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guerre et paix (5)

Séance solennelle de rentrée des cinq Académies -2014

- "Nécessité et responsabilité", par Jean-Claude Casanova
- "Arrière et avant-garde", par Gilbert Amy
- "La science dans la guerre, et la guerre dans la science", par Jean-Pierre Kahane
- "L'art et la guerre", par Roland Recht
- "La marque et la trace", Pierre Nora

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12273207869?profile=originalll s'agit d'un essai publié en 1962 par le sociologue français Gaston Bouthoul (1896-1980). Dans cet ouvrage, l'auteur aborde un problème auquel s'est affronté l'humanité de tous les temps. Ce livre marque la rupture avec la conception traditionnelle de la guerre. Il est indispensable à tous ceux qui veulent la découvrir autrement qu'à travers le point de vue archaïque qui a prévalu universellement jusqu'à nos jours. L'expression politique de la vieille conception qui a dominé jusqu'à nos jours était résumée dans l'expression classique: "Si tu veux la paix, prépare la guerre". La polémologie nous donne les fondements d'un véritable pacifisme scientifique. Et d'abord, qu'est-ce exactement que la polémologie? C'est l'étude objective et scientifique des guerres en tant que phénomène social susceptible d'être observé comme tout autre, cette étude devant par conséquent constituer un chapitre nouveau de la sociologie. La méthodologie de la guerre est presque entièrement à créer, toute étude du phénomène guerre s'étant jusqu'alors heurté à différents obstacles insurmontables tels que la pseudo-évidence de la guerre, le côté volontaire des guerres et aussi l'illusionnisme juridique. Bouthoul expose donc les méthodes d'investigation qu'il a employées. D'abord la description des faits matériels bruts, puis celle des comportements psychiques. Ensuite, il passe au premier degré à l'explication, celle des historiens et analystes. Le deuxième degré sera constitué des opinions et doctrines sur les guerres en général, celles des théologiens comme celles des métaphysiciens et des moralistes. En un mot, il s'agit de dégager une véritable philosophie de la guerre. Enfin, reste du travail propre au polémologue, celui des choix et rapprochements de faits. Il s'agit là d'une observation directe, d'une étude des comportements. Toutes ces données permettent d'entrevoir quelles peuvent être les fonctions que remplissent les guerres dans les équilibres sociaux. Enfin, la présence de la guerre dans tous les types de civilisations connus, le fait qu'elle est inséparable des mentalités et des institutions les plus diverses, et surtout ses analogies avec certaines fonctions biologiques, pose la question de sa périodicité. Il ne reste plus à établir qu'une typologie rationnelle des sociétés, et des guerres. Du propre aveu de l'auteur, tous ses efforts pour créer une typologie sociale sur laquelle on puisse se reposer se sont jusqu'à présent heurtés à différents obstacles. Aussi cette absence l'oblige-t-elle à des parallèles incessants avec chacun des aspects des guerres. Malgré ceci, "la constitution d'une science des guerres n'a jamais été plus urgente... La guerre qui, au XVIIIe siècle, était un jeu de prince est devenue une catastrophe. Elle sera demain un cataclysme. Sans la constitution rapide d'une polémologie, toutes les autres sciences risquent de devenir superflues."

 

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12273207487?profile=originalAristophane est le plus grand poète comique grec. Ses comédies, qui peuvent paraître, avec leur fantaisie verbale et leurs outrances grossières, destinées à faire rire la populace, témoignent d'une attitude franche et réfléchie en face des problèmes qui se posaient à ses contemporains : elles expriment les convictions profondes d'un citoyen engagé dans la vie politique et attentif au mouvement des idées.

1. Un dramaturge engagé

Aristophane, né à Athènes sans doute en 445 avant J.-C., fit représenter sa première comédie, Les Banqueteurs , où, semble-t-il, il raillait l'éducation des sophistes, en 427, sous un nom d'emprunt, comme la deuxième, Les Babyloniens , dirigée contre le démagogue Cléon, en 426. La plupart de ses pièces ont été publiées pendant la guerre du Péloponnèse, qui dura de 431 à 404, et elles sont profondément marquées par l'actualité. Elles appartiennent à ce que l'on a appelé la comédie « ancienne », dont la structure complexe est illustrée par une mise en scène à grand spectacle. Le choeur participe à l'action avec animation et, dans une sorte d'intermède, la parabase, dépouillant son déguisement grotesque, s'avance vers les spectateurs et leur adresse, sur un ton sérieux, un grave discours au nom du poète, qui donne à ses concitoyens des conseils de morale et de politique. Les personnages les plus en vue ne sont pas ménagés et sont parfois représentés dans les postures les plus ridicules.

Les deux dernières comédies conservées, L'Assemblée des femmes  (392) et le Ploutos  (388), postérieures à la guerre, sont d'un genre différent et on les rattache à ce qu'on appelle parfois la comédie « moyenne » : on n'y trouve plus d'invectives directes contre les personnalités en place et, le rôle du choeur devenant de moins en moins important, la part du spectacle s'y trouve aussi réduite.

