Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Toutes les publications (91)

Trier par

Au creux de la paix

Pantoum

Installée au creux de la paix,
Bien aimée de la providence,
Existant dans la confiance,
J'apprécie le destin que j'ai.

Bien aimée de la providence, 

Me plais souvent à méditer.
J'apprécie le destin que j'ai.
Ce jour, m'éblouit la brillance.

Me plais souvent à méditer.

Se fait complice le silence.
Ce jour, m'éblouit la brillance,
Me fascine l'immensité.

Se fait complice le silence,
Perdure l'immobilité,
Me fascine l'immensité.
Mon âme vers elle s'élance.

19 janvier 2017

Lire la suite...
administrateur théâtres

 Envie de rire ? En piste, trois petites gueules bien sympathiques Bertrand FOURNEL (Jean), Suzanne ELYSÉE (Juliette), Grégory COMETTI (Quentin).   Le vaudeville frénétique en forme de spirale met en scène Jean et Quentin, deux homos banalisés (et assez pathétiques…) et  Juliette une  lesbienne fougueuse et  vivifiante, à l’esprit libre et  totalement craquante.  L’envie folle  d’avoir un bébé  dévore ces messieurs depuis  bientôt trois ans et  ils sont prêts à commander à une mère porteuse trouvée sur  Internet, un rejeton, sans imaginer une seconde qu’ils pourraient se retrouver avec une rejetonne !

Cherchez l’arnaque, il y en a une au moins! Tout a l’emprunte du faux dans ce futur jeu du papa et de la maman…à trois. Les identités se dévoilent peu à peu malgré les savants maquillages.  Chacun voit trembler  les façades inventées de son château de cartes. On plonge alternativement  dans  l’hyper-réalisme et dans  le surréalisme total ! Cause évidente de rires.

 Donc, Quentin, le jeune mignon à chemise bariolée qui présente la météo sur Energie Douce,   cohabite avec  Jean, un policier profiler mal dans sa peau et mal à l’aise dans toutes les situations…  Dur dur, même de servir le thé sans  le renverser sur le tapis rouge! Rapidement hors-jeu,  irascible, et coincé à mort, il avoue assez marri  «  Ce soir, ça va pas la faire… »! Palabres sur qui sera celui qui «  devra mettre la graine dans la machine ! » Bonjour le sexisme !  La  gamine sexy en diable est d’une patience d’ange. Pourtant c’est elle qui mène  le jeu de pigeons ! Le texte est criblé de clichés, et crache  des déluges de vrai et de faux. On frôle le délire de la famille Adams !

Le décor est d’une banalité confondante,  voulue sans doute. Le sac et la blouse de Juliette sont assortis aux tons violacés des murs. Une vague fenêtre, quelques portes grises prêtes à claquer, un divan profond deux fauteuils un tapis rouge vif assorti aux couchers de soleil et palmiers chromos de salle d’attente  sur les murs en constituent l’essentiel. Le jeu physique plus que verbal des mecs fait rire … comme dans les comics. Un leitmotiv rampant : « c’est pas moi, c’est lui » traque le manque d’envergure et la lâcheté des deux mecs mais la  fille  sauve le tout, et le bébé avec!

Et toujours envie d'aller  au théâtre au Centre Culturel d'Auderghem qui programme de succulents spectacles parisiens! 

Footnote... Il faut savoir s'inventer des rêves!  

Image may contain: text

http://www.ccauderghem.be/saison-2015-2016/paris-theatre.html

Une pièce de Fabrice BLIND, Michel DELGADO, Nelly MARRE, Carole FONFRIA
Avec Bertrand FOURNEL (Jean), Suzanne ELYSÉE (Juliette), Grégory COMETTI (Quentin)

Centre Culturel D'Auderghem

Boulevard du Souverain 183, 1160 Bruxelles

Le guichet est ouvert le lundi, mardi, jeudi et vendredi de 11h à 15h , le mercredi de 13h à 17h et le samedi de 10h à 14h.
Réservation par téléphone : lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 11h à 17h, le mardi de 11h à 15h et le samedi de 10h à 14h.

02 660 03 03

 

Lire la suite...

Une suave célébration


En hommage à l'empereur du Japon

Haïkus

Une année commence
suave célébration
accueil de poètes


Changeante lumière
des éclats d'instant brisé
signes de tendresse


Sont des haïkus
les poèmes récités
connus ou nouveaux


Choix de l'empereur
flot de parfums et d'images
Indicible grâce.


6 janvier 2017

Lire la suite...

Toi mon cadeau de vie

Sous un ciel pâlissant

se fait la nuit glaciale

Vent froid sanglotant

Pins et sapins frissonnants

Petits flocons de neige

Tout ronds tout blancs

Couvrant la pelouse du jardin

De perles et de diamants

Sans cesse tombe la neige sur le paysage

Mousse légère de pierre de lune

Sautille le renard sauvage

Au précieux cadeau d’hiver

Ton cœur brulant contre mon âme

Illuminant mon visage

De mille et un baisers

 

17/01/2017

Nada 

Lire la suite...

Ensoleillement.

Baiser profond et chaud du soleil sur ma peau,

lèvres invisibles, m'enveloppant toute entière,

alors que d'une main perfectionniste et blême, légère

je mêle à quelques roses, de lumineuses pensées,

pour dessiner l'été !

Baiser fécond et chaud du soleil sur ma peau,

souffle  inaudible, chaud, me caressant toute entière,

alors que d'une main experte, impatiente et fébrile,

je célèbre en silence les voyelles, les consommes,

enfin toutes ces phrases qui résonnent mélodiques,

 dès lors qu'inanimées elles se donnent pleines et nues !

Baiser profond et chaud du soleil sur ma peau,

enlacement délicat, point pressant,

me détachant toute entière,

alors que d'un sourire bleu, reconnaissant et ample,

je contemple ma page, où vagabonde libre,

 une partie de moi-même !

NINA

 

 

Lire la suite...

Les paroles ailées


Songerie

Il est des mots impondérables;
Lors, ils forment des phrases telles,
Qu'elles semblent avoir des ailes.
Certaines sont inoubliables.

Les épopées mises en chants
Gardent des paroles ailées
Des dieux et déesses en allés
Et des héros, du même temps.

De la préhistoire à nos jours,
A perduré la poésie
D'une ensorceleuse énergie,
Faisant large place à l'amour.

Inconstants sont les goûts nouveaux.
Ils portent à être zélés,
Ignorant les propos ailés.
M'en vient à l'esprit de très beaux.

17 janvier 2017

Lire la suite...

12273206065?profile=originalCet ouvrage de Hans Küng "Projet d'éthique planétaire. La paix mondiale par la paix des religions" est paru en 1991.

Hans Küng y déclare qu'une conscience planétaire est née. Elle ne fait que se renforcer en dépit du sursaut des nationalismes. Il s'agit de rendre la terre habitable et de la léguer en bon état de marche à nos successeurs.

Il ne suffit plus de se tenir à l'ombre de son clocher mais il importe de s'habituer petit à petit à prendre du champ. Comme les cosmonautes regardent de haut la planète bleue, notre vision terrienne doit accepter de se faire holiste.

Dans son Projet d'éthique planétaire, le théologien Hans Küng met en valeur le rôle que les religions doivent jouer dans cette nouvelle donne planétaire. Il résume, en trois phrases clés, les lignes de force de son programme qui découlent toutes d'une même exigence: pas de cohabitation humaine sans un ethos planétaire des nations. Pas de paix entre les nations sans paix entre les religions. Pas de paix entre les religions sans dialogue entre les religions. Il n'est plus possible de se contenter de la seule éthique de l'intention ou d'une éthique de la réussite. Il s'agit de se hisser jusqu'au niveau de la responsabilité planétaire à l'égard de notre propre avenir. "Au seuil du troisième millénaire, écrit Hans Küng, la question clé de l'éthique se pose de façon plus urgente que jamais: à quelles conditions fondamentales pourrons-nous survivre, survivre comme homme sur une terre habitable et donner forme humaine à notre vie individuelle et sociale?" La politique, l'économie, les sciences et les religions doivent se soumettre à un principe fondamental: les hommes doivent devenir plus humains en sachant que ce qui les unit est plus fort que ce qui les divise. Une "utopie" doit soulever l'humanité prise comme un tout: les virtualités humaines, qu'il convient d'activer, sont plus grandes que celles contenues dans l'état présent. Il ne suffit plus de gérer les crises, il convient désormais de les prévenir: l'oeuvre devant nous est d'ordre prophylactique et plus seulement curatif.

Pour ce faire, les religions sont d'un apport incontestable. Comme le souligne avec force Hans Küng, tout homme peut vivre selon une éthique. Mais seules les religions peuvent fonder l'inconditionnalité des exigences éthiques à partir de l'absolu qu'elles reconnaissent. Hors de ces références, il est difficile de donner sens à la contingence des êtres et des choses. "Toutes les grandes religions, en effet, requièrent des non-negotiable standards: des normes éthiques fondamentales et des maximes orientant la conduite, fondée sur un inconditionné, un absolu, et donc inconditionnellement valables pour des centaines de millions d'hommes."

Mais les religions doivent se nourrir des apports des sciences et se montrer exigeantes pour elles-mêmes. Dans leurs propositions, la force de l'affirmation doit se marier avec l'ampleur de l'exigence critique. Un dialogue véritable entre les religions de la terre doit donc s'écarter de tout provincialisme. Pour dépasser ses propres horizons, chaque religion doit garder la conscience vive de ses errements passés et de ses peurs présentes. Car les frontières entre vérité et non-vérité passent aussi à l'intérieur de chaque religion. Le but est d'apprendre à mettre en valeur en toutes les religions l'authentiquement humain sur un fond d' absolu. Une réflexion d'un type nouveau est tout simplement la condition de la survie d'un monde qui a profondément changé.

Lire la suite...
administrateur théâtres
FÉV 8 20:00  RÉCITAL  de STÉPHANE DEGOUT
CHANSONS MADECASSES
Mélodies de Francis Poulenc & Maurice Ravel CONSERVATOIRE ROYAL DE BRUXELLES
“Degout, a wonderfully patrician singer with a handsome, ringing tone, has an innate charm that can turn to menace in a flash: it’s a superbly accomplished characterisation.”
(
The Guardian)
 
Avec les Chansons madécasses de Maurice Ravel (1875-1937), écrites entre 1925 et 1926, Stéphane Degout nous fait entrer dans le monde exotique des îles de l’Océan indien du XVIIIe siècle, revu par un compositeur français du XIXe.
Le poète et voyageur Évariste de Parny avait publié en 1787 un recueil de textes en prose tirés de chansons malgaches. Bien qu’il ne connût pas l’île de Madagascar, il en donna une vision simple et aimable, dénonçant sévèrement les méfaits de la colonisation. Maurice Ravel en sélectionna trois sur lesquels il composa une musique extrêmement dépouillée pour baryton, flûte, violoncelle et piano. « C’est une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d’instrument principal. La simplicité y domine. » écrivit-il dans son Esquisse biographique.
Nahandove et Il est doux sont des mélodies délicates, sensuelles et érotiques, Aoua une vigoureuse dénonciation de l’exploitation et de l’esclavage. Il affirma dans une interview tardive que ces trois chansons étaient parmi ses favorites.
Sur le même principe, Ravel mit en musique les petites Histoires Naturelles de Jules Renard en 1906. Ces scénettes à l’humour quelque peu étrange et à la prosodie volontairement simpliste avaient provoqué une certaine désapprobation le jour de leur création. Pourtant, cette faune si familière – Le Paon, Le Grillon, Le Cygne, Le Martin-pêcheur, La Pintade – prend des allures de fantastique basse-cour émouvante et fragile que la musique sait merveilleusement poétiser. « Mon dessein n'était pas d'y ajouter, mais d'interpréter » aurait dit le compositeur.
Des propos que l’on peut prêter tout aussi bien à Francis Poulenc (1899-1963) lorsqu’il entreprend en 1919 de composer son propre Bestiaire sur des poèmes de Guillaume Apollinaire. Là encore, il s’agit d’animaux – Le Dromadaire, La Chèvre du Thibet, La Sauterelle, Le Dauphin, L’Écrevisse, La Carpe – dont la banalité est transfigurée par la poésie des mots et des notes. Ces petits textes charmants et ironiques offrent à Poulenc l’occasion d’un exercice musical où s’exprime sa profonde tendresse pour la vie et ses aléas. L’accompagnement originellement prévu se composait d’une flûte, d’une clarinette, d’un basson et d’un quatuor à cordes.
Apollinaire fut une source d’inspiration inépuisable pour Poulenc qui mit en musique nombre de ses poèmes. Le poète français reste le fil rouge des mélodies qui composent la suite du programme avec Calligrammes (L’Espionne ; Mutation ; Vers le Sud ; Il pleut ; La Grâce exilée ; Aussi bien que les cigales ; Voyage) daté de 1948, les Quatre poèmes (L’Anguille ; Carte-Postale ; Avant le Cinéma ; 1904) datés de 1931, Banalités (Chanson d’Orkenise ; Hôtel ; Fagnes de Wallonie ; Voyage à Paris ; Sanglots) daté de 1940, ainsi que Montparnasse et Hyde Park composés en 1945.La langue d'Appolinaire trouve avec Poulenc un interprète en parfaite synergie avec cette ironie aux accents faussement naïfs et voilée de nostalgie caractéristique du poète. Des mélodies qui, pour Poulenc, devaient parler pour elles-mêmes et être chantées sans emphase.
Viendra s’adjoindre à ce programme le trio de Kaija SaariahoCendres, pour flûte, violoncelle et piano, qui lui fut inspiré par son double concerto …à la fumée et qui vient apporter une note plus grave à ce joli moment de plaisir fantasque.

 

S’il est un artiste dont le parcours révèle toute l’exigence de qualité, c’est bien Stéphane Degout qui était récemment l'invité de La Monnaie à Flagey pour un splendide récital* et une remarquable interprétation du Poème de l’amour et de la mer de Chausson. Ce chanteur et acteur d’exception, qui n’est jamais si à l’aise que sur une scène, a déjà treize rôles à son actif à la Monnaie où son talent dramatique et l’opulence de son timbre lui ont permis toutes les audaces.
Cela n’exclut pas pour autant le plaisir du récital chez ce grand mélodiste, qui, confronté à l’intimité du genre, sait parfaitement se mettre au service de la musique et de l’expression des sentiments, et transmettre avec une finesse remarquable la poésie de la langue et son alliance parfaite avec la mélodie. Des qualités qui devraient faire des étincelles dans ce nouveau récital dédié aux mélodies de Maurice Ravel et Francis Poulenc, que le baryton français présentera le 8 février au Conservatoire Royal de Bruxelles.

Avec la complicité de trois musiciens de grand talent, le pianiste Cédric Tiberghien, le violoncelliste Alexis Descharmes et le flûtiste Matteo Cesari, il a composé un ensemble très significatif de ces deux compositeurs qui se défiaient de tout romantisme et se dissimulaient souvent derrière l’humour et la légèreté.  

Cédric Tiberghien se produira également à Flagey dans le cadre du Flagey Piano Days du 9 au 12 février 2017

 


*Alain Altinoglu Requiem & Poèmes: Debussy, Chausson, Fauré Nov 26th 2016 Concert La Monnaie De Munt

 

Baritono - STÉPHANE DEGOUT
Piano - CÉDRIC TIBERGHIEN
Violoncelle - ALEXIS DESCHARMES
Flûte - MATTEO CESARI
 

 PROGRAMME
 
Francis Poulenc (poèmes de Guillaume Apollinaire)
Le Bestiaire
(Le Dromadaire ; La Chèvre du Thibet ; La Sauterelle ; Le Dauphin ; L’Ecrevisse ; La Carpe)(1948)
Montparnasse (1945)
Hyde Park (1945)
Calligrammes (L’Espionne ; Mutation ; Vers le Sud ; Il pleut ; La Grâce exilée ; Aussi bien que les cigales ; Voyage) (1948)
Quatre poèmes (L’Anguille ; Carte-Postale ; Avant le Cinéma ; 1904) (1931)
Banalités (Chanson d’Orkenise ; Hôtel ; Fagnes de Wallonie ; Voyage à Paris ; Sanglots) (1940)

Kaija Saariaho
Cendres (Trio pour flûte, violoncelle et piano) (1998)

Maurice Ravel
Chansons Madécasses (poèmes d’Évariste Parny) (1925-26)
 ( « Nahandove, ô belle Nahandove » ,« Il est doux de se coucher »
 ; Aoua )
Histoires Naturelles (textes de Jules Renard)
 (Le Paon ; Le Grillon ; Le Cygne : Le Martin-pêcheur ; La Pintade) (1906)
INFORMATION GENERALE
REPRÉSENTATION 
8 février 2017 - 20:00
 
CONSERVATOIRE ROYAL DE BRUXELLES
30, Rue de la Régence – 1000 Bruxelles
 

PRODUCTION De Munt / La Monnaie
COPRÉSENTATION Bozar Music
INFO & BILLETS
+ 32 2 229 12 11
MM Tickets, 14 rue des Princes, 1000 Bruxelles
www.lamonnaie.be - tickets@lamonnaie.be
 
PRIX
10 € à 44 €

Ventes en ligne
Lire la suite...
administrateur littératures

Qu'il soit proclamé, dansé, chanté,

Ou source de solidarité,

Qu'il soit lu, écrit ou murmuré

Dans la plus stricte intimité,

Qu'il soit vecteur de fraternité

Ou une source de vérité,

Toujours, il est là! Partout. L'amour!

Inté-rieur ou exté-rieur,

Alors qu'il nous sourit à toute heure,

Ceci pour notre plus grand bonheur,

Causer des ravages dans nos coeurs,

Il sait aussi, et avec vigueur,

Délivrant ce message-saveur:

Toujours, je suis là. Partout! L'amour!

Menu festif par excellence,

Sourires et caresses denses,

Paroles et gestes intenses,

De gros câlins en abondance,

Coquin, parfois en transhumance,

Nous menant souvent à la danse,

Toujours, il est là! Partout. L'amour!

Par Piaf ou Brel mis en chansons,

Lumineux, au bon diapason

Et ne manquant jamais d'ambition

Ou parfois chanté à l'unisson,

En littérature émotions,

Au cinéma soupirs et passions,

L'amour, il est là! Partout. Toujours!

De l'amour!

Lire la suite...

12273207869?profile=originalll s'agit d'un essai publié en 1962 par le sociologue français Gaston Bouthoul (1896-1980). Dans cet ouvrage, l'auteur aborde un problème auquel s'est affronté l'humanité de tous les temps. Ce livre marque la rupture avec la conception traditionnelle de la guerre. Il est indispensable à tous ceux qui veulent la découvrir autrement qu'à travers le point de vue archaïque qui a prévalu universellement jusqu'à nos jours. L'expression politique de la vieille conception qui a dominé jusqu'à nos jours était résumée dans l'expression classique: "Si tu veux la paix, prépare la guerre". La polémologie nous donne les fondements d'un véritable pacifisme scientifique. Et d'abord, qu'est-ce exactement que la polémologie? C'est l'étude objective et scientifique des guerres en tant que phénomène social susceptible d'être observé comme tout autre, cette étude devant par conséquent constituer un chapitre nouveau de la sociologie. La méthodologie de la guerre est presque entièrement à créer, toute étude du phénomène guerre s'étant jusqu'alors heurté à différents obstacles insurmontables tels que la pseudo-évidence de la guerre, le côté volontaire des guerres et aussi l'illusionnisme juridique. Bouthoul expose donc les méthodes d'investigation qu'il a employées. D'abord la description des faits matériels bruts, puis celle des comportements psychiques. Ensuite, il passe au premier degré à l'explication, celle des historiens et analystes. Le deuxième degré sera constitué des opinions et doctrines sur les guerres en général, celles des théologiens comme celles des métaphysiciens et des moralistes. En un mot, il s'agit de dégager une véritable philosophie de la guerre. Enfin, reste du travail propre au polémologue, celui des choix et rapprochements de faits. Il s'agit là d'une observation directe, d'une étude des comportements. Toutes ces données permettent d'entrevoir quelles peuvent être les fonctions que remplissent les guerres dans les équilibres sociaux. Enfin, la présence de la guerre dans tous les types de civilisations connus, le fait qu'elle est inséparable des mentalités et des institutions les plus diverses, et surtout ses analogies avec certaines fonctions biologiques, pose la question de sa périodicité. Il ne reste plus à établir qu'une typologie rationnelle des sociétés, et des guerres. Du propre aveu de l'auteur, tous ses efforts pour créer une typologie sociale sur laquelle on puisse se reposer se sont jusqu'à présent heurtés à différents obstacles. Aussi cette absence l'oblige-t-elle à des parallèles incessants avec chacun des aspects des guerres. Malgré ceci, "la constitution d'une science des guerres n'a jamais été plus urgente... La guerre qui, au XVIIIe siècle, était un jeu de prince est devenue une catastrophe. Elle sera demain un cataclysme. Sans la constitution rapide d'une polémologie, toutes les autres sciences risquent de devenir superflues."

 

Lire la suite...
administrateur théâtres

 play_461_k57a1483.jpg"Vous désirez quelques notes biographiques sur moi et je me trouve extrêmement embarrassé pour vous les fournir ; cela, mon cher ami, pour la simple raison que j'ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire, mais exactement rien, sur ma vie, si ce n'est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l'écris. De sorte que si vous voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : Attendez un peu, mon cher Crémieux, que je pose la question à mes personnages. Peut-être seront-ils en mesure de me donner à moi-même quelques informations à mon sujet. Mais il n'y a pas grand-chose à attendre d'eux. Ce sont presque tous des gens insociables, qui n'ont eu que peu ou point à se louer de la vie."

