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Une des oeuvres majeures de la musique sacrée française du XIXème

Oratorio commandé à Théodore Dubois (1837-1924), maître de chapelle à l'Église Sainte-Clotilde à Paris pour le vendredi saint, « Les sept paroles du Christ » ont connu un vif succès à la fin du XIXe et au début du XXe siècle et sont  toujours chantées, aux États-Unis et au Canada aujourd'hui, spécialement pendant la Semaine sainte. Plutôt délaissé au XXe siècle, ce compositeur est l’auteur de plus de 500 œuvres de musique romantique française. Cet oratorio était dédié à l'abbé Jean-Gaspard Deguerry, curé de la Madeleine, fusillé en 1871 par les Fédérés à la prison de la Roquette. Théodore Dubois a assuré la direction du Conservatoire de Paris , de 1896 à 1905, succédant à Ambroise Thomas et précédant Gabriel Fauré.


Avec la permission de la famille, Anthony Vigneron, maître de chapelle à l’abbaye de la Cambre, a reconstitué suite à un long travail de 4 ans la version orchestrale originale de l’œuvre qu’il a présentée ce 10 mars 2016 à L’Abbaye de la Cambre, avec l’ensemble vocal de l’Abbaye de la Cambre et l’ORCW. La partition originale ayant disparu il a fallu reconstituer l’œuvre prévue pour « un quintette à cordes, une flûte, un hautbois, une clarinette, un basson, un cor, trois trombones, une harpe, une paire de timbales et l’orgue.»

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Une émotion palpable circule  dans l’église remplie d’un bout à l’autre, jusqu’au chœur. Dans l’assistance, les descendants du compositeur. Pour la première fois un petit fils écoute la musique réorchestrée de son arrière-grand-père: Francis et Pénélope sont venus exprès de Montpellier. Le concert s’ouvre sur les frémissements bienveillants du  "Pie Jesu" de Théodore Dubois pour chœur a cappella qui subjuguent l’assemblée et la plongent dans un climat de spiritualité intense. C’est alors qu’a lieu une dramatisation fracassante de l’oratorio en français sur le mode de la tragédie antique. Sombre et dramatique. Paroles cueillies aux quatre coins des Evangiles elles disent la trahison, la souffrance, l’infamie de la passion du Christ, l’injustice insupportable de ce que l’humain peut subir de pire. Le père Jacques t’Serstevens soulignera qu’à l’instar de la tradition orthodoxe, cette œuvre souligne que le Christ est aussi « Souverain de la miséricorde jusqu’à pardonner à ses bourreaux, ouvrir les portes du Paradis au larron, confier sa mère à son disciple, pardonner aux cœurs fermés par l’ignorance, traverser dans une espérance confiante le silence même de Dieu. »


Tout est consommé avant même les premières mesures de l’Oratorio, on est prêt pour l’écoute du texte latin enlacé à une orchestration riche, élégante et passionnée. Une entrée dans le Paradis. Les lignes mélodiques sont bien dessinées, la richesse des sonorités se déploient avec exaltation et grande générosité. Les divers instruments sont bien équilibrés, la harpe est divine, les cuivres ont des sonorités éclatantes et les effets des percussions sont cinématographiques. Lumineux et dramatique. Les cordes décrivent la lumière rayonnante. La soprane, Julie Calbète met toute sa nature spontanée au service de l’œuvre. Si elle articule sa douleur profonde devant la passion de Jésus, elle apparaît comme transfigurée par une joie intérieure, enchantée et vibrante de lumière. Aucun artifice, aucune vanité, elle a dénudé son âme dans ses phrasés naturels et fait briller l’espérance. Le chœur, composé de choristes professionnels, est immobile au fond du plateau et crie vengeance. Il fait œuvre de brutalité organisée. Sa haine et sa soif de sang sont tranchantes. Il exprime  la joie mauvaise de la puissance justicière, l'exultation vengeresse devant le bouc émissaire. Face au chœur, Marcel Vannaud, le baryton apparaît, comme le porte-voix du Seigneur Dieu, dans toute sa solidité et sa fragilité à la fois. Impressionnant de présence, de sérénité communicative, il est d’une justesse parfaite dans tous les registres de la compassion, il renvoie en continu une image apaisante de l’amour et de douceur infinie. Ce qu’il chante, c’est le projet et l’avènement d’un autre homme, capable de surmonter la haine.

L’assistance est exaltée par l’urgence d’une telle musique, traversée par l’énergie bouillonnante du chef d’orchestre qui fait œuvre de transmission dans tous les sens du terme. Anthony Vigneron se donne tout entier, non seulement à l’orchestre dans sa globalité mais à chacun en particulier, à chaque instrumentiste et à chaque chanteur. Chacun, dans l’assistance, reçoit personnellement un cadeau humain et spirituel inestimable. La toile musicale est en effet la plus infinie qu’il soit. On peut y lire l’indicible. La foule a changé de côté et de cap, elle applaudit à tout rompre et « Le cantique de Jean Racine » de Fauré donné en bis achève le programme sur le sourire intérieur dans le cœur de chaque participant à cette inoubliable soirée.

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440px-Bmr_41_theodore_dubois_musica.jpg?width=220Orchestre Royal de Chambre de Wallonie,
Ensemble Vocal de l’Abbaye de la Cambre
Anthony Vigneron, direction musicale
Julie Calbète, soprano
Ivan Goossens, ténor
Marcel Vanaud, baryton
Mathias Lecomte, Orgue

Concert organisé par l’A.S.B.L. « Les Grandes Heures de la Cambre »

Liens utiles :

http://www.theodoredubois.com/biographie

http://www.lesgrandesheures.be/

http://www.orcw.be/events/les-grandes-heures-de-la-cambre/

interview: http://www.rtbf.be/musiq3/emissions/detail_l-odyssee/accueil/article_anthony-vigneron-les-grandes-heures-de-la-cambre?id=9234635&programId=8774

Enregistrement par le Grand Chœur de Montréal: http://www.allmusic.com/album/th%c3%a9odore-dubois-les-sept-paroles-du-christ-mw0001847550

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Gitan

Rappelez-vous, n’ouvrez pas, ce sont des gitans !
Effrayant mères et enfants par deux ou trois,
Parés de robes noires ou rouges parfois,
Cheveux et yeux noirs comme des charbons ardents.

Ce sont des femmes avec un nom masculin,
Gitans, gitanes, même nom sans distinction,
Chien mâle ou femelle on n’en sait rien,
On le craint c’est tout et notre porte fermons.

Tel un mauvais présage, il faut le dire,
Le gitan ou bohémien parfois nommé,
Par de grands tourments nous prévoit notre avenir
Qu’il soulage bien vite d’un sou à mendier !

Gitan ou bohémien de la terre de l’Est,
Sans vraie frontière de maisons et de rues,
Tu cours notre monde, fui comme la peste,
Guitare à l’épaule, parole qui tue
.

Tu es un menteur et un voleur pour vivre,
Et tu le dis haut et fort à notre porte.
Bohémien, la peur de derrière la porte,
C’est le gitan qui meurt n’y pouvant survivre !

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FRAGILE...

Tout hélas est si fragile

Qu'on ne peut que prendre peur.

Serons-nous assez agiles

Pour vivre avec nos ardeurs?

La vie n'est que gymnastique

Alors... se plier à sa loi?

Il n'est rien de plus tragique

Que courbature de l'émoi!

Tout hélas est si fragile...

Sentiments qui vont et viennent!

Ils peuvent sembler inutiles...

A l'image d'une valse de Vienne!

Quand beauté est de passage

Sur un rythme scandé et doux

Ne gardons de son image

Que celle de l'amour... même fou!

J.G.

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Lorsque nous ouvrons les livres des écrivains de la Suisse romande, gardons en mémoire deux faits. Le premier vaut aussi pour la Wallonie et le Québec. Le français est la langue des Romands, la seule, à part quelques patois de fonds de vallées. Tous les auteurs français, y compris les Suisses tels Rousseau, Constant, Madame de Staël ou Cendrars que la France s'est adjugés, sont aussi leurs auteurs. La culture française leur est consubstantielle. Seulement, il y a le second fait, qui peut troubler un Français de France: la Suisse est une alliance de petits pays. Même dans le périmètre francophone, où vit un peu plus d'un million d'habitants, la diversité étonne. L'éparpillement et souvent la solitude des créateurs peuvent donner une trompeuse impression de pauvreté. En vérité, une attitude non française, et qu'on ne qualifiera pas trop vite d'helvétique, car nous la retrouvons en Italie, amène de grands écrivains à se persuader qu'ils parviendront à s'accomplir en demeurant au lieu des origines.

Climat littéraire des six pays et républiques de la Suisse romande

Chez ces enfants de Rousseau, on n'échappe pas aux paysages et aux climats. Le Valais, méridional et alpestre, fortement tenu par la tradition catholique, a porté un très beau Moyen Âge paysan jusqu'au XXe siècle. La littérature, distincte du discours ecclésiastique et de la chronique, y est apparue avec Maurice Zermatten (né en 1910) qui, dès 1936, a cherché à se dégager des écrits de terroir par une oeuvre romanesque ambitieuse, abondante. Mais il appartint à un couple d'écrivains d'atteindre à une réelle modernité, incarnant avec une force sans précédent la liberté créatrice et la percée lyrique: Corinna Bille (1912-1979) partit du monde paysan avec son roman Théoda (1945) pour devenir l'un des maîtres européens de la nouvelle. Maurice Chappaz (né en 1916) a trouvé son premier souffle dans le Testament du Haut-Rhône (1953), en disant adieu à la vieille civilisation montagnarde. Puis ce poète de la vigueur, de l'invention verbale et de la goutte d'infini a empoigné la trique et, surgissant entre Dieu et le Diable dans Le Match Valais-Judée (1968), a bâtonné les hôteliers abusifs.

Genève, à l'opposé, est une république qui se résume à une ville et, depuis Calvin que la Suisse s'est attribué, elle est la Rome réformée. On notera, pour en mesurer les conséquences dans le langage et la littérature, que Genève, comme Lausanne, possède depuis le XVIe siècle cette rareté: une haute école protestante de langue française. Les amitiés y sont volontiers anglo-saxonnes, les lectures allemandes, bref, l'ouverture est naturelle sur le monde, Jean Starobinski ou Nicolas Bouvier en témoignent.

Fribourg, nouveau contraste, se signale par une université papiste à côté du tohu-bohu d'une basse ville populaire qu'aimait et décrivait un pratiquant capricant, Charles-Albert Cingria (1883-1954). Fribourg a l'originalité d'être à cheval sur la frontière des langues. Liée depuis le Moyen Âge à la Suisse allemande des cantons primitifs, elle a cru viscéralement aux vertus des brandisseurs de hallebarde et de goupillon, et, littérairement, ces nobles sentiments ont fleuri avec une fraîcheur surprenante dans l'oeuvre de Gonzague de Reynold (1880-1970). L'expérience de sa terre, qu'il appellera la Nuithonie, inspirera ses grands portraits historiques de l'Europe.