Il semble qu'Aristophane mourut vers 380 après avoir fait jouer 44 pièces, dont 11 seulement ont subsisté. Si les dates de sa vie sont incertaines, les détails n'en sont guère mieux connus, sinon par les rares allusions qu'il y fait lui-même dans son oeuvre. Une inscription du début du IVe siècle atteste qu'Aristophane, du dème de Kydathénée, fut prytane de la tribu Pandionis ; elle permet donc de réfuter les hypothèses d'après lesquelles il n'aurait pas été un citoyen à part entière. Mais on ne sait rien ni de ses attaches politiques ni de ses activités de citoyen, en dehors de ce qu'en révèlent ses comédies.

Pour en comprendre l'esprit, il faut se représenter le climat de guerre dans lequel elles ont vu le jour. Menacés par les continuelles incursions des Lacédémoniens, les paysans de l'Attique avaient abandonné leurs terres et s'étaient réfugiés autour de la ville, à l'abri des Longs-Murs. Une guerre qui se prolonge pendant près de trente ans, avec ses alternatives de succès et de revers, ses transferts de populations et ses massacres, entraîne normalement un enchaînement de crises, économique, politique, morale.

Aristophane prend position devant cette crise de la conscience athénienne : il lutte de toutes ses forces contre la guerre ; il dénonce ce qu'il en considère comme la cause directe, la décadence politique due à l'action des démagogues ; il rend enfin responsable de cette décadence la crise morale provoquée par les corrupteurs de la jeunesse et du peuple que sont les intellectuels du clan de Socrate ou d'Euripide. En face de ces novateurs, son attitude est celle d'un conservateur : son esprit s'accorde bien avec celui des paysans attachés à leur vie de travail paisible, méfiants à l'égard des beaux parleurs de la ville, hostiles aux idées neuves. C'est à ces vieux Athéniens, qui travaillent dur et vivent sobrement toute l'année pour faire bombance et déchaîner leurs instincts aux jours de fête, que s'adresse la poésie grave et truculente d'Aristophane.

2. La lutte pour la paix

L'amour de la paix s'exprime surtout dans Les Acharniens  (425), La Paix  (421) et Lysistrata  (411). On y retrouve des thèmes communs. Les causes de la guerre y sont raillées comme futiles ; le rôle des profiteurs de guerre, des généraux et des fabricants d'armes y est stigmatisé. La paix est célébrée pour toutes les joies qu'elle apporte, la vie tranquille à la campagne, la bonne chère, les réunions joyeuses et les plaisirs de l'amour. On aurait pu reprocher à Aristophane d'évoquer en pleine guerre ce qu'il y a de plus égoïste et de plus sensuel dans les bienfaits de la paix : mais on doit plutôt le louer d'avoir reconnu et proclamé avec franchise et courage ce qu'il y avait d'absurde dans ces guerres où les cités grecques s'entre-déchiraient sans défendre d'autre idéal que leur impérialisme respectif.

« Les Acharniens »

La guerre faisait rage depuis six ans, l'Attique était ravagée par les Lacédémoniens, des succès partiels entretenaient l'esprit guerrier quand Aristophane présenta au concours Les Acharniens . Le dème d'Acharnes était un de ceux qui avaient le plus souffert et ses habitants en voulaient particulièrement aux Lacédémoniens. C'est dans ces conditions qu'un brave Athénien, Dicéopolis, voyant que l'assemblée du peuple ne consent pas à discuter de la paix, conclut en son nom personnel une trêve avec l'ennemi et réussit, au milieu du monde en guerre, à jouir de la paix et de ses avantages. Pour réussir à établir sa trêve personnelle avec les Lacédémoniens, il doit triompher du choeur, une troupe de charbonniers d'Acharnes, qui ont essayé de s'opposer à lui dans une violente bagarre. Il connaît alors l'abondance et la félicité, parmi ses concitoyens plongés dans la misère. Dans une suite de scènes bouffonnes jusqu'à l'obscénité, il reçoit un Mégarien et un Béotien venus lui apporter des marchandises précieuses que le blocus empêchait alors de parvenir à Athènes ; un général et un sycophante sont au contraire mis dans des situations ridicules et outragés, et la pièce s'achève dans une orgie de plaisirs.

« La Paix »

La Paix  fut jouée quatre ans plus tard. La guerre et les souffrances avaient continué, mais les deux chefs les plus acharnés, l'Athénien Cléon et le Spartiate Brasidas, venaient de trouver la mort à Amphipolis. Des négociations étaient en cours, qui devaient aboutir, quelques jours après la représentation, à la conclusion de la paix de Nicias. Aristophane, en célébrant la paix, ne se heurtait donc plus cette fois à l'opinion publique : il ne remporta pourtant pas le premier prix qui fut attribué à Eupolis pour sa comédie Les Flatteurs , dont le sujet n'était pas politique.

