Ô Seigneur ! Est-il possible que le calice passe loin de moi, qu’il ne me soit jamais permis de le saisir ? Moi qui suis à la tâche, jour après jour, indéfectible, comme d’autres... au temple, zélés et fervents !
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A quinze ans, la terre ne nous appartient pas encore mais le monde n'existe que pour nous - du moins, pour nous qui sommes capables de lui répondre par l’affirmative : « Oui, je le veux ! Oui, je le peux ! »
A quinze ans, on aime tout ce qui a été pensé pour notre âge, tout ce qui nous est destiné, proposé, offert - pour peu qu’on puisse se l’offrir. On espère, on supplie, on désire, on ordonne, on convoite ; et que dire de toutes ces attentes erratiques, confuses qui ne savent pas vraiment ce qu’elles attendent...
A quinze ans, on dépense tout comme de l’or car la pacotille se vend chère puisqu’elle ne s’affiche jamais comme telle : commerce oblige ! On jette les mots par la fenêtre et les parents, leur argent : la paix est à ce prix et le compromis, maintenant historique... aussi. C’est le joueur de flûte avec sa sérénade brillante et vive ; une sérénade hypnotique et luisante que personne ne lui interdira de jouer car, ceux qui ne souhaitent pas y succomber, sont déjà sans voix.
Un monde fait sur mesure donc, un monde voué à tous les commerces et à tous les rackets : demander, exiger, recevoir, arracher... c’est la seule préoccupation qui ordonne tout le reste. Et là, le monde est d’une clarté totale ; un point aveugle cette clarté au-delà de laquelle plus rien n’est visible.
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A quinze ans, on se nourrit d’un rien, d’une précipitation de jouissance, sans autre souci que d’aller à la rencontre - à toutes les rencontres -, pourvu qu’elles nous mènent au plus près du but : à la découverte d’une floraison soudaine de possibilités nouvelles porteuses de mille transgressions.
On rêve, on mime, on improvise sur un emploi non contraint du temps et toujours trop court. La nuit n’est qu’un mal nécessaire à l’heure où il nous faut rentrer même si ce refuge nous est bien utile parfois car, on peut encore y trouver la sécurité après une conduite porteuse de tous les risques face aux dangers d’un monde qui n’est qu’un loup pour son propre monde. Elle signifie à peine le repos cette nuit qui s'annonce déjà ; à l’aube, tout sera à recommencer ou bien, à poursuivre : on reprendra le cours là où on l’a quitté, le long d’une pente tantôt douce, tantôt brutale.
A quinze ans, on occupe tout le temps dont on dispose. Aucune culpabilité. Tout est promis à l’oubli et pourtant, tout semble inoubliable, dans un monde qui a une bonne mémoire, la meilleure des mémoires : une mémoire courte ; celle qui ne vous autorisera aucune retour en arrière au delà de l'heure qui s'est écoulée et qui s'est achevée dans la plus parfaite absence de mémoire et dans une indifférence insolente face à cette lacune qui n'en est plus une aujourd’hui.
Quant à la prochaine heure... celle qui s'écoule là, maintenant, sous nos yeux, le monde n'ose déjà plus y penser, de peur de devoir s'en souvenir.
Une génération entière s’est ennuyée, la suivante a tout juste le temps pour elle ; elle va à l’aventure sur un écran de dix sept pouces ou sur un écran géant, le temps de passer de la lumière à l’obscurité... mais la lumière revient toujours à la fin de la séance ! La prochaine épopée chassera la précédente. Hallucinés, du rêve, on passe au songe, du songe à la réalité jusqu’à taire la peur qui nous taraude face à cette inconnue immense : notre vie de demain dans dix ans dans un monde instable et sans remords ; et là, c’est déjà une autre aventure, une tout autre histoire.
A quinze ans, Dieu ! Qu’est-ce qu’on fait comme bruit ! On ne s’entend plus et pour peu qu'on nous conseille vivement de nous taire et d'écouter... en classe, soudain, tout devient difficile ou bien, incompréhensible ; en cours, on ne participe plus, on s'éloigne, on se retranche dans les derniers rangs, on quitte la classe avant tout le monde ; et c'est alors que le collège ou le lycée ne vous appelle plus le matin et ne vous promet plus rien sur le trajet qui y mène.
Sans illusion quant à l’usage qu'ils peuvent espérer faire de cette disgrâce, les adolescents connaissent le prix d’un tel échec et sa récompense : les portes qu'il vous fermera au nez avant même que vous ayez eu le temps d'y frapper car on vous aura vu venir de loin et... nombreux ; et personne ne nous sera d’aucun secours, prisonniers d’une solitude intouchable.
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L’adolescence tient en trois mots, trois séismes : le désespoir impalpable aux causes aussi multiples qu'indéfinissables, l'amour toujours à refaire et la joie infinie, sans antécédent, sans passé, sans avenir, fruit d'une insouciance sans conséquence pour l'heure.
Oui ! La joie ! Joies qui se succèdent, courtes, spontanées, sans raison, pour un rien et pour un peu. Une lumière cette joie ! Une lumière même quand la lumière fait défaut. Intouchables on est ! Indestructibles ! Il ne manque plus rien aussi longtemps qu'elle est là, à nos côtés. Une vibration cette joie ; une vibration venue du centre de la terre ; aussi vieille que la croûte terrestre et les danses tribales cette joie qui accroît notre être, l’étend, l'enveloppe. Son souffle nous rend légers et nous permet de franchir bien des obstacles en les ignorant, tout simplement. Joie d’être, joie de vivre ! Et ce sourire qui nous illumine ! Regardez-le ce sourire si précieux ! Regardez-les ! Regardez-nous à quinze ans déambuler le long des rues, dans ces avenues qui nous appartiennent le temps de les traverser. Et cette lueur dans les yeux : c'est encore la lumière de la joie bien sûr ! La joie de l’instant qui va nous combler, tout ce qu’on se promet, là, maintenant ou bien, dans l’heure qui suit.
Allez ! Rendez-la-nous cette joie, ce chahut salutaire !
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Enfant, tout est immense. A quinze ans, on mesure le monde à l’échelle de ce qui sera possible d’y accomplir. Signe de notre temps : aujourd’hui, très vite, c’est déjà trop tard. Jadis, on pouvait s'offrir quelques années d'insouciance, aujourd’hui, on nous conseillera de tout prévoir, de tout envisager, même et surtout le pire en cas d’échec que l'on pressent très tôt ; le succès aussi, pour peu qu’on ait de bonnes raisons de l’espérer.
A quinze ans, ce qui se passera, on ne le voit pas toujours et aussi, ce qui ne se passera pas. Voués au meilleur et au pire, on vit de ce qu’on prend et reçoit du monde, de ce qu'on lui arrache aussi quand il nous oublie au passage ou nous ignore car, si l’abondance nous empêche de voir, le manque, lui, nous couvre de honte : on réclamera son dû. Et c’est alors que la colère et l’impatience nous conduiront tout droit à la révolte et au scandale pour s'empresser de jeter sur la douleur de vivre cette indigence qui surplombe tout et dont on ne saurait porter la responsabilité, notre dévolu d'insultes, d'intimidations et de menaces. Stratégie de survie avec soi-même et les autres qui nous le rendront bien et au centuple, avant longtemps.
A cet âge, tout le mal que l'on se fait, on l'ignore jusqu'à la cure qu'est l'âge adulte, pour peu que l'épuisement nous y aide et puis… parce qu'il faut bien se faire une raison ; la résignation est pareille à l'usure du temps qui guérit bien des maux ; elle prend sa place sur la pointe des pieds alors qu'il fait encore sombre ; et plus elle arrive tôt, plus ses chances de mater cette révolte sont grandes.
A quinze ans, de l’âge adulte, on se rapproche, même si c'est pour mieux nous en éloigner. On se complait de tout. Aucun retrait, aucun recul, c'est la vie qui nous submerge. On hurle. On crie. On bouscule son entourage. On l’ignore.
Autre signe de notre époque : à quinze ans, dehors c'est dedans ; on est partout chez-soi. Au delà du périmètre dans lequel notre action se déploie, rien d’autre existe, rien ni personne ; et tant pis pour les autres qui devront prendre leur mal en patience ou bien, se retirer sans broncher.
A quinze ans, on se cherche un visage, un vrai visage : le sien. Mille essais, mille emprunts, preuves d’une fertilité et d’une inventivité ingénieuses et brouillonnes qui peinent à trouver sa forme. La maturité y pourvoira pour peu qu’il en soit toujours question. Car, si on n'a pas encore à trouver sa voie, en revanche, on se doit de trouver très vite sa place.
Quand on est seul, c’est l’ennui et le désarroi. En bande, on échappe à l’angoisse d’aujourd’hui qui n’est que la négation des responsabilités et des incertitudes de demain. Menu indigeste que demain ! Novice, on avance par à-coups dans un couloir plongé dans le noir. Quand on trouve l'interrupteur et la lumière, c'est le soulagement : on n'a plus peur jusqu'à la prochaine épreuve.
A quinze ans, on veut plaire, être comblé jusqu’à la saturation. Être vivant à quinze ans, c’est être vu et reconnu, escorté du regard et du cœur, mille cœurs entre tous, si possible... et pourquoi pas ! On recueille toutes les faveurs quand on sait les susciter. On vit sans ordre. On a des colères soudaines, sans arrière-pensée et puis, on sait calculer, manipuler, manœuvrer en expert aussi. On s’enflamme, on étouffe, on suffoque, l’amour est minuscule, infini. Et puis un jour, on le fait. Ce jour là, on devient quelqu’un d’autre. Quelque chose a été percé. Quelque chose en nous a fondu. C’est la mue. Une autre peau émerge. On n’y comprend pas grand-chose mais... c'est sûr : on a changé !
Un mystère qui n’en était pas un, cette interrogation - du moins, pas longtemps, car bientôt, tout ça n’aura plus d’importance ; l’essentiel est ailleurs, bien sûr : dans ce qui nous attend, dans cinq ans, dans dix ans d'ici...
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A quinze ans, c’est fini, plus rien à faire dans la vie, sinon la vivre. Une vie détachée de soi, prodigue d’elle-même et de ceux dont on partage la même vie, au même âge, au jour le jour, d’heure en heure... jusqu’à la suivante. Ce qui doit arriver arrivera toujours assez tôt ; on aura bien le temps de faire face à cette insécurité qui nous attend, une fois que l'on ne pourra plus compter sur ceux qui nous ont mis au monde et qui avaient toujours su nous en protéger.
Si à quinze ans on connaît la peur, on sait la contourner. Si on la frôle, on l'oubliera très vite pour s'empresser d'en chercher une autre ailleurs : ses jouissances sont trop grandes pour qu'on les abandonne à la première alerte, le goût de vivre, plus fort encore. On compose avec la peur comme on compose avec tout le reste : la peur des mauvaises notes, la peur d’être découvert, la peur de l'humiliation, la peur du rejet, la peur de la violence de ceux qui ne craignent rien, ni personne, et surtout pas, ceux qui ont peur.
Parfois, les adultes contribueront à diffuser cette peur qui leur va si bien depuis qu’elle les mène et les force à resserrer leur vie pour diminuer le rayon de son action et réduire le champ de ses ambitions et de son influence.
Adolescent, cette peur est sans doute l’information la plus importante que nous recevons du monde ; une des premières ; s’y soumettre annonce des lendemains plus alarmants encore.
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Volonté de prendre, de jouir ! Volonté exténuante, désirs insatiables ! A quinze ans, on mixe, on brasse, on mélange tout, même si ce sont les autres qui distribuent les cartes à notre insu. C’est notre façon d’y voir clair en ne voyant rien de ce qui se trame au loin, sans guide pour nous accompagner.
Et tout nous y encourage. "On a le temps !" nous assènent les ondes de la voix du monde et les pixels de sa représentation, là où toute parole vers le haut est impossible. Une voix sur mesure, pour notre immaturité qui ne peut qu’écouter cette voix. Tellement dans son époque cette voix qui jamais ne se trompe ni ne s’égare, au plus près, serrée, collée à notre inconséquence juvénile, telle une sangsue. Pas d’époque sans voix quelle qu’elle soit, aussi dévastatrice soit-elle. Toujours !
Qui possède le Verbe et les décibels, conduit le Monde. Une voix d'usuriers du désert, trompeuse et assourdissante, cette menace proférée sous le couvert d’une attention désintéressée ; une voix condescendante qui absorbe très vite la meilleure part de l'esprit et empêche tout exercice d'une attention claire envers soi-même ; une voix aux éclats incessants telle un marteau sur l’enclume, qui obstrue toute perspective d'élan en nous privant d'un tremplin pour rebondir plus loin, plus haut ; et peu nombreux sont ceux qui sauront le faire à temps.
Une nuisance cette voix pour quiconque souhaite la faire taire. Dans ces moments là, c’est toute la vie qui vire à la lutte, une douleur dans le dos - dans le bas des reins, plus précisément - à force de résistance, en parents confrontés à un âge sans discernement, et à un prix bien plus élevé aujourd'hui qu’hier : pas de conte de fées et pas de happy end pour nous rassurer : dans le meilleur des cas, happés ils seront, au passage de l'écho de cette voix, et dans le pire, broyés, pris en étau entre les incisives et les molaires de sa mâchoire d'ogre.
L’autre voix, elle, est inaudible pour l’heure. Le moment venu, elle n’aura pas besoin de porte-voix. Bientôt, une autre réalité se chargera de nous la faire entendre car, à quinze ans, on est de l’autre côté de la vitre, à l’intérieur ;
Dehors nous attend une surprise : tout ce qui aura été tu des années durant et qui nous est maintenant hurlé.
Et là, malheur aux malentendants !
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On n'est pas sérieux quand on a 17 ans
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Extrait du titre : "La consolation" - disponible chez TheBookEdition
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