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Le mimosa.

C'est le temps du mimosa,

un parfum subtil et chaud,

en février une clarté,

un nuage de lumière,

une moquerie à l'égard la pluie,

un soleil qui se cueille,

se pose dans une maison seule,

se propage ici et là !

C'est un bijou fragile,

qui grandit dans un arbre,

dans le Sud flamboie,

pour à Paris s'ensoleiller encore.

C'est le temps du mimosa,

dans mes mains un bouquet

enrubanné de soie,

dont je voudrais ma mère,

vous recouvrir entière !

NINA

.

 

 

 

 

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La boîte aux bijoux

En hommage reconnaissant à M. Pierre Seghers

L'illustre lampe d'Aladin
Possédait un pouvoir magique,
Créait des objets oniriques,
Rendait envieux c'est certain.

Faisait-elle aussi que reviennent
Des êtres d'un tout autre temps,
Mais pas oubliés pour autant,
Dotés de leurs grâces anciennes?

J'ai retrouvé, plaisir fort doux,
Sans brillance particulière,
À l'apparence familière,
Une boîte emplie de bijoux.

Alignées par choix, avec art,
De très petites perles noires,
Déposées sur un fond d'ivoire.
Ont éclaté sous mon regard.

J'ai entendu distinctement
Des vers d'une riche élégance,
Parfums de mon adolescence.
Suave rajeunissement!

25 janvier 2016

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Un destin américain ( I )

Les fantômes nous hantent-ils ? Quand j’avais treize ou quatorze ans je me rendais utile chez ma tante à quelques petits travaux : cueillir des fruits, repeindre des vieilles portes, ranger la remise etc… En contrepartie je ne recevais pas d’argent mais j’avais le bonheur d’être bien reçu. Cette tante là avait de bonnes manières. Toujours tirée à quatre épingles, elle était veuve et vivait avec sa fille qui avait à peu près mon âge. Elle ne sortait pas de chez elle mais curieusement on pouvait penser qu’elle s’y préparait en permanence. Ces belles manières, cette élégance lui venaient du métier de gouvernante qu’elle avait exercé à Paris dans les années 40. Elle devait avoir à cette époque autour de 26 ans. Après le repas qu’elle savait si bien présenter et au cours duquel il me semblait être un invité de marque, elle se préparait à sa rencontre quotidienne.

S’installant devant le miroir elle peignait scrupuleusement ses beaux cheveux roux fraichement lavés avec une délicatesse pensive comme si chaque coup de peigne eut pu déranger une grave réflexion se mettant en route. Elle plaçait et replaçait avec les doigts les boucles naturelles et vérifiait attentivement dans le miroir si cela lui convenait. Elle frottait ensuite son visage à l’aide d’une pelure d’orange, masquait la peau d’une couche épaisse de crème blanche, logeait deux ronds de concombre sur les paupières et semblait attendre un miracle s’opérer ! Elle enfilait ensuite une robe de nuit aux multiples dentelles puis un peignoir par pudeur sans doute et se retirait dans sa chambre après avoir pris soin de me remercier pour mon travail. C’était ma tante Marie. Elle parlait peu, se faisait belle pour se mettre au lit l’après-midi, ne dormait pas m’a confié ma cousine mais rêvassait les yeux au plafond.

Jeune veuve de 50 ans, elle avait rendez-vous. Ce n’était pas comme on aurait pu le penser avec son défunt mari. Elle s’était sacrifiée pour lui, avait été une épouse modèle, attentive, respectueuse des engagements qui avaient été pris pour elle, l’avait accompagné avec courage dans ses derniers instants mais selon toute vraisemblance à la façon d’une gouvernante. Il y avait de l’inachevé en elle, d’une attente qui ne finit pas et d’une plongée permanente dans des souvenirs tenaces. Le regard paraissait absent, étranger aux mouvements de sa vie. Je la sentais tristement seule. En réalité elle était doublement veuve.

Ce qui la hantait, j’ai fini par le savoir- les secrets les mieux gardés dans les familles finissent toujours par éclater au grand jour. Elle avait rencontré à Paris pendant la libération un beau et gentil soldat américain à qui elle avait confié aveuglément les clefs d’un destin rêvé. Sur fond de ces naïvetés au sein desquelles baignent souvent les jeunes filles à la vue d’un uniforme, le militaire au chewing-gum lui faisait parcourir les plaines de l’Arkansas, de l’Ohio, du Kentucky ! Bien entendu, chacun l’aura compris, il lui fit la promesse de venir la retrouver dès que la guerre serait finie et l’épouser aux Etats-Unis.

A ce jour, il n’était toujours pas venu. Elle se faisait belle pour des retrouvailles qu’elle était bien seule à attendre. Elle avait donc épousé un autre sans le voir et avait vécu toute une vie sans la voir. Les espoirs et les rêves d’amour sont tenaces. Ils ne nous quittent jamais. Ainsi ma tante avait rendez-vous avec un fantôme du bout du monde qui, peut-être lui-même sur son cheval là-bas, saisissant une tête au lasso, ne parvenait à chasser l’image d’une jolie rousse qu’il ne reverrait jamais.

Ah les fantômes !

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Comme emportée par un vent violent qui balaie tout sur son passage, elle quitta cet endroit qu’elle ne pouvait plus voir ni supporter. Ainsi il y a des héritages qui ressemblent à des punitions. Et celui-là dépassait toutes les espérances ! Dehors la bise lui fit relever le col de son manteau et elle tira sur son bonnet pour cacher ses oreilles au piquant du Nord. Décembre s’affichait dans les vitrines avec ses guirlandes clignotantes, ses boules multicolores, ses sapins et ses père-noëls mécaniques. Judith retrouvait peu à peu sa joie de vivre de jeune femme. Six mois de ces soucis inattendus l’avaient changée. Elle avait perdu ses rondeurs de charcutière bien nourrie et avait même cultivé ,au fur et à mesure de ces journées bercées de ces appellations diverses tournant sans cesse autour des saucissons, saucisses et autres ,une aversion quasi éternelle pour cette nourriture- là ! La grasse abondance des saindoux n’est décidément pas la clef du bonheur ! Elle courait maintenant pour aller se réchauffer le corps et l’âme vers ce bistrot anonyme où l’on n’y vient que pour oublier ses problèmes, lire son journal, prendre un café et se laisser porter par une joie de vivre artificielle, par une pause, par une trêve au milieu d’une guerre où les balles fusent de partout et où l’arôme d’un café qui pénètre l’esprit nous replonge dans les douces matinées de notre enfance. Et celui qui était porteur de ce symbole c’était lui, Guillaume, qui réconfortait à longueur de temps les âmes en peine venues chercher des odeurs, des sourires, des regards, du respect aussi. Pas toujours récompensé, je l’ai dit. Mais comment ne pas pardonner à toute cette souffrance qui s’offre pour un franc le droit d’être considérée ? Guillaume, lui, la connaissait cette souffrance. Il naviguait dans ce havre de paix comme un capitaine sur son navire, dans sa veste blanche impeccable, allait de table en table, debout devant les affalés de la torture, les affamés de paix, les échoués de plages impossibles, les rêveurs aux rêves enterrés. Il regardait défiler les journées et les malheureux frustrés, les joueurs de tiercé, les drogués du tabac et des histoires à sensations, les stressés des affaires, les alcooliques agonisants, les déprimés du divorce, des ruptures, des virés en tout genres. Ceux-là lui laissaient un pourboire comme pour acquitter une dette envers leur malheur qu’ils ne pouvaient régler que de cette manière faute d’une imagination perdue depuis bien longtemps. Guillaume naviguait en eaux troubles et rêvait de départ. Il se sentait piégé, lui, qui avait voulu ce métier pour bouger, ne pas s’asseoir sur des certitudes, des illusions. Coincé entre un bar, des tables et des chaises. Le comble ! Mais celle qui allait débloquer la situation s’appelait Judith. Celle-là était plus gonflée que jamais. Une bombe prête à exploser.
- Voilà notre riche héritière !
- Bonjour Guillaume. Je suis libre comme l’air, légère comme un papillon mais toi tu parais triste. C’est bientôt Noël, plutôt sympa non ? Les clients deviennent généreux à Noël ?
- Avec l’habitude on ne fait plus attention à rien. Même un gros pourboire c’est normal ! Par contre une jolie fille, c’est pas tous les jours ! Tu fais quoi ce soir ?
Guillaume et Judith devinrent amis. Ils partageaient à présent leurs soirées, leurs nuits, une petite piaule de vingt mètres carrés où le lit, la cafetière, la radio, les pantoufles et le savon étaient à portée de main. Les journées aussi car Judith livrée à sa nouvelle vie s’était faite embaucher par le patron de l’établissement, sur proposition de Guillaume bien sûr, mais surtout vu l’affluence des fêtes et son joli minois elle était pour lui tombée au bon moment.
Les deux tourtereaux maintenant ensemble du matin au soir et du soir au matin avaient tout loisir pour penser et sans parler aux mêmes choses, à naviguer sur les mêmes bateaux ou plonger dans le bleu du ciel sans nuages celui que l’on ne voit que perché sur une aile d’avion !

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administrateur théâtres

On the road... AVoilà un spectacle franc, ingénu et vrai. Plein de sel comique et émouvant ! Avouons-le, au départ on n’était pas trop partants pour un énième seul en scène sur le vivre ensemble. L’actualité nous rabâche assez de chapelets de violences, pour plonger une fois de plus dans le politically correct et remâcher indéfiniment nos infâmantes réalités. Mais voilà le sourire de RODA et sa quête d'identités. Un Roméo ? Roda on the road.  What’s in a name ? A l’endroit ou à l’envers ? On le découvre un être totalement à l’aise sur le plateau et on l'ADOR,  le cœur à l'endroit ou à l'envers. Le nom n'a rien à voir pour ceux qui, malencontreusement, penseraient à la margarine, bien sûr. Sautez plutôt dans la fraîcheur d’un conte moderne, racines à l’air. Du cèdre du Liban au sapin de Noël, une forêt entière y passe ! En passant par les oliviers made in Italy, ou presque!

On the road... ADans l’histoire mohametane, il devient Mimo. Il manque une syllabe pour en faire une fleur capiteuse que l’on offre en janvier. Son regard vous dévore, c’est le fuel de son tapis volant qui vous envole en un seul décor du Liban au Maroc, puis vers la Belgique oblige - profitons qu’elle existe encore - Paris, Portugal et toutes les senteurs et épices de la Guinée et bien sûr Jessica, un monde de différences !

Au fur et à mesure qu’il sort de sa chrysalide il devient de plus en plus attachant et enfile les observations d’une candeur désarmante, virevolte dans les personnages, multiplie les points de vue, traque l’inspiration, accumule les occasions de rire, fait capoter les moindres stéréotypes. Il fait penser à la générosité et à la poésie d’Emmanuel Schmitt, en un mot, on ne peut qu’être séduit !

On the road... AIl y a même Gemini le criquet, toujours rapport à l’Italie, non, on veut dire Slimky, l’ami imaginaire - cela s’écrit comment ? Et cela finira comment ? En tous les cas il n’y a pas que les ragazzi qui s’amusent ! Le public s’envole et perd de vue l’unique décor de vieilles carpettes. Oui cela rime avec Mohamed, d’accord ! Et vous entendrez partout des voix car le comédien jongle avec les registres : voix d’ici et d’ailleurs, voix imaginaires, voix au nom du père, voix de mère qui cogne comme des cuillers, voix des dieux ou de voisinage, et même de toutous belgo-belges que l’on promène dignement sur le trottoir. Il voix tout, tout ! Et c’est sidérant de justesse car il est aussi maître du geste ! A quand son prochain spectacle ?
Dominique-Hélène Lemaire

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                                                              http://lesrichesclaires.be/evenement/on-the-road-a-new/
De et avec

Roda

Mise en scène

Eric De Staercke

Assistanat à la mise en scène

Cécile Delberghe

Regard amical

Angelo Bison

Agenda magazine lire  l’interview  page 26,27

Du 14 au 30 janvier 2016
Le mercredi à 19h
Du jeudi au samedi à 20h30
Représentation le lundi 25 janvier à 20h30
Centre Culturel des Riches-Claires - Petite Salle
24 rue des Riches-Claires
1000 Bruxelles
02/548 25 80

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En 1795 -au milieu même de ce que la postérité devait dénommer le classicisme allemand -, Goethe fait paraître un bref article intitulé «Sans-culottisme littéraire». C'était une réponse à un médiocre libelle qui venait de déplorer qu'il y eût en Allemagne si peu d'oeuvres classiques. Depuis un demi-siècle, répond Goethe, on s'est précisément efforcé de former en Allemagne le goût du public et de guider les jeunes écrivains; une sorte d'«école invisible» s'est constituée; on est sorti des ténèbres et on se gardera bien désormais de refermer les volets. Pourtant, ajoute Goethe, il n'existe aucun auteur allemand qui osera se dire «classique». Pour qu'il y ait un classicisme, il faut une histoire, une tradition, un public, une culture. Rien de tout cela n'existe encore. Et il continue: «On ne peut pas reprocher à la nation allemande que sa situation géographique l'enferme dans d'étroites limites, tandis que sa situation politique la divise. Nous ne désirons certainement pas que se produisent les bouleversements qui pourraient préparer en Allemagne des ouvrages classiques.»

L'Allemagne d'aujourd'hui n'est certes plus celle de 1795. Et, pourtant, les réflexions de Goethe n'ont rien perdu de leur vérité. L'histoire de la littérature allemande est le reflet de son histoire politique. L'Allemagne, longtemps divisée, longtemps incertaine de son identité, ouverte de toutes parts à l'influence de l'étranger, souvent ravagée par les guerres, a produit une littérature où les phases d'ombre ne cessent d'alterner avec les phases de lumière. Dans ce pays sans capitale, les centres intellectuels se déplacent, selon le cours des événements historiques, de Zurich à Leipzig, de Königsberg (ou même Riga) à Weimar ou à Francfort. L'Autriche, qui était restée longtemps une province parmi d'autres, prend conscience depuis Joseph II de ses vertus originales et ouvre des routes qui lui sont propres. Et, il y a moins de quarante ans, l'Allemagne s'est trouvée à nouveau coupée en deux parties, qui d'abord se sont ignorées ou combattues, et, depuis peu de temps seulement, cherchent à nouveau à se rejoindre intellectuellement.

Les chefs-d'oeuvre du roman courtois au Moyen Âge ne seraient pas nés sans les modèles français; le latin reste jusqu'au seuil du XVe siècle la langue des philosophes et des professeurs; au XVIIe siècle et encore longtemps après, le français est le langage des cours; les gallicismes encombrent et boursouflent l'allemand courant; FrédéricII ne fait aucun cas de ses compatriotes et il appelle Voltaire à la cour de Berlin, Maupertuis à l'Académie. On comprend aisément que, lorsque une littérature voulut se définir, elle dut s'armer contre l'influence étrangère et rejeter parfois avec humeur la tutelle qui la tenait prisonnière. Le «classicisme» allemand est le dernier des classicismes européens; le naturalisme, le symbolisme ne prennent pied en Allemagne qu'au moment où ils commencent à s'épuiser en France. Au moins à deux reprises, cependant, ce fut l'Allemagne qui montra la route: le mot «romantisme» a, outre-Rhin, un sens, une profondeur, une originalité qui lui sont propres; une grande part du lyrisme d'aujourd'hui y prend racine. Et, en littérature comme dans les arts plastiques, l'expressionnisme est pour l'essentiel un produit allemand. Cela ne signifie évidemment pas qu'en dehors de ces deux périodes il n'y ait que de la sécheresse et du vide: les grands écrivains n'ont jamais manqué, mais ils restent isolés, souvent enfermés au fond des provinces, sans lien entre eux, sans écoles, sans académies.

Dans une conférence qu'il prononce à Munich en 1928, Hugo von Hofmannsthal oppose la conscience littéraire en France et en Allemagne: en France, la littérature constitue l'«espace spirituel»; Molière ou La Fontaine ou Victor Hugo sont présents dans tous les esprits, même les plus humbles; une sorte de canon esthétique s'est constitué au cours des âges, dans lequel la nation se retrouve; une tradition, peut-être trop rigide d'ailleurs, a fixé à chacun son rang et n'est que rarement mise en cause. En Allemagne, au contraire, aucun écrivain -même pas Goethe -n'est à l'abri de la contestation; les valeurs se détruisent et s'inventent sans cesse; on dirait qu'une puissante «anarchie créatrice» (Hofmannsthal) les fait à tout moment surgir du vide. D'où la difficulté pour l'historien de définir des courants et des lignes directrices.

 

 

1. Le Moyen Âge et le XVIe siècle

 

La naissance d'une littérature allemande coïncide avec le règne de Charlemagne. Les grands centres littéraires sont les monastères où l'on transcrit les quelques rares textes témoignant de l'ancienne culture allemande (Charmes de Mersebourg, Chant de Hildebrand). Mais l'essentiel de l'activité consiste à traduire et à commenter les oeuvres d'inspiration chrétienne (Livre des Évangiles de Otfrid de Wissembourg, Heliand), et les oeuvres originales sont rares (Chant de Louis, Muspilli).

Le règne des empereurs saxons et des premiers Saliens marque un net recul de la littérature en langue vulgaire: le latin prédomine. Hrotswit von Gandersheim, première poétesse allemande, fait oeuvre d'historienne et de dramaturge, mais ses pièces de théâtre sont destinées à la lecture. Précieux jalon entre les chants épiques et les épopées du XIIIe siècle, le Waltharius mêle des éléments antiques, chrétiens et germaniques: le héros préfigure le chevalier des époques ultérieures. Vers 1050, le Ruodlieb, premier roman du Moyen Âge, anticipe sur ce que sera la littérature chevaleresque vers 1200. De la survie de l'allemand témoigne NotkerIII (vers 950-1022), surnommé le Teuton, qui tente sans succès de doter sa langue maternelle d'un vocabulaire philosophique.

 

Littérature sacrée, littérature profane (XIe-XIIes.)

 

Entre 1060 et 1170, période marquée par les conflits opposant la papauté et l'Empire (Canossa, 1077; concordat de Worms, 1122; querelle des Investitures) ainsi que par divers mouvements de réforme, il faut distinguer entre deux groupes de textes, ceux d'inspiration cléricale et ceux de la littérature profane.

Jusqu'en 1130, presque toutes les oeuvres écrites sont consacrées à des sujets religieux, invitant l'homme à fuir le monde où tout est vanité (Memento mori), retraçant la vie des patriarches (Genèse de Vienne) et l'histoire spirituelle de l'humanité (Chant d'Ezzo). Le fait marquant de cette période est la naissance d'une poésie mariale en langue vulgaire (vers 1150). À partir de 1170 environ, la littérature religieuse n'imprime plus sa marque à la vie littéraire allemande.

Parallèlement à ce mouvement, la littérature profane connaît un nouvel essor vers 1125-1150, et voit la création d'oeuvres se répartissant en deux groupes: les épopées de clercs et les épopées dites, à tort, de jongleurs. La notion d'empire occupe une place prédondérante dans le Rolandslied d'un certain Konrad, adaptation fort libre de La Chanson de Roland, et dans La Chronique des Empereurs, ouvrage hétéroclite et touffu se trouvant à la croisée des courants les plus divers mais qui présente de ce fait un grand intérêt. Le goût de l'exotisme et du merveilleux transparaît dans La Chanson d'Alexandre, adaptation d'un ouvrage français.

Le second groupe comprend deux oeuvres importantes, Le Roi Rother (vers 1150-1160), s'organisant autour du thème de la quête de la fiancée et ayant pour arrière-plan le monde des croisades, et Le Duc Ernst (vers 1190), centré sur le thème du vassal qui se révolte contre son suzerain, fuit l'Empire et traverse des aventures merveilleuses dans un Orient fabuleux avant de se réconcilier avec l'empereur.

 

L'épanouissement de l'idéal courtois au XIIIe siècle

 

Les années 1170-1270 marquent un premier sommet de la littérature allemande. Cet épanouissement suivant de peu le développement historique (réussite politique des Hohenstaufen et fin des hésitations dynastiques pour un siècle) est dû à des influences venues de France. Les caractéristiques de ce temps sont le recul des oeuvres religieuses, la vogue de l'épopée et de la poésie lyrique, l'importance de la forme, l'unification de la langue poétique à partir des parlers de l'Allemagne du Sud qui devient le grand centre culturel. Cette mutation correspond à l'épanouissement d'un idéal qui est celui de la chevalerie: le chevalier est un homme de bonne naissance, ayant reçu une éducation développant corps et esprit, devant pratiquer les vertus telles que force, courage, droiture et parfait savoir-vivre, fidélité, mesure et largesse. Le nouvel idéal est une tentative de synthèse entre les exigences de la vie en société et les devoirs du chrétien.

L'influence des nouvelles idées est perceptible dans les deux monuments de l'épopée héroïque, la Chanson de Nibelungen et Kudrun (vers 1240), remarquable par la courtoisie, la patience et la générosité de l'héroïne. Outre ces oeuvres majeures, il faut citer les poèmes héroïques des gestes de Théodoric de Vérone, du roi Ortnit et de Wolfdietrich, écho très affaibli des antiques chants germaniques exaltant la notion de fidélité vassalique et riches en aventures merveilleuses.

Les romans importants de cette période sont des adaptations courtoises d'oeuvres françaises, Énéide (vers 1170-1190) où Heinrich von Veldeke «ente la première greffe sur l'arbre de la poésie allemande». Entre 1185 et 1205, Hartmann von Aue, le premier des grands classiques du roman courtois, introduit dans son pays les romans de la Table ronde et du roi Arthur, s'inspirant des oeuvres de Chrétien de Troyes (Érec, Yvain) centrées sur les problèmes que pose la vie du couple dans la société aristocratique: comment concilier amour et prouesse? Hartmann suit son modèle de près dans Iwein, dans Érec l'adaptation est plus libre et l'accent porte sur la règle fondamentale de l'idéal courtois: être agréable à Dieu et au monde. Dans son Parzival (vers 1210) adaptation du Conte du Graal de Chrétien, Wolfram von Eschenbach montre que l'idéal est réalisable: Parzival sait mériter la bienveillance du monde sans compromettre son salut. Vers 1210, Gottfried de Strasbourg semble remettre en cause les fondements de cet idéal dans Tristan. Tout en suivant le poème de Thomas de Bretagne (vers 1180), il y ajoute ses propres idées pour exalter, dans une langue admirable, l'élite restreinte des «cours nobles», de ceux qui ont compris qu'amour et peine sont inséparables. Si Tristan et Iseult incarnent certaines valeurs de l'idéal courtois, ils en refusent les exigences: l'amour est absolu et les autres vertus sont jugées par référence à lui; là réside l'ambiguïté du roman, glorifiant l'amour même quand il est adultère.

La poésie lyrique et didactique représente une autre facette de l'activité littéraire du siècle des Hohenstaufen. Les chantres de l'amour courtois (cf.MINNESANG) célèbrent le vasselage d'amour. Walther von der Vogelweide, le plus grand d'entre eux, refuse cependant de se consumer en une vaine attente et proclame la supériorité de la femme aimante sur la dame orgueilleuse. La poésie didactique s'occupe de la conduite que l'amour doit adopter dans le monde; avec Walther, elle devient poésie politique. Le poète prend position dans le conflit opposant papauté et Empire, fustige la prétention du pape à vouloir régner sur le temporel comme sur le spirituel. Après Walther, Reinmar von Zweter maintient le genre à un certain niveau, mais bientôt il devient l'apanage des poètes bourgeois (Freidank) et n'exprime plus qu'un moralisme prosaïque.

Outre les tendances citées, le XIIIe siècle voit éclore des genres qui occuperont une place importante dans les lettres du bas Moyen Âge, le fabliau, avec le Stricker, et la satire perceptible dans Reinhart Fuchs de l'Alsacien Henri (vers 1180) et évidente dans Helmbrecht le Fermier, de Werner le Jardinier, qui stigmatise la prétention des jeunes rustres ambitieux voulant rivaliser avec les chevaliers et dénonçant la décadence de la chevalerie.

Le XIIIe siècle est aussi une charnière: on commence à écrire en prose. Cette nouveauté touche d'abord le droit (Eike de Repgau) et l'histoire, gagne du terrain sous l'influence de la littérature cléricale, qui revit dès 1250, et du développement de la prédication dont le plus célèbre représentant est Berthold von Regensburg. Cette évolution coïncide presque avec le début du Grand Interrègne (1254).

 

L'essor de la culture bourgeoise (XIVe-XVes.)

 

La fin du Moyen Âge est marquée par la montée des puissances territoriales et des villes (formation de la Hanse), par la colonisation des terres à l'est de l'Elbe et par le développement d'une civilisation dite bourgeoise parce qu'elle fleurit surtout dans les villes qui deviennent de véritables foyers culturels. L'aristocratie exerce encore son influence sur la vie culturelle, nobles et bourgeois demeurent attachés à l'idéal chevaleresque mais ne cherchent plus à allier valeurs terrestres et valeurs spirituelles. La production littéraire est abondante, d'un grand intérêt pour l'histoire des idées et de la civilisation, médiocre quant à la forme; elle est utilitaire, cherche à édifier, à enseigner ou à distraire.

On recopie les poèmes du Minnesang et les légendes épiques, le roman arthurien est supplanté par le roman antique (guerre de Troie, roman d'Alexandre le Grand), et dès le XVe siècle ces remaniements donnent les livres de colportage (Volksbücher). Le lyrisme amoureux se perd dans la chanson populaire, la poésie gnomique se poursuit chez les maîtres-chanteurs (Frauenlob, ┼1323) et la seule grande figure de l'époque reste Oswald von Wolkenstein (1377-1445) qui tire parti de toutes les ressources de la langue et de la musique.

Aux XIVe et XVe siècles, la littérature religieuse occupe la première place et revêt trois aspects: la mystique, avec Maître Eckhart (vers 1260-1327), Heinrich Suso (vers 1295-1366) et Johann Tauler (1300-1361), dont l'influence n'a cessé de se faire sentir dans la pensée allemande; la littérature d'édification, abondante et variée, le théâtre religieux enfin.

Nous trouvons par ailleurs des textes moraux, satiriques et allégoriques (Coursier de Hugo von Trimberg, vers 1300-1313; La Chasse, de Hadamar de Laber, vers 1315). Le fabliau et la farce influent sur L'Anneau (vers 1400) de Heinrich von Wittenwiler, truculente satire didactique et cruelle, empreinte de pessimisme. La littérature savante connaît un essor considérable dès la fin du XIIIe siècle: Ottokar de Styrie, Nicolas de Jeroschin et Fritsche Closener évoquent de façon vivante le développement historique de la société. En 1350 paraît la première encyclopédie en allemand, Le Livre de la nature, de Konrad von Megenberg. Les récits de voyage jouissent d'un franc succès. Avec Le Laboureur de Bohême de Johann von Tepla (vers 1351-vers 1415), dialogue entre l'auteur et la mort, s'annonce l'ère des humanistes.

 

L'ère des effervescences

 

Le XVIe siècle est une période clé de la littérature allemande. Bien que l'inspiration en soit plus polémique que littéraire, il offre l'image d'un désordre fécond ouvrant la voie aux idées nouvelles. Les traditions médiévales se maintiennent un temps mais l'humanisme se développe avant d'être arrêté par la Réforme qui marque profondément la société et les idées. La langue enfin est en pleine évolution.

Si les dernières décennies du XVe siècle voient naître l'humanisme, ce mouvement n'efface pas brusquement la littérature courtoise, la poésie des maîtres-chanteurs et le goût des récits facétieux et de la farce, où s'illustre Hans Folz (┼ avant 1515). Mais la première génération d'humanistes a introduit en Allemagne les idées nouvelles venues d'Italie et elles marquent profondément la vie littéraire.

Jetant un regard neuf sur les textes de l'Antiquité, les humanistes prônent le retour à la pureté dans tous les domaines (grammaire, style, morale). Konrad Celtis (1459-1508) traduit la Germanie de Tacite, ce qui contribue à éveiller chez les Allemands un sentiment national les poussant à se révolter contre les Welches, une tendance qu'Ulrich von Hutten représente bien. Tous pensent que le pays a besoin d'une réforme politique et morale: ils préparent donc le terrain à Luther. Trois personnages méritent une mention: Paracelse (1493-1541), Sebastian Brant (1458-1521) et Thomas Murner (vers 1475-1537).

Médecin, panvitaliste et anthropocentriste, Paracelse développe la notion d'analogie - en tant que microcosme, l'homme reflète l'univers (macrocosme) -, ordonne les êtres de la «petite mythologie» selon une théorie des quatre éléments (Elementargeister), et sa pensée marque fortement l'histoire des idées. Dans le prolongement des traditions médiévales se situe La Nef des fous (1494) où Brant fait oeuvre de patriote et de prédicateur désirant amender les moeurs et prodiguant critiques et conseils. Murner, franciscain alsacien, se fait le censeur des abus dont souffre l'Église et ses écrits satiriques ont pour thème la folie humaine et prennent l'allure de sermons.

Les travers que dénoncent les humanistes amènent un mouvement complexe, à la fois religieux, moral, politique et national, la Réforme; le succès de Luther s'explique par la situation d'une Allemagne en pleine mutation. La Réforme a pour conséquence d'assurer le triomphe de l'allemand sur le latin, d'unifier les parlers, d'entraîner la poésie lyrique, le cantique et la fable dans le tourbillon des idées nouvelles, dont la diffusion bénéficie des progrès de l'imprimerie. Le théâtre religieux, dont le meilleur représentant est Hans Sachs (1494-1576), connaît un essor sans précédent.

Le XVIe siècle est aussi marqué par la naissance du roman bourgeois. Jörg Wickram (┼ 1562) décrit une bourgeoisie idéalisée et classe les protagonistes de ses récits en bons et en mauvais. Maniant une langue soignée, il distrait, enseigne et moralise à la façon des écrivains médiévaux. L'auteur le plus populaire de son temps est toutefois Johann Fischart (vers 1546-1590), humaniste, moraliste et protestant, surnommé le «Rabelais allemand». Son oeuvre est considérable. Dans une langue colorée, il rédige des pamphlets anticatholiques où il fustige le vice et l'erreur. Mais il est surtout connu pour sa traduction de Gargantua. Il émonde le texte de Rabelais, développe ou abrège, ne pouvant faire sienne la devise de ce grand humaniste: «Fais ce que veux.» Fischart illustre bien le conflit entre l'humanisme, pour qui la nature est bonne, et la Réforme qui tient l'être humain pour un pécheur.

En marge de ces mouvements d'idées, la littérature populaire (Volksbücher) a un grand succès, et le mérite de ce siècle est d'avoir aperçu ce que pouvait être une littérature pour le peuple. Dernier ouvrage important, l'Histoire de Faust (1587) reflète symboliquement les préoccupations d'un siècle inquiet de ses propres hardiesses et rongé par ses contradictions, engagé dans l'avenir mais encore tributaire du passé.

 

 

2. L'âge baroque et ses prolongements (1600-1750)

 

L'humanisme, trop tôt arrêté dans sa course par le débat religieux, n'a pas eu le temps de donner à l'Allemagne une grande littérature en langue nationale qui puisse rivaliser avec celle des Anciens. Combler ce retard, telle est l'ambition qui marque, au siècle suivant, la naissance de la littérature baroque dans l'un de ses aspects essentiels. En même temps qu'il s'appuie sur une forte tradition néo-latine, dont les orientations stylistiques se sont peu à peu éloignées des canons classiques, le baroque se détermine par rapport aux modèles des pays voisins qui ont déjà nationalisé l'héritage antique et progressé sur les voies de la modernité: l'Italie, la France, l'Angleterre - l'exemple tout récent de la Hollande prenant une signification idéologique et technique particulière à cause de la parenté linguistique. Traductions, adaptations, imitations préparent une production abondante dont l'originalité s'affirmera rapidement.

 

Le programme d'une renaissance nationale

 

La théorie joue un rôle décisif. Grammairiens et philologues s'emploient à mettre en lumière les vertus de la langue nationale. Parmi les plus influents, il faut citer Schottel, que Leibniz n'aura garde d'oublier lorsqu'à la fin du siècle il plaidera à son tour la cause de l'allemand pour en développer l'usage dans le domaine intellectuel et scientifique. Quant aux innombrables traités de poétique, ils attestent l'emprise de la rhétorique et l'importance d'un système des genres strictement hiérarchisé.

Encore faut-il tenir compte, pour apprécier la place de cette littérature à bien des égards savante, de la persistance d'une vigoureuse tradition «populaire», comique et satirique, qui traverse tout le XVIIe siècle. Il ne faut pas oublier non plus que dans les pays de la Contre-Réforme la production littéraire, tout entière au service de l'Église, privilégie le latin. Certes, on trouve des exceptions remarquables: Spee, Angelus Silesius parmi les poètes, Abraham a Santa Clara comme prédicateur populaire; il n'empêche que le baroque dans son ambition patriotique est un phénomème spécifique de l'espace protestant.

Les «sociétés de langue» (la Fructifère fondée dès 1617 à Cöthen, la Société patriotique créée à Hambourg par Zesen en 1642, l'ordre nurembergeois des Bergers de la Pegnitz institué en 1644 par Harsdörffer, Klaj et Birken) apportent leur concours à cette entreprise à maints égards systématique, à ce projet qui vise, malgré les misères de la guerre, à faire de la nouvelle littérature l'instrument de culture d'une société policée qui se cherche parmi l'aristocratie, le patriciat, la bourgeoisie formée dans les universités. Soutenu par certaines cours - Cöthen, puis Weimar, et surtout Wolfenbüttel -, le mouvement s'enracine dans les grandes cités: Königsberg (Dach et ses amis), Hambourg, Leipzig, Nuremberg, Breslau, capitale d'une province féconde entre toutes pour la littérature, la Silésie.

Opitz qui, le premier, esquisse (1617), puis définit (Livre de la poésie allemande, 1624) le programme et les moyens de la renaissance nationale, propose, tant par ses traductions que par ses oeuvres originales, des modèles dans les principaux genres et ouvre la voie à la grande génération baroque, qui est née en majorité avant 1625 et dont la production s'épanouit entre 1640 et 1670.

 

Une inspiration religieuse et morale

 

Le lyrisme, qui est avant tout la mise en forme de grands thèmes «banals» et qui englobe aussi bien la poésie de circonstance que le cantique, se partage entre les inspirations profane et religieuse, qui trouvent en quelque sorte leur dénominateur commun dans la méditation sur la fragilité de l'homme et du monde, thème baroque par excellence. Les talents sont nombreux, depuis les précurseurs - Opitz, Weckherlin aussi - jusqu'aux plus grands - Gryphius, Fleming, Catharina Regina von Greiffenberg, membre d'un petit groupe d'écrivains luthériens autrichiens -, en passant par Dach ou Rist, limpides et familiers, les Nurembergeois, habiles à exploiter les ressources sonores de la langue, ou Zesen, virtuose original. Le sonnet est à la mode. L'épigramme est bien représentée par Logau, le cantique protestant par Gerhard. L'oeuvre des mystiques, spéculatifs ou inspirés, Czepko, Angelus Silesius, plus tard encore Kuhlmann, est singulièrement riche.

La littérature dramatique, exclue des deux pôles extrêmes que constituent l'opéra de cour (musique et spectacle) et la scène des troupes ambulantes (farce et mime), se partage pour l'essentiel entre la production néo-latine des jésuites, qui sert le projet pédagogique, religieux et politique de la Société, et l'oeuvre de Gryphius. Celui-ci crée la comédie littéraire et la grande tragédie qui, de Leo Armenius (composé en 1646) à Papinianus (1659), illustre avec vigueur l'inconstance de la fortune, la fragilité du pouvoir pour exalter la constance stoïcienne et la force d'âme chrétienne du souverain martyr.

Le roman, genre moderne importé (surtout de France) par la voie de nombreuses traductions, s'acclimate peu à peu en se moralisant. La tradition pastorale, qui inspire les premières oeuvres originales, est encore présente chez Zesen (Rosemund, 1645); mais ses romans bibliques (Assenat, 1670, Simson, 1679) se rapprochent du genre historico-héroïque, que les auteurs allemands veulent chrétien et patriotique: Bucholtz (L'Hercule allemand, 1659), puis Anton Ulrich, duc de Brunswick, qui porte le genre à un degré de raffinement technique qu'il n'avait pas atteint en France (Aramena, 1669-1673; Octavia, 1677-1707). En regard, dans le domaine de la littérature «réaliste», la tradition picaresque, introduite par Albertinus et son adaptation du modèle espagnol au projet de la Contre-Réforme (1615), conduit à Grimmelshausen, dont le Simplicissimus (1668) dénonce le monde à l'envers (celui de la guerre de Trente Ans) et ses pièges.

 

Excroissances du baroque tardif

 

Le baroque trouve son point d'équilibre autour de 1660. Au-delà on assiste à une sorte d'exaspération du style (effets rhétoriques, métaphores), en même temps que régresse l'inspiration religieuse, qui était jusque-là fondamentale, même si le baroque impliquait l'assouplissement du didactisme traditionnel au profit de valeurs esthétiques. Très tôt cette tendance se marque chez Lohenstein, dont les tragédies (turques, africaines et romaines, composées entre 1650 et 1673) mettent l'accent sur l'exotisme et la peinture des passions violentes et criminelles. Son Arminius (1689-1690), monument patriotique et encyclopédique, maintient la tradition du roman héroïque, dont parallèlement la Banise de Ziegler (1689) marque l'essouflement, tandis que le genre galant de Bohse et Hunold (Adalie, 1702) abandonne la grande scène politique pour les intrigues de l'actualité mondaine. Hofmannswaldau et les poètes de la «seconde école silésienne» cultivent une sorte de nouveau maniérisme, qui associe à la virtuosité formelle un érotisme appuyé.

En regard de ce «baroque tardif», le rationalisme naissant (Thomasius) fait sentir son influence. Weise prêche la simplicité de la prose et met son oeuvre (théâtre scolaire et romans) au service d'une classe moyenne qui sort peu à peu de sa passivité. Ses romans en particulier, comme ceux de Riemer et, avec la fantaisie et la truculence en plus, de Beer et de Reuter, s'ils s'inspirent encore du modèle des aventures picaresques, montrent que l'idéologie ascétique qui le sous-tendait chez Grimmelshausen n'a plus cours.

Les premières décennies du XVIIIe siècle sont confuses. Seule le renouveau piétiste de l'inspiration religieuse, et surtout l'oeuvre de Günther, singulière par la force de l'expression individuelle, et de Brockes, peintre attentif de la nature, rompent la routine de la production poétique. Bientôt l'anacréontisme (Hagedorn, Gleim) introduira la grâce du rococo.

 

Raison et sentiment (1725-1750)

 

La grande réforme entreprise par Gottsched après 1725 au nom de la raison et des règles, en même temps qu'elle confirme le rôle désormais dominant de Leipzig et de la Saxe, constitue une étape décisive dans la formation d'une culture littéraire fondée sur les valeurs bourgeoises. Un des mérites certains de Gottsched est d'avoir su associer le théâtre professionnel à cette nouvelle culture. Mais sa doctrine rigide, tôt critiquée par les Suisses Bodmer et Breitinger, qui plaident la cause de l'imagination et du merveilleux, souffre du recours exclusif au modèle du classicisme français. L'évolution des idées et du goût, l'apport de nouvelles influences étrangères, la montée du sentiment préparent dès les années 1740 l'après-Gottsched, comme le montrent l'oeuvre et surtout la théorie dramatiques de J.E. Schlegel ou l'exemple de Gellert, qui introduit en Allemagne la comédie larmoyante et une forme moderne du roman bourgeois (Vie de la comtesse suédoise von G., 1747-1748) - bien éloignée de l'utopie patriarcale que le Robinson Crusoé avait inspirée un peu plus tôt à Schnabel (L'Île Felsenburg, 1731-1743).

 

 

3. L'éveil (1750-1945)

 

L'Aufklärung

 

Vers 1750, les lettres allemandes sortent soudain de l'ombre où les avaient confinées depuis un siècle les désastres de la guerre de Trente Ans. Trois écrivains en même temps: Lessing, Klopstock, Wieland. Le premier (1729-1781) est un combattant: il aime l'action, le défi, les idées nouvelles; champion de la tolérance, s'essayant dans tous les genres à la fois, de la comédie au drame sentimental, de la critique théâtrale à la polémique religieuse, il incarne l'esprit des Lumières. L'autre, Klopstock (1724-1803), restitue d'un coup à la poésie les hautes ambitions qu'elle semblait avoir oubliées. Émule de Milton, il écrit sa Messiade, depuis six siècles la seule épopée allemande digne de ce nom; ses Odes exaltent dans une langue pathétique toutes les formes du sentiment. Wieland (1733-1813), sceptique, licencieux, est l'interprète de ce qu'on nomme «la philosophie des grâces». Mais, au-delà de leurs différences, les trois écrivains sont bien du même temps: ce qu'on nomme Aufklärung est la somme des trois courants: la philosophie des Lumières, le règne du sentiment (Empfindsamkeit), la légèreté du «rococo». N'est-ce pas Lessing qui avait introduit le drame sentimental à la mode de Diderot? Klopstock n'est-il pas le premier à célébrer la réunion des États généraux à Versailles? Wieland n'est-il pas précepteur du futur duc de Weimar et, à son heure, théoricien de l'État idéal? Il n'existe cependant en Allemagne ni Encyclopédie ni fronde politique; dans ces pays de despotisme éclairé, c'est le prince qui met en oeuvre les idées nouvelles; tous les auteurs célèbrent à l'envi Frédéric II, qui ne les estime guère, et Joseph II. D'ailleurs la division de l'Allemagne est à sa manière garante de liberté; le persécuté trouve aisément refuge en franchissant la frontière. Et si la tradition conserve le souvenir de quelques prisons cruelles et de quelques princes intolérants, la satire des cours et de l'absolutisme est monnaie courante et presque toujours acceptée. Et ces écrivains, tous issus du presbytère protestant, s'accommodent beaucoup mieux que leurs contemporains français des formes traditionnelles de la religion: Lessing peut à la fois se porter à l'appui des premiers défenseurs de la critique biblique et, dans son Éducation du genre humain destinée à élever peu à peu l'humanité à la connaissance éclairée de la divinité, chercher ses arguments dans de vieilles traditions mystiques.

Chez tous ces écrivains, cependant, l'Allemagne est à la recherche d'elle-même; à défaut d'une unité politique, alors impensable, elle rêve d'une unité de culture. Certains s'égarent un peu dans une mythologie germanique imaginaire et dans une brève «teutomanie». Mais tous rêvent d'une institution dans laquelle l'Allemagne pourrait prendre conscience d'elle-même: Klopstock, d'une «république des savants», Lessing, d'un théâtre national. Comme la France avait été depuis plus d'un siècle le modèle incontesté, l'Allemagne, pour se trouver, était conduite à prendre ses distances envers elle: il y a souvent quelque injustice dans les jugements que Lessing, émerveillé par la découverte de Shakespeare, porte sur les classiques français.

 

Le Sturm und Drang

 

On dénomme conventionnellement Sturm and Drang la période qui va de 1770 à 1785 environ: quinze années essentielles puisqu'elles voient naître Götz von Berlichingen (1773), Werther (1774), la version primitive de Faust (Urfaust) terminée avant 1775, ainsi que les quatre premiers drames de Schiller.

La critique allemande du XIXe siècle, pour désigner cette période qui correspond à ce qu'on nomme en France préromantisme, a utilisé le titre d'un drame de l'époque, aujourd'hui fort oublié. L'expression signifie à peu près: inquiétude et violence; c'étaient les caractères qu'on souhaitait faire apparaître comme les traits dominants de ces années: l'Allemagne, libérée d'un rationalisme d'importation, retrouvait sa nature profonde.

Il est vrai qu'un des écrivains qui dominent ces années est Herder (1744-1803), esprit tumultueux et enthousiaste, plus enclin à chercher la vérité du côté des origines, dans les temps primitifs où le langage sécrétait spontanément la poésie, que dans le progrès des Lumières. Et, derrière lui, il y avait Hamann (1730-1788), le «Mage du Nord», pour qui la raison n'était bonne qu'à découvrir «le malheur de la naissance» et qui, dans un langage cryptique fait d'exclamations et d'anacoluthes, proférait les obscures vérités de la foi. Il est vrai aussi qu'un certain pessimisme avait envahi la pensée; on avait cessé de croire que nature et raison étaient synonymes; les querelles entre frères, l'inceste, l'infanticide, la haine du père étaient devenus des thèmes à la mode et nourrissaient un renouveau du drame, qui croyait imiter le modèle shakespearien.

En dépit de ces mouvements profonds, le Sturm und Drang est, pour une large part, une invention des historiens qui, à côté de quelques grands esprits, avaient racolé des médiocres et des écrivains de second rang pour faire croire à une vague de fond. Pour l'essentiel, les leçons de l'âge précédent demeuraient. Il est sûr qu'il y a dans les Brigands (1781) de Schiller beaucoup de tumulte juvénile; mais, peu d'années après, son Don Carlos (1787), revendique la liberté de pensée dans des termes que Montesquieu n'aurait pas reniés.

On s'est même parfois porté plus loin: on a déguisé le Sturm und Drang en mouvement révolutionnaire. C'était, dans la direction opposée, commettre une nouvelle erreur. Même si, dans Intrigue et amour de Schiller (1784), quelques scènes prolongent la satire sociale de l'Aufklärung, la littérature de ces années (Goethe, Justus Möser) a bien plutôt ses regards tournés vers le passé, vers les formes traditionnelles menacées par le mouvement du temps.

 

Le demi-siècle d'or

 

Werther (1774) avait d'un coup fait tomber les murailles: la littérature allemande avait enfin conquis l'audience de l'étranger. Pendant un demi-siècle, elle allait ouvrir des voies nouvelles. Cet essor s'accompagne de celui des grandes philosophies idéalistes; il se déroule au milieu des tumultes politiques - les guerres de la Révolution et de l'Empire - qui vont diviser les esprits et aiguiser les différences. On va parler des «classiques» et des «romantiques»; mais il est clair que, dans la réalité, tout est beaucoup plus mêlé: Goethe reste longtemps l'idole des romantiques, le merveilleux que Schiller introduit dans sa Pucelle (1801) indique que lui-même ne fut pas insensible à la contagion, et peut-être Les Années de voyage de Wilhelm Meister (1829), qui veut offrir du monde une image «totale», depuis les métiers et la vie sociale jusqu'à la révolution des astres, est-il ce grand roman dont les romantiques avaient rêvé sans jamais parvenir à l'écrire. Mais, s'il y eut parfois osmose entre les deux mouvements, c'est leur dialogue et leur conflit qui constituent la richesse de ces années.

 

Les deux «classiques»

 

Pour Goethe installé à Weimar (à partir de 1775, longtemps avant que Schiller n'écrivît les Brigands) et surtout pour Goethe revenu d'Italie en 1788, l'agitation, le désordre, la grandiloquence du Sturm und Drang finissant sont devenus intolérables. Il écrit Iphigénie et compose Torquato Tasso. Mais c'est surtout du jour où Schiller, à son tour, vient s'installer à Weimar qu'on peut dater le début d'un «classicisme» allemand. Classicisme tardif et improbable, dû à l'amitié inattendue entre deux esprits que tout paraissait séparer. Les voies avaient certes été ouvertes par Winckelmann (1717-1768), découvreur de l'Antiquité grecque, inventeur de la formule «noble simplicité et paisible grandeur». Il aura fallu cependant, au milieu de l'instabilité du temps, l'existence de ce duché insignifiant, de cette cour minuscule, pour que puisse apparaître comme un idéal réalisable cette «éducation esthétique», dont Schiller élaborait la théorie, cette intégration de l'individu dans une société harmonieuse, dont Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister (1795) proposait l'image. Un îlot de paix et de civilisation s'établissait, en dépit des guerres et des conflits d'idées, en plein centre de l'Allemagne. Classicisme éphémère, puisque après la mort prématurée de Schiller, Goethe, malgré la vénération qu'on continue à lui porter, allait se sentir bientôt isolé et incompris. Classicisme ouvert aussi, puisque Goethe, sans renier jamais sa prédilection pour l'art antique, devait s'ouvrir toujours davantage à toutes les sollicitations de la «littérature universelle», inventant sans cesse des formes nouvelles, que la notion de «classicisme» ne peut plus contenir.

 

Les romantismes

 

Aucune définition ne peut rendre compte de ce que voulut être et de ce que fut le romantisme, tant il revêtit de formes diverses. D'un groupement éphémère à l'autre, d'Iéna à Berlin, à Dresde ou à Heidelberg, il change sans cesse de cap et d'intentions. Mieux vaut mettre le mot au pluriel et décrire une histoire plutôt que de définir un concept insaisissable.

Lorsque paraissent en 1795 Les Années d'apprentissage, tout le monde salue d'abord ce roman comme la Bible des temps nouveaux. Jusqu'au moment où Novalis (1772-1801) le dénonce comme un nouveau Candide, hostile à la poésie. La sagesse temporelle du livre négligeait selon lui l'essentiel: la vie intérieure de l'esprit, le pouvoir de l'imagination créatrice, la magie du rêve. Le romantisme est d'abord cette entreprise d'introversion. Au moment où la philosophie de Fichte illustre la totale liberté du Moi, le romantisme veut l'expérimenter dans l'acte même de l'écriture. Friedrich Schlegel (1772-1829) a dénommé «ironie» le mouvement par lequel l'écrivain se détache de son oeuvre, la remet incessamment en question pour s'identifier à tout moment à sa liberté de créateur; il écrit et se voit écrivant, il se renie pour éprouver plus vivement le pouvoir infini avec lequel il s'identifie. Parmi les genres littéraires, ceux à qui on prête le plus d'avenir sont ceux qui sont le plus éloignés de la règle, ceux qui ménagent le plus la liberté du créateur: le conte et surtout le roman. Il existe de nombreux romans romantiques; tous sont cependant victimes de la théorie qui leur a donné naissance; les personnages en sont exsangues; certains, comme l'Ofterdingen de Novalis, se sclérosent en allégories; d'autres, comme la Lucinde de Friedrich Schlegel, se perdent en digressions et en analyses; d'autres enfin, comme ceux d'Arnim, s'égarent dans le foisonnement de l'intrigue. Le romantisme est moins riche en oeuvres qu'il n'est riche d'intentions et d'idées.

En cette fin du XVIIIe siècle, où l'on commence à s'émerveiller des découvertes de la science, le romantisme intègre toutes ces nouveautés, électricité, magnétisme, dans l'encyclopédie imaginaire qu'il construit; il retrouve ainsi par son propre mouvement les grandes théosophies du passé, qu'il exhume et qu'il ressuscite. Tourné vers la vie intérieure, le romantisme allait évidemment prêter son attention, non seulement au rêve, mais à tous les phénomènes mystérieux ou aberrants de la psychologie: prémonitions, dédoublements, etc.: c'est le domaine que Ludwig Tieck (1773-1853) explore avec prédilection.

Certains des écrivains du premier romantisme, comme Schlegel ou certains philosophes voisins de ce mouvement comme Fichte, étaient restés fervents partisans de la Révolution, même après la Terreur et après le déclenchement de la guerre. Mais d'autres, comme Novalis, s'étaient tournés dès avant la fin du siècle vers des horizons différents: ils évoquaient un Moyen Âge imaginaire, un Saint Empire retrouvé, une catholicité conservatrice. Beaucoup de romantiques allaient bientôt suivre ce même chemin: reniant le piétisme qui avait guidé souvent leurs premiers pas, ils furent nombreux à se convertir; et le romantisme, avec Friedrich Schlegel, Görres, Adam Müller, tendit à se confondre avec le conservatisme de la Sainte-Alliance. Dira-t-on que cette évolution fut le résultat d'un hasard historique, ou bien jugera-t-on que ce mouvement était inscrit dès l'origine dans le repliement intérieur qui définit le romantisme? La question reste posée.

Si, délaissant les fondateurs, on aborde la seconde génération romantique, avec Brentano, Arnim, Hoffmann, Eichendorff, on reste plus perplexe encore quand il s'agit de définir des intentions ou des tendances. Le romantisme avait commencé par la réflexion et l'intellectualisme. Les successeurs sont plus spontanés; chacun s'abandonne à son tempérament et à son penchant; le mouvement se disperse et s'allège, en même temps qu'il s'ouvre à un public plus étendu. Parmi cette production du romantisme tardif beaucoup d'oeuvres sont restées vivantes dans la conscience collective de l'Allemagne; les récits de Hoffmann, quelques poésies d'Eichendorff, avant tout les contes des frères Grimm. Brentano et Arnim sont sans doute plutôt réservés à quelques happy few, à la recherche de plaisirs plus subtils ou plus contestés.

 

Indépendants et marginaux

 

Les rubriques «classique» et «romantique» sont loin d'enfermer toute la réalité littéraire allemande du tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Il se trouve même que la plupart de ceux que l'âge présent a redécouverts échappent à ce classement sommaire.

À Weimar, où règne Goethe, terminent aussi leur vie, à l'écart et quelque peu aigris, deux témoins du passé: Wieland et Herder. Pas si loin de là, à Bayreuth, un ultime héritier de la veine sentimentale, mal disposé envers les romantiques qu'il juge abscons et trop ignorants du concret quotidien, Jean-Paul (1763-1825), idole du beau sexe, continue à tisser ses toiles d'araignée baroques, compensant le monde étouffant de la province allemande par de lyriques élans idéalistes. Mais même ses exaltations religieuses restent si ambiguës qu'on a pensé plus d'une fois à lui attribuer les sarcastiques Veilles de Bonaventura, le mystérieux ouvrage resté anonyme, aux accents si étrangement nihilistes.

Bien qu'il ait été étroitement lié aux milieux romantiques, on chercherait en vain les thèmes romantiques dans l'oeuvre de Kleist (1777-1811), génie obsédé, vainement acharné à briser sa solitude, mais seul découvreur du tragique dans un âge qui l'ignore. Détesté par Goethe, que ses outrances exaspèrent, Kleist meurt méconnu. Il faudra plus d'un siècle avant que la postérité ne l'égale aux plus grands.

Et Hölderlin enfin (1770-1843). Traducteur de Pindare et de Sophocle, il est parmi tous ces écrivains le seul qui ait vraiment trouvé le contact avec la Grèce antique. Après avoir longtemps pleuré cette Grèce d'autrefois comme un âge d'or perdu, il conçoit une épiphanie nouvelle réservée à l'Occident, qu'il annonce dans des hymnes prophétiques, qui constituent sans doute le sommet du lyrisme allemand. Le malheur du temps avait projeté ce poète vulnérable dans des orages politiques auxquels il était mal fait pour résister. Finalement, «frappé par Apollon» et comme écrasé par sa propre prophétie, il succombe. À l'extrême tension des grands hymnes de la maturité ne succède que le ronronnement des banals poèmes écrits pendant les longues années de folie.

 

Un demi-siècle de pénombre

 

Le sentiment que Henri Heine exprime, peut-être avec un peu d'ironie: «Goethe n'est plus. Les dieux sont morts», est partagé par l'Allemagne entière. Après un demi-siècle d'invention et de richesse, on éprouve tout à coup le vide. Les talents, bien entendu, ne disparaissent pas pour autant; mais ils sont isolés, calfeutrés au fond des provinces, sans ambition collective et sans «écoles». Le seul groupement notable, la Jeune Allemagne, est politique bien plus que littéraire. 1848, qui devait être pour beaucoup l'année des déceptions, peut permettre de marquer un premier tournant.

 

L'Avant-Mars

 

On a dénommé Vormärz la période qui précède les vaines révoltes de 1848. Si l'on use de ce terme manifestement emprunté au langage de la politique, c'est qu'une partie de la littérature est alors engagée dans le combat. C'est le temps des frères ennemis Ludwig Börne (1786-1837) et Henri Heine (1797-1856), le premier, issu des salons romantiques, associant curieusement le culte de Jean-Paul et l'intransigeance révolutionnaire, le second, plus ambigu encore, prophète d'une révolution prolétarienne, qu'il redoute en même temps qu'il l'espère et «romantique défroqué», usant par l'ironie les convictions de son temps et ses propres sentiments. Un autre avait assez milité, lui aussi, parmi les révoltés pour mesurer l'inanité, à cette date, de toute révolte: Georg Büchner (1813-1837), mort du typhus à vingt-trois ans, allait, dans trois pièces et dans un récit inachevé, exprimer son amère pitié pour la créature. Il est l'inventeur d'un théâtre violent, laconique, aux personnages simplifiés et frustes; tous porte-parole d'une humanité pathétique; l'expressionnisme allait découvrir en Büchner un des grands dramaturges de l'Allemagne. Mais la gloire de Büchner a un peu injustement rejeté dans l'ombre Christian-Dietrich Grabbe (1801-1836), qui avait imaginé de son côté une forme dramatique un peu semblable. S'il y a souvent chez lui de la grandiloquence et du verbiage, ses pièces, Hannibal, Napoléon ou les Cent Jours, inventent une curieuse dramaturgie sans héros qui prête la même dignité à la marmotte d'un petit Savoyard qu'aux entreprises des ambitieux.