La Paix  commence par une scène à la fois pittoresque et scatologique : deux esclaves préparent en discutant la nourriture malodorante destinée à un escarbot géant que le vigneron Trygée se propose d'utiliser comme monture afin de s'élever jusqu'au ciel, où il veut aller demander à Zeus de mettre fin à la guerre. Puis, soulevé par une machine, Trygée s'envole jusqu'au sommet des bâtiments du théâtre. Polémos, dieu de la guerre, s'apprête à écraser dans un mortier tous les peuples grecs, mais il a perdu son pilon, c'est-à-dire Cléon ; en attendant qu'il en retrouve un autre, Trygée invite les paysans de tous les pays à s'unir pour retirer en hâte la Paix du fond d'une caverne où elle a été enfouie. Dans une scène vivante, ils se mettent tous à tirer avec enthousiasme sur un câble, et cette image des peuples jusque-là ennemis, collaborant fraternellement, ne manque ni de générosité ni de grandeur. Ayant atteint ce sommet, la pièce continue par une suite de scènes qui sont comme autant de divertissements, un sacrifice d'actions de grâces, un entretien avec le diseur d'oracles et le marchand d'armures, privés de leur clientèle, et le marchand de faux qui va faire fortune, pour finir par un joyeux cortège d'hyménée, Trygée emmenant chez lui comme épouse la belle Opôra, déesse des moissons et des fruits.

« Lysistrata »

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Quand Aristophane donna au public Lysistrata , la situation d'Athènes était critique : la guerre avait repris et, à la fin de 413, les Athéniens avaient connu en Sicile un désastre sans précédent ; la plupart de leurs alliés faisaient défection ; les Spartiates, qui occupaient la place forte de Décélie, à leur frontière, négociaient avec le roi de Perse pour obtenir des subsides et organiser une flotte. C'est en ce moment dramatique qu'une fois encore le poète pousse ses concitoyens à rechercher la paix : il ne rappelle plus quelles ont été les causes futiles de la guerre, mais il proclame que la paix est indispensable pour le salut de la Grèce entière qui risque de se voir asservie aux Barbares.

Son appel pathétique est présenté dans la plus bouffonne des comédies : l'Athénienne Lysistrata, dont le nom signifie « celle qui défait les armées », réunit les femmes de toute la Grèce et leur fait décider, pour mettre fin à la guerre, de refuser tout "commerce" avec leurs maris. Les Athéniennes s'emparent de l'Acropole et mettent la main sur le trésor public. Privés de ressources pour la guerre, privés de femmes, les hommes, après quelques tentatives qui sont l'occasion de scènes d'un réalisme particulièrement cru, doivent consentir à conclure la paix.

3. La lutte contre les démagogues

« Les Cavaliers »

La lutte contre la guerre est le thème majeur des trois comédies qui précèdent. On le retrouve dans les autres pièces puisqu'il était toujours d'actualité. Mais on ne peut lutter contre la guerre sans dénoncer les fauteurs de guerre, et, au premier rang de ceux-là, se trouvaient les démagogues, dont Cléon, chef du parti démocratique jusqu'en 421, est le plus en vue. Violemment pris à partie dans Les Babyloniens , Cléon, qui jouissait d'une grande autorité, avait voulu se venger d'Aristophane en le poursuivant devant le Conseil et il avait failli le faire condamner. Aussi fut-il de nouveau attaqué dans Les Acharniens  et plus vivement encore, en 424, dans Les Cavaliers .

A ce moment, la guerre battait son plein et une troupe de trois cents Spartiates enfermée dans l'île de Sphactérie, en face de Pylos, venait d'être réduite par un coup d'audace de Cléon qui tira de ce succès un regain de popularité et excita de plus belle les Athéniens à poursuivre la guerre. Prenant pour cible le démagogue au comble de sa gloire, le poète lui oppose le choeur des cavaliers : ceux-ci, choisis dans la meilleure société athénienne, formaient un corps d'élite qui venait de se distinguer dans des combats près de Corinthe.

Le nom de Cléon n'est pas prononcé dans la pièce et le démagogue est mis en scène sous le masque d'un esclave paphlagonien - dont le nom générique évoque le caractère bouillonnant - au service du bonhomme Démos, allégorie du peuple athénien. Le Paphlagonien maltraite les bons serviteurs, qui portent les masques des généraux Nicias et Démosthène, et se fait valoir auprès de Démos à leurs dépens : comme Cléon a dérobé à Démosthène le succès préparé par celui-ci à Pylos, le Paphlagonien gave Démos en lui donnant les plats préparés par les autres esclaves. Ceux-ci vont se venger de lui et, lui subtilisant pendant son sommeil des oracles qu'il détient, ils apprennent qu'il doit être supplanté par un individu pire que lui, un marchand de boudin. Alors paraît un charcutier qui, encouragé par le choeur, rosse le démagogue ; celui-ci le poursuit devant le Conseil et devant Démos lui-même, mais il a chaque fois le dessous et tombe en disgrâce malgré ses flatteries et ses cadeaux : son maître choisit le charcutier comme intendant. Rajeuni par un procédé magique, Démos reçoit de son nouveau serviteur une belle et jeune femme, la Trêve de trente ans. Cette comédie, entièrement dirigée contre Cléon et sa politique démagogique, l'accuse donc, pour finir, d'être le principal obstacle à la paix.

« Les Guêpes »

C'est contre lui encore qu'Aristophane compose Les Guêpes  en 422. Parmi les procédés dont les modérés reprochaient l'institution aux démagogues, les salaires accordés aux citoyens pour leur participation aux séances des tribunaux populaires étaient l'objet des plus vives critiques. Si les pauvres y gagnaient de pouvoir exercer leurs droits de citoyens à égalité avec les riches, on les accusait d'y chercher un gagne-pain et de voir favorablement se multiplier les procès : cette institution allait de pair avec le rôle grandissant des sycophantes.

Or Cléon, en 424, venait de porter de une à trois oboles le salaire des juges. Le choeur des héliastes, juges des tribunaux athéniens, est déguisé en guêpes, leur aiguillon représentant le stylet, avec lequel ils tracent la ligne de condamnation. Le personnage principal s'appelle Philocléon, c'est-à-dire « ami de Cléon » : il est pris de la manie de juger et se conduit comme un fou furieux. Son fils Bdélycléon, « ennemi de Cléon », l'a enfermé chez lui et veut le guérir de sa maladie. Agrémenté de quelques scènes bouffonnes, le débat entre le père et le fils constitue l'essentiel de la comédie, Philocléon célébrant ses fonctions de juge comme l'expression d'un pouvoir digne d'un roi. Bdélycléon lui montrant que cette souveraineté est illusoire et que les juges sont sous la dépendance servile des démagogues. Pour consoler son père, privé des plaisirs du tribunal, il organise, dans sa propre maison, le procès du chien Labès, accusé d'avoir dérobé un fromage de Sicile, parodie du procès qui devait être intenté au stratège Lachès, accusé de concussion lors d'une campagne en Sicile.

4. La lutte contre l'esprit nouveau

Si la première partie des Guêpes  est une charge contre les conséquences de la politique démagogique de Cléon, la seconde montre le vieux Philocléon se dévergondant et menant joyeuse vie : il s'enivre, enlève une joueuse de flûte, s'attire quantité d'ennuis ; il finit par se livrer à une danse grotesque, en défiant les danseurs à la mode. Aristophane, dans ces scènes qui peuvent sembler tout à fait étrangères au début de la pièce, attaque un autre aspect du mal actuel, la dépravation des moeurs qui accompagne la dégradation politique et la corruption dans l'art, qui va de pair avec celle de la morale. Les innovations révolutionnaires en poésie et en musique et les idées nouvelles en philosophie sont, à ses yeux, responsables de la décadence d'Athènes au même titre que les innovations politiques des démagogues.

Dans sa première comédie, Les Banqueteurs , il avait critiqué les sophistes ; dans une scène des Acharniens  il avait ridiculisé Euripide dont il avait ailleurs parodié mainte tragédie, par exemple au début de La Paix , où l'escarbot géant rappelle une machinerie utilisée dans Bellérophon . Les comédies conservées où s'exprime le mieux cette attitude d'Aristophane en face du modernisme sont Les Nuées  (423), Les Thesmophories  (411) et Les Grenouilles  (405).

« Les Nuées »

Au moment du concours de 423, une trêve venait d'être conclue entre Athéniens et Lacédémoniens : laissant l'action politique, Aristophane compose une pièce plus abstraite, plus subtile, où il ne recourt pas aux moyens grossiers pour provoquer le rire de la foule. Cette comédie, qu'il considérait comme la meilleure qu'il eût écrite, ne toucha pas le public et n'obtint que le dernier rang. Le sujet en est simple : un campagnard, Strepsiade, a épousé une jeune fille d'une grande famille de la ville ; elle lui a donné un fils, Phidippide (dont le nom signifie « qui traite bien les chevaux ») qui tient de sa mère le goût du luxe et de la dépense. Si bien que Strepsiade a dû contracter dette sur dette, se trouve ruiné et ne peut plus rembourser ses créanciers.

Ayant appris que Socrate tient une école où il enseigne l'art de faire triompher le raisonnement faible sur le raisonnement fort, il veut apprendre de lui le moyen de se débarrasser de ses créanciers sans les payer. Mais comme il ne montre aucune aptitude à comprendre ce qu'on lui enseigne, il fait prendre les leçons par son fils, qui en profite si bien qu'il en arrive à frapper son père en lui prouvant qu'il a raison de le battre. Furieux de l'effet produit par l'enseignement de Socrate, Strepsiade met le feu à son école.

Le moment essentiel de la comédie, l'agôn , met aux prises le raisonnement fort et le raisonnement faible : cette discussion d'une haute tenue entre deux abstractions personnifiées était sans doute trop sérieuse pour le public. Il ne trouva pas une compensation suffisante dans le choeur des Nuées symbolisant par leurs formes les pensées ondoyantes de Socrate, qui planent sur les hauteurs, vides et inconsistantes, ni dans le spectacle du « pensoir » de Socrate, où le maître, suspendu dans une corbeille, raisonne sur les choses célestes et mesure combien de fois une puce saute la longueur de ses pattes.

On a beaucoup reproché à Aristophane d'avoir ainsi ridiculisé, en le faisant passer pour un sophiste, un philosophe respectueux de la morale, des lois de la cité et de la religion traditionnelle. Mais Socrate, par ses manières originales, plus connu de ses concitoyens que les sophistes professionnels, tous venus de l'étranger, entouré d'une troupe de petits jeunes gens aux manières libres et provocantes, était une victime toute désignée à la verve des poètes comiques, et il fut pris à partie aussi par Cratinos, Eupolis et Diphilos : pour ceux qui ne le voyaient que de l'extérieur, ses manières ne se distinguaient pas de celles des sophistes. Il a donc pu recevoir des coups qu'il ne méritait pas, mais qui contribuèrent plus tard à sa condamnation.

« Les Thesmophories »

L'attaque contre Euripide est menée à fond dans Les Thesmophories , où les femmes, comme dans Lysistrata , qui est de la même année, jouent le rôle principal. Au cours de la fête des déesses Thesmophores, qui est interdite aux hommes, les femmes, réunies à la Pnyx, décident de mettre à mort Euripide qui les a calomniées dans ses tragédies. Un parent du poète, déguisé en femme, prend sa défense, mais il est démasqué et il s'ensuit une série de scènes d'un comique assez gros, qui constituent une parodie de diverses tragédies d'Euripide. La matière comique, constituée par les griefs réciproques des sexes, en est traditionnelle.

« Les Grenouilles »

Les Grenouilles  portent le débat sur un plan beaucoup plus élevé. Le dieu du Théâtre, Dionysos, privé d'auteurs par la disparition presque simultanée d'Euripide (407) et de Sophocle (406), décide de descendre aux Enfers pour rechercher Euripide : il prend le déguisement d'Héraclès, et, accompagné de son esclave Xanthias, rencontre des aventures bouffonnes. Mais la parabase rappelle la gravité de la situation et replace le débat littéraire qui va s'ouvrir dans la perspective politique de cette dernière année de la guerre où Athènes, menacée de toute part, va connaître la défaite. La seconde partie de la pièce est occupée par un long débat littéraire où les mérites respectifs d'Euripide et d'Eschyle sont minutieusement pesés. La victoire reviendra à Eschyle parce que ses drames ont contribué à former une génération forte, tandis que l'oeuvre d'Euripide, qui a toujours été à la recherche des innovations, dont la musique est révolutionnaire a contribué à corrompre les moeurs et à amollir les coeurs de ses concitoyens.

Ainsi, le célèbre choeur des grenouilles qui croassent dans les marais du Styx paraît être une critique de l'école musicale du Nouveau Dithyrambe, suivie par Euripide. Et le choeur des initiés qui arbitre le débat en souligne la gravité. La dernière question posée aux deux poètes pour les départager est un problème angoissant d'actualité politique : faut-il ou non, pour sauver Athènes, rappeler d'exil Alcibiade ? La réponse affirmative d'Eschyle est la raison décisive qui lui permet de l'emporter sur son rival : Aristophane montre bien par là que, à ses yeux, le meilleur poète est celui qui se révèle un bon guide pour la cité.

5. L'utopie politique

« Les Oiseaux »

La seule comédie qui semble être du domaine de la fantaisie pure, Les Oiseaux , date de 414. Or c'est un des moments les plus pénibles de la guerre : la paix de 421 a été rompue et les Athéniens ont entrepris dans l'enthousiasme l'expédition de Sicile. Mais cette expédition s'est engagée dans des conditions dramatiques : Alcibiade qui la conduisait est accusé d'avoir fait mutiler les Hermès et d'avoir parodié les Mystères. Menacé d'arrestation, il s'est réfugié auprès des Spartiates. La délation règne dans la ville et les citoyens soupçonnés de complicité sont emprisonnés, jugés et condamnés à mort. On comprend que, dans ces conditions, Aristophane ne pouvait guère écrire une comédie engagée dans l'actualité politique et que la prudence au moins devait l'inviter à l'évasion.

Il imagine donc deux citoyens d'Athènes, Pisthétairos (« Fidèle-Ami ») et Evelpidès (« Bon-Espoir »), qui, las de vivre dans une ville au milieu des procès, ont résolu de se retirer loin du monde des hommes : ils s'en vont trouver les oiseaux à qui ils proposent un plan destiné à leur rendre la souveraineté qu'ils possédaient avant le règne de Zeus ; il leur suffira de construire une cité aérienne qui coupera toutes relations entre les hommes et les dieux. Cette cité de Nephélococcygie (« Coucouville-les-Nuées ») est construite dans l'enthousiasme et l'on assiste au défilé de tous ceux qui aspirent à s'y installer et que Pisthétairos éconduit les uns après les autres.

Les dieux affamés, parce qu'ils ne reçoivent plus les fumées des sacrifices, abandonnent la souveraineté aux oiseaux, et cèdent à Pisthétairos une jolie femme, Royauté, parèdre de Zeus, qu'il emmène aux accents de l'hymne d'hyménée. Plus qu'en aucune autre de ses comédies, Aristophane a su, dans Les Oiseaux , créer un monde féerique et sa puissance d'invention verbale réussit à évoquer l'harmonieux ramage des habitants du ciel. Sans doute, comme le Dionysos des Grenouilles , les dieux sont-ils quelque peu malmenés, mais ce n'est pas par esprit d'irréligion que le poète se moque d'eux. Comme un bouffon peut dire en toute liberté devant un roi les plaisanteries les plus incongrues, comme les paysans traitent avec familiarité les saints qui protègent leurs campagnes, le poète, dans une représentation donnée à l'occasion d'une fête religieuse, bénéficie de toute licence et peut, sans attirer leur vindicte, montrer les dieux dans des postures ridicules.

6. L'utopie sociale

Les deux dernières comédies conservées d'Aristophane sont d'un esprit très différent des autres. C'est que la situation a bien changé : la guerre du Péloponnèse, terminée en 404 par une défaite totale d'Athènes, a été suivie rapidement de nouvelles luttes et d'un certain redressement politique. Mais ces trente années avaient laissé bien des misères et des ruines. Après les dures expériences qu'avaient été la tyrannie des Trente puis les luttes de la libération était venu un désintérêt complet à l'égard de la vie politique. Le poète comique cherche donc ses sujets ailleurs et ces deux pièces le montrent préoccupé de problèmes sociaux.

« L'Assemblée des femmes »

Dans L'Assemblée des femmes  (392), les femmes athéniennes, constatant que tout va mal dans la cité, ont décidé de gouverner à la place des hommes : déguisées en hommes et ayant réussi à empêcher les hommes de sortir de chez eux, elles se réunissent à la Pnyx et prennent le pouvoir. Elles décident d'instaurer la communauté des biens et des femmes. Chacun doit remettre à la collectivité tout ce qui lui appartient, pour être désormais entretenu par elle, et les femmes seront toutes au premier venu ; mais les plus vieilles et les plus laides auront priorité sur les jeunes et les belles. Il en résulte une suite de scènes bouffonnes où la fantaisie se déploie librement. Il est certain que cette utopie communiste, que le poète ne prend guère au sérieux, répond à des théories qui furent développées par des philosophes et que Platon, plus tard, devait reprendre dans sa République .

« Ploutos »

Le Ploutos  (388) est une fantaisie où le dieu de la richesse, qui était aveugle et distribuait ses faveurs au hasard, est guéri de sa cécité et peut n'accorder désormais ses bontés qu'aux gens de bien. Mais la Pauvreté, avec lucidité et vigueur, expose que, sans elle, les hommes resteraient inactifs et qu'elle est indispensable à la civilisation. Comme dans Les Oiseaux , les dieux sont victimes de cette amélioration du sort des hommes qui n'ont plus rien à leur demander et ne leur adressent plus de sacrifices. Une des scènes les plus pittoresques de la comédie est le récit de la guérison de Ploutos, miracle accompli dans le sanctuaire d'Asclépios, dieu de la médecine.

Leur engagement direct dans l'actualité politique donnait aux comédies d'Aristophane un caractère éphémère qui nuisit à la survie de sa gloire et elles ne furent ni reprises dans les siècles suivants ni imitées par les Romains. Leur naturalisme, souvent obscène et scatologique, adapté à un public athénien qui, sur les peintures de vases, pouvait contempler chaque jour des images aussi scabreuses, devait paraître bien choquant aux siècles formés par une éducation chrétienne et, à sa haute fantaisie, on préféra longtemps la sagesse de Ménandre. Cependant, nous sommes redevenus sensibles à sa verve, à son invention verbale, qui n'a d'égale que celle de Rabelais.

La scène du jugement que Racine lui a empruntée dans ses Plaideurs  est bien modeste, par rapport à ce que nous pouvons ressentir aujourd'hui à la lecture et à la représentation de ses comédies. Légèrement adaptés à l'actualité, La Paix  et Les Oiseaux  ont obtenu un large succès dans les années qui précédèrent 1939, et La Paix  a de nouveau touché le coeur des foules à la fin de la guerre d'Algérie. Le génie d'Aristophane était capable de s'élever au-dessus des circonstances particulières à son temps et sa valeur a une portée humaine universelle.

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12273206065?profile=originalCet ouvrage de Hans Küng "Projet d'éthique planétaire. La paix mondiale par la paix des religions" est paru en 1991.

Hans Küng y déclare qu'une conscience planétaire est née. Elle ne fait que se renforcer en dépit du sursaut des nationalismes. Il s'agit de rendre la terre habitable et de la léguer en bon état de marche à nos successeurs.

Il ne suffit plus de se tenir à l'ombre de son clocher mais il importe de s'habituer petit à petit à prendre du champ. Comme les cosmonautes regardent de haut la planète bleue, notre vision terrienne doit accepter de se faire holiste.

Dans son Projet d'éthique planétaire, le théologien Hans Küng met en valeur le rôle que les religions doivent jouer dans cette nouvelle donne planétaire. Il résume, en trois phrases clés, les lignes de force de son programme qui découlent toutes d'une même exigence: pas de cohabitation humaine sans un ethos planétaire des nations. Pas de paix entre les nations sans paix entre les religions. Pas de paix entre les religions sans dialogue entre les religions. Il n'est plus possible de se contenter de la seule éthique de l'intention ou d'une éthique de la réussite. Il s'agit de se hisser jusqu'au niveau de la responsabilité planétaire à l'égard de notre propre avenir. "Au seuil du troisième millénaire, écrit Hans Küng, la question clé de l'éthique se pose de façon plus urgente que jamais: à quelles conditions fondamentales pourrons-nous survivre, survivre comme homme sur une terre habitable et donner forme humaine à notre vie individuelle et sociale?" La politique, l'économie, les sciences et les religions doivent se soumettre à un principe fondamental: les hommes doivent devenir plus humains en sachant que ce qui les unit est plus fort que ce qui les divise. Une "utopie" doit soulever l'humanité prise comme un tout: les virtualités humaines, qu'il convient d'activer, sont plus grandes que celles contenues dans l'état présent. Il ne suffit plus de gérer les crises, il convient désormais de les prévenir: l'oeuvre devant nous est d'ordre prophylactique et plus seulement curatif.

Pour ce faire, les religions sont d'un apport incontestable. Comme le souligne avec force Hans Küng, tout homme peut vivre selon une éthique. Mais seules les religions peuvent fonder l'inconditionnalité des exigences éthiques à partir de l'absolu qu'elles reconnaissent. Hors de ces références, il est difficile de donner sens à la contingence des êtres et des choses. "Toutes les grandes religions, en effet, requièrent des non-negotiable standards: des normes éthiques fondamentales et des maximes orientant la conduite, fondée sur un inconditionné, un absolu, et donc inconditionnellement valables pour des centaines de millions d'hommes."

Mais les religions doivent se nourrir des apports des sciences et se montrer exigeantes pour elles-mêmes. Dans leurs propositions, la force de l'affirmation doit se marier avec l'ampleur de l'exigence critique. Un dialogue véritable entre les religions de la terre doit donc s'écarter de tout provincialisme. Pour dépasser ses propres horizons, chaque religion doit garder la conscience vive de ses errements passés et de ses peurs présentes. Car les frontières entre vérité et non-vérité passent aussi à l'intérieur de chaque religion. Le but est d'apprendre à mettre en valeur en toutes les religions l'authentiquement humain sur un fond d' absolu. Une réflexion d'un type nouveau est tout simplement la condition de la survie d'un monde qui a profondément changé.

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Les grands cimetières sous la lune

Comment qualifier ce livre de Bernanos publié en 1938? Ces apostrophes passionnées; ces attaques souvent interminables où une violence verbale inouïe fait parfois place à une ironie, un humour plus corrosifs encore; ces procès intentés de tous les côtés, au général Franco, à Charles Maurras, à H. Massis, comme à Paul Claudel, à la cour de Rome, aux démocrates-chrétiens et aux nationaux chrétiens, aux prêtres républicains français aussi bien qu'aux prêtres phalangistes espagnols; ce livre écrit avec autant de bonne foi, d'enthousiasme, que de partis-pris, brûlant d'amour de la justice, alourdi de beaucoup d'injustices dans ces jugements; ne voilà-t-il point toutes les caractéristiques du pamphlet? L'auteur pourtant refuse aussitôt le mot: "Loin de m'exiter, dit-il, je passe mon temps à essayer de comprendre... Je crois que je m'efforce d'aimer..." Et c'est comme le "témoignage d'un homme libre" que nous sont proposés "Les grands cimetières sous la lune". Les "grands cimetières", ce sont aussi bien ceux de la guerre de 1914, oubliés par la nouvelle génération assoupie dans les habitudes, que ceux de la guerre d' Espagne. Celle-ci éclata en 1936: Bernanos, qui se trouvait à Majorque, lui fut d'abord favorable. Son fils même combattit quelques temps dans les rangs des nationalistes: les "Grands cimetières" est le premier des ouvrages de déception de Bernanos, il prélude à "Nous autres Français", à "Scandale de la vérité", où l'écrivain instaurera le procès "spirituel" de ses anciens amis politiques de l'école maurrassienne. Si les "tumultes" français ne cessent, au long de ces pages, de préoccuper Bernanos, c'est cependant la tragédie espagnole qui est le thème du livre. L'attitude que les uns et les autres prennent à l'égard de ce problème semble à Bernanos un point de repère infaillible. Pour lui, la position à choisir n'a point tardé à se montrer clairement: la guerre d' Espagne est un scandale, mais elle est le signe d'un scandale beaucoup plus vaste, plus ancien et sans doute hélas! plus durable que la seule équipée du général Franco et de ses compagnons. Scandale de l' Eglise? Pas exactement: "S'il m'arrive de mettre en cause l' Eglise, écrit-il, ce n'est pas dans le ridicule dessein de contribuer à la réformer. Je ne crois pas l' Eglise capable de se réformer humainement, du moins dans le sens où l'entendaient Luther ou Lamennais. Je ne la souhaite pas plus parfaite, elle est vivante".

Le scandale est donc moins celui de l' Eglise, que l'éternel scandale des "biens-pensants" de l' Eglise, déjà dénoncés dans "La grande peur des Bien-pensants". Dans son premier ouvrage politique, Bernanos paraissait "homme de droite", nationaliste, antisémite avec Drumont, et c'est aux hommes du Ralliement, qui rêvaient de réconcilier l' Eglise et le monde moderne qu'il s'en prenait surtout. Il semble donc, au premier abord, que les "Grands cimetières" marquent un renversement dans l'évolution de Bernanos. Il s'agit tout au contraire du prolongement d'un unique combat et d'un approfondissement: l'écrivain le souligne: les "Grands cimetières" ne sont que "de nouveaux chapitres de la "Grande peur". Franco est un Gallifet de cauhemar": Bernanos le rattache ainsi expressément à la répression de la Commune. Ce qu'il dénonce dans la collusion des catholiques et de l' aventure franquiste, c'est une nouvelle rupture entre l' Eglise de Dieu et les pauvres. Car la position politique se double ici d'une véritable imposture religieuse: ici et là, hier et aujourd'hui, les chrétiens témoignent du même oubli des moyens proprement spirituels et surnaturels, de la même confiance dans les seuls moyens temporels et politiques. Imposture de ceux qui se servent de la religion pour donner une bonne conscience à leur haine sociale, "Machiavels gâteux", "charmants petits mufles de la génération réaliste", qui ont mis "l' ouvrier syndiqué à la place du Boche". Imposture des hommes d' Eglise qui raisonnent en politique sans tenir aucun compte de la grâce et de l' amour surnaturel, fascinés qu'ils sont par les gloires et l'appareil de l'ordre temporel. Et quel ordre! "Une conception hideuse de l' ordre -l' ordre dans la rue", dit Bernanos. En effet, la conception du véritable ordre chrétien s'est perdue- et d'abord chez les chrétiens. Les séductions qu'exercent les tyrannies politiques ou les démagogues sur les gens d' Eglise les plus raisonnables témoignent d'une désincarnation de la foi, d'une habitude, désormais bien prise chez trop de chrétiens, de regarder le monde avec les yeux du monde- et non ceux de la grâce: "Si Dieu se retire du monde, c'est qu'il se retire de nous d'abord..."

"Les grands cimetières sous la lune" ont une atmosphère encore plus lourde que "La grande peur des biens pensants": Bernanos n'est pas loin du désespoir. La mort de la chrétienté, qu'il envisageait dans son premier pamphlet comme un futur, lui apparaît maintenant comme un présent. Celui qui attaque Franco et les hommes de droite qui en France le soutiennent, est loin d'être démocrate. Cet anarchiste est, au fond, un homme d' ordre déçu -qui se rend compte que tout l' "ordre" dont rêvent les modernes n'est qu'un mot, qu'il est radicalement étranger à l' âme de l'ordre: l' amour surnaturel... Des solutions? On doit reconnaître que Bernanos n'en propose guère, si ce n'est un appel, à un "esprit d' enfance" à vrai dire assez mal défini, et qui peut recouvrir aussi bien la plus sincère humilité et la simplicité chrétienne du coeur, qu'une tentation trop humaine de démission de l' intelligence et des nécessaires servitudes de la politique. L'ouvrage tout entier est d'ailleurs confus à l'extrême et Bernanos ne semble guère parfois se soucier de la fatigue de ses lecteurs. Mais ce prophète plein de colère a aussi des oasis intimes: il se plaît alors à évoquer des scènes familières, à se rêver "assis à la table de vieux moines ou de jeunes officiers amoureux de leur métier"; ou bien encore il se raconte, avec ses enthousiasmes et ses dégoûts. A certains, ce Bernanos pourra paraître plus vrai, plus humain que le polémiste: mais si ce dernier, surtout dans "Les grands cimetières" paraît se contredire, c'est que seul l'homme concret l'occupe, que c'est lui, le signe de contradiction, qui peut écraser les systèmes et les politiques. C'est d'abord cette fidélité, que Bernanos exalte ici jusqu'à l'exhaustion.

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