Neuchâtel propose d'autres écrivains à particule et aux appétits européens, mais ils sont ici protestants et se rapprochent de Genève. Ainsi Guy de Pourtalès (1881-1941), le romancier de La Pêche miraculeuse (1937), le biographe inspiré des grands musiciens. Ainsi Denis de Rougemont (1906-1985), l'essayiste de L'Amour et l'Occident (1939), qui tint son Journal au fil des moments majeurs du XXe siècle et combat, en écrivain, pour une Europe désaveuglée et revenue, selon sa plus forte tradition, à une politique des régions. Contre l'État-nation, dit-il, l'homme réconcilié avec sa culture et avec la nature retrouvera sa liberté. Si l'on gagne en revanche les montagnes à «joux» noires, le climat, sans que l'on quitte le canton de Neuchâtel, change du tout au tout. Dans La Chaux-de-Fonds des horlogers et des bûcherons fleurissent les sectes, les bricoleurs philosophes, les ambitions trimardeuses, les idées décapantes; c'est le pays de Le Corbusier et de Blaise Cendrars (1887-1961), né Sauser-Hall.

Par décision du Congrès de Vienne, le Jura, qui dépendait de l'évêché de Bâle, s'est retrouvé, un beau jour, bernois; pendant plus d'un siècle et demi, il aspira à ne plus l'être. Les écrivains ont souffert de la domination alémanique, et les premières oeuvres proprement littéraires (si l'on excepte les écrits des historiens ou les fresques helvétiques de Virgile Rossel, auteur d'un Code civil et d'une histoire de la littérature romande) frappent par un air de déréliction, jusque dans les poèmes les plus nets: Werner Renfer (1898-1936), par exemple, écrivain racé, fut un journaliste isolé dans le vallon de Saint-Imier. On peut l'associer, pour les poignantes modulations en gris, à Jean-Pierre Monnier (né en 1920), le romancier de La Clarté de la nuit (1956); mais sans doute le long hiver des forêts, plus que la politique, a inspiré l'art de la voix estompée et de la justesse suggérée. C'est surtout dans les districts septentrionaux du Jura, devenus un nouveau canton suisse en 1978, que l'alacrité du combat séparatiste a changé le rythme de l'écriture. Le lyrisme, avec Jean Cuttat (né en 1916), s'est débondé en chansons, en épigrammes. Il fut volontiers oral et résistant. Les foules ont récité Alexandre Voisard (né en 1930) et son Ode au pays qui ne veut pas mourir (1967). Sa tendresse combative et la fraîcheur inventive de sa langue ont élevé bien au-dessus des écrits de circonstances, fussent-elles historiques, ses poèmes d'amoureux et ses récits féeriques ou cocasses.

La poésie est d'une nature bien différente dans le canton de Vaud. Vaste et ouvert, celui-ci occupe avec ampleur le centre de l'espace romand. Il est réformé et fut paysan, ou vigneron sur les coteaux qui dominent les lacs. Il ne faut pas croire que le mot paysan soit ici une insulte. Il y a une lenteur, une assise, un goût des nourritures, une finesse, un mépris des derniers bateaux qui ont donné son corps à l'oeuvre de Ramuz (1878-1947), faux paysan, puisqu'il était fils de commerçants lausannois. Prenons garde, cependant, de ne pas tomber dans le panneau du terroir. Il ne s'agit pas ici de littérature régionale. Chez Gustave Roud (1897-1976), le poète le plus pur de la lignée, le Petit Traité de la marche en plaine (1932) ou Campagne perdue (1972) sont des interrogations du paysage, des oiseaux, des arbres, suspendues à l'attente d'une révélation absolue. Roud est un mystique sur le chemin poudreux. Edmond-Henri Crisinel (1897-1948), avant de succomber à ses démons, livre le récit de sa rencontre avec la folie. L'ascèse fine du langage donnera chez Philippe Jaccottet (né en 1925), ami de Roud, l'école de la transparence; elle s'inspire des romantiques allemands et s'exprime dans La Promenade sous les arbres (1957) ou dans une oeuvre qui appartient à la grande poésie française de notre temps (L'Ignorant, 1958; Airs, 1967). Jaccottet ne traduit pas seulement Hölderlin et Rilke, mais donne à la France l'oeuvre de Robert Musil.

On peut aussi être Bourguignon. Mais on dira Burgonde, en souvenir de vieilles allégeances transjuranes. Il y a de la verve, de la truculence, de la drôlerie chez Paul Budry (1883-1949) qui prend parti pour Charles le Téméraire contre les bandes suisses, dans Le Hardi chez les Vaudois (1928). Il y a du rire, entre les coups de gueule et le noir, dans le Portrait des Vaudois (1969) de Jacques Chessex (né en 1934) et dans son Carabas (1971), où il célèbre, dans une fulguration baroque, la liberté des tendresses et des chahuts.

 

Enfants de Calvin et de Rousseau

 

Traçons encore quelques filières morales. Une singularité, chez ces francophones, est donc le calvinisme majoritaire. Comment son influence s'est-elle exercée en littérature depuis le XVIe siècle?

Les intellectuels, plus souvent magisters et pasteurs que poètes aux mains nues, vont pratiquer jusqu'à l'obsession l'examen de conscience. Rien, ici, qui ait favorisé un art de cour, les plaisirs de société, une littérature épique. Beaucoup de gravité. La première littérature fut celle des prédicateurs. Mais remarquons, dans les écrits du réformateur Pierre Viret (1511-1571), un désir de mettre la religion à la portée du peuple par les exemples, d'où une humanité, un certain bonheur narratif.

La rigueur, le tranchant de Calvin s'émousseront et tourneront en pesante vertu. L'héritage demeure. La libre quête de la vérité, au fond de soi, s'exalte au siècle des promeneurs et des botanistes. Voici, sublime, l'autre maître, le citoyen de Genève, Rousseau. Plus que ses idées, nous rappellerons ici une vibration sensible, une musique. Les écrivains qui vont pratiquer à son exemple la rêverie solitaire et la plongée dans le mystère intérieur s'éloignent dès lors des écoles, des Églises officielles. Alexandre Vinet (1797-1847), professeur austère et droit, entraînera ses lecteurs hors de l'Église réformée d'État, vers une «Église libre». Il fut un critique littéraire éminent, un polémiste par sens du devoir, un maître à penser pour des générations de chrétiens. Avant de voir comment Ramuz et l'équipe des Cahiers vaudois se débarrassèrent de son poids, rendons hommage à l'essayiste dont certaines formules sont indélébiles sur les fronts réformés: «Quand tous les périls seraient dans la liberté, toute la tranquillité dans la servitude, je préférerais encore la liberté; car la liberté c'est la vie, et la servitude c'est la mort.»

Impossible d'exagérer l'influence de la Réforme en Suisse romande. Elle a mis sa marque sur le langage. L'école, présente dans le moindre village protestant dès le XVIIe siècle, avait pour fonction d'enseigner à lire la Bible. Telle fut bien la littérature dont s'est alimentée la population durant plusieurs centaines d'années.

Distinguons donc deux courants. D'une part l'examen de conscience, jusqu'à la macération, et le prêche jusqu'au ronron, avec le drame, là-dessous, du remords qui taraude et de la punition qui menace. Ici, un écrivain exemplaire, Henri-Frédéric Amiel (1821-1881), hors de toute religion bien définie, qui, par un interminable journal, plonge dans son monde intime et découvre, avec les affres du doute, les tréfonds où, bien plus tard, la psychanalyse le rejoindra.

Mais, non moins protestante, il y a l'autre ligne, plus drue, narrative et célébrante, plus biblique que prêcheuse, qui aboutit en 1908 au dramaturge René Morax (1873-1963) et à son Théâtre du Jorat. Ce bâtiment de bois fut élevé en pleine campagne vaudoise. Quand Morax, après la Grande Guerre, y représenta avec une troupe du cru l'histoire du Roi David (1921), quel compositeur avait-il choisi pour la partie musicale? Arthur Honegger, recommandé par Ernest Ansermet. Peu avant, autour d'une bouteille de blanc, Stravinski traçait avec Ramuz le scénario de L'Histoire du soldat. Telle est l'ambiance.

Pourquoi le théâtre est-il accompagné de chants? La Réforme habitue les Romands depuis quatre siècles à s'exprimer par les psaumes -ceux de Théodore de Bèze, par exemple, ami genevois de Marot. Les danses, pour raison de moralité, étaient mal vues, mais les choeurs allaient devenir l'art le plus populaire, lié, au cours du XIXe siècle, à la montée de l'«helvétisme».

 

Les «Cahiers vaudois» libèrent le langage

 

Il convient de ressaisir ce mouvement «helvétique», cette communion entre Alémaniques, Romands et Tessinois, au moment où il avait épuisé ses vertus politiques et s'achevait dans les discours. Le creux. Des écrivains patriotes décidèrent de réagir contre l'abâtardissement du langage et des sentiments. Ils voulaient donner un tour nouveau, crâne et vif, aux études historiques, à la pensée politique et à la littérature. Qu'était devenue celle-ci pendant le XIXe siècle, les moralistes mis à part? Quelques poètes, qui meurent tôt. Quelques romanciers estimables. Citons Édouard Rod (1857-1910), l'un des premiers à découvrir le talent de Ramuz, dont l'oeuvre allait écraser la sienne. À Lausanne, il y avait eu Juste Olivier (1807-1876). L'ami de Sainte-Beuve, le Michelet lémanique, continue à émouvoir non par ses maladresses de poète, mais par la justesse du sentiment qui lui fit écrire Le Canton de Vaud (1837-1841). Écrivain, il éprouva la nécessité de rendre à lui-même, par un ample portrait, ce pays longtemps soumis aux Bernois. Il l'aimait comme une «jeune fille indolente et belle».

Cette littérature assez languissante avait tenté de s'élever sur le mode alpestre. Eugène Rambert (1830-1886) fut un polygraphe patriote, mais aussi l'homme des chants montagnards, qu'on entonne encore. Rodolphe Töpffer (1799-1846) avait davantage d'humour. Il inventa la bande dessinée et n'a pas vieilli.

En 1904, Robert de Traz (1884-1951) et Gonzague de Reynold changent donc le ton. Ils fondent La Voile latine, une revue qui paraît à Genève et publie les poèmes d'Henry Spiess (1876-1940). Ils entreprennent sans médiocrité, et même avec une certaine cambrure maurrassienne, la redécouverte des «valeurs» de la vieille Suisse qui fut longtemps, il faut s'en souvenir, activement monacale, bretteuse avec panache, baroque magnifiquement; les revues qui puisent à cette veine vont se succéder. L'oxygène vient aux poumons. Mais Ramuz, que ce renouveau réjouit, plisse maintenant son oeil douteur. Cette Helvétie quelque peu enflée, il s'en méfie. Il n'est aristocrate ni de Fribourg ni de Genève. Il dit: «Je suis vaudois.» Il accomplit le premier pas d'une démarche d'artiste. Il pose son pied, ferme, sur la terre qu'il va décrire. Son audace enfante une littérature vraie, débarrassée des prêches, du didactisme et des soucis de politique prétendument nationale.

Ramuz misa sa vie sur son langage; tel fut l'acte cardinal. Envers et contre la France, envers et contre les Suisses, et carrément contre la bourgeoisie romande qui avait appris à l'école un «bon français» cave et décoloré, Ramuz disait la vigne, le lac, la montagne, mais surtout le tragique et l'imaginaire, par petites touches lentes, matérielles, comme peignait Cézanne, qu'il admirait. Autour de lui, une grande équipe féconde -Cingria qui, malgré son érudition, déroute les professeurs par la parfaite liberté de ses pas; Paul Budry (1883-1949), tout de justesse juteuse; Edmond Gilliard (1875-1969), préoccupé des mots jusqu'à l'idolâtrie. Ils ont leur revue, qui publie des oeuvres entières: les Cahiers vaudois. Le premier numéro, en 1914, est un essai de Ramuz, Raison d'être. Une nouvelle génération de poètes tout aussi grands sera accueillie, entraînée; voici Pierre-Louis Matthey (1893-1970), au langage de feu, voici Roud. Ils se multiplient, les écrivains affranchis de la pesanteur sermonneuse. Le pays accueille les hommes d'ailleurs. Les organisations internationales de Genève sont, par exemple, un sujet fertile jusque dans le grotesque, qui inspirera de fortes pages à un Juif grec de la ville, Albert Cohen (1895-1981), pétillant de vie et d'esprit.

Avec ou sans Ramuz, la littérature romande du XXe siècle est devenue polyphonique avec Jacques Chenevière (1886-1976), sensible aux charmes des milieux de grande bourgeoisie, ou Jacques Mercanton (né en 1910), l'ami de Joyce (Les Heures de James Joyce, 1963), chez qui l'Europe de la culture et la mélancolie du Danube rayonnent d'un dernier éclat; sa Maria Lach, de L'Été des Sept-Dormants (1974), est l'une des plus grandes figures romanesques des lettres romandes.

Dans le domaine de la critique littéraire, citons les noms d'Albert Béguin (1901-1957), de Marcel Raymond (1897-1981) et de Jean Starobinski (né en 1920) qui, avec Jean Rousset (né en 1910), ont fait la réputation de l'école de Genève, et ceux de Georges Nicole (1898-1959), de Pierre-Olivier Walzer (né en 1915) ou de Georges Anex (né en 1916).

 

Voix de femmes

 

Le XXe siècle a vu s'épanouir en Suisse romande une littérature de femmes écrivains dont l'invention stylistique, l'élan lyrique et l'originalité furent singulièrement féconds. Monique Saint-Hélier (1895-1955) transfigure avec la puissance d'un poète dru son enfance à La Chaux-de-Fonds. Catherine Colomb (1899-1965), portée par l'exemple de Virginia Woolf et comme libérée par elle d'une gravité masculine propre au climat romand, vaticine sur la fin des grandes familles de la Côte lémanique; brisant tout ordre chronologique bien avant que ce soit la mode, son oeuvre marque l'avènement, en Suisse française, du temps intérieur. Alice Rivaz (née en 1901), qui connaît d'expérience les ruches où travaillent les femmes et la solitude de leurs appartements exigus, a parlé en pionnier de leur condition, mais d'une langue si sûre et si délicate, touchant à une psychologie si profonde, qu'avec Comptez vos jours (1966) et Jette ton pain (1978) elle a pris rang parmi les meilleurs romanciers du siècle. Il faut citer encore ici Corinna Bille chez qui une nature primitive passionnément aimée n'a cessé de se mêler au rêve en des récits tragiques et frais. Ces quatre noms dominent, mais la voie était ouverte à d'autres oeuvres, celle d'Anne Cuneo (née en 1936), par exemple, racontant sans fard sa vie de petite immigrée italienne et l'avènement de son autonomie de femme par le surréalisme et l'engagement politique. Ou Anne-Lise Grobéty (née en 1949), qui a trouvé, dans Pour mourir en février (1970) ou Zéro positif (1975), le ton où une génération nouvelle s'est reconnue.

 

Des rapports nouveaux avec la France

 

Ainsi la littérature romande parvint, au cours de ce siècle, à vaincre l'isolement sans renoncer à l'intériorité qui lui est si chère. Au cap des années 1970, elle participa à l'aventure de la décolonisation culturelle qui institua un nouvel équilibre entre Paris et ces provinciaux qui n'en sont pas, les francophones. Elle n'avait pas craint de prendre assise non seulement chez Ramuz, mais dans les oeuvres d'écrivains que la France n'a guère ou n'a pas du tout reconnus: Cingria, Catherine Colomb, Roud. Revendiquant sa place dans les lettres françaises, la littérature romande n'en a pas moins affirmé son indépendance effervescente et sa place propre dans le concert de la création européenne. Cette attitude reçut un fraternel aval de Paris quand l'académie Goncourt vint à Lausanne donner son prix 1973 à Jacques Chessex pour L'Ogre et couronna Corinna Bille pour les nouvelles de La Demoiselle sauvage en 1975. Entre-temps, pour Le Voyage à l'étranger, Georges Borgeaud (né en 1914) avait reçu le prix Fémina.

 

Paradoxes et fécondités

 

«Enfants de Calvin et de Rousseau», les écrivains de Suisse romande? Peut-être, mais non parce qu'ils reproduiraient certains traits moraux et certaines obsessions thématiques, mais parce qu'ils seraient irréductibles aux injonctions et aux courants qui enferment trop volontiers les oeuvres dans des procédures créatrices, psychologiques ou linguistiques. Ainsi, la fameuse solitude de l'écrivain romand n'est-elle pas une condamnation, mais un fait partagé par les créateurs qui n'offrent pas de prise à la complicité des institutions, qu'elles soient universitaires ou médiatiques. Solitaires à Paris, en province ou en Suisse romande, une fois certaines inflexions prises, des oeuvres se poursuivent et se renouvellent; régulières, comme celles de Philippe Jaccottet (À travers un verger, 1984; Après beaucoup d'années, 1994), ou, plus imprévisibles, comme celles de Georges Borgeaud (né en 1914, Le Préau, 1952; La Vaisselle des évêques, 1959; Le Voyage à l'étranger, 1974), Nicolas Bouvier (né en 1929; L'Usage du monde, 1963; Chronique japonaise, 1975; Le Poisson-Scorpion, 1981), Yves Velan (né en 1925; Je, 1959; La Statue de Condillac retouchée, 1973; Soft Goulag, 1977), Jean-Marc Lovay (né en 1948; Les Régions céréalières, 1976; Le Baluchon maudit, 1979; Polenta, 1980), elles proposent sans rien imposer: à l'encontre de la saturation monumentale d'un Haldas (né en 1917; Sans feu ni lieu, 1968; Chroniques de la rue Saint-Ours, 1973; Un grain de blé dans l'eau profonde, 1982), ces oeuvres cheminent sans bruit et sont entendues.

Ce qui caractérise sans les réunir des écrivains plus jeunes serait une forme d'indifférence joyeuse, et donc responsable, à l'égard de toutes les mémoires: leur langage revient toujours au début, comme à l'origine du monde, de la langue et de soi. Leur tonalité romanesque peut être très variée: grave avec Claude Delarue ou Catherine Saffonof (Comme avant Galilée, 1994); enjouée et sérieuse avec Jean-Luc Benoziglio (Quelqu'un bis est mort, 1972; L'Écrivain fantôme, 1978; Tableaux d'une ex, 1989), Amélie Plume ou François Conod (Ni les ailes ni le bec, 1987); plus neutre avec Rose-MariePagnard, Marie-ClaireDewarrat ou François Debluë (Troubles fêtes, 1989).

Orientées par «l'attrait du dehors», les oeuvres des poètes Pierre Chappuis (Éboulis, 1984; La Preuve par le vide, 1992), Pierre-Alain Tâche, Frédéric Wandelère, Pierre Voélin (Sur la mort brève, 1986), Sylviane Dupuis ou J.-F. Tappy (Pierre à feu, 1987) ne tiennent pas le monde pour le double de quelque idéalité dont se nourrirait la nostalgie humaine. Leur poésie n'a pas de fonction rédemptrice ou rémunératrice; elle évoque moins une interrogation métaphysique du monde qu'elle n'accueille les choses venant se ranger à l'ombre des mots.

Les contrées imaginaires de Claude Darbellay (L'Île, 1987; La Cité, 1991) l'expriment à leur façon: libéré du souci de représenter, aucun mot de la langue ne veut cependant rien dire; l'univers qui s'élabore en elle est un protocole d'accord, une manière qu'aurait le monde de prendre appui sur le langage pour se penser autrement, et critiquer les discours qui voudraient le contenir: n'est-ce pas la leçon de Calvin et de Rousseau?

Pour émaner d'un pays, une identité littéraire n'est pas nécessairement unitaire ou homogène; elle peut aussi être pensée et vécue comme une mosaïque ou une suite de moments mutuellement contradictoires, et parfois incompatibles.

Les littératures 

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administrateur partenariats

Madison, 14 ans, se suicide après des années de harcèlement, à l'école, dans la rue et sur les réseaux sociaux.

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Cette jeune fille était pour mes élèves une amie, une voisine, une ancienne compagne de classe...

Au sein des classes, la problématique du harcèlement et des réseaux sociaux est souvent évoquée. Elle fait partie du quotidien de la jeunesse.

De nombreuses actions sont mises en place dans certaines écoles comme la mienne pour lutter contre la discrimination, le harcèlement, le racket, la loi du silence.

Protéger la jeunesse en l'écoutant et en l'informant.

Ce drame très proche de l'école et des élèves aura sensibilisé davantage encore la jeunesse au danger de ces réseaux sociaux.

Ces panneaux sont réalisés par mes élèves de 3e P, à leur demande, en hommage à Madison

Les élèves participent à la marche commémorative organisée à Herstal ce dimanche 13 mars, elles ont souhaité réaliser ces panneaux reprenant des poèmes, acrostiches et photos au cours d'éducation artistique.

Internet leur est venu en aide pour les textes, poésies et citations, ils furent relus et corrigés et écrits à la main pour la plupart, et nous avons réalisé ensemble l'acrostiche.

Une belle façon pour ces jeunes de témoigner leur soutien à la famille

mais aussi et surtout, de soulager leur peine.

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12273154460?profile=originalOu comment la mémoire de l’Orient revint à l’Occident…


Voilà qui pourrait être le titre de ce nouveau volet consacré à l’histoire de la Cappadoce.


      La Cappadoce demeura longtemps méconnue de l’Occident, jusqu’au Voyage du sieur Paul Lucas fait par ordre du Roi dans la Grèce, l’Asie mineure, la Macédoine et l’Afrique au début du dix-huitième siècle.
Paul Lucas (1664-1737), « antiquaire du roi » et négociant en pierres précieuses découvre les formations et l’habitat si singuliers de la région. Et en reste bouche bée… Pétrifié !

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     « J’avais fait déjà beaucoup de voyages, mais je n’avais jamais vu ni même entendu parler de rien de semblable. Ce sont quantités de pyramides qui s’élèvent les unes plus, les autres moins, mais toutes faites d’une seule roche et creusées en dedans de manière qu’il y a plusieurs appartements les uns sur les autres, une belle porte pour y entrer, un bel escalier pour y monter, et de grandes fenêtres qui en rendent toutes les chambres très éclairées. Enfin, je remarquai que la pointe de chaque pyramide était terminée par quelque figure. »

12273154295?profile=originalOui, ma chaumière je la préfère

avec toi, oui avec toi, au palais d'un roi

     Au point qu’il prend ces sortes de termitières pour des constructions entièrement faites de main d’hommes, et bien qu’altérées, ce sont pour lui, aucun doute permis, des pyramides. Toute une ville immense est ainsi construite, avec ses villages environnants et sa gigantesque nécropole.


     « Est-ce le cimetière de la ville de Césarée et de tous les environs, ou plutôt d’une ville d’une construction particulière, et la seule de cette espèce qui soit dans l’univers. »


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Il en fait, à son retour, une description exaltée. Qui laisse pantois, et incrédule.


                 - Ce ci-devant-là affabule !

12273155272?profile=originalComment ça, je travaille du chapeau ?!

Et, malgré une excursion sur le site de Roland Puchot, comte des Alleurs, ambassadeur à la Porte de 1747 à 1755, qui confirmait les dires du sieur Lucas, on resta circonspect.

 

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Il faut raison garder.

Pour autant qu'il ne soit jamais bon de trop tôt avoir raison...

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     Jusqu’à Charles Texier (1802-1871), archéologue et architecte, un homme incontestablement sérieux et pondéré, qui, lors d’une mission en Asie mineure, de 1833 à 1837, établit les faits. L’homme a de l’expérience et des connaissances en géologie, il reconnait cheminées de fées et autres formations d’origine volcanique, façonnées par les eaux de ruissellement, gel et vent, et aménagées par l’homme.


12273156855?profile=originalAvanos

et les avanies de l'Histoire

("avanie" : imposition infligée par les Turcs aux chrétiens)

     La vallée de Göreme, « Tu ne peux me voir »… Un lieu que Paul de Tarse, saint Paul, jugea propice aux missionnaires dès le milieu du premier siècle, et où nombre de Chrétiens se réfugièrent.

12273157087?profile=originalPour vivre en paix restons cachés aux yeux de l’Histoire.
Les villes souterraines sont peu à peu abandonnées
au profit de sites plus aériens mais toujours discrets.
(ici Derinkuyu, une ville souterraine qui compte huit étages s’enfonçant dans le sol)

12273157875?profile=originalFace aux coups de boutoir de la Sublime Porte,

mieux valait garder huis clos...

(fermeture ottomantique)

12273157472?profile=original... et prendre de la hauteur

De là, une grande concentration d’églises, couvents ou simples chapelles. Et souvent parmi les plus remarquables de ces édifices, comme l’Eglise à la Boucle et sa superbe Vierge à l’Enfant, lovée dans une niche, l’Eglise Obscure et son Christ Pantocrator, l’Eglise à la Pomme, l’Eglise aux Sandales… toutes joyaux de la Renaissance macédonienne. Ou d’autres, plus simples, plus primitives mais tout autant chargées d’émotion, telles l’Eglise de la Vierge Marie, l’Eglise Sainte Barbara, l’Eglise au Serpent, l’Eglise cachée…

Trésors que j’ai pour mission de dévoiler.

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Il suffira de franchir le seuil...


A suivre…


Michel Lansardière (texte et photos)

Vous pouvez retrouver ci-dessous mes deux premiers billets :
• Les origines :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/tr-sors-cach-s-de-cappadoce-1-re-partie

• De l’ignorance à la renaissance :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/tr-sors-cach-s-de-cappadoce-de-l-ignorance-la-renaissance-2e

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L'envolée d'un Ami,

Votre ami s'en est allé sur ce long chemin bleu, en altitude ;

à l'ombre de votre cœur il flamboie, vous parle,

vous ensoleille :

La mort qui effraie, serait-elle cette existence invisible ?

Le parfum d'une fleur que l'on sent,

son pétale que l'on touche,

ce tout que l'on reçois, invisible pourtant, géant.

Cette vie là, invisible et légère,

s'enracine dans ce noir brutal,

qui s'attenue peu à peu,

jusqu'à devenir caressante clarté.

C'est là le plein Amour.

Bien à vous.

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Le regard.

Je vous désire tout entier

dans mes yeux

comme la Seine dans la mer,

immuablement au fil des ans.

Le regard n'est-il pas ce vaste lit,

où l'on se prend, sans se prendre,

où l'on s'effleure sans même bouger,

mais simplement en l'élargissant

encore bien davantage pour l'autre,

en y affichant ce mot qui dirait tout ;

ce mot à la fois léger et décisif,

 simple et un peu fou,

dont chacune des lettres

serait étrangère à l'alphabet

que l'on connait, que l'on apprend par cœur :

ce surgissement de moi vers vous est né ainsi,

dans la clandestinité la plus solaire qui soit,

 celle qui s'écrit du bout des doigts.

Ces doigts qui devinent,

 à force de songer à vous, mon cher ami,

la texture chaude et brune

de votre peau dont la mienne si claire

lui serait dès la première rencontre,

 familière, presque pareille.

NINA

 

 

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Un mouchoir de poche

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Un mouchoir

Un mouchoir s'ourle dans le vent.

Il glisse léger et silencieux

comme un oiseau blanc !

Tourbillon, il se tort de plaisir

en un foulard à votre cou.

Chavire en émoi

 à vos joues animées,

à vos  roses minois.

Humecté à vos cils

d'une larme

tantôt triste,

 si tôt joyeuse !

Il s'étreint dans votre main

imbibé de vieux sanglots

et de trésors émus.

 C'est alors que retroussé,

 il se dérobe dans la nuit de votre poche.

                                                           

                                                              Rosyline le 15/02/2014

 

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administrateur théâtres

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"Le 7ème continent" de Thierry Janssen - Photo Bruno Mullenaerts
Autour du cercueil de l'homme de leur vie, trois femmes assemblent petit à petit les pièces d'un puzzle affectif et envisagent le monde à l'aune des relations humaines.

Franck, Jack, Mick ? Shocking ! 

Dans le Nord-est du pacifique, entre la Californie et Hawaï, les déchets produits par les activités humaines et déversés dans les océans sont acheminés par les courants marins vers un nouveau "continent" boulimique dont la taille atteint près de 3,5 millions de km². A l'image d'un puissant siphon marin, le vortex attirerait vers lui tous les résidus de notre société de surconsommation. Toutefois, contrairement au siphon, les déchets ne sont pas "aspirés" mais accumulés et bien visibles. Voilà pour le titre! C’est  aussi le nom d’une œuvre d’art présentée à l’exposition : «  2050. Une brève histoire de l'avenir ». Source d’inspiration de l’auteur de la pièce?  

L’histoire raconte la rencontre de trois veuves (des résidus ?) amoureuses du même homme, sûrement très extraordinaire pour avoir su mener une triple vie sans jeter le moindre soupçon.  Shocking. La double vie ne semblant, par les temps qui courent,  pas assez palpitante pour intéresser le public, Thierry Janssen lance l’idée d’une troisième femme dans  le tableau, histoire de secouer un peu les esprits et d'amorcer une nouvelle dynamique.

Le 7ème continent -8- (c) Bruno Mullenaerts.jpg

 Et cela marche du tonnerre. Le public se passionne pour trois « être » différents. Kristin, 40 ans, Miss Météo est bon chic bon genre, coincée et maladroite. Anaïs, 35 ans, est activiste chez Greenpeace, elle écume de colère et de révolte. Lola, 21 ans,  est  handicapée, elle souffre  du  syndrome  d’Asperger qui fait d’elle un robot encyclopédique incapable d’éprouver la moindre émotion. Bien sûr, les trois  femmes se reconnaissent toutes comme l’unique objet de désir de l’homme défunt  et se disputent son souvenir et  leur avenir à coups de mots cinglants.  En crêpages de chignon successifs  bien  caustiques, les caractères se dessinent, toutes griffes dehors, le charme en bandoulière, le sabotage amoureux et le dépit au fond du cœur. Mais sous le choc du deuil de l’homme et la découverte du triple mensonge, commenceraient-elles à s’écouter ? Elles sentent soudain qu’elles ont besoin l’une de l’autre pour comprendre. Femme des années 2020, qui sont-elles? Vont-elles accoucher d’un nouveau monde ? La mémoire archaïque leur dit que nous avons besoin de la nature et que  la nature a maintenant besoin de nous. Et si ces dames se mettaient à réinventer et l’homme et la planète ?

Et si au lieu des luttes de pouvoir, elles s’unissaient pour refaire un monde différent, capable d’enrayer la prolifération  de  cet odieux 7e continent?  Et si  l’intérêt de la planète se tricotait dès la naissance, au cœur des relations familiales ou intimes avec pour  premier horizon le respect de l’autre, comme modèle affectif pour changer le monde ? Loin du chacun pour soi, de l’intérêt personnel, de  la vanité et de la puissance ? Si on décidait d'inventer  d'autres relations humaines?  Question de court-circuiter  l’histoire humaine telle qu’elle se déroule depuis les origines ?  Quelle utopie fantastique dans la plume de ce comédien rêveur d’un monde vraiment meilleur et sous l’œil du metteur en scène inventif qu’est Michel Kacenelenbogen. Tout a commencé avec Louis Aragon : « Le poète a toujours raison / Qui voit plus haut que l'horizon / Et le futur est son royaume / Face à notre génération / Je déclare avec Aragon / La femme est l'avenir de l'homme ». Et bien sûr, Jean Ferrat. Thierry Janssen continue:

Comment prendre soin de la terre alors qu’une grande partie des habitants de celle-ci est opprimée, souillée, brutalisée ? Comment respecter et jouir des dons de la nature alors que la plupart des êtres humains se crachent haine et violence au visage ? Face à notre mère terre comme face à un miroir, elle nous renvoie notre lâcheté, les conséquences de nos actes irréfléchis et la laideur de nos âmes corrompues... 

Spectacle écrit par un homme qui grâce au théâtre, raisonne par l’absurde.  Le raisonnement fort tiré par les cheveux frise le délire artistique, mais  le funérarium espère enterrer le pire de notre monde et ouvrir sur une page que l’on brûle chacun d’écrire. Spectacle-choc des idées, choc amoureux de la présentation, choc crucial  de l’innovation. Une écriture sur mesure pour cette formidable trinité de femmes de choc : Bénédicte Chabot, Kim Leleux et Inès Dubuisson, soutenue par une  mise-en scène délectable.

"Le 7ème continent" de Thierry Janssen - Au théâtre le Public

Le 7ème continent -5- (c) Bruno Mullenaerts.jpg 

http://theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=419&time=tom

Rue Braemt, 64-70
Brussels, Belgium
0800 / 944 44 (numéro gratuit)
Jusqu'au 30 avril (relâche du 29/03 au 09/04)
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Un paysan


Le meilleur homme qui soit, je l’ai rencontré.

Il n’a pas l’apparat d’un riche banquier, non,
Ni les clinquants luisants qu’affichent les rentiers,
Bien haut cramponnés, tout en haut de l’escalier,
Dont les métiers dus à leur rang ont figé des sermons
Qu’ils nous assènent à longueur de journée !

Celui-là porte des guenilles, l’air benêt,
Sourit même à la lune quand il fait jour,
Patauge dans la boue, y fait par amour
Des rangs, des tas, des collines de fumier,
Plante des graines, repique des racines
Pour nos assiettes d’ignorants en cuisine !

Il me prédit, ayant lu au cul des oignons
Que l’hiver râpé file un mauvais coton,
Que l’été sera tôt, pas non plus de printemps,
Qu’il n’y a plus de raisons à se fier au temps,
Qu’il n’a pas plu , que les prévisions sont bêtes
Et que les saisons ont chamboulé sa tête !
Les yeux au ciel en accuse les avions,
Et que ceux-ci ne lui inspirent rien de bon.

Ce meilleur homme qui soit je l’ai rencontré,
Bien sur sa terre, tout en bas de l’escalier.
Il se met soudainement à beaucoup pleuvoir,
Il se sauve. Alors il lui faut tout revoir !

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L'intrus

  

                                                                        12273152099?profile=originalDessin d'enfant 

 

Mon temps s'étire au ralenti,

Sans fantaisie, dans le silence

Me portant à la somnolence.

Lors le vieil intrus resurgit.

 

Sans fantaisie, dans le silence,

Je ne ressens nul appétit.

Lors le vieil intrus resurgit,

L'ennui de mon adolescence.

 

Je ne ressens nul appétit

En son insipide présence,

L'ennui de mon adolescence,

Revêtu de son habit gris.

 

En son insipide présence,

Maussade, je me rabougris.

Revêtu de son manteau gris,

Il courtise l'indifférence.

 

                                                                          26 avril 2007

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administrateur théâtres

 6.jpgL'AVARE de Molière.

                 

                     

                             Le bonheur retrouvé du théâtre de répertoire emporte.

La mise en scène emporte aussi, avec l’illustre de Guy Pion dans le rôle-titre.

Il est extraordinaire.

Aussi bon qu’un Michel Bouquet ou Louis De Funès au cinéma.

Fondateur du théâtre de l’Eveil, il a été nommé Meilleur Acteur pour Richard III au Théâtre du Parc en 2013-2014. Et la distribution qu’il emmène avec sa comparse Béatrix Férauge,    

est éblouissante elle aussi. Une jeune première dans le rôle d’Elise :

Aurélie Alessandroni.  

 

11.5.jpgAvec la mise en scène de Patrice Mincke dont la lecture dramatique est très contemporaine et la scénographie très romanesque, et les décors et costumes signés Thibaut De Coster et Charly Kleinermann, voici « L’AVARE » de Molière plongé dans un néoréalisme  presque fantastique bourré de rebondissements.

Un renouveau qui décoiffe, pour une pièce classique qui se jouait jadis en perruques dans les dorures de Versailles. Un décor d’épouvante  revisité par Charles Dickens ou Mary Shelley ? La musique (Laurent Beumier)  qui accompagne fait penser à Frankenstein.

 Les dix comédiens du théâtre de l’Eveil expriment tout dans leurs mots, dans leurs corps, dans leurs courses, leurs élans, leurs chutes et leurs fuites funambules sur  la double volée d’escaliers branlants  de cette sombre demeure aux  vitraux cassées qui sert d’unique décor. Un monde cassé.  Une véritable maison hantée par l’avarice, par l’absence d’amour, mangée par les lézardes de l’incompréhension, viciée par les machinations infâmes pour économiser quelque sou ou pour procéder à  quelque affaire juteuse. Au mépris total des gens. Tout le potentiel comique de Molière est là pour faire exploser l’imposture de l’argent et  libérer un rire généreux face à l’avarice et aux avaricieux.  Partout dans le monde maintenant, la maladie de la cupidité s’est étendue comme une perverse moisissure s’empare des moindres fissures et Cupidon, a bien du mal à se faire entendre!

 

1avare.jpg Ce que l’on voit corrobore ce que l’on entend, les images scéniques se succèdent avec un sens aigu du rythme. Le placement et le mouvement des comédiens qui dévalent et remontent sans cesse  les escaliers souligne le furieux désir de vivre et d’être. La menace de l’ensevelissement des jeunes rêves est palpable. La maison porte les traces de la misère et de l’abandon. C’est la mort de la mère de Cléante et Elise qui a fait basculer le père dans l’obsession de l’avoir. « Hélas mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi, et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi , et je n’ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre ! » Des  rosiers grimpants morts courent sur la façade  et renforcent le propos, et pourtant le propriétaire  des lieux est richissime.   Seul le maigre poêle à bois au centre du plateau semble  pouvoir réchauffer les acteurs débordant de désir de vivre et d’aimer. On se croirait dans une pièce de Tchékhov!

Les jeunes ont un jeu en crescendo fantastique pour sauver l’amour et confondre la sordide cupidité. Patrice Mincke: «Après deux lignes, j’étais pris : je vibrais avec cette famille qui s’aime et se déchire, je m’attachais à ces ados si attendrissants et si insupportables, à ce père aigri mais touchant malgré tout et, surtout, je ressentais l’absence de cette mère défunte qui résonne dans chaque réplique. Le plateau devint alors, non plus cet endroit de passage indéfini qui permet de respecter l’unité de lieu, mais la pièce de vie centrale d’une maison concrète, un endroit où on se croise, on mange, on parle, on déballe, on s’engueule. Une maison avec une âme, qui jadis était habitée par un couple et ses deux enfants et qui est peu à peu partie à la dérive, devenant un lieu d’enfermement pour les jeunes et un terrain vague jonché de souvenirs pour le vieux. » Et  en définitive,  cet Harpagon,  malgré ses richesses recouvrées,  n’est-il pas infiniment seul,  pauvre et pitoyable? Pathétique, sûrement.  « Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve pas mon argent je me pendrai moi-même ! »

 

Lettre d’outre-tombe, le texte est magnifiquement compris, dynamisé, polarisé. A aucun prix on ne peut se priver de ce spectacle fondateur et de son message humaniste. Et oui, les racines de cet arbre qui court sur le balcon,  sont loin d’être mortes! Plongez dans le bonheur actuel  d’écouter Molière au mieux de sa forme!  

 

   Du jeudi 25 février au samedi 26 mars 2016 au théâtre du Parc

Avec :

Stéphane Fenocchi

Béatrix Férauge

Othmane Moumen

Guy Pion

Freddy Sicx

Simon Wauters

Yasnaïa Detournay

Patrick Michel

Camille Pistone

Aurélie Alessandroni

Photos d'Isabelle DE BEIR

         

http://www.theatredeleveil.org/lavare/

http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/62/35.html

 

 

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Une victoire collective

À mes lecteurs

Une envie qui demeure intense
Semble pareille à un besoin.
On l'entretient avec grand soin.
On se fie à la providence.

- Aide-toi, le ciel t'aidera!
Or fais-le avec persistance,
En nourrissant ta confiance.
- Est-ce que cela suffira?

Précieuse est l'intelligence,
L'art de convaincre, un grand talent.
Provoquer un geste exigeant
Dépend certes aussi de la chance.

En grand nombre, achetez «À bord»
Mon livre d'instants poétiques!
Dans un lieu semblant onirique
Abondent les grâces du sort!

Mon innocence m'incite à croire
Que vous me ferez ce plaisir.
Il comblerait un vieux désir.
Vôtre serait cette victoire.

6 mars 2016

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Le petit pêcheur d'amour

                                                       Le petit pêcheur d'amour

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Le petit pêcheur d'amour
dans sa pirogue rouge 
a dans sa manche plus d'un tour !

Quand le vent sous sa chemise
d'un élan trousse ses mâts
d'un souffle le défrise

Le ciel courbé à ses ailes
étarque cet oiseau blanc
aux sillages en dentelle

Lorsque vos larmes chantent
Et que votre voix en sanglot
S'emporte hoquetante 

Le petit pêcheur d'amour 
dans sa pirogue rouge
arrive à votre secours !

Il a dans sa sacoche
des atouts et des mots doux
des verbes qui nous accrochent



mi cachou, mi bantou
sans sa langue dans sa poche
Son collier à votre cou

A la corde de sa main
Il emporte dans son panier
Votre coeur dans son écrin

Le petit pêcheur d'amour 
dans sa pirogue rouge
disparaît au petit jour 
dessinant sur l'horizon 
la silhouette de son passage
" des perles en nuages"

Rosyline 20/02/2015

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Haïkus, mon double

  

J'ouvre une fenêtre
m'apparait la vieille dame
mon double actuel

Nouveau face à face
regards neutres échangés
aucune parole.

On se dévisage
je pose des gestes lents
les yeux demis clos.

Dès que je le peux
Je mets fin à la rencontre
et j'oublie la vieille.

Toujours gracieux
Mon ancien double est ailleurs

je lui souriais.

5 mars 2016

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Résilience

  Un rayon de soleil s'aventure

Dans la grisaille du quotidien

Une ombre fantasque sur le mur

Vacille, s'étonne c'est le chagrin

Tel un vampire fuyant la clarté

Dégoûté par le soleil des jours

Le chagrin disparaît dépité

Sous les huées de notre amour

Les pensées en friche vont refleurir

Bientôt ! L'insolence du muguet

Exhalant le parfum du désir

quelques brins d'un bonheur obstiné

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Le conte, et particulièrement le conte merveilleux, est-il, comme le voulait Paul Delarue, «l'expression la plus parfaite de tous nos récits oraux»? Son extraordinaire longévité surprend: le conte égyptien des Deux Frères a été retrouvé sur un papyrus datant du XIIIe siècle avant J.-C., la légende d'Etana et de l'Aigle sur des tablettes exhumées des sables chaldéens. La diffusion du conte dans l'espace n'est pas moins étonnante puisqu'on le rencontre jusqu'au bout de la terre, «là où, dirait le conte, le monde se termine par une palissade de rondins». De ce genre longtemps méprisé, relégué au rang de divertissement pour l'enfant et le peuple ignorants, de ce genre dont on a dit tantôt qu'il «sentait l'eau de Cologne et la poudre d'iris», tantôt la bure et la fumée, tous les spécialistes s'accordent à reconnaître aujourd'hui l'intérêt. Mais n'est-il pas paré de «la beauté du mort» pour nos contemporains en quête de racines?

 

 

1. Qu'est-ce qu'un conte populaire?

 

Si le terme de conte présente, dans la littérature, des acceptions multiples et des frontières indécises, trois critères suffisent à le définir en tant que récit ethnographique: son oralité, la fixité relative de sa forme et le fait qu'il s'agit d'un récit de fiction.

Le conte populaire s'inscrit d'abord dans ce vaste champ qu'en 1881 Paul Sébillot baptise, d'une expression paradoxale, «littérature orale». Comme les comptines et les proverbes, les devinettes et les chansons, il bénéficie de cette «transmission de bouche à oreille» qui caractérise, selon Pierre Saintyves, le «savoir du peuple». Chaque conte est un tissu de mots, de silences, de regards, de mimiques et de gestes dont l'existence même lubrifie la parole, au dire des conteurs africains.

Le conte est, de plus, un récit hérité de la tradition, ce qui ne signifie nullement qu'il se transmette de façon immuable. Le conteur puise dans un répertoire connu depuis longtemps la trame de son récit et lui imprime sa marque propre qui sera fonction de l'heure, du lieu, du public et de son talent spécifique. Le conte populaire est donc à la fois création anonyme, en ce qu'il est issu de la mémoire collective, et création individuelle, celle du «conteur doué», artiste à part entière, qui actualise le récit et, sans en bouleverser le schéma narratif, le fait sien. Le conte participe ainsi, avec la légende, de ce qu'Arnold Van Gennep appelle la «littérature mouvante», par opposition à la «littérature fixée» des proverbes et des dictons qui ne se modifient pas.

À l'intérieur de la littérature mouvante, le conte se singularise surtout par son caractère de fiction avouée. L'incipit «Il était une fois» atteste déjà la rupture avec le monde ordinaire. Les localisations spatio-temporelles du conte merveilleux l'accentuent: «Bien loin, au-delà de l'extrémité du monde et au-delà même des montagnes des sept chiens, il était une fois un roi...» Dans les contes facétieux -comme dans les histoires drôles -,la fiction se marque surtout par le caractère exemplaire de la situation initiale: «Deux Corses se rencontrent sur la place du village.» La légende, au contraire, se donne comme le récit d'événements qui se sont réellement produits et dont les acteurs sont connus; son ancrage historique et géographique l'enracine dans la vie locale. Il faut signaler cependant que l'affirmation de réalité est quelquefois utilisée, en début ou en fin de conte, comme un moyen de capter l'attention de l'auditoire. Le conteur se présente alors comme un intercesseur malicieux entre le monde réel et l'univers imaginaire qu'il vient de faire naître: «On fut bien obligé de lui mettre un nez en bois, c'est mon grand-père le cordonnier qui le lui a fait.»

 

 

2. Collecte et classement des contes

 

Par définition, le conte populaire, transmis de génération en génération, se situe dans ce que Fernand Braudel a appelé la «longue durée». Seules peuvent être datées avec précision les versions manuscrites ou imprimées et les transcriptions de textes oraux que nous ont laissées les ethnographes du siècle dernier.

Comme le souligne Marie-Louise Ténèze, la collecte systématique des contes est postérieure, dans tous les pays d'Europe, à la publication des Kinder- und Hausmärchen des frères Grimm (1812-1815), dont l'impact fut considérable. Elle fut tantôt l'oeuvre d'institutions nationales, comme la Société de littérature finnoise, créée en 1831, tantôt celle d'individualités marquantes qui ont mené et coordonné des enquêtes sur le terrain: Asbjörnsen en Norvège, Svendt Grundtvig au Danemark, Pitré en Sicile, Paul Sébillot puis Arnold Van Gennep en France... En moins d'un siècle, ces collectes permirent d'accumuler un matériau immense, dont le classement même faisait problème: plus de trente mille documents pour les seules archives d'Helsinki en 1918. En dépit de la bigarrure des textes recueillis, les ressemblances sensibles entre les contes, d'une province à l'autre et d'un pays à l'autre, permirent au Finnois Antti Aarne de définir, dès 1910, la notion de conte type: une organisation de motifs suffisamment stable pour s'être inscrite dans des récits divers, un schéma narratif privilégié avec insistance par les conteurs, une «ornière traditionnelle», selon l'expression d'Ariane de Felice -si l'on admet que la narration emprunte fréquemment cette «ornière» sans s'y enliser jamais.

Le recensement des contes types, initialement mené à partir des collections scandinaves et germaniques, s'élargit bientôt à l'ensemble de l'Europe puis à l'Inde. Il aboutit à l'établissement d'une classification internationale à laquelle sont indissolublement liés les noms d'Antti Aarne et de Stith Thompson, auquel on doit aussi le monumental Motif-Index of Folk-Literature. La classification Aarne-Thompson comprend aujourd'hui 2340types répartis en quatre catégories: les contes d'animaux (T. 1 X 299), les contes proprement dits, qui incluent les contes merveilleux et les contes religieux (T. 300 X 1199), les contes facétieux (T. 1200 X 1999) et les contes à formule, qui sont souvent des randonnées ou contes en chaîne (T. 2000 X 2340). L'Aarne-Thompson a rendu possibles les monographies de contes par la comparaison de toutes les variantes et l'établissement de catalogues nationaux. Celui de Paul Delarue et de Marie-Louise Ténèze pour le conte populaire français est, à cet égard, exemplaire. Pour chaque conte type nous est donné le texte d'une version de référence puis un découpage narratif, suivi de la liste de toutes les versions recensées avec l'inventaire de leurs motifs. Chaque conte est assorti d'un commentaire. Lorsque les versions issues d'une aire géographique donnée présentent des caractères originaux, et ce, de façon persistante, on parle d'«ocotypes régionaux», reprenant en cela un terme proposé par Carl Wilhelm von Sydow.

Il est assez frappant de constater que l'ardeur des collecteurs du XIXe siècle concernant le rassemblement des textes oraux semble s'accompagner d'une relative indifférence aux circuits de transmission du conte. Ils nous ont laissé peu d'informations sur la personnalité des conteurs, sur leur pratique narrative et sur les institutions de transfert qui ont permis aux contes de se perpétuer. Les ethnologues d'aujourd'hui attachent, au contraire, la plus grande importance à l'«horizon d'attente» dans lequel le conte surgit: «Par tout un jeu d'annonces, de signaux -manifestes ou latents -,de références implicites, de caractéristiques déjà familières, écrit Hans Robert Jauss, le public est prédisposé à un certain mode de réception.»

 

 

3. L'horizon d'une attente

 

Le conte traditionnel est inséparable de la communauté dans laquelle il s'inscrit: «Ce qui est premier, écrit Max Lüthi, c'est le besoin intérieur du conte que ressentent ceux qui le créent, ceux qui le cultivent et ceux qui l'entendent.» À cette notion un peu vague de «besoin intérieur», on préférera celle de «fonction textuelle» (rôle joué par le texte dans le système social) et la typologie des fonctions que proposent Daniel Fabre et Jacques Lacroix.

Le texte oral ne peut, en effet, se définir que dans un réseau de fonctions dont l'importance varie selon le récit, le public et l'époque considérés. Les témoignages contemporains privilégient surtout la dimension ludique du conte. Dans les sociétés traditionnelles, l'activité narrative est une forme privilégiée du loisir, encore qu'elle s'accompagne souvent d'un travail accompli pendant le temps du contage (dentelle, tricot, vannerie, écalage des noix, etc.). Parmi les diverses sortes de jeux que combine l'activité narrative, la compétition paraît être surtout sensible dans les veillées où il n'y a pas de grand conteur. L'imitation prévaut dans les mimologismes, ces brefs récits qui suggèrent une interprétation amusante des chants d'oiseaux et des cris d'animaux, tel ce dialogue autour d'un fermier endetté: «La caille chante: Paye tes dettes! Paye tes dettes! La perdrix: Payera-t-i? Payera-t-i? La pintade: Peut-être. Peut-être. L'oie: J'paierons, j'paierons. Les canards: Quand, quand, quand, quand. Le mouton: Jamais.»

On conte donc, c'est vrai, pour jouer, pour rire ensemble. Mais si cette fonction ludique existe, tout particulièrement dans les mimologismes et les contes facétieux, elle n'avait probablement pas, dans la hiérarchie culturelle traditionnelle, l'importance que nous lui accordons aujourd'hui: nous plaçons commodément sous le signe du divertissement des textes dont le sens et les résonances nous échappent. Une autre réduction fréquemment opérée, cette fois pour les contes merveilleux, consiste à exalter leur dimension esthétique, ce qui marque bien notre distance par rapport à ces «belles histoires» issues d'un «vieux vieux temps». Comme le soulignent Daniel Fabre et Jacques Lacroix, «le texte, devenu le plus étranger par son contenu, suscite une adhésion esthétique de substitution».

Or le conte traditionnel ne se définit pas seulement par le plaisir du jeu ou le désir du Beau. Il est aussi l'expression d'une mémoire anonyme et collective qui joue sur différentes modalités du temps: le temps mythique, celui des origines, radicalement coupé du nôtre («C'était au temps où les bêtes parlaient»), le passé indéfini du conte merveilleux («Il était une fois»), le temps historique, mais d'une histoire intermittente qui laisse dans l'ombre des siècles entiers pour isoler des faits saillants (en Auvergne, le passage de Mandrin par exemple), le temps familial qui inscrit le récit dans une généalogie parfois fictive («Le grand-père de mon grand-père de mon grand-père...»), le temps personnel, enfin, évocation mélancolique de la jeunesse du récitant («De mon temps, les filles étaient sages, les arbres portaient plus de fruits», etc.). Quelles que soient les modalités choisies, le temps du conte a ses lois propres: le héros construit un palais en une nuit, la princesse dort pendant cent ans.

Le récit oral remplit aussi une fonction d'information. Celle-ci est bien sûr appauvrie, amplifiée, déformée d'un relais à l'autre puisqu'elle est soumise aux errances de la mémoire et aux mouvances de la parole. La narration se donne alors comme vraie, bien qu'on ne puisse jamais remonter à la source de l'information. Dans un univers familier, balisé, le conteur choisit l'instant privilégié où le cours ordinaire des choses de la vie se trouve tout à coup rompu: le conteur, selon Per Jakez Helias, c'est «quelqu'un qui est frappé d'inspiration là où les autres ne voient qu'incidents». Les rumeurs, comme les récits de sorcellerie qui en sont le produit, ne décrivent rien d'autre que cette «irruption de l'inadmissible» qui caractérise, selon Roger Caillois, le récit fantastique. Au conte traditionnel de la chasse volante, où un homme qui a tiré sur des esprits nocturnes voit tomber devant lui une jambe sanglante, fait écho aujourd'hui la rumeur de l'automobiliste qui, arrêté par des loubards, s'échappe en voiture mais trouve sur le capot une main arrachée. Les auto-stoppeurs, les loubards -comme jadis les brigands et les voleurs de grands chemins - sont les incarnations d'une marginalité jugée menaçante. Ils reflètent les peurs d'une époque.

Les normes sociales en vigueur affleurent donc très nettement dans ces récits, ce qui permet d'appréhender la dimension morale du conte. Dans les contes christianisés, le monde s'ordonne autour de deux pôles antagonistes -le Bien et le Mal, le Diable et le Bon Dieu -dont le conflit anime la création. Si les légendes et les vies de saints exaltent des actions que le groupe juge exemplaires, dans les contes facétieux, en revanche, on rit d'un comportement jugé inacceptable qu'on attribue généralement aux membres d'une communauté linguistiquement et géographiquement proche pour mieux marquer sa supériorité. Ainsi, en France, les histoires corses raillent-elles la paresse, les histoires juives l'avarice, les histoires belges (dont on sait la récente fortune) la sottise, etc. Les Wallons, à leur tour, se moquent des Flamands, et réciproquement. Par là se trouvent renforcés les liens de connivence du groupe. Certains contes témoignent d'une satire sociale, telle cette description de l'enfer: «Y avait quelques ouvriers, pas beaucoup, mais y en avait. Des paysans aussi, quelques-uns, mais y en avait. Des bourgeois, y en avait des tas: des avocats, des sénateurs, des députés, des ministres, c'était bourré!» (Félix Bouche, maçon, de Chassagnoles, 9 décembre 1978).

À ces fonctions définies par Daniel Fabre et Jacques Lacroix, il convient d'ajouter la fonction étiologique, présente dans cette catégorie de récits que les folkloristes ont appelés les «pourquoi»: pourquoi les chiens et les chats se disputent (conte type 200), pourquoi les ours n'ont pas de queue (conte type 2), pourquoi les colombes ne pondent que deux oeufs (conte type 240)... Morten Nojgaard, cité par Marie-Louise Ténèze, définit l'étiologie par le fait qu'elle juxtapose deux sections temporelles: son but est «d'exposer une certaine chaîne d'actions dans un passé éloigné, et, ensuite, d'en tirer la conséquence qui explique un phénomène donné de la réalité du lecteur». Ainsi, dans le conte type 295, célèbre par la version des frères Grimm, c'est une promenade ancienne de la braise, de la paille et du haricot qui explique une particularité botanique présentement observable: le fait que tous les haricots du monde ont une couture noire sur le dos. À ce récit, Claude Lévi-Strauss attribuerait sans doute un rôle «démarcatif»: «il n'explique pas vraiment une origine, et il ne désigne pas une cause; mais il invoque une origine ou une cause (en elles-mêmes insignifiantes) pour monter en épingle quelque détail ou pour «marquer une espèce». Marie-Louise Ténèze distingue en outre les contes intrinsèquement étiologiques, construits en fonction de l'explication à fournir, des contes à fin étiologique extrinsèque où l'on surajoute une conclusion étiologique (la petite couture noire) à un récit qui se suffit parfaitement à lui-même.

La fonction initiatique des contes a déjà fait couler beaucoup d'encre. Si l'on définit l'initiation, d'un point de vue sociologique, comme un processus acculturatif qui prépare à la vie adulte en interdisant tout retour en arrière, le conte paraît lui être étroitement lié. Non pas tant, comme le voulait Pierre Saintyves, parce que les contes subsisteraient comme les ultimes souvenirs de rites tombés en désuétude que parce qu'ils utilisent un langage symbolique du devenir, de la métamorphose. On sait, par les recherches de Geneviève Calame-Griaule, à quel point les Dogon associent le conte à la sexualité. Ils y voient une «parole de nuit», une parole de désir, indispensable aux mariages comme aux naissances et dotée elle-même d'un tel pouvoir fécondant que l'échange de contes est interdit entre les catégories de parenté soumises au tabou de l'inceste (père et fille, mère et fils, frère et soeur). Plus près de nous, Yvonne Verdier interprète le Petit Chaperon rouge de la tradition orale comme un récit lié à l'initiation des filles. Après avoir brisé son habit ou ses sabots de fer, l'héroïne part à la rencontre du loup-sphinx qui, à la croisée des chemins, l'invite à choisir entre «le côté des aiguilles» et «le côté des épingles» (la sexualité libre et le mariage). Parvenue chez la grand-mère, elle acquiert, lors d'un macabre festin, le pouvoir de procréer en mangeant les mamelles et en buvant le sang de son aïeule. Elle sera enfin initiée sexuellement lorsqu'elle verra le loup dans son «déshabillé». Le conte utilise du reste tout un lexique lié au travail du fil: l'aiguille et l'épingle, le chaperon et la dent de loup, la chevillette et la bobinette. En jouant sur les termes techniques d'un code artisanal (la couture ou la dentelle), qui relève d'un savoir-faire féminin, le conte populaire retrace une aventure où se lit le destin des femmes.

Parions que le lecteur, s'il n'est pas ethnologue, n'aura guère reconnu Le Petit Chaperon rouge qui fait pourtant partie de notre patrimoine. C'est que la tradition orale a été, par l'intervention de Perrault, des frères Grimm, puis des éditions pour la jeunesse, censurée, mutilée et, sur certains points, pervertie. Certaines de ces transformations (l'adjonction d'un dénouement optimiste dans la version de Grimm par exemple) ont peut-être été dictées par le souci d'adapter le conte au destinataire enfantin.

 

 

4. L'enfant et le conte

 

Le frontispice de l'édition originale des Contes du temps passé de Perrault (1697) représente une paysanne filant au coin du feu et faisant de beaux contes aux enfants qui l'entourent. Contes de vieilles, contes de servantes ou de nourrices, disait-on pour désigner ce que Cicéron appelait déjà des fabulae aniles. Ce stéréotype très ancien a permis de confondre dans le même mépris la tradition orale avec l'univers domestique, celui des femmes et des petits enfants. Or, dans les sociétés traditionnelles, les contes étaient destinés aux adultes. C'est seulement à partir du XVIIe siècle en France que le répertoire de la littérature orale et celui de la littérature de jeunesse ont été confondus.

L'amalgame a sans doute été favorisé par le fait que les enfants, admis aux veillées paysannes qui rassemblaient la communauté tout entière, y ont pris du plaisir et se sont appropriés peu à peu ces histoires pour grandes personnes. Ce goût de l'enfant pour le conte -et particulièrement pour le conte merveilleux -a été diversement expliqué.

La première hypothèse avancée par les psychologues, c'est que les contes fournissent à l'enfant un univers aisément déchiffrable parce que fondé sur des oppositions très marquées entre petits et grands, riches et pauvres, bons et méchants. Ce dernier clivage ne correspond pas toujours à une antithèse d'ordre éthique, puisque les valeurs positives se trouvent par définition du côté du héros. Or les recherches de Piaget et de Wallon ont montré que l'enfant est incapable de concevoir des séries graduées d'objets: le monde s'ordonne pour lui autour de couples contrastés qui ne comportent pas d'intermédiaire. Les contes merveilleux ne fonctionnent pas autrement.

Par ailleurs, le schéma narratif de ces contes fournit à l'enfant ce qu'Éric Berne appelle un «scénario de gagneur». Au début du récit, le héros est défavorisé par sa taille (le Petit Poucet, la Moitié-de-Coq), son apparence physique (Riquet à la houppe), son intelligence (c'est un «songe-creux», un idiot de village), sa condition sociale (il n'a pas un sou vaillant) et surtout par son âge (il est presque toujours le cadet de la famille). Il va cependant affronter toutes les épreuves, et il viendra à bout de plus puissant que lui. Message optimiste pour l'enfant, qui retrouve dans les handicaps du héros une image de sa situation dans l'univers des adultes. La moralité du Petit Poucet de Perrault n'exalte-t-elle pas la victoire du «petit marmot», d'abord méprisé, méconnu, et qui pourtant triomphe de l'Ogre?

Pour Bruno Bettelheim, le conte a surtout le mérite d'exprimer des réalités que l'enfant pressent mais dont il ne veut pas -ou ne peut pas -parler. Ainsi les plus célèbres de nos contes merveilleux évoquent à mots couverts le tabou de l'inceste (Peau d'Âne fuit son père qui voudrait l'épouser), la crainte de la castration (le loup de Prokofiev a la queue coupée), la scatologie (dans les versions orales anciennes, le loup des Trois Petits Cochons détruit les maisons non par le souffle, mais par la seule force de son pet destructeur). La sexualité est donc présente dans les contes, mais sous une forme symbolique qui sollicite l'inconscient de l'enfant. «-Où faut-il mettre mon tablier?», demande le Petit Chaperon rouge de la version nivernaise. «-Jette-le au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin», dit le loup. Pour chaque pièce du vêtement, le dialogue se répète, sans que jamais la fillette s'étonne de l'étrange réponse qui lui est faite. Elle effectue docilement son strip-tease, elle sait et ne sait pas, elle veut et ne veut pas ce qui va arriver. Il en est de même pour l'enfant pour qui tout le plaisir du conte gît dans cette attente angoissée et délicieuse du moment où le loup et la petite fille seront enfin ensemble dans le lit.

Dans la version de Perrault, l'histoire, on le sait, finit mal puisque l'héroïne périt dans la gueule du loup. Dénouement sombre, conforme au schéma narratif des contes d'avertissement: une interdiction est formulée, que le héros transgresse, appelant ainsi sur lui le châtiment. Paradoxalement, ces contes cruels sont les seuls de notre tradition orale qui aient été conçus pour les enfants, afin de les prévenir de tous les dangers qui les menacent. Dans le cas du Petit Chaperon rouge, le contenu de l'avertissement a varié. La moralité de Perrault met en garde les jeunes filles contre les loups «doucereux» qui les accostent alors que, dans les éditions enfantines d'aujourd'hui, le dénouement sanctionne la désobéissance. L'illustration reflète bien cette évolution: l'héroïne au XVIIIe siècle a les charmes d'une adolescente, de nos jours elle a trois ou quatre ans à peine. Dans sa célèbre psychanalyse de l'Homme aux loups, Freud a dénoncé les dangers de ces contes d'avertissement qui peuvent frapper durablement des êtres sensibles, puisqu'ils participent d'une «pédagogie de la peur». Faut-il vraiment, comme le veut une tradition auvergnate, dire à un enfant qui ne se mouche pas que son nez va pourrir, à une petite coquette qui se regarde trop souvent dans la glace qu'un jour elle y verra le diable, à un enfant qui refuse de se laver les cheveux que les poux feront une corde de cette chevelure et le traîneront à la rivière? Ces divers monstres risquent fort de resurgir dans ses cauchemars.

Reste que, sous ses autres formes, le conte représente un matériau psycho-pédagogique irremplaçable. C'est un «abécédaire, où l'enfant apprend à lire dans le langage des images», souligne Bruno Bettelheim. C'est aussi un réservoir fantasmatique qui lui permet, par les scénarios réconfortants qu'il offre, de se libérer de ses craintes. Il donne de plus à la mère (à l'adulte) la possibilité d'établir une relation chaleureuse et un dialogue véritable avec l'enfant. Sara Cone Bryant a montré, dans un ouvrage déjà ancien, à quel point le conte était fait pour être dit, non pour être lu. C'est à cette condition seulement qu'il remplira pleinement sa fonction, qu'il favorisera l'adaptation de l'enfant au monde qui l'entoure et sa découverte des autres.

 

 

5. Transcription ou trahison?

 

Parole vivante, le conte est inséparable d'un corps. Les intonations du récitant, le timbre de sa voix, ses silences et ses pauses, les accélérations brusques et les lenteurs calculées de la narration, les gestes qui prolongent le message, le dramatisent ou le nuancent, voilà ce qui fait le charme du conte, un charme si fort qu'il crée autour du récitant un véritable cercle magique. Dans la montagne tibétaine, rappelle Jeanne Demers, «les auditeurs, assis autour d'une aire préalablement saupoudrée de farine d'orge grillée, finissent par apercevoir sur celle-ci -on le prétend du moins! -les traces des sabots des chevaux dont il est question». Mais les «traces des sabots» ne risquent-elles pas de demeurer à tout jamais cachées à celui qui ne connaîtra du conte qu'un texte écrit?

Les ethnologues, au nom d'une fidélité exigeante à la matière populaire, affirment la nécessité d'une transcription littérale. Ils veulent des récits authentiques, datés, localisés avec précision, matériau précieux parce que sans retouche qui, seul, aura valeur de document. Le collecteur doit être un simple sténographe et faire sienne la règle d'Arnold Van Gennep: «tout noter intégralement, sans faire intervenir une critique littéraire, affective ou morale, ni évaluer ce qui est populaire au moyen de mètres artificiellement construits». On peut se demander cependant si l'oralité ainsi recueillie n'est pas toujours résiduelle. Car l'utilisation des moyens techniques dont on dispose pour enregistrer le conte (magnétophone, magnétoscope) et la simple présence d'un observateur extérieur modifient les conditions de transmission du texte oral et, par là, le texte lui-même. Par ailleurs, les indications ethnographiques échoueront toujours à restituer l'art du conteur. «La conteuse marmotte d'un air mécontent quelques mots impossibles à saisir.» Qui reconnaîtra dans cette notation le bêlement d'une chèvre maussade?

Face aux hommes de science, un certain nombre d'écrivains ont revendiqué, en termes plus ou moins véhéments, le droit de faire leur cette matière populaire qui a inspiré nos plus grands artistes. Les contes de Perrault apparaissent à l'analyse comme une reconstitution savante dont Marc Soriano a montré qu'elle «associe subtilement les croyances du temps jadis et une ironie qui, pour ainsi dire, les désamorce de l'intérieur». Si les frères Grimm se font un devoir de restituer fidèlement le contenu des contes recueillis, ils admettent bien volontiers que, dans le domaine stylistique, «l'expression et l'exécution du détail viennent d'eux pour la plus grande part». Andersen mêle librement dans ses recueils des récits d'origine folklorique (La Colline aux Elfes, Le Petit Elfe Ferme-l'oeil) à des textes purement littéraires. Au XXe siècle, Henri Pourrat, dont le Trésor rassemble près d'un millier de contes, s'affirme comme un défenseur passionné de l'adaptation lorsqu'il reproche aux folkloristes d'avoir fait oeuvre de mort: «Le folklore représente le peuple comme un fagotier représente un arbre. Le peuple en vie ne se trouve pas dans les recueils.» N'est-il pas vain de vouloir localiser les contes, alors que ceux-ci, par nature, manquent toujours d'état-civil? Par ailleurs, n'est-il pas légitime de restaurer une version mutilée, appauvrie en la complétant par d'autres qui ne sont pas moins populaires? Pourrat réclame en somme pour lui-même la liberté souveraine du conteur et le statut de ce «pourra», de ce pauvre qui va dans le Forez de ferme en ferme, «colportant les nouvelles, contant les contes, chantant les chansons».

Si le conte est par nature cette «fiction intentionnelle» dont parle Vladimir Propp, est-il susceptible de s'intégrer dans des structures narratives plus vastes? Les folkloristes ont depuis longtemps souligné la tendance des contes à s'agglutiner entre eux et taxent de «contamination» ces mariages qui mettent en péril la belle ordonnance de la classification Aarne-Thompson. À ce terme connoté négativement, on préférera celui d'«affinité» que propose l'école hongroise: l'attraction spontanée entre des formes existantes fait surgir des formes nouvelles. En littérature, les recueils ont longtemps privilégié le récit cadre qui permettait de mettre en place une société conteuse où divers personnages exercent tout à tour la fonction enviée de narrateur (Le Décaméron, L'Heptaméron). Dans Les Mille et Une Nuits, cette structure en abyme se reproduit à l'infini comme dans les poupées gigognes. Tzvetan Todorov a mis en évidence ce procédé d'enchâssement: «Chahrazade raconte que Dja'far raconte que le tailleur raconte que le barbier raconte que son frère (et il en a six)...» (La Malle sanglante, Khawam, I). La vie de Chahrazade est suspendue au fil d'une parole chaque nuit renouvelée, puisque «raconter égale vivre».

Un autre type d'enchâssement est utilisé par Henri Pourrat dans son roman Gaspard des Montagnes. Du conte type 956B, répandu dans toute l'Europe et en Inde, Pourrat avait recueilli plusieurs versions dès avant 1914: c'est l'histoire de la main coupée qui détermine le destin d'Anne-Marie Grange et la trame principale du roman. Mais ce récit encadre lui-même des épisodes secondaires, issus de la tradition orale. De sorte que Gaspard des Montagnes se présente comme un immense tissu de contes où la société paysanne imprime et donne à voir sa propre image. En revanche, le personnage central de Gaspard qui assure l'unité de l'oeuvre est une création de Pourrat, car le conte, à la différence du roman, ne comporte que des personnages sans épaisseur.

 

 

6. Le conte, mort ou vif?

 

Le conte, on l'a vu, naît toujours de la rencontre de deux imaginaires. Si la mémoire collective, au terme d'une lente décantation, en fixe le schéma narratif, celui-ci ne prend vie que lorsqu'il s'incarne dans un artiste à part entière, conteur doué ou écrivain. Mais cette existence même semble menacée, et nombre d'observateurs annoncent que le conte, en Europe occidentale tout au moins, est voué à une disparition prochaine. Aussi le discours sur le conte se conjugue-t-il aujourd'hui à l'imparfait: «Il était une fois les contes...» Ce «Il était une fois» ouvre la porte à bien des nostalgies. Le conte merveilleux éveille au coeur de chaque citadin le rêve d'un ailleurs et d'un jadis sur lequel la pauvreté, la laideur et la sauvagerie n'avaient aucune prise. Les contes ont pris le chiffre de cette campagne idyllique où ne sévissaient ni la pollution, ni les engrais, ni les tracteurs, ni les usines, où le soleil poudroyait, où l'herbe verdoyait sans le secours des écologistes. Mais soeur Anne sur sa tour ne voit plus rien venir. Car le conte est fini pour nous.

Or, il en est du conte comme de tout objet folklorique: «on le voit surtout lorsqu'il semble disparaître», écrit Nicole Belmont; au XIXe siècle déjà, Gérard de Nerval évoque ces «histoires qui se perdent avec la mémoire et la vie des bonnes gens du passé». Mais, comme le note Michael Screech, le Chicanou de Rabelais ne s'exprime pas autrement: «Toutes bonnes coutumes se perdent», affirme-t-il dès 1541.

Si donc le conte merveilleux, lié à la société rurale traditionnelle, s'estompe dans les mémoires défaillantes des conteurs paysans, gardons-nous de conclure un peu hâtivement à la mort du conte et du texte oral en général. Le déclin des veillées à la campagne ne doit pas nous faire oublier les autres institutions de transfert où la parole circulait et circule encore: le café, le foirail, la rue, le pas-de-porte, le magasin ou le bureau de poste aujourd'hui. Dans les cours de récréation, le folklore enfantin intègre les personnages de la télévision (les Dalton ou Goldorak), de la publicité (les enzymes gloutons); il n'en reste pas moins plein de «comptines coquines», plein de zizis coupés et de «cacas-boudins» qui échappent au contrôle des parents et du maître. Les clochards, oubliés sur leurs bancs par notre société de consommation, se racontent inlassablement des histoires de clochards. Dans les prisons retentissent toujours ces chansons de taulards qui ont inspiré à Pierre Goldman quelques-unes de ses plus belles pages. Partout où il y a privation d'espoir le récit oral existe, car il est un moyen de résistance active. À Per Jakez Helias qui demandait à un conteur breton: «Pourquoi contez-vous?», ce dernier répondit: «Si je conte c'est pour réagir contre tout ce qui nous brime.»

 

Les littératures

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L'énergie des couleurs

Songerie

Pendant de nombreuses années,
Je défiais ma destinée
Qui m'apparaissait attristante.
Ma volonté fut importante.

Je recourus à des couleurs,
En contemplant celles des fleurs.
Me fiant à la providence,
Devins peintre en toute innocence.

Mystère du choix, de la balance,
De la parfaite transparence,
Qui font que l'incongru ravit,
Engendre de la poésie.

Si en ce jour je suis sereine,
De ma réussite certaine,
C'est aux couleurs que je le dois.
Leur énergie crée de la joie.

5 mars 2016

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Le génie

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Abstrait de Suzanne

Certes déconcertée. Devrais-je m'inquiéter?
Alors que j'écrivais, surtout pour me distraire,
Plongée dans le silence, sereine, solitaire,
J'entendis un fracas qui me fit sursauter.

Rien de suspect dans mon espace où ma vue erre.
Je vais d'où vint le bruit et je vois aussitôt,
En une quantité de tout petits morceaux,
brisé un bel abstrait que j'avais peint sur verre.

Il avait une place en vue sur un buffet.
Bien calé et soudain, je le retrouve à terre,
Arraché violemment d'une haute étagère.
Je sais bien que sans cause, il n'y a point d'effet.

Il eut vraiment fallu qu'un vandale jaloux
Le prenne dans ses mains afin de le détruire.
Nombreux croient aux génies qui se plaisent à nuire,
Et ont même, dit-on, rendu des hommes fous.

Or il en est de bons, de cela je suis sûre.
Je m'installe au soleil et je ferme les yeux.
M'apparaît sans tarder un ailleurs merveilleux
Et un être troublant d'une étrange nature.

24 janvier 2013

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