La  Salle des Voûtes du théâtre le Public accueille un  portrait éclaté de Luigi Pirandello (1867-1936) à l’aide de  figures emblématiques  issues  des nouvelles  de l’écrivain sicilien : « Je rêve, mais peut-être pas », « Ce soir on improvise », « L’homme à la fleur à la bouche ».  Une petite suite de cauchemars interprétée avec  talent de rêve par un trio de  comédiens capables d'allumer et de  projeter à merveilles ces personnages de l’absurde : Axel de Booseré, Jean-Claude Berutti (mise en scène et adaptation ), Christian Crahay (en alternance avec Lotfi Yahya) et Nicole Oliver.

No automatic alt text available. 

Une fois donnés en pâture au public, les thèmes  iront se balancer librement dans son imaginaire,  lui qui devient, s’il se laisse faire,  créateur à son tour,  tout autant  que l’est le metteur en scène lorsque celui-ci  construit sa rencontre avec le texte. Le fil rouge c’est un outrecuidant chef de troupe à la Berlinoise nommé Hinkfuss.

2961621559.jpg

Théâtre dans le théâtre, que voit-on sur l’écran noir de nos nuits blanches ?  L’amour, la jalousie, la possession, la dispute.  Le mystère ou le rêve dans la voix de cette femme voilée comme dans les tableaux de Magritte ? L’inversion des rôles puisque c’est Luigi qui fut en butte à la jalousie morbide de sa femme ? Un credo : l’énergie de l’acteur libère les doutes, les mensonges, les tricheries, la cruauté. La tyrannie des conventions sociales.  La fourbe tyrannie du mâle : « Il voulait lui faire une surprise…» La robe de strass couleur rubis alanguie sur le tapis vert de la salle de jeu ou sur la méridienne verte  flanquée d’un pouf  répond mollement, absente de l’embrasement, tout à son désir d’un collier de perles et à ses rêves d’amants. Le drame couve. Soudain la comédienne  prend le pouvoir et explose les artifices…à la manière d’Alice.Lewis Carroll? Déchaînement!   

Dans la tentative d’une représentation impossible, il n’y a néanmoins  pas de couture apparente entre les pièces accolées du jeu de miroirs…comme chez  Picasso et les autres de la même époque.

Heureux qui communique : on suit sur l’écran noir et blanc  le visage, le regard de Mommina, devant une fenêtre ouverte sur un paysage, Magritte encore. Rico, Le mari qui la séquestre  referme la fenêtre. Il ne veut plus qu’elle pense ou pire, qu’elle rêve. Prisonnière, elle lui échappe même s’il la brutalise.   Ses sœurs, restées libres font scandale: elles chantent en public. Pendant qu’elle raconte à ses deux fillettes, l’histoire de cet opéra qu’elle chantait avec sa famille, des souvenirs heureux ressuscitent sous forme de marionnettes. Bonjour les géants de la Montagne !  Elle se met à chanter et meurt devant ses filles, sous l’émotion qui l’étouffe. Rico Veri la découvre morte  et  repousse le cadavre du bout du pied. Cruauté : Il l’a trompée en allant  seul à l’opéra voir  l’œuvre chantée par une de ses jeunes  sœurs, Totina restée libre. Paradoxe de la comédienne : elle n’a plus de souffle et n’arrive pas à mourir… Le cauchemar ! Poignant.

4130556538.jpgOn s’égare encore, l’ombre de  Delvaux  ou de Marceau se profile-telle ?  Chargé de cadeaux pour sa famille,  un  personnage  plein de certitudes a raté son train de trois minutes. Il rencontre ce  malade qui porte une fleur funeste à la bouche…dévorante comme le nénuphar dans  l’Ecume  des jours.    Il  a besoin de s’attacher à la vie de gens qu’il ne connaît pas, pour ne pas mourir. «  Moi Monsieur, je m’accroche à la vie par l’imagination. J’imagine la vie des gens que je ne connais pas et c’est bon pour moi ! La vie on l’oublie quand on la vit … mais la vie Monsieur  … la vie … surtout quand on sait que c’est une question de jours … »  Cauchemar. Edgar Poe es-tu là ? Non c’est Pirandello, Luigi de son prénom. Paradoxal de son surnom.

Freud enfin, es-tu là ? Ou Marcel? "Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours distinguer mais que nous poursuivons."Le temps retrouvé. Voilà la visite de la mère, morte, coiffée d’un large chapeau impressionniste voilé. Scène où  le  fils  pleure sa propre mort en elle. Désespoir de la solitude. Pour elle il ne sera plus jamais le fils ! Elle ne peut plus jamais le penser comme il la pense! Bouleversant.

2630138487.jpg

Très beau théâtre de réflexion sur l’incommunicabilité, vibrant de références, foisonnant  de vitalité scénique et esthétique… toutes choses qui ne peuvent laisser indifférent. Art is life. Dixit Kandinsky. 

https://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=461&type=1

          

Lire la suite...

Nos anciens



Alors que la mort nous guette à chaque pas,

Comme des ablettes ne se doutant de rien,
Du pêcheur et de l'épuisette à son bras,
Nous voyageons de magasin en magasin !

Vite, vite, de celui-ci à celui-là,
Nous voguons avec des chariots à la main,
Parmi des rayons nous fouillons à tour de bras,
Et comme de n'être idiots ne vivons que pleins !

Ils riraient nos anciens de la mascarade
Des cartes bleues et des coffres gigantesques
Que l'on remplit au fil de nos promenades,
Et tout ces crédits qui nos esprits empestent !

Ils riraient sans doute moins et verraient aussi
Que ces frénésies qui furent ludiques,
-Un temps qui n'est plus - deviennent à la merci
D'agitations et de relents hystériques !

Ils diraient nos anciens : " Vous êtes des moutons,
Parqués tout propres dans vos belles voitures,
Mais où il n'y a plus d'air à humer à foison
Ni de terre qui colle à vos chaussures ! "

Nos anciens se moqueraient bien de ces désirs
Qui ne chantent ni ne lisent plus près du feu,
Comme le soleil qui était leur seul loisir,
Aussi les étoiles comme autant de dieux !

Lire la suite...

« L’Espérance jaillissant des brumes. » huile sur toile

De tous temps l’homme, pour des raisons les plus diverses, a préféré l’inconnu au joug qui lui était imposé. Après avoir perdu tout ce qui le retenait, l’enchainait, au plus profond de sa détresse il vit briller une lueur nommée Espérance. Guidé par elle, dans un sursaut de survie, Il prit la mer vers l’utopique terre de Liberté.

Ben-Kâ  

Lire la suite...

"ETIENNE DRIOTON, un savant du XXe siècle au Service de l'Egypte"

Il fut le dernier Français à occuper la haute fonction de Directeur Général du Service des antiquités d'Egypte, au Caire. Il disparaît victime d'une longue maladie le 17 janvier 1961. Le monde de l'égyptologie est en deuil.

Les hommages de l'ensemble des savants sont à la mesure de l'admiration qu'ils ont pour l'oeuvre du maître...c'est ainsi que le Professeur Jean Leclant écrivait "rarement carrière aura été plus complète que celle du chanoine Etienne Drioton (...) Chercheur, professeur, administrateur, conférencier, maître éminent en philologie aussi bien qu'en archéologie, critique d'art nuancé autant qu'exégète pénétrant de la religion, il a travaillé dans tous les domaines de l'égyptologie depuis les Textes des Pyramides jusqu'aux études coptes, où son apport a été de la plus grande importance"

  extrait de "Etienne Drioton, l'Egypte, une passion" Ed G. Louis Haroué.

12273124061?profile=original

Lire la suite...

12273207487?profile=originalAristophane est le plus grand poète comique grec. Ses comédies, qui peuvent paraître, avec leur fantaisie verbale et leurs outrances grossières, destinées à faire rire la populace, témoignent d'une attitude franche et réfléchie en face des problèmes qui se posaient à ses contemporains : elles expriment les convictions profondes d'un citoyen engagé dans la vie politique et attentif au mouvement des idées.

1. Un dramaturge engagé

Aristophane, né à Athènes sans doute en 445 avant J.-C., fit représenter sa première comédie, Les Banqueteurs , où, semble-t-il, il raillait l'éducation des sophistes, en 427, sous un nom d'emprunt, comme la deuxième, Les Babyloniens , dirigée contre le démagogue Cléon, en 426. La plupart de ses pièces ont été publiées pendant la guerre du Péloponnèse, qui dura de 431 à 404, et elles sont profondément marquées par l'actualité. Elles appartiennent à ce que l'on a appelé la comédie « ancienne », dont la structure complexe est illustrée par une mise en scène à grand spectacle. Le choeur participe à l'action avec animation et, dans une sorte d'intermède, la parabase, dépouillant son déguisement grotesque, s'avance vers les spectateurs et leur adresse, sur un ton sérieux, un grave discours au nom du poète, qui donne à ses concitoyens des conseils de morale et de politique. Les personnages les plus en vue ne sont pas ménagés et sont parfois représentés dans les postures les plus ridicules.

Les deux dernières comédies conservées, L'Assemblée des femmes  (392) et le Ploutos  (388), postérieures à la guerre, sont d'un genre différent et on les rattache à ce qu'on appelle parfois la comédie « moyenne » : on n'y trouve plus d'invectives directes contre les personnalités en place et, le rôle du choeur devenant de moins en moins important, la part du spectacle s'y trouve aussi réduite.

Il semble qu'Aristophane mourut vers 380 après avoir fait jouer 44 pièces, dont 11 seulement ont subsisté. Si les dates de sa vie sont incertaines, les détails n'en sont guère mieux connus, sinon par les rares allusions qu'il y fait lui-même dans son oeuvre. Une inscription du début du IVe siècle atteste qu'Aristophane, du dème de Kydathénée, fut prytane de la tribu Pandionis ; elle permet donc de réfuter les hypothèses d'après lesquelles il n'aurait pas été un citoyen à part entière. Mais on ne sait rien ni de ses attaches politiques ni de ses activités de citoyen, en dehors de ce qu'en révèlent ses comédies.

Pour en comprendre l'esprit, il faut se représenter le climat de guerre dans lequel elles ont vu le jour. Menacés par les continuelles incursions des Lacédémoniens, les paysans de l'Attique avaient abandonné leurs terres et s'étaient réfugiés autour de la ville, à l'abri des Longs-Murs. Une guerre qui se prolonge pendant près de trente ans, avec ses alternatives de succès et de revers, ses transferts de populations et ses massacres, entraîne normalement un enchaînement de crises, économique, politique, morale.

