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Un destin américain ( I )

Les fantômes nous hantent-ils ? Quand j’avais treize ou quatorze ans je me rendais utile chez ma tante à quelques petits travaux : cueillir des fruits, repeindre des vieilles portes, ranger la remise etc… En contrepartie je ne recevais pas d’argent mais j’avais le bonheur d’être bien reçu. Cette tante là avait de bonnes manières. Toujours tirée à quatre épingles, elle était veuve et vivait avec sa fille qui avait à peu près mon âge. Elle ne sortait pas de chez elle mais curieusement on pouvait penser qu’elle s’y préparait en permanence. Ces belles manières, cette élégance lui venaient du métier de gouvernante qu’elle avait exercé à Paris dans les années 40. Elle devait avoir à cette époque autour de 26 ans. Après le repas qu’elle savait si bien présenter et au cours duquel il me semblait être un invité de marque, elle se préparait à sa rencontre quotidienne.

S’installant devant le miroir elle peignait scrupuleusement ses beaux cheveux roux fraichement lavés avec une délicatesse pensive comme si chaque coup de peigne eut pu déranger une grave réflexion se mettant en route. Elle plaçait et replaçait avec les doigts les boucles naturelles et vérifiait attentivement dans le miroir si cela lui convenait. Elle frottait ensuite son visage à l’aide d’une pelure d’orange, masquait la peau d’une couche épaisse de crème blanche, logeait deux ronds de concombre sur les paupières et semblait attendre un miracle s’opérer ! Elle enfilait ensuite une robe de nuit aux multiples dentelles puis un peignoir par pudeur sans doute et se retirait dans sa chambre après avoir pris soin de me remercier pour mon travail. C’était ma tante Marie. Elle parlait peu, se faisait belle pour se mettre au lit l’après-midi, ne dormait pas m’a confié ma cousine mais rêvassait les yeux au plafond.

Jeune veuve de 50 ans, elle avait rendez-vous. Ce n’était pas comme on aurait pu le penser avec son défunt mari. Elle s’était sacrifiée pour lui, avait été une épouse modèle, attentive, respectueuse des engagements qui avaient été pris pour elle, l’avait accompagné avec courage dans ses derniers instants mais selon toute vraisemblance à la façon d’une gouvernante. Il y avait de l’inachevé en elle, d’une attente qui ne finit pas et d’une plongée permanente dans des souvenirs tenaces. Le regard paraissait absent, étranger aux mouvements de sa vie. Je la sentais tristement seule. En réalité elle était doublement veuve.

Ce qui la hantait, j’ai fini par le savoir- les secrets les mieux gardés dans les familles finissent toujours par éclater au grand jour. Elle avait rencontré à Paris pendant la libération un beau et gentil soldat américain à qui elle avait confié aveuglément les clefs d’un destin rêvé. Sur fond de ces naïvetés au sein desquelles baignent souvent les jeunes filles à la vue d’un uniforme, le militaire au chewing-gum lui faisait parcourir les plaines de l’Arkansas, de l’Ohio, du Kentucky ! Bien entendu, chacun l’aura compris, il lui fit la promesse de venir la retrouver dès que la guerre serait finie et l’épouser aux Etats-Unis.

A ce jour, il n’était toujours pas venu. Elle se faisait belle pour des retrouvailles qu’elle était bien seule à attendre. Elle avait donc épousé un autre sans le voir et avait vécu toute une vie sans la voir. Les espoirs et les rêves d’amour sont tenaces. Ils ne nous quittent jamais. Ainsi ma tante avait rendez-vous avec un fantôme du bout du monde qui, peut-être lui-même sur son cheval là-bas, saisissant une tête au lasso, ne parvenait à chasser l’image d’une jolie rousse qu’il ne reverrait jamais.

Ah les fantômes !

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Commentaires

  • Merci Béatrice et Monsieur Paul pour vos appréciations. J'ai modifié le titre de départ " les fantômes " afin de ne pas induire en erreur et conduire à une frayeur embusquée qui pourrait surgir à tout moment. Il n'y a pas de spectres dans ce récit.Rien que l'aventure d'une brave femme à la recherche d'un amour perdu.
    Amitiés, gilbert.

  • Merci Adyne. Vous êtes invitée à la suite. Toutes mes amitiés, gilbert

  • Une histoire captivante!

    Merci Gilbert pour ce partage.

    Bonne journée.

    Amitiés.

    Adyne

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