On a donné à l'autre bord de la littérature de ce temps-là le nom, ironique à l'origine, de Biedermeier, qui équivaudrait un peu à «louis-philippard». Mais ces écrivains étaient, en fait, très éloignés de la satisfaction niaise que ce qualificatif paraissait impliquer. On a, chez la plupart, décelé un fond de pessimisme et d'angoisse, dans lequel on a reconnu quelque ressemblance avec leur contemporain Kierkegaard. Le romantisme paraissait avoit fini son temps; il se survit cependant au fond de la province souabe. Et, comme par miracle, un de ces Souabes se révèle être un des poètes les plus délicats et les plus subtils de l'Allemagne: le modeste pasteur de village de Cleversulzbach, Eduard Mörike (1804-1875). Le Hongrois Lenau (1802-1850) était parti, semblait-il, d'un bord tout opposé: il était, dans les lettres allemandes, le romantique au sens européen de ce mot, le byronien insatiable et nihiliste; la fin de sa carrière le ramène cependant dans le voisinage des Souabes. À un autre bout de l'Allemagne, en Westphalie - et, cette fois, fort loin des sentiers du romantisme -, la catholique Annette von Droste-Hülshoff (1797-1848) décrit dans son âpre lyrisme le scrupule d'une âme qui se croit désertée par la foi.

Dans l'ensemble, cependant, la littérature de cet «Avant-Mars» essaie de se démarquer du romantisme. Après le rêve intérieur, elle recherche la sensation et le concret. C'est la route que poursuit en Autriche Adalbert Stifter (1805-1868), qui voudrait, dans cette fin des temps, construire un nouveau classicisme, une «arrière-saison» de sagesse résignée.Tandis qu'en Suisse le pasteur Jeremias Gotthelf (1797-1854), pestant dans sa vallée de l'Emmenthal contre les moeurs nouvelles, compose dans son langage dru une grande épopée paysanne, le sommet de la littérature suisse de langue allemande.

 

Le déclin du siècle

 

Dans la seconde partie du siècle, tandis que l'Allemagne prépare son unité, les lettres semblent devenues plus somnolentes. Le lyrisme s'est éteint: seuls quelques «épigones», comme on les nomme, tentent de faire survivre un romantisme exsangue ou les recettes d'Henri Heine. Le théâtre, après les ambitieuses constructions historiques de Hebbel, ne survit qu'à travers de pâles adaptations de Scribe ou de Sardou. La scène ne reste vivante qu'en Autriche, où l'institution théâtrale est demeurée vivace et solide.

Des romans de cette époque, qu'on voit figurer encore dans les bibliothèques familiales, il en est peu qui aient survécu. Seul l'adroit manièrisme de Wilhelm Raabe mériterait d'être évoqué, si, grâce à Theodor Fontane, le réalisme européen ne venait affleurer dans les dernières années du siècle, brisant enfin les conventions qui avaient tenu si longtemps la bride à l'art romanesque allemand.

La nouvelle, en revanche, avait fleuri dans ce XIXe siècle finissant: en Allemagne avec Theodor Storm (1817-1888) au premier rang; en Suisse avec Gottfried Keller (1819-1890) et, déguisant sa névrose dans de pompeuses reconstitutions d'histoire, avec Conrad-Ferdinand Meyer (1825-1898).

 

Notre siècle

 

L'Allemagne avait repris du retard sur ses voisins. À partir de 1890 cependant, tout s'anime à nouveau. On notera toutefois que, jusqu'au milieu du siècle, la plupart des grandes découvertes sont issues de l'ancien espace de la monarchie austro-hongroise: Hofmannsthal, Rilke, Trakl, Kafka, Musil, Broch et d'autres encore. Mais que reste-t-il, à vrai dire, d'autrichien chez Rilke ou chez Kafka?

 

Échos du symbolisme

 

L'Allemagne avait longtemps résisté à Zola. Un théâtre naturaliste naît cependant avec Gerhart Hauptmann (1858-1921) et l'imitation à Berlin du Théâtre libre. Cependant, ce naturalisme qui heurtait sans doute les tendances profondes ou les habitudes de l'esprit allemand devait être de brève durée    : bientôt Hauptmann dérive vers le rêve et le mythe.

En 1890, l'Allemagne ignorait encore Baudelaire. Ce fut la fonction historique de Stefan George (1868-1933) que de l'introduire, en même temps que Mallarmé et que Verlaine, et de rendre de la sorte une ambition nouvelle au lyrisme. D'autres que lui faisaient au même moment à Vienne de semblables découvertes; Hugo von Hofmannsthal (1874-1929) est le premier d'entre eux. Mais son oeuvre lyrique est de brève durée; bientôt, il se tourne vers le drame et vers l'opéra et devient en Autriche une sorte de poeta laureatus  . Ainsi naissait dans les pays de langue allemande un symbolisme tardif. Au tournant du siècle, Rainer Maria Rilke (1875-1926), après des débuts hésitants, allait rejoindre, lui aussi, ce lyrisme de l'intériorité.

On placera dans le même sillage d'autres écrivains de la Jeune Vienne, comme Arthur Schnitzler (1862-1931), auteur fêté de drames sentimentaux et dans ses récits un des introducteurs du langage intérieur, et aussi, bien qu'il soit d'une génération plus jeune, Stefan Zweig (1881-1942). Et, en dépit de ses velléités de révolte, c'est encore à cette veine sentimentale qu'on rattachera sans doute le Badois Hermann Hesse (1877-1962), dont les premiers romans paraissent au début du siècle.

Fort loin de ce mouvement se situent les pièces glaciales et cyniques de Frank Wedekind (1864-1918), l'auteur de L'Éveil du printemps  (1890), l'inventeur du personnage de Lulu, la femme fatale. Wedekind s'était d'abord montré au cabaret et même au cirque. On retrouvait dans son oeuvre un écho de Grabbe et Büchner. Sa manière allait être reprise, un quart de siècle plus tard, par Carl Sternheim (1878-1942) et par Georg Kaiser (1878-1945), Bertolt Brecht est sans doute, lui aussi, de la même lignée.

 

L'expressionnisme

 

Peu avant la guerre de 1914, cependant, un nouveau style apparaît     : au lieu du raffinement et de la nuance du postsymbolisme, des images crues et pathétiques, des couleurs violentes et heurtées. On allait bientôt dénommer expressionnisme ce mouvement dans lequel à nouveau l'Allemagne allait tenir la tête et ouvrir des voies. Else Lasker-Schüler (1876-1946), Georg Heym (1887-1912), Gottfried Benn (1886-1956), en furent les premiers témoins. Mais c'est curieusement dans la province autrichienne, à Innsbruck et à Salzbourg, que le mouvement allait, dans le lyrisme, atteindre avec Georg Trakl (1887-1914) son point culminant. Dans ses débuts, l'expressionnisme tend vers des formes extatiques; Franz Werfel (1890-1945) illustre cette tendance, avant de devenir romancier à thèse et à succès. Puis, l'expressionnisme se politise; dans les revues Der Sturm, Die Aktion, il devient activiste. Dans les premières années de l'après-guerre, le théâtre politique fait fureur. C'est à cet expressionnisme que se rattachent jusqu'à L'Opéra de quat'sous les débuts de Bertolt Brecht; il invente ensuite de nouvelles formules - un théâtre intellectuel, visuel, qui tord le cou à l'émotion et, non sans ruses ni détours, démontre et endoctrine.

 

Le roman

 

La première moitié du XXe siècle est, en Allemagne comme ailleurs, l'âge des sommes romanesques. Si certains, comme Heinrich Mann (1871-1950), s'en tenaient à l'image satirique et à la caricature, son frère Thomas (1875-1955) érigeait ses architectures savantes, où thèmes et leitmotive s'enchevêtrent et se répondent dans une réflexion sur l'histoire du temps ou sur le sens de la vie. À travers des procédés différents, Robert Musil (1880-1942), Hermann Broch (1886-1951) poursuivaient en Autriche des ambitions analogues. L'expressionnisme a aussi, avec Alfred Döblin (1878-1957), sa place dans le roman: son oeuvre principale, Berlin Alexanderplatz paraît en 1929, au moment où le mouvement commence à s'épuiser.

Il reste Kafka (1883-1924), dont l'oeuvre discrète et longtemps méconnue allait plus tard apparaître comme essentielle. S'il résiste aux classifications, c'est que son art dépouillé et austère n'a, de son temps, encore rien qui lui corresponde. S'il devait avoir, après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux successeurs, il avait eu peu de devanciers, à moins que l'on ne qualifie de ce nom des modèles aussi dissemblables que Flaubert et Dostoïevski.

L'époque allait s'achever cependant dans le désastre des années hitlériennes. La plupart des écrivains qui comptaient désertèrent l'Allemagne. Beaucoup moururent en exil, souvent de leur propre main. De la littérature pro-hitlérienne rien n'a survécu, ni Weinheber ni Kolbenheyer. Quelques-uns, hostiles au régime, parvinrent à ne pas quitter le sol allemand  ; ce fut ce qu'on nomma plus tard l'«émigration intérieure». Le plus notable de ce groupe fut Ernst Jünger, né en 1895    ; il avait été le porte-parole d'un conservatisme extrême, mais s'était détourné avec dégoût du régime des nazis. Ses Falaises de marbre (1939) fustigèrent dans un récit symbolique le règne de la cruauté et de la violence. Mais Jünger était surtout l'évocateur d'une magie naturelle, dans laquelle on entendait comme un écho du romantisme ou de la sagesse goethéenne.

Quand, en 1945, le rideau se releva après la fin du drame, on eut le sentiment qu'une faille profonde venait d'interrompre l'histoire de l'esprit allemand. On parla d'une «année zéro». Mais peut-il jamais, en littérature, exister une «année zéro»?

 

 

4. Depuis 1945

 

1945 n'est pas l'année zéro

 

La fin de la guerre laisse les pays de langue allemande dans des situations matérielles et morales très différentes. Le fait nouveau est évidemment, en 1949, la naissance de la R.D.A. dont la littérature, reposant sur des présupposés particuliers, mérite un développement spécifique.

Le vide relatif laissé par les ruines matérielles, la liquidation de l'héritage moral et linguistique du nazisme est, dans un premier temps, comblé par les zones périphériques, la Suisse et surtout l'Autriche, dont la place ne cessera d'ailleurs de grandir. La Suisse, grâce au théâtre de Zurich, donne à l'Allemagne les deux grands dramaturges de l'après-guerre. Même si leur pays est resté à l'écart, Friedrich Dürrenmatt et Max Frisch tentent de s'expliquer les phénomènes de masse dans un théâtre de ton d'abord expressionniste, puis reprenant la parabole brechtienne volontairement privée de toute conclusion idélogique. Dürrenmatt élabore la théorie d'un grotesque seul capable d'exprimer les temps nouveaux, tandis que Max Frisch, dans ses pièces et ses romans, analyse la prison d'une identité artificiellement imposée.

L'influence autrichienne s'étendra particulièrement dans les années soixante-dix, mais elle est déjà réelle grâce à la prose d'Ilse Aichinger, aux romans, récits et poèmes d'Ingeborg Bachmann (1926-1973), où le réalisme s'allie aux symboles et au fantastique pour décrire l'effondrement et, peut-être, l'espoir.

Ce qui va devenir la R.F.A. vit jusqu'au milieu des années cinquante sur le passé. Ce sont les aînés qui ont la parole, ceux dont les débuts remontent aux années vingt ou trente. Les «     émigrés de l'intérieur», très contestés par la jeune génération, semblent peu à même de se livrer à une confrontation avec les phénomènes récents. C'est pourtant ce que Ernst Jünger tente de faire avec Héliopolis (1949), puis avec la publication de ses Journaux     . Les émigrés sont de retour. Parmi eux, si Thomas Mann, installé en Suisse, démonte depuis son Docteur Faustus (1947) jusqu'à la dernière version de Felix Krull (1954) les mécanismes de la séduction et du pouvoir, Ernst Wiechert (1887-1950) s'en tient à l'idylle et aux bons sentiments.

On réclame une langue nouvelle, une «table rase», un Inventaire    sans fioritures, pour reprendre le titre d'un poème de Günter Eich. Mais ceux qu'a marqués le port de l'uniforme doivent aussi liquider ce passé. Les récits de guerre et d'après-guerre foisonnent, moins sous la forme dramatique adoptée par Borchert (Devant la porte     , 1947) que sous la forme du récit, assez classique dans le néo-réalisme de Hans Erich Nossack (1901-1977) ou d'Alfred Andersch (1914-1980), plus recherchée dans l'oeuvre de Wolfgang Koeppen (Pigeons sur l'herbe, 1951).

 

Les années 1950-1965: les liens du présent et du passé

 

Le renouvellement s'effectue, dans les années cinquante, grâce à la génération rassemblée, sans organisation rigide, autour du Groupe 47. Refusant les idéologies, ces écrivains veulent affronter la réalité de la «reconstruction adenauerienne» où ils analysent les survivances morales du passé. C'est l'ère d'un «réalisme critique» où la description sociologique s'allie aux recherches formelles qui remettent en cause le principe même de la narration subjective. Le théâtre est toujours dominé par les deux grands auteurs suisses dont se rapproche Martin Walser, qui dénonce l'utopie d'une conversion profonde de l'Allemagne (Chêne et lapins angora, 1962) et décrit dans ses romans (Couples à Philippsbourg, 1957) la société froide du «miracle économique  ». L'anti-héros de cette période, le personnage qui incarne la persistance d'une certaine Allemagne, c'est le petit-bourgeois, Heinrich Böll peint les milieux catholiques rhénans en morcelant et en multipliant les perspectives, comme dans Billard à neuf heures et demie (1959). La même année, Uwe Johnson (Conjectures sur Jacob) part à la recherche de son personnage, tandis que Günter Grass écrit le roman du roman avec le premier volet de sa Trilogie de Dantzig, Le Tambour   .

La poésie reste un peu à l'écart de ce «réalisme» immédiat, et ses grands représentants appartiennent à une génération plus ancienne. Si Karl Krolow (né en 1915) s'en tient à la métaphore traditionnelle avant de s'ouvrir aux influences françaises et américaines, un phénomène original se manifeste dans la fusion du symbolisme et de l'expérience concrète vécue dans le nazisme et les destructions. Nelly Sachs (1891-1970), vivant en Suède, rattache, dans son théâtre et ses poèmes, l'extermination aux mythes et aux images de la Bible et du hassidisme. Hilde Domin (née en 1912) s'interroge, après vingt ans d'exil, sur la possibilité d'utiliser une langue compromise. Marie-Luise Kaschnitz (1901-1974) cherche un lieu introuvable dans la réalité de la destruction (Danse de mort     , 1944-1946) ou dans un monde d'Ombres allongées  (1960) que dissolvent les forces chaotiques de la nuit. Le grand nouveau venu est cependant Paul Celan (1920-1970). Ses recueils à plusieurs voix, de Sable des urnes (1948) et des Grilles du langage     à La Rose de personne (1963) font appel à un surréalisme chiffré et hermétique pour décrire les camps, la mort, la solitude.

Parallèlement se développent les expériences de la littérature concrète, avec les «textes» d'Helmut Heissenbüttel (Combinaisons   et Topographies, 1951-1955  ; Textes, 1960-1964), rappelant les travaux de l'Oulipo autour de Raymond Queneau. Mais c'est en 1968 seulement que son roman La Fin de d'Alembert proclamera la mort du «    sujet» romanesque. En Autriche se manifestent de plus en plus les mêmes tendances formalistes, à Vienne avec Oswald Wiener ou à Graz avec H.C. Artmann. Elles sont annonciatrices des orages.

 

1965-1970  : le temps des révoltes

 

La génération née pendant ou après la guerre commence en effet à reprocher sa tiédeur à la littérature installée. Avec l'entrée du S.P.D. dans la Grande Coalition en 1966, le «     réalisme critique   », souvent assez proche de ce parti, se trouve en porte à faux, tandis que les grands mouvements parcourant les pays occidentaux favorisent ici une révolte qui se manifeste dans deux directions apparemment opposées. Les uns, avec Peter Handke, issu lui aussi du «groupe de Graz», mais qui quitte l'Autriche, réclament un retour à l'étude, influencée par le structuralisme, de la langue elle-même dans ce qu'elle véhicule d'autorité et de pouvoir. Son théâtre, ses récits-descriptions et ses poèmes s'attachent donc à isoler des modèles de langage et de comportement, décomposent la perception. À l'inverse, et ce sera le mouvement le plus large, une volonté d'action politique immédiate donne naissance à toute une littérature militante dont le moyen d'expression favori, parce que le plus public, est le théâtre. Si les pièces d'actualité de Rolf Hochhuth (Le Vicaire, 1963) restent dans la tradition psychologisante du drame historique, Peter Weiss, après l'Allemand de l'Est Heinar Kipphardt, élabore un «théâtre-document» consistant en un montage démonstratif et didactique d'éléments réels, minutes du procès d'Auschwitz transformées en oratorio (L'Instruction     , 1965) ou discours confrontés à la réalité des guerres coloniales (Discours sur le Viet-Nam). Mais cet engagement durement conquis, comme le montre Marat-Sade (1963-1965), sur l'individualisme et le solipsisme des débuts, sera lui-même remis en question dans les dernières pièces, de forme semi-documentaire, où les figures de Hölderlin et de Trotski servent à réexaminer le rôle de l'intellectuel dans la révolution. Le même combat quotidien marque la poésie de H. M. Enzensberger, qu'il veut «utilitaire » et considère comme un «mode d'emploi» du monde et de la vie.

Entre ces deux courants se développe le néo-naturalisme bavarois de Martin Sperr (Scènes de chasse en Bavière    ) et de F.X. Kroetz, tandis que R.    W. Fassbinder fonde un «anti-théâtre» réaliste, avant de s'attacher à étudier en grandes paraboles, au cinéma surtout, le destin de l'Allemagne. L'importance croissante du cinéma et de la télévision accentue désormais une osmose des techniques (déjà sensible dans les années cinquante avec le succès de la «pièce radiophonique»), nettement plus importante en Allemagne qu'en France.

 

1970-1989  : dépolitisation et souci de soi

 

1970 marque le début d'une ère nouvelle, qui coïncide avec la fin des «guerres de libération» dans le monde, l'échec de Mai-68, l'arrivée au pouvoir de la coalition socio-libérale en Allemagne de l'Ouest, la montée du terrorisme et la répression qui l'accompagna, et enfin la prise de conscience écologiste. Il s'agit alors pour la jeune génération de régler ses comptes avec les écrivains de l'après-guerre, aussi bien avec l'avant-garde poétique de la modernité réunie autour de Helmut Heissenbüttel qu'avec le Groupe47 à qui elle reproche son immobilisme. Seuls les grands «anciens» poursuivent leur chemin en s'engageant davantage, comme Heinrich Böll avec L'Honneur perdu de Katharina Blum  (1974), ou font le point sur leur engagement comme Günter Grass (Le Journal d'un escargot, 1972), continuent à travailler à leur oeuvre maîtresse comme Uwe Johnson (Une année dans la vie de Gesine Cresspahl) ou Peter Weiss (L'Esthétique de la résistance, 1975-1981). Parallèlement s'affirme une «nouvelle subjectivité», qui conduit peu après à une «     nouvelle intériorité». Elle s'exprime, dans le roman comme au théâtre, dans des oeuvres très fortement autobiographiques ou simplement biographiques: paraissent aussi bien l'Histoire d'une vie d'Élias Canetti que les travaux de Peter Schneider (Lenz), de Bernward Wesper (Le Voyage) ou de Karin Struck (Klassenliebe, L'Amour de classe) qui ne sont que le récit d'une expérience de militant politique.

La recherche du père devient le thème fondamental de la génération qui a grandi dans l'immédiat après-guerre. S'entrecroisant avec une réflexion critique sur l'histoire allemande, et plus spécialement celle du IIIe    Reich, que les travaux de Margarete et Alexander Mitscherlich ont encouragée (Die Unfähigkeit zu trauern, Le Deuil impossible), le roman s'engage sur le chemin introspectif et analyse les relations entre les différentes générations : Peter Härtling (Dette d'amour     , 1980), Christophe Meckel (Portrait-robot de mon père     , 1980), Elisabeth Plessen (Message à la noblesse   , 1976) ou encore Gabriele Wohmann (Portrait de la mère en veuve, 1989). Que ce soit dans un récit autobiographique ou par le truchement d'une fiction, la quête de soi et l'analyse dans la conscience individuelle des conflits entre l'inividu et les institutions font exploser une littérature de l'intimité qui frôle parfois l'exhibitionnisme (Fritz Zorn, Mars, 1977). Le voyage intérieur, avec ses images de glaciation et d'enfermement chez Peter Handke ou Peter Rosei, atteint au paroxysme dans les romans et le théâtre de Thomas Bernhard.

La dépolitisation et la floraison de la société alternative donnent une large place dans la littérature aux écritures qui s'efforcent de créer un monde différent : la personnalité d'Erich Fried domine de façon tout à fait paradoxale cette époque. Reconnu par tous ceux qui, déçus par « la longue marche à travers les institutions  » (Rudi Dutschke) qui s'était avérée inutile, se déclaraient apolitiques, Erich Fried - dont l'oeuvre est profondément politique - est devenu le gourou de toute une génération pacifiste, écologiste et marginale. Une autre grande figure de la littérature de ces années-là est à n'en pas douter Nicolas Born (La Face cachée de l'histoire, 1976). Un peu plus âgé que les protagonistes de sa génération, il a donné à la littérature un roman d'une grande qualité d'écriture qui marque l'abandon définitif des utopies politiques, le retour à l'intime. C'est dans cette mouvance que fut reçu avec enthousiasme La Dédicace (1977) de Botho Strauss. Ce roman, qui parut durant ce que l'on a appelé «    l'automne allemand   », met le point final à la littérature postrévolutionnaire de la génération de 1968.

La culture alternative fait émerger de multiples formes d'écriture qui vont de la littérature des femmes à l'écriture introspective du moi et à l'écriture-thérapie qui sera le ferment du courant dominant de la littérature des années 1980. Oppression, soumission, répression sexuelle, viol, solitude, isolement, froideur sont les thèmes principaux de la littérature des femmes qui n'évite ni l'agressivité ni le persiflage à l'égard de l'autre sexe. Le récit de Verena Stefan, Mues (1975), peut être considéré comme le manifeste littéraire des femmes-écrivains de cette génération. Il semble que les auteurs liés au nouveau mouvement des femmes se soient rapidement trouvés face à un dilemme: d'une part, la réalité d'une expérience nécessairement centrée sur le moi à laquelle tout dépassement restait interdit; d'autre part, une écriture demeurée l'otage de formes littéraires traditionnelles et ne parvenant pas à formuler une parole qui aurait correspondu à une sensibilité nouvelle. Derrière ce conflit se dissimulait toute l'histoire des répressions dont les femmes ont été historiquement l'objet quand elles ont voulu dire «je», une thématique fondamentale dans l'oeuvre d'Ingeborg Bachmann, Christa Reinig ou Christa Wolf. Parallèlement, en essayant d'accéder à l'autonomie, les femmes écrivains des années 1970 (Christa Wolf, Sarah Kirsch, Irmtraud Morgner ou Karin Reschke) ont redécouvert les liens profonds qui les unissaient à leurs aînées Rahel Varnhagen, Bettina von Arnim ou Caroline von Günderrode.

Avec Brigitte Kronauer, Anne Duden ou Elfriede Jelinek, l'écriture féminine prend une autre dimension. Une explosion poétique brise les structures de l'autobiographie, l'écriture change de registre, elle utilise l'ironie, la parodie, le grotesque (Elfriede Jelinek, La Pianiste, 1983, et surtout Lust     , 1989).

Il y a une bonne dizaine d'années, Hans Magnus Enzensberger regrettait «que les Allemands n'aient pas leur Balzac, pas même un Zola qui raconterait leurs moeurs et leurs habitudes. Cette flore étrange qui pousse dans la serre qu'est la république fédérale serait pourtant un excellent sujet». Il y a bien eu quelques tentatives - Gerhard Köpf ou Hanns-Josef Ortheil -, mais il semble que les écrivains des années 1980 soient plus à l'aise dans des récits courts aux personnages évanescents. On y rencontre «couples et passants » (Botho Strauss), «les enfants de Bronstein» (Jurek Becker) ou on lit le compte rendu de «l'après-midi d'un écrivain» (Peter Handke). Cela ne signifie pas pour autant que la littérature des années 1980 soit dépourvue de héros. Mais ceux-ci s'appellent Cotta, Hannibal, John Franklin ou Grenouille. Ils viennent de Troie, de Carthage, de Rome ou de Paris. Ce sont ces personnages pseudo-historiques qui fascinent le lecteur (Patrick Süskind, Le Parfum, 1985     ; Christoph Ransmayr, Le Dernier des mondes  , 1988) et non plus l'instance morale qu'Heinrich Böll, Günter Grass, Peter Weiss ou Erich Fried ont pu représenter vingt ans plus tôt.

La jeune génération des écrivains de la R.F.A. - Rainald Goetz, Bodo Kirchhoff, Joachim Lattmann, Bodo Morshäuser, Thorsten Becker, Ulrich Peltzer, Ralf Rothmann ou Michael Wildenhain - se caractérise par son scepticisme à l'égard de toutes les utopies. Après avoir assisté à toutes leurs défaites, elle s'est réfugiée dans l'univers de la postmodernité et joue avec sa mythologie.

 

La littérature en R.D.A. (1945-1989)

 

La littérature de la R.D.A. a emprunté d'autres voies. Il faut rappeler que, dès 1945, la littérature dans la zone d'occupation soviétique (S.B.Z.) s'est située délibérément dans la double tradition de l'humanisme classique et de l'antifascisme. Les écrivains exilés sont revenus pour un grand nombre d'entre eux à l'Est. De cette période émergent tout particulièrement l'oeuvre d'Anna Seghers (La Septième Croix, 1946; Les morts restent jeunes, 1949  ; La Décision, 1949) et de Johannes Bobrowski (1917-1965) dont les poèmes et le roman Le Moulin à Lévine    mettent la conscience allemande face à ses responsabilités. Des émigrés de l'intérieur comme Peter Huchel, des jeunes poètes (Stefan Hermlin ou Louis Fürnberg ou Günter Kunert) sont les nouvelles voix dont les accents restent assez éloignés des thurifèraires du régime. Les années 1950 sont dominées - en poésie - par deux personnalités: Johannes R. Becher (1891-1958), un poète expressionniste des années 1930, émigré, et qui deviendra le premier ministre de la Culture de la R.D.A. en 1953, et bien sûr Bertolt Brecht, qui donne, avec La Dialectique sur le théâtre, de nouvelles bases à la discussion sur la dramaturgie en Allemagne de l'Est et de l'Ouest, ainsi qu'en Europe.

 

Le réalisme socialiste et sa contestation

 

Avec la première conférence littéraire de Bitterfeld commence une période où la littérature instrumentalisée est invitée à militer, aux côtés des autres structures de l'État et du parti, pour construire le «  socialisme réellement existant    ». Les années 1960 sont une période extrêmement complexe. La littérature «pour convaincre» que pratiquent les chantres du régime (Erik Neutsch, Spur der Steine  - La Trace des pierres, 1964) cohabite avec les premiers écrits de la nouvelle génération qui conteste la notion d'héroïsme en littérature et introduit un héros aux attitudes et aux sentiments contradictoires (Johannes Bobrowski, Le Moulin à Lévine, 1964; Franz Fühmann, König Oedipus, 1966; Christa Wolf, Le Ciel partagé     , 1963; Günter de Bruyn, L'Âne de Buridan, 1968; Jurek Becker, Jakob le menteur    , 1968). L'oeuvre qui domine incontestablement cette période est le roman de Christa Wolf Christa T. (1968), dans la mesure où il rend compte d'une prise de conscience: l'engagement politique et social se fait au détriment de la vie intérieure. L'introspection met à nu le déficit des espérances déçues et provoque un «changement d'optique» radical.

Presque tous les styles ont cohabité au début des années 1970 en R.D.A. Au changement politique - Erich Honecker succède à Walter Ulbricht - correspondent de nouveaux accents, de nouveaux sujets qui vont de l'écriture intimiste d'un Franz Fühmann (Vingt-deux Jours, ou la Moitié de la vie    , 1973) au courant documentaire initié par Maxie Wander dont l'oeuvre maîtresse Bonjour ma belle connut un très large succès. À la même époque apparaissent aussi des sujets empruntés à la critique sociale: les difficultés d'insertion des jeunes dans la société (Ulrich Plenzdorf, Les Nouvelles Souffrances du jeune W., 1972), la situation des femmes (Irmtraud Morgner, Vie et Aventures de la trobairitz Béatrice, 1974), le quotidien du socialisme réellement existant (Volker Braun, L'Histoire inachevée, 1975; Klaus Schlesinger, Michael, 1972). Ces années d'apparente ouverture qui s'achèveront en 1976 sont extrêmement ambiguës. S'il est vrai que Honecker a recommandé au quatrième plénum du S.E.D. en décembre 1972 une «    littérature sans tabous », il demeure que l'idéologue du comité central Kurt Hager s'opposa l'année suivante à ce que l'art et la littérature s'éloignent des canons du réalisme socialiste. Il s'ensuit une activité fébrile de la censure, des oeuvres restent dans les tiroirs ou paraissent en R.F.A. Le malaise culmine en 1976, année charnière, marquée à la fois par l'expulsion du poète et chanteur Wolf Biermann et par la publication de Trame d'enfance de Christa Wolf: pour la première fois, un écrivain de la R.D.A. prenait ses distances avec l'historiographie officielle, affirmait qu'il fallait cesser d'écrire l'histoire de la R.D.A. du point de vue des vainqueurs. Selon Christa Wolf, il est faux de laisser croire que la population ait appris à penser autrement après la défaite. Elle a seulement refoulé ses souvenirs du fascisme quotidien et a en même temps perdu toute vigilance. Le livre, qui fut très mal reçu, ouvrit la porte à toute une vague de travaux littéraires qui, alliant la réflexion autobiographique, l'analyse du quotidien et l'exploration de la conscience, décrivent la soumission inconditionnelle à l'autorité et la lâcheté qui en est le corollaire, prêchent la résistance à l'autorité qui marginalise l'individu (Gerti Tetzner, Karen W., 1974; Helga Schütz, Julia, oder die Erziehung zum Chorgesang - Julia, ou l'Apprentissage du chant choral), dénoncent l'opportunisme (Jurek Becker, L'Heure du réveil, 1978), l'injustice sociale et la corruption (Günter de Bruyn, Die neue Herrlichkeit, La Nouvelle Majesté, 1984).

À partir de 1976, expulsions hors du pays (B. Jentzsch, Reiner Kunze...), exclusions de l'Union des écrivains (Bartsch, Endler, Heym, Jakobs, Poche, Schlesinger, Schubert, Seyppel), sanctions et interdictions de publier (Havemann, Heym) vont bon train. Kunert, Loest, Bahro, Schädlich quittent la R.D.A. Des jeunes écrivains, F.W. Matthies. Lutz Rathenow et T.     Erwin, sont arrêtés. Les hommes qui ont fait la réputation du Deutsches Theater comme Benno Besson, Manfred Karge, Matthias Langhoff ou Alexander Lang quittent le pays. Le théâtre de Volker Braun ou de Christoph Hein est censuré. Mais peu après la Volksbühne inscrit Der Bau, La Construction - de Heiner Müller à son répertoire, alors que, depuis 1974, le théâtre de cet auteur avait complètement disparu de l'affiche (1980). C'est aussi l'époque où sont publiées les premières pièces de théâtre de Christoph Hein ainsi que son premier recueil de récits (Invitation au lever bourgeois, 1980). L'année suivante, Stephan Hermlin organise à Berlin-Est les premières rencontres Est-Ouest d'écrivains pour la paix auxquelles participent entre autres Günter Grass, Erich Fried, Uwe Johnson, Peter Hartling, mais aussi Christa Wolf, Stefan Heym, l'écrivain autrichien Ernst Jandl et le Suisse Adolf Muschg.

L'émigration de nombreux écrivains de la R.D.A en R.F.A. crée une situation nouvelle. Par l'intermédiaire des auteurs qui ont définitivement ou provisoirement quitté leur pays, on découvre, à l'Ouest, en R.F.A. d'abord, mais aussi en France, toute la complexité de la littérature de la R.D.A. Nombre de ceux qui se sont établis à l'Ouest, souvent même à Berlin-Ouest, continuent à extraire de leurs expériences de vie à l'Est la matière de leur écriture (Hans Joachim Schädlich, Berlinestouest, 1987  ; Wolfgang Hilbig, La Lettre, 1985; Barbara Honigmann, Roman eines Kindes, Le Roman d'un enfant, 1986). Les connections culturelles interallemandes se développent, les éditeurs de R.F.A. publient, sous licence, les grands écrivains de la R.D.A. qui sont de plus en plus fréquemment invités à l'Ouest. Face au courant postmoderne dominant en Allemagne de l'Ouest émergent des écrivains et des écritures qui viennent de l'Est, pas seulement de R.D.A., mais aussi de Roumanie (Herta Müller, Richard Wagner) ou de Tchécoslovaquie (Libuse Moníková). Avec le recul que confère l'exil, ils mettent sans complaisance le doigt sur les blessures de l'individu opprimé par les régimes totalitaires de l'Est et broyé par la société de consommation à l'Ouest.

Après Christa Wolf et Heiner Müller, ce sont l'oeuvre et la personnalité de Christoph Hein qui ont marqué les années 1980 en R.D.A. L'Ami étranger (1982) restera sans doute l'une des oeuvres qui aura exprimé avec la plus grande pertinence l'identité est-allemande. C'est la banalité ordinaire du quotidien qui est au centre du récit, banalité inquiétante d'une réalité refoulée où se mêlent agressivité, brutalité, insécurité et opportunisme. Quelques mois avant la chute du Mur et l'effondrement de la R.D.A., le théâtre de Dresde montait Les Chevaliers de la Table ronde, une comédie métaphorique dans laquelle Christoph Hein constatait que, si le Graal - l'utopie - était un héritage dont plus personne ne voulait, «seuls les animaux pouvaient se passer du Graal, parce qu'ils ne savaient pas qu'ils étaient mortels», une parole prophétique quand on considère la situation actuelle de l'Allemagne.

Les années 1980 ont aussi été le théâtre d'un foisonnement d'oeuvres d'avant-garde - poétiques le plus souvent. Les jeunes écrivains mis à l'écart par les autorités politico-culturelles de la R.D.A. ont su exploiter leur marginalisation. En 1981, ils créaient une publication, Le roi est nu (qui devait devenir Mikado et cessé de paraître en 1987). Cette revue, autoéditée, dactylographiée en cent exemplaires, non autorisée sans toutefois être interdite, contribua largement à faire connaître des jeunes auteurs tels que Bernd Papenfuss-Gorek, Rainer Schedlinski, Andreas Koziol, Jan Faktor, Stefan Döring ou Gabrielle Kachold, qui s'inscrivent tous, plus ou moins, dans la tradition expérimentale du Groupe de Vienne ou dans la mouvance des poètes Ernst Jandl ou Oskar Pastior. Si leur langage poétique se voulait apolitique, son existence n'en avait pas moins une valeur éminemment politique qui ne passa pas inaperçue. Perestroïka ou tout simplement volonté de désamorcer un brûlot qui pouvait devenir dangereux, les très officielles éditions Aufbau créèrent quelques mois encore avant la «Wende» (« Le tournant» d'octobre 1989) une nouvelle collection sous le vocable ambigu de Ausser der Reihe (Hors série), qui renvoie à la fois aux notions d'exceptionnel et de marginal. Avec la fin de la R.D.A., cette collection a cessé de paraître. Mais les auteurs, eux, ont créé leur propre maison d'édition Galrev.

Les littératures

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Un calendrier à remplir

Songerie

Chaque année porte un nom nouveau.
Elle recrée de belles choses,
Sans visibles métamorphoses,
Et rejoue les mêmes morceaux.

Y agissent des énergies.
Alternent grâces et ravages
Qui transforment les paysages,
Dynamisme de la magie!

Des millions de bébés vont naître,
Ouvrir les yeux face à l'amour,
Celui qui durera toujours.
Ô l'horreur qui détruit les êtres!

Ceux que la mort au loin emporte
N'endurent peine ni regret.
Les survivants, non épargnés,
S'ils sont meurtris ne la supportent.

Or la mémoire qui suit ses lois
Ensevelit ce qui offense
Ou cause une tristesse intense.
Comment en savoir le pourquoi?

2016! un nom éphémère.
Or qu'évoquera-t-il, plus tard?
Un splendide éveil, un départ?
Ma nature fait que j'espère.

24 janvier 2016

 

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Argument : Paul Verdi, professeur de Lettres au lycée Edith Cavell de Saint-Sauveur, retrouve chaque jour son casier rempli de détritus.

                                                                ***

  Sur le coup, Paul Verdi essaya de minimiser l’incident, mais il se reproduisit presque chaque jour. Le matin, il nettoyait son casier, qu’il appelait désormais son râtelier et dès le lendemain, il y retrouvait des légumes ou des fruits avariés, du vieux pain, des épluchures, des restes de repas, selon le menu du jour. Il fit une enquête minutieuse pour connaître ceux de ses élèves qui mangeaient à la cantine, établit de longues listes, observa, interrogea, hasarda des déductions qui s’avérèrent erronées, engagea quelques espions en quête de comportements insolites, et finalement ne trouva personne susceptible de le haïr avec une telle constance. L’affaire dura un trimestre, puis deux, et continua pendant les vacances de Pâques, car il retrouva son casier dans le même état à la rentrée, en plus de la poussière des plafonds éventrés. Après avoir mûrement réfléchi, il résolut de se transformer en vigile ; bien que peu enclin à ce rôle, il avait lu assez de romans policiers dans sa jeunesse pour savoir que la filature et la surveillance sont les clés des recherches bien menées. On vit donc Paul présent à toute heure, épiant, jetant des regards inquisiteurs autour de lui, se promenant dans les couloirs à l’affût des petits groupes réunis dans les classes après les cours, et, peu pressé de partir le soir, penché sur des copies ou des bulletins dans la Salle des Actes, lorsque le lycée était redevenu désert. 

— Eh bien ! Monsieur Verdi, lui lançait le concierge, surpris de trouver de la lumière à ces heures tardives, vous jouez les prolongations ce soir encore ? Attention, je ferme. 

  Et c’est avec réticence qu’il semblait se résoudre à s’en aller.

  Personne ne s’étonna de ses fréquentes visites à son casier ni de le voir écrire des dates et des heures dans son inséparable carnet. 

  Il parvint ainsi à établir le créneau horaire durant lequel le vandale opérait, et procédant par élimination, en conclut qu’il agissait entre 19h 30 et 20h 30, quand les pensionnaires dînaient à la cantine. Un jour, après avoir prévenu sa mère qu’il rentrerait fort tard, il se posta dans le parloir et attendit. 

  Le calme des fins de journée s’installa dans le bâtiment. Le soir tomba. Les passages se raréfièrent, les voix s’éparpil-lèrent. Des odeurs de cuisine alléchantes montaient par le grand escalier et lui chatouillaient les narines. Huit heures sonnaient quand des bruits retentirent dans les couloirs. C’étaient des pensionnaires revenant du réfectoire. Ils passèrent près de lui avant de sortir par le hall, et il les entendit s’éloigner dans la rue. Lorsque la minuterie s’éteignit, il se glissa dans l’ombre et constata que son casier était intact. Il reprit son poste derrière les rideaux de la porte vitrée. Bientôt résonna le pas lourd et claudicant du pied-bot Charbois, l’espion attitré de Charvache et surveillant du pensionnat, poussant devant lui quelqu’un qu’il avait dû surprendre à fumer dans les toilettes. 

— Non, menaçait-il, vous ne perdez rien pour attendre, mon gaillard, c’est moi qui vous le dis.   

  Peu après, quelques élèves arrivèrent, et son nom fut prononcé joyeusement comme une bonne plaisanterie. Il tressaillit. 

— J’espère qu’il ne sera pas déçu, fit quelqu’un qu’il reconnut comme l’un des siens.

— T’inquiète, répondit un autre, il a l’habitude. 

 

  Quelque chose tomba avec un bruit mat. Cette fois il le tenait. Il entrebâilla la porte : le couloir était désert. Il se précipita vers son casier, l’ouvrit fébrilement. D’une grande enveloppe glissèrent quelques copies de dissertation avec un mot signé de cinq élèves de Khâgne (Deuxième année supérieure d'études littéraires classiques) s’excusant de rendre tardivement leur devoir.

 

— Zut alors, pensa-t-il, dépité, voilà de quoi m’occuper ce soir.

 

  Remis de cette fausse alerte, il reprit son guet, et le lycée retomba dans le silence. Une demi-heure s’écoula, puis il entendit le concierge faire sa ronde en agitant ses trousseaux de clés, avant de monter couper les dernières lumières aux étages. Neuf heures sonnèrent. La grande porte se referma dans un fracas de vitres entrechoquées. La serrure se verrouilla d’un claquement sec. La loge s’éteignit, le hall sombra dans l’obscurité. Verdi comprit qu’il était condamné à poursuivre sa planque toute la nuit. 

  Heureusement, il avait prévu cette éventualité. Habitué à faire du camping

dans ses Cévennes natales, il avait mis un sac de couchage, un nécessaire de toilette et une serviette dans l’armoire de la petite salle des professeurs de français, au deuxième étage. Là, il serait tranquille, mais plongé dans le noir, toutes les fenêtres étant visibles du bâtiment opposé où logeait le proviseur. Il n’avait cours que le lendemain après-midi, et il essaierait de se faire discret.

  Les évènements récents lui trottaient dans la tête. Si personne n’avait agi ce soir, la nuit étant exclue, il ne restait que la matinée. Mais, raisonna-t-il, qui se risquerait à jeter des ordures dans son casier en plein jour, les couloirs étant fréquentés par une multitude d’élèves et de professeurs, sans parler du personnel administratif ?

  Il se mordit la lèvre. Il avait oublié un détail. Les femmes de ménage investissaient les lieux à sept heures, armées de seaux et de balais. Il lui faudrait déguerpir avant leur arrivée, être prêt à se glisser dehors sans être vu du concierge, qui balayait le hall et les marches de l’entrée dès l’ouverture du portail. Il devrait s’esquiver par les issues latérales donnant sur l’arrière-cour, et retourner dans le lycée en faisant semblant de venir du parking. Il devait compter sur une certaine chance. 

  Il dormit mal. Outre l’inconfort, l’endroit était éclairé par les lampadaires de la grande cour, et bien qu’il eût tiré les rideaux, la clarté le gênait. Minuit sonna à une horloge. Faute de trouver le sommeil, il se leva et arpenta les couloirs. La rue du commerce lui apparut par les baies vitrées, scintillante de pluie sous les néons et parcourue de rares voitures. Il regarda la grille fermée de l’entrée. Le concierge, premier levé, l’ouvrirait tôt. C’est alors que l’idée l’effleura, puis s’imposa brusquement comme une évidence. Le soir exclu, la matinée et l’après-midi peu propices à un acte anonyme, que restait-il sinon l’heure qui lui causait tant de soucis, et qui, pour un élève, était sans doute le moment rêvé : le surveillant ne prenait son poste qu’à 7h 45, et personne ne s’étonnait de voir ceux qui venaient de loin, tributaires d’un bus ou d’un train de banlieue, s’installer sur un banc devant une salle et réviser leurs leçons en attendant la sonnerie.

               

  L’idée de toucher au but le fit sourire. Enfin il allait avoir la solution de l’énigme qu’il avait cachée à tous, car il tenait à sa réputation. Il savait combien le mythe de l’enseignant parfait est tenace, et bien qu’il en doutât chez les autres, il se voulait de la race de ceux dont rien n’a terni le prestige. 

  À six heures, il était debout. Après une toilette sommaire, son sac à la main, il descendit l’escalier dans les premières lueurs du jour. À pas légers sur le parquet craquant du couloir, il gagna la salle des professeurs. Dans l’ombre, la machine à café ronronnait en rougeoyant. Il se servit deux gobelets, les avala d’un trait. Il en buvait rarement, mais aujourd’hui il devrait tromper sa faim. 

  Le hall s’animait. Il tendit l’oreille à des éclats de voix. Charvache sortait de son bureau avec sa servile secrétaire. Il partait prendre ses activités du mercredi au Syndicat des Proviseurs de Lycées et donnait ses dernières directives. Mlle Dombasle s’inclinait en répétant :

— Bien sûr, Monsieur de Proviseur, c’est entendu Monsieur le Proviseur, je ne manquerai pas Monsieur le Proviseur. 

  Après une ultime recommandation, il s’éloignait lorsqu’elle lui lança :

— Monsieur le Proviseur, n’oubliez pas votre parapluie ! 

  Il revint sur ses pas, s’empara de l’objet, et s’en alla. 

  Puis Desforges transporta des chaises dans le parloir, en pestant contre ceux qui les avaient retirées la veille. Il ne pourrait donc s’y cacher. Profitant d’un instant où il rejoignait sa loge en maugréant, il s’engagea dans le couloir et prit l’escalier menant à la sortie du parking. Devant la petite porte de la cour d’honneur, qu’il devait franchir pour contourner le bâtiment et gagner l’entrée principale, il s’arrêta net. Derrière la vitre, un visage familier apparut brièvement dans les phares d’une voiture qui arrivait. La fille lui tourna le dos en s’écartant pour la laisser passer sur la voie étroite, et il entrevit un sac en plastique qu’elle agrippait. Il fit demi-tour, remonta l’escalier à toutes jambes, et se hâta vers la salle des professeurs où il pénétra juste comme elle atteignait la dernière marche du grand perron. 

  Comment avait-il pu chercher si longtemps devant pareille évidence ? Les poubelles, bien sûr, les poubelles sorties près des cuisines, attendant les éboueurs qui arrivaient vers huit heures. Ni vue ni connue. Par l’entrebâillement, il l’aperçut qui venait du pas assuré de quelqu’un accomplissant une routine. C’est tout juste si elle jeta un regard vers la loge, de peur d’être observée. Puis, d’un geste vif, elle déversa le contenu du sac par la fente du casier, fourra le plastique dans la poche de son manteau. Elle dépassait la salle lorsqu’une main ferme lui saisit le bras. Elle eut un cri étouffé et resta interdite en le reconnaissant. 

— Bonjour, Léontine, quel bonheur de vous voir, je vous ai tant attendu ! fit-il d’une voix suave.  

  Il ne mentait certes pas, car, bien que cette rencontre lui eût coûté beaucoup d’efforts, de temps et d’incertitude, revenu de sa surprise, il en éprouvait un grand soulagement.

                

                                            (Copyrights Chloé des Lys 2015)

                                  

Jean-Claude Texier récite et mime en vidéo la première partie de cet extrait sur Arts et Lettres.
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L'écriture,

 

L'écriture est toute ma fortune,

point d'argent,  point d'or,

mais ce papier qui vole,

avec ce regard bleu,

 cerné de noir, ou l'inverse.

L'écriture est toute ma fortune,

elle arrive à l'instar d'une averse,

me bouleverse, peu lui importe,

la saison, ou bien l'heure ;

elle me fait don d'elle, toute entière,

elle doit grandir quelque part,

 pour ne jamais finir,

alors je lui obéis, j'écris.

les images, les couleurs déployées

 en chaque mot, se partagent de pages en pages.

L'écriture est ce corps qui touche,

 sans être jamais pris,

 qui pénètre votre esprit,

de votre vie s'approprie.

Lorsque j'écris, mon chat libre

me regarde.

NINA

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Un remerciement national

Songerie

Certains êtres mirent leur vie
Au service du bien d'autrui.
Ils connurent parfois la gloire,
Ont une place dans l'histoire.

Or les grands honneurs se méritent.
Il est exclu qu'on en hérite
Sans avoir, dans l'abnégation,
Oeuvré avec acharnement.

Je pense souvent aux héros
Qui ont souffert incognito,
Sans se laisser désespérer.
Très peu de gens les ont pleurés.

Fâchés contre le parlement,
Se sont exprimés récemment,
Des journalistes de la presse.
Ils l'accusent de maladresse.

Il aurait été important,
Plutôt que de parler d'argent,
Qu'ils soulignent à l'évidence,
De son erreur les conséquences.

Si des obsèques nationales
Paraissent désormais normales
Pour des citoyens fort connus,
Leurs bienfaits seront superflus.

Montréal, 23 janvier 2016

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administrateur théâtres

Il est coproducteur et codirecteur artistique du Festival Bruxellons qui chaque année rassemble un public enthousiaste pendant l’été au château du Karreveld. 20.000 spectateurs l’année dernière ! Il signait la co-mise en scène de la comédie musicale « La mélodie du bonheur »  en 2015 et rempile cette année avec un nouveau spectacle magnitude 7 sur l’échelle de l’émotion avec « Evita ». Les auditions vont bon train ! Ce soir, dans le cadre  coquet et feutré du théâtre de la Comédie Claude Volter, un lieu phare pour les habitants des communes bruxelloises de la Woluwe, il joue de près et sans filets avec ses co-équipiers bien rôdés: Fred Vanco et Caroline Braeckman.

images?q=tbn:ANd9GcRuuh4gfVf7nultYeHvfna9jEEyWRXa8njcxtCvb_5Yk5hHF5B2WASon nom ? C’est Jack, le maxi Cooper, le Magicien Magnifique qui débarque avec son dernier spectacle « Illusions », un Best of de 15 ans de patiente élaboration de tours de magie les plus fous.


Les spectateurs n’y verront que du feu : numéros interactifs, mentalisme, grandes illusions, manipulations de jeune magicien devenu grand avec anneaux chinois et cordes d’illusionnistes truffées de poésie distractive, télépathie, ombres chinoises et lévitation. Un répertoire basculant du jeu de cartes aux mots mystère du grand dictionnaire Larousse, il n’y a qu’un pas! Les découpages de corps qui glaçaient nos jeunes années, le regard collé à la télé en noir et blanc ne déçoivent pas non plus… sauf qu’on a évidemment beaucoup moins peur !

images?q=tbn:ANd9GcSzXaBC87tVjACnXegl4u6ulBLlannkYhHWkaj5Zy5_KHbV35gBZwChercher le truc ? Vous n’y pensez pas ! La présence incontournable de l’artiste empêche toute velléité d’espionnage scénique. Il déborde de vitalité et travaille en trois D : Dialogue intempestif avec la victime, haute Dissimulation et Démonstration infaillible de son art. Il houspille les timides, canalise les extravertis, barricade ses trucages et ouvre la porte du mystère à un public conquis Dès les premières minutes. Musique pompeuse d'accompagnement garantie, pour les amateurs de parodie!  Mais combien d’entre nous ne sommes pas de doux rêveurs avides de mensonges magnifiques? Et ce sont les ombres chinoises qui sont les plus poétiques! Le silence  profond répond alors au talent.

du Mercredi 13 Janvier au Dimanche 31 Janvier

ILLUSIONS

Jack COOPER

http://www.comedievolter.be/saison-2015-2016/illusions/

Site de l'artiste:

http://www.jackcooper.be/

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Villégiature à Londres,

 

Je m'en irai à Londres,

porteuse de ton ombre,

dans la brume insulaire,

j'errerai solitaire.

Les cloche de Big Ben

sonneront ton prénom,

en un son argenté ;

la Tamise à leurs pieds,

 deviendra bleue-lagon.

Je m'en irai à Londres,

agrandie par ton prénom,

sous la pluie diluvienne,

je songerai à la mer grise et verte,

tout le temps mouvementée,

au Sud de l'Angleterre.

Les cloches de Big Ben

célèbreront l'alliage de nos prénoms,

en un son inédit ;

la pluie exacerbée,

deviendra chaude et douce.

NINA

 

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« On pouvait se croire revenu au XVIIIe siècle, sous le règne du grand maharajah Jai Singh II, fondateur de la ville moderne de Jaipur, qui était réputé pour la splendeur de sa cour et la sagesse de son gouvernement. »,
                                                                                                              Guyatri Devi,

                                                                   qui fut la dernière maharani de Jaipur.

     L’observatoire de Jaipur n’est pas le premier bien sûr. J’ai déjà évoqué celui de Tycho Brahé sur l’île de Hven, construit en 1576. Si celui-ci a disparu, il reste la Tour ronde (Rundetårn) Copenhague, conçue en 1642 sous Christian IV. Plus loin dans le temps, Hipparque (ca 190-120 av. J.-C.) choisit l’île de Rhodes pour le sien.

La culture arabe, à l’acmé de son rayonnement, en construit à Damas, à Bagdad, aux IXe-Xe siècles, à Maragha en Perse en 1260, à Samarkand en 1420, la tour Galata à Istanbul, au Caire, à Cordoue, Tolède…

Beaucoup d’étoiles tiennent leurs noms de cette origine, comme Aldébaran, Altaïr, Bételgeuse… Bon, les énumérations al-Sufi*.


« Mais savez-vous ce qui rend Vénus si jolie de loin ?
C’est qu’elle est fort affreuse de près.
On a vu avec les lunettes d’approche que ce n’était qu’un amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues et apparemment fort sèches ;
et, par cette disposition, la surface d’une planète est la plus propre qu’il se puisse à renvoyer la lumière avec beaucoup plus d’éclat et de vivacité. »
                                    Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686.

     Pluralité des mondes, voilà un concept qui me plait. Revenons donc à Jaipur. Son observatoire historique n’est pas davantage le plus vieil actif. Le plus ancien observatoire actuel, toujours en activité, est celui de Paris. Il date de 1667.
     Ce n’est pas non plus le seul construit par Jai Singh II. Il entreprit d’abord de bâtir celui de Delhi en 1724, puis déménagea sa capitale d’Amber à Jaipur, avant de faire élever les observatoires de Vârânasî, Ujjain et Mathura. Néanmoins celui de Jaipur est le plus important et le mieux préservé.
     Pour l’heure, nous avons rendez-vous avec Vénus, celle qui apporte la paix des Planètes de Gustav Holst (1874-1934).

Sept planètes pour sept notes, une gamme de couleurs pour sept cycles tonaux (cycles tonanux, c'est redondant, non ?).

Création d'un monde, univers parfait et harmonieux, équilibre de la musique des sphères.

https://artsrtlettres.ning.com/video/holst-venus-from-the-planets-suite

Vénus, l’étoile du Matin, l’étoile du Soir, sera donc notre Berger.


La Tour ronde (1642) à Copenhague
abritait un observatoire astronomique à 35 mètres de haut…

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… et sa rampe hélicoïdale
qui permettait d’y acheminer les instruments astronomiques :

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Mais revenons à notre observatoire de Jaipur, avec le :

Narivalaya yantra :

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Son gnomon pointe vers le pôle, sa circonférence graduée en ghatis (heures) et palas (minutes). Il détermine la position du soleil et donne l’heure locale et l’heure indienne. Ou comment être clair tout en maniant la parabole.

Jai Prakash yantra :


Son invention est due à Jai lui-même. Deux coupes hémisphériques de marbre blanc de 5,5 mètres de diamètre chacune figurent les hémisphères célestes et sont utilisées alternativement d’heure en heure.
      Un anneau métallique est tendu en leurs centres, l’ombre y passant permet de calculer l’azimut, le méridien, la distance du zénith, la déclinaison et la longitude du soleil… Impressionnant, même si je n’y entends rien. Mais assurément un des objets les plus beaux et des plus intrigants, tout de marbre blanc.

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Et d’une beauté lactée. Séléné se baignant dans l’océan intergalactique…

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     Et, au clair de la lune, à Jaipur le soir, il suffit de s’installer dans la conque pour faire ses observations célestes nocturnes. Et chercher fortune.

Brihat Samrat yantra :

     Un cadran solaire géant ! Un triangle rectangle de 44 mètres de base, s’élevant à 27 mètres de haut à 27°. Et deux cadrans de 15 mètres gradués en heures, minutes, secondes donnant l’heure précise à la demi-seconde près ! Pas sûr que votre réveille-matin soit aussi exact. Ni votre montre à quartz aussi performante, puisqu’on obtient aussi la distance au zénith, la déclinaison et la distance des astres de jour comme de nuit. Une autre structure similaire, le Laghu Samrat yantra (décrit dans la seconde partie de cet article), existe sur le site qui permet de déterminer l’heure solaire.
En juin-juillet il permet toujours de prédire si la mousson sera favorable ou non à de bonnes récoltes ou que la disette s’annonce.

12273146694?profile=originalSawai Jai Singh II en grande conversation avec les émissaires portugais,

le père Figueiredo et Xavier de Silva (miniature indienne)


A la même époque, Louis XIV se piquait également d'astronomie, sans toutefois les mêmes compétences que Jai Singh II.

"Le Roi vouloit qu'on choifit quelques astronomes de l'Académie royale des sciences pour aller obferver à Marli en sa présence l'éclipse du Soleil" (1706) 

Aimant cependant à observer la danse des astres autour du Soleil, convoquant les Cassini de père en fils et neveu Maraldi, La Hire ou, plus tard, Lemonnier, sous le règne de Louis XV qui reprit cette même manie.

"Le 24 octobre, j'eus l'honneur de faire voir au Roi et à la cour la Comète",

Maraldi, 1724

"La présence de Sa Majesté qui a désiré voir Vénus plusieurs fois ]...[

n'a pas peu contribué au succès de toutes les déterminations." (1761)

Mais il est temps, je vous laisse au pied de cette fantastique rampe de lancement.

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      Dans mon Objectif Lune, j’ai à coup sûr commis des erreurs et approximations que vous voudrez bien pardonner. Mais, pour reprendre Fontenelle que je ne suis pas tout en le paraphrasant un peu, excusez du peu…


« Je dois avertir ceux qui ]qui auront lu mon billet[, et qui ont quelque connaissance de la physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire mais seulement les divertir en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et un peu plus égayée de qu’ils savent déjà plus solidement ; et j’avertis ceux pour qui ces matières sont nouvelles que j’ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. »


De même, les puristes voudont bien pardonner les traits d'humour :

quand le sujet est aride, je déride.

Mais peut-être cet extraordinaire site inspirera-t-il à un artiste sa Nuit étoilée.


      Van Gogh, passionné d’astronomie, fut sollicité par Camille Flammarion qui devait superviser l’installation du pavillon d’astronomie pour l’Exposition universelle de 1889.

https://artsrtlettres.ning.com/video/van-gogh-et-sa-nuit-toil-e-par-jean-pierre-luminet


« Et dans le nombre des études, il y en aura, j’espère, qui soient des tableaux.
Pour le Ciel étoilé, j’espère bien le peindre
et peut-être serai-je un de ces soirs dans le même champ labouré,
si le ciel est bien étincelant. »


      Henri Dutilleux (1916-2013), à son tour, s’en inspira pour sa symphonie (pas une bourrée) Timbres, espace, mouvement.

https://artsrtlettres.ning.com/video/henri-dutilleux-timbres-espaces-mouvement-ou-la-nuit-toil-e-part

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Détail d’un globe céleste du XVIe siècle.
Travail du Lombard Giovanni Antonio Vanosino de Varèse (1535-1593)

     Quant à Edgard Varèse (1883-1965), c’est à l’Astronomie hermétique de Paracelse (1493-1541 ; de son irrésistible véritable nom Philippus Theophrastus Bombastus van Hohenhein) qu’il se référa pour composer Arcana.

https://artsrtlettres.ning.com/video/edgard-varese-arcana-1926-1927-revised-1960

« Une étoile existe plus que tout le reste.

Celle-ci est l’étoile de l’Apocalypse.

La deuxième est celle de l’ascendant.

La troisième est celle des éléments qui sont quatre.

Outre celles-ci, il y a encore une autre étoile,

l’imagination
qui donne naissance à une nouvelle étoile

et à un nouveau ciel. »

A vous donc !

* Abn al-Rahman al-Sufi, dit parfois Azophi sous nos latitudes, l'astronome persan à qui on doit cette nomenclature et en l'honneur duquel on baptisa, si on permet le mot, un cratère lunaire.

Michel Lansardière (texte et photos)

Si vous souhaitez voir ou revoir la première partie de cet article, une présentation générale du site de Jantar Mantar, cliquez ci-dessous :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/jantar-mantar-quand-la-science-se-conjugue-avec-art-1-3

Ou, pour une présentation détaillée des différents instruments astronomiques, vous pouvez retrouver la première partie ici :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/les-instruments-du-maharadja-jantar-mantar-2-3

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Le premier fils

Ma mère aimait recevoir ses enfants.Son premier fils en particulier. Ah le premier fils. Celui issu de l'amour naissant. Les autres enfants viennent plus tard, par habitude peut-être, pour combler un vide. Un enfant unique c'est triste pour l'avenir. Il n'aura pas de frères ni de soeurs. Alors on lui en fait ! Et puis le premier fils c'est un coup d'arrêt au temps. Il vieillira au même rythme. La différence ne se verra pas trop à la fin. Les enfants qui suivent, eux, avec leur jeunesse tardive feront prendre conscience du temps écoulé, alors ... Alors le premier fils c'est comme un frère que l'on s'est fabriqué, un compagnon de route qui comprendra tout en même temps sans qu'il soit besoin d'expliquer.

Le premier fils de ma mère est né avant la seconde guerre mondiale. Combien de fois ai-je entendu les bombes tomber sur eux, les ponts qui s'écroulent sous les bombardements et surtout la famine, les gens qui courent partout pour aller nulle part, des gens qui tombent sous les balles. Et ma mère qui court avec ce frère sous le bras. Ce frère qui aura pour joujou d'enfant des vrais pistolets, de vrais combats pour cadeau de Noël ! Et quand le vacarme a cessé, qu'une lueur de paix s'est mise à briller, alors la rue a été parfumée les dimanche d'un "bouillon " de poule, de navets, de carottes et poireaux. Ce "bouillon " envahissait l'air à un kilomètre. Le village entier savait que c'était dimanche et que ma mère recevait son fils. Imaginez toutes les mères faisant pareil pour leur fils !

Ces deux-là avaient tant à se dire pourtant ils ne parlaient de rien. Ils ne faisaient qu' humer et savourer cette odeur et cette saveur synonymes de quiétude, de tranquillité.Personne ne venait plus les déranger en habit de soldat. Ils pouvaient manger la soupe avec le sourire. La rue était calme et le voisin n'était pas par hasard dans son jardin !

J'aime beaucoup cette odeur de pot au feu mais aussi du four où cuisent de petits gâteaux. Je sais ce que cela veut dire. Quelqu'un va venir pour jouir de la paix. Ce n'est plus mon frère mais son neveu. Il lui ressemble tant !


Souvenir éphémère du jour

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Silence et pianissimo

Très bon musicien lui-même, le philosophe V. Jankélévitch a consacré plusieurs ouvrages à la musique. Dans l’un d’eux, « La musique et l’ineffable », il souligne avec beaucoup de finesse l’importance du silence et du pianissimo. Ainsi plusieurs pages de Debussy ou de Fauré semblent lentement s’élever du silence puis se terminer sur une manière de réticence que le philosophe nomme joliment « une réserve mentale devant l’inexprimable (…), cette réserve ne tenant pas tant au déc...ouragement qu’au sens poétique et à l’entrevision d’un mystère ».
Ce mystérieux silence, ce presque rien dont naît la musique et où elle retourne est aussi pressenti en poésie par Mallarmé lorsqu’il nous rapporte : « je fis des pas dans la rue et reconnus en le son nul la corde tendue de l’instrument de musique, qui était oublié et que le glorieux Souvenir certainement venait de visiter de son aile ou d’une palme ». Ailleurs encore : « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets ».
A mes yeux, la musique et la poésie sont tissées d’un même mystère : leurs enchantements sont consanguins. Peut-être la musique est-elle une poésie sans image…

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La littérature alchimique, l'une des plus vastes qui soient, compte, en Occident, en Orient et en Extrême-Orient, des milliers d'ouvrages dont la plupart n'ont été ni traduits, ni imprimés ni même recensés exactement. Des centres alchimiques importants, Prague, par exemple, en Europe, Fez et Le Caire, en Afrique, ont conservé de précieux manuscrits anciens qui sont encore ignorés des historiens.

Quand, vers 1910, le père Wieger compulsa les collections de la patrologie taoïste du Pai-yunn-koan, à Pékin, et du Zushoryo, à Tokyo, il ne supposait pas que les traités alchimiques ainsi découverts allaient changer toutes les conceptions généralement admises, depuis Berthelot, sur les origines et l'évolution de l'alchimie.

Des textes fondamentaux, ceux du corpus alchimique traditionnel, comme L'Entrée ouverte au palais fermé du roi d'Eyrenée Philalèthe, ou Le Triomphe hermétique de Limojon de Saint-Didier, ne pouvaient être consultés que dans des éditions anciennes, souvent fautives, sans le moindre éclairage critique. On comprend d'autant moins l'état d'abandon dans lequel on a laissé ce domaine que ces oeuvres, souvent admirablement illustrées, présentent une aussi grande importance pour l'histoire de l'art que pour l'histoire des sciences.

 

La diversité des oeuvres

 

Dans l'état actuel de nos connaissances, il est donc plus utile de tenter d'éclairer et de préciser les méthodes d'approche et d'examen de la littérature alchimique que d'en dresser un inventaire qui serait souvent inexact ou superficiel. On la divisera, dans les limites de l'alchimie occidentale, en quatre catégories d'ouvrages:

 

1.Les oeuvres attribuées à des adeptes, c'est-à-dire à des maîtres auxquels la tradition reconnaît l'autorité d'un enseignement théorique fondé sur l'élaboration expérimentale du Grand Oeuvre et sur la possession réelle de la pierre philosophale. L'ensemble de ces traités constitue ce que nous nommons le corpus alchimique traditionnel.

 

2.Les ouvrages ayant pour objet l'étude des transmutations métalliques. Certains ont été attribués à des alchimistes; d'autres ont pour auteurs des chimistes anciens, par exemple, Kunckel et Becher.

 

3.Les ouvrages pharmaceutiques et médicaux fondés sur l'interprétation iatrochimique des théories alchimiques et sur l'application de ces doctrines à la préparation des médicaments et à la guérison des maladies.

 

4.Les ouvrages littéraires et philosophiques inspirés par la gnose alchimique et par son langage symbolique.

 

Entre ces quatre catégories, trop souvent confondues entre elles par les historiens des sciences, existent des différences importantes. La première, la plus évidente, est quantitative. Le corpus alchimique traditionnel compte seulement une vingtaine d'auteurs parmi lesquels nous citerons les noms mythiques ou réels d'Hermès (La Table d'émeraude, et les commentaires d'Hortulain), d'Arnauld de Villeneuve, de Geber, d'Artéphius, de Roger Bacon, de Raymond Lulle, de Nicolas Valois, de Bernard le Trévisan, de Thomas Norton, de George Ripley, de Michael Sedziwoj (Sendivogius), de Venceslas Lavinius de Moravie, de Basile Valentin, de Jean d'Espagnet, de Limojon de Saint-Didier, d'Eyrenée Philalèthe. À notre époque, les alchimistes ont ajouté à cette liste le pseudonyme déjà célèbre d'un adepte inconnu: Fulcanelli, dont l'oeuvre majeure, Les Demeures philosophales, publiée en 1930 dans sa première édition, a éclairé profondément les études alchimiques traditionnelles.

Les trois autres catégories d'ouvrages, en revanche, comptent plusieurs milliers d'auteurs et de titres. Borel et Lenglet-Dufresnoy, voici plus de deux siècles, en fixaient le nombre à six mille. D'autres collections mentionnent vingt mille titres. Si l'on y ajoute la difficulté d'accès de ces textes, dont la plupart sont rédigés en latin «scientifique», c'est-à-dire dans une langue assez différente du latin classique, on comprend aisément que les historiens soient fort loin de connaître tous ces ouvrages dont la lecture, souvent fastidieuse et décevante, exige une inlassable patience.

Certains auteurs classiques, comme, par exemple, Bernard Trévisan, appelé parfois «le Trévisan», ou «le bon Trévisan» parce qu'on le jugeait «plus charitable», c'est-à-dire moins obscur et moins «jaloux de sa science» que d'autres adeptes, n'ont pas caché le temps considérable qu'ils consacrèrent à leurs recherches. Ayant commencé à lire Rhazès à l'âge de quatorze ans, «le bon Trévisan» avoue qu'il ne découvrit le sens véritable du corpus traditionnel qu'à l'âge de soixante-treize ans.

Le cas du Trévisan n'est pas exceptionnel. La littérature alchimique a fait de la lecture même de ses oeuvres une épreuve initiatique et c'est là, sans doute, son caractère le plus déconcertant, le plus étranger au moins à nos méthodes didactiques actuelles. Aussi convient-il d'essayer de comprendre les structures cryptographiques originales de ces textes dans la généralité de leurs propos et de leurs fonctions.

 

Le langage alchimique

 

Dans une étude publiée par la revue Critique, en 1953, Michel Butor a analysé avec beaucoup de clarté les problèmes posés par l'alchimie et son langage: «Tant qu'une transmission orale était la règle, écrit-il, ces livres ont pu être des sortes d'aide-mémoire, chiffrés de façon très simple. Pour avoir un exposé de la suite des manipulations prévues et des transformations cherchées, il suffisait de décoder, de même qu'il suffit de savoir un peu de latin pour découvrir dans un missel quels sont les gestes qu'accomplit le prêtre chrétien à l'autel et les paroles qu'il prononce, en laissant entre parenthèses la signification théologique de tout cela. Mais, au fur et à mesure que cet enseignement oral devenait l'exception, les maîtres se sont mis à faire des livres qui, de plus en plus, suffisent à l'initiation. Ce sont des documents chiffrés, mais qui invitent le lecteur à venir à bout de ce chiffre. [...]. L'alchimiste considère cette difficulté d'accès comme essentielle, car il s'agit de transformer la mentalité du lecteur afin de le rendre capable de percevoir le sens des actes décrits. Si le chiffre était extérieur au texte, il pourrait être aisément violé, il serait en fait inefficace. Le chiffre employé n'est pas conventionnel, mais il découle naturellement de la vérité qu'il cache. Il est donc vain de chercher quel aspect du symbolisme est destiné à égarer. Tout égare et révèle à la fois.»

Dans sa conclusion, Michel Butor montre bien la fonction principale de ces structures cryptographiques: «Le langage alchimique est un instrument d'une extrême souplesse, qui permet de décrire des opérations avec précision tout en les situant par rapport à une conception générale de la réalité. C'est ce qui fait sa difficulté et son intérêt. Le lecteur qui veut comprendre l'emploi d'un seul mot dans un passage précis ne peut y parvenir qu'en reconstituant peu à peu une architecture mentale ancienne. Il oblige ainsi au réveil des régions de conscience obscurcies.»

Ainsi la lecture profane devient-elle une quête initiatique du «Sens», et nous retrouvons ici ce que nous avons signalé précédemment à propos de la gnose jabirienne, de la «science de la Balance»: À toute genèse correspond une exégèse, mais, dans le cas de la tradition écrite, c'est, inversement, de l'exégèse que dépend la genèse.

En effet, la recherche de la pierre philosophale, ses énigmes et ses pièges, l'extrême fascination de l'or, des pouvoirs et du savoir que les alchimistes attendaient de sa possession, suscitaient dans leur esprit une obsession, un monoïdéisme qui s'étendait, au cours de leurs longues et pénibles recherches, à toutes les zones claires et obscures de leur conscience. Sensations, imagination, discours, songes et fluctuations mentales s'y absorbaient. Peu à peu se formait ainsi un centre, un noyau psychique rayonnant autour duquel se rassemblaient et gravitaient leurs puissances intérieures. En même temps se décantait l'humus des motivations irrationnelles autour d'images d'un désir transféré à la dimension même du cosmos, à des unions nuptiales planétaires, minérales et métalliques, ardemment entretenues et amoureusement contemplées. Ce processus de concentration illuminative n'est pas moins évident dans d'autres disciplines ésotériques et mystiques. On le retrouve dans le bouddhisme zen, dans le yoga, dans les oraisons hésychastes de l'Église d'Orient, dans le dhikr du soufisme islamique. Le monoïdéisme centre l'intention du coeur sur l'objet du désir. «Pour visiter les jardins du souvenir, enseignent les maîtres, il faut frapper à la même porte jusqu'à s'user les doigts.»

Toutefois, cette explication psychologique ne doit pas être considérée comme seule capable de rendre compte des structures cryptographiques de l'alchimie. Il ne faut pas négliger leurs raisons positives. Pour en donner quelque aperçu, imaginons que nos physiciens aient décidé de se communiquer leurs expériences sur la radioactivité artificielle, sans les révéler ni à la majeure partie de leurs collègues ni aux pouvoirs publics, tout en laissant à une élite la possibilité d'accéder à leurs connaissances.

D'une part, craignant la perspicacité des autres savants, ils auraient été dans l'obligation de leur tendre des pièges plus ou moins subtils en laissant subsister de constantes équivoques sur leurs buts véritables comme sur leurs procédés expérimentaux. D'autre part, dans la mesure où la poursuite de leurs recherches exigeait des crédits, il leur aurait été indispensable de les justifier par l'importance extraordinaire des résultats pratiques et, par exemple, financiers, que l'on en pouvait attendre. Enfin, comme ils se seraient souciés, néanmoins, de transmettre à de futurs chercheurs leurs observations sur les propriétés réelles des corps qu'ils venaient de découvrir, ils auraient marqué la différence de ces éléments artificiels avec les éléments naturels par quelque procédé simple et discret, les nommant, par exemple, «notre» plomb, «notre» mercure, «notre» or, comme l'ont fait constamment les alchimistes.

Cependant, les ressources ordinaires de la cryptographie auraient été insuffisantes si l'on s'était borné à laisser dans ces messages une clef qui pouvait être imaginée par le décrypteur. En revanche, si cette clef était elle-même la structure caractéristique de l'un de ces corps radioactifs artificiels, les messages présentaient un seuil d'intelligibilité qui se confondait pratiquement avec le seuil des expériences décrites, et leurs lecteurs ne pouvaient être, dès lors, que des «réinventeurs».

Le seul danger auquel s'exposait ce système était le hasard qui, on le sait, a joué un rôle considérable dans l'histoire des sciences. Mais les probabilités de reconstituer un processus expérimental pondéralement rigoureux, comprenant des opérations successives et qui dépendent, en outre, de conditions cosmologiques strictement déterminées, comme dans le cas de l'élaboration de l'oeuvre alchimique, sont pratiquement négligeables.

 

La quête de l'impossible

 

On voit ainsi que le vrai problème aurait été celui de l'ouverture d'un tel système plutôt que celui de sa fermeture. Et c'est là que les alchimistes ont fait preuve d'un véritable génie cryptographique. Ils ont utilisé le principal piège qu'ils tendaient aux avides et aux ignorants pour ouvrir à leurs disciples la porte de leur jardin. Ils ont compris, en effet, que, seule, la quête de l'impossible, de l'irréalisable, était capable de mobiliser toutes les ressources intellectuelles, morales et spirituelles de certains hommes, jusqu'à ce point critique d'une illumination, qui leur livrerait, selon l'admirable expression d'André Breton «l'ombre avec sa proie fondues dans un éclair unique». Ainsi les maîtres de l'alchimie ont-ils confié à l'espoir la vraie clef du jardin des Hespérides, comme à sa quête héroïque la Toison d'Or. Car il savaient, par leur propre expérience, qu'ils ne devraient craindre aucune divulgation de la part de ceux qui auraient payé si chèrement leur accès à la «haute science». L'histoire a justifié leurs prévisions. Depuis plus de vingt siècles, les secrets expérimentaux du Grand Oeuvre n'ont jamais été dévoilés, selon ce qu'enseignait déjà l'adage de Lao-Tseu: «Celui qui parle ne sait pas; celui qui sait ne parle pas.» Martyrisé, un adepte, Alexandre Sethon, auquel l'Électeur de Saxe voulut arracher par les tortures le secret des transmutations qu'il venait d'opérer publiquement, garda dans les tourments le même silence qu'il avait opposé auparavant à l'avide curiosité du prince et à ses promesses.

L'idéal scientifique et philosophique de l'alchimie traditionnelle forme ainsi un frappant contraste avec les buts des recherches désordonnées des «souffleurs», pseudo-alchimistes, charlatans et faussaires qui, à toutes les époques, ont trouvé, dans les sciences anciennes, obscures et généralement ignorées, de nouveaux moyens d'abuser de la crédulité publique. La différence de qualité littéraire entre les textes classiques de l'alchimie et les compilations de recettes et de procédés que les historiens des sciences nomment abusivement «alchimiques» n'est pas moins évidente. Le symbolisme véritable ne s'imite point, car sa cohérence profonde, pour ainsi dire musicale, défie les plus ingénieux procédés de composition. On voit, d'ailleurs, sur des gravures alchimiques et sur des motifs décoratifs de «demeures philosophales», la représentation assez fréquente d'instruments qui évoquent l'«Art de Musique», ancien nom de l'alchimie.

Les rapports entre la métallurgie et la musique sont mentionnés déjà par Strabon, par Solin et par Plutarque. Selon Aristide Quintilien, la musique désigne, en général, «ce qui régit et coordonne tout ce que la nature enferme dans son sein». Ptolémée, dans ses Harmoniques, assimile les mouvements astronomiques aux phénomènes musicaux. Ces correspondances symboliques étaient encore bien connues à l'époque médiévale. Près des mines de Kutná-Hora, en Tchécoslovaquie, dans l'ancienne église, une fresque du XIVe siècle montre, dans sa partie supérieure, des anges musiciens, dans sa partie inférieure, la fabrication de la monnaie et ses diverses opérations minières et métallurgiques. Certains ouvrages alchimiques et, par exemple, l'Atalanta fugiens, de Michel Maier, aux célèbres gravures, contiennent aussi des partitions musicales.

La diversité des moyens d'expression du symbolisme, dans la littérature alchimique, n'est pas moins remarquable que sa cohérence interne et la richesse de ses correspondances analogiques.

 

 

L'univers symbolique du Grand Oeuvre

 

La littérature alchimique et son langage, tels que le corpus traditionnel occidental en présente les témoignages, ont eu pour but principal de transmettre, sous le voile de leurs structures particulières et grâce à elles, une révélation et une illumination qui dépendaient d'un seuil d'éveil intérieur. En le franchissant, le néophyte pénétrait dans cet «autre monde» qu'est l'univers du Grand Oeuvre. Ainsi l'exploration de cette nébuleuse logique lointaine exigeait-elle un long voyage à travers le temps, un passage à un temps mythique, le temps démiurgique de toute genèse.

L'instrument de cette extraordinaire navigation intérieure était spécialement composé pour un tel usage et seulement par ceux qui l'avait accomplie déjà jusqu'à son terme. C'est pourquoi le livre alchimique traditionnel est inimitable techniquement, car sa composition complexe et, surtout, l'énergie subtile et l'influence spirituelle dont il est chargé en font à la fois un véhicule «hermétiquement clos» et un message substitué magiquement à la présence même du maître. En ce sens, on doit rapprocher la fonction initiatique de ces traités du rôle du mandala tibétain, cercle magique et diagramme de projection d'un panthéon symbolique, dont le but est de servir de support à la concentration illuminative. Le mandala, le plus souvent, est dessiné sur la terre, de même qu'étaient tracés sur le sol les emblèmes de l'ancienne maçonnerie opérative avant l'ouverture des travaux; ils étaient effacés après la fermeture rituelle. Les modernes «tapis de loges» de la maçonnerie spéculative n'ont pas d'autre origine. On voit par cet exemple que l'impression des représentations symboliques a fixé sous les formes stables du livre ce qui, primitivement, devait être reconstruit entièrement avant d'être déchiffré et aussi afin de pouvoir être véritablement compris. En d'autres termes, nos civilisations ont substitué l'exégèse intellectuelle ou spéculative à l'exégèse opérative, avec les avantages et les inconvénients que comporte cette évolution qui n'a pas été assez attentivement analysée.

Au terme de son pèlerinage alchimique, le néophyte, ayant découvert la mystérieuse «matière première» du Grand Oeuvre, symbole de la Terre sainte, trouvait aussi le livre des livres, «la mère du Livre», et, de nouveau, il devait, comme un enfant, lui demander de l'instruire. Ce microcosme «minéral et métallique», selon le témoignage unanime des adeptes, n'est pas une abstraction métaphysique ni un pieux artifice imaginé pour les besoins d'une philosophie occulte purement contemplative.

L'univers alchimique est à la fois subjectif et objectif, imaginaire et réel, spirituel et matériel. C'est, selon la juste expression d'Henry Corbin, un monde «imaginal». Pour entendre ce terme, il faut admettre l'existence de la perception imaginative de structures dont l'ordre et la cohérence dépendent de lois non quantifiables, mais aussi certaines que celles qui régissent les structures du monde des phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le «beau est la splendeur du vrai» et que les structures «imaginales» existent éminemment puisqu'elles répondent à une intensité de la perception à laquelle, sans l'artiste, nos sens n'atteindraient jamais. Si paradoxale que semble cette proposition, l'art est une physique expérimentale non moins objective que la physique quantifiable, et qui dépend seulement de lois bien trop complexes pour être réduites dans l'état actuel de nos connaissances à des systèmes rationnels, ce qui, d'ailleurs, ne prouve nullement qu'elles soient irrationnelles.

 

Le règne de l'homme

 

L'exemple de l'art, en effet, éclaire tout le problème de la nature matérielle et spirituelle de l'alchimie. Demande-t-on à un peintre s'il est vrai qu'il utilise des couleurs palpables et des métaux comme le chrome et le cobalt? Et s'il répond que son problème consiste à trouver un certain jaune, et un bleu qui l'obsède, devra-t-on en déduire que la peinture n'est qu'une préchimie des colorants? On doit rappeler que l'alchimie a été nommée «art sacré», «art sacerdotal», que ses adeptes portent le nom d'«artistes», et que ce n'est pas sans de pertinentes raisons que leur travail a été désigné par l'expression caractéristique de Grand Oeuvre.

Or tout art est inconcevable sans une matière, et c'est pourquoi la notion d'alchimie «spirituelle» ou purement «psychologique» est aberrante, car elle méconnaît la fonction principale de l'alchimie: délivrer l'esprit par la matière en délivrant la matière elle-même par l'esprit. Cette mutuelle délivrance ne peut être accomplie que par l'art suprême, le traditionnel «Art d'Amour» de la chevalerie de tous les temps. Loin de refuser ou de nier l'incarnation, non seulement l'alchimie l'affirme car elle la contemple, mais encore elle la glorifie. La délivrance n'est pas une évasion, c'est une nouvelle naissance, une seconde genèse; celle du règne de l'homme qui achève par l'art l'oeuvre de la nature, ce qui confirme aussi son entière et lourde responsabilité terrestre. Aucun roi n'est innocent. L'homme est à la fois la matière et l'alchimiste du Grand Oeuvre de l'histoire. Presque tous ses drames naissent de ses erreurs d'interprétation des enseignements qu'il a reçus à un âge où il ne savait presque rien, et qu'il lui faut réinventer. C'est ce qu'annnonce un vitrail alchimique où l'on voit Dieu créant le monde et l'homme, et où l'on peut lire ces mots: «Comment fut fait notre premier père, en belle et due image de Dieu. Comment il nous le faut refaire.»

Dans cette perspective, le sujet du Grand Oeuvre minéral et métallique portait aussi le nom d'«Adam». En quelque sorte, il enseignait mystérieusement à l'alchimiste les principaux changements de la condition humaine, par une double analogie de cet «archétype expérimental» avec le processus initiatique et de l'initiation elle-même avec l'histoire universelle. Là encore, le problème des structures imaginales se pose, car elles perturbent, dans ce cas, nos conceptions logiques du temps. Nous ne pouvons guère attendre qu'une expression comme celle de «niveaux de temps» nous éclaire, et cependant son contenu peut nous aider à comprendre le temps et ses profondes modifications dans l'univers alchimique. Cet espace fermé, ces labyrinthes, ces lueurs soudaines, ces ténèbres, cette galerie de miroirs entre lesquels circulent des rois, des dragons, des enfants, des déesses nues, des couples d'amoureux, des musiciens, tout un peuple d'acteurs qui, cependant, ne montre point leur vrai visage, cette machinerie, ce théâtre, ces palais déserts, peu à peu, désorientent, troublent, égarent le voyageur par leurs interférences comme par l'absence de tout critère extérieur de réalité.

Si l'on imagine l'effet produit par des dizaines d'années de méditation quotidienne sur ces thèmes symboliques, on voit que l'alchimiste, comme le moine tibétain devant son mandala, était, en quelque sorte, transféré finalement dans le cercle magique d'un autre «espace-temps» où il risquait d'être absorbé sans retour. Dans ces conditions, le travail matériel et les manipulations expérimentales des arts du feu, qui ne tolèrent aucune faute d'attention, étaient indispensables à l'équilibre des puissances intérieures engagées dans la quête alchimique.

Ce fut là, sans doute, l'un des aspects didactiques les plus originaux et les plus dignes d'intérêt de cette science traditionnelle. Les alchimistes ont exigé de leurs disciples qu'ils complètent les travaux du laboratoire par l'oeuvre de l'oratoire, et qu'ils éprouvent la réalité de leur foi comme de leurs théories par l'observation «des choses qui ne savent pas mentir». Par cette double discipline, «les plus illustres rêveurs dont l'humanité ait connaissance» nous montrent qu'il ne faut exclure ni la sagesse ni le bon sens du profond royaume de leurs songes.

 

Les littératures

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Au coeur de l'existence

Pantoum

 

Ce jour la lumière éblouit,

Répand une vive allégresse,

Comble mon être qui paresse.

J'éprouve un émoi inouï.

 

Répand une vive allégresse,

Là où je vis au ralenti.

J'éprouve un émoi inouï,

Ineffable suave ivresse.

 

Là où je vis au ralenti,

Des grâces au ciel paraissent.

Ineffable suave ivresse.

 Ce qui fut glisse dans l'oubli.

 

Des grâces au ciel paraissent,

Espace empli de poésie.

Ce qui fut glisse dans l'oubli.

Ô que cette énergie ne cesse!

 

22 janvier 2016

                                                                             

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Les racines de la littérature albanaise s'identifient aux sources de la culture catholique des Guègues, les Albanais du Nord. Les premiers mots imprimés de l'albanais se trouvent dans une formule de baptême transcrite en 1462 par l'archevêque de Durrës, Pal Engjëlli, dans un texte latin. Le premier ouvrage en albanais est le Missel publié à Rome en 1555 par le prélat de la région de Tivar, Gjon Buzuku. Suivirent au XVIIe siècle les oeuvres d'inspiration religieuse des évêques Pjetër Budi, Pjetër Bogdani et Frang Bardhi. Ces auteurs firent preuve d'un souci constant de défense de la langue albanaise menacée, dans le contexte de la domination ottomane, par de nombreux emprunts turcs.

Dans le cadre du processus d'islamisation qui aboutit à la conversion de 70p.100 de la population se développa, au XVIIIe siècle, un courant marqué par l'influence des cultures arabe, persane et turque. Nezim Frakulla, Sulejman Naibi, Hasan Zyko Kamberi et Mehmet Kyçyku écrivirent en albanais avec des caractères arabes des poésies mystiques et des poèmes d'amour.

La période du Réveil national s'étend de la première moitié du XIXe siècle jusqu'à 1912, date de l'indépendance. La littérature se mit au service du mouvement qui avait pour objectif d'éveiller la conscience nationale et d'obtenir l'émancipation. Les plus grands écrivains furent des Albanais expatriés bénéficiant de facilités d'impression à l'étranger.

La communauté albanaise émigrée depuis le XVe siècle en Italie du Sud et en Sicile, appelée arbëresh (de l'ancien nom national d'Arbëri), a apporté une contribution essentielle à la littérature. Celle-ci se développa au XIXe siècle sous la plume d'auteurs qui collectèrent la poésie orale. Le plus éminent, Jeronim de Rada (1814-1903), orthodoxe de Cosenza, publia à Naples en 1836 Les Chants de Milosao, inspirés de l'histoire albanaise du XVe siècle. Gavril Dara, Zef Serembe, Zef Schiro s'inscrivent dans le même courant littéraire inspiré du folklore.

Parmi les plus prestigieux écrivains de la diaspora figurent les frères Frashëri dont Naim, né dans la région tosque de Korçë (1846-1900), qui publia en 1886, à Istanbul Bucoliques et Géorgiques, poèmes célébrant les beautés de la nature albanaise, et, en 1898, une Histoire de Georges Castriote Scanderbeg, le héros national qui organisa la résistance contre les Turcs au XVe siècle et fut une source d'inspiration constante dans la littérature. Çajupi (1866-1930), émigré en Égypte, est connu pour son oeuvre lyrique, Le Père Romor, ses pièces de théâtre et ses traductions des fables de La Fontaine. Thimi Mitko (1920-1890) édita en Égypte un recueil de folklore, L'Abeille albanaise. Du Liban, lepoète Pashko Vasa (1825-1892) appela à l'union nationale dans la poésie Pauvre Albanie; Consacrée à la poésie patriotique, l'oeuvre d'Asdreni (1872-1947), de la diaspora albanaise de Roumanie, est d'une riche métrique. Faik Konica (1875-1943), grand essayiste et romancier, dirigea la revue Dielli (Le Soleil) des émigrés des États-Unis.

La littérature moderne d'après l'indépendance suivit la tradition d'une littérature militante tout en s'ouvrant aux influences étrangères. Fan Noli (1882-1965), prêtre orthodoxe émigré aux États-Unis, revint au pays et dirigea, en 1924, le premier gouvernement démocratique albanais. Il publia à Boston de nombreuses oeuvres à caractère politique inspirées de sujets bibliques, fut le pionnier de la critique littéraire et le traducteur en albanais de Shakespeare et Cervantes. Le jésuite Ndre Mjeda (1866-1937), linguiste et poète, composa un recueil de vers (Juvenilia) et le prêtre franciscain Gjergj Fishta (1871-1940) perpétra la tradition poétique guègue dans le chant épique Le Luth de la montagne. Migjeni (1911-1937), écrivain de Shkodër, apporta un souffle nouveau dans Vers libres, lamentations contre la misère du peuple albanais et l'injustice sociale.

Le réalisme socialiste apparut après la prise de pouvoir des communistes en 1945. Les auteurs non conformistes furent persécutés. Quelques écrivains émergent: le poète Llazar Siliqi, les romanciers Dritëro Agolli, Fatmir Gjata, Zihni Sako, Dhimitër Shuteriqi. Ismaïl Kadaré, né en 1936, est traduit dans le monde entier. Poète à l'origine, il connut la célébrité avec son premier roman, Le Général de l'armée morte, suivi de nombreux romans, dont Chronique de la ville de pierre, son autre chef-d'oeuvre. Kadaré se situa tantôt dans la subversion, tantôt dans le soutien de l'appareil du parti: Le Grand Hiver ou La Niche de la honte ne sont pas des romans historiques, mais des oeuvres allégoriques où il manie le grotesque pour critiquer le système politique. En 1990, Kadaré fit le choix d'émigrer en France.

Parmi les écrivains exilés sous la dictature d'Enver Hodja figurent deux universitaires et grands poètes. Martin Camaj a publié de nombreux recueils de poèmes dont Dranja (1981), suite de madrigaux en prose. Il témoigne de sa fidélité aux coutumes ancestrales des Guègues, comme Arshi Pipa, fondateur de la revue Albanica (New York), qui composé des chants épiques et le Livre de prison, poésies écrites dans le secret au cours de ses dix années dans les prisons staliniennes.

La littérature des Albanais de Yougoslavie (Kosovo) est de création récente, consacrée à la poésie et aux motifs d'inspiration nationale: Enver Gjergjeku, Muhamet Kërveshi; au roman: Tajar Halibi, Ramiz Kelmeti; aux nouvelles: Rexhep Qosja; au théâtre: Josip Rela.

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Mon récit "Agir et accueillir", bientôt réédité(chez Brumerge, à Grenoble), préfacé et prolongé d'un chapitre "Six ans après".

4è de couverture: Le cancer. Le monde vacille et se teinte de couleurs incertaines. Ecrire Agir et Accueillir a d'abord été une manière de négocier avec les fantômes. Il ne suffisait pas de sortir de soi, il fallait encore pousser d'autres portes, partir se balader sur les chemins de ronde des rêves et de l'imaginaire, et y inviter les autres. Agir et accueillir…depuis fin 2008, ces mots ont été mes guides. Ce sont eux qui continuent à me faire avancer. Six années ont passé et je tiens plus ou moins la route. En attestent les dernières pages, écrites dans un nouveau présent forcément relié à l'ancien.

Pour les membres d'Arts et Lettres, un petit présent, un poème qui se retrouve dans le livre.

Pour vous

Des angoisses dans la tête épaisses comme la nuit,
une sensation de vide qui me tire vers le bas,
la vie qui s’échappe trop vite
comme du sable entre mes doigts

A ces moments je pense à vous inlassablement présents

Tant que nous partagerons nos rêves et nos peines
et qu’on me tiendra bien fort la main,
tant que je verrai de la douceur dans vos regards
et que vous m’accompagnerez dans mon voyage,

je surmonterai mes peurs et je regarderai devant moi

Et si un jour je vous prends dans mes bras,
ne me demandez pas pourquoi,
je profiterai simplement de l’instant,
de la force et de la joie et que vous m’offrez.

***

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VOUS, LES FLEURS...

Iris jaunes ou bleus, parfum subtil...

Tiges ambitieuses, coroles fragiles.

Coquelicots fous au vent d'été

Ephémères symboles de la beauté!

Marguerites fraîches au ras des pelouse...

Secrets d'amour que l'on jalouse.

Roses blanches ou rouges

Offertes au soir, quand rien ne bouge...

Lilas aux effluves qui dansent

Si le printemps est en partance!

Œillets rougis, senteur sauvage

Près de mon cœur pris en otage...

Et puisque je rêve aux bleuets...

Ne point oublier, je promets!

Quand mimosas en mousse s'élance...

Couleur poussin, ciel de Provence!

Tulipes aux branches sinueuses

Ardent printemps, humeur frileuse...

Superbe! Si fière branche d'orchidée...

Offrant beauté sophistiquée!

Les anémones, tels des drapeaux

Nous signalent que le temps sera beau!

Le muguet fait tourner les tête

Et tant pis, si c'est un peu bête!

Et puis, à celles que l'on oublie...

Petites splendeurs trop bien tapies

Merci, d'exister quelque part...

Sur les chemins de nos regards!

J.G.

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