Aristophane prend position devant cette crise de la conscience athénienne : il lutte de toutes ses forces contre la guerre ; il dénonce ce qu'il en considère comme la cause directe, la décadence politique due à l'action des démagogues ; il rend enfin responsable de cette décadence la crise morale provoquée par les corrupteurs de la jeunesse et du peuple que sont les intellectuels du clan de Socrate ou d'Euripide. En face de ces novateurs, son attitude est celle d'un conservateur : son esprit s'accorde bien avec celui des paysans attachés à leur vie de travail paisible, méfiants à l'égard des beaux parleurs de la ville, hostiles aux idées neuves. C'est à ces vieux Athéniens, qui travaillent dur et vivent sobrement toute l'année pour faire bombance et déchaîner leurs instincts aux jours de fête, que s'adresse la poésie grave et truculente d'Aristophane.

2. La lutte pour la paix

L'amour de la paix s'exprime surtout dans Les Acharniens  (425), La Paix  (421) et Lysistrata  (411). On y retrouve des thèmes communs. Les causes de la guerre y sont raillées comme futiles ; le rôle des profiteurs de guerre, des généraux et des fabricants d'armes y est stigmatisé. La paix est célébrée pour toutes les joies qu'elle apporte, la vie tranquille à la campagne, la bonne chère, les réunions joyeuses et les plaisirs de l'amour. On aurait pu reprocher à Aristophane d'évoquer en pleine guerre ce qu'il y a de plus égoïste et de plus sensuel dans les bienfaits de la paix : mais on doit plutôt le louer d'avoir reconnu et proclamé avec franchise et courage ce qu'il y avait d'absurde dans ces guerres où les cités grecques s'entre-déchiraient sans défendre d'autre idéal que leur impérialisme respectif.

« Les Acharniens »

La guerre faisait rage depuis six ans, l'Attique était ravagée par les Lacédémoniens, des succès partiels entretenaient l'esprit guerrier quand Aristophane présenta au concours Les Acharniens . Le dème d'Acharnes était un de ceux qui avaient le plus souffert et ses habitants en voulaient particulièrement aux Lacédémoniens. C'est dans ces conditions qu'un brave Athénien, Dicéopolis, voyant que l'assemblée du peuple ne consent pas à discuter de la paix, conclut en son nom personnel une trêve avec l'ennemi et réussit, au milieu du monde en guerre, à jouir de la paix et de ses avantages. Pour réussir à établir sa trêve personnelle avec les Lacédémoniens, il doit triompher du choeur, une troupe de charbonniers d'Acharnes, qui ont essayé de s'opposer à lui dans une violente bagarre. Il connaît alors l'abondance et la félicité, parmi ses concitoyens plongés dans la misère. Dans une suite de scènes bouffonnes jusqu'à l'obscénité, il reçoit un Mégarien et un Béotien venus lui apporter des marchandises précieuses que le blocus empêchait alors de parvenir à Athènes ; un général et un sycophante sont au contraire mis dans des situations ridicules et outragés, et la pièce s'achève dans une orgie de plaisirs.

« La Paix »

La Paix  fut jouée quatre ans plus tard. La guerre et les souffrances avaient continué, mais les deux chefs les plus acharnés, l'Athénien Cléon et le Spartiate Brasidas, venaient de trouver la mort à Amphipolis. Des négociations étaient en cours, qui devaient aboutir, quelques jours après la représentation, à la conclusion de la paix de Nicias. Aristophane, en célébrant la paix, ne se heurtait donc plus cette fois à l'opinion publique : il ne remporta pourtant pas le premier prix qui fut attribué à Eupolis pour sa comédie Les Flatteurs , dont le sujet n'était pas politique.

La Paix  commence par une scène à la fois pittoresque et scatologique : deux esclaves préparent en discutant la nourriture malodorante destinée à un escarbot géant que le vigneron Trygée se propose d'utiliser comme monture afin de s'élever jusqu'au ciel, où il veut aller demander à Zeus de mettre fin à la guerre. Puis, soulevé par une machine, Trygée s'envole jusqu'au sommet des bâtiments du théâtre. Polémos, dieu de la guerre, s'apprête à écraser dans un mortier tous les peuples grecs, mais il a perdu son pilon, c'est-à-dire Cléon ; en attendant qu'il en retrouve un autre, Trygée invite les paysans de tous les pays à s'unir pour retirer en hâte la Paix du fond d'une caverne où elle a été enfouie. Dans une scène vivante, ils se mettent tous à tirer avec enthousiasme sur un câble, et cette image des peuples jusque-là ennemis, collaborant fraternellement, ne manque ni de générosité ni de grandeur. Ayant atteint ce sommet, la pièce continue par une suite de scènes qui sont comme autant de divertissements, un sacrifice d'actions de grâces, un entretien avec le diseur d'oracles et le marchand d'armures, privés de leur clientèle, et le marchand de faux qui va faire fortune, pour finir par un joyeux cortège d'hyménée, Trygée emmenant chez lui comme épouse la belle Opôra, déesse des moissons et des fruits.

« Lysistrata »

12273207284?profile=original

Quand Aristophane donna au public Lysistrata , la situation d'Athènes était critique : la guerre avait repris et, à la fin de 413, les Athéniens avaient connu en Sicile un désastre sans précédent ; la plupart de leurs alliés faisaient défection ; les Spartiates, qui occupaient la place forte de Décélie, à leur frontière, négociaient avec le roi de Perse pour obtenir des subsides et organiser une flotte. C'est en ce moment dramatique qu'une fois encore le poète pousse ses concitoyens à rechercher la paix : il ne rappelle plus quelles ont été les causes futiles de la guerre, mais il proclame que la paix est indispensable pour le salut de la Grèce entière qui risque de se voir asservie aux Barbares.

Son appel pathétique est présenté dans la plus bouffonne des comédies : l'Athénienne Lysistrata, dont le nom signifie « celle qui défait les armées », réunit les femmes de toute la Grèce et leur fait décider, pour mettre fin à la guerre, de refuser tout "commerce" avec leurs maris. Les Athéniennes s'emparent de l'Acropole et mettent la main sur le trésor public. Privés de ressources pour la guerre, privés de femmes, les hommes, après quelques tentatives qui sont l'occasion de scènes d'un réalisme particulièrement cru, doivent consentir à conclure la paix.

3. La lutte contre les démagogues

« Les Cavaliers »

La lutte contre la guerre est le thème majeur des trois comédies qui précèdent. On le retrouve dans les autres pièces puisqu'il était toujours d'actualité. Mais on ne peut lutter contre la guerre sans dénoncer les fauteurs de guerre, et, au premier rang de ceux-là, se trouvaient les démagogues, dont Cléon, chef du parti démocratique jusqu'en 421, est le plus en vue. Violemment pris à partie dans Les Babyloniens , Cléon, qui jouissait d'une grande autorité, avait voulu se venger d'Aristophane en le poursuivant devant le Conseil et il avait failli le faire condamner. Aussi fut-il de nouveau attaqué dans Les Acharniens  et plus vivement encore, en 424, dans Les Cavaliers .

A ce moment, la guerre battait son plein et une troupe de trois cents Spartiates enfermée dans l'île de Sphactérie, en face de Pylos, venait d'être réduite par un coup d'audace de Cléon qui tira de ce succès un regain de popularité et excita de plus belle les Athéniens à poursuivre la guerre. Prenant pour cible le démagogue au comble de sa gloire, le poète lui oppose le choeur des cavaliers : ceux-ci, choisis dans la meilleure société athénienne, formaient un corps d'élite qui venait de se distinguer dans des combats près de Corinthe.

Le nom de Cléon n'est pas prononcé dans la pièce et le démagogue est mis en scène sous le masque d'un esclave paphlagonien - dont le nom générique évoque le caractère bouillonnant - au service du bonhomme Démos, allégorie du peuple athénien. Le Paphlagonien maltraite les bons serviteurs, qui portent les masques des généraux Nicias et Démosthène, et se fait valoir auprès de Démos à leurs dépens : comme Cléon a dérobé à Démosthène le succès préparé par celui-ci à Pylos, le Paphlagonien gave Démos en lui donnant les plats préparés par les autres esclaves. Ceux-ci vont se venger de lui et, lui subtilisant pendant son sommeil des oracles qu'il détient, ils apprennent qu'il doit être supplanté par un individu pire que lui, un marchand de boudin. Alors paraît un charcutier qui, encouragé par le choeur, rosse le démagogue ; celui-ci le poursuit devant le Conseil et devant Démos lui-même, mais il a chaque fois le dessous et tombe en disgrâce malgré ses flatteries et ses cadeaux : son maître choisit le charcutier comme intendant. Rajeuni par un procédé magique, Démos reçoit de son nouveau serviteur une belle et jeune femme, la Trêve de trente ans. Cette comédie, entièrement dirigée contre Cléon et sa politique démagogique, l'accuse donc, pour finir, d'être le principal obstacle à la paix.

« Les Guêpes »

C'est contre lui encore qu'Aristophane compose Les Guêpes  en 422. Parmi les procédés dont les modérés reprochaient l'institution aux démagogues, les salaires accordés aux citoyens pour leur participation aux séances des tribunaux populaires étaient l'objet des plus vives critiques. Si les pauvres y gagnaient de pouvoir exercer leurs droits de citoyens à égalité avec les riches, on les accusait d'y chercher un gagne-pain et de voir favorablement se multiplier les procès : cette institution allait de pair avec le rôle grandissant des sycophantes.

Or Cléon, en 424, venait de porter de une à trois oboles le salaire des juges. Le choeur des héliastes, juges des tribunaux athéniens, est déguisé en guêpes, leur aiguillon représentant le stylet, avec lequel ils tracent la ligne de condamnation. Le personnage principal s'appelle Philocléon, c'est-à-dire « ami de Cléon » : il est pris de la manie de juger et se conduit comme un fou furieux. Son fils Bdélycléon, « ennemi de Cléon », l'a enfermé chez lui et veut le guérir de sa maladie. Agrémenté de quelques scènes bouffonnes, le débat entre le père et le fils constitue l'essentiel de la comédie, Philocléon célébrant ses fonctions de juge comme l'expression d'un pouvoir digne d'un roi. Bdélycléon lui montrant que cette souveraineté est illusoire et que les juges sont sous la dépendance servile des démagogues. Pour consoler son père, privé des plaisirs du tribunal, il organise, dans sa propre maison, le procès du chien Labès, accusé d'avoir dérobé un fromage de Sicile, parodie du procès qui devait être intenté au stratège Lachès, accusé de concussion lors d'une campagne en Sicile.

