Résidence d'écriture - Villa Marguerite Yourcenar
Appel à candidature pour une résidence d'écriture dans le Nord de la France en 2012
La Villa Marguerite Yourcenar - Carrefour de la diversité culturelle européenne
Appel à candidature pour une résidence d'écriture dans le Nord de la France en 2012
La Villa Marguerite Yourcenar - Carrefour de la diversité culturelle européenne
A l'occasion de la sortie, le 7 avril 2011, du second roman de John Marcus "L'homme qui rêvait" (dont vous pouvez lire les premières pages en exclusivité dans le Livraddict Mag n°2), Jean-Marc Bastardy a choisi Livraddict pour accompagner la mise en oeuvre son projet éditorial, et, au passage, nous faire profiter d'une occasion absolument exceptionnelle. Voici, avec ses propres mots, l'idée innovante de Mr Bastardy :
« Depuis un certain temps, je réfléchis à un système de parrainage pour tenter de faire connaître de jeunes auteurs. Une idée simple consiste à reproduire le système des concerts où, généralement, un groupe plus confirmé cède sa première partie à un artiste naissant. (...) Bref, j’ai décidé d’expérimenter ce dispositif sous la forme suivante : je publierai systématiquement en seconde partie des romans édités par l’Autre Éditions, avec l’accord des écrivains principaux, la nouvelle d’un auteur inconnu. Concrètement, il s’agit d’adosser une nouvelle plume à un auteur plus confirmé, c’est une sorte de tremplin, pour le moins la possibilité de donner une certaine visibilité à un texte voué a priori à la confidentialité. Je pensai mettre en œuvre ce dispositif pour notre troisième ouvrage, mais compte tenu du report de « L’homme qui rêvait », j’envisage de faire cet essai maintenant et… avec vous. »
Concrètement, Livraddict et L'Autre Editions ont le plaisir de vous proposer un grand concours de nouvelles sur le thème policier. A partir d'aujourd'hui jusqu'au 12 décembre, tous les membres de Livraddict qui le souhaitent peuvent nous envoyer une nouvelle policière (maximum 15.000 signes). Un premier vote ouvert aux membres de Livraddict élira, entre le 13 décembre et 16 janvier, les trois textes préférés par notre communauté. Ensuite, entre le 17 et le 31 janvier, un jury composé de la Livraddict Team, de Jean-Marc Bastardy et de John Marcus élira le grand gagnant.
Mais alors, quel sera le prix ? En un mot : fabuleux ! La nouvelle gagnante sera publiée à compte d'éditeur en seconde partie du prochain roman de John Marcus, "L'homme qui rêvait", avec un tirage minimum de 10.000 exemplaires ! De plus, son auteur recevra, pour cette publication, une rémunération de 500 euros !
Alors, auteurs en herbes, voilà une chance unique de vous lancer dans le monde difficile de l'édition ! Grâce à l'Autre Editions, vous pourrez publier très largement votre première oeuvre et savoir qu'elle sera lue par des milliers d'amateurs de polars !
Le concours débute le lundi 11 octobre. Amis lecteurs et bloggueurs, faites passer le message ! Ouvrons cette possibilité unique au maximum d'écrivains en herbe possible, car une telle opportunité ne se reproduira pas deux fois !
La Livraddict Team
C'est ce petit air Ce soir on enterre l'amour par Irène Deneuville que je vous propose d'écouter avant votre nuitée
Coll. privée
Le père aimait bien Flaubert. Il a donné à sa fille le nom d’Emma. S’il avait su l’alchimique prédestination du malheur contenue dans ce nom ! Pourtant Shakespeare avait bien prévenu: des catastrophes absurdes peuvent émaner d’un nom, malgré les dénégations de Juliette… « What’s in a name ? » A name is but a name… A voir! Et Nicole Croisille de renchérir :
C'était une provinciale
Et elle s'appelait Emma
Dans la Normandie matinale
Quand les vaches ruminent déjà
Quand la brume s'étire sur les champs
Elle cachait ses yeux sous les draps
Et disait à celui qui n'était jamais là
(Refrain)
Emma, je m'appelle Emma
Et je ne sais pas
Si jamais cœur aima
Aussi fort que moi
Je m'appelle Emma
Alors aime-moi
Moi Emma
Alors Emma-moi-je ...rêve. Elle remplace la réalité. Comme le fait pour nous la société dans tous les interstices de notre vie. Le texte de Dominique Bréda stigmatise toutes les nouvelles illusions, la publicité mensongère, le mythe de la jeunesse éternelle, les objets qui ‘font vivre pleinement’, les paradis artificiels: la farandole virtuelle est belle. Le sensuel ? Le spirituel ? Oubliés… relégués dans les coulisses du 19e siècle! Emma est passée à côté de sa vie. Mise en garde! Voilà l’insatisfaction chronique du siècle. La femme désœuvrée et vide. L’Emma de Bruxelles a détesté cordialement la langue de Flaubert, une vraie barrière, trop différente de sa langue de Bruxelles-la neuve, "sa langue maternelle…" dit-elle. Et son désert culturel a rayé le vocabulaire. Elle est passée à côté du bouquin. Et de tous les autres. Elle s’en fout. L’effort, non. « J'ai dix-sept ans et j'ai d'autres choses à me taper que Flaubert » Le père écume de colères rentrées, la mère s’adonne à la fumée. Elle passe sa vie à surligner, cela la calme, elle ne fait rien d’essentiel. Manque d’amour, partant manque de tout, partout. Rien à verbaliser!
Hélas si elle avait voulu aller vers l’autre, lire la beauté, analyser la souffrance, les élans, décrypter les messages, elle ne serait pas tombée de son secondaire banal presque raté, en une vie rythmée par la bouteille de whisky « de deux jours d’âge » qui règle ses jours et ses nuits. …Pour échouer en fin de parcours, comme infirme d’hôpital lucide et triste. Triste toute sa vie. Isolée dans son bovarysme. Elle n’aura aucune visite, mais ne sera pas déçue « Il n’y a personne pour me décevoir. » «Et ce bip ! » Horripilant, comme un sablier pressé d’en finir, de vous envoyer, une fois pour toutes, dans le gouffre. Reliée à un moniteur, elle soupire : « La machine à faire des montagnes est fatiguée. C’était d’abord les Alpes, puis les collines de Hesbaye, puis… »
Emma n’a jamais pu que s’adresser à de vulgaires objets en peluche. « On ne jette jamais les animaux en peluche, mais ils disparaissent. » Même eux… C’est un beau spectacle, l'actrice est très très habile, mais ce n'est pas le coup de foudre comme d’autres le prétendent. Je suis personnellement irritée, plus qu’amusée, par les grimaces, les voix déformées, le ricanement, la banalité grinçante, le vulgaire. Même si la vulgarité est tout un art, nous prévient gentiment la comédienne!
EMMA de Dominique Bréda
Avec Julie Duroisin
Adresse : Rue des Riches Claires, 24 - 1000 Bruxelles
Téléphone : 02 548 25 80
Site Web : http://www.lesrichesclaires.be
Jusqu'au 27 novembre 2010
Au théâtre 140
« Les Fragments d’un discours amoureux » sont un essai paru en 1977 de l’écrivain et sémiologue français ROLAND BARTHES. La structure formelle très particulière et la typographie spécifique de l’édition Tel Quel épousent le propos qui se veut foisonnant et inter-relié, comme en (é?)toile d'araignée. Roland Barthes s’appuie ainsi sur ses lectures d’œuvres littéraires, qu’il s’agisse de romans comme Werther, de Goethe, qui tient notamment un rôle important ou d'autres oeuvres poétiques, théâtrales et artistiques. Il les combine à sa propre réflexion, à ses propres expériences pour former UN discours sur la sphère amoureuse. Une nouvelle Carte du Tendre?
Cet essai ne se veut donc pas une étude positive, mais la proposition de cheminements et d’explorations qui peuvent expliquer ou du moins éclairer toute expérience de l’amour en relation avec le langage. »
Je viens de comprendre aujourd’hui, avec cette recherche sur Wikipédia, le sens des « fils » que la danseuse silencieuse, souple et graphique tissait entre les deux voix masculines. Donc certains détails de mise en scène fort recherchée ne sont pas toujours directement perceptibles par le public. Qu’importe, place à un certain mystère. A des interrogations. La représentation théâtrale de ce texte à voix multiples est prodigieusement inventive.
Le discours amoureux, ou « discursus », c'est courir ça et là (ce que font les comédiens), chercher l’essence des démarches, trouver des « bouffées de langage », « au gré de circonstances aléatoires ».
Deux statues ou figures rugueuses en fin papier doré accueillent les spectateurs pour se dévoiler progressivement et nous permettre d’entrer dans le jeu amoureux. Ces figures figent des postures, ces instants magiques de la rencontre. Pour constituer les figures, c’est le sentiment amoureux qui est le guide. Chorégraphie savante des mots, du langage corporel, des signes. De quoi être ébloui: le papier est d’or.
Des bribes de fragments flottent jusqu’aux lendemains, tâchons d’en saisir quelques unes..: « L’amour, cette folie que je veux ! Cette chose qui vient s’ajuster à mon désir dont j’ignore tout ! Le moment fugitif d’une posture d’un corps en mouvement…Le tableau que je me fais consacre l’objet que je vais aimer… »
Lorsque Werther découvre Charlotte, elle est en train de couper du pain. Image innocente. Elle ne sait pas qu’il la regarde. Elle se croit seule, elle est sans barrières, sans masques, authentique. Et on peut la surprendre. C’est le rapt!
«Le coup de foudre est un immédiat antérieur. Dans mon cœur, je ne cesse de revoir la scène première. Je garde l’éblouissement et je n’ai de cesse qu’il revienne! A chaque instant je retrouve une parcelle de moi-même, … que j’adore ou que je hais…Dans la rencontre amoureuse, je rebondis sans cesse, je suis léger ! »
Les deux comédiens montent toute la scénographie de l’attente, celle des souffrances, de la jalousie, de l'abandon, celle des masques possibles du sentiment. Et leur raison d’être. Ils plongent tous deux, la tête dans le seau pour boire le système, la structure bienfaisante…. Ils parlent de cette pensée amoureuse. « Je pense à toi…. Je te fais revenir dans mon esprit à proportion même que je t’oublie… » Res ad finem venit. The End. Fin. Déjà ?
*
* *
http://www.theatre140.be/fr/index-action-spectacle-ficheSpectacleId-145.html
Mise en scène d'Arnauld Churin avec Arnaud Churin lui-même et Scali Delpeyrat, la danseuse, Luciana Botelho Le mardi 9 et mercredi 10 novembre 2010 à 20h30
Extrait de ma pièce : "Les meubles parlent"( Premier acte, scène 2) : Dans un hôtel des ventes six meubles d'époques différentes font connaissance
L’HORLOGE : Quel besoin avez-vous de vous préoccuper de l’avenir ? Ne pouvez-vous pas vous contenter de profiter de l’instant présent ? Certains ne vivent que dans le passé, d’autres anticipent le futur. Et pendant ce temps que vivent-ils ? Rien ! Moi, je suis l’Eternel Présent. Rien ne me perturbe. Parfois je dérange avec mon tic-tac régulier et mon carillon qui jour après jour, décline les heures. Les humains vieillissent et me lancent parfois des regards haineux. Je n’en ai que faire. L’heure suivante mes aiguilles déclenchent le signal inébranlable de la fuite du temps. D’autres fois je sens des yeux suppliants posés sur moi comme si j’avais le pouvoir de provoquer les évènements alors que je ne suis qu’un point de repère que rien ne peut ébranler. Je me sens parfois un peu seule dans cette fonction unique qui est la mienne. Mais je suis la gardienne du rythme du jour et de la nuit depuis que plus personne ne regarde le soleil. Parfois, on oublie de me remonter. Je m’endors d’un profond sommeil qu’aucun rêve ne vient troubler. Dès que le cliquetis de ma clef actionne mes lourdes aiguilles, je m’éveille sans mémoire, sans passé, ni futur dans la conscience de l’éternel présent. Ainsi les années ne me marquent-elles pas. Bien que je sois votre doyenne, on me crédite de 239 ans, je n’ai pas d’âge. Ça n’a pas d’importance puisque je ne dépasse jamais le nombre douze.
LE FAUTEUIL DE STYLE : Ça doit être un peu abrutissant de refaire indéfiniment le tour du cadran.
L’HORLOGE : Pas pour moi ! Vous ne pouvez pas imaginer l’instant sublime de la rencontre de la grande aiguille sur la petite qui n’aspire qu’à cette fusion éphémère. Cette pulsation qui déclenche le gong tant attendu, c’est à chaque heure, un cœur qui bat, une vibration, une étreinte amoureuse vouée à un éternel recommencement.
En savoir plus : Lire le premier acte
L'Insoumise ou Scarlett O'Hara au pied du terril
Nous voici à L’ESPACE MAGH, le Centre culturel maghrébin, aussi accueillant que le hall d’un bel hôtel étoilé. A gauche en entrant, un superbe bar, décoration florale majestueuse, d’innombrables théières ventrues bientôt fumantes, l’accueil souriant d’Anissa - Ben Salah, la directrice et créatrice géniale de tout cet ensemble surprenant, à la lisière des Marolles et des quais de Senne. La musique feutrée… vous fait prendre le temps d’examiner de magnifiques toiles lumineuses, suspendues tout le long de la rampe d’accès vers la salle, dissimulée par de lourds rideaux rouges rehaussés de spots. Il faudra passer ce rideau de scène subsidiaire, pour accéder à la salle de spectacle, disposée sur deux niveaux, un concept ancien complètement dépoussiéré qui remplace une ancienne boîte de nuit. C’est confortable comme un lounge VIP.
Et puis voici en contraste fascinant et émouvant, L'Insoumise ou Scarlett O'Hara au pied du terril. « Seule en scène, Jamila Drissi s’est inspirée de sa mère, héroïne ordinaire d’une cité du Borinage, pour dessiner une pièce touchante, loin de tout misérabilisme, hommage à toutes ces mères qui ont connu l’exil et choyé leurs enfants malgré la misère. » Nous sommes au cœur du Borinage.
Jamila Drissi apparaît, dos à un immense écran qui par magie s’allume et se dissipe au moindre de ses signes. Les jeux de lumières très délicats éclairent la lecture de sa jeunesse, de ses rêves, de ses tendres souvenirs. Le fond de misère de son village couvert de la suie des terrils s’illumine des grands espaces américains ou de scènes de films romantiques. Les rêves de l’enfance. La capacité de voir la vie autrement, avec les yeux de l’amour. Avec simplicité elle évoque la solidarité de sa famille et de ce village tout entier, elle rend hommage à la joie, à la tendresse, à l’imaginaire qui recrée les couleurs au milieu de la suie, du travail harassant, des maladies de la mine. Sa mère n'est jamais allée à l'école mais elle adorait le cinéma, le théâtre, l'opéra et elle a semé les merveilleuses graines de la création dans sa fille, insoumise, de mère en fille! Jamila plonge dans le personnage de sa mère, qu’elle essaie de déchiffrer, car les yeux d’une petite fille voient parfois tout autre chose. Souvent un nuage gris menaçant et autoritaire! Elle raconte son père, si vite disparu à l’hôpital devenu sa dernière résidence secondaire… Elle fait raconter à sa mère sa vie en Algérie, sa venue en Belgique à 17 ans. Elle conte ses propres jeux d’enfants, le théâtre de la vie de village. Elle joue en guise de couplet, Anna, l'Italienne toujours au courant de tout, Thérèse et son inséparable caniche, Renée, l'alcoolique fumeuse de Belgas, avec leurs accents multiples, tellement drôles, puis redevient l’enfant irrésistible, riche de sa relation de princesse avec son père, ou bien Jacques Dufilho, ou bien les deux ? Mais il y a aussi Cathy l'Allemande et Henri le nazi revisités avec la lorgnette de l’enfance.
Que connaît-on des adultes ? Comment savoir si on connait bien ses parents ? Que peut-on connaître d’eux ? Cette vision d’enfant reçue au creux de notre main, un oiseau précieux qui ose chanter l’espoir à tue tête, est un bonheur insigne pour le spectateur. Pas la moindre harangue sociologique ou discours racoleur. On jette un regard neuf sur ces centaines d’immigrés venus de toutes parts, avides de se construire une nouvelle vie, digne et respectable. Le texte est plein d’humanité et d’humour et s’achève comme le générique d’un film d’amour. La réponse que reçoit Jamila à la fin de ses interrogations, est un hommage à la liberté et à la dignité de la femme, un envol pour la magie de l’écriture.
http://www.espacemagh.be/index.php
17 rue du Poiçon, Bruxelles
La nouvelle pièce de Véronique Gallo avec Véronique Gallo:
MES NUITS SANS ROBERT
OU
« CONFERENCE INTITULEE "LES ACCESSOIRES DU 7E ART QUI TRANSCENDENT NOTRE VISION DE L’AMOUR" »
***
Les paroles de Jean-Jacques nous chatouillent le cœur à regarder Louise évoluer sur la scène avec ses souvenirs en boîtes noires serties de métal froid :
Elle met du vieux pain sur son balcon
Pour attirer les moineaux les pigeons
Elle vit sa vie par procuration
Devant son immense collection…
Un à un elle prendra chaque écrin avec tendresse et commentera les objets fétiches de toute une vie ciselée par la romance du cinéma. Américain, de préférence. En vrai, elle n’a jamais eu la chance de faire La rencontre de celui qui partagera sa vie! Elle connait pourtant tous les ingrédients de l’amour par cœur, elle a analysé tous les comportements et les échafaude en théories burlesques et drôles…. Cela met un peu de distance et lui donne un sens de l’humour irrésistible! Elle peut tout jouer à merveilles, mettre en scène avec brio toutes les légendes de passion fictives…. Fictives ? Elle n’en n’est pas trop sûre !
Et de faire son cinéma tous les soirs sur l’écran noir de ses nuits blanches. Désespérément seule, malgré ses visites à l’herboristerie, attirée par les rêves, les senteurs, elle serait vite la proie facile de toutes les fumisteries. Heureusement qu’il y a les gouttes du Docteur Bach ! Sa vie sentimentale s’est figée une fois pour toutes sur ce beau Robert Redford, elle se le repasse inlassablement, et ne vit plus désormais que sur arrêts sur images impalpables, évanescentes. Il lui manque ce numéro introuvable pour sa collection de magazines…
Et la voilà qui nous livre son personnage le plus vrai : cette horloge biologique qui doucement se fane, affolée, ne sachant plus dans quel sens tourner, tant les minutes comptent…Six fois marraine, Tata Loulou, sent sa sève refluer, l’angoisse va la tuer au milieu de ses objets mythiques à qui elle a donné tant d’âme…
Véronique Gallo établit un rapport avec le public aussi rapide que les vendeurs d’éplucheurs magiques sur les grands marchés, on est fasciné et conquis. On assiste à de la prestidigitation verbale, elle peuple tous les espaces possibles, jusqu’à la régie, de personnages qui lui parlent dans son désert. Et chaque scène va jusqu’au mime des émois les plus profonds: « Coupez ! » hurle-t-elle à la fin…
« Non ! » Car l’éclat de la peau, les pupilles allumées, la chaleur du corps, tout participe: le talent fou !
Sans Robert...Ou sans Georges?
http://www.lasamaritaine.be/saison2009-2010/index.html#bv000004
du 26 octobre au 6 novembre 2010 à 20h30
(relâche les dim. lun. et mar.)
S Q U A S H
A deux fois quinze ans, deux jeunes yuppies s’ébattent dans une chambre à taper les murs, équipement, shorts et chemises de sport dernier cri. Les chaussures crissent sur le parquet, la violence de la société entre les dents. On est au cœur d’un match dès l’entrée en salle. Le « Squash » est leur exutoire, leur temps de pose et leur temps des secrets, leur connivence masculine hebdomadaire. La vertu du sport calme les nerfs à vif et empêche la guerre : 1-0. Peut-être, mais la violence rampe et la guerre de couple ne demande qu’à éclater. A la base l’insatisfaction, le désir d’autre chose, la confusion, le manque d’écoute, l’ailleurs…
Ryan demande à son partenaire de frasques anciennes de l’aider en lui servant d’alibi pour une soirée mutine. Greg est atterré. Leurs deux femmes sont de grandes amies. Une onde de choc dans un couple menace inévitablement l’autre. Le poison du double bind le fait vaciller. 1-1. Puis les tentations sexuelles si bien mises en scène par Ryan, véritable démon sexuel achèvent de vaincre ses résistances de plus en plus faibles. 1-2. Avantage à Ryan. Descente rythmée aux enfers du mensonge au cours des habillages et déshabillages de plus en plus frénétiques au vestiaire dont nous gratifient les deux comédiens, entrecoupés de musique rock de plus en plus obsédante. Les paroles rebondissent plus que les balles et cela se termine par le sport en chambre ou sur une table de café. Le sport bien pensant a perdu, à peine s’ils pensent encore à jouer ne rêvant plus qu’à jouir. Prêts même à se disputer! L’instinct a vaincu la raison. 1-3. Spectateurs et acteurs sont emportés dans les engrenages effrénés et crus du désir mâle, dans l’échafaudage absurde des mensonges de plus en plus pesants. Dernière scène. Tout est perdu ! Greg finalise, score : 4-3 et à quel prix ?
Le ton et le langage sont tellement justes que l’on dirait du cinéma sur scène: tout bouge, tout le temps, pas le temps de respirer, l’infernal s’enchaîne, les actes se posent et éclatent comme des bombes d’émotion. Le physique est roi. Les plans se chevauchent et se contredisent. Quel brio dans la mise en scène et dans l’interprétation des comédiens qui pas un instant ne nous lâchent….tout corps, tout jeu, tout verbe. Un spectacle captivant, miroir cruel et lucide d’une époque qui encense la réussite à tout prix, la jeunesse du corps, veut tout et son contraire, tout en même temps. Miroir d’une société fondée sur l’avoir, le mensonge, la corruption - où le pouvoir, l’argent et le sexe aveuglants et obsédants, vous enferment dans leurs filets. Me first, society! We will, we will … squash you!
Squash, d’Andrew Payne
http://squash.over-blog.com http://www.arriere-scene.be/saison_details.php?ID=205
Mise en scène : Clément Manuel
Avec : Charlie Dupont et Clément Manuel Direction d’acteurs : Tania Garbarski Lumières : Pierre Ronti
Musique : Greg Remy de Ghinzu Assistanat : Benjamin Ramon Costumes : Lacoste et Bellerose
Du 29 octobre au 21 novembre 2010
(Reprise)
de Normand Chaurette
Mise en scène: Jacqueline Préseau
Avec : Muriel Audrey, Céline Robaert, Brigitte Louveaux, Jacqueline Preseau, Sibylle du Plessy, Emilie Duvivier
Édouard IV, l’aîné des York, agonise dans sa chambre. Le roi en voie de putréfaction, n’est plus à même plus à même de maintenir l’ordre. Qui règne alors au château ? Le chaos. Se fermant le nez aux remugles persistants de la décomposition, les femmes rêvent toutes de la vacance du pouvoir. Toutes espèrent poser la couronne d’Angleterre sur leur front ambitieux. L’inspiration des noms des Reines revient à Shakespeare, mais cela pourrait se passer en Chine, à Venise, sous les Médicis, ou dans n’importe quel autre lieu où règnent le vide et l’avidité dévorante du pouvoir.
Ces femmes, toutes majestueuses, belles comme des porcelaines de Saxe, décolletés de rêve, couvertes de bijoux sont aussi incapables de communication que les pourceaux sous le pouvoir de Circé. Elles sont emmurées non seulement dans la tour de Londres mais dans leurs fantasmes et leur folie dominatrice. Un régal pour certains… Elles s’agitent, foulent le parquet, parlent, ne s’écoutent, ni même ne s’entendent, se font taire ou carrément rendre muette…. On assiste à un ballet verbal absurde et le spectateur attend. Il n’y aura pas d’histoire, que de l’intrigue, du fiel et des sarcasmes perfides. De très belles tirades pleines d’éloquence, déclamées par des voix tour à tour délicieuses ou sorcières, des rythmes d’alexandrins, douceur suave pour l’oreille, sont inlassablement jetés dans le vide. Ils meublent l’attente et restent sans écho.
Le désespoir, la solitude et l’approche de l’odieuse vieillesse d’une Marguerite d’Anjou, devenue un ballot d’amertumes et de rancoeur refusé sur tous les continents, nous remplissent d’effroi glacial. ...Où trouverait-elle quelque tendresse? Deux nouveau-nés incapables de cris, sont ballottés au gré des ambitions et des menaces mortelles. Et toujours pas d’histoire.
S’il fallait mettre le spectateur mal à l’aise, c’et parfaitement réussi. Déjà avec le dépeçage de la vérité historique il doit rentrer dans un tourbillon d’absurdité et est éjecté sans ménagements hors du temps. Côté espace, le fauteuil du spectateur, comme la ville de Londres qui se dissout peu à peu ce 20 janvier 1483 dans une tempête surréaliste, semble s’évanouir à son tour. Il essaie de rester assis entre deux chaises : celle de l’envie de partir, tant on est inconfortable, ...et celle de rester, car la curiosité et le talent extrême des comédiennes nous retiennent! Et aussi cette jeunesse ensorceleuse de Anne Warwick, douze ans, ou plutôt 22, visage de Botticelli et sourire de jeune louve.
Le maléfice atteint son comble avec les mots de Cécile d’York qui, jalouse de l’amour passionné qui unissait ses enfants Anne et Georges petits, a toujours refusé la naissance et l’existence de cette belle grande fille muette à la bouche en cœur qui erre sur la scène parmi les Reines. Petits, elle leur a cousu un silence à vie, ajoutant à sa fille l’odieuse punition de lui faire couper les mains. Anne ? Un prénom d’une fille qui n’existe pas… Et si, rompant le sortilège infernal, elle se met subitement à parler, personne ne l’entendra. Spectacle dérangeant, n’y emmenez pas vos enfants, ils ne comprendront rien et vous ne pourrez rien leur expliquer, il ne s’y passe que malaise, mal-être et maléfice. Même si le décor, les costumes sont séduisants et le jeu des comédiennes, jeunes virtuoses, étincelant.
Les talents et le théâtre sont bien au rendez-vous, mais qu’ont donc fait les femmes, à Normand Chaurette ?
Ô Seigneur ! Est-il possible que le calice passe loin de moi, qu’il ne me soit jamais permis de le saisir ? Moi qui suis à la tâche, jour après jour, indéfectible, comme d’autres... au temple, zélés et fervents !
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A quinze ans, la terre ne nous appartient pas encore mais le monde n'existe que pour nous - du moins, pour nous qui sommes capables de lui répondre par l’affirmative : « Oui, je le veux ! Oui, je le peux ! »
A quinze ans, on aime tout ce qui a été pensé pour notre âge, tout ce qui nous est destiné, proposé, offert - pour peu qu’on puisse se l’offrir. On espère, on supplie, on désire, on ordonne, on convoite ; et que dire de toutes ces attentes erratiques, confuses qui ne savent pas vraiment ce qu’elles attendent...
A quinze ans, on dépense tout comme de l’or car la pacotille se vend chère puisqu’elle ne s’affiche jamais comme telle : commerce oblige ! On jette les mots par la fenêtre et les parents, leur argent : la paix est à ce prix et le compromis, maintenant historique... aussi. C’est le joueur de flûte avec sa sérénade brillante et vive ; une sérénade hypnotique et luisante que personne ne lui interdira de jouer car, ceux qui ne souhaitent pas y succomber, sont déjà sans voix.
Un monde fait sur mesure donc, un monde voué à tous les commerces et à tous les rackets : demander, exiger, recevoir, arracher... c’est la seule préoccupation qui ordonne tout le reste. Et là, le monde est d’une clarté totale ; un point aveugle cette clarté au-delà de laquelle plus rien n’est visible.
***
A quinze ans, on se nourrit d’un rien, d’une précipitation de jouissance, sans autre souci que d’aller à la rencontre - à toutes les rencontres -, pourvu qu’elles nous mènent au plus près du but : à la découverte d’une floraison soudaine de possibilités nouvelles porteuses de mille transgressions.
On rêve, on mime, on improvise sur un emploi non contraint du temps et toujours trop court. La nuit n’est qu’un mal nécessaire à l’heure où il nous faut rentrer même si ce refuge nous est bien utile parfois car, on peut encore y trouver la sécurité après une conduite porteuse de tous les risques face aux dangers d’un monde qui n’est qu’un loup pour son propre monde. Elle signifie à peine le repos cette nuit qui s'annonce déjà ; à l’aube, tout sera à recommencer ou bien, à poursuivre : on reprendra le cours là où on l’a quitté, le long d’une pente tantôt douce, tantôt brutale.
A quinze ans, on occupe tout le temps dont on dispose. Aucune culpabilité. Tout est promis à l’oubli et pourtant, tout semble inoubliable, dans un monde qui a une bonne mémoire, la meilleure des mémoires : une mémoire courte ; celle qui ne vous autorisera aucune retour en arrière au delà de l'heure qui s'est écoulée et qui s'est achevée dans la plus parfaite absence de mémoire et dans une indifférence insolente face à cette lacune qui n'en est plus une aujourd’hui.
Quant à la prochaine heure... celle qui s'écoule là, maintenant, sous nos yeux, le monde n'ose déjà plus y penser, de peur de devoir s'en souvenir.
Une génération entière s’est ennuyée, la suivante a tout juste le temps pour elle ; elle va à l’aventure sur un écran de dix sept pouces ou sur un écran géant, le temps de passer de la lumière à l’obscurité... mais la lumière revient toujours à la fin de la séance ! La prochaine épopée chassera la précédente. Hallucinés, du rêve, on passe au songe, du songe à la réalité jusqu’à taire la peur qui nous taraude face à cette inconnue immense : notre vie de demain dans dix ans dans un monde instable et sans remords ; et là, c’est déjà une autre aventure, une tout autre histoire.
A quinze ans, Dieu ! Qu’est-ce qu’on fait comme bruit ! On ne s’entend plus et pour peu qu'on nous conseille vivement de nous taire et d'écouter... en classe, soudain, tout devient difficile ou bien, incompréhensible ; en cours, on ne participe plus, on s'éloigne, on se retranche dans les derniers rangs, on quitte la classe avant tout le monde ; et c'est alors que le collège ou le lycée ne vous appelle plus le matin et ne vous promet plus rien sur le trajet qui y mène.
Sans illusion quant à l’usage qu'ils peuvent espérer faire de cette disgrâce, les adolescents connaissent le prix d’un tel échec et sa récompense : les portes qu'il vous fermera au nez avant même que vous ayez eu le temps d'y frapper car on vous aura vu venir de loin et... nombreux ; et personne ne nous sera d’aucun secours, prisonniers d’une solitude intouchable.
***
L’adolescence tient en trois mots, trois séismes : le désespoir impalpable aux causes aussi multiples qu'indéfinissables, l'amour toujours à refaire et la joie infinie, sans antécédent, sans passé, sans avenir, fruit d'une insouciance sans conséquence pour l'heure.
Oui ! La joie ! Joies qui se succèdent, courtes, spontanées, sans raison, pour un rien et pour un peu. Une lumière cette joie ! Une lumière même quand la lumière fait défaut. Intouchables on est ! Indestructibles ! Il ne manque plus rien aussi longtemps qu'elle est là, à nos côtés. Une vibration cette joie ; une vibration venue du centre de la terre ; aussi vieille que la croûte terrestre et les danses tribales cette joie qui accroît notre être, l’étend, l'enveloppe. Son souffle nous rend légers et nous permet de franchir bien des obstacles en les ignorant, tout simplement. Joie d’être, joie de vivre ! Et ce sourire qui nous illumine ! Regardez-le ce sourire si précieux ! Regardez-les ! Regardez-nous à quinze ans déambuler le long des rues, dans ces avenues qui nous appartiennent le temps de les traverser. Et cette lueur dans les yeux : c'est encore la lumière de la joie bien sûr ! La joie de l’instant qui va nous combler, tout ce qu’on se promet, là, maintenant ou bien, dans l’heure qui suit.
Allez ! Rendez-la-nous cette joie, ce chahut salutaire !
***
Enfant, tout est immense. A quinze ans, on mesure le monde à l’échelle de ce qui sera possible d’y accomplir. Signe de notre temps : aujourd’hui, très vite, c’est déjà trop tard. Jadis, on pouvait s'offrir quelques années d'insouciance, aujourd’hui, on nous conseillera de tout prévoir, de tout envisager, même et surtout le pire en cas d’échec que l'on pressent très tôt ; le succès aussi, pour peu qu’on ait de bonnes raisons de l’espérer.
A quinze ans, ce qui se passera, on ne le voit pas toujours et aussi, ce qui ne se passera pas. Voués au meilleur et au pire, on vit de ce qu’on prend et reçoit du monde, de ce qu'on lui arrache aussi quand il nous oublie au passage ou nous ignore car, si l’abondance nous empêche de voir, le manque, lui, nous couvre de honte : on réclamera son dû. Et c’est alors que la colère et l’impatience nous conduiront tout droit à la révolte et au scandale pour s'empresser de jeter sur la douleur de vivre cette indigence qui surplombe tout et dont on ne saurait porter la responsabilité, notre dévolu d'insultes, d'intimidations et de menaces. Stratégie de survie avec soi-même et les autres qui nous le rendront bien et au centuple, avant longtemps.
A cet âge, tout le mal que l'on se fait, on l'ignore jusqu'à la cure qu'est l'âge adulte, pour peu que l'épuisement nous y aide et puis… parce qu'il faut bien se faire une raison ; la résignation est pareille à l'usure du temps qui guérit bien des maux ; elle prend sa place sur la pointe des pieds alors qu'il fait encore sombre ; et plus elle arrive tôt, plus ses chances de mater cette révolte sont grandes.
A quinze ans, de l’âge adulte, on se rapproche, même si c'est pour mieux nous en éloigner. On se complait de tout. Aucun retrait, aucun recul, c'est la vie qui nous submerge. On hurle. On crie. On bouscule son entourage. On l’ignore.
Autre signe de notre époque : à quinze ans, dehors c'est dedans ; on est partout chez-soi. Au delà du périmètre dans lequel notre action se déploie, rien d’autre existe, rien ni personne ; et tant pis pour les autres qui devront prendre leur mal en patience ou bien, se retirer sans broncher.
A quinze ans, on se cherche un visage, un vrai visage : le sien. Mille essais, mille emprunts, preuves d’une fertilité et d’une inventivité ingénieuses et brouillonnes qui peinent à trouver sa forme. La maturité y pourvoira pour peu qu’il en soit toujours question. Car, si on n'a pas encore à trouver sa voie, en revanche, on se doit de trouver très vite sa place.
Quand on est seul, c’est l’ennui et le désarroi. En bande, on échappe à l’angoisse d’aujourd’hui qui n’est que la négation des responsabilités et des incertitudes de demain. Menu indigeste que demain ! Novice, on avance par à-coups dans un couloir plongé dans le noir. Quand on trouve l'interrupteur et la lumière, c'est le soulagement : on n'a plus peur jusqu'à la prochaine épreuve.
A quinze ans, on veut plaire, être comblé jusqu’à la saturation. Être vivant à quinze ans, c’est être vu et reconnu, escorté du regard et du cœur, mille cœurs entre tous, si possible... et pourquoi pas ! On recueille toutes les faveurs quand on sait les susciter. On vit sans ordre. On a des colères soudaines, sans arrière-pensée et puis, on sait calculer, manipuler, manœuvrer en expert aussi. On s’enflamme, on étouffe, on suffoque, l’amour est minuscule, infini. Et puis un jour, on le fait. Ce jour là, on devient quelqu’un d’autre. Quelque chose a été percé. Quelque chose en nous a fondu. C’est la mue. Une autre peau émerge. On n’y comprend pas grand-chose mais... c'est sûr : on a changé !
Un mystère qui n’en était pas un, cette interrogation - du moins, pas longtemps, car bientôt, tout ça n’aura plus d’importance ; l’essentiel est ailleurs, bien sûr : dans ce qui nous attend, dans cinq ans, dans dix ans d'ici...
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A quinze ans, c’est fini, plus rien à faire dans la vie, sinon la vivre. Une vie détachée de soi, prodigue d’elle-même et de ceux dont on partage la même vie, au même âge, au jour le jour, d’heure en heure... jusqu’à la suivante. Ce qui doit arriver arrivera toujours assez tôt ; on aura bien le temps de faire face à cette insécurité qui nous attend, une fois que l'on ne pourra plus compter sur ceux qui nous ont mis au monde et qui avaient toujours su nous en protéger.

Si à quinze ans on connaît la peur, on sait la contourner. Si on la frôle, on l'oubliera très vite pour s'empresser d'en chercher une autre ailleurs : ses jouissances sont trop grandes pour qu'on les abandonne à la première alerte, le goût de vivre, plus fort encore. On compose avec la peur comme on compose avec tout le reste : la peur des mauvaises notes, la peur d’être découvert, la peur de l'humiliation, la peur du rejet, la peur de la violence de ceux qui ne craignent rien, ni personne, et surtout pas, ceux qui ont peur.
Parfois, les adultes contribueront à diffuser cette peur qui leur va si bien depuis qu’elle les mène et les force à resserrer leur vie pour diminuer le rayon de son action et réduire le champ de ses ambitions et de son influence.
Adolescent, cette peur est sans doute l’information la plus importante que nous recevons du monde ; une des premières ; s’y soumettre annonce des lendemains plus alarmants encore.
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Volonté de prendre, de jouir ! Volonté exténuante, désirs insatiables ! A quinze ans, on mixe, on brasse, on mélange tout, même si ce sont les autres qui distribuent les cartes à notre insu. C’est notre façon d’y voir clair en ne voyant rien de ce qui se trame au loin, sans guide pour nous accompagner.
Et tout nous y encourage. "On a le temps !" nous assènent les ondes de la voix du monde et les pixels de sa représentation, là où toute parole vers le haut est impossible. Une voix sur mesure, pour notre immaturité qui ne peut qu’écouter cette voix. Tellement dans son époque cette voix qui jamais ne se trompe ni ne s’égare, au plus près, serrée, collée à notre inconséquence juvénile, telle une sangsue. Pas d’époque sans voix quelle qu’elle soit, aussi dévastatrice soit-elle. Toujours !
Qui possède le Verbe et les décibels, conduit le Monde. Une voix d'usuriers du désert, trompeuse et assourdissante, cette menace proférée sous le couvert d’une attention désintéressée ; une voix condescendante qui absorbe très vite la meilleure part de l'esprit et empêche tout exercice d'une attention claire envers soi-même ; une voix aux éclats incessants telle un marteau sur l’enclume, qui obstrue toute perspective d'élan en nous privant d'un tremplin pour rebondir plus loin, plus haut ; et peu nombreux sont ceux qui sauront le faire à temps.
Une nuisance cette voix pour quiconque souhaite la faire taire. Dans ces moments là, c’est toute la vie qui vire à la lutte, une douleur dans le dos - dans le bas des reins, plus précisément - à force de résistance, en parents confrontés à un âge sans discernement, et à un prix bien plus élevé aujourd'hui qu’hier : pas de conte de fées et pas de happy end pour nous rassurer : dans le meilleur des cas, happés ils seront, au passage de l'écho de cette voix, et dans le pire, broyés, pris en étau entre les incisives et les molaires de sa mâchoire d'ogre.
L’autre voix, elle, est inaudible pour l’heure. Le moment venu, elle n’aura pas besoin de porte-voix. Bientôt, une autre réalité se chargera de nous la faire entendre car, à quinze ans, on est de l’autre côté de la vitre, à l’intérieur ;
Dehors nous attend une surprise : tout ce qui aura été tu des années durant et qui nous est maintenant hurlé.
Et là, malheur aux malentendants !
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On n'est pas sérieux quand on a 17 ans
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Extrait du titre : "La consolation" - disponible chez TheBookEdition
A propos de l'ouvrage... cliquez La consolation
Pour ceux qui ne l’évoque plus
par pudeur
parce que l’enfance
à enfermé en eux
un manque
qui leur fait encore mal
un père parti trop tôt
une mère perdue
un frère, une sœur
indispensables confidents.
J’irai à la fête des morts
avec un pot de fleurs
dans un grand champ de pierre
à l’allure éphémère
d’un parc de Versailles.
JALOUSIE EN TROIS MAILS
COMÉDIE D'ESTHER VILAR
06 Octobre 2010 >> 30 Octobre 2010
Une avocate d’âge mûr intelligente et sensible, une femme fatale architecte -la vamp irrésistible et blonde en robe noire, chignon sensuel et bouche peinte se refermant sur une éternelle cigarette dans un penthouse de rêve, et l’étudiante bouddhiste en jeans, végétarienne. Trois générations. Elles habitent le même immeuble. Epouse ou maîtresses, elles partageront inéluctablement les palpitations et les affres de la jalousie pour le même homme. Ce Lazlo, est omniprésent dans leur monde intérieur mais absent de la scène, sauf qu’il circule, habilement entre les étages, insaisissable. Les empoignades se font à coup de mails, de véritables argumentaires pleins de fiel, de poison et de verve : tour à tour des salves de perfidie, de désespoir, d’amour passionné tombent avec fracas dans les maibox. Les textes sont beaux, du Sacha Guitry version féminine. La rivalité entre ces femmes révèle en chacune la mesure de leur passion pour le même homme et la douleur insupportable de l’abandon. Pas de clichés, un crescendo de souffrance et de violence, boomerangs verbaux, bombes de détresse et de sarcasmes vengeurs. Les monologues se croisent et se répondent sans jamais réellement communiquer entre eux, chacune se croyant pathétiquement à l’abri dans sa bulle, jusqu’au dernier moment, à l’abri dans la croyance folle d’être aimée. Mais les déconvenues sont d’autant plus cruelles, jusqu’à friser le suicide. L’une lit avec effroi le texte qu’elle vient de recevoir, l’autre livre ses pensées aux fenêtres ou s’adresse virtuellement à sa rivale, l’une lit son texte en l’écrivant rageusement, chaque fois l’émotion est au paroxysme mais pas de confrontation réelle, ni de bagarre, le sentiment n’en est que plus aigu.
La voix de " l'autre" est prisonnière de l'écrit, comme un moustique coincé dans un microscope. C’est donc le verbe qui se charge de la vérité de l’émotion. Et de l’évocation des ravages du temps… mais les femmes, statistiquement, ne sont-elles pas gagnantes ? D’un bout à l’autre, la jalousie est disséquée avec brio jusqu’à la scène finale où paradoxalement il sort une véritable surprise rhétorique voluptueuse. Exaltation. Vive l’intelligence …
Le spectacle est aussi dans la salle : des spectateurs masculins, totalement inconscients des dangers des relations extraconjugales ont les yeux qui brillent, le sourire flottant, et se trémoussent d’une fesse sur l’autre. J’en ai vu saisir leurs accoudoirs et se lever à demi, transportés par le bonheur imaginaire de se sentir Lazlo – quelle erreur! – et des femmes soupirer d’aise quand à son tour la maîtresse, femme fatale « tombe »…
Rosalia Cuevas, Carole Weyers et Cloé Xhauflaire sont toutes trois, solaires!
Petit Théâtre Mercelis:Du 06/10/10 au 09/10/10 Et du 14/10/10 au 30/10/10 à 20h30
BOZAR: Le 12/10/2010 à 20h30
Infos et Réservations: www.argan42.be et 070/75.42.42
LE MEC DE LA TOMBE D'À CÔTÉ de Katarina Mazetti
Mise en scène: Michelangelo Marchese / Avec Florence Crick et Guy Theunissen
DU 26/10/10 AU 31/12/10 au théâtre Le Public
Daphné Merlin, Bac+5, se rend régulièrement sur la tombe de son jeune Hugo de mari, un alter ego qui a eu le mauvais goût de mourir sur son vélo, la tête dans un casque où il écoutait des chants d’oiseaux. Bibliothécaire, et citadine en diable, elle vit dans un appartement impeccable, tout blanc, plantes vertes, très tendance, pas une tache. Au cimetière, elle rencontre le mec de la tombe d'à côté, dont l'apparence rustique l'agace souverainement, autant que la stèle orgueilleuse et son abondante vie végétale, digne d’un pépiniériste. La tombe où elle se recueille est nue et sobre, pas même un rosier, car le mec d’avant, amoureux du vide, en avait décidé ainsi, réglant tout dans sa vie, jusqu’à ses obsèques. Depuis le décès de sa mère, Jean-Marie vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières. Il est fort affecté du vide laissé par la mort de sa mère, mais il a de l'humour et de l'autodérision et le rêve inavoué d’un « je t’aime, tu m’aimes, on sème… ». Chaque fois qu'il rencontre « la dame beige », bonnet ridicule fiché sur sa masse vaporeuses de cheveux, il s'énerve contre la 'Crevette' qui occupe le banc au cimetière avec lui, avec son carnet et son incroyable « stylo à plume !» « Est-ce qu’elle compterait les maris qu’elle a enterrés ? » Tout les sépare et pourtant, les monologues intérieurs sont éloquents, chacun éprouve un désir confus. « Un arc-en-ciel a surgit entre nous » dit-il au premier sourire involontaire de la belle. Une histoire d’amour démarre.
Ils vont se raconter tour à tour, se rencontrer, s’aimer, se séparer, se rattraper, se disputer copieusement, vivre une relation charnelle à la Lady Chatterley…. Mais le choc des cultures ! Le tournant ce sera cette phrase des moutons qui tue. Innocemment Jean-Marie lâche : « Il va falloir qu’on les rentre… » Totalement étrangère aux choses de la ferme, la crevette se cabre. Saisie d’une peur panique elle voit en un instant le piège épouvantable d’une vie de paysanne se refermer sur elle, et, devenue chevrette sauvage, elle prend la fuite. Et ce "ON", terrifiant pronom menteur, qui s'emble l'avoir inclue! Pourtant tous deux nourrissent des illusions romantiques…
Le duo Florence Crick et Guy Theunissen joue avec brio, malice et justesse, ces deux personnages un peu manichéens. C'est en fait cela leur problème: aucun lieu de rencontre, si ce n’est le lit de leurs amours et le cimetière de leurs illusions. La volubilité, et les mouvements de poursuite et d’esquives brillent comme des éclairs. Les yeux et les sourires parlent plus que déclarations. Les moments de tendresse sont profonds comme une meule de foin, et sublimes alors qu’ils sont assis sur une tombe. La lucidité de la paysannerie est là : « On va aussi bien ensemble que la merde et les pantalons verts, comme disait mon grand-père. Et je ne veux pas que ça s'arrête. A chaque jour suffit sa peine, je n'aurai qu'à apprendre à faire avec. » La campagne et ses odeurs tenaces, l’immense ferme un peu délaissée, la bibliothèque, le théâtre et la ville sont magnifiquement rendus par la parole et le geste. Dommage que le seul lieu de rencontre ne soit qu’un cimetière, s’ils pouvaient y enterrer leur ego une fois pour toutes, tout irait mieux. « Mieux vaut franchir les minutes une à une, les avaler comme des pilules amères, essayer de ne pas penser à toutes celles qui restent "» Qui fera le pas, et enterrera en même temps la hache de la guerre du couple ?
Daphné insiste cruellement : « Bien sûr que c'est possible de vivre comme ça, être les meilleurs amis du monde, chacun sur son étoile, puis s'amuser ensemble lorsqu'on sent le souffle de la solitude sur la nuque? Bien sûr que c'est possible? » Une attitude triste à pleurer, hélas typique de notre époque postmoderne, où l’engagement est devenu si difficile, où jamais on ne veut lâcher prise et se donner vraiment à l’autre, où «chacun vit sur une autre planète ! » Dans la peur panique du lien.
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=257&source=agenda&year=2010&month=10&day=26
Lettre d'une inconnue
De Stefan Zweig, avec Nathalie Stas.
Le drame intégral: « Tu ne m’as jamais reconnue! » Un message qui à force, va tuer cette belle inconnue car il lui manque le souffle conjoint de l’autre pour respirer, elle ne respire qu’à demi. Et pourtant le feu des regards se rencontrait, mais pas l’intelligence. Au cours de leurs quelques rencontres, l’amant passionné mais distrait, futile et ébloui à chaque femme sublime, ne la reconnaît jamais et il ne garde aucun souvenir. Il ne saura jamais qu’elle l’aime passionnément depuis l’âge de 13 ans, avec le mystère de l’adoration totale. Tragédie de l’amour : cécité et aveuglement conjugués. Privée de figure paternelle, à l’âge de l’absolu, elle a concentré sur cet écrivain rencontré au seuil de l’adolescence, toutes les cristallisations de son désir de femme et d’enfant. Un amour caché d’enfant, est plus fort encore que celui d’une femme.
Nathalie Stas en corsage et pantalons de dentelles pudiquement recouverts d’un peignoir de soie blanche, sa longue crinière sombre frôlant les chandeliers qui font encore croire à la vie, le visage défait, mais la vénération de son amant fichée dans les yeux, achève de lui écrire une lettre, plutôt une longue confession d’amour. Les reproches y sont presqu’absents tant son amour est vaste. Elle lui avoue leur enfant caché, mais il vient de mourir, à trois ans. Elle lui a caché son existence, s’épargnant une nouvelle non-reconnaissance, et se ménageant un seul espoir de vie, la trace vivante de leur amour… « Cet enfant, il était tout pour moi : il venait de toi ; c’était encore toi, non plus l’être heureux et insouciant que tu étais et que je pouvais retenir, mais toi pour toujours, pensais-je, m’appartenant, emprisonné dans mon corps, lié à ma vie… » Si l’enfant meurt, elle ne peut survivre.
Né du désespoir, ce texte est d’une finesse exquise, la description de cet amour fantasmé et malheureux y est analysé jusqu’au moindre frisson. Les joies et les extases alternent avec la douleur profonde, nous sommes au cœur d’un mystère intime, d’une symphonie déchirante et romantique. Lorsque l’écrivain lira enfin la longue missive, elle sera déjà de l’autre côté du miroir : « Son regard tomba alors sur le vase bleu qui se trouvait devant lui sur sa table de travail. Il était vide, vide pour la première fois au jour de son anniversaire. Il eut un tressaillement de frayeur. Ce fut pour lui comme si, soudain, une porte invisible s’était ouverte et qu’un courant d’air glacé, sorti de l’autre monde, avait pénétré dans la quiétude de sa chambre. Il sentit que quelqu’un venait de mourir ; il sentit qu’il y avait eu là un immortel amour : au plus profond de son âme, quelque chose s’épanouit, et il pensa à l’amante invisible aussi immatériellement et aussi passionnément qu’à une musique lointaine ».
Nathalie Stas incarne un théâtre de pure émotion, la mobilité de son visage est telle qu’elle annonce presque le texte qui lui passe par le corps. Sa voix épouse le trouble et la volupté, tremble l’indicible, révèle la profondeur du sentiment, galope dans l’azur du bonheur éphémère. Sa féminité absolue et sa beauté brune sous-tendent le texte à merveilles. Elle empêche presque le public de respirer… à moins qu’on ne se sente soudainement mal, tant le duo du texte et comédienne est intense et poignant.
XL Théâtre - Théâtre du Grand Midi Tél. : 02-513.21.78
http://www.xltheatredugrandmidi.be rue Goffart 7 1050 Ixelles
« Nous allons donc, enfans de la patrie, Nous réunir chacun sous nos couleurs, Et protéger une mère chérie,
Dont les périls font battre tous les coeurs... ...En répétant qu'entre Liège et Bruxelles, C'est désormais à la vie, à la mort. »
La Révolution de septembre 1830 est essentiellement une révolution nationale, mais c'est aussi une révolution libérale: les libertés désirées par les « philosophes » et les « apostoliques » ne devant jamais mieux être réalisées que dans l'indépendance. Les conceptions politiques qui divisent les deux grandes tendances de l'opinion passent, à ce moment, à l'arrière plan. Les ministériels ont tout fait pour semer le désordre entre les unionistes. Leurs efforts astucieux, à Liège, notamment, ont été vains. Il est incontestable que parmi les hommes de la Réunion centrale et parmi les extrémistes, les libéraux avancés, les « Jacobins », comme on les appelait à l'époque, étaient les plus nombreux. Le très perspicace gouverneur Sandberg a finalement analysé, le 19 septembre 1830, les forces révolutionnaires à Liège: « Peu importe au fond où ce torrent a pris naissance, qui depuis trois ou quatre ans n'attendait qu'une occasion pour déborder, peu importe d'où est parti ce premier flocon de neige qui forma l'avalanche, mais Sire, encore une fois, ce ne sont ni les nobles, ni le parti prêtre, c'est le parti ultra libéral qui est vraiment redoutable et auquel la noblesse, ainsi que le clergé se sont adroitement adjoints: ce sont les jeunes avocats, les jeunes gens des classes secondaires, ceux qui veulent percer, les mécontents de toute espèce, et ce mouvement (quoique non français), a toute analogie avec les événements de France: haine à tout privilège, jury, langue, responsabilité ministérielle, partage d'emplois, cri contre les impôts, voilà leur drapeau et si un seul jour la noblesse et le clergé s'avisaient d'arborer un autre avis, ils n'oseraient plus se montrer ». Le comte de Mercy-Argenteau écrivait de même le 7 septembre: « Ce ne sont pas les armes de France qui triompheront de nous, effectivement, elle ne l'essayera même pas, ce seront les principes libéraux ».
La noblesse ne s'est guère montrée, mais de brillantes exceptions font ouvertement la liaison entre les « libéraux » avancés et l'opposition des milieux traditionalistes. Le comte Félix de Mérode est le plus remarquable de ces nobles gagnés au régime nouveau. Sa présence au Gouvernement provisoire, dès le 26 septembre, est d'un poids énorme pour le ralliement de l'aristocratie au nouvel Etat. L'ardeur patriotique l'anime, comme elle brûle son frère Frédéric. Celui-ci quittant sa femme à Chartres, le 25 septembre, pour aller se battre en Belgique et y mourir en héros, lui dit: « il faut être raisonnable, il y a des circonstances où on ne peut pas rester neutre et je ne peux pas oublier que je suis Belge ».
Quant aux étrangers, animés de la passion de la liberté, ils voyaient dans Guillaume 1er et son armée, l'avant-garde de la Sainte-Alliance et l'agent des oppresseurs des peuples. Brûlants d'ardeur libérale et démocratique, ils savent que l'expulsion des Hollandais apportera la liberté à leurs frères belges et ils feront le coup de feu pour la libération des opprimés. Ainsi Nation et Liberté sont indissolublement unies.
Enfin, la révolution de 1830 est-elle une révolution sociale? Incontestablement, dans les premiers jours, des manifestations résultant de la détresse des classes populaires se sont produites. Cependant, le choc initial était bien d'ordre politique et la bourgeoisie a réussi à calmer les soubresauts de la misère. Le malaise économique en 1830, l'aggravation des conditions matérielles de l'existence, dès le début des troubles, ont certes contribué à l'excitation du peuple, mais sa colère s'est tournée contre le Hollandais.
Néanmoins, un nouveau personnel politique, administratif et judiciaire s'empara des leviers de commande. Un rajeunissement radical des cadres fut réalisé. Comme au temps de Gambetta, on pourrait parler de « la venue et de la présence dans la politique d'une couche sociale nouvelle ». L'ordre équestre, dernier souvenir légal de l'inégalité, disparut, les idées démocratiques firent des progrès tant en Flandre parmi le clergé qu'en Wallonie chez les bourgeois. Ainsi, dans la phase constructive du nouvel Etat, y a-t-il un aspect social qu'il conviendrait d'étudier.
Dans sa phase destructive, la Révolution de septembre 1830 est l'exemple le plus clair de la force du sentiment de la liberté nationale chez les Belges, à un moment de leur histoire. Un combattant des barricades de Bruxelles, le brasseur Isidore Gillain, de Namur, a rendu, dans une lettre, témoignage de l'héroïsme des hommes à qui la Belgique doit plus d'un siècle de grandeur. « Je suis décidé de mourir plutôt que de céder à ces lâches Hollandais, écrit-il à ses parents le vendredi 24 septembre... Nous avons une grande quantité de braves qui sont morts pour défendre leur liberté. Mais en revanche, nous avons fait un massacre des jenfoutres qui veulent nous enchaîner. Peut-être que ce soir, nous serons maîtres du Parc; mon courage ne se ralentira pas et si je dois mourir, consolez-vous et vous direz que votre fils est mort pour la liberté.
» Adieu, je vole au combat.
» Je vous écrirai, si j'échappe, dimanche ou lundi.
» Adieu, ne vous mettez pas en peine.
» Ayez du courage, nous vainquerons.
» Je vous embrasse tous ».
Histoire de la révolution belge chapitre 1:
Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye
Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes
Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime
Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat
Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national
Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe
La Révolution belge de 1830 est un événement européen. Depuis des siècles, la question des Pays-Bas préoccupait les grands Etats. Dès qu'elles reçoivent la nouvelle de l'émeute du 25 août, les chancelleries sont alertées, car une pièce de base du système établi par le Congrès de Vienne est ébranlée. Les puissances absolutistes, la Russie, l'Autriche, la Prusse, veulent évidemment comprimer cette explosion libérale et nationale. Chacune, cependant, réagit d'une manière différente devant les événements de Belgique. Le tsar Nicolas ler, autoritaire et cassant, encourage son beau-frère, le prince d'Orange, à se montrer énergique. Il se déclare prêt à intervenir par la force et il concentre des troupes. Mais la Russie est loin en 1830! Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, beau-frère de Guillaume ler, vient de marier son fils Albert à la prjncesse Marianne, fille du même Guillaume 1er. En 1825 déjà la fille de Frédéric-Guillaume III, Louise -Augusta -Wilhelmina Amalja, avait épousé le prince Frédéric des Pays-Bas. Le roi de Prusse aimerait aider son parent, mais il craint un conflit avec la France. Quant à Metternich, il s'intéresse assez peu aux Pays-Bas, toute son attention étant retenue par l'Italie qui bouge. La Grande-Bretagne, elle, hésite. Wellington n'aime pas les libéraux. Il souhaiterait l'écrasement de la rébellion qui risque de troubler la paix européenne, car qui peut répondre de l'attitude du peuple français? Le 28 août, Guillaume 1er a averti son royal beau-frère des événements de Bruxelles et lui a demandé de pouvoir compter sur la coopération des troupes prussiennes dans le cas oùles moyens à sa disposition ne suffiraient point pour maintenir le royaume des Pays-Bas et ses droits dans l'état assuré par les traités. Immédiatement, des ordres sont donnés à Magdebourg et à Erfurt, afin que de forts détachements des deux divisions du corps d'armée n° 4, soient dirigés vers le Rhin. On compte à Berlin pouvoir mettre sur pied, en six semaines, deux cent cinquante mille hommes et la caisse militaire contient neuf millions d'écus courants, destinés à rendre cette armée mobile. Bruits de bottes à l'Est... mais ils seront vite étouffés.
Frédéric-Guillaume III est prudent. Le 9 septembre, il écrit à Guillaume 1er qu'il s'entendra avec leurs alliés communs, car l'attitude de la France, pour qui toute intervention étrangère aux Pays-Bas justifie sa propre intervention, « nous prescrit une prudence et une circonspection plus qu'ordinaire ».
Une modification de la Loi fondamentale dans le sens d'un relâchement de l'unité était en contradiction avec l'acte du 21 juillet 1814, par lequel Guillaume d'Orange avait accepté les « huit articles » fixant les conditions mises par les Puissances à la réunion de la Belgique à la Hollande. Le consentement des Puissances était dès lors nécessaire. Le 7 septembre, Verstolk, ministre des Affaires étrangères des PaysBas, demanda l'ouverture d'une conférence à La Haye. Avant que toutes les réponses ne lui soient parvenues, les Journées de septembre avaient provoqué une tension diplomatique grave, car Guillaume 1er a pris l'initiative de réclamer l'appui armé des vainqueurs de Napoléon. Le 28, Verstolk annonce aux représentants de l'Angleterre, de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche, que Guillaume ler déclare n'être plus assez fort pour réprimer la Révolution et qu'il va, en vertu des traités existants, s'adresser à ses alliés pour solliciter leurs secours, afin qu'ils lui prêtent assistance matérielle pour étouffer l'insurrection et rétablir l'ordre légal dans le royaume. Le lendemain, Guillaume écrit à son beau-frère, le Roi de Prusse « ... la gravité du mal a rendu mes efforts infructueux. Dans cet état de chose déplorable à la fois par l'atteinte qu'il porte au bien-être de mes fidèles sujets et par les complications dont il menace le maintien de la paix en Europe, mon Envoyé accrédité auprès de Votre Majesté aura incessamment l'honneur de présenter à son ministre des Affaires étrangères un exposé de la situation de la Belgique dans lequel j'ai cru devoir demander la coopération militaire de mes alliés ».
Le 2 octobre, le ministre des Affaires étrangères envoie la demande officielle d'assistance militaire. Mais l'attitude prussienne n'a pas changé. Le 6, Bernstorff, ministre prussien des Affaires étrangères, déclara au ministre des Pays-Bas, de Perponcher, que les intentions de son maître « étaient de ne point envoyer immédiatement des troupes dans les Pays-Bas », et que Frédéric-Guillaume III se concerterait avec ses alliés avant d'adopter cette mesure. «La Prusse s'est obligée collectivement avec les Alliés à maintenir le Royaume des Pays-Bas », mais non point à agir seule. La Prusse ne peut risquer une guerre contre la France et quatre millions de Belges. Sans doute peut-elle compter sur l'appui de la Russie, mais elle n'est point encore fixée sur l'attitude de l'Autriche et d'autre part, l'Angleterre prône la conciliation. L'armée prussienne est « l'avant-garde de la Grande Coalition » et « elle ne pourrait pojnt s'aventurer... à moins de savoir les autres armées à portée comme soutien ». Des raisons proprement allemandes empêchaient en outre toute actjon extérieure : des secours en troupes sont réclamés à la Prusse de tous les côtés de l'Allemagne. On ne peut songer à envoyer des troupes hors de l'Allemagne où « l'esprit de vertjge et de révolte qui s'est répandu a pris un caractère si menaçant que pour le comprimer il a déjà fallu aviser les mesures les plus rigoureuses ». Enfin, la situation financière de la Prusse impose la prudence.
L'influence pacificatrice de Bernstorff et du général de Witzleben, chef du Cabinet militaire, l'ont emporté. Les efforts bellicistes du maréchal russe comte de Diebitsch, en mission extraordinaire à Berlin où il promettait, au nom du tsar, l'envoi d'une armée de 150.000 hommes à la frontière de la Prusse et l'embarquement immédiat de 10.000 hommes pour être débarqués en Belgique, ont échoué. Le 15 octobre, Bernstorff répondit à la demande officielle remise le 6 octobre. C'était un refus aimable. Les circonstances exigeaient la circonspection : la solution des problèmes soulevés, d'une gravité considérable pour l'avenir de l'Europe, devait être réservée aux délibérations communes et à la décision unanime des Puissances alliées. Et l'on savait déjà alors que l'Angleterre avait renoncé définitivement à une action militaire.
Quant à Metternich, le 11 octobre, sa décision est prise: la cause des Pays-Bas est entièrement perdue et la demande du roi des Pays-Bas, qui voudrait obtenir de l'Autriche un secours matériel, est irréfléchie, les efforts de l'Autriche devant se porter vers l'Italie, Le 20 octobre, l'empereur François répondra à Guillaume ler d'une manière aussi polie que décourageante pour le roi des Pays-Bas. « La position géographique de nos deux Etats m'empêche de me regarder comme placé sur la première ligne de l'action matérielle dont Votre Majesté m'a adressé la demande. C'est aux puissances les seules à portée de lui prêter un secours pareil, à peser et la position dans laquelle se trouvent placées les choses, et leurs propres facultés. Ce qui, dans le cas présent, est de mon domaine, c'est l'appui moral, que je n'hésiterai jamais à étendre jusqu'à une entière solidarité dans ce que le conseil de l'Alliance arrêtera dans sa sagesse ».
Restait la Russie. Le 2 octobre, Guillaume Ier envoya au tsar la demande de coopération militaire de ses alliés, mais les distances sont longues entre La Haye et Twer Oil se trouve Nicolas ler. Le tsar était prêt à répondre à l'appel angoissé du père de son beau-frère. Dès le ler octobre, il faisait savoir à Londres qu'il était « disposé à mettre en avant immédiatement une armée de 60.000 hommes ». Mais le vice-chancelier Nesselrode et son ambassadeur à Londres l'engagèrent à la prudence et le tsar se résigna à n'intervenir que conjointement avec ses alliés. « Toute action isolée de ma part, loin de répondre au but qu'elle se propose, y apporterait peut-être un préjudice réel ». Ainsi la clef était à Londres... Il y avait plusieurs semaines déjà que les chancelleries savaient que l'Angleterre n'interviendrait pas par les armes. L'opinion anglaise était favorable au nouveau régime français. Les radicaux avaient salué avec joie les «Trois Glorieuses », que les libéraux considéraient comme un nouveau 1688. Deux journaux seulement à Londres avaient pris la défense de Charles X et Wellington lui-même, qui passait pour l'ami des absolutistes, ne pardonnait pas à Charles X la politique d'alliance avec la Russie menée par Polignac, les visées sur le Rhin et l'expansion en Méditerranée. La prise d'Alger avait été une défaite anglaise. Wellington, chef du gouvernement tory, le vainqueur de Waterloo et le constructeur de la barrière de forteresses contre la France était fort occupé par les affaires intérieures anglaises au moment où les nouvelles de l'émeute de Bruxelles arrivèrent. Il espérait que le roi des Pays-Bas rétablirait l'ordre dans ses Etats rendant inutile toute intervention des Puissances. Le maintien de la Barrière était nécessaire à l'équilibre de l'Europe et à la sécurité de l'Angleterre. Cependant Wellington ne désirait nullement provoquer une guerre générale par une intervention armée aux Pays-Bas.
Dès le 31 août, lord Aberdeen, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, dans l'ignorance de faits précis, déclara au chargé d'affaires de Prusse que l'envoi des troupes prussiennes aux Pays-Bas, ne devrait en tout cas, être adopté qu'après accord et sans précipitation. Cependant il ne pouvait pas davantage être question d'accepter la proposition française d'une démarche franco-anglaise auprès de Guillaume 1er lui recommandant de donner des satisfactions aux Belges.
Ecarter une guerre générale est le souci majeur de Wellington: une intervention armée des Puissances, en application des traités, provoquera une riposte française immédiate, Wellington en est convaincu. Il faut empêcher cette intervention chez les alliés et d'autre part encourager les bonnes dispositions françaises et y renforcer ainsi le courant non-interventionniste. Il ne faut pas exclure complètement la France du concert européen appelé à discuter les affaires des Pays-Bas. Sans doute, la France n'a pas participé à la convention des « huit articles» acceptés par Guillaume d'Orange le 21 juillet 1814 et fixant les conditions de la réunion de la Belgique à la Hollande, mais la France a, affirme Wellington, par les articles secrets du traité du 30 mai 1814, reconnu cette réunion et le traité du 31 mai 1815, fixant le sort et les limites du royaume des Pays-Bas, est inséré dans l'Acte de Vienne signé par la France et confirmé par l'article XI du traité de Paris du 20 novembre 1815 entre la France et les Alliés. La France est liée par cet acte. La question est devenue européenne, le gouvernement français peut faire valoir ses droits. Ainsi, il sera impossible aux quatre puissances alliées d'arranger seules les affaires de Belgique sans entrer en communication avec la France. L'idéal serait que les quatre Cours reconnaissent Louis-Philippe, s'entendent entre elles sur les modifications à faire et les imposent ensuite au roi des Français.
La position de Wellington entre les puissances absolutistes -soutenant avec plus ou moins d'énergie le roi des Pays-Bas -et la France de Louis-Philippe, excitée par les masses populaires et toute la gauche, à intervenir en Belgique, est fort délicate.
Cependant, le premier ministre anglais reste optimiste: « la France ne veut pas, et ne peut pas », appuyer les « messieurs » de Bruxelles, écrit-il le 14 septembre, et il continue à juger l'évolution des événements avec sérénité. Le 27 encore il écrit à Peel, ministre de l'Intérieur: « Je pense que tout fait prévoir que l'affaire des Pays-Bas est en train de s'arranger ». Vraiment il n'est pas nécessaire de convoquer le Cabinet... Mais, le 28, à la réception des nouvelles de Belgique moins rassurantes, Wellington commence à s'inquiéter. Le lendemain, Lord Aberdeen lui transmet de toute urgence, les dépêches reçues, agissant, dit-il, « selon les instructions de Bonaparte qui voulait qu'on ne perde jamais un instant dans les communications de mauvaises nouvelles, si la transmission des bonnes pouvait attendre... », car la GrandeBretagne doit s'attendre d'un moment à l'autre à recevoir l'appel au secours de Guillaume 1er. Les vainqueurs de Bruxelles sont en train d'agiter l'Europe! Heureusement, Wellington ne veut pas une guerre, que l'opinion anglaise n'admettrait pas et, le 1er octobre, sa décision est prise. Il faut informer le gouvernement français, partie au traité de 1815, que Guillaume s'apprête à réclamer l'assistance des puissances garantes. La France est intéressée, aussi bien que les autres puissances, à la fin de l'insurrection en Belgique, condition de sa propre tranquillité comme de la satisfaction des Etats européens qui veulent le maintien de la frontière sud des Pays-Bas.
Wellington a vu Talleyrand le 30, avant de se décider à cette démarche capitale. Il a confiance dans le célèbre diplomate qu'il croit attaché au respect de l'autorité dans les Pays-Bas et adversaire de toute aventure.
Conservateur-réaliste, Wellington entretient aussi les meilleures relations avec les ambassadeurs des « cours du Nord » à Londres. Une grande négociation va s'ouvrir et pour le vainqueur de Waterloo, elle doit évidemment se dérouler dans la capitale anglaise.
La solution pacifique triomphera. En effet, si le gouvernement de Louis-Philippe espère la séparation du royaume des Pays-Bas et l'instauration d'un système nouveau, riche de promesses pour l'avenir à sa frontière nord, il est toujours aussi soucieux du maintien de la paix et dès lors de la non-intervention armée. Il escompte que les quatre puissances alliées entreront en négociations avec lui sur les affaires des Pays-Bas et qu'elles n'adopteront aucune mesure qui ne serait pas le résultat de délibérations communes.
Le 3 octobre, Molé, profitant d'un courrier de M. de Rothschild, affirme à Wellington « son désir sincère de maintenir la paix » et demande l'appui de l'Angleterre pour faire triompher le principe de non-intervention armée. « Il doit rentrer dans ses principes politiques comme dans les nôtres qu'aucune force étrangère ne soit employée à imposer à la Belgique un gouvernement dont elle ne voudrait pas. Ce point d'importance une fois sauvé, la question entrerait dans les voies d'une négociation entre toutes les parties intéressées et serait conduite, je n'en doute pas, à une issue favorable », car « la guerre si elle éclatait prendrait inévitablement un caractère redoutable et qu'elle n'a peut-être jamais eu ».
Mais avant que cette missive pressante n'arrive à Londres, le Roi d'Angleterre, Guillaume IV, avait envoyé le 3 octobre une lettre personnelle à Louis-Philippe. Rappelant tous les traités que la France a signés, il affirme que la France, aussi bien que les autres Puissances, s'est associée à la formation des Pays-Bas. Devant l'insurrection, il est devenu nécessaire, pour les puissances signataires des traités, de respecter leurs engagements et de considérer mûrement l'état actuel des affaires aux Pays-Bas, d'aider le roi Guillaume, par leur coopération amicale et leurs conseils, à trouver un arrangement qui puisse mettre fin à la confusion actuelle. La Grande-Bretagne désire, en accord amical avec la France et avec les autres Alliés, mettre à l'étude cette question si intimement liée aux intérêts généraux de l'Europe. Et le même jour, Lord Aberdeen rendant visite à Talleyrand lui annonça les intentions de son gouvernement. Le lendemain, Wellington confirmait ces vues en répondant à la lettre de Molé du 3 octobre. Il est certain que Wellington a agi rapidement du côté français pour éluder plus aisément la demande d'application du casus foederis faite par le roi des Pays-Bas. Le 5 octobre, la demande officielle néerlandaise « d'envoi immédiat du nombre nécessaire de troupes dans les Provinces méridionales des Pays-Bas, dont l'arrivée retardée pourrait compromettre gravement les intérêts de ces provinces et ceux de l'Europe entière... » était remise au Foreign Office. Elle ne devait recevoir sa réponse, et une réponse négative, que douze jours plus tard...
Les relations confiantes entre la Grande-Bretagne et la France dans les premières journées d'octobre 1830 ont été capitales pour le maintien de la paix. Les puissances étaient alors à la croisée des chemins. De l'attitude des deux Etats occidentaux dépendait la paix de l'Europe et aussi l'avenir de la Belgique. Le génie de Talleyrand a sans doute contribué pour une bonne part au rapprochement franco-britannique. Mais c'est accorder à ses Mémoires -cette habileté suprême -une attention trop grande, que de tout ramener à son action à Londres dans ces journées lourdes de menaces. Dès le 3 novembre, M. Bertin de Vaux, frère du directeur du Journal des Débats et nouveau ministre de
France à La Haye, appréciait plus justement le rôle de Talleyrand au parti duquel il appartenait cependant: « Je ne suis pas, vous le savez, écrivait-il à son ministre, disposé à méconnaître la supériorité de M. de Talleyrand; si, cependant, il croyait que les dispositions pacifiques de l'Angleterre sont l'ouvrage de son habileté, il serait, du moins je le crains, dans une grande erreur. Ces dispositions préexistaient à son arrivée dans ce pays; elles sont le résultat d'une juste appréciation de l'état actuel de l'Europe et des suites, à peu près inévitables, d'une guerre continentale. En effet, cette guerre ne peut manquer d'avoir pour résultat ou la prépondérance française ou la dictature de la Russie en Europe ». Ce n'est pas Talleyrand qui a séduit Wellington et l'a entraîné à proposer une conférence compromettante pour l'Angleterre, c'est le désir invincible de paix qui, bien avant l'arrivée de Talleyrand à Londres, a amené Wellington à envisager la participation de la France à une négociation générale sur les affaires des Pays-Bas. Et s'il précipite son action à la fin du mois de septembre, c'est moins à la suite des manoeuvres du grand Roué qu'à la nouvelle de l'appel prochain, par Guillaume 1er, de l'appui armé, appel attendu après les conversations que, le 26 septembre, l'ambassadeur anglais Bagot avait eues avec le ministre de Russie à La Haye et M. de Verstolk, lorsque l'échec du prince Frédéric à Bruxelles fut connu.
D'autre part on ne peut tenir pour négligeable avant l'envoi de Talleyrand à Londres -et même après -, quels que soient les sarcasmesdont Talleyrand ait accablé Molé, quelque étroites qu'aient été, par l'intermédiaire de Madame Adélaïde, soeur du nouveau roi, les relations entre Talleyrand et Louis-Philippe, on ne peut tenir pour négligeable l'action de Louis-Philippe et de son gouvernement, particulièrement de Molé. L'histoire de la France pas plus que celle de l'Europe en septembre 1830 n'est l'histoire composée par M. de Talleyrand. Dès le 28 août, le ministre Molé écrit au ministre des Pays-Bas, baron Fagel: « Je fais des voeux bien ardents pour que ces troubles s'apaisent, sans que votre Cabinet réclame l'appui d'aucun gouvernement, cela est, croyez-moi, d'une grande importance ». Et le lendemain à son ministre à Bruxelles, le marquis de la Moussaye, il écrivait: « La France et son gouvernement n'interviendront jamais ni directement ni indirectement dans les affaires intérieures des autres Etats, aussi longtemps que ce principe sera respecté par tous les Cabinets. Vous ne pouvez assez faire comprendre combien il importe au repos général qu'aucune nation voisine n'intervienne dans la crise qui se passe sous vos yeux ».
Le 31 août, Molé reçoit le « ministre » de Prusse Werther, qui n'avait pas encore reçu ses lettres de créance et lui affirme « qu'au cas où une puissance étrangère interviendrait par les armes aux Pays-Bas, le gouvernement français ne serait pas en état de contenir le peuple et de l'empêcher de se porter au secours de la Belgique ». Le même jour, à Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie dans la même situation officieuse que Werther, Molé déclarait plus catégoriquement encore que si d'autres puissances voulaient se mêler des soulèvements dans les pays voisins, elles auraient la guerre avec la France.
Louis-Philippe, lui-même, affirmait quelques jours plus tard au même Pozzo: « Si les Prussiens entrent en Belgique, c'est la guerre, nous ne le souffrirons pas ». Le 6 octobre, le général Mortier, ministre à Berlin, déclare nettement au ministre des Affaires étrangères Bernstorff que la France ferait marcher des troupes en Belgique si préalablement on y voyait entrer celles des puissances étrangères... « Nous ne reculerions pas devant la perspective de la guerre, si elle ne devait être évitée qu'au prix de la dignité nationale ».
Ce n'est pas M. de Talleyrand qui a fait cette politique, mais l'opinion publique française qui ne pouvait tolérer l'écrasement des Belges. La lutte est un conflit d'une singulière ampleur entre deux grandes idéologies. La France des « Trois Glorieuses », c'est celle de la souveraineté nationale et elle a en face d'elle les défenseurs de la légitimité et de l'absolutisme. Les monarchies militaires et les monarchies constitutionnelles sont en présence. La souveraineté des peuples et celle des rois se disputent le monde. Louis-Philippe, le roi des barricades, dont le trône est bien mal affermi, est obligé de répondre aux exigences des Français. Sans doute ne veut-il pas « se croiser » pour la liberté ni pour délivrer les nationalités opprimées, mais il doit donner à l'opinion excitée des satisfactions. Au surplus, au désir d'aider les Belges à se faire une patrie, se mêle chez certains Français –et ils sont nombreux -l'espoir de voir la France retrouver les frontières de la « Grande République » et de l'Empire. Il n'y avait pas plus de seize ans que le Rhin était encore français. Ambitions stratégiques, nostalgie de la grandeur passée, passion de la liberté, sentiments et idées contradictoires se mêlent, sans hypocrisie, dans le coeur et le cerveau des bourgeois et du peuple de Paris et des provinces.
Satisfaire ces voeux ardents sans être entraîné dans une guerre où son trône risque de s' écrouler, voilà la tâche difficile de Louis-Philippe dans les semaines agitées de l'été finissant. Officiellement, avec une constance remarquable, Louis-Philippe et son gouvernement sont décidés à rester dans les limites de la neutralité la plus stricte vis-à-vis des événements des Pays-Bas. « Nous repousserons inébranlablement de la part des Belges toutes les ouvertures qui tendraient à se réunir à nous; mais s'ils étaient les plus forts dans la lutte, s'ils se rendaient indépendants, nous ne souffririons pas qu'à main armée un gouvernement leur fût imposé ». Il n'est dès lors pour la France que de reprendre son thème initial d'une négociation. Le 28 août, Molé a déjà proposé une démarche commune franco-anglaise auprès de Guillaume 1er pour l'amener à donner des satisfactions aux Belges. Le 1er octobre il est revenu à la charge, le 3 c'est lui encore qui écrit ouvertement à Wellington. Pendant les journées décisives de ce début d'octobre il négocie adroitement avec l'ambassadeur d'Angleterre, avec l'ambassadeur extraordinaire de Prusse, l'illustre explorateur Alexandre de Humboldt et avec le ministre de Prusse. Cette entente entre les trois cours inquiète et désole la diplomatie hollandaise. Molé temporise, le déroulement des événements en Belgique est favorable aux Belges. Mais il n'a pas d'ambitions démesurées: la séparation, avec le prince d'Orange à la tête d'un gouvernement belge, lui apparaît comme la solution idéale qui sauvegarde les traités et doit satisfaire l'opinion française. Il mettra un mois cependant pour s'incliner devant les exigences de l'Angleterre, soutenue par Talleyrand, prêt à dire « l'Etat c'est moi ». Wellington réclame le siège de la Conférence à Londres, car il redoute les réactions de la presse et de la foule parisiennes, pour qui l'ouverture de la Conférence à Paris serait une magnifique satisfaction d'amour-propre et une grande revanche de Vienne!
Ainsi, l'action diplomatique française a été décisive; elle a empêché l'intervention armée qui aurait écrasé les insurgés belges. Par sa prise de position catégorique, elle a forcé Wellington, que l'état de l'opinion anglaise inclinait à renoncer à la guerre, à recourir à la négociation. Mais c'est l'agitation populaire, les réclamations de la presse, l'action des partis qui ont inspiré à Louis-Philippe et au gouvernement la crainte des Chambres et de l'opinion. Si les éléments populaires français, si la presse n'avaient pas mis l'épée dans les reins du Cabinet français, la France officielle n'aurait pas montré une attitude aussi résolue et le gouvernement anglais ne se serait jamais engagé dans la voie de la conférence: car il serait insensé de croire que Wellington, le bâtisseur de forteresses, était un chaud partisan des Belges et qu'il ait renoncé à la guerre et recouru à la négociation par amour des rebelles.
Ainsi, en France comme en Angleterre, l'action de l'opinion publique sur le cours de la diplomatie dans les moments critiques a été décisive. Le régime constitutionnel et libéral, l'opinion de deux grandes monarchies occidentales ont empêché les puissances absolutistes de recourir à la guerre et d'écraser les mutins qui voulaient la liberté et l'indépendance. Dans ce sens, il convient de dire que, par cette action, les éléments avancés, les républicains, le parti du mouvement ont sauvé l'indépendance de la Belgique dans les premiers jours d'octobre 1830, beaucoup plus que par l'envoi de quelques centaines de volontaires et de quelques caisses d'armes, arrivées d'ailleurs pour la plus grande part après les journées victorieuses. On a fait beaucoup de bruit autour de ces renforts en armes et en partisans. La diplomatie hollandaise a gonflé l'importance de ces secours, car c'était pour elle le meilleur argument à présenter aux Puissances Alliées pour déclencher leur intervention. Louis-Philippe et son gouvernement ont mis en oeuvre les moyens dont ils disposaient pour appliquer en fait la politique qu'ils défendaient en droit. Armée, police, magistrature, agissent en août et septembre 1830, animées d'un même esprit de pondération et de mesure. Aux frontières, les précautions sont prises. Dès la fin d'août des agents belges ont voulu entraîner les régiments français en garnison à Lille, mais « ces tentatives ont été nulles et de nul effet et toutes ces propositions ont été considérées comme une extravagance » fait savoir l'agent secret d'Herbigny au ministre Verstolk.
Les extrémistes français, qui voulaient aider les frères insurgés, groupés dans des sociétés, certaines secrètes, disposant de fonds, ont-ils réussi à porter aux Belges un appui efficace, avant les combats victorieux de Bruxelles?
L'étude de la politique d'intervention d'un pays dans un autre pays est toujours délicate. Il y a les documents. Mais les documents disparaissent. Il y a des faits aussi qui ne laissent pas de trace. Néanmoins, un faisceau concordant de preuves permet d'affirmer que les secours français avant le 1er octobre ont été d'importance minime.
L'arrivée des exilés, de Potier, Tielemans, Bartels et J .-B. de Nève au début du mois, avait sans doute provoqué une vive curiosité à Paris. Des manifestations de sympathie, des banquets avaient été organisés en leur honneur. De nombreux Belges, des Parisiens, pour la plupart du faubourg Saint-Antoine, venaient offrir à de Potter des « milliers de combattants déterminés à vaincre ou à mourir ». A tous « ces intrépides volontaires », de Potter faisait toucher du doigt qu'il y avait pour le moment impossibilité d'accepter leurs services. dans le journal républicain, la Tribune des Départements, de Potter publiait des articles invitant les Belges à une action énergique: séparation effective, imposée par le pays au souverain, nécessité de s'emparer des revenus publics pour organiser la défense de la patrie. Il critiquait la « révolution légale », mais il attendait vainement de Bruxelles la réponse à sa proposition d'envoi de volontaires.
A ce moment, les sociétés populaires parisiennes étaient elles-mêmes aux prises avec de très sérieuses difficultés. Les principaux groupements étaient Les "Amis du Peuple et la société Aide-toi, le Ciel t'aidera. Celle-ci comptait des membres de la loge maçonnique Les Amis de la Vérité. Son comité de quinze personnes, jouissant de pleins pouvoirs, prenait les décisions essentielles. C'était des gens connus au Palais de Justice et dans le commerce, des propriétaires, des marchands de bois, le premier avocat-général à Paris Berville, les substituts Ferdinand Barrot, Lanjuinais et Dupont, l'avocat Garnier-Pagès. Les réunions étaient secrètes et on ne peut parler à son sujet d'une société populaire, car elle n'avait point de rapports directs avec le peuple. Après la victoire de juillet, elle réunit des fonds pour les réfugiés espagnols qui désiraient gagner leur frontière. Un Comité prépara pour la Belgique des secours en hommes et en argent. Le 30 septembre, Charles-Antoine Teste, frère du général et du futur ministre, écrivait à C. Rogier : « Comme membre du Comité Directeur de la Société Aide-toi etc. je suis aussi du Comité Spécial qui a pour but de vous faire parvenir des secours en hommes et en armes. Je suis en communication avec vos braves compatriotes Thielmans et Vanderling (sic) qui sont ici. Nous espérons sous peu de jours vous envoyer quelques-uns de nos braves ». Les combats de Bruxelles étaient terminés...
En septembre 1830, la plus importante des sociétés populaires était Les Amis du Peuple. Elle avait été formée, le 30 juillet 1830, par un ancien notaire et des hommes de lettres, rédacteurs de la partie du journal Le Pour et le Contre, intitulée La Révolution. Des jeunes gens du commerce, des étudiants, d'anciens militaires formaient le gros de la société qui, à partir de la mi-août tint ses séances au manège Pellier, rue Montmartre. Plus de quinze cents personnes, beaucoup de jeunes gens et de curieux s'y pressaient. Trois tendances, jacobine, saint-simonienne et constitutionnelle y étaient représentées et l'absence de principes communs l'affaiblissait. Des affiches appelant les gardes nationaux, les chefs d'ateliers et les ouvriers à renverser la Chambre furent saisies par la police et leurs auteurs poursuivis. Les bourgeois parisiens s'inquiétaient de l'activité de cette société. Ils voyaient dans ses membres « les jacobins ressuscités ». Le commerce maudissait l'existence de ce club auquel il attribuait le malaise économique général. Le soir du 25 septembre, au local des Amis du Peuple, une foule de gens fort mal disposés » se mêla aux membres habituels. Une foule, toujours plus nombreuse, encombra la cour, puis la rue Montmartre. Coups de sifflet, interpellations, cris « à bas le club! », bagarres. Le saint-simonien Buchez et le philosophe-professeur Marrast ne purent se faire entendre. A la demande de la garde nationale, la séance fut levée dans le tumulte. Le lundi 27, il n'y eut point de séance et le 2 octobre s'ouvrit le procès des auteurs des affiches. Appliquant l'article 291 du Code pénal, le tribunal prononça la dissolution de la société, déclara « bonne et valable » la saisie des registres et condamna le président Hubert à trois mois de prison. Les séances furent suspendues ou demeurèrent secrètes.
Ainsi donc, cette société avait de graves soucis au moment même où elle cherchait à venir en aide aux insurgés des pays voisins. Aussi le « bataillon » qu'elle envoya à Bruxelles, où il fit son entrée le 7 octobre, ne comptait pas cent hommes.
Au ministre des Pays-Bas à Paris, le général baron Fagel, n'avaient naturellement pas échappé les « menées qui se pratiquaient à Paris assez publiquement pour l'enrôlement des Belges », mais après une enquête minutieuse, il écrit le 25 septembre à son ministre qu'il ne considère point comme dangereuse l'action « d'un ramassis de brouillons », qui avait de vagues projets de faire une guerre de guérillas! Aussi bien, ce n'était pas tellement d'hommes qu'on manquait en Belgique, comme l'écrivait Gendebien, mais de fonds. Malheureusement, ceux-ci manquaient aussi en France. Tielemans, qui remplaça de Potter à la présidence de la commission de l'Association Belge, après son départ pour Lille le 18, s'est heurté à de sérieux obstacles pour réunir les sommes nécessaires à l'armement et aux frais de voyage. « Elle n'avait pour toutes ressources que les offrandes de quelques amis de la liberté », écrivit le 16 octobre, dans un rapport découvert par L. Leconte, Tielemans, devenu chef du Comité de l'Intérieur du Gouvernement provisoire. Heureusement, « le général La Fayette offrit de se porter caution d'un emprunt de 12.000 francs que la commission avait jugé indispensable », et le banquier Lafitte avança les 12.000 francs. A Valenciennes, le comte Frédéric de Mérode donna 3.000 francs pour l'achat d'armes destinées à des volontaires.
Ces détachements de Belges et de Français n'arrivèrent qu'après les Journées de septembre. Le détachement Seghers-Coché, comprenant 90 hommes entra à Bruxelles le 1er octobre. Ces hommes portaient sur leur chapeau l'inscription : « Légion Belge de Paris ». La « Légion belge-parisienne » de Cruyplants et le détachement « Gallo-belge » d'Auger, partis de Paris le 29 septembre arrivèrent le 2 octobre; les « Inséparables Belges-Parisiens » formèrent un corps francs à Bruxelles entre le 1er et le 5 octobre sous la direction de Black, américain de naissance, officier d'ordonnance du général Lafayette. Quant au « Régiment des Tirailleurs Parisiens» du vicomte de Pontécoulant, il quitta Paris le ler octobre et arriva à Bruxelles, le 4 à deux heures de l'après-midi. Pour ce qui est des quelques dizaines de volontaires de Roubaix, conduits par un assez triste personnage, Bowens,ils traversèrent Tournai le 29 septembre et les volontaires belges de Lille, dirigés par un Audenaerdois, F. M. Feyerick, qui avait installé à Lille une maison de commerce, n'arrivèrent eux aussi à Bruxelles qu'après les Journées.
Le National du 3 octobre a signalé le départ de volontaires le 30 septembre, acclamés par la population parisienne débordant d'enthousiasme. Trois cents Belges de Paris chantaient la Parisienne et marchaient derrière un drapeau brabançon portant ces mots « les Belges parisiens volent au secours de leurs frères ». Ils remplirent jusqu'à l'impériale les diligences des « Messageries Laffite et Caillard » et prirent le chemin du Nord. Ces divers groupements aux médiocres effectifs et fort indisciplinés arrivèrent trop tard pour prendre part aux journées décisives, mais jouèrent un rôle au cours de la campagne d'octobre.
Quelques Français se distinguèrent cependant au cours des combats de Bruxelles. Le plus marquant est assurément le « général » Mellinet. Ce fils de conventionnel, ce colonel de la République et de l'Empire, cet adjudant général des Cent Jours, proscrit par Fouché, dirigea les évolutions des artilleurs à la Place Royale. Son expérience militaire lui assura une rapide popularité. Don Juan Van Halen l'attacha à son état-major. Mais les autorités belges craignaient une déviation du mouvement et redoutaient les étrangers. Après la retraite des troupes royales, Charles Rogier, dont le père était pourtant né en France de parents belges, déclara à Mellinet qu'on n'avait plus besoin de ses services et qu'il pouvait rentrer en France. Mais plus habile que Van Halen, Mellinet remplit les fonctions de chef d'état-major sous le successeur de Van Halen, le général Nypels, et il se distingua dans la campagne d'Anvers à la tête de sa célèbre brigade.
Ernest Grégoire, né à Charleville, mais docteur en médecine de l'Université de Liège, Charles Culhat, clermontois qui se faisait appeler « vicomte Charles de Culhat » ou le strasbourgeois Ch. Niellon, tour à tour marchand de vin, littérateur, acteur, organisateur de pantomimes militaires jouées par des enfants, sont bien plus révolutionnaires que Français. D'un tempérament de rebelles, aimant la lutte, passionnés de liberté, ils avaient le goût de l'agitation et de la conspiration. C'est le même idéal qui inspire d'autres étrangers: le Rhénan Pierre-Antoine Stjeldorff, lieutenant au corps franc de Pierre Rodenbach et défenseur de la Porte de Schaerbeek le 23, J. J. Tucks, né à Bitburg, près de Trèves, ancien caporal fourrier au service des Pays-Bas, puis commis-voyageur, qui vint de Liège à Bruxelles au début de septembre et se distingua pendant les Journées. Deux Américains, Arthur et Auguste Beaumont, sont animés d'un même souffle de liberté. Ils quittent Paris le 20 septembre pour aider la révolution qui progressait à Bruxelles: « pour déposer le Roi, par la grâce de Dieu, imposé aux Belges par l'ordre des despotes de Vienne ». Ils « souhaitaient rendre à Lafayette la part de la dette que tout Américain doit à ce Patriarche de la Liberté, et que chaque ami des droits de l'homme peut seulement acquitter en faisant tout ce qu'il peut pour la même cause, bienfait de toute la race humaine ». Ces deux Américains « libertaires» ont soin d'indiquer dans l'appendice de la brochure qu'ils publièrent sur « leur aventure à Bruxelles » que « La Fayette, par son éloge récent de la Monarchie, a singulièrement réduit la dette que le monde lui doit, mais qu'il a toujours droit à la gratitude de l'Amérique ». Don Juan Van Halen, Espagnol d'ascendance belge, est aussi un représentant remarquable des chevaliers de la liberté de cette époque agitée. DeParis, dePotter assurait que « Belges, Français, Polonais, Allemands, Italiens, Espagnols, tous mettent leurs bras et leur sang à votre service ». En 1830, l'Internationale de la Liberté était une force.
Un autre caractère commun à bon nombre de ces révolutionnaires actifs, c'est leur qualité d'ancien soldat de Napoléon. Le nombre est considérable d'officiers et de sous-officiers de la Grande Armée qui se sont distingués en 1830 sur les barricades, ou qui ont pris dans leur village le commandement de petits détachements de volontaires et les ont conduits à Bruxelles. Leur expérience militaire a été d'un puissant secours pour les combattants improvisés. Niellon avait été, à dix-sept ans, en Espagne, il avait fait la campagne d'Allemagne et s'était battu à Waterloo. Jean-Joseph Charlier avait gagné une jambe de bois dans les armées de l'Empereur. Le major Kessels, tout jeune, avait servi dans la marine impériale. Maissonneuve qui arriva à Bruxelles avec des Borains, le 26 septembre, était un français de l'Ardèche, ancien major de l'Empire, retiré en Belgique en 1815. Casimir Mention, un framerisous, contrôleur de charbonnages avait servi dix ans au 82e de ligne français. C'est lui qui commanda les volontaires de Frameries le 25 et le 26 septembre. Degallais, chef des Leuzois était ancien officier de l'Empire et Isidore, dit Charles Boucher, commandant des volontaires de Fleurus était aussi « un vétéran des armées impériales ». Ce n'est peut-être pas tellement l'attachement au souvenir de l'Empereur qui est remarquable chez ces vétérans que le goût de l'action violente et de l'aventure.
Parmi les Francais accourus au début d'octobre, beaucoup aussi ont servi sous l'Empire et se sont distingués pendant les « Trois Glorieuses» de iuillet. Un des commandants de ces groupements, le vicomte Adolphe de Pontécoulant, est une figure extrêmement représentative de ces révolutionnaires de 1830. Fait prisonnier à la campagne de Russie, il fut libéré et se battit à Waterloo dans les rangs impériaux. « Républicain », ce fils de l'ancien préfet de la Dyle, pair de France sous Louis XVIII, partit pour l'Amérique du Sud où sa participation aux mouvements insurrectionnels lui valut d'être condamné à mort. Il réussit à s'évader et, fonctionnaire assagi, il resta calmement à Paris jusqu'aux journées de Juillet où il monta sur les barricades. Le 3 octobre, il arrivait à Mons et commençait une nouvelle équipée...
Il ne faut donc point exagérer l'importance de la participation française aux Journées de septembre. Ces constatations ne doivent cependant pas faire oublier l'attitude ferme et résolue du gouvernement français, sous la pression
de l'opinion publique, au cours des mois de septembre et d'octobre 1830. La décision clairement énoncée par la France de ne laisser aucune puissance étrangère envoyer des troupes en Belgique pour mater l'insurrection a sauvé l'Etat naissant.
* * *
Reste enfin à examiner l'attitude de la puissance internationale par essence, le Saint-Siège, à l'égard de notre Révolution. Le Saint-Siège, depuis le Congrès de Vienne, s'est voué à la défense des monarchies légitimes et du système de Metternich. Le Pape Pie VIII, son secrétaire d'Etat Albani, son successeur Grégoire XVI, Lambruschini, nonce à Paris au temps des « Trois Glorieuses », secrétaire d'Etat en 1836, n'ont aucune sympathie pour les « révolutionnaires », fussent-ils belges et désireux de se libérer d'un roi protestant. Hommes d'Ancien Régime, ils se défient du clergé gagné aux idées menaisiennes et ont en horreur les conquêtes libérales. L'encyclique Mirari vos, en 1832, condamnera les idées nouvelles. Déj à le ler décembre 1830, le futur secrétaire d'Etat se livrait à une charge à fond contre le projet de Constitution en discussion devant le Congrès national, en des termes sévères et extrêmement représentatifs de la mentalité de l'époque: « Pour ce qui est de la religion, je veux bien admettre que les Hollandais avaient des torts immenses envers les Belges, mais n'empêche que le projet de constitution, pour une nation entièrement catholique, est athée. La religion catholique n'est même pas nommée et ce que l'on appelle la liberté de conscience est garantie; cette liberté, au fond, n'est rien d'autre que la proclamation de l'indifférentisme religieux et l'expression de l'incrédulité. Voilà la religion que cette révolution offre aux peuples ».
Après les journées de Juillet, le nonce à Paris Lambruschini vivait dans la crainte de « la guerre civile, du terrorisme, de la spoliation des propriétés et de tous les massacres de la révolution de 1789 ». Aussi sera-t-il partisan d'une intervention des puissances responsables de l'ordre et de la légitimité contre les Belges révoltés. L'internonce Cappacini -dès le 31 août 1830 -pour éviter de se compromettre, se réfugia chez des amis à la campagne, à la «Haie Sainte» près de Waterloo, puis se rendit à La Haye. II revint avec le Prince d'Orange à Anvers le 5 octobre pour essayer de lui concilier les faveurs du clergé, ce qui indique bien les intentions de la Curie Romaine, tandis que son secrétaire, le chanoine Antonucci, sauf un bref séjour à Bruxelles dans la seconde décade du mois, résida aussi à la «Haie Sainte». Celui-ci n'aime point les rebelles et ce n'est sûrement pas lui qui aurait lancé les mots d'ordre de soulèvement au clergé belge. Quant au secrétaire d'Etat Albani, il espérait le 11 septembre que le clergé belge en restant sur la réserve, s'était conduit comme il convenait à son caractère et il ajoutait: « je le suppose d'après le silence des ,journaux à ce sujet, mais il me serait très utile de le savoir avec précision ».
Ainsi la Curie Romaine et ses représentants aux Pays-Bas en 1830, loin de contribuer au soulèvement de la population catholique contre un roi calviniste, ont regretté les événements en Belgique. C'est une erreur de croire, selon l'avis exprimé dans les pays protestants, que le Saint-Siège salua avec une joie indicible l'indépendance de la Belgique et la création d'un nouvel Etat catholique en Europe occidentale.
Mais la politique de Rome est une chose et la conduite du clergé belge en est une autre. Le clergé belge, à la fin de 1829, s'est lancé dans la mêlée politique et a soutenu les pétitionnements. La lutte entre l'Eglise et l'Etat n'avait d'ailleurs jmnais cessé depuis 1815 et la conclusion du Concordat, dont l'application était lente, n'avait pas rallié au régime le clergé belge. La formule Domine salvum fac regem Gulielmum était abrégée en 1830, les prêtres laissant tomber le nom du souverain. La lutte sourde entre les deux pouvoirs continuait. Ni le roi, ni les ministres, ni les conseillers d'Etat ne sont mieux disposés au début de 1830 à l'égard de l'Eglise romaine qu'ils ne l'étaient auparavant. Le roi réagit en calviniste, dont les prétentions sont irréductibles, en homme féru du pouvoir absolu, dont les concessions aux catholiques ne sont que pur opportunjsme et espoir de briser le bloc de l'Union des opposjtions. Les ministres, tous calvinistes et hollandais, à l'exception de deux belges qui n'aimaient pas le clergé, n'ont qu'un but: favoriser les protestants et les Hollandais. Tels étaient les jugements portés par l'internonce Cappacini le 22 février 1830, dans un rapport circonstancié envoyé à la Curie.
La suppression du Collège Philosophique, le 9 janvier, n'a donc pas calmé les « apostoliques ». Les concessions n'ont pas séparé libéraux et catholiques. L'Union était solide, sans quoi les journées de Juillet et les manifestations anticléricales qui ont eu lieu dans de nombreux endroits en France où l'on fêtait la disparition du régime du « Trône et de l'Autel» et de la domination de la « Congrégation » auraient séparé les « alliés », qui s'étaient coalisés contre le pouvoir.
Les libéraux ont salué avec joie la Révolution française. « Ils sont au septième ciel» écrit Cappacini le 2 août 1830, tandis que les incidents de France (prêtres molestés, évêques en fuite, croix brisées) relatés par la presse des Pays-Bas alarment singulièrement de nombreux catholiques. Les journalistes de l'opposition catholique sont mal à l'aise et les ministériels insistent sur la gravité de ces manifestations dans le but de séparer libéraux et « apostoliques ».
A en croire le chanoine Antonucci, secrétaire de l'Internonce, le clergé et les catholiques seraient restés indifférents devant la Révolution de Paris, parce qu'ils appréhendaient une domination libérale et ils auraient encore gardé la même attitude au début de la Révolution belge jusqu'au retour de de Potter à Bruxelles, c'est-à-dire le 28 septembre. Ce serait seulement alors qu'ils auraient cédé aux manoeuvres de de Potter qui voulait les gagner à ses vues pour stabiliser un gouvernement républicain en Belgique. Mais il est bien forcé de reconnaître que le clergé et la noblesse ne font rien pour calmer l'enthousiasme populaire et il admet qu'ils partagent, mais secrètement, le désir du peuple de voir réaliser l'indépendance de la Belgique.
Il est certain que le haut clergé, au cours des semaines difficiles de septembre est resté à l'écart. Le 23, l'archevêque Prince de Méan écrit à son vicaire général Sterckx : « Depuis hier soir, on entend ronfler le canon du côté de Bruxelles. Musique fort désagréable pour des gens pacifiques comme nous ». C'est l'époque des confirmations et l'occasion est excellente pour Mgr Van Bommel, évêque de Liège, de rester éloigné du siège épiscopal, menacé d'ailleurs par des troublions. Il passe tout le mois de septembre dans le Limbourg, de même que l'évêque de Gand, Mgr Van de Velde, parcourt la campagne flamande. Ils ne cherchent pas à exciter la population. Au contraire, ils la calment et le gouverneur du Limbourg, de Beckman, se félicite de l'action modératrice de Mgr Van Bommel auprès des populations foncièrement catholiques de cette province. A Liège, le vicaire général Barret est également absent. A la demande du gouverneur, son remplaçant Tilquin fait lire le 16 septembre au prône un appel au calme et au respect de l'ordre. A Gand, l'évêque promet une enquête à l'égard d'un vicaire qui, le 18 septembre, a fait afficher le texte d'une adresse au roi demandant la séparation.
Il y a donc des prêtres moins prudents. Le bas clergé, moins subtil et qui ne se soucie pas de diplomatie européenne ou ecclésiastique, est pour la plus grande part du côté des « patriotes ». Les idées menaisiennes ont fait leur chemin et l'idéal de liberté brûle l'âme de nombreux curés et vicaires. Les journaux de l'opposition: le Courrier de la Meuse, le Catholique des Flandres, le Vaderlander, Den Antlverpenaer, sont lus par ces hommes, qui, Belges, n'éprouvent aucune sympathie et ne s'en cachent pas, pour la Hollande calviniste.
A Anvers, en Campine, dès la fin août, des prêtres excitent le peuple. En Flandre, vers la mi-septembre, les autorités s'inquiètent de l'activité du clergé dont l'influence est immense. A Liège, les curés de Saint-Denis, de SainteVéronique et de Saint-Pholien sont suspects aux yeux des ministériels. Duvivier, curé de Saint-Jean, fut décoré de la croix de fer pour son patriotisme et son dévouement lors du combat de Sainte-Walburge. Des prêtres ont ouvertement excité les rebelles au combat, ainsi Jean Antons, à Louvain, le 23 septembre. Dans les campagnes brabançonnes, ils bénissent les volontaires et font prier pour la victoire. Un observateur français Rey, le 30 septembre, insiste sur la présence à Bruxelles de «beaucoup de curés, ce qui imprime au mouvement un caractère sérieux », car le clergé est dans ce pays une « corporation extrêmement influente ». Une fois les troupes chassées de Bruxelles, le ralliement sera général et le rôle du clergé dans les régions où son prestige est considérable et son autorité incontestée a été alors décisif.
Les grands courants internationaux d'idées ont donc profondément marqué les populations belges en 1830. Le mouvement du cathlolicme libéral a entraîné de nombreux, membres du clergé, et d'autre part, à l'idéal de liberté, des jeunes libéraux étaient prêts à sacrifier la domination intellectuelle de l'Etat. Les radicaux, les « jacobins » comme on les appelait, brûlaient de l'espoir d'une rénovation profonde de la société politique. Ils étaient animés des mêmes enthousiasmes qui soulevaient Espagnols, Grecs, Italiens, Français vers la conquête de la liberté. Certains étrangers, parmi lesquels des adhérents de sociétés secrètes, vinrent même se battre sur notre sol et y retrouvèrent des amis, ardents défenseurs des idées libérales. Don Juan Van Halen, Alexandre Gendebien, Joseph Lebeau, voilà trois noms parmi d'autres, de patriotes de 1830, qui avaient été initiés à la Franc-maçonnerie. Mais,de même que la hiérarchie catholique, attachée au conservatisme, était très prudente en 1830, de hauts dignitaires de la Franc-maçonnerie -le prince Frédéric était grand-maître de l'Ordre et son frère, vénérable de la loge bruxelloise l’Espérance -cherchaient aussi à freiner le mouvement, comme nous l'apprennent les Mémoires de Gendebien et du lieutenant général Du Monceau.
Ainsi, la Révolution belge de 1830 est inséparable de l'idéologie libérale et nationale de l'époque. Il n'y a pas que le sort diplomatique du nouvel Etat qui soit lié intimement à l'histoire générale de l'Europe.
Histoire de la révolution belge chapitre 1:
Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye
Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes
Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime
Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat
Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national
Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe