. Deux journaux seulement à Londres avaient pris la défense de Charles X et Wellington lui-même, qui passait pour l'ami des absolutistes, ne pardonnait pas à Charles X la politique d'alliance avec la Russie menée par Polignac, les visées sur le Rhin et l'expansion en Méditerranée. La prise d'Alger avait été une défaite anglaise. Wellington, chef du gouvernement tory, le vainqueur de Waterloo et le constructeur de la barrière de forteresses contre la France était fort occupé par les affaires intérieures anglaises au moment où les nouvelles de l'émeute de Bruxelles arrivèrent. Il espérait que le roi des Pays-Bas rétablirait l'ordre dans ses Etats rendant inutile toute intervention des Puissances. Le maintien de la Barrière était nécessaire à l'équilibre de l'Europe et à la sécurité de l'Angleterre. Cependant Wellington ne désirait nullement provoquer une guerre générale par une intervention armée aux Pays-Bas.
Dès le 31 août, lord Aberdeen, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, dans l'ignorance de faits précis, déclara au chargé d'affaires de Prusse que l'envoi des troupes prussiennes aux Pays-Bas, ne devrait en tout cas, être adopté qu'après accord et sans précipitation. Cependant il ne pouvait pas davantage être question d'accepter la proposition française d'une démarche franco-anglaise auprès de Guillaume 1er lui recommandant de donner des satisfactions aux Belges.
Ecarter une guerre générale est le souci majeur de Wellington: une intervention armée des Puissances, en application des traités, provoquera une riposte française immédiate, Wellington en est convaincu. Il faut empêcher cette intervention chez les alliés et d'autre part encourager les bonnes dispositions françaises et y renforcer ainsi le courant non-interventionniste. Il ne faut pas exclure complètement la France du concert européen appelé à discuter les affaires des Pays-Bas. Sans doute, la France n'a pas participé à la convention des « huit articles» acceptés par Guillaume d'Orange le 21 juillet 1814 et fixant les conditions de la réunion de la Belgique à la Hollande, mais la France a, affirme Wellington, par les articles secrets du traité du 30 mai 1814, reconnu cette réunion et le traité du 31 mai 1815, fixant le sort et les limites du royaume des Pays-Bas, est inséré dans l'Acte de Vienne signé par la France et confirmé par l'article XI du traité de Paris du 20 novembre 1815 entre la France et les Alliés. La France est liée par cet acte. La question est devenue européenne, le gouvernement français peut faire valoir ses droits. Ainsi, il sera impossible aux quatre puissances alliées d'arranger seules les affaires de Belgique sans entrer en communication avec la France. L'idéal serait que les quatre Cours reconnaissent Louis-Philippe, s'entendent entre elles sur les modifications à faire et les imposent ensuite au roi des Français.
La position de Wellington entre les puissances absolutistes -soutenant avec plus ou moins d'énergie le roi des Pays-Bas -et la France de Louis-Philippe, excitée par les masses populaires et toute la gauche, à intervenir en Belgique, est fort délicate.
Cependant, le premier ministre anglais reste optimiste: « la France ne veut pas, et ne peut pas », appuyer les « messieurs » de Bruxelles, écrit-il le 14 septembre, et il continue à juger l'évolution des événements avec sérénité. Le 27 encore il écrit à Peel, ministre de l'Intérieur: « Je pense que tout fait prévoir que l'affaire des Pays-Bas est en train de s'arranger ». Vraiment il n'est pas nécessaire de convoquer le Cabinet... Mais, le 28, à la réception des nouvelles de Belgique moins rassurantes, Wellington commence à s'inquiéter. Le lendemain, Lord Aberdeen lui transmet de toute urgence, les dépêches reçues, agissant, dit-il, « selon les instructions de Bonaparte qui voulait qu'on ne perde jamais un instant dans les communications de mauvaises nouvelles, si la transmission des bonnes pouvait attendre... », car la GrandeBretagne doit s'attendre d'un moment à l'autre à recevoir l'appel au secours de Guillaume 1er. Les vainqueurs de Bruxelles sont en train d'agiter l'Europe! Heureusement, Wellington ne veut pas une guerre, que l'opinion anglaise n'admettrait pas et, le 1er octobre, sa décision est prise. Il faut informer le gouvernement français, partie au traité de 1815, que Guillaume s'apprête à réclamer l'assistance des puissances garantes. La France est intéressée, aussi bien que les autres puissances, à la fin de l'insurrection en Belgique, condition de sa propre tranquillité comme de la satisfaction des Etats européens qui veulent le maintien de la frontière sud des Pays-Bas.
Wellington a vu Talleyrand le 30, avant de se décider à cette démarche capitale. Il a confiance dans le célèbre diplomate qu'il croit attaché au respect de l'autorité dans les Pays-Bas et adversaire de toute aventure.
Conservateur-réaliste, Wellington entretient aussi les meilleures relations avec les ambassadeurs des « cours du Nord » à Londres. Une grande négociation va s'ouvrir et pour le vainqueur de Waterloo, elle doit évidemment se dérouler dans la capitale anglaise.
La solution pacifique triomphera. En effet, si le gouvernement de Louis-Philippe espère la séparation du royaume des Pays-Bas et l'instauration d'un système nouveau, riche de promesses pour l'avenir à sa frontière nord, il est toujours aussi soucieux du maintien de la paix et dès lors de la non-intervention armée. Il escompte que les quatre puissances alliées entreront en négociations avec lui sur les affaires des Pays-Bas et qu'elles n'adopteront aucune mesure qui ne serait pas le résultat de délibérations communes.
Le 3 octobre, Molé, profitant d'un courrier de M. de Rothschild, affirme à Wellington « son désir sincère de maintenir la paix » et demande l'appui de l'Angleterre pour faire triompher le principe de non-intervention armée. « Il doit rentrer dans ses principes politiques comme dans les nôtres qu'aucune force étrangère ne soit employée à imposer à la Belgique un gouvernement dont elle ne voudrait pas. Ce point d'importance une fois sauvé, la question entrerait dans les voies d'une négociation entre toutes les parties intéressées et serait conduite, je n'en doute pas, à une issue favorable », car « la guerre si elle éclatait prendrait inévitablement un caractère redoutable et qu'elle n'a peut-être jamais eu ».
Mais avant que cette missive pressante n'arrive à Londres, le Roi d'Angleterre, Guillaume IV, avait envoyé le 3 octobre une lettre personnelle à Louis-Philippe. Rappelant tous les traités que la France a signés, il affirme que la France, aussi bien que les autres Puissances, s'est associée à la formation des Pays-Bas. Devant l'insurrection, il est devenu nécessaire, pour les puissances signataires des traités, de respecter leurs engagements et de considérer mûrement l'état actuel des affaires aux Pays-Bas, d'aider le roi Guillaume, par leur coopération amicale et leurs conseils, à trouver un arrangement qui puisse mettre fin à la confusion actuelle. La Grande-Bretagne désire, en accord amical avec la France et avec les autres Alliés, mettre à l'étude cette question si intimement liée aux intérêts généraux de l'Europe. Et le même jour, Lord Aberdeen rendant visite à Talleyrand lui annonça les intentions de son gouvernement. Le lendemain, Wellington confirmait ces vues en répondant à la lettre de Molé du 3 octobre. Il est certain que Wellington a agi rapidement du côté français pour éluder plus aisément la demande d'application du casus foederis faite par le roi des Pays-Bas. Le 5 octobre, la demande officielle néerlandaise « d'envoi immédiat du nombre nécessaire de troupes dans les Provinces méridionales des Pays-Bas, dont l'arrivée retardée pourrait compromettre gravement les intérêts de ces provinces et ceux de l'Europe entière... » était remise au Foreign Office. Elle ne devait recevoir sa réponse, et une réponse négative, que douze jours plus tard...
Les relations confiantes entre la Grande-Bretagne et la France dans les premières journées d'octobre 1830 ont été capitales pour le maintien de la paix. Les puissances étaient alors à la croisée des chemins. De l'attitude des deux Etats occidentaux dépendait la paix de l'Europe et aussi l'avenir de la Belgique. Le génie de Talleyrand a sans doute contribué pour une bonne part au rapprochement franco-britannique. Mais c'est accorder à ses Mémoires -cette habileté suprême -une attention trop grande, que de tout ramener à son action à Londres dans ces journées lourdes de menaces. Dès le 3 novembre, M. Bertin de Vaux, frère du directeur du Journal des Débats et nouveau ministre de
France à La Haye, appréciait plus justement le rôle de Talleyrand au parti duquel il appartenait cependant: « Je ne suis pas, vous le savez, écrivait-il à son ministre, disposé à méconnaître la supériorité de M. de Talleyrand; si, cependant, il croyait que les dispositions pacifiques de l'Angleterre sont l'ouvrage de son habileté, il serait, du moins je le crains, dans une grande erreur. Ces dispositions préexistaient à son arrivée dans ce pays; elles sont le résultat d'une juste appréciation de l'état actuel de l'Europe et des suites, à peu près inévitables, d'une guerre continentale. En effet, cette guerre ne peut manquer d'avoir pour résultat ou la prépondérance française ou la dictature de la Russie en Europe ». Ce n'est pas Talleyrand qui a séduit Wellington et l'a entraîné à proposer une conférence compromettante pour l'Angleterre, c'est le désir invincible de paix qui, bien avant l'arrivée de Talleyrand à Londres, a amené Wellington à envisager la participation de la France à une négociation générale sur les affaires des Pays-Bas. Et s'il précipite son action à la fin du mois de septembre, c'est moins à la suite des manoeuvres du grand Roué qu'à la nouvelle de l'appel prochain, par Guillaume 1er, de l'appui armé, appel attendu après les conversations que, le 26 septembre, l'ambassadeur anglais Bagot avait eues avec le ministre de Russie à La Haye et M. de Verstolk, lorsque l'échec du prince Frédéric à Bruxelles fut connu.
D'autre part on ne peut tenir pour négligeable avant l'envoi de Talleyrand à Londres -et même après -, quels que soient les sarcasmesdont Talleyrand ait accablé Molé, quelque étroites qu'aient été, par l'intermédiaire de Madame Adélaïde, soeur du nouveau roi, les relations entre Talleyrand et Louis-Philippe, on ne peut tenir pour négligeable l'action de Louis-Philippe et de son gouvernement, particulièrement de Molé. L'histoire de la France pas plus que celle de l'Europe en septembre 1830 n'est l'histoire composée par M. de Talleyrand. Dès le 28 août, le ministre Molé écrit au ministre des Pays-Bas, baron Fagel: « Je fais des voeux bien ardents pour que ces troubles s'apaisent, sans que votre Cabinet réclame l'appui d'aucun gouvernement, cela est, croyez-moi, d'une grande importance ». Et le lendemain à son ministre à Bruxelles, le marquis de la Moussaye, il écrivait: « La France et son gouvernement n'interviendront jamais ni directement ni indirectement dans les affaires intérieures des autres Etats, aussi longtemps que ce principe sera respecté par tous les Cabinets. Vous ne pouvez assez faire comprendre combien il importe au repos général qu'aucune nation voisine n'intervienne dans la crise qui se passe sous vos yeux ».
Le 31 août, Molé reçoit le « ministre » de Prusse Werther, qui n'avait pas encore reçu ses lettres de créance et lui affirme « qu'au cas où une puissance étrangère interviendrait par les armes aux Pays-Bas, le gouvernement français ne serait pas en état de contenir le peuple et de l'empêcher de se porter au secours de la Belgique ». Le même jour, à Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie dans la même situation officieuse que Werther, Molé déclarait plus catégoriquement encore que si d'autres puissances voulaient se mêler des soulèvements dans les pays voisins, elles auraient la guerre avec la France.
Louis-Philippe, lui-même, affirmait quelques jours plus tard au même Pozzo: « Si les Prussiens entrent en Belgique, c'est la guerre, nous ne le souffrirons pas ». Le 6 octobre, le général Mortier, ministre à Berlin, déclare nettement au ministre des Affaires étrangères Bernstorff que la France ferait marcher des troupes en Belgique si préalablement on y voyait entrer celles des puissances étrangères... « Nous ne reculerions pas devant la perspective de la guerre, si elle ne devait être évitée qu'au prix de la dignité nationale ».
Ce n'est pas M. de Talleyrand qui a fait cette politique, mais l'opinion publique française qui ne pouvait tolérer l'écrasement des Belges. La lutte est un conflit d'une singulière ampleur entre deux grandes idéologies. La France des « Trois Glorieuses », c'est celle de la souveraineté nationale et elle a en face d'elle les défenseurs de la légitimité et de l'absolutisme. Les monarchies militaires et les monarchies constitutionnelles sont en présence. La souveraineté des peuples et celle des rois se disputent le monde. Louis-Philippe, le roi des barricades, dont le trône est bien mal affermi, est obligé de répondre aux exigences des Français. Sans doute ne veut-il pas « se croiser » pour la liberté ni pour délivrer les nationalités opprimées, mais il doit donner à l'opinion excitée des satisfactions. Au surplus, au désir d'aider les Belges à se faire une patrie, se mêle chez certains Français –et ils sont nombreux -l'espoir de voir la France retrouver les frontières de la « Grande République » et de l'Empire. Il n'y avait pas plus de seize ans que le Rhin était encore français. Ambitions stratégiques, nostalgie de la grandeur passée, passion de la liberté, sentiments et idées contradictoires se mêlent, sans hypocrisie, dans le coeur et le cerveau des bourgeois et du peuple de Paris et des provinces.
Satisfaire ces voeux ardents sans être entraîné dans une guerre où son trône risque de s' écrouler, voilà la tâche difficile de Louis-Philippe dans les semaines agitées de l'été finissant. Officiellement, avec une constance remarquable, Louis-Philippe et son gouvernement sont décidés à rester dans les limites de la neutralité la plus stricte vis-à-vis des événements des Pays-Bas. « Nous repousserons inébranlablement de la part des Belges toutes les ouvertures qui tendraient à se réunir à nous; mais s'ils étaient les plus forts dans la lutte, s'ils se rendaient indépendants, nous ne souffririons pas qu'à main armée un gouvernement leur fût imposé ». Il n'est dès lors pour la France que de reprendre son thème initial d'une négociation. Le 28 août, Molé a déjà proposé une démarche commune franco-anglaise auprès de Guillaume 1er pour l'amener à donner des satisfactions aux Belges. Le 1er octobre il est revenu à la charge, le 3 c'est lui encore qui écrit ouvertement à Wellington. Pendant les journées décisives de ce début d'octobre il négocie adroitement avec l'ambassadeur d'Angleterre, avec l'ambassadeur extraordinaire de Prusse, l'illustre explorateur Alexandre de Humboldt et avec le ministre de Prusse. Cette entente entre les trois cours inquiète et désole la diplomatie hollandaise. Molé temporise, le déroulement des événements en Belgique est favorable aux Belges. Mais il n'a pas d'ambitions démesurées: la séparation, avec le prince d'Orange à la tête d'un gouvernement belge, lui apparaît comme la solution idéale qui sauvegarde les traités et doit satisfaire l'opinion française. Il mettra un mois cependant pour s'incliner devant les exigences de l'Angleterre, soutenue par Talleyrand, prêt à dire « l'Etat c'est moi ». Wellington réclame le siège de la Conférence à Londres, car il redoute les réactions de la presse et de la foule parisiennes, pour qui l'ouverture de la Conférence à Paris serait une magnifique satisfaction d'amour-propre et une grande revanche de Vienne!
Ainsi, l'action diplomatique française a été décisive; elle a empêché l'intervention armée qui aurait écrasé les insurgés belges. Par sa prise de position catégorique, elle a forcé Wellington, que l'état de l'opinion anglaise inclinait à renoncer à la guerre, à recourir à la négociation. Mais c'est l'agitation populaire, les réclamations de la presse, l'action des partis qui ont inspiré à Louis-Philippe et au gouvernement la crainte des Chambres et de l'opinion. Si les éléments populaires français, si la presse n'avaient pas mis l'épée dans les reins du Cabinet français, la France officielle n'aurait pas montré une attitude aussi résolue et le gouvernement anglais ne se serait jamais engagé dans la voie de la conférence: car il serait insensé de croire que Wellington, le bâtisseur de forteresses, était un chaud partisan des Belges et qu'il ait renoncé à la guerre et recouru à la négociation par amour des rebelles.
Ainsi, en France comme en Angleterre, l'action de l'opinion publique sur le cours de la diplomatie dans les moments critiques a été décisive. Le régime constitutionnel et libéral, l'opinion de deux grandes monarchies occidentales ont empêché les puissances absolutistes de recourir à la guerre et d'écraser les mutins qui voulaient la liberté et l'indépendance. Dans ce sens, il convient de dire que, par cette action, les éléments avancés, les républicains, le parti du mouvement ont sauvé l'indépendance de la Belgique dans les premiers jours d'octobre 1830, beaucoup plus que par l'envoi de quelques centaines de volontaires et de quelques caisses d'armes, arrivées d'ailleurs pour la plus grande part après les journées victorieuses. On a fait beaucoup de bruit autour de ces renforts en armes et en partisans. La diplomatie hollandaise a gonflé l'importance de ces secours, car c'était pour elle le meilleur argument à présenter aux Puissances Alliées pour déclencher leur intervention. Louis-Philippe et son gouvernement ont mis en oeuvre les moyens dont ils disposaient pour appliquer en fait la politique qu'ils défendaient en droit. Armée, police, magistrature, agissent en août et septembre 1830, animées d'un même esprit de pondération et de mesure. Aux frontières, les précautions sont prises. Dès la fin d'août des agents belges ont voulu entraîner les régiments français en garnison à Lille, mais « ces tentatives ont été nulles et de nul effet et toutes ces propositions ont été considérées comme une extravagance » fait savoir l'agent secret d'Herbigny au ministre Verstolk.
Les extrémistes français, qui voulaient aider les frères insurgés, groupés dans des sociétés, certaines secrètes, disposant de fonds, ont-ils réussi à porter aux Belges un appui efficace, avant les combats victorieux de Bruxelles?
L'étude de la politique d'intervention d'un pays dans un autre pays est toujours délicate. Il y a les documents. Mais les documents disparaissent. Il y a des faits aussi qui ne laissent pas de trace. Néanmoins, un faisceau concordant de preuves permet d'affirmer que les secours français avant le 1er octobre ont été d'importance minime.
L'arrivée des exilés, de Potier, Tielemans, Bartels et J .-B. de Nève au début du mois, avait sans doute provoqué une vive curiosité à Paris. Des manifestations de sympathie, des banquets avaient été organisés en leur honneur. De nombreux Belges, des Parisiens, pour la plupart du faubourg Saint-Antoine, venaient offrir à de Potter des « milliers de combattants déterminés à vaincre ou à mourir ». A tous « ces intrépides volontaires », de Potter faisait toucher du doigt qu'il y avait pour le moment impossibilité d'accepter leurs services. dans le journal républicain, la Tribune des Départements, de Potter publiait des articles invitant les Belges à une action énergique: séparation effective, imposée par le pays au souverain, nécessité de s'emparer des revenus publics pour organiser la défense de la patrie. Il critiquait la « révolution légale », mais il attendait vainement de Bruxelles la réponse à sa proposition d'envoi de volontaires.
A ce moment, les sociétés populaires parisiennes étaient elles-mêmes aux prises avec de très sérieuses difficultés. Les principaux groupements étaient Les "Amis du Peuple et la société Aide-toi, le Ciel t'aidera. Celle-ci comptait des membres de la loge maçonnique Les Amis de la Vérité. Son comité de quinze personnes, jouissant de pleins pouvoirs, prenait les décisions essentielles. C'était des gens connus au Palais de Justice et dans le commerce, des propriétaires, des marchands de bois, le premier avocat-général à Paris Berville, les substituts Ferdinand Barrot, Lanjuinais et Dupont, l'avocat Garnier-Pagès. Les réunions étaient secrètes et on ne peut parler à son sujet d'une société populaire, car elle n'avait point de rapports directs avec le peuple. Après la victoire de juillet, elle réunit des fonds pour les réfugiés espagnols qui désiraient gagner leur frontière. Un Comité prépara pour la Belgique des secours en hommes et en argent. Le 30 septembre, Charles-Antoine Teste, frère du général et du futur ministre, écrivait à C. Rogier : « Comme membre du Comité Directeur de la Société Aide-toi etc. je suis aussi du Comité Spécial qui a pour but de vous faire parvenir des secours en hommes et en armes. Je suis en communication avec vos braves compatriotes Thielmans et Vanderling (sic) qui sont ici. Nous espérons sous peu de jours vous envoyer quelques-uns de nos braves ». Les combats de Bruxelles étaient terminés...
En septembre 1830, la plus importante des sociétés populaires était Les Amis du Peuple. Elle avait été formée, le 30 juillet 1830, par un ancien notaire et des hommes de lettres, rédacteurs de la partie du journal Le Pour et le Contre, intitulée La Révolution. Des jeunes gens du commerce, des étudiants, d'anciens militaires formaient le gros de la société qui, à partir de la mi-août tint ses séances au manège Pellier, rue Montmartre. Plus de quinze cents personnes, beaucoup de jeunes gens et de curieux s'y pressaient. Trois tendances, jacobine, saint-simonienne et constitutionnelle y étaient représentées et l'absence de principes communs l'affaiblissait. Des affiches appelant les gardes nationaux, les chefs d'ateliers et les ouvriers à renverser la Chambre furent saisies par la police et leurs auteurs poursuivis. Les bourgeois parisiens s'inquiétaient de l'activité de cette société. Ils voyaient dans ses membres « les jacobins ressuscités ». Le commerce maudissait l'existence de ce club auquel il attribuait le malaise économique général. Le soir du 25 septembre, au local des Amis du Peuple, une foule de gens fort mal disposés » se mêla aux membres habituels. Une foule, toujours plus nombreuse, encombra la cour, puis la rue Montmartre. Coups de sifflet, interpellations, cris « à bas le club! », bagarres. Le saint-simonien Buchez et le philosophe-professeur Marrast ne purent se faire entendre. A la demande de la garde nationale, la séance fut levée dans le tumulte. Le lundi 27, il n'y eut point de séance et le 2 octobre s'ouvrit le procès des auteurs des affiches. Appliquant l'article 291 du Code pénal, le tribunal prononça la dissolution de la société, déclara « bonne et valable » la saisie des registres et condamna le président Hubert à trois mois de prison. Les séances furent suspendues ou demeurèrent secrètes.
Ainsi donc, cette société avait de graves soucis au moment même où elle cherchait à venir en aide aux insurgés des pays voisins. Aussi le « bataillon » qu'elle envoya à Bruxelles, où il fit son entrée le 7 octobre, ne comptait pas cent hommes.
Au ministre des Pays-Bas à Paris, le général baron Fagel, n'avaient naturellement pas échappé les « menées qui se pratiquaient à Paris assez publiquement pour l'enrôlement des Belges », mais après une enquête minutieuse, il écrit le 25 septembre à son ministre qu'il ne considère point comme dangereuse l'action « d'un ramassis de brouillons », qui avait de vagues projets de faire une guerre de guérillas! Aussi bien, ce n'était pas tellement d'hommes qu'on manquait en Belgique, comme l'écrivait Gendebien, mais de fonds. Malheureusement, ceux-ci manquaient aussi en France. Tielemans, qui remplaça de Potter à la présidence de la commission de l'Association Belge, après son départ pour Lille le 18, s'est heurté à de sérieux obstacles pour réunir les sommes nécessaires à l'armement et aux frais de voyage. « Elle n'avait pour toutes ressources que les offrandes de quelques amis de la liberté », écrivit le 16 octobre, dans un rapport découvert par L. Leconte, Tielemans, devenu chef du Comité de l'Intérieur du Gouvernement provisoire. Heureusement, « le général La Fayette offrit de se porter caution d'un emprunt de 12.000 francs que la commission avait jugé indispensable », et le banquier Lafitte avança les 12.000 francs. A Valenciennes, le comte Frédéric de Mérode donna 3.000 francs pour l'achat d'armes destinées à des volontaires.
Ces détachements de Belges et de Français n'arrivèrent qu'après les Journées de septembre. Le détachement Seghers-Coché, comprenant 90 hommes entra à Bruxelles le 1er octobre. Ces hommes portaient sur leur chapeau l'inscription : « Légion Belge de Paris ». La « Légion belge-parisienne » de Cruyplants et le détachement « Gallo-belge » d'Auger, partis de Paris le 29 septembre arrivèrent le 2 octobre; les « Inséparables Belges-Parisiens » formèrent un corps francs à Bruxelles entre le 1er et le 5 octobre sous la direction de Black, américain de naissance, officier d'ordonnance du général Lafayette. Quant au « Régiment des Tirailleurs Parisiens» du vicomte de Pontécoulant, il quitta Paris le ler octobre et arriva à Bruxelles, le 4 à deux heures de l'après-midi. Pour ce qui est des quelques dizaines de volontaires de Roubaix, conduits par un assez triste personnage, Bowens,ils traversèrent Tournai le 29 septembre et les volontaires belges de Lille, dirigés par un Audenaerdois, F. M. Feyerick, qui avait installé à Lille une maison de commerce, n'arrivèrent eux aussi à Bruxelles qu'après les Journées.
Le National du 3 octobre a signalé le départ de volontaires le 30 septembre, acclamés par la population parisienne débordant d'enthousiasme. Trois cents Belges de Paris chantaient la Parisienne et marchaient derrière un drapeau brabançon portant ces mots « les Belges parisiens volent au secours de leurs frères ». Ils remplirent jusqu'à l'impériale les diligences des « Messageries Laffite et Caillard » et prirent le chemin du Nord. Ces divers groupements aux médiocres effectifs et fort indisciplinés arrivèrent trop tard pour prendre part aux journées décisives, mais jouèrent un rôle au cours de la campagne d'octobre.
Quelques Français se distinguèrent cependant au cours des combats de Bruxelles. Le plus marquant est assurément le « général » Mellinet. Ce fils de conventionnel, ce colonel de la République et de l'Empire, cet adjudant général des Cent Jours, proscrit par Fouché, dirigea les évolutions des artilleurs à la Place Royale. Son expérience militaire lui assura une rapide popularité. Don Juan Van Halen l'attacha à son état-major. Mais les autorités belges craignaient une déviation du mouvement et redoutaient les étrangers. Après la retraite des troupes royales, Charles Rogier, dont le père était pourtant né en France de parents belges, déclara à Mellinet qu'on n'avait plus besoin de ses services et qu'il pouvait rentrer en France. Mais plus habile que Van Halen, Mellinet remplit les fonctions de chef d'état-major sous le successeur de Van Halen, le général Nypels, et il se distingua dans la campagne d'Anvers à la tête de sa célèbre brigade.
Ernest Grégoire, né à Charleville, mais docteur en médecine de l'Université de Liège, Charles Culhat, clermontois qui se faisait appeler « vicomte Charles de Culhat » ou le strasbourgeois Ch. Niellon, tour à tour marchand de vin, littérateur, acteur, organisateur de pantomimes militaires jouées par des enfants, sont bien plus révolutionnaires que Français. D'un tempérament de rebelles, aimant la lutte, passionnés de liberté, ils avaient le goût de l'agitation et de la conspiration. C'est le même idéal qui inspire d'autres étrangers: le Rhénan Pierre-Antoine Stjeldorff, lieutenant au corps franc de Pierre Rodenbach et défenseur de la Porte de Schaerbeek le 23, J. J. Tucks, né à Bitburg, près de Trèves, ancien caporal fourrier au service des Pays-Bas, puis commis-voyageur, qui vint de Liège à Bruxelles au début de septembre et se distingua pendant les Journées. Deux Américains, Arthur et Auguste Beaumont, sont animés d'un même souffle de liberté. Ils quittent Paris le 20 septembre pour aider la révolution qui progressait à Bruxelles: « pour déposer le Roi, par la grâce de Dieu, imposé aux Belges par l'ordre des despotes de Vienne ». Ils « souhaitaient rendre à Lafayette la part de la dette que tout Américain doit à ce Patriarche de la Liberté, et que chaque ami des droits de l'homme peut seulement acquitter en faisant tout ce qu'il peut pour la même cause, bienfait de toute la race humaine ». Ces deux Américains « libertaires» ont soin d'indiquer dans l'appendice de la brochure qu'ils publièrent sur « leur aventure à Bruxelles » que « La Fayette, par son éloge récent de la Monarchie, a singulièrement réduit la dette que le monde lui doit, mais qu'il a toujours droit à la gratitude de l'Amérique ». Don Juan Van Halen, Espagnol d'ascendance belge, est aussi un représentant remarquable des chevaliers de la liberté de cette époque agitée. DeParis, dePotter assurait que « Belges, Français, Polonais, Allemands, Italiens, Espagnols, tous mettent leurs bras et leur sang à votre service ». En 1830, l'Internationale de la Liberté était une force.
Un autre caractère commun à bon nombre de ces révolutionnaires actifs, c'est leur qualité d'ancien soldat de Napoléon. Le nombre est considérable d'officiers et de sous-officiers de la Grande Armée qui se sont distingués en 1830 sur les barricades, ou qui ont pris dans leur village le commandement de petits détachements de volontaires et les ont conduits à Bruxelles. Leur expérience militaire a été d'un puissant secours pour les combattants improvisés. Niellon avait été, à dix-sept ans, en Espagne, il avait fait la campagne d'Allemagne et s'était battu à Waterloo. Jean-Joseph Charlier avait gagné une jambe de bois dans les armées de l'Empereur. Le major Kessels, tout jeune, avait servi dans la marine impériale. Maissonneuve qui arriva à Bruxelles avec des Borains, le 26 septembre, était un français de l'Ardèche, ancien major de l'Empire, retiré en Belgique en 1815. Casimir Mention, un framerisous, contrôleur de charbonnages avait servi dix ans au 82e de ligne français. C'est lui qui commanda les volontaires de Frameries le 25 et le 26 septembre. Degallais, chef des Leuzois était ancien officier de l'Empire et Isidore, dit Charles Boucher, commandant des volontaires de Fleurus était aussi « un vétéran des armées impériales ». Ce n'est peut-être pas tellement l'attachement au souvenir de l'Empereur qui est remarquable chez ces vétérans que le goût de l'action violente et de l'aventure.
Parmi les Francais accourus au début d'octobre, beaucoup aussi ont servi sous l'Empire et se sont distingués pendant les « Trois Glorieuses» de iuillet. Un des commandants de ces groupements, le vicomte Adolphe de Pontécoulant, est une figure extrêmement représentative de ces révolutionnaires de 1830. Fait prisonnier à la campagne de Russie, il fut libéré et se battit à Waterloo dans les rangs impériaux. « Républicain », ce fils de l'ancien préfet de la Dyle, pair de France sous Louis XVIII, partit pour l'Amérique du Sud où sa participation aux mouvements insurrectionnels lui valut d'être condamné à mort. Il réussit à s'évader et, fonctionnaire assagi, il resta calmement à Paris jusqu'aux journées de Juillet où il monta sur les barricades. Le 3 octobre, il arrivait à Mons et commençait une nouvelle équipée...
Il ne faut donc point exagérer l'importance de la participation française aux Journées de septembre. Ces constatations ne doivent cependant pas faire oublier l'attitude ferme et résolue du gouvernement français, sous la pression
de l'opinion publique, au cours des mois de septembre et d'octobre 1830. La décision clairement énoncée par la France de ne laisser aucune puissance étrangère envoyer des troupes en Belgique pour mater l'insurrection a sauvé l'Etat naissant.

* * *

Reste enfin à examiner l'attitude de la puissance internationale par essence, le Saint-Siège, à l'égard de notre Révolution. Le Saint-Siège, depuis le Congrès de Vienne, s'est voué à la défense des monarchies légitimes et du système de Metternich. Le Pape Pie VIII, son secrétaire d'Etat Albani, son successeur Grégoire XVI, Lambruschini, nonce à Paris au temps des « Trois Glorieuses », secrétaire d'Etat en 1836, n'ont aucune sympathie pour les « révolutionnaires », fussent-ils belges et désireux de se libérer d'un roi protestant. Hommes d'Ancien Régime, ils se défient du clergé gagné aux idées menaisiennes et ont en horreur les conquêtes libérales. L'encyclique Mirari vos, en 1832, condamnera les idées nouvelles. Déj à le ler décembre 1830, le futur secrétaire d'Etat se livrait à une charge à fond contre le projet de Constitution en discussion devant le Congrès national, en des termes sévères et extrêmement représentatifs de la mentalité de l'époque: « Pour ce qui est de la religion, je veux bien admettre que les Hollandais avaient des torts immenses envers les Belges, mais n'empêche que le projet de constitution, pour une nation entièrement catholique, est athée. La religion catholique n'est même pas nommée et ce que l'on appelle la liberté de conscience est garantie; cette liberté, au fond, n'est rien d'autre que la proclamation de l'indifférentisme religieux et l'expression de l'incrédulité. Voilà la religion que cette révolution offre aux peuples ».
Après les journées de Juillet, le nonce à Paris Lambruschini vivait dans la crainte de « la guerre civile, du terrorisme, de la spoliation des propriétés et de tous les massacres de la révolution de 1789 ». Aussi sera-t-il partisan d'une intervention des puissances responsables de l'ordre et de la légitimité contre les Belges révoltés. L'internonce Cappacini -dès le 31 août 1830 -pour éviter de se compromettre, se réfugia chez des amis à la campagne, à la «Haie Sainte» près de Waterloo, puis se rendit à La Haye. II revint avec le Prince d'Orange à Anvers le 5 octobre pour essayer de lui concilier les faveurs du clergé, ce qui indique bien les intentions de la Curie Romaine, tandis que son secrétaire, le chanoine Antonucci, sauf un bref séjour à Bruxelles dans la seconde décade du mois, résida aussi à la «Haie Sainte». Celui-ci n'aime point les rebelles et ce n'est sûrement pas lui qui aurait lancé les mots d'ordre de soulèvement au clergé belge. Quant au secrétaire d'Etat Albani, il espérait le 11 septembre que le clergé belge en restant sur la réserve, s'était conduit comme il convenait à son caractère et il ajoutait: « je le suppose d'après le silence des ,journaux à ce sujet, mais il me serait très utile de le savoir avec précision ».
Ainsi la Curie Romaine et ses représentants aux Pays-Bas en 1830, loin de contribuer au soulèvement de la population catholique contre un roi calviniste, ont regretté les événements en Belgique. C'est une erreur de croire, selon l'avis exprimé dans les pays protestants, que le Saint-Siège salua avec une joie indicible l'indépendance de la Belgique et la création d'un nouvel Etat catholique en Europe occidentale.
Mais la politique de Rome est une chose et la conduite du clergé belge en est une autre. Le clergé belge, à la fin de 1829, s'est lancé dans la mêlée politique et a soutenu les pétitionnements. La lutte entre l'Eglise et l'Etat n'avait d'ailleurs jmnais cessé depuis 1815 et la conclusion du Concordat, dont l'application était lente, n'avait pas rallié au régime le clergé belge. La formule Domine salvum fac regem Gulielmum était abrégée en 1830, les prêtres laissant tomber le nom du souverain. La lutte sourde entre les deux pouvoirs continuait. Ni le roi, ni les ministres, ni les conseillers d'Etat ne sont mieux disposés au début de 1830 à l'égard de l'Eglise romaine qu'ils ne l'étaient auparavant. Le roi réagit en calviniste, dont les prétentions sont irréductibles, en homme féru du pouvoir absolu, dont les concessions aux catholiques ne sont que pur opportunjsme et espoir de briser le bloc de l'Union des opposjtions. Les ministres, tous calvinistes et hollandais, à l'exception de deux belges qui n'aimaient pas le clergé, n'ont qu'un but: favoriser les protestants et les Hollandais. Tels étaient les jugements portés par l'internonce Cappacini le 22 février 1830, dans un rapport circonstancié envoyé à la Curie.
La suppression du Collège Philosophique, le 9 janvier, n'a donc pas calmé les « apostoliques ». Les concessions n'ont pas séparé libéraux et catholiques. L'Union était solide, sans quoi les journées de Juillet et les manifestations anticléricales qui ont eu lieu dans de nombreux endroits en France où l'on fêtait la disparition du régime du « Trône et de l'Autel» et de la domination de la « Congrégation » auraient séparé les « alliés », qui s'étaient coalisés contre le pouvoir.
Les libéraux ont salué avec joie la Révolution française. « Ils sont au septième ciel» écrit Cappacini le 2 août 1830, tandis que les incidents de France (prêtres molestés, évêques en fuite, croix brisées) relatés par la presse des Pays-Bas alarment singulièrement de nombreux catholiques. Les journalistes de l'opposition catholique sont mal à l'aise et les ministériels insistent sur la gravité de ces manifestations dans le but de séparer libéraux et « apostoliques ».
A en croire le chanoine Antonucci, secrétaire de l'Internonce, le clergé et les catholiques seraient restés indifférents devant la Révolution de Paris, parce qu'ils appréhendaient une domination libérale et ils auraient encore gardé la même attitude au début de la Révolution belge jusqu'au retour de de Potter à Bruxelles, c'est-à-dire le 28 septembre. Ce serait seulement alors qu'ils auraient cédé aux manoeuvres de de Potter qui voulait les gagner à ses vues pour stabiliser un gouvernement républicain en Belgique. Mais il est bien forcé de reconnaître que le clergé et la noblesse ne font rien pour calmer l'enthousiasme populaire et il admet qu'ils partagent, mais secrètement, le désir du peuple de voir réaliser l'indépendance de la Belgique.
Il est certain que le haut clergé, au cours des semaines difficiles de septembre est resté à l'écart. Le 23, l'archevêque Prince de Méan écrit à son vicaire général Sterckx : « Depuis hier soir, on entend ronfler le canon du côté de Bruxelles. Musique fort désagréable pour des gens pacifiques comme nous ». C'est l'époque des confirmations et l'occasion est excellente pour Mgr Van Bommel, évêque de Liège, de rester éloigné du siège épiscopal, menacé d'ailleurs par des troublions. Il passe tout le mois de septembre dans le Limbourg, de même que l'évêque de Gand, Mgr Van de Velde, parcourt la campagne flamande. Ils ne cherchent pas à exciter la population. Au contraire, ils la calment et le gouverneur du Limbourg, de Beckman, se félicite de l'action modératrice de Mgr Van Bommel auprès des populations foncièrement catholiques de cette province. A Liège, le vicaire général Barret est également absent. A la demande du gouverneur, son remplaçant Tilquin fait lire le 16 septembre au prône un appel au calme et au respect de l'ordre. A Gand, l'évêque promet une enquête à l'égard d'un vicaire qui, le 18 septembre, a fait afficher le texte d'une adresse au roi demandant la séparation.
Il y a donc des prêtres moins prudents. Le bas clergé, moins subtil et qui ne se soucie pas de diplomatie européenne ou ecclésiastique, est pour la plus grande part du côté des « patriotes ». Les idées menaisiennes ont fait leur chemin et l'idéal de liberté brûle l'âme de nombreux curés et vicaires. Les journaux de l'opposition: le Courrier de la Meuse, le Catholique des Flandres, le Vaderlander, Den Antlverpenaer, sont lus par ces hommes, qui, Belges, n'éprouvent aucune sympathie et ne s'en cachent pas, pour la Hollande calviniste.
A Anvers, en Campine, dès la fin août, des prêtres excitent le peuple. En Flandre, vers la mi-septembre, les autorités s'inquiètent de l'activité du clergé dont l'influence est immense. A Liège, les curés de Saint-Denis, de SainteVéronique et de Saint-Pholien sont suspects aux yeux des ministériels. Duvivier, curé de Saint-Jean, fut décoré de la croix de fer pour son patriotisme et son dévouement lors du combat de Sainte-Walburge. Des prêtres ont ouvertement excité les rebelles au combat, ainsi Jean Antons, à Louvain, le 23 septembre. Dans les campagnes brabançonnes, ils bénissent les volontaires et font prier pour la victoire. Un observateur français Rey, le 30 septembre, insiste sur la présence à Bruxelles de «beaucoup de curés, ce qui imprime au mouvement un caractère sérieux », car le clergé est dans ce pays une « corporation extrêmement influente ». Une fois les troupes chassées de Bruxelles, le ralliement sera général et le rôle du clergé dans les régions où son prestige est considérable et son autorité incontestée a été alors décisif.
Les grands courants internationaux d'idées ont donc profondément marqué les populations belges en 1830. Le mouvement du cathlolicme libéral a entraîné de nombreux, membres du clergé, et d'autre part, à l'idéal de liberté, des jeunes libéraux étaient prêts à sacrifier la domination intellectuelle de l'Etat. Les radicaux, les « jacobins » comme on les appelait, brûlaient de l'espoir d'une rénovation profonde de la société politique. Ils étaient animés des mêmes enthousiasmes qui soulevaient Espagnols, Grecs, Italiens, Français vers la conquête de la liberté. Certains étrangers, parmi lesquels des adhérents de sociétés secrètes, vinrent même se battre sur notre sol et y retrouvèrent des amis, ardents défenseurs des idées libérales. Don Juan Van Halen, Alexandre Gendebien, Joseph Lebeau, voilà trois noms parmi d'autres, de patriotes de 1830, qui avaient été initiés à la Franc-maçonnerie. Mais,de même que la hiérarchie catholique, attachée au conservatisme, était très prudente en 1830, de hauts dignitaires de la Franc-maçonnerie -le prince Frédéric était grand-maître de l'Ordre et son frère, vénérable de la loge bruxelloise l’Espérance -cherchaient aussi à freiner le mouvement, comme nous l'apprennent les Mémoires de Gendebien et du lieutenant général Du Monceau.
Ainsi, la Révolution belge de 1830 est inséparable de l'idéologie libérale et nationale de l'époque. Il n'y a pas que le sort diplomatique du nouvel Etat qui soit lié intimement à l'histoire générale de l'Europe.

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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Le rôle de Bruxelles, dans les événements de 1830, est capital. L'émeute du 25 août, après la représentation de La Muette de Portici, est la première manifestation révolutionnaire. La victoire du Parc est le signal de la libération nationale. Sans la résistance héroïque des obscurs combattants des barricades, le 23 septembre, le cours de l'histoire de la Belgique aurait été très différent.
La place que Bruxelles occupait dans les anciens Pays-Bas catholiques était certes considérable, mais lorsqu'elle eut été élevée en 1815 au rang de capitale du Royaume des PaysBas, son importance et son prestige grandirent singulièrement. Ville symbole de la « nation belge », c'est là que le Courrier des Pays-Bas et que le Belge lancèrent leurs attaques contre les ministériels, c'est là que de Potter, Bartels, Nève et Tielemans furent condamnés à l'exil.
Liège, autre capitale d'un Etat naguère indépendant, est davantage encore à la pointe du combat pour la liberté. Le 26 août au soir, à la nouvelle de l'émeute bruxelloise, les premiers mouvements populaires inquiétèrent l'autorité: l'on chanta dans les cabarets les « Marseillaises parisiennes ». Le lendemain, le gouverneur Sandberg prit une décision audacieuse. Il créa une « Commission de sûreté publique », composée de leaders de l'opposition constitutionnelle et d'industriels. Le comte Eugène d'Oultremont en fut le président et elle compta parmi ses membres, Constantin de Gerlache, Lebeau du Politique et D. Stas du Courrier de la Meuse. La garde communale avait occupé les postes tenus par la troupe qui s'était retirée à la Citadelle. Une garde bourgeoise fut constituée. Le 28, les deux gardes prirent les couleurs liégeoises rouge et jaune. Sandberg avait cédé très vite: la garnison lui paraissait insuffisante, la garde communale peu sûre, la Régence sans ascendant « dans une ville comme Liège, entourée de communes remplies d'ouvriers armés, et pouvant vomir sur Liège 30 à 40 mille ouvriers », comme il l'écrivit le 29 août. Il a choisi pour faire partie de la Commission, des gens « qui avaient pouvoir sur les masses, sur les gazettes paraissant 2, 3 fois par jour ». Et quant à son titre il avait reculé devant « Salut public, qui sonnait mal par les souvenirs... ».
Mais cet organisme apparut dès le lendemain trop ministériel aux yeux des Liégeois avancés. Ses membres furent rudoyés parce qu'ils ne distribuaient pas de fusils à tout le monde, n'ordonnaient pas la construction de barricades, n'exigeaient pas l'occupation de la moitié de la Citadelle, n'organisaient pas une sortie armée contre les dragons qu'on supposait venir de Maestricht.
Un homme bien mis criait tout haut: « sans ces c... vendus au gouvernement et leurs faibles mesures, dix mille Liégeois seraient en armes, sur le chemin de Bruxelles ». D'autres, dans le vestibule de l'hôtel de ville déclaraient « que l'on devait pleurer de rage en songeant que Liège ne donnait plus l'exemple, mais allait à la remorque de Bruxelles »; le Courrier de la Meuse et le Politique, jugés trop modérés, furent déchirés dans les cabarets...
Puis l'agitation ouvrière s'envenima. Le pain était cher et rare, car les grains n'arrivaient plus au marché. Il fallut réduire le prix du pain de huit cents, mais les attroupements ne cessèrent point. La nouvelle de l'approche de renforts de troupes, le bruit d'opérations militaires sur Bruxelles, le retour de La Haye, les mains vides, de la députation envoyée le 28 auprès du roi, excitèrent la population. Des attroupements tumultueux parcoururent la ville le 2 septembre et le soir deux mille six cents fusils, destinés à l'Espagne, entreposés chez le fabricant d'armes Devillers, tombèrent aux mains du peuple. Les gardes communale et bourgeoise furent débordées, la Commission de sûreté démissionna. Charles Rogier fut mis à la tête du mouvement populaire et il organisa le départ de volontaires pour Bruxelles. Les patriotes liégeois et bruxellois étaient, en effet, en relations suivies. A Tirlemont se rencontraient leurs émissaires. Le 2, Ducpétiaux, Claes et Jottrand rédacteurs au Courrier des Pays-Bas avaient eu, à Liège, une conférence avec le comte d'Oultremont et les deux frères Rogier et la décision fut prise de porter secours à Bruxelles. Cinquante et un jeunes gens des plus fougueux à la tête desquels se trouvait Firmin Rogier partirent par la diligence et par la poste. Charles de Luesemans, un jeune stagiaire qui avait été envoyé en mission, rentra de la capitale avec une demande de secours. Quelques heures plus tard, dans la matinée du 3 septembre, le jeune Chazal et un
vétéran des guerres d'Italie et d'Amérique, BellPellafinet, vinrent aussi demander de l'aide. Le soir, à dix heures et demie, cent trente volontaires conduits par le chevalier de Bosse de Villenfagne partirent avec deux pièces de canon et un caisson. Pendant la journée, par la diligence, sur l'impériale de laquelle cinq caisses d'armes étaient arrimées, s'en étaient allés quatorze jeunes gens de bonne famille, guidés par le chevalier de St-Roch. Le lendemain, le 4, à neuf heures du soir, « sur un cheval blanc, en frac et en chapeau, ceint d'une écharpe aux couleurs liégeoises », Charles Rogier prit la direction d'un détachement de cent trois volontaires, qui tous chantaient la Marseillaise. Dans la cour du Palais des Princes Evêques, il avait harangué ces hommes et leur avait promis « de la liberté, de la gloire, mais point de richesses ». A Jodoigne, la troupe s'augmenta de seize unités. Les deux groupes de Bosse et de Rogier, réunis à Auderghem, firent une entrée impressionnante à Bruxelles le 7 septembre.
La bourgeoisie liégeoise, dès le 3 septembre dans l'après-midi, avait organisé une nouvelle garde, commandée par un ancien militaire, Charles Behr. Le 4, la Régence, qui surnageait après tous les bouleversements, la déclara ouverte à tous les citoyens âgés de 18 à 50 ans.
Le 7, le comte Clément de Berlaymont, membre des Etats-Provinciaux, remplaça Behr, fils d'un général au service du roi, au commandement de la garde urbaine qui prit de plus en plus une allure militaire. Dandelin, professeur à l'Université, dirigea la commission de défense. Les jeunes gens furent exercés aux manouvres de l'artillerie, des dizaines de milliers de cartouches furent fabriquées. Les manifestations patriotiques se succédèrent: le 7, la remise des drapeaux aux quatre légions se fit solennellement pendant que la musique jouait 1e Valeureux Liégeois. Cet air qui rappelait d'anciens souvenirs produisit un effet magique sur la garde et sur la foule immense qui assistait à cette cérémonie. Le 12, une brillante revue se déroula place Saint-Lambert. Cependant, l'agitation populaire ne cessa pas. L'activité et le redressement de la Régence, orangiste, l'inquiétaient. Le 13, la foule empêcha une expédition d'armes pour la Basse Meuse. Deux jours après, elle s'assembla à nouveau pour réclamer des armes. La masse hurlait: « à bas la Régence! », voulait aller incendier la maison du bourgmestre, des échevins, du directeur de la police. Deux patrouilles de la garde firent feu.
Les « libéraux purs », c'est-à-dire les antiunionistes, cherchèrent à diviser l'opinion. Une campagne de dénigrement contre les catholiques fut menée subtilement. D'Oultremont, l'avocat Etienne de Sauvage, Stas furent accusés de pousser au désordre. On voulait ainsi détacher du mouvement les bourgeois libéraux-unionistes. Le 15, la Régence désigna une « Commission consultative » composée de libéraux ennemis de l'apostolisme. Mais les efforts des futurs orangistes échouèrent. Le Politique et les libéraux-unionistes ne se laissèrent pas entraÎner dans le traquenard préparé. Le Politique défendit le Courrier de la Meuse, l'organe catholique, et riposta en accusant les agents ministériels d'avoir provoqué les troubles de la mi-septembre. «L'argent de la Hollande a été semé... On espérait, à la suite des désordres, faire réarborer la couleur orange, ôter le drapeau liégeois, et, par l'intervention de quelques citoyens effrayés, faire solliciter l'arrivée des troupes de la Citadelle et de Maestricht... » Au surplus, le palais de l'évêque, menacé d'incendie dès la première journée des événements, le fut encore le 17 au soir par quelques mauvais sujets. On ne pouvait vraiment mettre ces tentatives sur le compte des catholiques!
Le parti patriote déjoua donc la manoeuvre et réagit avec énergie. L'attitude du pouvoir militaire l'inquiétait. Le 19, un jeune Liégeois est abattu par une sentinelle hollandaise. Le peuple s'émeut et la Chartreuse, qui n'était plus tenue que par quelques soldats, est occupée, le 20, par la compagnie d'artillerie de Dandelin. Le 22, la maréchaussée -qui cependant faisait le service en blouse -fut désarmée et une véritable expédition militaire alla surprendre un détachement des troupes royales, à Oreye, sur la route de Bruxelles.
Les bruits de l'attaque contre Bruxelles, les menaces de bombardement font perdre rapidement à la Régence le peu d'autorité qu'il lui restait. Le 22, elle est prête à se dissoudre. Le gouverneur, resté à son poste, renonce à constituer une nouvelle Commission de sûreté. Il en donnait les raisons au ministre de l'Intérieur, le 24 septembre: « Pour qu'elle eût force et pouvoir, il fallait qu'elle fût dans les opinions du moment, et les hommes pris dans cette opinion; or, cette opinion, depuis quatre semaines, n'est pas restée stationnaire, et si au 27 août on voulait la sûreté publique, on voulait au 8-15 septembre des comités de défense et depuis 5 ou 6 jours on ne parle que d'attaquer: ma commission instituée et dirigée par moi devrait donc organiser l'attaque contre les troupes royales, envoyer secours sur Bruxelles, etc., etc. Cela ne pouvait être... Depuis le 19 septembre, même pour ce gouverneur indulgent: « jamais l'état de guerre ne fut plus signalé ».
Les patriotes triomphent donc. Le 23, on pille de nouveaux marchands d'armes et dans la nuit un premier détachement de volontaires vervjétois, drapeau vert et blanc en tête, vient renforcer les hommes prêts à se battre. Le 24, l'alarme est donnée. « Les Hollandais descendent de la Citadelle! ». On bat la générale, le tocsi sonne, des barricades sont dressées, des pavés portés aux étages, des femmes s'arment de fusils. Des compagnies de houilleurs accourent de la banliue. Plus de dix mjlle personnes en armes étaient résolues à défendre la cité. Mais ce n'était qu'une fausse alerte: une corvée de soldats à la recherche de pommes de terre avait été prise pour l'avant-garde d'une sortie en masse de l'armée. Cependant, l'anxiété grandit parmi les initiés. Depujs le 22 on est « sans nouvelles directes de Bruxelles ». Les patriotes font des conjectures, sont rongés par le doute et espèrent malgré tout. « ...(Les nouvelles) qui nous sont parvenues par Namur annoncent qu'on se bat et qu'on fait des sorties et des prisonniers. Un homme, venu de Saint-Trond, dit qu'il y est arrivé plusieurs charrettes pleines de Hollandais blessés. Les gens de la campagne prétendent entendre le canon dans la direction de Malines. Au milieu de tous ces bruits, ce qui semble probable, c'est que le prince Frédéric n'a pas l'avantage, puisqu'on l'ignore encore ici. S'il triomphait, 20 estafettes nous l'auraient déjà annoncé », écrit Firmin Rogier à son frère Charles le 25 septembre. Et Firmin qui vient de recevoir une lettre de son frère Charles, datée de Genappe, 23 septembre, écrit: « ...nous ne comprenons pas ici comment l'ami C(harles) écrit de Genappe... s'il s'est éloigné de Bruxelles, tout y est donc désespéré; pour moi, je m'y perds... Où est donc Paul D(evaux) et L(ignac) qui ne nous écrivent pas plus que s'ils étaient morts ». Mais malgré l'absence «d'hommes supérieurs », le « manque de direction », Firmin Rogier et avec lui les patriotes liégeois, conservent encore de l'espoir. « Si Bruxelles se soutient et repousse les attaques, tout ira bien. Sinon... ».
Aussi le commandant en chef de la garde urbaine, Berlaymont, donne ordre au maréchal des logis, Alexandre Lucas, chef d’une douzaine de cuirassiers qui ont déserté à Vroenhoven le 11 septembre, d'organiser une expédition pour « marcher au devant des ennemis de la liberté ». Il s'en va le 26 à quatre heures de l'après-midi, avec six cents hommes et deux pièces de canon. Il se dirige à travers la Hesbaye, mais en cours de route reçoit l'ordre de Berlaymont de rejoindre un second détachement armé, celui du major Mathot : « D'après les nouvelles reçues aujourd'hui (le 27), nous sommes vainqueurs à Bruxelles et ils n'ont plus besoin de renforts; mais des déserteurs arrivés de la Citadelle nous ont appris qu'ils étaient prêts à se rendre, si on la cernait, ils sont dans la plus grande misère, et maintenant on sonne les cloches de joie à Liège ».
L'investissement de la Citadelle, où Van Brecop est enfermé avec huit cents Belges et sept cents Hollandais, menacés par la famine, commence le 27. Les efforts du général Dibbets, commandant la Place de Maestricht pour ravitailler son subordonné, échouent. Le 28, un premier convoi est repoussé. La tentative du général Daine que Dibbets envoie avec un convoi de vivres et des moyens importants, provoque le 30 un véritable combat à Ste-Walburge. Les volontaires « franchimontois », accourus de Verviers, de Hodimont, de Dison et ceux du plateau de Herve sont bousculés par les cuirassiers, mais les barricades et le feu qui part des maisons de Ste-Walburge brisent l'élan de la cavalerie. Daine se replie vers Tongres... Une sortie de trois cents soldats réussira cependant à repousser les insurgés, mais il était trop tard: Daine et son convoi avaient disparu.
L'échec de ces opérations renforce l'excitation de la garnison belge, qui conspire, médite d'incendier le quartier des Hollandais. Le conflit devient aigu. Van Brecop, irrité, songe à un pillage des maisons en dehors de Hocheporte, mais ce serait le signal d'un combat sanglant entre les soldats des deux nations. Le major l'Olivier, un Belge, convainc son chef de renoncer à la lutte. Le 6 octobre, Van Brecop et les neuf cents Hollandais sortaient de la Citadelle et rejoignaient Maestricht, abandonnant la place aux Belges du major l'Olivier, chargé de la remettre à la garde urbaine liégeoise.
Les Liégeois ont donc mené une lutte remarquable pour se, libérer de l'armée royale et leurs volontaires à Bruxelles ont pris une part importante aux combats. L'entente entre les patriotes des deux cités est significative. Dès le 3 septembre, le Politique écrivait: « le courage des habitants de Bruxelles fait la plus profonde impression à Liège. » Le lendemain il ajoutait: « (A Bruxelles) on appelle les Liégeois comme des frères » et il affirmait que « Les Bruxellois ne compteraient pas vainement sur le patriotisme et la valeur des Liégeois ».
C'est la même étroite entente qui règne entre Louvanistes et Bruxellois. A la nouvelle du soulèvement dans la capitale, le peuple de Louvain se mit en branle. Le souvenir du 1789 brabançon n'était pas évanoui. Les couleurs rouge, jaune, noire, furent arborées et « les patriotes de 1789 exhibèrent leurs décora tions ornées du portrait de Henri Van der Noot ». Une garde bourgeoise fut constituée. Elle était commandée par Jean de Neeff qui s'était déjà signalé au temps de Van der Mersch. Le 2 septembre, le peuple attaqua la caserne. La troupe résista, des hommes furent tués, mais impuissante devant l'émeute, l'armée abandonna la ville subrepticement. Une « Commission de sûreté », composée de patriotes, domine la ville et la garde bourgeoise a pour mission première de « repousser l'ennemi à l'extérieur ». Dès le 13, une compagnie mobile soldée montait la garde aux portes de la ville. Le 21, pour répondre aux manoeuvres des ministériels qui voulaient désarmer les Louvanistes par des promesses doucereuses et par des raisonnements subtils, le peuple fut appelé à défendre sa ville « qui jamais ne fut prise d'assaut ». Les arguments des « orangistes » sont les mêmes ici qu'ailleurs: la tranquillité est compromise, l'ordre social menacé, bourgeois! laissez rentrer l'armée gardienne de l'ordre. La réponse des patriotes est tranchante: « Les traîtres voudraient vous imposer le régime des bayonnettes, rétablir l'ordre aux dépens de la liberté et du bonheur publics. Mais la tranquillité n'est pas troublée, rien n'est changé dans l'ordre social, les citoyens se sont armés pour la défense de leurs droits et de leurs libertés, voilà tout. Il n'y a que la tranquillité du despotisme hollandais qui soit compromise ».
Les Louvanistes sont prêts à défendre leur ville, mais ils répondent aussi à l'appel des Bruxellois. Le 21, une troupe de jeunes bourgeois, d'hommes du peuple, conduits par Pierre Rodenbach et d'autres membres de la Réunion centrale se sont réfugiés à Louvain n'ayant pu regagner Bruxelles après une reconnaissance audacieuse. Ils rencontrent l'avocat Van Meenen et les chefs révolutionnaires louvanistes, et la décision est prise de renforcer la défense de la capitale. Le soir même, Adolphe Roussel, étudiant en droit de vingt ans et futur professeur à l'Université Libre de Bruxelles, et un officier de police Van den Bussche, ex-maréchal de logis-chef au service de la France, à la tête d'une centaine de leurs concitoyens prenaient le chemin de Bruxelles, accompagnant Rodenbach et ses hommes. Parmi eux, un gamin de quatorze ans, Charles Jourdain, qui combattit aux côtés de son père et un tambour de seize ans, Joseph Depauw, attiraient les regards. Le 22, à dix heures du matin, leur entrée dans Bruxelles, ranimait des enthousiasmes défaillants. Le 23, ils feront le coup de feu à la Porte de Schaerbeek.
Le même jour, Louvain fut aussi attaquée par l'armée royale. Le prince Frédéric a combiné une attaque d'une partie de la division Cort-Heyligers, au départ de Saint-Trond, et une autre opérée par un fort détachement cantonné au Sas van Campenhout. Le général Everts fut accueilli à midi, à la porte de Tirlemont, par la fusillade des bourgeois, soutenus par les volontaires des villages voisins qui harcelèrent sans arrêt les troupes. Après trois heures de combat, Everts ordonna la retraite. La jonction n'avajt pu être établie avec le bataillon qui avait été repoussé le matin à la porte de Malines. La retraite fut pénible. Une tentative le même soir de pénétrer à Tirlemont échoua
aussi, car les patriotes y étaient également maîtres de la ville. Ainsi les « républiques municipales », Liège et Louvain sont avec Bruxelles à la tête de la Révolution. Ce n'est pas un simple hasard que la fermentation des esprits soit plus grande dans ces centres universitaires et intellectuels, dans ces villes où la presse d'opposition est ardente, dans ces vieilles cités au passé glorieux où le sens des libertés est affiné. A Liège, on chante le Valeureux Liégeois et on se rappelle 89, à Louvain, on n'a pas oublié la Révolution brabançonne. Mais Liège comme Louvain ont sur place des ennemis à vaincre et c'est là qu'elles déploient leurs efforts. Cependant qu'elles aient envoyé des volontaires hardis à Bruxelles témoigne de l'ardeur du sens national belge en ces semaines où se joue le destin de la patrie.

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L'évolution différente dans d'autres centres peut être expliquée, ou par l'énergie du commandement militaire, ou par l'audace moins grande des patriotes. Dans la plupart des places fortes de la ligne Wellington dressée contre la France, grâce à la présence de troupes nombreuses, la légalité l'emporta pendant plusieurs semaines. A l'exception du fort de Huy, d'où le peuple chassa, le 7 septembre, sans combat, les quelques vétérans qui l'occupaient et à l'exception de la Chartreuse, à Liège, dégarnie de troupes, occupée sans coup férir le 20 septembre -ces deux forteresses avaient été négligées dans le système général de défense aucun des ouvrages d'art de la « Barrière » n'est tombé aux mains des insurgés avant le 27 septembre. Les autorités militaires ne cédèrent pas et l'armée réprima les mouvements populaires. Cependant des révolutionnaires ardents de ces régjons réussirent à gagner Bruxelles. Un docteur en sciences, employé du génie civil, le futur général Bruno Renard, se mit à la tête d'une vingtaine de Tournaisiens. Des Namurois parmi lesquels le fils d'un brasseur, Isidore Gillain, des isolés venus de Wallonie et de quelques villes flamandes échappèrent à la surveillance de la police et de l'armée. De Genappe, le 6 septembre, un clerc de notaire Adolphe Jottrand a conduit trojs petits canons àBruxelles et une partie de l'escorte qui les accompagnait y resta.
Mais dès que les combats eurent commencé dans Bruxelles et que l'armée eut été bloquée dans le Parc, le tocsin commença de sonner et la nouvelle de l'attaque se répandit dans les environs. De la banlieue Sud, restée libre, des volontaires sont accourus. Ceux d'Uccle sont dirigés par un « cabaretier et maréchal ferrant » Charles Dandoy. Un négociant de Boitsfort, H. J. Van Billaert, paya et arma des paysans de sa commune qui partirent pour Bruxelles. Un fabricant de caisses à sucre de Watermael-Boitsfort, Jean François Van Antwerpen, vint se battre avec ses trois fils. Théodore Brisack, boulanger à Hal, s'est rendu àBruxelles le 23. Il s'y battit puis retourna dans sa commune pour y demander du renfort. Il fit sonner le tocsin et le 24 repartit pour Bruxelles avec cent cinquante hommes. De Wavre, un groupe de volontaires se mit en route. Le juge de paix, Albert Noperez, accablé de rhumatismes, se fit porter pour être présent au départ des hommes qu'il avait armés. Ils arriveront trop tard à Bruxelles pour combattre le 23, mais dès l'aube du 24, ils se battront rue de Namur. François de l'Escaille, chasseur d'élite, se distingua surtout parmi eux. A Tervueren. le 24 septembre, le meunier Jean Mellaerts rassembla au son du tocsin, une soixantaine d'hommes de bonne volonté et, en route pour la ville, tirailla, à la Maison Blanche, sur la chaussée de Louvain, avec un détachement de troupes. Le 24, à Braine-l'Alleud, un négociant, Félicien Mercier, rassemble des volontaires. A Marbais, Phjlippe Delestanche, « sans profession » fit de même. A Genappe, un « propriétaire sans profession », Jules-Joseph Milhoux, fut choisi comme commandant par les volontaires qui se battront bravement les 25 et 26, comme se distingueront ceux de Waterloo, qui ont à leur tête un cultivateur, Maurice Boucqueau. Le 24, un second groupe de vingt-sept Jodoignois arriva à Bruxelles. Le premier s'était joint au détachement de Charles Rogier dès le 6 septembre. Le notaire Henri commanda trente volontaires de Perwez les 25 et 26. A Rebecq-Rognon, le 24, un maître de carrières, père de neuf enfants, Charles de Groodt, fit sonner le toscin, puis partit pour Bruxelles avec deux de ses fils et plusieurs de ses ouvriers. Le 26, un clerc de notaire, Théophile Collette, et un étudiant, Alexandre Thiry, partjrent pour Bruxelles à la tête des volontaires de Grez-Doiceau et ceux de Limelette s'en allèrent aussi ce jour-là.

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Pour recruter des combattants, des émissaires quittèrent Bruxelles. Pletinckx et son ami Godefroid Nique allèrent à Nivelles. Ils y arrivèrent le 23 à la nuit tombante. Leur arrivée provoqua une petite émeute, la garde bourgeoise, commandée par le chevalier de Cléty, s'opposant par la force à la distributjon d'armes aux volontaires qui voulaient aller à Bruxelles. Les patriotes restèrent les maîtres du terrain et, sous la direction de François Queval, fils d'un brasseur, cent soixante volontaires prirent le chemin de la capitale, guidés par G. Nique.
Le pays de Charleroi fut sillonné par Henri Rosart. Fils du propriétaire de l'Hôtel du Grand Café, à Bruxelles, très fréquenté par les gens de cette région, il y comptait beaucoup de relations. Genappe, Gosselies furent alertés. De Gosselies, un premier départ fut réglé pour le soir du 23. Tandis que Joseph Nique courait à Valenciennes prévenir Van de Weyer et Gendebien de l'heureuse tournure des événements, Rosart démentit à Lodelinsart les racontars des ministériels, puis se précipita à Charleroi où il rencontra un patriote éprouvé, Fafchamps. Le 24 au matin, cent trente carolorégiens, par petits groupes, s'en allèrent aussi. La mission de Rosart fut difficile car il se heurta à mille obstacles dressés par les autorités toujours fidèles au pouvoir légal. Elle fut cependant fructueuse. L'arrondissement de Charleroi envoya à Bruxelles, plus de six cents volontaires, des jeunes gens, des ouvriers, des petites gens, mais parmi leurs chefs se distinguèrent le maître de verreries, Léopold de Dorlodot et François Rucloux co-propriétaire et directeur du charbonnage du Mambourg et Bavette.
C'est le Brabant wallon et le Centre que l'avocat Isidore Plaisant et le professeur Lesbroussart visitèrent le 23 et le 24. Ils rentrèrent à Bruxelles avec une soixantaine d'hommes parmi lesquels les Dechamps, dont l'un deviendra cardinal et l'autre ministre.
De certaines villes du Hainaut, où l'on était sans nouvelle précise des événements, des émissaires furent envoyés dans la capitale pour recueillir des renseignements. Les récits qu'ils firent à leur retour provoquèrent le départ de volontaires. Ainsi à Soignies, c'est le commerçant Bersou qui fit deux fois la route le 24 et repartit le soir avec trente-sept volontaires, commandés par un autre commerçant, Plasschaerd. A Leuze, à onze heures du soir, avant le retour du patriote envoyé en reconnaissance, une centaine d'hommes, tous armés de fusils de la garde communale, s'en allèrent, commandés par un négociant, Degallais, capitaine de la garde communale, ancien officier de l'Empire. De Thuin, le 25, vingt-cinq volontaires s'en furent vers Bruxelles. Le même jour, à Binche, ce furent les deux frères Blairon, négociants en vin, qui prirent la direction d'un détachement. Dans le Borinage, les autorités ne cédèrent pas. Elles avaient l'appui de l'armée qui avait brisé, à Mons, le soulèvement populaire. Elles s'opposèrent à la distribution des armes de la garde communale aux volontaires. Charles-Albert Sapin, savonnier en 1830 et général commandant le 1er corps d'observation en 1870, avec Joseph-Félix Bodson, commis-voyageur, envoyé par le « Club patriotique » de Jemappes, qui désirait savoir « si c'était vrai qu'un gouvernement provisoire eût été formé et en quelles mains se trouvait la direction des affaires », partirent en poste pour Bruxelles l'après-midi du 22 et arrivèrent à la porte d'Anderlecht à onze heures du soir. A l'hôtel de ville, les rares personnes qu'ils trouvèrent étaient assez découragées. Ils repartirent pourtant avec une proclamation appelant le brave peuple du Borinage à voler au secours de la capitale. Rentré à Jemappes à sept heures et demie du matin, Sapin fit des copies de l'appel qu'il adressa aux patriotes dont il était sûr. « Mais l'effet en fut presque nul, raconta-t-il plus tard, parce que le jour même, le gouverneur fit répandre partout des bulletins imprimés portant en substance: « le prince Frédéric est entré hier soir dans Bruxelles, la tranquillité est rétablie... ». La force de la propagande était telle que Sapin eut beau protester que cela était faux, la plupart des patriotes auxquels il avait envoyé cet appel firent défaut. Il fallut attendre la confirmation de la résistance victorieuse au Parc pour qu'un revirement se produisît. Le 25, une quinzaine de Jemappiens se mirent en route, conduits par Sapin et un commissionnaire en charbon, Benoît Duez. De Dour, le 26, l'avocat Cambier, à onze heures du soir, s'en ira avec cent trente hommes. De Saint-Ghislain et des environs, un commis voyageur, Leleux, emmène soixante-huit volontaires qui arriveront à Bruxelles le 27, tandis que le chirurgien Malengrau quittera Pâturages le 26 avec un autre groupe de combattants.
Ainsi, des petites villes et des campagnes wallonnes sont venus dans la capitale des hommes qu'enivraient la haine du hollandais et l'amour de la liberté. Bruxelles rendit bientôt à la province le service reçu. La victoire du Parc entraîna l'effondrement du pouvoir militaire dans les places fortes et le soulèvement général du Pays.

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Les mutins ont chassé l'armée royale. La nouvelle fut portée à travers tout le pays et fit céder les hésitations des timorés. Des autorités communales, qui le 24 encore refusaient de mettre des armes à la disposition des volontaires, « parce qu'à défaut de nouvelles précises de la capitale, elles trouvaient le mouvement prématuré », s'inclinèrent. Le plat pays fut vite gagné au régime nouveau. Mais dans les places fortes du système défensif dressé contre la France, la présence de troupes considérables risquait de gêner longtemps l'action du Gouvernement provisoire et même de briser finalement la révolution nationale. Cependant, la médiocrité du haut commandement néerlandais fut ici également manifeste. Les relations entre les diverses places étaient rares et il n'y avait point sur les lieux de chef suprême pour centraliser les opérations et diriger avec méthode la réduction de l'insurrection. Le commandement encourt ainsi une lourde responsabilité. En outre, la troupe dont il disposait s'est vite révélée d'une valeur quasi nulle pour l'exécution d'un plan d'ensemble. Si les troupes qui attaquèrent Bruxelles avaient été choisies minutieusement et si elles comptaient peu de Belges, par contre, la présence de soldats originaires des provinces du Sud dans les diverses places fortes, brisa l'homogénéité et la résistance de l'armée. Les désertions, cependant, avant le 25 septembre, ne furent pas nombreuses et, au témoignage des officiers, l'esprit resta bon jusqu'à cette date. Il faudra la nouvelle de la résistance acharnée du peuple à Bruxelles et surtout celle de son triomphe, pour entraîner la désertion des soldats belges, décourager leurs compagnons hollandais, réduire à néant les tentatives des officiers qui songeaient encore à réprimer les manifestations nationales.
Si la désagrégation de l'armée royale fut une des causes essentielles du succès de la Révolution en province, il ne faudrait point négliger pour autant la part du peuple dans la liquidation du régime hollandais. Sans doute, n'y eut-il nulle part assaut de forteresse par la masse populaire, mais de l'agitation, des troubles, des démonstrations violentes du peuple qui fit pression sur les autorités locales pour qu'elles s'abouchent avec le pouvoir militaire et l'amènent à la capitulation. Ainsi, les places fortes sont libérées, Ath le 27, Mons le 29 septembre, Tournai le 2 octobre, Namur le 4, Charleroi e 5…
Dans ces villes forteresses comme dans le plat pays, pendant les premières semaines de septembre, la lutte des tendances a aussi divisé les opposants au régime, tandis que les ministériels trouvaient dans la présence de l'armée un
singulier renfort. Les Régences s'appuyaient sur la troupe. Le malaise économique, le chômage, la cherté du pain excitèrent le peuple, tandis que les mouvements de troupe l'énervaient. Cependant, jusqu'à la victoire de Bruxelles, aucun mouvement insurrectionnel ne réussira. A Mons, le 3 septembre la foule s'est emparée des portes de la ville lorsque courut la nouvelle de l'envoi de l'artillerie royale vers la capitale. Mais, le lendemain l'ordre fut rétabli et l'armée réoccupa tous les postes. Le 19 septembre, une tentative révolutionnaire fut réprimée dans le sang. Un régime très dur pèse sur la ville, les gardes communale et bourgeoise sont dissoutes et le 23 septembre, 1263 fusils sont remis à l'autorité militaire. A Namur, l'état de siège est proclamé le 17 septembre. A Tournai, la Régence, foncièrement orangiste, s'appuie sur une garde bourgeoise fidèle et ne veut entendre parler à aucun prix de la constitution d'une Commission de sûreté.
Mais une fois la résistance de Bruxelles connue, l'agitation populaire reprend, les appels à la désertion se multiplient. Dans les cabarets on verse à boire aux soldats, on leur distribue de l'argent et les visites des parents sont l'occasion d'une propagande efficace. A Mons, la désagrégation de l'armée explique la capitulation du général Howen, le 29 septembre. Ironie du destin, le jeune Chazal, envoyé du Gouvernement provisoire que le général Howen avait fait arrêter l'avant-veille, règle maintenant le sort du Hollandais. A Tournai, le peuple s'est soulevé le 28 et a remporté une demi-victoire: une caserne est tombée en son pouvoir. Les effectifs de l'armée fondent comme neige au soleil. Le 29 septembre le général de Wauthier mande à La Haye: « Du 27 au 28 : 635 déserteurs. La situation est désespérée ». Et dans la nuit du 30, la capitulation de la place est signée entre les mains des commissaires du Gouvernement provisoire Nieuport et Hotton.
A Namur, l'effondrement de l'armée précéda le soulèvement populaire. A l'aube du 1er octobre, le jour de la « classe » pour les rappelés, plus d'un millier de soldats rebelles furent conduits hors de la ville. L'autorité préférait s'en débarrasser. Quelques heures plus tard, le peuple attaqua les postes militaires. Aux portes Saint-Nicolas et de Fer, la lutte dura toute la journée. Aidés des volontaires d'Andenne, de Fosses, de Gembloux et de la banlieue, les Namurois remportèrent des succès. Le général Van Geen, commandant le 3e grand commandement militaire, ne disposant plus que de trois cents hommes, capitula dans la nuit du 2 au 3 octobre.
Le pays de Charleroi a manifesté très tôt un esprit révolutionnaire. Depuis le 6 septembre, l'armée a abandonné la ville basse. La garnison est cependant renforcée d'un bataillon d'infanterie, le 14 septembre, mais les hommes du Pays Noir ne se laissent pas impressionner. Dès que la nouvelle de la bataille de Bruxelles est connue, la troupe resserrée dans la ville haute est bloquée. Le 27, une véritable mobilisation rassembla des milliers d'hommes armés. Le commandant de la place renvoya prudemment les militaires belges, mais cette précaution fut vaine. Le 5 octobre, il capitulait... Et ce fut aussi le sort de Philippeville, de Mariembourg, de Dinant, de Bouillon...
Le 6 octobre, la Wallonie entière est libre. L'influence de la victoire du Parc a été décisive. En Flandre, le contre-coup des événements de Bruxelles est aussi brusque. L'effondrement du pouvoir royal est tellement rapide qu'il ne peut s'expliquer si l'on n'accorde pas au sentiment national de la population une force considérable. A Bruges, le 25 septembre, le peuple s'ameute, parcourt les rues en un cortège précédé d'un drapeau tricolore, mais se contente de briser des réverbères. Le lendemain, des gamins chantent sur la Grand'Place et narguent les soldats du corps de garde, puis se promènent dans la ville. Des jeunes gens, escortant un grand drapeau belge, les rejoignent. La bande grossit et le soir une bagarre se produit Grand'Place, entre la foule et les soldats. La troupe fait feu, tue trois manifestants, en blesse cinq autres et disperse le peuple qui passe la nuit à se procurer des armes. Les autorités militaires prennent peur, elles se retirent sur Ostende le 27 septembre à huit heures du matin. La joie la plus folle règne en ville; partout on arbore des drapeaux, on distribue des cocardes, on verse à boire...
L'arrivée du millier d'hommes ayant abandonné Bruges, pour Ostende, loin d'y renforcer la garnison, accentue le mécontentement des soldats, que les patriotes excitent à la désertion. Une première manifestation, le 26, a été réprimée, mais elle a éclairé les autorités militaires sur les sentiments de la population. La nuit du 27 au 28, la troupe se rebelle, beaucoup de soldats belges désertent. Aussi le général Goethals force les officiers hollandais à partir pour Flessingue. L'embarquement de ceux-ci et de leurs « nationaux » a lieu le 29. Ostende est libérée, le même jour que Mons, avant Namur et Liège. Le 30 septembre, Nieuport est tombée sans coup férir. Ypres et Menin ont capitulé le 1er octobre. Chaque fois la mutinerie de la troupe a forcé le commandement à cette triste humiliation.
Le ler octobre, toute la Flandre Occidentale est libre.
A Gand, la présence de deux mille soldats et l'énergie du gouverneur Van Doorn, la fidélité du patronat au régime, retardent l'explosion populaire. Les journaux locaux, qu'une haine féroce sépare, le Catholique des Pays-Bas et le Journal de Gand, à coup d'éditions spéciales annoncant les fluctuations de la lutte à Bruxelles, cherchent à impressionner l'opinion hésitante. Les nouvelles de Bruges renforcent le courant patriote et, le 28, lorsque la victoire du Parc est une certitude, le peuple s'agite. Des barricades sont dressées place des Récollets et sur le Marché-aux-Grains au moyen de diligences et de charrettes. Une bagarre sérieuse oppose la troupe et le peuple et il y a des tués et des blessés des deux côtés. Le lendemain, de nouveaux désordres se produisent. Le pouvoir militaire cède en partie. D'accord avec les autorités civiles, il fait retirer la troupe à la Citadelle. Mais le 2 octobre, une partie des troupes se mutine et des miliciens désertent pour rentrer chez eux. Cependant les orangistes sont puissants à Gand, les patriotes divisés et il faudra attendre l'arrivée de la légion belgo- parisienne du vicomte de Pontécoulant et la menace d'un assaut en règle de la Citadelle pour que la place capitule le 17 octobre.
Dans de nombreuses villes de la province, la victoire du Parc entraîne le ralliement au nouveau régime: ainsi à Ninove et à Grammont. A Audenaerde, les miliciens se dispersent et ce qui reste de soldats se replie sur Gand le 2 octobre. Dans le pays de Waes. les bourgeois orangistes ne réussissent pas longtemps à contenir le peuple.
A Anvers aussi le petit peuple s'agite et s'inquiète du sort des armes à Bruxelles. Il est maté cependant par les troupes de Chassé et par la garde bourgeoise farouchement orangiste. Cependant les autorités s'inquiètèrent là aussi de la mentalité populaire et de l'indignation manifestée à la vue du sort réservé aux malheureux prisonniers amenés de Bruxelles et que l'on promène à travers la ville le 25 septembre. « Nous sommes sur un volcan» déclarent les autorités au consul de GrandeBretagne le 27 septembre. Aux dires du chef de la police, les jeunes gens, « les petits avocats », les étrangers, les cléricaux excitent les esprits. Le 28, la nouvelle de la victoire de Bruxelles est saluée avec joie. Un maître-plafonneur ose parcourir les rues d'Anvers avec ses ouvriers ayant tous la cocarde tricolore au chapeau et le ruban à la boutonnière. Ainsi les « esprits sont extrêmement montés », constatait Staedtler qui s'était rendu dans cette ville le 27 septembre. « J'ai trouvé établi le régime militaire le plus sévère. A peine osait-on parler politique. Les feuilles de Bruxelles n'y entraient pas... ».
L'épuration des tièdes de la garde bourgeoise, empêche les « classes inférieures », hostiles au gouvernement, de se soulever. Une bagarre éclatera le 17 octobre entre le peuple et la troupe, mais la libération ne se fera qu'à la fin du mois. Le 27, le peuple désarme les postes militaires à l'intérieur de la ville et le lendemain tendra la main aux blouses bleues de Mellinet et de Niellon.

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La libération des places fortes est capitale pour la Révolution. L'effondrement rapide du système militaire en Belgique a permis l'établissement du régime nouveau. La seule présence de troupes à Anvers et à Maestricht a pesé longtemps sur les destinées dunouvel Etat.
Avec des troupes fermement installées à travers tout le pays, dans des places récemment restaurées, pourvues d'un matériel excellent, le roi Guillaume 1er aurait pu longtemps menacer l'existence de la Belgique naissante. L'explication de cette chute rapide de toute l'armature militaire se trouve dans la conscience nationale des soldats des provinces méridionales. Le mauvais esprit, puis la désertion des troupes a empêché une résistance efficace. Les rixes, les bagarres entre soldats belges et hollandais se sont multipliées, les officiers hollandais ont été insultés, menacés, tandis que les officiers belges, se sont ralliés assez vite au nouveau régime et en tout cas n'aimaient pas d'ouvrir le feu sur leurs compatriotes.
L'organisation militaire hollandaise doit être critiquée. Le recrutement régional, les congés fréquents des miliciens et le système de licenciement des trois quarts du contingent pour une longue période avec de courts rappels fort espacés, ont eu, au moment même des événements révolutionnaires, une singulière influence. Lorsque octobre arriva, les miliciens rappelés pour un service d'un mois se mutinèrent aux cris de « notre mois est fini! ». Un officier de la garnison de Gand a consigné dans ses notes que « ces miliciens, à l'époque du grand Congé (le ler octobre), avaient toujours un violent désir de retourner dans leur pays et que cette époque était toujours caractérisée par diverses désertions! ». Au surplus, ces soldats dont la formation était imparfaite, revenus sous les armes pour quelques semaines, ignoraient leur service, « tandis que d'autres qui venaient de Wallonie se plaignaient qu'on leur donnait des ordres dans une langue qu'ils ne connaissaient pas». Aussi ne faut-il pas s'étonner si dans plusieurs places fortes le commandement a préféré se débarrasser de ce poids mort. Néanmoins l'exemple de ce licenciement a été funeste. Les « rappelés » ont entraîné leurs camarades belges, le mauvais esprit s'est répandu et le découragement a miné les troupes hollandaises. La médiocrité de l'armée royale est une des causes essentielles de l'échec du pouvoir dans la poursuite de sa politique. Si la troupe n'avait pas déserté, les insurgés auraient eu bien des difficultés à faire capituler les places fortes, car les attaques directes du peuple ont été aisément repoussées en plusieurs endroits. Pourtant, c'est au peuple qu'il faut finalement revenir: sans la victoire " du Parc, les miliciens frondeurs n'auraient pas été aussi audacieux; sans elle les patriotes de province n'auraient pas réussi à les débaucher. Ainsi, tout s'enchaîne et tout se ramène aux Quatre Journées de Bruxelles.

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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La chute en cascade des autorités bruxelloises est remarquable. La Régence est sans pouvoir réel après la constitution de la Commission de sûreté le 11 septembre. Cette Commission se dissout le 20 et rien ne la remplace. Le Conseil et l'état-major de la garde bourgeoise ont été durement ébranlés par les mouvements populaires des 19 et 20. Le 21, d'Hoogvorst ne veut plus être qu'un chef civil et ne se soucier que du maintien de l'ordre intérieur. Plusieurs leaders, débordés par le peuple ou découragés, ont, nous l'avons vu, gagné la France. Quelques membres du Conseil de la garde sont cependant restés à leur poste et certains officiers des sections continuent à exercer leur mission. Le comte Van der Meere parti, c'est le baron Fellner qui le remplace dans la tâche d'organisation des forces mobiles. Des chefs de bande, Ernest Grégoire, Pierre-Joseph Parent, organisent des corps francs.
La Réunion centrale, le club révolutionnaire, a lancé à plusieurs reprises le projet de constitution d'un Gouvernement provisoire. Ces tentatives, nous le savons, ont toutes échoué et le 22, des membres de la Réunion centrale avaient aussi perdu confiance. Rogier du moins ne quittera la capitale que le 23 à neuf heures trente du matin pour y rentrer d'ailleurs à la fin de la journée.
Il ne reste plus d'autorités à Bruxelles. Dans la nuit du 22 au 23, d'Hooghvorst écrit au prince Frédéric une lettre désabusée: « Il n'y a qu'un instant lorsque j'ai eu l'honneur d'annoncer à Votre Altesse Royale que j'allais convoquer les chefs de sections, pour leur faire connaître la volonté de Votre Altesse sur la publication de sa proclamation, je croyais encore à quelque autorité. Mais je me trompais. Plusieurs chefs venaient de donner leur démission et l'effervescence générale dans la ville était devenue telle que je n'ai pu par là même remplir les promesses que j'avais faites à Votre Altesse Royale, et ainsi je me vois déchu par la force des circonstances du poste auquel j'avais été appelé par mes concitoyens ». Pletinckx et quelques membres du Conseil de la garde avaient constitué dans la soirée du 22 à l'hôtel de ville un vague comité de défense. Mais il s'est dispersé au cours de la nuit. Le 23 au matin, d'Hooghvorst est à son poste à l'hôtel de ville, ainsi que le major Fellner, mais « ils paraissaient attendre là les événements sans solution arrêtée et ils quittèrent les lieux ».
Dans l'après-midi, la mission de Gumoëns, dont nous avons parlé, est l'occasion de la formation du premier pouvoir organisé. Anne-François Mellinet, colonel de la Garde à Waterloo, fils d'un ancien conventionnel, a dégagé le malheureux hollandais des mains de ses agresseurs et l'a conduit à la caserne des pompiers. Il rencontre un ancien officier du génie Jolly : « Je cherche partout et ne trouve personne, lui dit-il, il faut cependant avoir un moyen de s'arranger; il faudrait tâcher de réunir quelques personnes notables qui se rendraient à la caserne des pompiers ». L'avocat Delfosse, qui avait participé aux palabres des 21 et 22 septembre, quelques bourgeois de la 3e section -le quartier de la Chapelle, -Jolly et Mellinet, s'en vont ainsi à la caserne des pompiers discuter avec le parlementaire du prince. Ils ne prennent sur eux aucune responsabilité, mais acceptent de transmettre un message du lieutenant colonel de GumÖens qui dépeint à son chef l'atmosphère bruxelloise, lui décrit la résolution des combattants de ne point céder et lui fait part du désir des notables de voir le prince retirer ses troupes.
Ces parlementaires bénévoles s'étaient donné rendez-vous à l'hôtel de ville, à sept heures du soir, afin d'y prendre connaissance de la réponse du prince à la lettre de Gumoëns. Lorsqu'ils s'y présentèrent, le concierge leur dit: « il n'y a plus personne, l'hôtel de ville est complètement vide ». Jolly se fit conduire au cabinet du bourgmestre. Bientôt l'avocat Delfosse, Michiels, commandant de section à la garde bourgeoise, Engelspach-Larivière, le baron de Coppin, Joseph Vanderlinden et quelques autres bourgeois y reçurent la réponse du prince apportée par le lieutenant Berten. C'était la proclamation « J'étais venu par l'ordre du Roi vous apporter des paroles de paix... ». Jolly, qui présidait la réunion, proposa la désignation de trois personnes chargées de demander au prince le retrait des troupes à quelques lieues de la ville. A ce moment, le baron Emmanuel d'Hooghvorst, entouré de quelques-uns de ses fidèles, Palmaert, Lippens, Anspach, l'avocat Van Hoorde, entrèrent dans la salle. Le baron d'Hooghvorst avait conservé la confiance de ces notables qui lui offrirent la présidence de la réunion et l'on continua la discussion qui se termina comme on le sait, par l'envoi de d'Hooghvorst, de l'avocat Delfosse et du baron de Coppin auprès du prince Frédéric. La première autorité était née: « la Commission provisoire d'ordre public ».
Le 24, à quatre heures du matin, les négociateurs rentrèrent à la maison de ville. Ils y trouvèrent Jolly et les notables de la veille au soir, qui déjà discutaient ferme. « Mais Rogier le plus remarquable, Rogier que je ne connaissais pas » a noté l'avocat Max Delfosse, Rogier «l'énergique et populaire commandant des volontaires liégeois» au dire d'un autre assistant, Rogier domine maintenant l'assemblée. Le tribun liégeois rentré la veille au soir de la forêt de Soignes où il s'était réfugié à la ferme de l'ancienne abbaye d'Aywières, veut qu'on se batte totalement. Il ne s'agit plus de parlementer avec la dynastie des Nassau: elle a cessé de régner en Belgique. « Il faut s'ensevelir sous les décombres de la ville plutôt que de se soumettre ». Il ne rallie pas tout le monde. Vermeulen-de Cock, par exemple, un membre du Conseil de Régence, craintif et royaliste, n'aime pas ces « enthousiastes outrés, étrangers à la ville ». Après un long débat, la proposition de créer une autorité centrale pour diriger le mouvement est acceptée. Puis une discussion s'engage sur les noms. Fait significatif: celui de Rogier, prononcé le premier, est acclamé. Le baron d'Hooghvorst est choisi ensuite d'une voix unanime. Jolly, enfin, sur les instances de Rogier et de Michiels, accepte. Le baron de Coppin et J. Vanderlinden sont désignés comme secrétaires de la « Commission administrative ».
Une proclamation au peuple de Bruxelles annonce la formation de cette « autorité constituée ». Il s'agit « d'assurer le triomphe d'une cause dont le succès, dès hier, a été assuré ». C'est « guidés par le seul amour du pays » que ces citoyens, Vanderlinden d'Hooghvorst, de Bruxelles, Charles Rogier, avocat de Liège, Jolly, ancien officier du génie, ont accepté provisoirement le pouvoir.
La tâche de cette Commission est délicate. Elle doit maintenir l'ordre à l'intérieur d'une ville assiégée. Heureusement, il n'y a pas de pillage et la répression de quelques excès ne sera pas malaisée. Elle doit songer à l'approvisionnement de la population. Engelspach-Larivière, désigné comme agent général, homme d'une activité inlassable, y veillera. Les paysans sont priés d'amener leurs denrées dans la ville. L'essentiel, cependant, pour cette Commission, est d'organiser la résistance à l'armée royale dans Bruxelles et de soulever tout le pays contre les Hollandais. Il faut des hommes, du matériel, de l'argent. Rogier appelle les bourgeois de Bruxelles par une proclamation enflammée où jl agite le spectre d'un pillage général hollandais. La Commission envoie des émissaires en province, exciter les populations et réclamer l'envoi de volontaires vers la capitale. « Depuis hier à dix heures du matin, les troupes sont tenues en échec dans le Parc et les boulevards. La liberté et l'honneur sont sauvés. Arrivez au plus tôt si vous n'êtes pas nécessaires à Louvain », cette dépêche de Ch. Rogier envoyée à la garde bourgeoise de cette ville, est transmise à Liège, à Verviers...
C'est encore l'agent général Engelspach qui règle les achats de fusils, de poudre, de planches, paie les travaux de défense, les frais de route aux hommes qui sillonnent la province. Quant aux fond, la Société Générale avance dix mille florins le 24, somme dérisoire. Le lendemain, deux membres de la Commission s'en vont conférer avec la direction de la banque pour obtenir la disposition des fonds du gouvrnement qu'elle détenait à titre de caissier de l'Etat et dont le solde s'élevait à près de quatre millions de florins. Mais ils se heurtent à un refus compréhensible de la part de la direction d'une société créée par le roi. Des dons d'abord et ensuite la transformation de la Commission administrative en Gouvernement provisoire régulier mettront des sommes importantes à la disposition des insurgés.
Restent à régler les rapports délicats avec les combattants, avec les gens de la ligne de feu. Ces bourgeois, ces chefs révolutionnaires, dont certains ont désespéré de la cause -mais combien de combattants le savent alors -réussiront-ils à faire reconnaître leur autorité par les hommes qui tiraillent autour du Parc? Le choix de don Juan Van Halen comme commandant en chef, fait taire les trop vives critiques. C'est désormais à l'état-major de Van Halen, formé de chefs de corps francs et d'officiers de la garde, que la Commission administrative envoie les chefs des détachements de volontaires qui arrivent de la province. Ainsi les relations ne sont pas directes entre l'autorité civile et les combattants, ce qui évite des froissements.


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Dans les journées du 24 et du 25 septembre, l'activité de Charles Rogier à la Commission a été débordante. Il s'arroge le titre de président et, en véritable dictateur, ce partisan résolu de la rupture définitive avec La Haye s'oppose à tout compromis. En déchaînant le patriotisme, il veut étendre le soulèvement à travers tout le pays. Dès le 25, il annonce l'érection d'un monument national aux héros des « mémorables journées de septembre ». Le soir descend et voici que reviennent de la promenade de Valenciennes les patrjotes qui avajent perdu confiance. Gendebien, du moins, avait accompli la mission dont il avait été chargé le 18. Il avait vu de Potter à Lille le 20. Le 22, les deux leaders étaient à Valenciennes, centre de l'émigration. Trois journées furent passées en palabres. Les nouvelles étaient mauvaises. Le 22 à midi, de Potter s'en retourna à Lille et son ami Levae l'accompagna. Le 24, la nouvelle courut de la résistance du peuple bruxellois.
Gendebien et Van de Weyer se proclamèrent membres du Gouvernement provisoire et ils ajoutèrent à leur nom celui de Félix de Mérode, suivant une convention antérieure. Ils rédigèrent une proclamation exhortant les braves Belges « au nom de la Patrie, de l'honneur et de la ljberté, de voler au secours des braves Bruxellois », et dans la nuit du 24 au 25, tous ces hommes reprirent le chemin de la capitale belge.
L'arriée « des hommes du lendemajn » provoqua de vives réactions à l'hôtel de ville. La nuit, des discussions orageuses divisèrent les leaders révolutionnaires. Finalement, le 26 au matin, une proclamatjon annonça au peuple la solution de conciliation à laquelle on s'était arrêté. Incontestablement, jusqu'à cette date, la Commissjon administrative n'avait pas proclamé qu'elle était un Gouvernement provisoire, tandis que le groupe de Valenciennes en avait pris le titre. Pour satisfaire toutes les susceptibilités, il est affirmé « que le gouvernement provisoire demeure constitué de la manière suivante: MM. le baron Vanderlinden d'Hooghvorst, Charles Rogier, le comte Félix de Mérode, Gendebien, S. Van de W eyer, Jolly, J. Vanderlinden, trésorier, baron F. de Coppin, J. Nicolay, secrétaires ». Il justifie son pouvoir par: « l'absence de toute autorité tant à Bruxelles que dans la plupart des villes et des communes de Belgique ». Il ne s'agit plus d'un organisme municipal, mais d'un « centre général d'opérations contre l'ennemi ». Pour soulever le pays, on envoie partout des émissaires. Ces hommes démentent les faux bruits lancés par les ministériels, gonflent les victoires remportées. Véritab]es agents de propagande nationale, ils sont les pourvoyeurs de la capitale en hommes et en munitions. Un même effort est fait auprès des soldats et des officiers belges de l'armée royale, que le Gouvernement provisoire délie du serment prêté à Guillaume 1er.
Bientôt le retour de de Potter accroîtra la popularité du Gouvernement provisoire dans les masses. Dès le 27 au matin, après le retrait des troupes hollandaises, celui-ci avait invité l'exilé à rentrer en Belgique. Le lendemain, son arrivée à Bruxelles a soulevé un fol enthousiasme, aussi le gouvernement s'empresse-t-il de se l'adjoindre. La popularité de Louis de Potter, le banni, était immense en 1830 dans tout le pays. Les journaux avaient pieusement raconté les étapes de son voyage en exil. Des collectes avaient été partout organisées en sa faveur. Sa rentrée était un précieux atout pour le gouvernement dont les membres n'étaient connus que dans des milieux restreints. Les Liégeois et les avancés de la Réunion centrale admiraient Rogier, les bourgeois libéraux avaient confiance en Gendebie et Van de Weyer, d'Hooghvorst et Félix de Mérode, revenu le 26 de son château de Trélon près d'Avesnes dans le Nord, jouissaient d'une réelle faveur parmi la noblesse et le clergé, mais aucun nom, à la fin de septembre, n'avait, chez les patriotes, l'éclat de celui du prisonnier des Carmes, du banni sur l'ordre de « l'odieux Van Maanen.
Tant que durèrent les combats, l'action du Gouvernement provisoire fut faite de menues besognes, de tâches obscures. Cependant dès le 25, Louis Bronne était chargé par la Commission administrative de l'organisation des postes et Coghen, désigné comme commissaire aux finances, s'occupa de la mission ingrate de premier argentier du futur royaume de Belgique. Le 29 septembre, il obtenait de la SociétéGénérale l'ouverture d'un compte au Gouvernement provisoire.
Mais, uue fois Bruxelles libérée, l'activité du gouvernement fut considérablement accrue. Une de ses premières tâches fut l'épuration des serviteurs dociles de Guillaume 1er. Les van maaniens obséquieux, les ministériels abhorrés furent révoqués. La magistrature et l'administration furent pourvues de nouveaux titulaires et, le 29, le Comité central, composé de Louis de Potter, Charles Rogier et Sylvain Van de Weyer, proclama que désormais « la justice se rendra au nom du gouvernement provisoire de Belgique ».
La presse nationale, en tête le Courrier des Pays-Bas, défendit les titres du nouveau gouvernement : « D'où vient la légitimité? Un peuple ne peut vivre sans gouvernement. A ce titre, aucun gouvernement n'est plus légitime que celui qui s'est établi le 25 septembre, après dix jours d'anarchie. Le pouvoir n'était nulle part. Ils n'ont supplanté aucune autorité constituée, toutes s'étaient retirées. Ils ont remplacé l'anarchie ». Mai cette défense indique bien que leurs titres sont contestés. Le danger pour le nouveau pouvoir sera, avant la réunion du Congrès national, l'impatience et l'ambition de certains chefs militaires. La tentation était grande pour des héros des combats, pour des hommes des barricades, qui n'avaient été ni dans la forêt de Soignes, ni à l'Hôtel du Grand Canard à Valenciennes, de prendre une place enviée. Il semble que Van Halen ait eu des visées personnelles. Mais il n'a pas été suivi et le gouvernement, très habilement, a réussi à l'écarter.
L'expulsion des troupes, la libération de la domination hollandaise, suffisaient à absorber les passions de l'opinion et le gouvernement partageait les sentiments et les vues de la masse. Mais, par quoi remplacerait-on le régime expirant? Des discussions s'élèveront vite au sein du gouvernement sur le grave problème de la Reconstruction.
Les observateurs étrangers remarquent, dès les premiers jours d'octobre, la formation de groupements, aux contours mal définis, de partis, oserait-on à peine dire, qui veulent soit l'incorporation à la France, soit l'indépendance sous le règne d'un fils de Louis-Philippe, soit la république. Le prince d'Orange a conservé des fidèles qui réclament la constitution d'un royaume séparé.
Cependant, Louis de Potter, le 28 septembre, s'est adressé à ses concitoyens. Très clairement, il leur a dit: « Peuple, ce que nous sommes, nous le sommes par vous; ce que nous ferons, nous le ferons pour vous ». Quelques jours plus tard, le 4 octobre, le Gouvernement provisoire répondant au vœu du peuple, proclamait l'indépendance de la Belgique et convoquait un Congrès national qui serait chargé d'examiner le projet de Constitution que le Comité central lui soumettrait.
Les conflits d'opinion, voire d'intérêts, au sein du premier gouvernement de la Belgique indépendante, avaient tous cédé devant l'ampleur et la profondeur du soulèvement de la nation, sans lequel rien ne s'explique des événements de septembre 1830.

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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Depuis deux jours, lentement l'armée du prince Frédéric s'est rapprochée de Bruxelles. Le 21, le quartier général est à Malines, le lendemain à Vilvorde. Le prince y appelle les généraux de brigade et donne ses ordres pour l'entrée dans la capitale, fixée au matin du 23. Dix mille hommes environ participent aux opérations. Ce sont les meilleures troupes royales: les grerradiers et les chasseurs, deux régiments d'élite, comprenant des Suisses restés aux PaysBas après le licenciement de leurs unités, en 1828, des Hollandais et des Belges, spécialement choisis et recevant une solde particulière, le bataillon d'instruction, corps mixte aussi, mais de qualité. Les trois régiments d'infanterie n° 5, 9 et 10, qui participent à l'opération, sont entièrement composés de soldats des deux provinces de Hollande.
Le général en chef du corps d'armée mobile est le prince Frédéric, âgé de trente-trois ans. En 1825, il avait épousé sa cousine, Louise de Prusse, fille de Frédéric-Guillaume III. Il était très différent de son frère, le séduisant et fantasque prince d'Orange, favori des Belges par périodes. Ayant reçu son éducation en Prusse où il avait vécu de nombreuses années, il avait le culte de l'autorité Clausewitz et Scharnhorst avaicnt été ses maitres militaires, Delbruck, Niebuhr et Ancillon see professeurs civil. Il était conseillé par le lieutenant général baron de Conntant Rebecque, chef d'état-major. Remarquable officier, ce Genevois, d'une vieille famille française émigrée après la révocation de l'édit de Nantes, avait été au service du roi de France cn 1789 Ainsi s'était il trouvé à Paris au Champ de Mars, le 14 juillet et à Nancy, en août 89, lors des rébelliuons. Devenu officier au régiment des gardes suisses, il s'était battu aux Tuileries le 10 août. Officier de l'armée hollandaise, puis dc l'armée prussienne, ensuite gouverneur du jeune prince d'Orange en, en cette qualilé, attaché il l'état-major de Wellington en Espagne, quartier-maître général de l'armée des Pays-Bas à Waterloo, cet homme n'aimait pas « le peuple », et avait le goût de la discpline. Quant aux officiers généraux, Henri de Favauge, Schuurman et Post, ils avaient participé aux campagnes du début du siècle et ne manqnaient pas d'expérience. Le cadre des régiments d'élite était bon, mais celui des unités d'infanterie ne parvint jamais à galvaniser ses hommes.
Le plan d'attaque est simple : quatre colonnes par les porles de Flandre, de Laeken, de Schaerbeek et de Louvain, pénétreront dans la ville. Les forces de ces gronpemcnts sont proportionnées aux obstacles que l'on croit rencontrer et aux tâches ultérieures à remplir une fois les troupes à l'intérieur de la ville Le prince Frédéric suit de près la masse principale qui doit pénétrer par la porte de Schaerbeek, atteindre la place Royale, occuper les palais, dominer tout le haut de la ville. Les assaillants pénétrant par les portes de Flandre et de Laeken ont pour objectif final l'hôtel de ville, où les rejoindront les troupes descendues de la place Royale. On s'étonne que le plan n'ait pas prévu un large mouvement tournant pour occuper sans coup férir la porte de Hal par où arrivèrent tant de renforts. Mais dans l'esprit des militaires, renseignés par leurs agents, l'anarchie divisait les insurgés et il fallait laisser une issue à ceux qui se jugeaient irrémédiablement compromis. Les escarmouches de Dilbeek et de Zellick auraient pu inquiéter le haut commandement, mais comme les pertes se bornaient à quelques hommes et que la lutte n'avait pas eu un caractère très sérieux, l'état-major ne modifia pas ses plans. Des bourgeois avaient d'ailleurs fait savoir que les troupes seraient reçues à bras ouverts. Ainsi la confiance régnait. Elle disparut rapidement. A peine arrivés à la porte de Schaerbeek, les pièces mises en batterie pour bousculer les barricades, essuyent un feu assez nourri. Stieldorff et une cinquantaine d'insurgés retranchés derrière une barricade faite de pavés, de meubles et de sable, tiraillent. L'assaut est donné, la barricade emportée, et les grenadiers s'engagent dans la rue Royale. Embusqués dans les maisons, les rebelles font pleuvoir sur les soldats une grêle de plomb. Cependant, la troupe atteint le Parc. Les soldats se précipitent dans les bosquets et les vallonnements. Les officiers qui dirigeaient les divers détachements ont commis une erreur capitale. Ils ont voulu laisser souffler leurs troupes avant de pousser plus avant vers la place Royale. La barricade entre l'Hôlel de Belle Vue et le Palais n'était pas défendue à dix heures du matin, mais des insurgés étaient aux fenêtres des maisons de la place Royale, et ils tenaient la Montagne de la Cour. Si cette piètre défense avait été bousculée et si les troupes avaient dévalé vers la Madeleine et l'hôtel de ville, la résistance de la population aurait été ébranlée. La réflexion de Trotsky : « il n'y a pas de doute que le sort de toute révolution à un certain point est décidé par une rupture dans la disposition de l'armée », se justifie bien ici. Si les grenadiers et les chasseurs, troupes d'élite, avaient eu assez de cran, leurs officiers assez de clairvoyance et d'initiative, le 23 septembre en fin de matinée, le centre de Bruxelles eût été occupé et la résistance dans le bas de la ville dangereusement compromise.
Dans la ville basse, l'échec est plus net. L'avance des troupes a été plus rapidement brisée. La rue de Flandre, fort étroite, favorisait la défense. Des étages supérieurs tombaient sur les soldats les objets les plus hétéroclites, tandis que retranchés derrière les barricades, embusqués dans les encoignures des portes, protégés par les rebords des fenêtres, les habitants des quartiers populaires faisaient subir de lourdes pertes à l'assaillant. Les jeunes miliciens hollandais s'effrayèrent. Ils furent pris de panique lorsque leurs propres hussards, envoyés en renfort, se mirent à charger. Devant les barricades, les chevaux cabrés sont foudroyés à bout portant. Ce fut une mêlée affreuse et un échec total pour l'armée.
Rue de Laeken, l'insuccès est aussi grave. La manoeuvre du général Favauge est mal conçue. L'obstacle est le même que rue de Flandre; le déploiement des troupes est malaisé, voire impossible. Le combat de rue est tout de suite meurtrier et les troupes ne sont pas de qualité pour mener une lutte sévère qui exige d'ailleurs un entraînement spécial au combat rapproché. La situation à midi, le 23 septembre, est la suivante: l'armée occupe la rue Royale, le Parc, les portes de Iouvain et de Namur. Elle s'est heurtée à une défense désespérée des hommes résolus, qui, malgré les chances médiocres de succès, avaient décroché leur fusil et s'étaient embusqués un peu au hasard. Il y a cependant des chefs improvisés qui ont de l'ascendant sur leurs camarades: Pierre-Joseph Parent, Kessels, Stieldorff, par exemple. Ce sont souvent d'anciens soldats de Napoléon. Ils ont l'habitude du commandement et les petits groupes qui s'agglomèrent autour d'eux sont séduits par l'allure et le prestige de ces entraîneurs d'hommes. Les Liégeois sont parmi les plus hardis. Charlier à la Jambe de Bois est avec son canon au-dessus du Coudenberg d'où il ajuste son tir vers le Parc.
Mais la discipline est rare. Un général français, Valazé, au retour d'une mission diplomatique auprès de Guillaume 1er, et qui assistait aux combats, est choqué par l'état lamentable de ces pauvres hères qui se font trouer la peau. L'après-midi on tiraille sur la ligne de feu et le Parc devient le centre des combats. Le nombre des insurgés augmente, car la résistance a réussi aux portes de Flandre et de Laeken et dans le haut de la ville l'avance de l'armée a été contenue. Des bourgeois, désespérés aux premières heures du 23, ont repris confiance. Déjà on songe à appeler les gens du dehors. Des estafettes sont envoyées par la porte de Hal restée libre. Le bruit du canon, d'ailleurs, avertit les paysans de Saint-Gilles, d'Uccle, de Boitsfort et des communes voisines. La nouvelle des combats et de la résistance valeureuse et efficace se répand dans le Brabant wallon, gagne le pays de Charleroi. Des hommes partent pour la capitale et ceux des villages les plus proches y arriveront dès le 23. Ce sont des renforts appréciables surtout pour le moral des insurgés qui perdent peu à peu le sentimeut de leur isolement.
Le soir tombe sur Bruxelles, la fusillade se ralentit, cesse. Les hommes quittent le lieu des combats et cherchent le repos dans les cabarets ou les plus hâbleurs raconteut sans arrèt leurs exploits. Femmes, vieillards, appliquant l'ordre fameux du Comité de salut public, passent la nuit à faire des cartouches. On recueille, comme en l'an II, le salpètre dans les caves. Engelspach-Larivière, un personnage étonnant, s'est dévoué sans compter à approvisionner les combattants en munitions.
Les autorités militaires ne sont pas restées inertes devant l'échec initial. La fusillade en de nombreux endroits, la débâcle rue de Flandre, la piteuse attaque rue de Laeken ont révélé à l'état-major le côté tragique de l'opération. Ce n'est point la parade qui devait se faire sous les yeux des élégantes bruxelloises, mais un véritable siège de ville qui commence. Les plans sont bouleversés. Cependant le prince Frédéric s'obstine dans la voie de la conciliation. Il cherche à manroeuvrer. Il souhaite obtenir par des négociations ce que la force lui a refusé. Il envoie le lieutenant-colonel de Gumöens en émissaire chargé d'entrer en contact avec une autorité quelconque en vue de conclure une trève. Gumöens, parti de la porte de Schaerbeek, « muni d'un linge blanc en signe de parlementaire », accompagné d'un insurgé fait prisonnier et libéré à cette occasion est bousculé, traîné vers l'Amigo. Cette mission nous éclaire sur les intentions du prince, qui comprend bien le risque grave pour l'avenir d'une soumission de Bruxelles obteuue par un extraordinaire déploiement de forces et par des bombardements. La rupture définitive entre le Nord et le Sud serait consommée. Cependant, Constant Rebccque ne néglige pas de renforcer les effectifs et de donner des ordres sévères pour le lendemain.
La lutte repreud le 24, vers six heures du matin Le Parc est devenu le ceutre des combats. Les iusurgés, solidement installés dans certaines maisons qui le dominent, percent les murailles et gagnent de proche en proche. Des corps à corps s'engagent. D'autre part, les troupes qui sont à la porte de Namur tentent de descendre vers la place Royale. Elles sont repoussées Dans les deux camps, des coups de mains sont préparés, mais ils échouent dans la confusion.
Le 25, les rangs des insurgés se sont renforcés par l'arrivée des volontaires provinciaux. Des bourgeois de Bruxelles ont pris place aux barricades et dans les maisons. Une organisation centrale s'efforce de coordonner les efforts, mais les chefs ont plus d'ambition que de pouvoir réel sur les groupes de combattants qui se plient mal à la discipline et luttent à la diable. Depuis le 24 au soir, un chef militaire, don Juan van Halen, est choisi par une autorité qui s'est installée à l'bôtel de ville où la place était libre et qui a pris modestement le nom de « Commission administrative ». Van Halen, de la branche espagnole d'une noble famille limbourgeoise originaire de Weert, beau-frère du général patriote Quiroga, est un personnage romanesque. Il a connu les prisons de l'Inquisition et de la Réaction espagnole, puis il est allé se battre au service du tsar dans les campagnes du Caucase. Farouchement espagnol, il a pris part aux guerres civiles qui ont déchiré sa patrie et s'est distingué en 1822 et 1823 dans l'armée du célèbre Mina. Son nom est connu dans les milieux des révoltés. Charles Rogier a collaboré à la rédaction de ses Mémoires, publiés à Liège et à Bruxellcs en 1827.
La famille de Rogier a aidé l'exilé qui, en 1828, est venu se fixer à Bruxelles où il retrouve des parents appartenant à la bourgeoisie maestriechtoise. Ce béros des révolutions espagnoles, cet expert en combats de rues s'est distingué le 24 au matin dans une lutte acharnée pour la prise de maisons rue de Louvain. Convoqué à l'hôtel de ville, il s'y présenta le 24 au soir et se vit offrir le « Commandement eu chef des forees actives de la Belgique ».
L'ordre du jour par lequel Juan Vau Halen fil connaître le 25 septembre son acceptation nous éclaire sur les seutiments d'amour du peuple et d'attachement profond et sincère de ces insurgés à la cause de la liberté. « L'amour de la liberté, le devoir de défendre tant de familles dans la consternation, l'irritation dont mon âme est animée en voyaut assassnuer les habitants et brûler leur foyers, m'ont fait sortir de l'obscurité dans laquelle je m'étais placé. J'accepte avec l'orgueil d'un admirateur de la victoire du peuple contre des incendiaires et des dévastateurs, j'acepte, fier aujourd'hui du nom belge, allié à celui d'un Espagnol libre, un commandement dont je suis loin de me croire digne ". On croirait entendre un héros de Stendhal s'écrier « Jc suis un homme libre! ».
A la Commission, Rogier a imposé ce choix. C'est une habileté de sa part pour calmer le mécontentement des purs. Les bourgeois qui se sont installés dans les bureaux de l'hôtel de ville au grand courroux des radicaux ont à se faire pardonner leur découragement et leur éloignement de la capitale aux heures incertaines. Les étrangers sont aussi satisfaits, car Van Halen attache spécialement à sa personne deux amis espagnols Urculo et Verloe. Ernest Grégoire, chef de partisans, devient son aide de camp, tandis que Kessels, « montreur de baleine » dans les foires et ancien marin de l'Empire, est chargé du commandement de l'artillerie. Le chef d'état-major est un Belge: Pletinckx, ancien officier de l'armée des Indes, devenu propriétaire de l'Hôtel de la Paix, ce rendez-vous général des vrais révolutionnaires et le premier siège de la Réunion centrale.
C'est là d'ailleurs que Juan Van Halen se retire le 24 pour préparer ses plans de bataille. Mais il ne dispose que d'un « misérable petit avorton de plan de Bruxelles et des environs, arraché à un livre de deux sous, décrivant Manneken Pis et les autres beautés de la ville ». Il reste plusieurs heures à établir un plan d'opération pour chasser les Hollandais du Parc. Autour de lui règne le plus bel enthousiasme. Pletinckx verse à boire, les toasts succèdent aux toasts. Ces gens « qui avaient tous l'aspect de brigands », sont sûrs maintenant de la victoire. Vers minuit, Van Halen flanqué de son état-major, va sur la Grand'Place haranguer les « soldats-citoyens », mais ceux-ci déclarent qu'ils n'iront pas à la boucherie. Van Halen remet l'attaque au lendemain et visite différents postes qu'il trouve sérieusement dégarnis.
Cette attaque échouera. Soigneusement préparé, le plan d'assaut par trois colonnes qui devaient déboucher de la Place Royale, de la Montagne du Parc et de la Place de Louvain, était une idée irréalisable. La coordination des mouvements était impossible avec des éléments aussi divers, aussi turbulents, aussi indisciplinés, vaolontaires hardis, sans doute, mais médiocres soldats. Pletinckx ne réussit pas à s'emparer du Palais des Etats-Généraux (à l'emplacement de l'actuel Parlement), et la sortie de Kessels, s'élançant de la barricade du Calé de 1'Amitié, fut vite repoussée. Les soldats royaux cachés derrière les arbres et les artilleurs pointant leurs canons sur les issues principales avaient une énorme supériorité sur les assaillants.
Il était plus sage de s'emparer des hôtels en tourant le Parc. Les communications intérieures que les insurgés pratiquaient de maison à maison causaient de graves soucis à l'état-major royal. Le 25 au soir, le long de la rue Royale, face au Parc, la plupart des immeubles sont occupés par les patriotes. Seuls les escaliers de la Bibliothèque sont encore aux mains de l'armée. Le 26, celle-ci en sera chassée. Rue de Brabant, l'actuelle rue de la Loi, des Belges s'infiltrent aussi. L'hôtel de Galles est atteint au coin de la rue Royale.
Le général Van Halen a consacré la soirée du 25 à préparer un nouveau plan d'attaque. Installé dans une chambre de l'hôtel de Chimay, Montagne du Parc, il songeait à un assaut au débouché des mêmes endroits. Mais il se plaignait de l'insubordination de ses combattants « autant de généraux que de soldats ». Le 26, ce furent les troupes royales, qui prirent l'initiative des opérations. Les grenadiers s'élancèrent vers la Place Royale, mais le tir des canons de Mellinet et de Charlier à la Jambe de Bois, le feu nourri des hommes massés derrière les barricades, retranchés dans l'Hôtel de Belle-Vue et le Café de 1'Amitié, brisèrent l'ultime effort de ces troupes d'élite. Bien mieux, Kessels réussira avec une poignée de braves à s'emparer de deux caissons. Mais les tentatives de ce même Kessels et d'autres volontaires pour s'installer solidement dans le Parc échouèrent encore toutes, ce jour-là.
La nuit du 26 au 27 se passa à renforcer les barricades et à préparer un assaut mieux ordonné pour le lendemain. Mais il ne devait plus y avoir de combat autour du Parc: l'ennemi, entre minuit et trois heures du matin, dans un remarquable silence, avait vidé les lieux.

* * *

L'échec de la stratégie hollandaise est manifeste. Comment expliquer que dix mille hommes de troupe lancés sur Bruxelles aient si lamentablement conduit une opération dont le succès paraissait aisé? Dans la première moitié du XIX. siècle, les tentatives militaires pour briser la résistance d'insurgés n'ont pas toutes réussi. Les victorieuses journées de Bruxelles succèdent aux « Trois Glorieuses » de Paris. A Vienne, en 1848, à Berlin la même année, les révolutionnaires l'ont emporté, du moins initialement. Mais les journées de juin 1848 à Paris ont marqué un tournant. Sans doute, l'unité révolutionnaire était brisée avant que les troupes de Cavaignac entrent en action, mais c'est le recours à la répression brutale qui a écrasé les espoirs des rebelles. Par contre, à Varsovie, la force a toujours fini par mater les révoltes, en 1831 comme en 1863. En Italie aussi les armées de Metternich ont longtemps triomphé.
L'explication première de la victoire de l'autorité sur un soulèvement populaire est d'abord et avant tout dans le recours délibéré à la force brutale, employée sans considération humanitaire quelconque. En Europe occidentale, au cours de la première moitié du XIXe siècle, contre des insurgés comptant des bourgeois dans leurs rangs et des bourgeois que l'autorité répressive, avec plus ou moins d'illusions, considère comme appartenant au même groupe national, l'autorité a agi parfois avec prudence. Ces précautions ont épargné le sang, mais elles lui ont coûté le pouvoir. Ce souci de la vie humaine explique, en partie, la défaite du pouvoir établi dans cette lutte de forces qu'est d'abord une révolution. Une des causes de cette prudence est peut-être sentimentale. Le XVIIIe siècle sensible et aimable n'est pas loin et la fatjgue des guerres de la Révolution et de l'Empire pèse lourdement sur les épaules des hommes politiques responsables, des chefs d'Etats. Le prince Frédéric est un philanthrope. Grand-maître de la Franc-maçonnerie, il a toujours été considéré comme un homme foncièrement bon et il ne semble pas que son éducation Prussienne ait trop altéré ses qualités natives. Mais la prudence vient aussi de la réflexion et de la soumission aux faits. Les rois du temps savent que l'époque est révolue de la répression brutale. Le courant libéral est tout-puissant. Il ne sert à rien de vouloir le briser. Mieux vaut tenter de le dévier. La bourgeoisie aidée par le peuple, car les deux classes, si elles ne sont pas amies, sont sûrement alliées, est décidée coûte que coûte à faire triompher ses idéaux. C'est folie de vouloir refuser au peuple la souveraineté qu'il réclame. Les aspirations libérales et nationa]es de certains éléments des troupes lancées contre des insurgés obligent souvent le pouvoir à composer. Après 1848 l'atmosphère sera toute différente, le vent soufflera à la réaction, les classes alljées, bourgeoisie et peuple, seront devenues ennemies.
Dans l'esprit des chefs de l'expédition, le recours à des mesures d'exécution brutale est sans doute froidement envisagé. Mais, l'arrêté secret de Guillaume 1er du 17 septembre 1830 décidant la marche des troupes sur Bruxelles, prescrit de verser le moins possible de sang et de limiter les dégâts au minimum. Il va sans dire que la proclamation du prince Frédéric du 21 à la population bruxelloise insiste sur ce rôle pacificateur. « Les légions nationales vont entrer dans vos murs, au nom des lois, et à la demande des meilleurs citoyens, pour les soulager tous d'un service pénible et leur prêter aide et protection. Ces officiers, ces soldats, unis sous les drapeaux de l'honneur et de la patrie, sont vos concitoyens, vos amis, vos frères. Ils ne vous apportent point de réactions, ni de vengeances, mais l'ordre et le repos. Un généreux oubli s'étendra sur .les fautes et les démarches irrégulières que les circonstances ont produites. »
La résistance inattendue aux portes de la ville, le confinement dans le Parc obligent les chefs militaires à reconsidérer tout le problème. Le chef de l'état-major, Constant Rebecque, le 23 septembre, écrit dans son journal: « L'affaire était manquée. La réaction tant promise en notre faveur n'a pas eu lieu... Nous n'occupons les hauts de la ville que d'une manière imparfaite, et nos troupes sont trop peu nombreuses et trop inexpérimentées pour des opérations de vive force et pour se retrancher ». Un seul espoir subsiste: « lasser les assaillants par notre persévérance et obtenir par des négociations la cessation des hostilités et l'occupation du reste de la ville ». Ainsi on ne recourra pas à des armes destructives singulièrement efficaces, il n'y aura pas de bombardement de la « ville rebelle », mais des négociations.
Celles-ci ne pouvajent aboutir. Les insurgés voulaient le retrait des troupes. Le prince Frédéric, exigeait l'occupation pacifique de la ville par l'armée. Les points de vue étaient inconciliables. Mais ce désir de négocier éclaire singulièrement la psychologie des chefs militaires. La première mission du lieutenant-colonel de Gumöens, envoyé par le prince Frédéric dans l'après-midi du 23 septembre auprès d'une autorité révolutionnaire quelconque, aboutira à une proclamation très significative du prince Frédéric : « J'étais venu, par l'ordre du roi, vous apporter les nouvelles de paix et pour rendre à cette résidence l'ordre légal, qui seul peut arrêter le torrent des maux auxquels elle est en proie ». Et il affirme être prêt à l'oubli, pourvu que la garde urbaine, réorganisée, reprenne son service « de concert avec les troupes nationales », et que « les autorités légales ressaisissent le pouvoir nécessaire à l'exécution des lois ». Mais le président et les membres de la « Commission provisoire d'ordre public », réunis à l'hôtel de ville le soir du 23 à dix heures, fixèrent trois conditions à la cessation du combat, dont la première est décisive: « Les troupes se retireront immédiatement à six lieues de Bruxelles et cesseront toute hostilité tant avec cette dernière ville qu'avec les autres villes du Royaume ». Ils y ajoutèrent « l'oubli général du passé sans restriction aucune » et « la réunion ordinaire des Etats-Généraux dans une ville des provinces méridionales autre que Gand et Anvers ». Trois notables, le baron E. Vanderlinden d'Hooghvorst, le baron de Coppin, l'avocat Delfosse, accompagnés de deux aides de camp, allèrent porter cette réponse au Quartier Général du prince, chez le notaire Hermans à Schaerbeek. Le prince fut sur le point de céder. L'aide de camp Debremaker fut même envoyé à l'hôtel de ville par le baron d'Hooghvorst « pour faire connaître l'accueil favorable que le prince avait fait à la députation et la vive émotion qu'il avait paru ressentir au récit qui lui fut fait des événements de la journée ». Il apportait l'ordre verbal d'empêcher autant que possible un nouvel engagement, « dans la crainte de troubler la transaction qui paraissait s'entamer ». Mais après en avoir discuté pendant deux heures avec son conseil, le prince déclara qu'après avoir revu les instructions du roi, il ne pouvait céder aux exigences des « parlementaires ».
Une nouvelle démarche princière fut tentée le 24 dans l'après-midi. Le prince Frédéric envoya le curé de Laeken demander la fin des combats. Elle n'eut pas plus de succès que la précédente. Dans la nuit du 24 au 25, des négociations se nouèrent à nouveau. Emmanuel d'Hooghvorst, Delfosse, Pourbaix et deux autres bourgeois arrivèrent en députation au Quartier Général. Cette fois, le prince céda sur des points essentiels. Il accorda une amnistie pleine et entière, alors que la proclamation du 21 en excluait les « auteurs principaux d'actes trop criminels pour espérer d'échapper à la sévérité des lois » ainsi que les étrangers (ceux-ci, cependant, devaient quitter la ville). Il promettait d'employer toute son influence auprès de son père pour que la session ordinaire des Etats-Généraux se tienne à Bruxelles, il confiait aux chefs de section la mission d'organiser une Régence provisoire, enfin, il acceptait un échange immédiat des prisonniers et des otages. Ce recul du prince accusait son découragement dont témoignèrent les minutes d'un ordre de retraite pour le 25 au matin, ordre qui ne fut pas mis à exécution. Mais les négociateurs belges avaient dû accepter l'occupation par les troupes royales des positions qu'elles détenaient dans le haut de la ville et le renvoi des bandes liégeoises. Cela suffit à faire rejeter par les insurgés les engagements souscrits de cesser le combat.
Le prince, cependant, ne se découragea pas. Le 25 septembre, à deux reprises encore, il s'efforça d'obtenir la cessation des combats par des voies de conciliation. Il envoya le lieutenant en second du 10e lanciers, l'adjudant-major H. de Ravenne, inviter le baron d'Hooghvorst à se rendre auprès de lui, « afin d'aviser ensemble aux moyens de rétablir la paix et la tranquillité dans la ville». A la« Commission administrative», Rogier s'opposa au départ de l'ancien chef de la garde bourgeoise, et il fut répondu à la proposition princière par l'exigence du retrait immédiat des troupes « à un rayon de huit lieues. Telles seraient les premières bases de tout arrangement ultérieur ». Le prince Frédéric s'inclina. « Son Altesse Royale le Prince Frédéric des Pays-Bas consent à retirer les troupes hors de la ville, à condition que les hostilités cessent de suite et que l'on s'adresse à son Altesse Royale pour concerter avec elle sur les moyens àprendre pour rétablir l'ordre et la tranquillité ». Mais cette fois, ce furent les membres de la « Commission administrative» où Rogier joue un rôle prépondérant qui ne se satisfirent plus du seul éloignement des troupes et qui manifestèrent une superbe audace. La réponse est remarquable. Elle est de Rogier, croyons-nous, car elle sent son juriste de droit public, l'étudiant de Liège, l'élève de Destrivaux qui se souvient de Jean-Jacques. « Prince! le sang du peuple versé et l'incendie d'une partie de la ville ont rendu aujourd'hui tout traité bien difficile. L 'exaspéra tion de tous les esprits est telle en ce moment que nous ne pouvons répondre que ce qui serait convenu par nous, serait l'expression de la Volonté générale (c'est nous qui soulignons). Toutefois, l'éloignement immédiat des troupes parviendrait peut-être à arrêter le massacre des soldats et à sauver la dynastie ».

* * *

Ainsi, le prince, chef militaire sans doute, mais personnage royal d'abord, incline constamment au recours à la négociation et à des solutions pacifiques du conflit. Cependant, tous ne partageaient pas ses vues au Grand Quartier Général. Certains militaires étaient partisans d'une répression draconienne de l'insurrection. Le 26, il sembla pendant quelques heures que cette solution allait triompher. Constant Rebecque ne voulait à aucun prix « céder à cette canaille ». « Il faut l'écraser », déclare-t-il au major von Gagern qu'il envoyait à Gand auprès du général duc Bernard de Saxe-Weimar, dont la violence de caractère était connue, pour l'appeler au commandement de l'Infanterie. En même temps, il avait fait venir le général Cort-Heyligers qui tenait les communications entre Bruxelles et Liège, avec un solide renfort de sept bataillons d'infanterie, un régiment de dragons et une batterie de canon. Enfin, il avait chargé le colonel Van Balveren, oublié à Assche depuis l'affaire de la rue de Flandre, de couper la route de Bruxelles à Ath. Pour redresser le moral des troupes, il leur adressa un ordre du jour énergique.
Mais ce revirement ne plut pas à tout le monde. L'énergie de Constant Rebecque se heurta à la mollesse et au découragement de plusieurs officiers supérieurs. Le général d'infanterie Trip, le major Nepveu étaient partisans de traiter. Cette tendance l'emporta finalement. Le prince éloigna Constant Rebecque. La blessure que le général avait reçue le premier jour des combats fut le prétexte de son éloignement. Le major Nepveu qui le remplaça comme chef d'état-major du corps d'armée mobile était rallié àl'idée de la retraite... A deux heures de l'après-midi, au moment où le prince, les larmes aux yeux, embrassait Constant, envoyé à La Haye pour faire rapport au roi et soigner sa blessure, l'abandon de la ville par les troupes royales n'était plus une éventualité, c'était une certitude. Ainsi le pouvoir politique et même le pouvoir militaire n'ont pas voulu recourir à des procédés violents pour mater l'insurrection. Le bombardement de la ville de Bruxelles n'a pas été tenté. Les pièces d'artillerie dont le commandement disposait ne permettaient d'ailleurs pas une opération d'envergure. Lorsque dans le feu du combat et dans l'âpreté de la lutte, quelques-uns songèrent à des représailles que la rage commandait plus que la raison, des officiers belges au service du Roi manifestèrent clairement leur intention de déserter en cas de bombardement de leur capitale.
Les troupes choisies pour l'opération étaient sans doute les meilleures du roi des Pays-Bas, majs leur valeur était, dans l'ensemble, médiocre. Quelques unités étaient de qualité, toutefois la ljgne était composée d'hommes jeunes, inexpérimentés. Or les combats de rue, pleins de surprises, réclamaient précisément un courage et une adresse particulières. Derrière leurs barricades, les insurgés postés aux fenêtres, occupaient des positions quasi inexpugnables. Le fanatisme national qui excitait les rebelles n'animait pas ces unités. Sans doute, elles étaient composées en majeure partie de Hollandais; ceux-ci n'aimaient assurément pas les Belges, cependant ils n'éprouvaient pas encore à leur égard les sentiments profonds de haine qu'ils ressentiront à la suite d'une propagande nécessaire à la réalisation des desseins royaux ou simplement par le fait des combats, puis des luttes diplomatiques de toute une décade. Au surplus, la présence de quelques Belges dans le cadre de ces troupes en brisait l'unité. Les officiers belges s'émurent vite de l'âpreté de la lutte et souffrirent douloureusement de l'équivoque de leur situation. Entre le loyalisme monarchique et l'amour de la patrie, ils choisiront la patrie.
L'explication fondamentale de l'échec du prince Frédéric est donc dans la répulsion à recourir à des moyens radicaux pour briser le soulèvement populaire. Le siècle est passé où l'on écrase la « canaille », et le siècle n'est pas encore venu où la puissance des moyens de destruction annihile toute insurrection.
Des causes secondaires expliquent néanmoins le désastre. Même avec de telles préoccupations humanitaires, l'attaque de Bruxelles aurait pu réussir si des erreurs de tactique n'avaient pas été accumulées lors des premières heures de la lutte. Avec de la clairvoyance et de la décision, la place Royale pouvait être occupée et la rue Royale serait restée entièrement aux mains de la troupe. La cavalerie a été oubliée sur les boulevards alors qu'elle aurait pu gêner l'arrivée des renforts du pays wallon. On comprend que le 23 au matin, on n'ait point voulu intercepter ces routes, pour permettre précisément l'exode des étrangers. Mais, dès le 23 à midi, il fallait occuper ce qui était des voies d'accès et non plus les chemins de la fuite. L'utilisation plus rationnelle de l'artillerie aurait permis de détruire les barricades et d'ouvrir le passage à des hommes intrépides. Mais il n'yen avait guère parmi les assaillants...
Le 27 septembre, à quatre heures du matin, « hors la porte de Scarrebecke », le prince Frédéric envoyait à son frère une lettre découragée : « Hélas, je ne peux que vous donner de mauvaises nouvelles, car depuis le départ de Constant, notre situation s'est empirée au point que j'ai cru devoir donner l'ordre de retirer ce matin les troupes hors de Bruxelles pour prendre la position de Dieghem. Hier, vers le soir les révoltés se sont portés en masse vers le parc, et y ont fait un feu si terrible que les troupes ne pouvaient plus tenir à l'intérieur, en même temps ils ont mis le feu au palais du Roi, dans la partie que j'occupe, en jettant des petites balles enflammées depuis la maison d'accôté dont ils s'étaient rendus maître... »(R. Demoulin, Les Journées de Septembre, p. 275, Liège, 1934.) Une heure et demie plus tard, de son Quartier Général, Van Halen adressait aux membres du Gouvernement provisoire un grand bulletin de victoire. « Messieurs, l'ennemi dont sans doute la chaude journée d'hier a complété le déplorable état de démoralisation a senti l'impossibilitéd'une plus longue résistance et vient d'abandonner nos murs. L'héroïque Bruxelles est libre... »
Il y avait, en effet, depuis la veille, un Gouvernement provisoire de la Belgique.

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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Le roi attendait que la victoire lui vienne de la désunion des révoltés. Il espérait que les factions se déchireraient et que la lutte des intérêts et des idées briserait l'opposition. Le 22 septembre, les événements semblaient lui donner raison. L'anarchie régnait à Bruxelles. Entre les modérés et les avancés, les moderates et les liberals, comme les appelle le diplomate anglais Cartwright, la querelle s'est envenimée. Des raisons de tactique politique divisent d'abord les adversaires de Guillaume 1er. Les partisans des solutions extrémistes, d'une rupture ouverte avec La Haye, se sont ralliés aux vues conciliatrices de la majorité des séparatistes, soucieux de respecter les voies constitutionnelles. De la séparation, ils espèrent tous des libertés politiques plus larges: dans une Belgique autonome, la presse serait libre, le jury rétabli, la liberté de langue une réalité, le pouvoir royal serajt bridé par la responsabilité ministérielle. Mais à mesure que les jours passent, que le roi tergiverse, n'applique pas immédiatement les voeux remis au prince d'Orange, les radicaux s'énervent. Les mouvements de troupes les inquiètent. La lente descente des divisions hollandaises vers le Sud, le renforcement des places fortes, l'occupation des points stratégiques se sont en effet déroulés méthodiquement dans la première quinzaine de septembre. Ainsi, une intervention des troupes est à craindre. Il faut constituer une armée nationale, rassembler des fonds, exciter les populations des campagnes et des petites villes, diffuser partout des mots d'ordre, organiser à travers le pays un véritable « réseau » d'hommes sûrs qui, au signal donné, dirigeront sur Bruxelles les volontaires et les armes. Pour organiser une force nationale, il faut des fonds et ainsi les problèmes ne sont pas seulement militaires, mais financiers et politiques. Les caisses publiques, le produit des impôts levés pour l'administration et pour le gouvernement royal, voilà une source de richesses qu'il faudrait se réserver. Mais, où est l'organisme qui donnerait aux fonctionnaires fiscaux des ordres qui seraient suivis? La Commission de sûreté formée à Bruxelles le 11 septembre n'a pas répondu à l'attente des patriotes. En fait, s'emparer des caisses publiques, organiser une armée, c'est se mettre en révolte ouverte. Or, depuis que les députés sont partis pour La Haye afin d'y discuter la séparation par les voies légales, ce sont là des initiatives dangereuses, c'est fournir à l'adversaire des prétextes d'intervention armée. Aussi bien, le courant modéré se renforce, le gouverneur du Brabant, Van der Fosse, tient toujours en main la perception des impôts de l'Etat et il assure le versement des caisses des receveurs dans celle du caissier général. La résistance à la révolte est nettement perceptible entre le 8 et le 15 septembre. A Bruxelles, l'effort des extrémistes pour créer un corps auxiliaire armé aboutit tout juste au recrutement de quarante hommes le 9 septembre. Et le 14, cette compagnie compte à peine une centaine d'hommes. Fait remarquable, la Régence de Bruxelles veut bien leur donner la nourriture pour les empêcher de piller, mais elle leur refuse l'équipement.

Le 8 septembre, le commandant de la garde bourgeoise, Vanderlinden d'Hooghvorst, engage ses compatriotes à suspendre momentanément leur marche vers Bruxelles. Les Liégeois, accourus à l'appel de Ducpétiaux et de Chazal, qui se chargera de les nourrir. Pour les bourgeois paisibles et craignant tout éclat, ils constituent d'ailleurs un groupement dangereux. Le Conseil de la garde bourgeoise ordonne au chevalier de Saint-Roch de dissoudre la compagnie qu'il a formée. Le 11 septembre, la moitié des Liégeois a été renvoyée « moyennant trois florins par tête et l'assurance des journées d'étape ». Le 13, il en reste cent cinquante « dont il paraît que l'on ne peut se défaire », se lamente le gouverneur Van der Fosse, mais le lendemain, il se félicite d'un nouveau départ de quarante-trois de ces Liégeois. Le manque de ressources force une partie des volontaires à rentrer à Liège. Charles Rogier s'est adressé à la Régence de la ville de Liège et a réclamé le paiement, à charge de la ville, de la solde des soixante-dix hommes qui l'ont accompagné à Bruxelles. Mais le 16 septembre, le Conseil de Régence « attendu que l'objet de cette demande ne rentre pas dans ses attributions, décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la demande de Monsieur Charles Rogier ».

Pour les exaltés, la constitution d'un Gouvernement provisoire résoudrait tous les problèmes politiques et financiers. Les modérés n'en veulent pas. La lutte entre ces deux groupes ne pouvait s'éterniser. Si le souverain, le 13 septembre, avait annoncé qu'il était prêt à redresser les griefs essentiels et avait manifesté à l'égard de la séparation moins de réserve hostile, il aurait assuré la victoire des modérés. Mais le discours du trône est le meilleur argument pour les extrémistes. Ceux-ci insistent notamment sur la menace d'action militaire que renferme la décision de maintenir la milice sous les armes au-delà du terme normal.
Le 14, à Bruxelles, des rassemblements se forment à la Grand'Place et Place de la Monnaie. « Vive la Liberté! vive de Potter! vive Napoléon! » crie-t-on, et l'on brûle le discours du roi. Au banquet offert ce soir-là par les sections de la garde aux officiers liégeois, Charles Rogier, monté sur une table, avait lu le discours roval avec habileté et les cris « aux armes! vive la liberté! à bas le roi! » s'étaient élevés de toute part. Les épées furent dégainées, le discours brûlé.

Devant la lenteur calculée du roi, une réaction était inévitable. L'état-major général de la garde bourgeoise convoqua à l'hôtel de ville, pour la matinée du 15, les représentants des sections: les commandants, ainsi qu'un capitaine, un sous-officier et un garde choisis par élection dans chaque section. La Commission de sûreté, l'état-major et ces représentants délibérèrent dans la salle gothique sur un projet d'adresse aux députés belges demandant une prompte et favorable décision quant à la séparation.

C'est à cette séance orageuse qu'éclata la rupture entre les deux groupes: les modérés et les extrémistes. La réunion fut rendue publique et des provinciaux y participèrent. Un membre posa la question préalable: « Ne convenait-il pas d'insérer dans l'adresse la mention de l'établissement prochain d'un gouvernement provisoire à défaut d'obtenir promptement justice? » Les Liégeois se montrèrent particulièrement ardents. Charles Rogier eut une vive discussion avec l'avocat Spinnael et le marquis du Chasteler. Il trouvait l'adresse rédigée par le comte de Mérode, « molle et trop historique ». Il réclama des mesures énergiques, la fin des négociations et des tergiversations, une attitude plus ferme. Les patriotes bruxellois, parmi lesquels les rédacteurs du Courrier des Pays-Bas, Claes et Jottrand, firent entendre des paroles de sagesse: « vous n'avez pas d'argent ». Les Liégeois soutenus par les étrangers à la capitale menacèrent: « on fera marcher le Borinage, les volontaires accourus ici vous forceront à sortir de la légalité ». Mais les Bruxellois restèrent inébranlables. Les Liégeois et leurs partisans, devant leur échec, quittèrent la salle. Un seul député des sections de Bruxelles, Edouard Ducpétiaux, ami de de Potter, les suivit...

Le soir, à l'hôtel de ville le projet d'adresse du comte Félix de Mérode, remanié par un comité de rédaction désigné le matin en fin de séance, fut adopté à l'unanimité par les représentants de la garde bourgeoise et signé par de nombreux notables bruxellois. Le document restait vague sur l'objet essentiel: la consécration du principe de la séparation du Nord et du Sud. Les Bruxellois apercevaient d'ailleurs si bien la difficulté d'accélérer les formalités constitutionnelles, qu'i1s se contentèrent sans préciser, de prier les députés « d'obtenir immédiatement du trône une mesure rassurante et décisive », et le retrait des troupes venues du Nord.
Retirés à l'Hôtel de la Paix, tenu par Pletinckx et lieu de ralliement des patriotes, où, la veille, les Liégeois avaient été reçus, les extrémistes rédigèrent également une adresse aux députés. Ed. Ducpétiaux, Ch. Rogier, B. Renard, Ernest Grégoire, Ed. Berten, F. Chazal, P. Rodenbach, Niellon, Vandersmissen et d'autres signèrent ce document.
Ces extrémistes sous la présidence de Charles Rogier, le tournaisien Renard étant secrétaire, décidèrent de faire sortir la Commission de sûreté des voies diplomatiques. Ils lui proposèrent une série de mesures impressionnantes qui sont toutes révolutionnaires: l'organisation et l'armement complet de la garde bourgeoise, l'élargissement de ses cadres, l'organisation de compagnies franches dans les campagnes, le choix d'un chef pour commander les forces nationales, l'appel sous les drapeaux nationaux des militaires belges. Toutes ces mesures en venaient à former l'armée de la nation. Comment se procurer les fonds? La surveillance de la rentrée des deniers publics et leur destination à la cause nationale y pourvoiraient. Il faudrait encore surveiller rigoureusement le service des postes et des administrations dont les agents pourraient se mettre en opposition avec la cause nationale. Ce sont là des moyens d'action que la grande majorité de la garde bourgeoise et de la Commission de sûreté ne veulent pas mettre à exécution. Mais ce qui frappe, dès cette date du 15 septembre chez les modérés comme chez les extrémistes, c'est le caractère national des revendications. L'adresse des bourgeois bruxellois aux députés est d'une grande fierté patriotique: rappel du drapeau cher au souvenir des Belges, en tous temps jaloux de leurs droits, allusion à l'incurie d'un ministère an tibelge, opposition formelle à la Hollande.

Quatre fois le terme « national» revient sous la plume des hommes réunis à l'Hôtel de la Paix le 15 septembre « à l'effet de prendre les mesures que leur inspirera leur patriotisme pour le salut de la patrie ». L'opposition, politique d'abord, est devenue nationale. Les chants patriotiques excitent les creurs. Le 12 septembre, à la Monnaie, La Feuillade a chanté la Brabançonne, composée par Jenneval qui devait être tué en combattant le 18 octobre. Le dernier couplet était une menace au Roi:

«Mais malheur, si de l'arbitraire
Protégeant les affreux projets
Sur nous du canon sanguinaire
Tu venais pointer les boulets!
Alors tout est fini, tout change;
Plus de pacte, plus de traité
Et tu verrais tomber l'Orange
De l'arbre de la Liberté. »

La Marseillaise des Belges, la Bruxelloise, la Liberté belge, la Garde bourgeoise de Bruxelles, hymnes vibrants de ferveur patriotique sont chantés au théâtre et dans les cafés.
Mais les divergences sur les procédés deviennent capitales et le fossé se creuse entre les deux tendances. Un jeune docteur en droit, Gustave du Roy de Blicquy, garde bourgeois et excellent patriote, mais fort bien renseigné sur la mentalité des officiers belges de l'armée royale -son frère est lieutenant au 36 régiment de cuirassiers -s'effraye de l'audace des extrémistes. Il écrit le 16 septembre à un autre frère qui se trouvait en province: « Pourvu que l'exaltation de nombre de jeunes gens et des Liégeois, qui sont tous un peu boute-feu, n'entraîne pas la cause dans le précipice en marchant sans prévoyance et surtout en s'abandonnant à des coups hardis qui forceraient l'armée à se défendre et ne donneraient pas le temps aux Belges de quitter [c'est-à-dire de déserter], si la chose prend ici de la consistance et leur offre des garanties ». La voie de la sagesse et de la prudence ne sera pas suivie. Un centre permanent réunit les hommes décidés à tenter l'aventure. Après avoir rédigé leur adresse à l'Hôtel de la Paix, les patriotes se sont donné rendez-vous le soir à la salle des Beaux-Arts, rue de Bavière. Ils y décidèrent la formation d'un club, à l'instar de Paris, la Réunion centrale dont le but « est de favoriser l'émission libre et la discussion calme de toute mesure jugée utile au triomphe des intérêts moraux et matériels des provinces méridionales ». Un règlement fut rédigé, un comité constitué. La présidence pour la première séance fut offerte à Charles Rogier qui la refusa en sa qualitéd'étranger à la ville. II recommanda Ducpétiaux au suffrage des membres et accepta la vice-présidence. Le 16, le club s'installa à la salle SaintGeorges, rue des Alexiens.

La Réunion centrale groupe des éléments jeunes et enthousiastes, Bruxellois, provinciaux, étrangers, tous partisans résolus d'une véritable révolution. Ce sont les « Jacobins », comme les appelle Cartwright. Les statuts et la procédure du club éveillent, en effet, le souvenir de la célèbre société du cloître de la rue Saint-Honoré. Les hommes de 1830 vivaient réellement en pensée avec les révolutionnaires de 1789 ou de 1793, selon leurs tendances. Jean-Baptiste Nothomb, froid et réfléchi, était passionné de curiosité pour les événements de l'an II. Sylvain Van de Weyer, le 28 août, à l'assemblée des notables à l'hôtel de ville de Bruxelles, ne tira-t-il pas un des orateurs par le pan de l'habit en lui disant: « 89, oui, 93, non » ?
La Réunion centrale n'agit d'abord, comme les clubs de la grande Révolution, que par voie indirecte: elle envoya à la Commission de sûretédes députations et des requêtes. Elle la pressa de s'emparer de l'autorité, de mettre la main sur les fonds publics, de surveiller les opérations de la Société Générale et de prendre des mesures radicales pour repousser l'agression du gouvernement qui se préparait. Puis, devant l'inertie de cet organisme, elle passa à l'action. Le 18, un membre proposa de faire élever des barricades; le club décida que, si le lendemain la Commission n'avait pas ordonné ces travaux, il les ordonnerait lui-même. Et devant les bruits d'une attaque imminente, il fit placer des sentinelles en dehors des portes de la ville. Ainsi, 'Gendebien, membre de la Commission de sûreté, a parfaitement défini les visées de ce club: « forcer la main à la commission de sûreté, la déborder au besoin... Le but du plus grand nombre de ses membres est l'affranchissement de la Belgique sous une même dynastie; mais d'autres désirentlever l'étendard français ». Ces exaltés souhaitent ardemment la formation d'un Gouvernement provisoire, seule autorité vraiment révolutionnaire, capable d'organiser la résistance à l'invasion armée, de discuter avec le souverain les conditions d'un accord satisfaisant pour la Belgique. Ils ont cependant peu de moyens à leur disposition. Ils sont pauvres : les cotisations du club fixées à un florin et les dons patriotiques sont modestes. Mais ils sont en étroit contact avec le peuple. Charles Rogier est très écouté par les volontaires liégeois, casernés à Sainte-Elisabeth, Pierre Rodenbach a autour de lui des volontaires flamands, Renard des Tournaisiens. Pourtant c'est le peuple bruxellois qui constitue la masse qu'il faut manoeuvrer. Un des procédés les plus efficaces pour entretenir la tension des esprits fut la diffusion de nouvelles, vraies, fausses ou exagérées. La peur d'une attaque des troupes royales a été au cours des mois d'août et de septembre le meilleur excitant. C'est elle qui soulève le peuple le 31 août, à la veille de l'entrée du prince, c'est l'annonce de la concentration des troupes hollandaises qui indigne la population, c'est la lecture des extraits de la presse hollandaise réclamant l'écrasement des rebelles qui déchaîne le patriotisme. De « faux bruits » sont répandus: quarante mille gardes nationaux français sont prêts à marcher au secours de Bruxelles, dit-on le 14 septembre. La veille, on racontait qu'Exelmans avait passé la frontière française avec douze mille hommes! Autre « bobard » : quinze mille Borains sont prèts à marcher!

Voilà une arme facile à manier pour énerver la population! Mais les difficultés économiques dans lesquelles se débattent la classe ouvrière et le petit peuple de Bruxelles sont pour les meneurs le meilleur atout. L'émeute du 25 août a accentué singulièrement les embarras de l'industrie et augmenté le chômage. Des fabriques ont été pillées; les transactions commerciales sont paralysées par l'incertitude de l'avenir politique. Des petits fabricants et des manufacturiers suspendent leurs travaux, renvoient leurs ouvriers en tout ou en partie. La Banque est atteinte. Les effets escomptés par la Société Générale ne sont pas acquittés à mesure de leur échéance. La direction ne paie qu'un cinquième en numéraire et quatre cinquièmes en billets. Le besoin d'espèces devient grave et le 17 septembre, la Société Générale supplie le ministre des Finances d'intervenir auprès du Syndicat d'Amortissement afin d'obtenir un emprunt de 3 millions de florins. Elle aide la ville, cependant, en lui avançant cent mille florins pour régler les salaires des ouvriers que l'on fait travailler au canal et aux boulevards. Sans doute ces salaires sont médiocres: celui des ouvriers, âgés de plus de dix-huit ans, « sera provisoirement de 50 cents par jour et de 25 cents pour ceux de quatorze à dix-huit ans ». Mais c'était le salaire que reçurent pendant toute la première moitié du XIXesiècle les ouvriers manreuvresterrassiers de l'industrie du bâtiment à Bruxelles. Aussi la réclamation d'une augmentation de 25 cents fait réfléchir. Armés de pioches et de pelles, ces ouvriers se présentent le 16 devant l'hôtel de ville. On leur accorde 10 cents. Ils se dispersent peu satisfaits et déclarent qu'ils sont bien décidés à revenir bientôt pour obtenir le reste. Ils sont sûrement victimes d'agents provocateurs. « Un pouvoir occulte excite les ouvriers à élever des prétentions insoutenables ou ridicules » écrit Levae à de Potter le 18 septembre. En outre, la vie est chère. Aussi la charité privée s'efforce de calmer les maux les plus tristes. Des collectes sont organisées par l'état-major de la garde bourgeoise, mais leur produit, quoique appréciable, -plusieurs milliers de florins -est insuffisant. « Une foule de pauvres ne discontinue pas d'assiéger la porte de l'hôtel. Dans plusieurs maisons des rues Royale et Ducale, on a fait cuire du pain que l'on distribue jour par jour. Monsieur le Comte de Mercy a mis à cet effet à la disposition de son portier une somme de soixante florins. Comme c'est une prudence nécessaire en ce moment de ne pas indisposer trop les basses classes, je prie votre Altesse de m'autoriser à employer une certaine somme de la même manière. J'en tiendroi compte à la fin du mois », manda le 16 septembre J.-F. Staedtler, intendant, au prince Auguste d'Arenberg.

Les bourgeois, placides et qui n'ont pris les armes que pour protéger la propriété, sans intention politique, sont inquiets devant l'agitation ouvrière. De plus, ils sont fatigués de monter une garde monotone. Leur lassitude est dangereuse pour la cause nationale, car la garde de Bruxelles constitue la force la mieux organisée à Opposer à une attaque de l'armée. Cette garde se désagrège. Des bourgeois se font remplacer. Les nobles s'éloignent de la ville. A mesure que les revendications sont devenues plus radicales, beaucoup de négociants, d'industriels, de proprriétaires, de paisibles bourgeois, loin de désirer une rupture brutale, en viennent à souhaiter ardemment des mesures d'apaisement, une solution de compromis. Même chez les partisans résolus des libertés nationales, le désarroi dans la pensée apparaît. La question essentielle, la séparation, divise les esprits. Le Courrier des PaysBas publie le 18 septembre un article symptômatique. Les inconvénients graves de la séparation pour les intérêts matériels font souhaiter un aménagement du système représentatif qui assurerait dans un Etat unifié, la domination effective des Belges qui sont les plus nombreux. Van de Weyer, le 18, ne voyait pas d'issue à la situation, et son confrère Jottrand, du Courrier des Pays-Bas, reconnaissait qu'une amnistie politique rendrait facile un accommodement. Le 18 septembre au soir, les deux émissaires Nicolaï et Vleminckx, chargés de remettre à La Haye les adresses aux députés belges, sont rentrés à Bruxelles, désespérés par l'accueil reçu, impressionnés par les déclarations des députés hollandais qui veulent que l'ordre soit d'abord rétabli, effrayés surtout par les préparatifs militaires qu'ils ont vus déployés depuis Anvers.

A l'hôtel de ville, la Commission de sûreté, l'état-major de la garde, des délégués des sections discutèrent sur l'attitude à suivre. Gendebien proposa de « repousser la force par la force », mais i.l n'était nullement question d'attaquer avec témérité les troupes royales. La discussion porta aussi sur la constitution d'un Gouvernement provisoire. Le projet fut encore une fois ajourné.
Pendant que ces notables discutaient, une patrouille envoyée par la Réunion centrale se dirigeait vers Tervueren où elle s'empara de quatre chevaux de la maréchaussée et les ramena en ville, tandis qu'une autre patrouille arrêtait la diligence qui se rendait à Amsterdam. La Commission de sûreté, où la tendance radicale est affaiblie par le départ de Gendebien, parti la veille au soir pour Mons et la France où il doit rencontrer de Potter, réagit maladroitement devant les manifestations indisciplinées des volontaires. Elle condamne les deux incartades de la nuit. Elle y voit une « violation expresse du droit des gens comme des engagements contractés ». Elle a peur d'une agression militaire « que les habitants de cette ville ne cherchent pas à provoquer ». Aussi, ordonne-t-elle le renvoi sans délai des chevaux enlevés et décide-t-elle d'écrire au prince Frédéric « pour désavouer cette infraction et en annoncer la réparation ». Enfin, .la Commission institue un conseil de discipline chargé d'appliquer la rigueur des lois militaires aux individus qui à l'avenir se rendraient coupables de pareils délits.
Ces décisions sévères furent portées à la connaissance de la population dans une proclamation affichée partout le 19 septembre dans l'après-midi. C'était une déclaration de guerre au parti extrémiste. La réaction rapide de celui-ci appuyée sur le peuple triompha complètement des modérés, balaya la Commission de sûreté, désarma la bourgeoisie, livra finalement Bruxelles à une quasi-anarchie.

La Réunion centrale, en effet, a saisi l'occasion offerte pour déborder l'autorité municipale. Elle s'est indignée, dans sa séance du 19, de l'attitude de la Commission de sûreté. A dix-huit heures trente, l'h-Jtel de ville fut envahi par une trentaine de Liégeois, tambour battant, drapeau déployé. Ils exigèrent qu'on leur livrât les signataires de la proclamation et qu'on leur donnât des armes. Le commandant de la garde bourgeoise, E. d'Hooghvorst s'empara de leur drapeau, stigmatisa leur attitude. Les Liégeois n'étaient pas en nombre et Rogier fit retirer ses hommes dans leur quartier. Pendant ce temps, la foule resta massée Grand'Place invectivant la Commission de sûreté, criant à la trahison des chefs de la bourgeoisie, exigeant la déchéance de la dynastie, réclamant du travail, du pain et des armes pour aller attaquer l'armée. Le tumulte dura toute la nuit. Les frictions se multiplièrent entre les gardes bourgeois et cette foule d'ouvriers, parmi lesquels d'anciens militaires étaient les plus énergiques. Les Liégeois et des meneurs excitèrent la cohue. A une heure du matin, l'inévitable se produisit. Une patrouille bourgeoise insultée et attaquée fit feu. Un homme fut tué, trois autres furent grièvement blessés.
Irrité, le peuple se répandit dans plusieurs directions et désarma sans beaucoup de résistance quelques corps de garde bourgeoise. A sept heures du matin, les hommes armés se dirigèrent vers la caserne Sainte-Elisabeth. Renforcés par les Liégeois, ils entreprirent un désarmement systématique des bourgeois. Ils commencèrent par le poste de l'Amigo à neuf heures du matin. Deux heures plus tard, quinze cents fusils avaient changé de mains.
A dix heures, l'hôtel de ville avait été forcé par le peuple armé et hurlant: « liberté! des armes! » Dans les greniers, des caisses de fusils et de pistolets furent découvertes. Le gouverneur de la province, Van der Fosse, qui se trouvait à ce moment à l'hôtel de ville, s'enfuit vers le haut de la ville et quitta Bruxelles le soir même. Des membres de la Commission de sûreté, de l'état-major et les députés des sections réunis en séance, se dispersèrent. C'était la fin de la Commission de sûreté dont Van de Weyer ne signera cependant l'acte de décès que le lendemain à l'aube. Le Conseil de la garde disparut aussi. Le désarmement se poursuivit. Cependant le peuple lajssa des armes à ceux qui se joignirent à lui ou affirmèrent être prêts à se battre contre les Hollandais.

L'état-major ne siégeait plus à l'hôtel de ville, mais les cadres n'étaient pas tous brisés. Toute autorité n'était pas annihilée: des chefs de section réussirent à se faire écouter, à réunir quelques centaines de gardes et les conflits furent ainsi évités avec les groupes populaires, groupes qui étaient d'ailleurs en train de prendre une forme militaire. Les premiers corps francs apparurent. Le docteur en médecine, devenu commerçant, Ernest Grégoire, le liégeois Léonard Joseph Lambinon, le namurois Isidore Gillain, Jean-Baptiste 'Tanden Elskens dit « Borremans » se mirent à leur tête. Vanderlinden d'Hooghvorst réussit même à convoquer pour le lendemain une revue générale. En fait, le pouvoir était uniquement entre les mains des hommes en armes, qu'ils fussent du peuple ou de la bour geoisie. Les armes ne devaient pas servir à une révolution sociale, mais le peuple organisé voulait se défendre, repousser l'envahisseur étranger, l'attaquer même. Le secrétaire d'ambassade Cartwright fut frappé de cette attitude des insurgés : point de pillage, point d'effraction pour s'emparer des biens, mais des recherches systématiques pour trouver des fusils. Point de luttes contre le bourgeois, parce que bourgeois, mais de la haine manifestée contre les défaitistes et les attentistes.
Cette révolte fut-elle une action spontanée? En partie seulement. Il y eut des agents provocateurs, dont l'activité, en opposant peuple et garde bourgeoise, fit le jeu de Guillaume 1er. Elle justifiait,en effet, l'appel des bourgeois au prince Frédéric: les dangers de pillage légitimaient en quelque sorte l'entrée des troupes. II y eut aussi des meneurs français, mais ce furent surtout les Liégeois et les radicaux de la Réunion centrale qui poussèrent à l'action violente.

Le 20 vers midi, la Réunion centrale décida la création d'un Gouvernement provisoire. Rogier y présenta et y défendit trois noms: de Potter, l'homme du peuple, Gendebien, celui des classes moyennes et le comte d'Oultremont, véritable puissance dans le pays de Liège. Dans l'après-midi, le corps liégeois renforcé sortit en groupe imposant de la caserne et promena dans Bruxelles, sous le commandement de Charles Rogier, sabre au clair, un drapeau liégeois, jaune et rouge, sur lequel en lettres de drap noir, ont été inscrits les noms des trois hommes choisis par le club. D'autres noms écrits à la main ont été attachés au drapeau: Van Mleenen, Mérode, Raikem, Van de Weyer, Stassart. Exactement les noms que la Réunion centrale avait adjoints à la première liste lors d'une nouvelle réunion. Une affiche portant tous ces noms était placardée dans Bruxelles.
Mais cette Réunion centrale qui groupe cependant des radicaux, de vrais démocrates, de futurs républicains, n'entend nullement faire une révolution sociale. Elle a bousculé la Commission de sûreté parce qu'elle était trop tiède. Le soir du 20, elle décida, pour détourner le peuple de se livrer au désordre dans l'intérieur de la ville, de l'occuper militairement en organisant des corps francs et en cherchant à faire tomber les places fortes les plus proches de la capitale. Dans les campagnes, on sonnera le tocsin et l'on tentera de provoquer une insurrection générale. Une proclamation fut lancée, appelant la Belgique à un armement général contre la Hollande dont on fit entrevoir la conquête!

La nuit du 20 au 21 se passa sans excès. Des bourgeois atterrés aux premiers moments, reprirent confiance. D'Hooghvorst exerça à nouveau le commandement de la garde transformée, dont la mission se limitait maintenant à la défense de l'ordre à l'intérieur de la ville. Pour les opérations extra muras, des corps francs étaient en formation. Tous les yeux se tournèrent vers la banlieue. Le 21, au début de l'après-midi, un détachement de dragons fut signalé sur la route de Schaerbeek. L'alarme fut donnée, le tocsin sonna à Sainte-Gudule. Le peuple courut aux barricades, des petits groupes de volontaires, des Liégeois notamment, allèrent faire le coup de feu à Zellick, d'autres à Dilbeek, tandis que par la porte de Hal quittaient la ville ceux qui désespéraient de la victoire. Le comte Van der Meere chargé, le 21, du commandement des forces mobiles de la garde bourgeoise créées pour participer aux opérations militaires, s'éclipsa le soir même. Van de W eyer, de la Commission de sûreté, Moyard et le comte L. van der Burch, de l'état-major de la garde, étaient à Valenciennes le 22. Dans la nuit du 21 au 22, une fausse alerte fatigua les défenseurs, et la journée du 22 se passa en escarmouches aux abords de la ville. Le petit peuple restait prêt au combat. Il a multiplié les barricades, accumulé dans les greniers pierres et plâtras. Dans les quartiers populaires, l'avance des troupes royales rencontrera sûrement de sérieux obstacles.

La proclamation du prince annonçant l'entrée des troupes fut connue à Bruxelles le 22 dans l'après-midi. Elle alarma les tièdes. Le baron van der Smissen, commandant en second la garde, le chevalier Hotton, colonel commandant la garde à cheval, Fleury-Duray, major attaché, à l'état-major général de la garde, abandonnèrent à leur tour Bruxelles et ils retrouveront leurs amis le soir du 23, à Valenciennes, à l'Hôtel de la Poste aux Chevaux. Félix de Mérode était à Rixensart le 22, puis il se retira dans sa propriété de Trélon, dans le nord de la France. Des exaltés de la Réunion centrale prirent peur aussi. Niellon et Chazal quittèrent la capitale la veille des combats pour chercher également refuge en France. La cause semblait perdue. Ducpétiaux tenta une démarche de conciliation auprès du prince Frédéric. Il fut arrêté et envoyé à Anvers. Sa tentative prouvait bien le désarroi dans les rangs des extrémistes. Il restait cependant des fanatiques qui ne cédaient pas. Ils seront peu nombreux le 23 septembre, aux premières heures du jour, pour s'opposer à l'entrée des troupes dans la ville.

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Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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Guillaume 1er est roi dans le plein sens du terme: il règne et il gouverne. Roi parlementaire, il ne l'est nullement. Roi constitutionnel, il l'est si peu. La Loi fondamentale le gêne et il dirige son Etat à coup d'arrêtés. C'est bien un signe de l'hypocrisie en politjque, si les Belges se sont déclarés antiministériels et nullement antiroyalistes, dans un Etat où la responsabilité ministérielle n'existajt pas et où le roi concentrait en fait tous les pouvoirs sur lui. Par son Cabinet et la Secrétairerie d'Etat, il fajt passer ses ordres à tous les départements ministériels. Son administration, dévouée et foncièrement hollandaise, applique ses décisions avec énergie, quand elle n'y met pas, comme au ministère de la Justice, par exemple, une véritable passion. Van Maanen est ainsi devenu odieux aux Belges. Articles dans la presse, discours aux Etats-Généraux, chansons dans les rues ont attaqué l'homme en qui beaucoup de Belges et certains Hollandais clairvoyants voyaient le mauvais génie du roi. Mais si, en 1814, Guillaume 1er a choisi comme ministre Van Maanen ancien procureur général de la République batave, ancien ministre de la Justice du roi Louis et premier président de la Cour d'appel sous l'Empire -et s'il lui a conservé si longtemps sa confiance, s'il le rappelle à ses côtés dès le mois d'octobre 1830, après l'avoir écarté devant le sursaut de l'opinion belge, c'est vraiment parce que leurs caractères concordaient et parce que leurs idées s'harmonisaient, parce qu'ils étaient l'un et l'autre farouchement autoritaires et antilibéraux. Quelquefois l'on a fait de Guillaume 1er un libéral, mais l'on songeait à la France de la Restauration où quiconque n'était pas ami de l'Eglise était libéral.
Pour bien comprendre ses idées et ses actes, il faut relire son message royal du 11 décembre 1829, où il repousse catégoriquement la responsabilité ministérielle. « En vertu de la loi fondamentale, déclare-t-il, tous les actes du gouvernement sont exclusivement soumis à notre examen et à notre décision. En outre, elle nous a abandonné le droit de régler la nature des obligations que nous désirons imposer, sous serment, aux chefs des départements ministériels à établir par nous ». Le roi ne veut pas de responsabilité des ministres envers les Etats-Généraux ni envers le pouvoir judiciaire, car « quelles que fussent les personnes appelées à juger l'action des ministres, il
n'en résulterait aucun fruit salutaire, si ceux devant lesquels la justification devrait se faire ne se trouvaient placés hors de la faible humanité et par là au-dessus des passions et des erreurs ».
Il a lutté opiniâtrement pour réaliser « l'amalgame ». Ses efforts patients, obstinés, mais peu clairvoyants ont échoué. A la rigueur de la fin de 1829, il substituera un moment. devant la montée de l'opposition, une certaine souplesse: arrêtés linguistiques moins draconiens, efforts de rapprochement avec les catholiques. Il était trop tard.
Le roi est impressionné par la chute de Charles X, mais il ne veut y voir qu'une défaite de l'ultramontanisme, la chute d'un roi qui n'a pas été assez éclairé. Il se flatte d'échapper à la tornade qui souffle sur les trônes. Il prend certaines précautions du côté de la France, dont il craint une poussée d'expansion vers le Nord et vers le Rhin. Mais ses mesures de police, à l'intérieur, sont médiocres. Il ne s'attend pas à une explosion du mécontentement populaire. Il vient à Bruxelles inaugurer l'exposition de l'industrie nationale et séjourne dans la capitale du Sud du 8 au 12 août. Quelques indices n'échappent pas cependant à la police. L'illumination du parc et le feu d'artifice prévus pour le 24 août, jour anniversaire du roi, sont contremandés par crainte de manifestations. Une dépense de trente mille francs pour une fête, alors que la Régence maintient l'impôt mouture, c'est donner au peuple une belle occasion de tout briser! Néanmoins la représentation de la Muette de Portici du 25 août est autorisée. Le chef de la police P. de Knyff a pris des précautions, mais ses mesures sont insuffisantes et mal concertées avec les autorités militaires.
A l'annonce de l'émeute, le roi convoque le conseil des ministres. La réunion des EtatsGénéraux en session extraordinaire à La Haye, le 13 septemhre, est décidée et le roi envoie ses fils à Anvers et à Bruxelles munis de pleins pouvoirs pour ramener le calme et la paix. Ils seront accompagnés de bonnes troupes. Le rétahlissement de l'ordre est la première des tâches.
Le roi et les princes ne songeaient pas à céder à l'émeute. Le 29 août, en route pour Bruxelles, le prince d'Orange rencontre la députation liégeoise qui se rend à La Haye et il écrit à son père: « Comme je ne suppose pas que vous satisferez à leurs demandes, je pense qu'il serait peut-être bon de n'en renvoyer qu'un et d'en retenir deux ou bien les trois comme otages à La Haye, cependant la chose mérite réflexion ». Les soucis des deux princes sont d'ordre militaire: approvisionner les places fortes, faire marcher des troupes vers le Sud.
I.e prince d'Orange veut renforcer l'armée devant Bruxelles afin de pouvoir, s'il le faut, imposer des conditions au lieu d'en recevoir. Quant au roi, l'entretien qu'il a eu avec les députations bruxelloise et liégeoise prouve
assez qu'il n'entend pas céder. Il ne peut être question ni de responsabilité ministérielle, ni du renvoi de Van Maanen, ni d'amnistie. Pour lui, la condition préalable à la prise en considération de tout voeu, est la rentrée des troupes dans la capitale et la disparition de la garde bourgeoise. Toute concession, affirme-t-il. « seroit contre la dignité royale qui doit être rétablie dans toute sa force et dignité avant tout, ce qui étoit doublement (nécessaire) dans une monarchie constitutionnelle où le Roi doit maintenir la loi fondamentale et ne peut transiger avec ses devoirs ».
Le 1er septembre, le prince d'Orange fait son entrée à Bruxelles et réunit une Commission royale « pour l'opposer de suite aux jacobins qui siègent à la maison de ville ». Cependant, il demande à son père de renvoyer « notre pauvre bon loyal Van Maanen » qui resterait d'ailleurs conseiller du roi. Le 3 septembre, le roi se résigna à se séparer de Van Maanen. Le même jour, à Bruxelles, le prince s'était engagé à aller porter à son père le voeu de séparation et avait ordonné le retrait des troupes gardant le palais. Ce geste audacieux entraîna sa disgrâce: le roi n'écouta plus les propositions de son fils aîné jusqu'au moment où il l'envoya, le 4 octobre, à Anvers tenter une expérience aventureuse.
Le 5 septembre, une proclamation royale annonce au pays la convocation des EtatsGénéraux qui discuteront s'il y a lieu de modifier les institutions nationales et de changer la forme et la nature des relations établies par les traités et par la Loi fondamentale entre les deux grandes divisions du royaume.
Le 7 septembre, Guillaume 1er envisage la possibilité d'un relâchement de quelques-uns des liens qui tiennent unies ses provinces. Il ne croit pas que le désir de séparation soit général dans toutes les provinces wallonnes, et encore moins qu'il soit partagé par les provinces flamandes. Guillaume 1er est convaincu, en effet, de la puissance des liens que crée la communauté de langue; il reviendra encore dans le courant d'octobre sur cette idée d'une distinction nette à faire entre les deux parties linguistiques de ses provinces méridionales dont jl reconnaît cependant « la nationalité individuelle ».
Pour que ces modifications soient réalisées, il faudra d'abord un vote favorable des EtatsGénéraux, où les Hollandais, bien que moins nombreux, disposent de l'égalité des sièges. Ensuite il faudra procéder à des élections extraordinaires aux Etats-Généraux et en tout cas l'accord du Roi sera toujours nécessaire. Des semaines s'écouleront. Le souverain aura le temps de voir venir.
Ainsi Guillaume 1er a choisi la temporisation. C'est une solution défendable, mais dangereuse. Le 13, il ouvre les Etats-Généraux et son discours du trône reprend le thème de la proclamation vieille de huit jours et dont l'effet avait été si pénible en Belgique. Il demande aux députés leur avis sur la double question soulevée dans cette proclamation et il leur promet de se concerter avec eux sur les mesures qui pourraient mener à l'accomplissement de leurs intentions. Il maintient ainsi sa position d'attente et il n'écoute pas les Belges qui lui ont envoyé députations sur députations. Les rapports des gouverneurs du Brabant et de Liège, recommandant instamment un geste rapide, au moins une promesse de séparation partielle, laissent le roi indifférent. Il a confiance dans l'issue des événements. Diplomatiquement, sa position est forte. Des changements àla Loi fondamentale devraient être entérinés par la Grande-Bretagne, la Russie, l'Autriche et la Prusse, puissances signataires du traité des « huit articles », fixant les conditions de la réunion de la Belgique à la Hollande. Si celles-ci refusent et que des désordres surviennent, Guillaume 1er sera plus fort pour réclamer l'intervention de leurs armées. La temporisation, sur le plan interne, a aussi ses avantages. Au fil du temps, les rebelles se divisent, les luttes s'enveniment entre modérés et avancés, tandis que la crise commerciale gêne les intérêts des bourgeois. Le roi espère que ceux-ci réclameront la rentrée des troupes dans Bruxelles. Comme un fruit mûr, il recueillera sa capitale. Aussi bien le roi n'entend nullement, pendant les longues délibérations des Etats-Généraux, renoncer aux moyens de force qui doivent lui permettre d'écraser ce qu'il appelle une révolte. Guillaume 1er a un plan de restauration, par la force, de l'autorité royale à Bruxelles, capitale du mouvement insurrectionnel. II veut y faire rentrer les troupes, que l'initiative osée de son fils en avait écartées depuis le 3 septembre. L'armée exécutera une grande parade, si toute résistance s'est évanouie à son approche, ou anéantira rapidement les derniers défenseurs obstinés des libertés belges.
Le mariage de la princesse Marianne, la fille du roi, le 14 septembre, a été l'occasion d'une réunion des grands chefs militaires à La Haye. De partout, ces autorités réclament plus de rigueur. Le 15 au soir, le prince Frédéric retourne prendre le commandement de ses troupes et préparer la conquête de Bruxelles. Deux jours plus tard, Guillaume 1er lui adresse un projet de proclamation et ses instructions: « Si précédemment il y a eu divergence d'opinion sur l'emploi des trouppes pour rentrer en possession de Bruxelles, et délivrer cette malheureuse cité de l'oppression sous laquelle elle gémit, maintenant tout le monde est d'accord que c'est la seule manière de terminer l'anarchie et la révolte et que les derniers événements qui s'y sont passés font désirer que le mouvement militaire ne soit pas retardé au-delà du temps nécessaire pour préparer ce qui est nécessaire pour garantir et assurer le succès ».
Le roi et son entourage cherchent à gagner les députés belges pour qu'ils aillent à Bruxelles préparer les esprits à appuyer les troupes lors de leur arrivée. Depuis plusieurs jours, des bourgeois travaillent dans ce sens et l'industriel gantois Couvreur répand une brochure Appel aux bons habitants de Bruxelles. Le 18, l'industriel Prévinaire et le directeur de l'orchestre du Théâtre royal, Hanssens, sont envoyés de La Haye auprès du prince Frédéric qui les utilisera pour amener la bourgeoisie à bien recevoir l'armée.
Le roi laisse à son fils « la latitude de fixer le moment de marcher, en rapport avec les préparatifs pour assurer le succès, et les renseignements que les circonstances du moment peuvent donner ». Le conseil des ministres a discuté la question de savoir si c'est le prince ou un général qui commandera l'expédition sur Bruxelles. Le roi a tranché. «Reconnaissant la justesse des motifs qui font désirer que, si Bruxelles devait être brûlé (c'est nous qui soulignons), il seroit préférable que ce ne fut pas par un des fils du Roi, il m'a cependant paru que le général-commandant ne pourroit pas rester seul en arrière si toute l'armée marche et que la présence du fils du Roi ne peut manquer d'influer favorablement sur les soldats et la contenance de l'officier ».
« Je pense néanmoins qu'il est désirable que vous chargiez plutôt le général Trip ou tout autre général, aussi le lieutenant-général Constant, d'exécuter ce qui pourroit entraîner à des mesures de rigueur et vous réserviez pour l'occasion où vous seriez en mesure d'être clément et faire le bien ».
Au projet de proclamation envoyé au prince, celui-ci n'apporta pas de changement. Imprimée à Anvers chez la veuve Delacroix, imprimeur du gouvernement, elle sera répandue à Bruxelles dans la soirée du 22 septembre: la Gazette des Pays-Bas distribuée à ce moment la reproduisait in extenso. La dissolution de la Commission de sûreté et du Conseil de la garde bourgeoise, centre nerveux de l'opposition aux yeux des autorités de La Haye, sera réalisée. La garde bourgeoise sera épurée et ses effectifs sérieusement réduits, les attroupements interdits, la police des étrangers réorganisée. Les étrangers et « gens de même acabit » seront expulsés.
A La Haye, le 17 septembre, la confiance règne. Le recours à la force est une nécessité, pénible peut-être, mais le roi froidement envisage donc l'éventualité de « brûler » Bruxelles! Le lendemain, Guillaume 1er est renforcé dans sa conviction qu'une bonne partie de la bourgeoisie souhaite l'entrée des troupes. Des industriels sont venus le trouver, des lettres adressées à des députés belges lui ont été communiquées. Dès lors, « il semble que le moment de la grande crise est arrivé et qu'il est urgent de hâter autant que possible le moment de profiter et de prévenir que Bruxelles, à la merci des étrangers, soit hors d'état de coopérer ou faciliter sa délivrance, comme il est permis d'espérer qu'il est disposé à faire, si les facultés en sont encore conservées ». C'est ainsi que le roi s'exprime dans une lettre adressée le 18 septembre à son fils Frédéric et que Gerretson a publiée.
Le roi souhaite qu'on prévienne l'arrivée de milliers de Borains et d'hommes du Pays Noir, armés de piques, dont la concentration est annoncée, ou, s'il est trop tard, qu'on les attire en rase campagne. Cette éventualité enchante Guillaume 1er, qui en post-scriptum à une lettre envoyée à son fils le 19, lui écrit: « Vous faites mention de bruits répandus comme si l'intention d'attaquer Vilvorde existait à Bruxelles. Si effectivement ils prennent l'offensive et se risquent à une semblable distance de leur ville, l'occasion pourroit être belle de les y ramener tambours battants, et de prouver à l'Europe par des faits les intentions des meneurs. »

Voir aussi:

La révolution belge de 1830 en 8 chapitres. Chapitre 1

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution belge Chapitre 8: Conculsion

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administrateur théâtres

Roméo et Juliette (théâtre Royal des Galeries)


Le chef-d’œuvre de Shakespeare que l’on va écouter ce soir avec le plaisir d’une musique familière risque gros … car on porte dans son imaginaire toutes les autres rencontres théâtrales ou cinématographiques qui ont imprégné notre subconscient de tirades mémorables et de moment émouvants.

Aussi, cette mise en scène de Georges Lini très dépouillée, qui simule le retour aux sources antiques de la tragédie grecque, tout en évoquant des traces de costumes élisabéthains est une approche heureuse. Ce qui ne l’empêche pas de jouer avec la lumière du jour. Au propre et au figuré. Le fond de la scène est occupé par un ciel immense et changeant au rythme des passions humaines et de la violence des émotions. Ciel violet intense de deuil absolu, dans le prologue lorsque le chef de chœur vêtu de brocarts mauves annonce d’une voix sinistre l’issue fatale du drame qui va être décrit. Comme dans la tragédie antique, le Destin reste responsable des événements mais c’est surtout la haine obstinée entre deux maisons (households), deux clans, deux frères ennemis qui en est la cause : c’est la tragédie du monde qui se joue ici. Le pouvoir est une rage qui ne corrompt pas seulement, il tue. L’histoire commence par une presque bataille, « … S’ils nous mettent en colère, nous allongeons nos couteaux », puis la bataille devient omniprésente et tragique, et les clameurs de buveurs et menu peuple pour les changements habiles de décor de ponctuer les scènes où la parole s’envole.

Le décor et immuable, quatre immenses colonnes de style antique, et quelques marches pour souligner la fragilité des humains et définir deux espaces de jeu. Celui des amants maudits, éternels et lyriques, et celui du monde aveuglé par ses haines qui va et vient, des bals à la tombe. Autant de ciels que d’humeurs, pressentiments, songes, serments d’amour, clair de lune rousse géante, arc en ciel, nuages étincelants, verdeurs de jalousie et de haine, perfides orangés de villes incendiées… tout les registres de cieux y passent. Et le ciel, malgré toutes ses facéties, reste une immuable présence muette présidant à nos tristes destinées. Le plus beau et le plus tragique à la fois est sans doute celui qui accompagne le meurtre de Mercutio et celui de Thibalt, on se croirait dans une série de tableaux du Caravaggio. La lumière y est poussée jusqu’à un paroxysme d’incandescence.

Les jeux de voiles dans la deuxième partie du spectacle sont aussi très évocateurs du nimbe d’innocence et de rêve d’amour qui protège ce couple d’ineffables adolescents. Ces rideaux sont sauvagement arrachés quand il devient évident que la fin sera inévitablement mortelle. Le personnage de Roméo est joué avec une justesse remarquable, il a le physique passionné, il recèle en lui, la mélancolie, les chagrins, la fougue, les désespoirs, et l’adoration de sa bien-aimée. Juliette est un peu précieuse et moins naturelle, malgré ses colères de fille gâtée qui frisent parfois l’hystérie. Le couple parental est un peu trop stéréotypé à notre goût, mais c’et vrai que Shakespeare n’est pas tendre avec eux et que les paroles jetées sont rudes. La nourrice est une perle de tendresse, fine et aimante, humaine inconditionnellement acquise à la cause de sa protégée. Le frère Laurence est son pendant masculin, un pilier de sagesse populaire et un artisan ingénu de bonheur sur terre ! La tirade où il exhorte Roméo à ne pas se laisser aller comme une femme, mais à croire à la grâce insigne qui lui a été donnée, est d’un sang froid et d’un pragmatisme surprenants. Rien n’est pire que la mort. La scène finale du tombeau est d’un graphisme extraordinaire. Elle devrait être repeinte par un grand maître tant elle et aboutie, dans ses lignes, sa chorégraphie, ses ombres, sa dynamique et son désespoir qui touche tout le monde sans exception.

Capulet : - Je veux que Roméo soit auprès de sa femme dans la même splendeur : pauvres victimes de nos inimitiés.

Le Prince : - Cette matinée apporte avec elle une paix sinistre, le soleil se voile la face de douleur. Partons pour causer encore de ces tristes choses. Il y aura des graciés et des punis. Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo.

Avec : Catherine Claeys - Yves Claessens - Toni d’Antonio - Cécile Delberghe - Damien De Dobbeleer - Emmanuel Dekoninck - Emmanuel Dell’Erba - Marc De Roy - Steve Driesen - Bruno Georis - Michel Hinderyckx - Thierry Janssen - Xavier Mailleux - Bernadette Mouzon - Nicolas Ossowski - Martine Willequet

Mise en scène : Georges Lini. / http://www.trg.be/Public/

Bureau de location ouvert du mardi au samedi de 11h à 18h – 32, galerie du Roi, 02 / 512 04 07.

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Le restaurant Yen à Bruxelles

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Le très renommé restaurant le Yen à Ixelles a ouvert sa mezzanine à l’Art dès le mois de septembre 2010 pour sa rentrée culturelle et cela d’une manière permanente.

En effet s’est formé un partenariat artistique avec l’Espace Art Gallery rue Lesbroussart, 35 à 1050 Bruxelles. Pour cette première de l’Espace Yen une grande exposition sur la collection « Espace Art Gallery II » sera présentée aux clients du restaurant.

Ce nouvel Espace d’exposition réunit avec subtilité l’Art de la table et les Arts plastiques.

Le Yen est l’un des restaurants vietnamiens les plus délicats de Bruxelles. Les mets raffinés sont proposés par Mme Nguyen Thi Thu Hong, formée dans les plus grands hôtels de Saïgon.

La « rose de Chine » (chaussons de pâte de haricots fourrés, cuits à la vapeur), le « bœuf dans la flamme sacrée » (flambé à la citronnelle et aux arachides), le « régal du mandarin » (canard grillé à la sauce de prune), le « diamant de Saïgon » (porc en chapelure aigre-doux, poireaux et ananas) et de multiples autres spécialités, dont plusieurs plats végétariens, vous sont proposées dans un cadre alliant les matériaux bruts (béton et acier) avec des patines chaleureuses et des couleurs tendres, imposant une atmosphère paisible propice à la dégustation de mets raffinés.
Luxe suprême, le Yen vous offre de la place. Vous ne serez pas comprimé contre votre voisin et pourrez pleinement vous consacrer aux plaisirs de la table, seul ou accompagné : amateurs de saveurs naturelles fines et délicates, soyez les bienvenus.

Le restaurant Yen est situé rue Lesbroussart, 49 à 1050 Bruxelles. La mezzanine est ouverte aux heures d’ouvertures du restaurant : de 12 h à 14 h 30 et de 19 h à 22 h 30.

Plus Infos : Tel : 02/649.95.89. Fermeture le dimanche et samedi midi.

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