4. La lutte contre l'esprit nouveau

Si la première partie des Guêpes  est une charge contre les conséquences de la politique démagogique de Cléon, la seconde montre le vieux Philocléon se dévergondant et menant joyeuse vie : il s'enivre, enlève une joueuse de flûte, s'attire quantité d'ennuis ; il finit par se livrer à une danse grotesque, en défiant les danseurs à la mode. Aristophane, dans ces scènes qui peuvent sembler tout à fait étrangères au début de la pièce, attaque un autre aspect du mal actuel, la dépravation des moeurs qui accompagne la dégradation politique et la corruption dans l'art, qui va de pair avec celle de la morale. Les innovations révolutionnaires en poésie et en musique et les idées nouvelles en philosophie sont, à ses yeux, responsables de la décadence d'Athènes au même titre que les innovations politiques des démagogues.

Dans sa première comédie, Les Banqueteurs , il avait critiqué les sophistes ; dans une scène des Acharniens  il avait ridiculisé Euripide dont il avait ailleurs parodié mainte tragédie, par exemple au début de La Paix , où l'escarbot géant rappelle une machinerie utilisée dans Bellérophon . Les comédies conservées où s'exprime le mieux cette attitude d'Aristophane en face du modernisme sont Les Nuées  (423), Les Thesmophories  (411) et Les Grenouilles  (405).

« Les Nuées »

Au moment du concours de 423, une trêve venait d'être conclue entre Athéniens et Lacédémoniens : laissant l'action politique, Aristophane compose une pièce plus abstraite, plus subtile, où il ne recourt pas aux moyens grossiers pour provoquer le rire de la foule. Cette comédie, qu'il considérait comme la meilleure qu'il eût écrite, ne toucha pas le public et n'obtint que le dernier rang. Le sujet en est simple : un campagnard, Strepsiade, a épousé une jeune fille d'une grande famille de la ville ; elle lui a donné un fils, Phidippide (dont le nom signifie « qui traite bien les chevaux ») qui tient de sa mère le goût du luxe et de la dépense. Si bien que Strepsiade a dû contracter dette sur dette, se trouve ruiné et ne peut plus rembourser ses créanciers.

Ayant appris que Socrate tient une école où il enseigne l'art de faire triompher le raisonnement faible sur le raisonnement fort, il veut apprendre de lui le moyen de se débarrasser de ses créanciers sans les payer. Mais comme il ne montre aucune aptitude à comprendre ce qu'on lui enseigne, il fait prendre les leçons par son fils, qui en profite si bien qu'il en arrive à frapper son père en lui prouvant qu'il a raison de le battre. Furieux de l'effet produit par l'enseignement de Socrate, Strepsiade met le feu à son école.

Le moment essentiel de la comédie, l'agôn , met aux prises le raisonnement fort et le raisonnement faible : cette discussion d'une haute tenue entre deux abstractions personnifiées était sans doute trop sérieuse pour le public. Il ne trouva pas une compensation suffisante dans le choeur des Nuées symbolisant par leurs formes les pensées ondoyantes de Socrate, qui planent sur les hauteurs, vides et inconsistantes, ni dans le spectacle du « pensoir » de Socrate, où le maître, suspendu dans une corbeille, raisonne sur les choses célestes et mesure combien de fois une puce saute la longueur de ses pattes.

On a beaucoup reproché à Aristophane d'avoir ainsi ridiculisé, en le faisant passer pour un sophiste, un philosophe respectueux de la morale, des lois de la cité et de la religion traditionnelle. Mais Socrate, par ses manières originales, plus connu de ses concitoyens que les sophistes professionnels, tous venus de l'étranger, entouré d'une troupe de petits jeunes gens aux manières libres et provocantes, était une victime toute désignée à la verve des poètes comiques, et il fut pris à partie aussi par Cratinos, Eupolis et Diphilos : pour ceux qui ne le voyaient que de l'extérieur, ses manières ne se distinguaient pas de celles des sophistes. Il a donc pu recevoir des coups qu'il ne méritait pas, mais qui contribuèrent plus tard à sa condamnation.

« Les Thesmophories »

L'attaque contre Euripide est menée à fond dans Les Thesmophories , où les femmes, comme dans Lysistrata , qui est de la même année, jouent le rôle principal. Au cours de la fête des déesses Thesmophores, qui est interdite aux hommes, les femmes, réunies à la Pnyx, décident de mettre à mort Euripide qui les a calomniées dans ses tragédies. Un parent du poète, déguisé en femme, prend sa défense, mais il est démasqué et il s'ensuit une série de scènes d'un comique assez gros, qui constituent une parodie de diverses tragédies d'Euripide. La matière comique, constituée par les griefs réciproques des sexes, en est traditionnelle.

« Les Grenouilles »

Les Grenouilles  portent le débat sur un plan beaucoup plus élevé. Le dieu du Théâtre, Dionysos, privé d'auteurs par la disparition presque simultanée d'Euripide (407) et de Sophocle (406), décide de descendre aux Enfers pour rechercher Euripide : il prend le déguisement d'Héraclès, et, accompagné de son esclave Xanthias, rencontre des aventures bouffonnes. Mais la parabase rappelle la gravité de la situation et replace le débat littéraire qui va s'ouvrir dans la perspective politique de cette dernière année de la guerre où Athènes, menacée de toute part, va connaître la défaite. La seconde partie de la pièce est occupée par un long débat littéraire où les mérites respectifs d'Euripide et d'Eschyle sont minutieusement pesés. La victoire reviendra à Eschyle parce que ses drames ont contribué à former une génération forte, tandis que l'oeuvre d'Euripide, qui a toujours été à la recherche des innovations, dont la musique est révolutionnaire a contribué à corrompre les moeurs et à amollir les coeurs de ses concitoyens.

Ainsi, le célèbre choeur des grenouilles qui croassent dans les marais du Styx paraît être une critique de l'école musicale du Nouveau Dithyrambe, suivie par Euripide. Et le choeur des initiés qui arbitre le débat en souligne la gravité. La dernière question posée aux deux poètes pour les départager est un problème angoissant d'actualité politique : faut-il ou non, pour sauver Athènes, rappeler d'exil Alcibiade ? La réponse affirmative d'Eschyle est la raison décisive qui lui permet de l'emporter sur son rival : Aristophane montre bien par là que, à ses yeux, le meilleur poète est celui qui se révèle un bon guide pour la cité.

5. L'utopie politique

« Les Oiseaux »

La seule comédie qui semble être du domaine de la fantaisie pure, Les Oiseaux , date de 414. Or c'est un des moments les plus pénibles de la guerre : la paix de 421 a été rompue et les Athéniens ont entrepris dans l'enthousiasme l'expédition de Sicile. Mais cette expédition s'est engagée dans des conditions dramatiques : Alcibiade qui la conduisait est accusé d'avoir fait mutiler les Hermès et d'avoir parodié les Mystères. Menacé d'arrestation, il s'est réfugié auprès des Spartiates. La délation règne dans la ville et les citoyens soupçonnés de complicité sont emprisonnés, jugés et condamnés à mort. On comprend que, dans ces conditions, Aristophane ne pouvait guère écrire une comédie engagée dans l'actualité politique et que la prudence au moins devait l'inviter à l'évasion.

Il imagine donc deux citoyens d'Athènes, Pisthétairos (« Fidèle-Ami ») et Evelpidès (« Bon-Espoir »), qui, las de vivre dans une ville au milieu des procès, ont résolu de se retirer loin du monde des hommes : ils s'en vont trouver les oiseaux à qui ils proposent un plan destiné à leur rendre la souveraineté qu'ils possédaient avant le règne de Zeus ; il leur suffira de construire une cité aérienne qui coupera toutes relations entre les hommes et les dieux. Cette cité de Nephélococcygie (« Coucouville-les-Nuées ») est construite dans l'enthousiasme et l'on assiste au défilé de tous ceux qui aspirent à s'y installer et que Pisthétairos éconduit les uns après les autres.

Les dieux affamés, parce qu'ils ne reçoivent plus les fumées des sacrifices, abandonnent la souveraineté aux oiseaux, et cèdent à Pisthétairos une jolie femme, Royauté, parèdre de Zeus, qu'il emmène aux accents de l'hymne d'hyménée. Plus qu'en aucune autre de ses comédies, Aristophane a su, dans Les Oiseaux , créer un monde féerique et sa puissance d'invention verbale réussit à évoquer l'harmonieux ramage des habitants du ciel. Sans doute, comme le Dionysos des Grenouilles , les dieux sont-ils quelque peu malmenés, mais ce n'est pas par esprit d'irréligion que le poète se moque d'eux. Comme un bouffon peut dire en toute liberté devant un roi les plaisanteries les plus incongrues, comme les paysans traitent avec familiarité les saints qui protègent leurs campagnes, le poète, dans une représentation donnée à l'occasion d'une fête religieuse, bénéficie de toute licence et peut, sans attirer leur vindicte, montrer les dieux dans des postures ridicules.

6. L'utopie sociale

Les deux dernières comédies conservées d'Aristophane sont d'un esprit très différent des autres. C'est que la situation a bien changé : la guerre du Péloponnèse, terminée en 404 par une défaite totale d'Athènes, a été suivie rapidement de nouvelles luttes et d'un certain redressement politique. Mais ces trente années avaient laissé bien des misères et des ruines. Après les dures expériences qu'avaient été la tyrannie des Trente puis les luttes de la libération était venu un désintérêt complet à l'égard de la vie politique. Le poète comique cherche donc ses sujets ailleurs et ces deux pièces le montrent préoccupé de problèmes sociaux.

« L'Assemblée des femmes »

Dans L'Assemblée des femmes  (392), les femmes athéniennes, constatant que tout va mal dans la cité, ont décidé de gouverner à la place des hommes : déguisées en hommes et ayant réussi à empêcher les hommes de sortir de chez eux, elles se réunissent à la Pnyx et prennent le pouvoir. Elles décident d'instaurer la communauté des biens et des femmes. Chacun doit remettre à la collectivité tout ce qui lui appartient, pour être désormais entretenu par elle, et les femmes seront toutes au premier venu ; mais les plus vieilles et les plus laides auront priorité sur les jeunes et les belles. Il en résulte une suite de scènes bouffonnes où la fantaisie se déploie librement. Il est certain que cette utopie communiste, que le poète ne prend guère au sérieux, répond à des théories qui furent développées par des philosophes et que Platon, plus tard, devait reprendre dans sa République .

« Ploutos »

Le Ploutos  (388) est une fantaisie où le dieu de la richesse, qui était aveugle et distribuait ses faveurs au hasard, est guéri de sa cécité et peut n'accorder désormais ses bontés qu'aux gens de bien. Mais la Pauvreté, avec lucidité et vigueur, expose que, sans elle, les hommes resteraient inactifs et qu'elle est indispensable à la civilisation. Comme dans Les Oiseaux , les dieux sont victimes de cette amélioration du sort des hommes qui n'ont plus rien à leur demander et ne leur adressent plus de sacrifices. Une des scènes les plus pittoresques de la comédie est le récit de la guérison de Ploutos, miracle accompli dans le sanctuaire d'Asclépios, dieu de la médecine.

Leur engagement direct dans l'actualité politique donnait aux comédies d'Aristophane un caractère éphémère qui nuisit à la survie de sa gloire et elles ne furent ni reprises dans les siècles suivants ni imitées par les Romains. Leur naturalisme, souvent obscène et scatologique, adapté à un public athénien qui, sur les peintures de vases, pouvait contempler chaque jour des images aussi scabreuses, devait paraître bien choquant aux siècles formés par une éducation chrétienne et, à sa haute fantaisie, on préféra longtemps la sagesse de Ménandre. Cependant, nous sommes redevenus sensibles à sa verve, à son invention verbale, qui n'a d'égale que celle de Rabelais.

La scène du jugement que Racine lui a empruntée dans ses Plaideurs  est bien modeste, par rapport à ce que nous pouvons ressentir aujourd'hui à la lecture et à la représentation de ses comédies. Légèrement adaptés à l'actualité, La Paix  et Les Oiseaux  ont obtenu un large succès dans les années qui précédèrent 1939, et La Paix  a de nouveau touché le coeur des foules à la fin de la guerre d'Algérie. Le génie d'Aristophane était capable de s'élever au-dessus des circonstances particulières à son temps et sa valeur a une portée humaine universelle.

Lire la suite...

Providence et heureux hasard


Un soudain regain d'énergie,
En ce jour, m'a donné l'envie
De sortir de l'indifférence,
De courtiser la providence.

La raison me guide souvent;
Elle éclaire les avantages
À tenir compte de mon âge,
Des conditions de mon présent.

Or il existe des souhaits
Dont résulteraient des bienfaits
Mais qu'elle écarte par prudence;
Ne rien attendre de la chance!

Me trouble certes l'existence,
Offrant des dons en abondance,
En ai saisi ma juste part
Et provoqué d'heureux hasards.

Je croyais ce temps terminé,
Mes caprices éliminés.
J'accueille une nette évidence:
Se joue de tout la providence!

12 janvier 2017

Lire la suite...

12273206675?profile=originalOn appelle origénisme le système théologique attribué à Origène dans certains conflits doctrinaux qui ont divisé l'Église grecque au IVe et au Ve siècle. Les thèses condamnées par différents conciles et par l'empereur Justinien se rapportent à la préexistence des âmes, à l'égalité originelle de tous les esprits, à leur chute due à la satiété de la contemplation, à la forme sphérique des corps ressuscités et au salut universel de tous les esprits, qui retrouveront à la fin des temps leur condition première. En fait, la pensée d'Origène ne se ramène pas à ces seules thèses. L'origénisme défini aux IVe et Ve siècles correspond d'une part à la systématisation que certains disciples d'Origène ont imposée à la doctrine de leur maître, d'autre part aux déformations que les adversaires ont infligées à celle-ci, pour mieux la condamner.

L'oeuvre et la personnalité d'Origène sont beaucoup plus complexes que ne le laissent supposer ces simplifications outrancières. D'une part, Origène est un homme d'Église. Toute sa vie a été consacrée à l'enseignement et à la prédication, c'est-à-dire à l'exégèse de la Bible. Dans ce domaine, il a été un initiateur en créant la critique textuelle de l'Ancien Testament et en rédigeant une masse de commentaires si importante que tous les exégètes postérieurs, grecs et latins, en seront tributaires. D'autre part, il est vrai qu'Origène a rédigé un traité, intitulé Sur les principes , qui contient, explicitement ou en germe, les thèses condamnées. Mais elles n'y sont présentées que par mode de recherche et d'hypothèse explicative, et pour essayer de rendre compte des origines et de la fin de l'histoire du salut. Il n'en reste pas moins que ce traité a une importance capitale, non seulement pour l'histoire de la théologie (c'est le premier essai de théologie chrétienne systématique), mais aussi pour l'histoire de la pensée occidentale, car c'est la première présentation, annonçant déjà Jean Scot, Hegel et Schelling, de l'odyssée métaphysique des esprits revenant à l'unité originelle, après avoir épuisé toutes les expériences de l'histoire.

1. Origène et son oeuvre

D'Alexandrie à Césarée

Origène est né aux environ de 185 dans une famille chrétienne d'Alexandrie. Il gardera toute sa vie le souvenir du martyre de son père qui eut lieu lorsqu'il était lui-même dans sa dix-septième année. Vers l'âge de vingt ans, il ouvrit à Alexandrie une école de grammaire et, en même temps, il alla écouter, selon ses propres termes (Eusèbe de Césarée, Hist. Eccles. , VI, XIX, 11), un « maître des études philosophiques », qui, comme l'ont montré en 1977 et 1983, avec des arguments différents, R. Goulet et H.-R. Schwyzer, n'est pas (comme on le croyait à tort, en s'appuyant sur le témoignage confus de Porphyre), Ammonius Saccas, le maître de Plotin. Les nombreux essais entrepris par divers savants pour reconstruire, à partir de l'enseignement d'Origène, la mystérieuse figure d'Ammonius sont donc inutiles. Le platonisme chrétien d'Origène vient des prédécesseurs qui l'ont inspiré : Pantène et Clément d'Alexandrie. Comme eux, Origène conçoit le christianisme à la manière d'une philosophie qui est non plus l'exégèse de Platon, mais des Écritures, et qui est surtout, comme les autres philosophies de l'Antiquité, une forme de vie. Mais il est moins humaniste que Clément et il insiste beaucoup plus que lui sur l' ascétisme : jeûnes, veilles, pauvreté. Sa célèbre mutilation volontaire a probablement été motivée par une interprétation trop littérale du texte évangélique : « Il y a des eunuques qui se sont rendus tels eux-mêmes pour le royaume des Cieux. » Après 211, Origène renonça à donner des cours de grammaire et commença à enseigner la « philosophie chrétienne ». Le rayonnement de son enseignement fut si grand que même des personnalités politiques de l'époque s'intéressèrent à lui. Il fut convoqué par le gouverneur d'Arabie vraisemblablement à Bosra et surtout par Julia Mammaea, mère de l'empereur Alexandre Sévère, lors du séjour de celle-ci à Antioche en 231-232. La vie d'Origène fut remplie par une activité intense d'enseignement, de production littéraire et par de multiples pérégrinations autour de deux centres : d'une part, Alexandrie, de son enfance à 232, avec des voyages à Rome (215), en Arabie (229), en Palestine (230), à Antioche (231-232) ; d'autre part, Césarée, de 232 à sa mort, avec des voyages à Athènes (233 et 245), Nicopolis (245), Nicomédie (248). Son enseignement et ses méthodes d'exégèse avaient été fortement controversées à Alexandrie. Après un premier exil volontaire vers 230, qui le mena à Césarée, Origène quitta définitivement Alexandrie en 232 et, lors de son voyage à Athènes, il s'arrêta de nouveau à Césarée, où l'évêque Théoctiste l'ordonna prêtre, ce qui suscita une violente réaction de l'évêque d'Alexandrie, Démétrius, qui dénonça à la fois les hérésies d'Origène et l'irrégularité de l'ordination d'un castrat. Ces attaques, comme celles du successeur de Démétrius, Héraclas, obligèrent Origène à se défendre dans plusieurs lettres de caractère autobiographique. Emprisonné et torturé pendant la persécution de Dèce, il mourut peu après la fin de la persécution, donc après 251.

La science biblique

La plus grande partie de l'activité d'Origène a été consacrée à l'exégèse de la Bible. On lui doit tout d'abord une édition en six versions (Hexaples ) du texte de l'Ancien Testament, comprenant le texte hébreu transcrit en caractères grecs, puis les traductions grecques des Septante, d'Aquila, de Symmaque, de Theodotion et de deux autres traducteurs anonymes. Conservé à Césarée, le texte original de cette oeuvre gigantesque fut détruit au VIe siècle, sans qu'il en subsistât de copie complète. Appliquant à l'Écriture les méthodes dont certains philologues alexandrins comme Zénodote et Aristarque s'étaient servis pour l'établissement du texte d'Homère, il en reprend notamment le système de signes critiques (obèles et astérisques) et l'utilise pour marquer les passages de la traduction des Septante qui ne se retrouvent pas dans l'original hébreu, ou les passages qu'il a dû ajouter à celle-ci pour donner une version complète de l'original hébreu.

Presque pour chaque livre de la Bible, Origène avait rédigé trois types d'interprétation : des scholies (courtes notes relatives à des passages difficiles) ; des commentaires très développés ; enfin des homélies, c'est-à-dire des sermons qui, pour la plupart, ont été recueillis par des sténographes. De cette oeuvre immense, une partie seulement a été conservée : presque rien des scholies ; des fragments, parfois assez importants, dans l'original grec ou en traduction latine, des commentaires sur le Cantique des cantiques, sur Matthieu et sur Jean ; enfin, un assez grand nombre d'homélies, qui, elles aussi, souvent, n'existent plus qu'en traduction latine.

L'oeuvre exégétique d'Origène est gigantesque, non seulement par son étendue, mais par l'ampleur de son information (Origène utilise de précieuses données fournies par l'exégèse rabbinique ou les traditions non canoniques et exotériques) et par l'élan spirituel qui l'anime. L'Écriture entière, Ancien et Nouveau Testament, a un sens spirituel ; c'est là la conviction profonde d'Origène. Ce sens spirituel ne peut être découvert que par les « spirituels » ; il est le fruit de l'ascèse et de la contemplation. C'est pourquoi les juifs, qui n'ont pas répondu à la grâce du Christ, ne peuvent comprendre que l'Ancien Testament n'est que la figure du Nouveau ; c'est pourquoi les gnostiques voient dans l'Ancien Testament l'oeuvre du mauvais Démiurge, incapables qu'ils sont d'en saisir le sens spirituel ; c'est pourquoi enfin les chrétiens littéralistes se font une fausse idée de Dieu. Ainsi Origène convie-t-il ses lecteurs ou ses auditeurs à un perpétuel approfondissement du sens de l'Écriture. Il présente assez souvent sa méthode exégétique en faisant appel à la distinction entre trois sens de l'Écriture correspondant aux trois parties de l'homme : le corps, l'âme, l'esprit. Le « sens littéral » est celui auquel restent attachés les simples ou les littéralistes : les charnels. Le « sens moral » recherche, derrière la lettre, une allégorie capable d'édifier la vie morale. Le « sens spirituel » se rapporte aux « biens spirituels », c'est-à-dire « à la sagesse cachée dans le mystère ». En fait, il s'agit là d'un schéma théorique, dont les applications sont très complexes. Le sens moral peut, il est vrai, utiliser l'exégèse allégorique dans une perspective purement morale et anthropologique, qui est tout à fait conforme à la tradition de Philon d'Alexandrie. Mais il peut aussi se rapporter à la vie intérieure du Verbe divin dans l'âme, donc à l'aspect intime du mystère du salut. De ce point de vue, il ne se distingue plus vraiment du sens spirituel, qui correspond à la contemplation des mystères de la sagesse divine soit dans l'Église, soit dans le monde, soit dans l'âme. La recherche du sens spirituel ne va d'ailleurs pas sans un certain ésotérisme : dans les mystères du salut sont intégrés des mystères de l'au-delà, puisés dans des traditions apocalyptiques apocryphes chères au judaïsme et au judéo-christianisme. On retrouvera cette tendance ésotérique dans le système théologique d'Origène. Dans l'exégèse spirituelle, le moindre détail de l'histoire de l'Ancien Testament devient le signe et la figure des événements terrestres ou célestes de l'histoire du salut.

Pour Origène, l'Écriture est, au même titre que l'humanité du Christ et peut-être même à un degré supérieur, un des modes de la présence du Verbe divin en ce monde. Par elle, la Sagesse éternelle, la Parole substantielle de Dieu devient la nourriture de l'âme. La compréhension de la Parole divine à travers le texte sacré dépend de la disposition intérieure de l'âme, de sa docilité au Verbe divin. La vie spirituelle correspond à un progrès continuel dans l'intelligence spirituelle de l'Écriture. Selon les étapes du progrès spirituel, selon la transformation intérieure de l'âme, des aspects sans cesse nouveaux du Verbe divin se révèlent à celle-ci : de nouveaux noms du Verbe lui deviennent intelligibles. Comme son système théologique, la méthode exégétique d'Origène est dominée par la notion de révélation progressive et d'éducation lente et graduelle des créatures spirituelles.

Le système théologique : le traité « Sur les principes »

Le traité Sur les principes  permet de comprendre un des aspects essentiels de l'origénisme. Il expose, en effet, le mode de recherche propre aux spirituels, qui ont reçu les dons de sagesse et de science.

Le spirituel et l'intelligence de la foi

Ainsi que l'expose très clairement la préface du traité, les spirituels doivent prendre pour point de départ les divers articles de la règle de foi, tels qu'ils ont été définis par les Apôtres. A partir de là, une double tâche les attend : d'une part, si les vérités de foi ont été pleinement et clairement définies par les Apôtres, les spirituels doivent chercher à en rendre raison, en voyant leur enchaînement, en les intégrant donc à un système ; d'autre part, si les vérités de foi ont été seulement affirmées, sans avoir été clairement exposées et définies (c'est le cas de l'existence des anges et du diable), les spirituels doivent exercer leur esprit à définir le contenu de ces notions. Dans les deux cas d'ailleurs, Origène le dit explicitement, il s'agit d'un exercice spirituel d'intelligence de la foi ; il s'agit d'exercer l'esprit à la contemplation des réalités spirituelles ; ces efforts de systématisation ne prétendent pas construire un système absolu et définitif, mais ils sont destinés à faire progresser le spirituel dans la méditation des mystères divins. La préface énumère donc d'abord les vérités de foi pleinement définies : l'unité de Dieu, la génération du Fils de Dieu et son incarnation, l'action salvatrice de l'Esprit saint, la destinée des âmes, vouées après la mort à la béatitude ou à la damnation ; puis, elle énumère les vérités de foi pour lesquelles la recherche spirituelle peut encore apporter des précisions : le rapport de l'Esprit saint avec le Fils de Dieu, l'origine des âmes, l'origine et le mode d'être des anges et des démons, le rapport entre le monde dans lequel nous sommes et d'autres mondes antérieurs ou postérieurs.

L'ouvrage est divisé en quatre livres, qui ne correspondent pas à des articulations de l'exposé, mais seulement aux dimensions matérielles des volumina  sur lesquels ils ont été écrits. En fait, on peut y distinguer deux exposés successifs des différents points de la règle de foi, et un résumé final.

La destinée des âmes

Le premier exposé (I, I-II, III) montre notamment comment Dieu est incorporel, comment le Fils, Sagesse et Verbe de Dieu, et l'Esprit saint ont une réalité substantielle et comment les noms que leur donne l'Écriture révèlent leur rôle dans l'économie du salut. Cela conduit Origène au problème de la destinée des âmes. S'il y a un salut, il faut qu'il y ait eu une chute. C'est au récit de cette chute qu'est consacrée la plus grande partie de l'exposé. Originellement tous les esprits, ou natures raisonnables, étaient égaux et unis dans la contemplation bienheureuse de la Trinité. Mais une sorte d'appesantissement et de satiété les a saisis et ils ont relâché l'intensité de leur contemplation. Ils se sont ainsi éloignés plus ou moins de Dieu et les uns des autres. La différence entre les esprits, notamment entre les anges et les âmes, ne provient donc pas d'une différence de nature, mais d'une diversité de disposition intérieure, qui se manifeste par une matérialisation plus ou moins grande. Ainsi, la matière n'est pas la cause de la chute des esprits, elle n'en est que la conséquence. En rapport avec cette chute des esprits, Dieu crée donc une seconde nature : l'univers sensible qui permettra aux natures raisonnables corporéisées et incarnées de retrouver, dans l'épreuve, leur pureté originelle. Mais cette purification des esprits ne peut s'accomplir par un seul séjour dans le monde sensible. En effet, après un tel séjour, certains esprits accentuent leur chute, d'autres ne remontent qu'imparfaitement. Or tous les esprits doivent être purifiés, en vertu du principe selon lequel la fin doit être identique au commencement ; tous les esprits doivent se retrouver dans l'état d'unité et d'égalité où ils se trouvaient originellement. Il faut donc que l'odyssée des esprits se poursuive dans une suite de mondes qui doivent être différents les uns des autres puisque, en chacun de ces mondes, les dispositions et les qualités spirituelles des esprits varient. Ainsi s'acheminent-ils vers la fin de toutes choses, vers la restauration définitive de l'unité originelle.

Réfutation des gnostiques

Un second exposé (II, IV-IV, XXVI) reprend les différents points de la règle de foi en un ordre à peu près identique à celui du premier. Mais, cette fois, la perspective est plus nettement polémique : s'il s'agit de réfuter les objections que les gnostiques opposent aux vérités de la foi, il s'agit notamment de redresser les fausses interprétations qu'ils donnent des textes scripturaires. C'est pourquoi Origène démontre tout d'abord l'identité du Dieu de la Loi et du Dieu des Évangiles, du Dieu juste de l'Ancien Testament et du Dieu bon du Nouveau Testament, identité qui était contestée par les gnostiques. Revenant ensuite sur la génération et l'incarnation du Fils de Dieu, il concentre son attention sur l'âme du Christ, intermédiaire grâce auquel le Verbe divin s'est incarné. De tous les esprits, elle est le seul qui soit resté indissolublement uni au Verbe divin. C'est donc par son mérite propre qu'elle a pu être la seule créature spirituelle digne de recevoir en elle la plénitude substantielle du Verbe. Après avoir traité assez rapidement du nom de Paraclet attribué à l'Esprit saint dans l'Écriture, Origène revient au thème qui lui est cher, celui de la destinée des âmes. Originellement, Dieu a créé un nombre déterminé et convenable d'esprits ou de créatures raisonnables, ce nombre exprimant précisément la rationalité de l'acte créateur. Tirées du néant par la création, les créatures raisonnables sont changeantes ; tout ce qu'elles sont et tout ce qu'elles ont provient de la libéralité divine. C'est pourquoi Dieu leur a donné aussi la liberté, afin qu'elles puissent s'approprier, par une décision volontaire et libre, le don divin. Mais cette liberté comportait en soi aussi la possibilité de pécher. Elle a donc provoqué un éloignement plus ou moins grand des esprits par rapport à Dieu. La diversité qui existe entre les natures spirituelles, le refroidissement des âmes qui les a fait déchoir du rang angélique résultent donc de la liberté des créatures raisonnables, non, comme le voudraient les gnostiques, de l'intervention d'un démiurge mauvais. La liberté engage donc les esprits en une suite de chutes, de jugements, d'épreuves qui leur font parcourir les diverses périodes cosmiques et les différents lieux sidéraux. Longue initiation, long cycle d'études qui prépare les esprits à la vision définitive de Dieu, dans laquelle ils retrouveront leur unité originelle. La liberté de la créature apparaît donc comme un facteur central de l'histoire de l'univers. Origène lui consacre un développement assez long, en cherchant à la définir philosophiquement d'une manière plus précise et en interprétant certains textes scripturaires qui semblent, au premier abord, nier l'existence d'un libre arbitre chez l'homme. A cause de cette liberté, les créatures spirituelles peuvent tomber des sommets du bien aux abîmes du mal : Origène examine donc la situation et le rôle des créatures spirituelles parvenues à l'extrémité du mal et devenues les ennemies de Dieu, ainsi que la lutte spirituelle qui s'instaure au sein de l'âme humaine contre ces puissances hostiles. Progressivement, Dieu triomphera de ses ennemis, c'est-à-dire qu'il les ramènera à lui, que leur volonté mauvaise deviendra une volonté bonne, et que finalement Dieu sera tout en tous.

Dans toute cette recherche, Origène a utilisé des textes scripturaires. Il l'achève donc par une réflexion sur l'inspiration de l'Écriture sainte et sur la manière dont il convient de lire et de comprendre l'Écriture. L'ouvrage se termine par un résumé de quelques pages qui souligne de nouveau certains points importants de l'exposé.

Création et liberté de la créature

C'est ainsi un système grandiose qu'Origène propose dans ce traité Sur les principes . Pour la première fois, semble-t-il, dans l'histoire de la pensée occidentale, la liberté de la créature devient partie intégrante du processus créateur. La raison divine a créé libres les créatures raisonnables afin qu'elles deviennent librement raisonnables, afin qu'elles puissent s'approprier réellement ce qui n'était qu'un don gratuit de la libéralité divine. L'exercice et l'éducation de cette liberté exigent de longues épreuves : c'est tout le sens de la durée cosmique. En effet, au commencement, la liberté introduit, dans l'unité et l'équilibre originels, rupture, altérité, diversité, « aliénation » : ce déséquilibre produit l'apparition de plans de réalité hiérarchisés, qui peuvent aller jusqu'à l'hostilité et l'inimitié totales avec Dieu. Pour rétablir l'équilibre, la raison organise cette variété et cette diversité. Les mondes sensibles ainsi créés serviront de lieu d'épreuves aux esprits : la succession de ces mondes, leur durée seront fonction de la lente éducation de la liberté par la raison. La restauration finale de l'équilibre et de l'unité sera le signe que tous les esprits sont devenus librement esprits, c'est-à-dire qu'ils ont adhéré volontairement à l'unité divine. Dans ce système, la nature humaine n'est qu'un phénomène provisoire. Notre moi n'est humain qu'en liaison avec une certaine disposition intérieure qui est destinée à être dépassée. En fait, il est originellement et foncièrement spirituel, c'est-à-dire divin.

Ce système était destiné à rendre compte des articles de foi. De fait, l'incarnation du Christ y trouve sa place, en liaison avec l'éducation des esprits tombés. Mais les grands principes : identité de l'origine et de la fin, égalité originelle de tous les esprits, triomphe final de l'unité sur la diversité ne sont pas spécifiquement chrétiens. Et pourtant, sans tradition chrétienne, ce système n'aurait probablement pas été possible : la signification cosmique attribuée à la liberté des esprits semble bien être une notion nouvelle liée à la problématique chrétienne.

2. L'origénisme

L'origénisme en Orient aux IIIe et IVe siècles

Au IIIe siècle, beaucoup de penseurs chrétiens, à Alexandrie et à Césarée, se situent dans la tradition d'Origène (Denys d'Alexandrie, Théognoste, Grégoire le Thaumaturge, Pamphile), tandis qu'en revanche une forte réaction, notamment contre la théorie origénienne de la préexistence des âmes, commence à se dessiner, surtout à Antioche.

Au IVe siècle, la théologie trinitaire origéniste, soutenue en particulier par Eusèbe de Césarée, sera suspectée d'arianisme par les partisans de la consubstantialité entre le Père et le Fils proclamée au concile de Nicée. Sur ce point, l'enseignement d'Origène sera rapidement dépassé par l'évolution du dogme, et les plus fervents origénistes l'abandonneront. Mais l'oeuvre exégétique du maître resta extraordinairement vivante ; elle fut abondamment utilisée par Eusèbe de Césarée, Didyme d'Alexandrie et les Cappadociens : Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée et Grégoire de Nysse.

Surtout la cosmologie du traité Sur les principes  est loin d'avoir été oubliée. Dans certains milieux monastiques égyptiens, à Nitrie et aux Cellules entre autres, elle est encore en honneur aux environs de 374. A Jérusalem, au monastère du mont des Oliviers, fondé par Mélanie l'Ancienne et Rufin, on ne cache pas l'enthousiasme qu'on éprouve pour l'ensemble de cette oeuvre. C'est en contact avec ces milieux favorables à Origène que va se développer la pensée d'Évagre le Pontique (346-399), qui représente indiscutablement une véritable renaissance de l'origénisme. Contre ces tendances se manifestera d'ailleurs une réaction violente de la part d'Épiphane de Salamine (chap. LXIV de son Panarion  composé en 374-377), de la part aussi de Jérôme, notamment dans son traité Contre Jean de Jérusalem  (396), enfin de la part de Théophile d'Alexandrie, dans ses « lettres festales » de 400-404. Comme l'a bien montré A. Guillaumont, les thèses visées dans ces différents documents sont bien celles d'Évagre le Pontique, dont il est tout à fait intéressant de présenter brièvement la doctrine, pour exposer la manière dont la pensée origénienne a été systématisée par le disciple.

Évagre le Pontique

L'oeuvre dans laquelle s'exprime le plus clairement l'origénisme d'Évagre, ses Centuries gnostiques , ne nous est pas parvenue en grec. A. Guillaumont en a découvert une version syriaque intégrale, non expurgée des passages origénisants, et il a pu ainsi reconstruire les grandes thèses origénistes d'Évagre.

La première création ne comprend qu'un monde spirituel d'intelligences que Dieu - Trinité et unité - a produites afin d'être connu par elles. Ces intelligences, unies au Verbe de Dieu, sont toutes égales entre elles et forment une unité parfaite. La rupture de cette unité se produit par la faute des intelligences : elles se lassent, relâchent leur contemplation. C'est le « premier mouvement » qui sépare les intelligences, non seulement de l'unité originelle, mais aussi les unes des autres. Seul de tous, le Christ, intellect originellement égal aux autres, n'a pas relâché sa contemplation et est resté uni au Verbe divin, sans se laisser entraîner par le mouvement premier.

La seconde création, celle des mondes matériels, est l'oeuvre du Christ. Elle est destinée à fournir aux êtres spirituels déchus un moyen de salut. Les esprits deviennent des anges, des démons, des âmes humaines : ils reçoivent, en vertu d'un premier jugement, des corps qui correspondent à leur degré de chute, c'est-à-dire à leur capacité de connaissance. Aux différents degrés de contemplation correspondent des états corporels différents. Le salut des intelligences se fait en passant d'une contemplation à une autre, jusqu'à la « contemplation naturelle première », qui correspond à l'état angélique. C'est donc la qualité de la contemplation qui détermine la situation ontologique. Dans cette histoire des esprits, il peut y avoir des montées et des descentes, des passages successifs dans des corps supérieurs ou inférieurs jusqu'à la libération finale.

Grâce à la série de purifications qui les fait passer par une suite de mondes, les êtres intelligents s'élèvent peu à peu à l'état angélique, c'est-à-dire qu'ils acquièrent tous un corps spirituel. Après le « vendredi » du mode sensible, c'est le septième jour, celui du règne du Christ sur les intelligences. Mais ce règne prendra fin. Les intelligences redeviendront égales au Christ ; le corps et la matière disparaîtront, l'unité originelle sera restaurée, ce sera le dimanche, le huitième jour, la réintégration de tous dans l'unité originelle.

On retrouve sans peine dans ce système les grandes lignes de la pensée d'Origène. La systématisation effectuée par Évagre se reconnaît tout spécialement aux dénominations qu'il a données aux différentes phases du processus cosmique : « mouvement premier », pour désigner la rupture de l'unité ; « contemplation naturelle première », pour l'état angélique des esprits parvenus à l'impassibilité ; « contemplation naturelle seconde », pour l'état des âmes humaines travaillant encore à se libérer de leur passion ; « septième jour », pour le règne du Christ sur les êtres raisonnables ; « huitième jour », pour la restauration de l'unité première.

Les querelles en Orient au VIe siècle

Dans certains milieux monastiques, l'origénisme resta en honneur. On retrouve des moines fervents origénistes à la Nouvelle Laure, fondée en 507 à une vingtaine de kilomètres de Jérusalem. Les réactions contre cette tendance doctrinale et les luttes qui agitèrent les milieux monastiques à partir de 514 eurent pour conséquence un édit de l'empereur Justinien promulgué en 543 et condamnant l'origénisme. Malgré cet édit, les querelles provoquées par l'existence du parti origéniste de la Nouvelle Laure ne cessèrent pas. C'est pourquoi, au Ve Concile oecuménique, convoqué à Constantinople pour régler l'affaire des « Trois Chapitres », en l'année 553, l'origénisme fut à nouveau condamné et les noms d'Origène et d'Évagre anathématisés. Comme l'a montré A. Guillaumont, la doctrine d'Évagre fournit la clef qui permet de comprendre comment, parmi les thèses origénistes condamnées en 553, plusieurs ne se retrouvent pas dans le traité Sur les principes  : c'est en fait la doctrine d'Évagre qui a été condamnée sous le nom d'origénisme. Tout spécialement, c'est sa christologie qui est visée dans les anathématismes de 553. En systématisant la doctrine origénienne, Évagre avait été conduit en effet à considérer le Christ comme un intellect, ou nature raisonnable, égal, dans l'unité première, aux autres intellects ou natures raisonnables. Mais, à la différence de celles-ci, le Christ était resté uni au Verbe, c'est-à-dire à la science de l'unité. D'où son rôle dans le salut des autres intellects : c'est le Christ (et non pas Dieu lui-même) qui avait créé les mondes sensibles, lieu d'épreuves pour les autres intellects. C'est le Christ (et non pas le Verbe, mais le Christ ayant en lui le Verbe) qui s'était incarné pour secourir les intellects tombés. De telles affirmations ne se trouvaient pas chez Origène, mais elles découlaient de la systématisation par Évagre des idées origéniennes concernant l'égalité originelle des esprits.

L'origénisme en Occident

L'influence d'Origène s'est exercée en Occident d'une manière surtout anonyme. Pendant tout le IVe siècle, la plupart des Pères latins ont littéralement pillé l'oeuvre exégétique d'Origène ; c'est notamment le cas d'Hilaire, pour son commentaire sur les Psaumes, d'Ambroise et de Jérôme pour presque toute leur oeuvre homilétique ou exégétique. A la fin du IVe siècle, Rufin d'Aquilée, dont on a déjà parlé à propos des tendances origénistes du monastère du mont des Oliviers, traduisit en latin (et sauva ainsi de la destruction) de nombreuses homélies sur l'Ancien Testament, une partie du commentaire sur le Cantique des cantiques et surtout le traité Sur les principes .

Grâce à Hilaire, à Ambroise de Milan et à Jérôme lui-même, la méthode exégétique origénienne a été introduite en Occident et a marqué toute l'exégèse médiévale. Surtout, grâce aux nombreuses pages d'Ambroise consacrées à commenter le Cantique des cantiques à l'aide d'Origène, la piété médiévale sera profondément influencée par la mystique origénienne. L'épouse du Cantique sera l'âme désireuse de recevoir le baiser du Verbe de Dieu et de pénétrer dans les mystères de sa sagesse et de sa science, comme dans la chambre nuptiale de l'Époux céleste. La doctrine des noces mystiques de l'âme et du Verbe, la théorie des sens spirituels, notamment du goût et du toucher mystiques de Dieu, domineront toute la spiritualité occidentale, qu'il s'agisse de Bernard de Clairvaux ou de Thérèse d'Avila.

La pensée origénienne et l'essence de l'origénisme ont été interprétées dans des sens extrêmement différents. Pour les uns (H. Koch, H. Jonas, E. de Faye), il s'agit purement et simplement d'un système néo-platonicien ; pour d'autres, le christianisme d'Origène ne fait pas de doute, mais il y a conflit entre la foi traditionnelle et le système philosophique (G. L. Prestige). Certains (H. Crouzel) voient surtout chez Origène une sagesse mystique. D'autres interprètes (M. Harl) décèlent une évolution dans la pensée d'Origène, l'effort de systématisation étant plus grand dans la jeunesse, les préoccupations spirituelles plus intenses dans la vieillesse. D'autres enfin (J. Daniélou) insistent sur la grande diversité d'aspects de l'origénisme, en reconnaissant un certain manque de cohérence entre le système cosmologique et l'exégèse biblique.

Peut-être faut-il insister en terminant sur le fait que les systématisations d'Origène ou de son disciple Évagre n'ont jamais eu pour but d'édifier un corps de doctrine définitif et figé. Elles furent avant tout des appels à l'esprit de libre recherche, des exercices spirituels destinés à élever l'esprit à un point de vue supérieur, des exhortations à l'audace intellectuelle.

 

Lire la suite...
RSS
M'envoyer un mail lorsqu'il y a de nouveaux éléments –

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles