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L' image a toujours eu une grande influence sur les hommes, mais ses pouvoirs ont varié suivant les révolutions techniques et les croyances collectives. L'ouvrage trace les grandes lignes de cette histoire qui relève d'une science nouvelle, la "médiologie".

Les trois ères distinguées sont en même temps trois "âges du regard", car l' image tire son sens du regard.

-Le regard jeté sur l' idole antique, puis l' icône chrétienne fut magique, puis religieux. Le visible était la manifestation de l' invisble (la mort, le divin).

-Le regard "esthète" fut humaniste: des collections d' oeuvres se constituèrent en dehors des lieux du culte, puis des musées. Si l' idole reflétait l' infini, l' oeuvre d' art révèle une individualité créatrice.

-Le regard du téléspectateur n'aperçoit ni le visible derrière l' invisible, ni le sujet que sa création objective. Que voit-il alors? Certains répondent "le monde", et jugent et comparent la télé à une fenêtre ouverte. Régis Debray en doute et montre ce que l'image télévisuelle empêche de voir. Il laisse le débat, très vif à ce suje, ouvert.

Un héritier passé à la révolution

Né en 1940, Régis Debray eut le parcours classique d'un "héritier" brillant: Ecole normale supérieure, agrégation de philosophie, études d'histoire, ethnologie, lettres.

Jeune enseignant, il rencontre en 1965 Fidel Castro, le leader cubain. Rencontre décisive, il devint un partisan de la Révolution en Amérique latine, et publia en 1967 "La révolution dans la révolution", puis "Essais sur l' Amérique latine". Parti en mission de journaliste dans les maquis boliviens, il fut arrêté, suspecté d'être un ami d'Ernesto Guevara, dit le Che, figure mythique du régime cubain, et d'être venu avec lui organiser la lutte armée. Il fut condamné à trente ans de prison, passa en fait trois ans dans les geôles boliviennes, car il fut délivré en décembre 1970 à la mort du dictateur Barrientos.

Ses livres de l'époque développaient l'idée suivante: il ne faut pas attendre les "conditions objectives" pour lancer en Amérique du Sud des soulèvements contre les dictatures et l' impérialisme nord-américain. malgré le statu quo imposé par la coexistence pacifique entre les USA et l' URSS, des guérillas, appuyées sur des foyers (focos) locaux de lutte, peuvent d'emblée être entreprises. Il théorisait et fondait les conceptions, dites "foquistes", que le Che avait de son côté mises en pratique jusqu'à sa mort. Les "Conversations" avec Salvador Allende (1971, Maspero) et "La critique des armes" (1974, Seuil), marquèrent un recul critique par rapport à la période révolutionnaire.

Mais les livres suivants, "Le scribe" (1977, Grasset), "Le pouvoir intellectuel en France" (1979, Ramsay), "Critique de la raison politique" (1981), semblèrent témoigner d'une remise en question des positions précédentes, comme, d'ailleurs, ensuite, l'activité de conseiller de François Mitterrand au palais de L' Elysée. Remise en question qui parut d'autant plus mystérieuse qu'elle ne décalquait pas celle de certains acteurs de mai 1968 qui vomissaient Marx ou Mao-Tsé-Toung, après les avoir idolâtrés.

Ne l'oublions pas: en mai 1968 Régis Debray était incarcéré à Camiri. "Le scribe" posait le problème suivant: "Que faut-il que soit la société pour qu'elle ait, hier comme aujourd'hui, organiquement besoin d'un corps indicateur de sens?" (Critique de la raison politique").

"Le pouvoir intellectuel en France" montrait que l'action de l' Université a été relayée par les médias qui régentent l' édition. La question centrale des deux livres était celle de la domination: à quelle condition est-elle possible? La "Critique de la raison politique" fournissait la réponse, ou des éléments de réponse, en dévoilant que "la nature du politique est définitivement de nature religieuse", et ceci en raison du "principe d'incomplétude" qui régit toutes les organisations collectives et qui se prétend la simple extension aux faits humains du théorème mathématique de Gödel:

"Il n'y a pas de système organisé sans clôture, et aucun système ne peut se clore à l'aide des seuls éléments intérieurs au système".

Toute société tire sa cohésion de la croyance en un principe transcendant, que ce soit la Nation, l' Etat, la Cause, l' Humanité, le sens de l' histoire, etc. Sans une telle croyance, on ne comprendrait ni les délires collectifs de ceux qui rêvent ensemble aux lendemains radieux ni la structure des groupes stables.

La présence de certains invariants politiques, comme la hiérarchie, en témoigne: l' éthymologie montre que la hiérarchie suppose le respect de ce qui est sacré ("hieros" signifie en grec "sacré").

Dès lors, il ne sert à rien de tuer Dieu si c'est pour mettre à sa place l'idole de la Révolution, et l'illusion d'une libération totale de toute forme de domination. Si celle-ci ne peut que se répéter, elle se transmet par des médiations différentes qu'explorent le "Cours de médiologie générale" (1991) et "Vie et mort de l' image" (1992).

Vie et mort des images

Le livre est susceptible d'intéresser l'historien, auquel il propose une étude ambitieuse du devenir des images -de l' Idole antique aux modernes médias-, le philosophe, car il ouvre à une réflexion sur l' art et sur la thèse classique, depuis Hegel, d'une "mort de l' art", le sociologue parce qu'il s'interroge sur les effets de la communication télévisuelle. Suivons le fil de cette triple problématique, qui correspond, d'ailleurs, au découpage de l'ouvrage en trois parties (intitulées "Genèse de l' image", "Le mythe de l' art", "L'après-spectacle"), mais qui parcourt l'ensemble du livre.

Histoire de l' image

Pour comprendre le devenir historique de l' image, il faut d'abord en appréhender l'origine, en tracer la périodisation (les trois âges du Regard), enfin en définir la fonction (symbolique), les conditions objectives (techniques), les effets (politiques).

Ces derniers points constituent l'objet propre de la médiologie, science interdisciplinaire qui essaie d'être un trait d'union entre trois disciplines (technologie, sémiologie, histoire des mentalités), et de répondre à trois questions: comment l'image se fabrique-t-elle? Quel sens est transmis? Par quelle autorité?

L'origine

"La naissance de l' image a partie liée à la mort". Par les premières "idoles" et les premières représentations artistiques, les hommes opposèrent à la disparition et à l'absence de ceux qui furent ces doubles qui en perpétuent le souvenir et maintiennent la permanence. L'étymologie même le montre: "idole" vient d'eidôlon, qui signifie, en grec, "fantôme des morts", "spectre", et ensuite seulement "image", "portrait".

On comprend ainsi que le premier objet d' art ait été la momie d' Egypte, et que les sépultures furent les plus lointains ancêtres des musées. "Nous opposons à la décomposition par la mort la recomposition par l' image".

A ce titre, l' Image eut d'abord une fonction magique. "Magie et image ont mêmes lettres, et c'est justice". C'est qu'il n'y a "qu'un dogme en magie: le visible est la manifestation de l' invisible".

Et une pratique fondamentale: transformer le réel en simulant le changement. Un tel recours au "faire semblant" magique caractérise les époques où les hommes se sentent écrasés par les forces extérieures.

Le passage de l' idole à l' art, puis de l' art à la vision électronique est proportionnel à une maîtrise de plus en plus grande de la Nature. Et, si les arts modernes recherchent une "magie à retardement", parfois en vain, ou un substitut de la magie, bien des conduites collectives de destruction des statues ou des portraits de chefs désormais abhorrés relèvent d'une "mentalité magique" et montrent que nous n'avons jamais fini de tuer en nous le vieil homme: "Les huguenots contemporains de Montaigne, lettrés et humanistes par ailleurs, au coeur de la grande vague iconoclaste de 1561, s'acharnent sur l' image du roi", lui coupent les bras, les jambes, la tête.

A l'inverse, d'autres images sont l'objet d'une dévotion superstitieuse: le chevalier de la Barre ne fut-il pas, en plein siècle des Lumières, torturé et décapité, pour avoir donné un coup de canif à un crucifix et de ne pas s'être découvert devant le Saint-Sacrement? Il y a des exemples plus récents.

Mais, "si la mort est au commencement", l' image n'aura jamais de fin, car nous ne vaincrons jamais notre finitude, notre condition d'êtres périssables. Et les plus antiques images auront encore sens pour nous, seront valables de tout temps, hors du temps.

Si le besoin d'image demeure, intemporel, les images changent dans un devenir historique qui peut se découper en trois périodes.

Les trois âges du Regard

Pourquoi cette place accordée au regard? Il faut bien comprendre, d'abord que "regarder n'est pas recevoir, mais ordonner le visible, organiser l' expérience" et que l' image a changé comme a changé le regard jeté sur elle:

"L' image tire son sens du regard, comme l'écrit de la lecture, et ce sens n'est pas spéculatif mais pratique".

Nous ne jetons pas le même oeil sur l'album de famille, ou les photos sur la cheminée, les portraits dans les musées, les statues d'hommes célèbres, un retable dans une église, une affiche de cinéma.

Remarquons que Régis Debray montre tour à tour la place de l'accueil subjectif (regard) et des conditions objectives (techniques, structures sociales, paniques collectives), enfin des significations religieuses: l'ensemble lui permet d'une part de dépasser une position "idéaliste", selon laquelle le sujet pensant construit l'objet pensé, et une position réaliste, inverse, d'autre part de prétendre à un "matérialisme religieux".

Ainsi:

"l'évolution conjointe des techniques et des croyances va nous conduire à repérer trois moments dans l'histoire du visible: le regard magique, le regard esthétique, et enfin le regard économique: le premier a suscité l' idole; le second l' art, le troisième le visuel".

Nous ne pouvons qu'expliciter certaines significations essentielles du découpage en trois ères qui, d'ailleurs, souvent se chevauchent ("La télévision ne nous empêche pas d'aller au Louvre"). D'abord, les images changent avec les techniques de transmission: l'ère des idoles va de l'invention de l' écriture à celle de l' imprimerie (logosphère), l'ère de l' art de l' imprimerie et la télé couleurs (graphosphère); l'ère du visuel de la télévision couleurs à l'ensemble des techniques vidéo.

Ensuite, chaque ère est contemporaine d'une "révolution du regard": le regard jeté sur l' idole, puis l' icône chrétienne, est magique puis religieux: présence de l' Infini dans la figure finie. Le regard "esthète" est humaniste: si la Renaissance de l' art au XVe siècle fut contemporaine de l'importance accordée à la perspective, et donc au sujet humain; le champ artistique prit alors son indépendance par rapport à la théologie; des collections d'oeuvres, puis des musées, se constituèrent en dehors des lieux du culte; tandis que l' idole reflétait l' Infini, l'oeuvre d' art révèle une individualité créatrice et "s'adresse à un connaisseur". Et le (télé) visuel? Quel regard suppose-t-il? Un regard qui n'aperçoit pas l' invisible derrière le visible, ou le sujet que sa création objective. Mais que voit-il alors? Certains répondent "le monde" et disent que la télévision est une "fenêtre ouverte sur le monde".

Une vision sans regard

Mais Régis Debray en doute, et parle même d'une vision "sans regard". Précisons:

a. "La nouvelle divinité, c'est l' actualité", la télévision nous ouvre un présent toujours changeant.

b. Le réel extérieur se réduit à la représentation sur l'écran, il n'existe que s'il est mis en image. Plus de "référant", d'objet de l' image. Celle-ci ne dit qu'elle-même ou ne parle que des autres médias (émissions précédentes, magazines attendus, journaux, radio). A la limite, c'est plus une non-image qu'une image. Ce caractère tautologique de la communication télévisuelle a déjà été souligné par Baudrillard ("Simulacres et simulation", Galilée, 1981), ou Sfez ("Critique de la communication", Seuil, coll. Points, 1988); il indique plutôt un avenir qui nous attend, la limite extrême d'une tendance, la tendance à oublier les choses au profit de leur reflet lumineux, sur le petit écran. Il n'y a plus vraiment de regard si le regard est ce qui, du sujet, donne sens à l'objet, alors qu'il est fabriqué par l'image télévisuelle: comme elle, il ignore les énoncés négatifs, puisque "la figuration est par définition pleine et positive". Une possibilité (utopie, rêve, projet) ne saurait être montrée. Comment ce regard ne serait-il pas celui d'un individu "positif", c'est-à-dire qui ne sait plus qu'accepter ce qui est, et "ignore les valeurs d' opposition et le dépassement"? "Dis-moi ce que tu vois, je te dirai pourquoi tu vis et comment tu penses". Dis-moi aussi ce que tu vois, ou vois moins: les possibilités, les entités générales (le Droit, l'Homme, la Nature, etc.), les disjonctions (ou...ou), les conjonctions (si...alors), les liaisons temporelles ou logiques sont peu télégéniques. En résulteront "des esprits alogiques et sans liaisons, à courte vue, à l'image de nos programmes en mosaïque".

Enfin, l' Image, dans chacun de ses régimes successifs, est réponse à la peur, de la mort, cette "mère de l'humanité". L' idole païenne puis l' icône chrétienne reflètent l' Eternel, l' art (cet anti-destin, disait Malraux) cherche l' Immortalité de l'oeuvre, le téléspectateur s'étourdit dans l'actualité (la télévision, comme on dit, il faut que ça bouge"). N'est-ce pas une des stratégies par lesquelles l'homme contemporain occulte la mort.

Si l' Art n'est qu'un des moments de cette histoire de l' image, n'est-il pas légitime d'annoncer sa mort?

Mort de l' Art?

Le philosophe Hegel (1770-1831) avait inséré dans la préface de son "Esthétique" le faire-part suivant: "Il a perdu pour nous sa vérité et sa vie. Il nous invite à une réflexion philosophique qui ne prétende point lui assurer de renouveau, mais reconnaître en toute rigueur sa mort". Finalement, comme le dit bien Régis Debray, pour Hegel, "L' artiste, comme le héros, ne sait pas ce qu'il fait. S'il le savait, il serait philosophe". Dédain qui semble une constante ou un invariant dans l'histoire de la philosophie: Platon ne faisait-il pas dire à Socrate que

"Les poètes aussi ne sont point guidés dans leurs créations par la science, mais par une sorte d' instinct et par une inspiration divine, de même que les devins et les prophètes, qui, eux aussi, disent beaucoup de belles choses mais sans se rendre compte de ce qu'ils disent" "Apologie de Socrate, 22b).

Et il n'hésitait pas, dans la "République", à exclure les poètes et les peintres d'une cité idéale dirigée par les philosophes-rois. "Folie de la vérité solaire" à laquelle de nos jours s'en prend Michel Serres ("Le tiers-instruit").

Est-elle partagée par Régis Debray, lorsqu'il fait de l' art une période intermédiaire entre celle de l' icône et celle du visuel? Non, sa position est plus subtile:

"L' art est immortel (pour un individu); l' art est mort (dans l'histoire occidental des formes); la mort de l' art n'est point celle de l' image qui adviendra tant qu'il y a des hommes qui savent qu'ils doivent mourir".

Pour comprendre cette complexité, il est nécessaire de renoncer à une histoire de l' art qui verrait celui-ci progresser et parfois décliner, suivant un temps linéaire. En effet,

"Le spectacle des images nous plonge dans trois durées à la fois hétérogènes et simultanées: le temps hors temps de l' émotion; le temps moyen du cycle d'images dans lequel prend place telle ou telle; le temps linéaire et long de l'histoire du sapiens, le seul animal à faire trace. Le plan "individu"; la séquence "histoire"; le film "espèce".

L' art dans ou hors de l' histoire

Deux positions sont ici à dépasser, celle d'un art hors de l' histoire et celle d'une histoire de l' art progressant selon l'axe unifié de la ligne du temps.

L'intemporalité fut proclamée par ceux qui se refusaient à faire de l'histoire le tribunal de l' art, qui disent, comme Bonnard: "L' art, c'est le temps arrêté". Si un indivudu appartient nécessairement à son époque, l'art permettrait justement de lui échapper. Mais si "l'impression du connaisseur tend à l' éternel", "le milieu de création est historique". Ce qui fait que nous pouvons être boulversés par un temple grec ou une cathédrale gothique, mais que les meilleurs architectes contemporains ne cherchent pas à les imiter.

L'erreur inverse est celle des historiens qui affirment le Progrès de l' art, ou croient déceler son déclin, en s'appuyant sur le même présupposé d'un temps linéaire. Vasari, au XVIe siècle, chantait la revitalisation toscane de la peinture (Giotto, Michel-Ange) qui aurait succédé aux obscurités du moyen âge.

Wincklemann (1717-1768) croyait à la possibilité d'une renaissance par un retour à la simplicité de l' art grec. La même illusion les habitait: celle d'un évolutionnisme historique, d'une conception téléologique du devenir orienté ou réorientable vers une fin idéale.

Illusion qui se retrouve dans la croyance moderne aux avant-gardes chargées, telles des troupes d' élites, de guider le mouvement et de le dynamiser par les ruptures avec les divers académismes.

Tous ceux qui partagent ces illusions oublient qu'il y eut une ère de l' art, après celle de l' idole païenne puis l' icône chrétienne, avant celle du "visuel": "L' esthétisation des images commence au XVe siècle et finit au XIXe siècle". Son caractère spécifique? La "montée en puissance de l' artiste comme individu" (on parle du "divin Michel-Ange", et Charles-Quint annoblit le Titien).

Ses conditions de diffusion? La collection particulière, puis le Musée public (le British Museum ouvre en 1753, le Louvre en 1793).

Ses conditions politiques? Elles ont varié, et il faudrait distinguer plusieurs époques dans l'ère:

"La peinture sacrée a décliné avec la naissance de l' Eglise; la grande peinture d'histoire et mythologique, avec celle de la monarchie absolue; le portrait et les scènes de genre avec la bourgeoisie rentière".

Ses conditions subjectives? Education morale de l'oeil, une "conversion du regard à la terre" qui se manifeste par l'importance accordée au paysage.

La peinture de paysages, apparue chez les Flamands, s'est épanouie en Hollande. Mais aussi l'importance accordée au visage du peintre dont la subjectivité est essentielle: naissance et prolifération de l' autoportrait.

"Car on n'aime pas ce qu'on voit, on voit ce qu'on aime. Et quand une société aime un peu moins Dieu, elle regarde un peu plus choses et gens".

L'ère de l' idole est bien close. Pourtant, les débats actuels au sujet de la télévision ne sont pas sans rappeler ceux du deuxième concile de Nicée en 787: les ennemis des images (iconomaques ou iconoclastes) affrontaient leurs partisans (iconodules ou iconphiles). La télévision semble resusciter ces anciennes controverses, ce qui laisserait penser que, sur le fond, la question de l' image n'a pas beaucoup avancé depuis le VIIIe siècle.

La télévision en question

Quatre antinomies (contradictions de thèses adverses) sont au coeur du débat de ce que Debray appelle, de façon kantienne, "la dialectique de la télévision pure".

La télévision est-elle l'organe de la démocratie?

-Thèse:

La télévision sert la démocratie. Tout le monde y a accès. Elle intègre les malades, les isolés dans leur village, les vieux qui ne peuvent sortir. En faisant de la politique un spectacle, elle la rend plus attrayante. Elle informe celui qui lit peu. Elle dépassionne les débats, remplace la diatribe par le dialogue. Elle "fait triompher la transparence sur le secret".

-Antithèse:

La télévision pervertit la démocratie. Elle fait de la politique un spectacle. L'homme public a son conseiller image. Il est mis en valeur comme une marque de lessive, ou un habit.

Impossible de distinguer variétés et affaires publiques, comédiens, chanteurs, gouvernants (Montand, Reagan). Le "journal unique" est arrivé: le journal télévisé. Le pluralisme est en danger.

La "petite phrase" passe mieux que l'argumentation articulée. Le "pouvoir médiatique" n'a pas de contre-pouvoir. Le leader vaut plus par son charisme que par son discours (on recommande les phrases de moins de huit mots). Chacun chez soi, devant son poste: le "village planétaire" (McLuhan) est fait de maisons isolées. Le citoyen actif devient un consommateur passif d'images.

La télévision est-elle une ouverture au monde?

-Thèse:

La télévision ouvre au monde. C'est la fin des frontières, l'avènement du citoyen universel. L' imprimerie, à l'inverse, avait contribué à désagréger les empires, et renforcé les nationalismes. La télévision sert la prise de conscience planétaire, et, donc, les causes humanitaires, et la morale écologique.

-Antithèse:

La télévision escamote le monde. Les images des pays lointains n'apparaissent qu'en cas de catastrophe ou de guerres. Ces images proviennent de deux ou trois sources standard (comme Visniews, Associated Press). Celle-ci appartiennent à de très riches groupes financiers, plus riches que les détenteurs des journaux nationaux.

D'ailleurs, le peuple américain est le plus télévisuel et le moins bien informé sur le monde extérieur. La télévision américaine exerce une hégémonie mondiale. Le rapport Nord-Sud devient un rapport entre regardants et regardés. Les pays surdéveloppés ont le monopole des représentations culturelles.

"Un pays pauvre peut avoir de bons poètes, de bons romanciers et même un bon journal; il ne peut avoir une bonne télévision".

Ce qui, évidemment, ne facilite pas le dialogue des cultures. Certains impératifs politiques ou économiques dictent le tri des images montrables: "Une bombe irakienne sur un village kurde aura plus de chance de passer à l'antenne qu'une bombe turque".

La télévision est-elle une extraordinaire mémoire?

-Thèse:

La télévision est une formidable mémoire. Photo, cinéma, radio, magnétoscope, télévision pérennisent le passé, afranchissent de l' irréversibilité du temps, éternisent l' éphémère.

-Antithèse:

La télévision fétichise l' instant. On garde chez soi un journal, pas un journal télévisé. le journal écrit peu peut se relire, et donc susciter la réflexion. ce n'est pas vrai du journal télévisé: le scoop, le direct provoquent l'émotion. Il communique plus, informe moins. Les images de la guerre du Golfe faisaient vibrer, mais n'apprenaient pas grand-chose. La peur de l' ennui, lié à la répétition conduit à chercher le nouveau, le sensationnel, dont on s'abstient de montrer les causes et les relations avec des ensembles vastes ou des structures sociales complexes.

La télévision est-elle un opérateur de vérité?

-Thèse:

La télévision est un opérateur de vérité. Argument sans réplique: je l'ai vu à la télévision. Preuve par l' image. Un bon exemple: l'affaire Rodney King (1992). Un cinéaste amateur avait filmé à Los Angeles quatre policiers blancs rouant de coups un automobiliste noir, et son film leva tout doute judiciaire.

De surcroît, la télévision permet de voir les réalités en direct et les individus en gros plan. Ce qui n'est pas sans donner un fort sentiment de réalité. L'événement en direct est vécu en temps véritable. On a l'impression d'avoir ouvert sa fenêtre ("les étranges lucarnes") et d'assister à ce qui se passe, comme si on y était. Se confondent voir et savoir. Le gros plan sur les visages accentue cet effet: "On ne peut pas mentir à la télévision". Le moindre détail-un sourire furtif, une main qui se crispe, un oeil qui noircit-, trahit la personne. Il est plus facile de duper l'Ouïe que la vue.

-Antithèse:

La télévision est une fabrique de leurres. "L'effet de réalité oublie toutes les médiations (idéologiques, politiques, techniques, économiques) qui s'interposent entre la caméra et le monde. Le direct fait voir, suscite l'émotion, mais manque du recul et du temps nécessaires à la compréhension.

L'importance du gros plan amène les personnalités du spectacle artistique ou politique à ne plus valoir que par leur appartenance extérieure (le look); on leur apprend à "paraître être eux-mêmes", à sembler simples et naturels. Et le brio d'une répartie compte plus que la cohérence d'une argumentation.

Il y a plus: "l'effet de réalité finit par déréaliser l' actualité". En estompant son âpreté. En banalisant l'extraordinaire et en sublimant le banal. En faisant du monde une image. En "euphémisant catastrophes et réalités". En mettant les événements importants et les événements secondaires sur le même plan, puisqu'ils sont tous spectaculaires.

Autres points de vue

Il serait intéressant, pour conclure, de confronter la position interrogative de Régis Debray, qui ouvre au dialogue, d'une part à l'optimisme (tempéré) de McLuhan, d'autre part, aux dénonciations critiques de ceux qui rejettent la "société du spectacle", dont la télévision est un des vecteurs.

McLuhan

Les thèses de McLuhan (1911-1980), philosophe et sociologue de Toronto, ont largement contribué à lancer les débats sur l' audiovisuel ("La galaxie Gutenberg", trad. franç. 1967); "Pour comprendre les médias", trad. 1968).

Les circuits de diffusion et les moyens de communication d'une société définissent cette société, la façonnent, la modèlent. Ainsi, les collectivités humaines sont-elles passées par trois grandes phases: des communautés de parole, des communautés de l' écrit, puis de l' imprimé (la galaxie Gutenberg), des communautés des médias audiovisuels, dont le plus important est la télévision (la galaxie Marconi).

Pour comprendre la signification de cette histoire, il importe de bien distinguer les médias chauds et les médias froids. Un "médium chaud" délivre des messages qui ne demandent pas d'effort au destinataire: l'information transmise est prédigérée. Le "médium froid" délivre des messages qui requièrent un travail personnel. Si le principe de classification est intéressant, les exemples qui furent discutés, posent problème.

La télévision et le téléphone, comme parole, seraient froids. L' imprimé, l' écriture, la radio seraient chauds. la communication orale des premières sociétés (logosphère) favorisait l'existence tribale.

Dans la seconde phase de l'histoire (graphosphère), le primat de l'écriture puis de l'imprimé a encouragé la détribalisation, la fragmentation, la division.

La troisième phase est, par certains côtés, un retour à la première: toute société était alors une tribu, nous devenons par la télévision une tribu mondiale, un "village planétaire". Chaque membre de l'humanité se sent lié à tous les autres, à la vie de la totalité. La télévision a un rôle décisif: elle fait participer chaque spectateur, à ce qui se passe dans le monde entier. Elle "retribalise" (vidéosphère).

Faut-il s'en plaindre? Non, car la télévision est un médium froid dont l'image, composée de trois millions de points par seconde, laisse le téléspectateur sélectionner une centaine de ces points, "un déséquilibre entre la culture qui continue de survivre à une nouvelle culture". La crise culturelle actuelle vient de ce que nous vivons une telle période. Par exemple, nous donnons des cours traditionnels à des élèves-téléspectateurs. Adaptons notre enseignement à leur mentalité.

De manière plus générale, essayons de mettre nos sociétés à l'âge des mass médias. Sinon nous serons déphasés, en particulier par rapport à nos enfants. La crise actuelle sera dépassée quand nous saurons tirer parti de toutes les possibilités offertes par la télévision.

Remise en cause de McLuhan

-Les positions de McLuhan ont animé bien des discussions: "il est curieux de lire, sous la plume de McLuhan que la télévision a pour effet de susciter une "participation en profondeur", une implication intense de soi, alors qu'elle travaille, tout au contraire, à rendre les masses indifférentes, à dévitaliser toute la scène politique, à démobiliser les individus de la sphère publique" (Lipovetsky, "L'empire de l' éphémère, 1987).Et plutôt qu'une adaptation à la "galaxie Marconi", Lipovetsky prône une acceptation de "la galaxie des valeurs démocratiques" (autonomie, hédonisme, individualisme).

Mais l' individualisme démocratique traditionnel ou l' indivudualisme hédoniste moderne trouvent-ils leur accomplissement dans cette vidéosphère dont les images "sidèrent" (Baudrillard" et invitent à des attitudes de consommateur passif.

La société du spectacle

Ne font-elles pas partie intégrante et n'ont-elles pas un rôle important dans la constitution de ce que Guy Debord a appelé la "société du spectacle" (G. Debord, "La société du spectacle", Buchet-Chastel, 1967; "Commentaires sur la société du spectacle", 1988)? Le pouvoir des médias et l'importance du look sont des aspects de la "société spectaculaire". Il faut distinguer le "spectaculaire diffus" des marchandises exhibées, des images publicitaires ou télévisuelles, et le "spectaculaire concentré" des grandes cérémonies fascistes ou communistes.

Mais la société d'aujourd'hui est celle du "spectaculaire intégré": une administration puissante gère la diffusion de tous les produits de la société marchande. le règne des images est en fait la domination des propriétaires de systèmes spectaculaires.

Conséquences: confusion du réel et de l' image, caractère discontinu et instantané des informations, mise sur le même plan de l'essentiel et de l'accessoire, exposés de problèmes préfabriqués et simplistes. La société de l' image est un totalitarisme doux que masque la démocratie, à l' Ouest, et même désormais à l' Est: car la démocratie c'est "la liberté dictatoriale du Marché tempérée par la reconnaissance des droits de l'homme spectateur".

Entre l'optimisme mesuré de McLuhan et le pessimisme de Guy Debord, le livre de Régis Debray laisse sa place et ses chances à l'interrogation critique. Ce n'est pas son moindre mérite.

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Les fêtes galantes


La Chaconne d'Arlequin de Lully

C'est un recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Lemerre en 1869. Certains poèmes avaient été auparavant publiés dans diverses revues: "Clair de lune", sous le titre de "Fêtes galantes", et "Mandoline", sous le titre de "Trumeau", dans la Gazette rimée du 20 février 1867; "A la promenade", "Dans la grotte", "les Ingénus", "A Clymène", "En sourdine", "Colloque sentimental" dans l'Artiste, le 1er juillet 1868, sous le titre collectif de "Nouvelles Fêtes galantes"; "Cortège" et "l'Amour par terre" dans la même revue, en mars 1869, sous le titre "Poésie".

 

Verlaine compose les Fêtes galantes dans les années 1866-1868, c'est-à-dire juste après la publication des Poèmes saturniens. Tout comme le précédent, ce recueil, édité à compte d'auteur, n'éveille aucun écho. Rimbaud le lit toutefois à Charleville et écrit à Georges Izambard, le 25 août 1870: "J'ai les Fêtes galantes [...]. C'est fort bizarre, très drôle; mais vraiment, c'est adorable."

 

Le recueil comprend vingt-deux poèmes de formes diverses mais tous divisés en strophes identiques, à l'exception de "l'Allée" (constitué d'un ensemble continu de quatorze alexandrins aux rimes croisées) et de "Lettre" (poème aux rimes plates composé de cinq strophes d'inégale longueur). Les titres de certains textes suggèrent, de même que celui du recueil, une atmosphère festive, par le biais d'activités, d'objets ou de personnages associés au divertissement: "Pantomime", "Cortège", "Fantoche", "Mandoline", "Colombine". Dans l'univers des Fêtes galantes règnent l'oisiveté et les plaisirs: "A la promenade", "En patinant", "En bateau", "les Indolents". Un "paysage choisi" ("Clair de lune"), soigneusement policé et artistement agencé - voir aussi "l'Allée", "Dans la grotte" - sert de cadre à ces "fêtes", "galantes" dans la mesure où - des titres tels que "Cythère", "l'Amour par terre" ou "Colloque sentimental" en témoignent - elles sont dominées par les jeux du désir et la quête du plaisir amoureux.

 

Inspiré des peintures de Watteau et de Fragonard, l'univers des Fêtes galantes rappelle, tant par ses personnages que par ses décors, celui d'un XVIIIe siècle sensuel, spirituel, libertin, ironique, élégant, désinvolte. La nature est domestiquée en parcs - pourvus d'avenues, de boulingrins, de bassins, de grottes, de pavillons et de statues - dans lesquels évoluent des figures dont les noms conventionnels évoquent les jeux de la Préciosité, par exemple Clitandre dans "Pantomime", Clymène dans "Dans la grotte" et "A Clymène", Atys, Églé et Chloris dans "En bateau", ou Tircis et Aminte dans "Mandoline".

 

Le corps est mis en représentation, paré avec artifice, grâce à des masques ("Clair de lune") ou à une mouche qui "ravive l'éclat [...] de l'oeil" ("l'Allée"). Vêtements et parures sont somptueux, destinés à solliciter les regards et à aiguiser les désirs: "Les hauts talons luttaient avec les longues jupes, / En sorte que, selon le terrain et le vent, / Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent / Interceptés! - Et nous aimons ce jeu de dupes" ("les Ingénus"). Raffiné, tant dans ce qu'il met en scène que dans sa facture poétique, l'art verlainien se plaît, l'exemple précédent en témoigne, à de subtils rejets qui soulignent le sens, non sans humour, et confèrent au vers une musicalité particulière. Fréquemment évoquée dans le recueil car elle fait partie de l'environnement coutumier des personnages, la musique fonde aussi le charme et l'originalité de la poésie des Fêtes galantes. Ainsi "Sur l'herbe", faisant fi de toute logique, voire du langage lui-même, mime l'euphorie d'un chant suscité par l'ivresse: "- Ma flamme... - Do, mi, sol, la, si./ [...] - Messieurs, eh bien? / - Do, mi, sol. - Hé! bonsoir, la Lune!" Ailleurs, ce sont la variété, le caractère inhabituel et la brièveté des mètres, cette dernière entraînant un retour rapide de la rime et de nombreux rejets, qui engendrent une mélodie inédite et typiquement verlainienne: "Arlequin aussi / Cet aigrefin si / Fantasque / Aux costumes fous, / Ses yeux luisant sous / Son masque" ("Colombin"). L'utilisation fréquente de l'assonance et de l'allitération contribue également à la musicalité, souvent ludique, du vers: "Et filons! - et bientôt Fanchon / Nous fleurira - quoi qu'on caquette!" ("En patinant").

 

Le comportement des personnages qui peuplent les Fêtes galantes est codé et étudié ("Avec mille façons et mille afféteries", "l'Allée"). Le paraître est savamment orchestré et appelle un décryptage sur ce théâtre - nombreuses sont d'ailleurs les références aux personnages de la commedia dell'arte - du badinage érotique: "On est puni par un regard très sec, / Lequel contraste, au demeurant, avec / La moue assez clémente de la bouche" ("A la promenade"). Toujours teinté d'un léger humour - ainsi, "un baiser sur l'extrême phalange / Du petit doigt" est une chose "immensément excessive et farouche" dans "A la promenade" -, le marivaudage se fait parfois plus audacieux, sinon parodique, par exemple lorsqu'une belle, "gantée avec art" et drapée dans sa "lourde robe" attire l'"insolent suffrage", c'est-à-dire attise le brûlant et sauvage désir de ses compagnons familiers, un singe et un négrillon. Dans "les Coquillages", le jeu de la métaphore précieuse, qui associe les coquillages d'une grotte à diverses parties du corps de l'amante, se termine par une chute où se mêlent humour, galanterie et érotisme: "Mais un, entre autres, me troubla."

 

La fantaisie du recueil, son aspect badin, voire anodin, ne sauraient masquer la présence d'une tristesse qui y imprime comme un voile permanent. Ainsi, le premier poème invite déjà à repérer un décalage ou une discordance au sein de la voix qui chante, à percevoir une détresse exprimée en sourdine derrière l'apparence: "Tout en chantant sur le mode mineur / L'amour vainqueur et la vie opportune, / Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur / Et leur chanson se mêle au clair de lune" ("Clair de lune"). Certes, l'amour et le bonheur sont offerts mais leur appropriation ne s'effectue pas pleinement. Toujours balancée au rythme d'un "souffle berceur" ("En sourdine"), soumise à des principes contradictoires et traduite volontiers par des images oxymoriques, l'expérience verlainienne ressemble à ces jets d'eau que l'on voit "sangloter d'extase" dès le poème initial.

 

Le plaisir est inséparable d'une mélancolie inspirée sans doute par la conscience du caractère provisoire et périssable de toute chose. Ainsi le décor même des Fêtes galantes paraît parfois fragile, menacé. Dans "A la promenade", par exemple, les adjectifs confèrent avec insistance au décor une inquiétante précarité - "Le ciel si pâle et les arbres si grêles" - qui le porte au bord de l'évanescence. Les derniers poèmes des Fêtes galantes confirment et aggravent cette impression d'angoisse, sensible dès "Clair de lune" et perceptible dans divers autres textes. L'"exquise mort", qui consisterait, pour les amants, à mourir d'amour ensemble, est traitée, dans "les Indolents", sur un mode franchement comique; elle ne s'accomplit pas puisque les protagonistes "Eurent l'inexpiable tort / D'ajourner une exquise mort. / Hi! hi! hi! les amants bizarres." Ce poème, iconoclaste en ce qu'il désacralise le sentiment, semble préfigurer "l'Amour par terre" qui dit peu après, sur un mode grave, la destruction de l'Amour dont "le vent de l'autre nuit a jeté bas" la statue: l'exclamation "Oh! c'est triste!" vient à deux reprises souligner le caractère douloureux du spectacle. Cette fois, le rire n'est plus de mise et tout se passe comme si l'univers des Fêtes galantes, un moment surgi du néant, des temps anciens et de l'imagination du poète, s'abolissait à tout jamais. Dans le dernier poème, "Colloque sentimental", le parc est désormais "solitaire et glacé". Les personnages ne sont plus que "deux formes" fantomatiques, "deux spectres": "Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, / Et l'on entend à peine leurs paroles." Le recueil choisit de se clore sur cette parole qui s'anéantit et sur une note désespérée: "L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir." La magie et les mirages des Fêtes galantes ne sauraient masquer, dans la poésie de Verlaine, la "voix [du] désespoir" ("En sourdine").

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Olivier Dumont peintre flamboyant sur Arts et Lettres

Olivier Dumont, est un peintre intéressant , voire important, de par sa singularité, son inventivité, son humour, son art de la construction, sans parler bien entendu de sa couleur.

Une personnalité hors du commun forgée à la fois au travers d'un destin tragique qu'il a su muer en une oeuvre attachante, à la palette explosive, dont chaque toile nous dévoile une aventure intérieure des plus étonnantes, flamboyante.

 

Osons approcher ses livraisons au travers d'un choix d'oeuvres, d'albums, de vidéos lui consacrées

"Ils n'en font qu'à leur têtes" exprime le mieux sa conception de l'art : c'est bien lui qui n'en fait qu"à sa tête!



"On n'est pas comme les autres.Et alors?

 

"c'est au tour du petit homme vert"

c'est au tour du petit homme vert

 

"Frissons d'ondes entre nous"

Frissons d'ondes entre nous

 

"Duo"

Duo

 

Les couleurs d'Olivier Dumont

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Et voici Olivier dans ses oeuvres, un reportage d'actu TV, initié par Arts et Lettres:

 

Vous l'aurez bien compris, nous enrichirons encore cette brève présentation par de nombreuses oeuvres autant fascinantes qu'émouvantes et humoristiques issues de l'imagination fertile de notre ami Olivier Dumont...

Robert Paul

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12272799267?profile=original" La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France" est un poème en prose de Blaise Cendrars, pseudonyme de Frédéric Louis Sauser (Suisse, 1887-1961), publié à Paris aux Éditions des Hommes nouveaux en 1913, avec des illustrations de Sonia Delaunay. Les trois premiers grands poèmes de Cendrars (Prose, les Pâques à New York, 1912, et le Panamá ou les Aventures de mes sept oncles, 1918), seront regroupés sous le titre Du monde entier chez Gallimard dès 1919.

 

A peine âgé de seize ans, le poète est à Moscou. Son adolescence est «si ardente et si folle que [son] coeur, tour à tour, brûlait comme le temple d'Éphèse ou comme la place Rouge de Moscou». «En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerre.» Un vendredi matin, il part avec un représentant en bijouterie qui se rend à Kharbine. Il est accompagné par sa maîtresse, la petite Jehanne de France, «une enfant, blonde, rieuse et triste», trouvée dans un bordel et qui demande sans cesse: «Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?» Le train avance et le poète perçoit «dans le grincement perpétuel des roues / Les accents fous et les sanglots / D'une éternelle liturgie». La guerre et ses visions d'horreur accompagnent le voyageur. Il débarque à Kharbine alors qu'«on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge», et se promet d'aller «au Lapin Agile [se] ressouvenir de [sa] jeunesse perdue / Et boire des petits verres» dans ce Paris «ville de la Tour unique du grand Gibet et de la Roue».

 

 

La Prose du Transsibérien fut annoncée bien avant sa réalisation par un bulletin de souscription des Éditions des Hommes nouveaux. C'est grâce à la découverte, due aux Delaunay, des «contrastes simultanés» que Cendrars entrevit très tôt les moyens techniques de donner forme à son lyrisme cosmique. L'ouvrage visait en effet délibérément à un complet renouvellement de matière et d'inspiration, loin de «l'ancien jeu des vers». La course du Transsibérien lancé à travers les steppes de Russie et entraînant le rêve du voyageur offrait un thème idéal à Cendrars pour définir et proclamer son nouvel art poétique, associé à une véritable révolution typographique: car la première édition de l'ouvrage fut composée sur un dépliant de deux mètres de long, mêlant divers corps et caractères, et permettant une parfaite interpénétration du texte et de l'illustration.

 

Les lettres et les fragments d'agenda de Cendrars, divulgués depuis sa mort, établissent indiscutablement qu'au cours des deux séjours qu'il effectua en Russie (le premier de l'automne 1904 au printemps 1907 et le second entre avril et novembre 1911), il n'accomplit jamais le voyage dont il est question dans ce poème. C'est pourtant la mémoire, le lointain souvenir de son arrivée là-bas, au temps de la guerre russo-japonaise (1904-1905), qui donne le départ de la Prose. Écrit à la première personne, le poème a le «je» comme unité, la subjectivité comme principe de cohérence et le «broun-roun-roun des roues» pour tempo.

 

Le rythme frénétique de la course du Transsibérien va s'accélérant au fur et à mesure, amplifié par la répétition d'images évoquant des tournoiements, des tourbillons, une violence vertigineuse. Dès les premiers vers, le rouge du feu et du sang donne la couleur du poème: celle d'une course infernale dans laquelle «tous les démons sont déchaînés» et «tous les trains sont les bilboquets du diable», qui prend l'allure d'une plongée dans l'abîme à mesure que l'on approche de la fin: «La mort en Mandchourie / Est notre débarcadère et notre dernier repaire.» Le train a pour escorte les maladies, les famines («La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade»), la guerre, les souffrances («J'ai vu [...] des plaies béantes des blessures qui saignaient à plein orgue») et le voyage, expérience de désillusion, laisse le poète en proie à la nostalgie de sa «jeunesse perdue» et au regret: «Je voudrais n'avoir jamais fait mes voyages.»

 

«Dédiée aux musiciens», la Prose du Transsibérien est composée comme un poème symphonique; les visions y défilent en gammes qui montent du présent vers l'avenir et les leitmotive s'y succèdent, dont le fameux refrain «Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?» de Jehanne, la «fleur du poète», son inspiratrice, qui reste pourtant comme en marge du voyage vers l'Orient: «De toutes les heures du monde elle n'en a pas gobé une seule». C'est à Jehanne, en revanche, que revient la scansion d'un second voyage qui, à l'intérieur du trajet Moscou-Kharbine, fait défiler les images d'un paradis perdu et de plus en plus lointain: le «gros bourdon de Notre-Dame», le cabaret du Lapin Agile, Montmartre, la Butte qui a «nourri» la jeune fille.

 

Conjuguant les registres les plus variés _ de l'envolée lyrique la plus parfaite au «Mimi mamour ma poupoule mon Pérou» ou au réalisme le plus cru _, la Prose du Transsibérien est un voyage halluciné de froid, de dépaysement, d'insomnie, de violence; le récit d'un globe-trotter sans attaches, d'un nomade savant qui, les sens en éveil («Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur»), a su, vitesse et tragédie mêlées, élaborer ici un des grands mythes de la modernité poétique.

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Les Ballades de Christine de Pisan

12272804870?profile=originalIl s'agit de recueils poétiques de Christine de Pisan ou Pizan (vers 1364-vers 1431).

 

A partir de 1380 et jusque vers 1410, Christine compose près de trois cents ballades, qui constituent la majeure partie de sa production lyrique, puisque la forme la plus souvent utilisée ensuite par elle, le rondeau, ne représente que quatre-vingts pièces. Les ballades qui s'inscrivent dans la tradition des grands créateurs du XIVe siècle, et notamment de Machaut, peuvent être insérées dans des oeuvres narratives en vers (on en trouve quinze dans le Duc des vrais amants); mais, composées séparément ou de façon concertée, elles sont le plus souvent regroupées en recueil, avec notamment les ensembles des Cent Ballades (1395-1400) et des Cent Ballades d'Amant et de Dame (1410). Le poète se conforme ainsi à un goût pour la «mise en recueil» dont les Cent Ballades de Jean de Saint-Pierre, sénéchal d'Eu, sont l'un des exemples les plus célèbres.

 

D'une manière générale, l'inspiration de Christine puise dans les thèmes courtois, et d'abord dans la peinture de l'amour où la femme est souvent victime de l'inconstance et de la désinvolture de l'amant; mais, réagissant au spectacle piquant ou douloureux que lui offre son époque, le poète compose aussi, comme l'a fait Eustache Deschamps, des «ballades de moralité». Son oeuvre n'est pourtant pas le reflet direct d'un sentiment personnel, d'autant qu'elle se défend à plusieurs reprises d'avoir pris l'initiative d'écrire: «Aucunes gens me prient que je en face / Aucuns beaulz diz, et que je leur envoye», dit-elle au début des Cent Ballades.

 

Mais, comme l'a montré D. Poirion, il n'existe pas d'opposition entre le fait que l'écrivain-artisan travaille sur commande _ et d'abord, s'agissant de Christine, afin de gagner sa vie après la mort de son époux _ et son aptitude à dire, de façon occasionnelle, une situation personnelle et à pousser un cri parfaitement sincère. Travail poétique et inspiration se rejoignent en effet à un niveau très profond où l'écriture peut signifier pour tous ce que le langage ordinaire laisserait à l'individuel et à l'anecdotique.

 

Dans le premier recueil des Cent Ballades, l'expression personnelle est du reste plus proche, moins diffractée par le travail poétique que dans les oeuvres ultérieures. Au début du volume, parmi les ballades de «douloureux sentement», plusieurs poèmes laissent percevoir la souffrance du veuvage: «O dure mort, or as tu trait a chief / Touz mes bons jours, ce m'est chose molt dure» (ballade V).

Mais d'autres formes de souffrance prennent place dans ce petit ensemble, où se déploie la culture d'un auteur en quête d'une sagesse à laquelle conduit le spectacle du monde: «C'est souvrain bien que prendre en pascience» (ballade XVI).

 

Cent Ballades. L'organisation du recueil n'obéit pas à un principe unique. Après les vingt ballades du «douloureux sentement», le poète se tourne vers les «ditz d'amours» (ballade L) et décrit diverses situations: accord des amants, au terme de la quête de la dame effectuée par l'ami (XXI-XXIV), vicissitudes de l'amour, avec les menées des médisants ou la souffrance de la séparation (XXV-XXVI, XXX, XXXII-XXXIII), refus d'aimer (XLVIII-XLIX). S'ébauche de la sorte une sorte de chronique de l'amour, avec référence au temps de l'année: «Or est venu le tres gracieux moys / De may le gay, ou tant a de doulçours» (ballade XXXV) et alternance du scripteur, d'un poème à l'autre: «Douce dame, veuilliez moy pardonner» (ballade LXXXII); «Tres faulz parjur, renoyé plain de vice» (ballade LXXXIII).

 

Mais le lien entre les ballades est souvent difficile à saisir: il peut aussi bien tenir aux termes de l'incipit, qui rapproche deux textes successifs, qu'à une thématique de la série. Dans ce premier recueil, les recherches de virtuosité formelle sont rares; la plupart des ballades ne comportent pas d'envoi et les strophes hétérométriques sont extrêmement rares.

 

Plus de dix ans plus tard, Christine de Pisan manifeste, avec les Cent Ballades d'Amant et de Dame, les progrès accomplis dans la maîtrise de la forme poétique et dans l'organisation du recueil. Sans doute ne peut-on être sûr que toutes ont été écrites de façon concertée, pour répondre à la commande précise dont Christine nous parle au début de son livre; mais tous les poèmes prennent place harmonieusement dans une sorte de chronique poétique d'une histoire d'amour qui conduit l'amie au désespoir et à la mort.

Cent Ballades d'Amant et de Dame. Rebelle aux prières de l'Amant, la Dame se rend aux injonctions du dieu Amour (ballade X) et se laisse progressivement séduire (XXVI). Les jeunes gens goûtent le bonheur d'aimer (XXVII-XL), mais des traverses guettent leur félicité: entreprises des médisants (XLI-XLIV), nécessité pour l'amant de s'éloigner, afin de participer à une campagne (XLV-LIX). Les retrouvailles, délicieuses, arrivent enfin (LX-LXIV), et les amours reprennent, tandis que les fêtes, occasions de cadeaux, scandent l'année (LXV-LXXIII). Mais vient bientôt le temps des périls: l'Amant se montre ombrageux sans raison, s'absente sous des prétextes divers, et la Dame finit par comprendre que son coeur n'est plus le même (LXXXIV-LXXXVI). Bientôt la belle, touchée au coeur, n'a plus qu'à attendre la mort (C).

 

Christine, à la fois pour donner au recueil la diversité souhaitable et pour accorder la forme à chaque moment du récit poétique, varie constamment l'instance d'énonciation et les éléments prosodiques: l'amant et la dame se répondent, dialoguent au sein d'une même ballade, s'adressent une épître ou lisent celle qu'ils viennent de recevoir. Les strophes hétérométriques sont nombreuses, et le sautillement léger d'une strophe exprimant la joie d'aimer: «Tienne toute / Suis sans doute / Mon bel ami gracieulx» (ballade XXXIV) est suivi par la plainte solennelle de l'amante déçue: «Ha! Fortune, que si nous despareilles, / Moult est par toy mon biau temps enlaidis» (ballade XCVI).

 

Deux autres recueils doivent encore être mentionnés. Les Ballades de divers propos (cinquante-trois pièces) sont fréquemment des éloges adressés à de grands personnages de la cour, qui sont aussi les mécènes du poète, comme la reine Isabeau ou Marie de Berry. Christine peut également célébrer un événement qui a marqué l'actualité, comme le combat qui opposa, en 1402, sept chevaliers français à sept chevaliers anglais. On trouve aussi des «ballades amoureuses», et l'écho du désir de Christine de lutter par le savoir contre les coups de fortune: «Princes, avant que la mort m'acueure, / Priez Pallas que pour mon bien acueure» (ballade XIV).

 

Dans ces textes, composés habituellement de décasyllabes, on trouve peu de recherche formelle: la régularité paraît imposée par l'harmonie de l'univers des destinataires.

Il n'en est pas de même pour les quatre Ballades d'estrange façon où Christine, plus encore que dans les Cent Ballades d'Amant et de Dame, donne la mesure de sa virtuosité, notamment avec les ballades «a responses», autrement dit les ballades dialoguées: «Mon doulz ami _ Ma chiere dame. / S'acoute a moy _ Tres volentiers.»

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LESLIE BERTHET-LAVAL OU LE VERTIGE DE L’ANGE

L’Année 2014 s’ouvre par une très belle exposition intitulée DIFFERENTS REGARDS SUR L’ART : PEINTURES ET SCULPTURES, qui se tient dans le cadre du 26ème anniversaire d’ALZHEIMER BELGIQUE asbl, du 15-O1 au 02-02-14 à l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, Bruxelles 1050).

Cette exposition nous invite à découvrir l’œuvre de Madame LESLIE BERTHET-LEVAL, une peintre Française qui nous propose une vue personnelle d’une des plus hautes dimensions du surnaturel : celle de l’ANGE.

Par tous les siècles et dans toutes les cultures, la figure de l’ange a servi d’intermédiaire invisible entre l’humain et le divin, par le biais de formes les plus inattendues.

Le thème de l’ANGE se décline chez LESLIE BERTHET-LAVAL d’une façon qui abandonne le discours mythologique classique pour aborder les méandres d’une mythologie personnelle, laquelle comme toute mythologie qui se respecte, transforme le récit initial pour le restituer à mesure des fluctuations de son vécu et de sa sensibilité.

La signature de l’artiste se retrouve dans une écriture virevoltant dans un méandre labyrinthique à la géométrie axée principalement sur le module du cercle tantôt abouti, tantôt inachevé. Au centre de cette écriture faussement confuse et festive, la figure humaine évolue dans un cinétisme personnel, scintillant de mille couleurs, dans lequel les personnages se perdent et ressuscitent, émergeant du trait, conçu comme une infinité de sillons, à partir desquels la figure s’incarne dans son propre volume. (MES ANGES – huile sur toile – 165 x 260). 

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Cette communion entre trait et matière se perçoit surtout dans ce diptyque*
12272988466?profile=originalreprésentant un personnage en mouvement (panneau de gauche), répondant à un cheval bondissant (panneau de droite). Cette œuvre est une invocation au mouvement à l’intérieur duquel, le trait assurant la viabilité de l’action est précisé par un apport considérable de matière étalée au couteau assurant une totale mise en relief.

L’ensemble se présente comme un véritable réseau de pistes polychromées à dominante jaune, blanche et bleue, conférant à l’ensemble l’essence même du mouvement.

Entre les deux panneaux un rapport dialectique s’installe : le chromatisme de la  scène de droite répond à celui de la gauche. Les zones blanche et jaune du panneau de droite répondent à la haute note mauve parsemant la presque totalité du panneau de gauche.

Il est impératif de prendre son temps avec une artiste telle que LESLIE BERTHET-LAVAL, car une myriade de détails construisent le tableau, notamment cette foule de segments conçus à la matière étalée au tube (considéré par l’artiste comme le prolongement de sa main) qu’elle vide frénétiquement, d’un coup, lorsqu’elle crée « en apnée » comme elle le dit elle-même. Il s’agit, avant tout, d’une peinture intuitive que l’artiste amorce au fusain : l’ébauche de la courbe restée parfaitement visible sur la toile. Ce trait qu’elle exprime frénétiquement, met en exergue son incontournable talent de dessinatrice. Le trait, appuyé dans sa matière par le couteau, précise, explore les contours du corps en dynamisant le mouvement. Ce dernier galvanise à la fois la courbure du cheval (panneau de droite) ainsi que la posture du personnage du panneau opposé. Ce même mouvement a une fonction antithétique, en ce sens qu’il est formé de demi-cercles brisés en leur milieu (la séparation entre les deux panneaux). Le mouvement rotatoire de droite répond à celui de gauche exactement comme pour les couleurs. L’artiste puise également dans la culture iconographique du passé : la tête du cheval s’inspire de l’esthétique baroque de Rubens. 

Le mouvement ne peut à lui seul dynamiser l’espace de la toile. Il faut un autre élément qui le révèle au regard : la lumière.

La particularité de L’ANGE PORTEUR DE LUMIERE (huile sur toile – 150 x 50 cm)

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réside dans le fait que cette œuvre peut être regardée sous divers éclairages. L’artiste précise d’ailleurs que ce tableau a été conçu pour être observé la nuit. Et ce n’est nullement une fantaisie car cette étude est avant tout une réflexion sur la lumière en tant que matière à la fois tactile et visuelle : la lumière existant dans sa matière propre naissant du cœur de la nuit.

Le sujet même « baigne » pour ainsi dire dans la lumière : LUCIFER que les Romains associaient à Venus, l’étoile du matin et que le Livre d’Hénoch de la tradition biblique assimile à Satan (l’ange déchu).   

Même dans l’obscurité la plus dense, cette œuvre brille de tous ses feux car la  lumière transperce l’ombre faisant de sorte que l’image existe : il n’y a pas d’image sans lumière !

« Que la lumière soit et la lumière fut » n’est pas une banalité rhétorique. Elle est au centre d’un phénomène à la fois physique et philosophique : celui du visible.

Avec L’ANGE PORTEUR DE LUMIERE, tout brille, tant dans les couleurs que dans le trait accentuant la pose ainsi que le visage de l’ange. L’artiste a fait appel à un modèle pour prendre la pose voulue. De même qu’il a fallu un long travail de mémorisation concernant le dessin préparatoire pour pouvoir le restituer. Œuvre à dominante rouge, ce tableau marie une symphonie de tonalités audacieuses : le jaune, le violet, le bleu, le vert et le noir. Savamment agencés, ils sont portés au regard par la couche d’huile étalée à la brosse, révélant à l’œuvre le soleil qu’elle porte en son sein. Notons que la position des bras de l’ange rejoint celle du personnage du diptyque. Ils sont écartés, presque en signe d’accueil, terminés par des mains tendues dans un état de grâce. D’ailleurs, c’est l’état de grâce qui caractérise Lucifer. Il faut le considérer comme un ange baignant encore dans sa pureté originelle. Il se trouve au cœur d’une spiritualité en dehors des sentiers battus, car si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que Lucifer fut, au regard de la tradition biblique, la première créature souffrante. Une créature qui, en quelque sorte, préfigure l’Homme dans ses pulsions narcissiques.

Les anges de LESLIE BERTHET-LAVAL participent des ancêtres illuminant notre mémoire. Ils se manifestent dans nos rêves, transportés par le véhicule de l’imaginaire. Ils nous définissent et nous protègent. Bien que l’artiste s’émeuve devant les manifestations de spiritualité exprimées par les croyants de toutes confessions, ses propres anges sont issus d’un élan immanent, se nourrissant de problématiques universelles.

L’artiste qui affectionne l’huile, a travaillé souvent la nuit, la plupart du temps inspirée par la voix de Luc Arbogast, un chanteur du répertoire médiéval et classique, pour mieux s’imprégner de l’atmosphère du sacré.

C’est une autodidacte qui  a étudié l’architecture d’intérieur, ce qui lui a permis de se familiariser avec les plans, les courbes, les divers problèmes de perspective ainsi qu’avec le dessin qui (comme nous l’avons spécifié plus haut) la définit d’emblée.  

L’artiste fut initiée à la peinture par sa grand-mère, elle-même peintre. La restauration du patrimoine fait partie de ses intérêts les plus brûlants.

Formée sur le terrain, elle a participé à la restauration de nombreux sites, tels celui de la galerie Apollon du Louvre ainsi que ceux d’églises et de châteaux de la région lyonnaise.

Lumière et couleur sont pour elle synonymes d’énigmes et de vibrations. Ce qui a fini par influer sur des concepts tels que l’Impressionnisme qu’elle identifie à la pâte utilisée ainsi qu’à la préparation des couleurs et aux détails. Et à l’Expressionnisme qu’elle associe au sentiment impalpable qui nous renvoie à notre propre histoire.

C’est le propre des ANGES de LESLIE BERTHET-LAVAL qui sondent notre part divine. Ce sont nos pulsions originelles, qu’emporte au gré de la lumière, l’Ange dans un vertige de grâce.

François L. Speranza.

 

 

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Lettres

 

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Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement.

         

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L'ange porteur de lumière (version nocturne)

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L'automne est un chant de couleurs,
une fusion de douceurs sommeillées,
un crépuscule lent et flamboyant,
parfum de terres et d'eau.
 
L'automne est ce chemin saisonnier,
parsemé de lumière et de brume
que consume l'instant lent.
   
L'automne quitte nos portes
pour laisser place aux hivernées
et quelques feuilles colorent
       l'herbier des souvenirs.        

© Sandra Dulier 


Présenté sur " Magie d'automne en Lorraine "

de Françoise Buisson
Mise en page L.Magotte

Un partenariat

Arts

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Lettres

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Alcools

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Apollinaire par Marie Laurencin

"Alcools" est le premier grand recueil poétique d'Apollinaire qui n'a publié, avant 1913, qu'un seul ouvrage de poésie: le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1911), mince plaquette tirée à cent vingt exemplaires et illustrée par des gravures de Raoul Dufy. Alcools rend compte toutefois d'un long trajet poétique puisque le recueil rassemble des textes écrits entre 1898 et 1913, que l'auteur retravaille et modifie souvent pour la publication en volume. La critique fut en général peu enthousiaste, voire très agressive - Georges Duhamel, dans le Mercure de France du 15 juin 1913, taxe le recueil de «boutique de brocanteur» - et Apollinaire fut blessé de cette incompréhension à l'égard de son oeuvre.

 

Alcools s'ouvre sur un long poème écrit en 1912 et intitulé "Zone". Le premier vers de ce texte inaugural, riche et multiple, ancre d'emblée le recueil dans la modernité: «A la fin tu es las de ce monde ancien». Viennent ensuite "le Pont Mirabeau" puis "la Chanson du mal-aimé", longue complainte divisée en six sections. Les vingt-sept poèmes suivants, de longueur et d'inspiration variées, se présentent comme une succession d'unités autonomes, mais les titres laissent présager la présence d'images et de thèmes récurrents: "Saltimbanque" et "la Tzigane" se font écho et suggèrent à la fois le voyage et l'errance - de même que "le Voyageur", "l'Adieu" ou "le Vent nocturne" -, la solitude et la marginalité - tout comme "l'Ermite" ou "le Larron". Le déclin et la mort sont inscrits dans des titres tels que "Crépuscule", "la Maison des morts" et "Automne", auquel s'associent "les Colchiques"; un univers légendaire se dessine à travers "la Blanche Neige", "Salomé" et "Merlin et la Vieille Femme"; des noms féminins tels que "Annie", "Clotilde", "Marizibill", "Marie", "Salomé" et "Rosemonde" jalonnent la progression du recueil.

 

Ce dernier comporte ensuite une section intitulée «Rhénanes» et composée de neuf textes d'inspiration germanique parmi lesquels figure le célèbre poème consacré à "la Loreley". Après trois poèmes assez brefs - "Signe", "Un soir" et "la Dame" -, le long poème "les Fiançailles", divisé en neuf parties dépourvues de titres, évoque de façon poignante la fuite du temps, la solitude et le dénuement.

Le recueil propose de nouveau deux textes brefs - "Clair de lune" et "1909" - puis un long poème en six parties, "A la Santé", issu de la triste expérience de la détention effectuée en septembre 1911 par Apollinaire à la prison de la Santé. Enfin, "Automne malade", "Hôtels" et "Cors de chasse" précèdent l'ultime poème du recueil, "Vendémiaire", dans lequel le poète éternise son chant: «Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi.»

 

Apollinaire avait d'abord songé à intituler son recueil Eau-de-vie. Alcools est toutefois plus net, provocant et moderne, et rapporte l'acte poétique, dans la continuité de Baudelaire et de Rimbaud, à un dérèglement des sens: «Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie» ("Vendémiaire"). Les références explicites à la boisson enivrante sont fréquentes dans le recueil: «Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie» ("Zone"), «Nous fumons et buvons comme autrefois» ("Poème lu au mariage d'André Salmon"), «Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme» ("Nuit rhénane"). De même, l'univers d'Alcools est jalonné de nombreux lieux pourvoyeurs de boissons: des «tavernes» ("Zone"), des auberges - celle du "Voyageur" est «triste» et celles des "Saltimbanques" sont «grises» -, des brasseries -«Beaucoup entraient dans les brasseries» ("la Maison des morts"), «Elle [...] buvait lasse des trottoirs / Très tard dans les brasseries borgnes» ("Marizibill"). D'un symbolisme multiple, que le pluriel du titre élargit encore, l'alcool désigne l'universelle soif du poète, le paroxysme de ses désirs: «Je buvais à pleins verres les étoiles» ("les Fiançailles"), «Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers / [...] Écoutez-moi je suis le gosier de Paris / Et je boirai encore s'il me plaît l'univers» ("Vendémiaire"). Extrême et intarissable, cette soif, souvent euphorique, court toutefois le risque de demeurer inassouvie: «Mondes [...] / Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré» ("Vendémiaire"). L'alcool suggère en outre la transgression, la possibilité de faire fi des tabous et des normes, en somme les audaces d'une poésie novatrice et moderne.

 

La poésie d'Alcools se déploie en effet souvent dans la fantaisie et la rupture à l'égard des normes, mais elle se plie également à certaines règles. C'est ce mélange de nouveauté et de tradition, de surprise et de reconnaissance qui fait l'originalité du recueil. Si, sur le plan prosodique, Apollinaire conserve en général la rime et la régularité métrique - avec une nette prédilection pour l'octosyllabe et l'alexandrin -, c'est en raison d'une nécessité interne à sa poésie et non par souci d'obéir à une quelconque contrainte extérieure. La poésie d'Alcools s'enracine dans le chant qu'elle cherche à rejoindre par son souffle propre. Les enregistrements qui demeurent du poète témoignent d'ailleurs de cette parenté: Apollinaire, lisant ses textes, semble chanter. Or la rime et le mètre ne sont pas seuls à contribuer à la musicalité du recueil. La répétition, savamment agencée, confère à de nombreux poèmes un rythme qui les rapproche du cantique. "Le Pont Mirabeau", par la reprise du refrain - «Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure» - et celle, juste avant la dernière occurrence du refrain, du premier vers - «Sous le pont Mirabeau coule la Seine» - a l'aspect d'une litanie tragique et conjuratoire. Dans "la Chanson du mal-aimé", la reprise d'une strophe majestueuse par son adresse et solennelle par la référence biblique qu'elle contient - «Voie lactée ô soeur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan» - donne au poème une dimension incantatoire. Ailleurs, la répétition, plus légère et joyeuse - celle par exemple de la tournure, elle-même répétitive, «Le mai le joli mai» dans "Mai" -, confère au poème des allures de chanson populaire, voire de comptine.

 

Toutefois, rien n'est jamais stable dans cette poésie qui refuse le confort mélodique et préfère l'incertitude. Le poème intitulé "les Colchiques" installe la régularité de l'alexandrin tout en y inscrivant de subtiles fractures: la disposition graphique démembre le mètre - «Les vaches y paissant / Lentement s'empoisonnent» -, certains vers ont plus de douze syllabes - «Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica» - si bien que, finalement, la lecture hésite face à d'autres vers dont on peut faire des alexandrins, au prix de quelques élisions audacieuses - par exemple: «Qui batt(ent) comme les fleurs battent au vent dément» -, mais que l'on peut également considérer comme irréguliers. De même, dans "Marie", un alexandrin unique vient soudain perturber la régularité du poème par ailleurs entièrement composé d'octosyllabes. La prosodie d'Alcools cultive la discordance qui déstabilise, ébranle, introduit comme un déchirement. A l'échelle du recueil pris dans son ensemble, le poème "Chantre", constitué d'un vers unique, qu'Apollinaire appelait drôlement «vers solitaire» - «Et l'unique cordeau des trompettes marines» - produit un effet similaire.

 

Ces fractures sont à l'image de l'expérience, le plus souvent douloureuse et angoissée, qui se dévoile à travers Alcools. Divers poèmes sont d'ailleurs, de l'aveu d'Apollinaire lui-même, directement liés aux circonstances biographiques. Ainsi "la Chanson du mal-aimé" exprime le désarroi du poète dans son amour malheureux pour une jeune Anglaise, Annie Playden. Toutefois, la matière poétique transcende l'anecdote, notamment grâce à la richesse des images. Certaines, récurrentes dans le recueil, contribuent à son unité, voire à l'envoûtement qui en émane peu à peu lors d'une lecture continue. Ainsi, le flux de l'eau est fréquemment, mais de façon toujours renouvelée, associé au temps qui passe, à la fois irréversible -«Passent les jours et passent les semaines / Ni temps passé / Ni les amours reviennent / Sous le pont Mirabeau coule la Seine» ("le Pont Mirabeau") - et immuable - «Je passais au bord de la Seine / Un livre ancien sous le bras / Le fleuve est pareil à ma peine / Il s'écoule et ne tarit pas / Quand donc finira la semaine» ("Marie").

 

L'automne, saison fascinante et tragique, évoque le déclin de toute chose - «Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs / Les fruits tombant sans qu'on les cueille / Le vent et la forêt qui pleurent / Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille / [...] La vie / S'écoule» ("Automne malade") -, la séparation des amants -«Sais-je où s'en iront tes cheveux / Et tes mains feuilles de l'automne / Que jonchent aussi nos aveux» ("Marie") - et la mort - «L'automne a fait mourir l'été» ("Automne"). Ces images sont certes traditionnelles mais la poésie d'Alcools les renouvelle par le traitement qu'elle leur réserve. Amplement utilisée, la comparaison engendre un monde propre qui transmue le poème en vision, souvent violente: «Le soleil ce jour-là s'étalait comme un ventre / Maternel qui saignait lentement sur le ciel / La lumière est ma mère ô lumière sanglante / Les nuages coulaient comme un flux menstruel» ("Merlin et la Vieille Femme"). Ailleurs, la métaphore, dont l'allitération renforce l'efficacité, transfigure ce même spectacle initial d'un coucher de soleil en une scène de décapitation: «Soleil cou coupé» ("Zone").

 

L'univers d'Alcools est en outre résolument ancré dans la modernité, singulièrement celle du monde urbain. La grande ville est présente dans "la Chanson du mal-aimé" - «Un soir de demi-brume à Londres» - ou dans "le Pont Mirabeau" dont le titre évoque explicitement Paris. Le ton est donné dès le premier poème, "Zone", aux références et à la terminologie très contemporaines: «les automobiles», «les hangars de Port-Aviation», «les affiches», «cette rue industrielle», «des troupeaux d'autobus», «le zinc d'un bar crapuleux». Quant au dernier poème, "Vendémiaire", il dresse une sorte de panorama urbain universel: «J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde / Venez toutes couler dans ma gorge profonde.»

 

Les lieux où se déploie cette poésie sont cependant variés, car le voyage est l'un des thèmes dominants d'Alcools. Des titres de poèmes tels que "le Voyageur" ou "Hôtels" en témoignent. Ceux que l'on appelle les «gens du voyage» sont également présents dans les titres - "Saltimbanques", "la Tzigane" - et dans les poèmes - «Un ours un singe un chien menés par des Tziganes / Suivaient une roulotte traînée par un âne» ("Mai"); «Des sorciers venus de Bohême» ("Crépuscule"). Le voyage est en outre fréquemment rapporté à l'expérience personnelle: «Maintenant tu es au bord de la Méditerranée / [...] Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague / [...] Te voici à Marseille au milieu des pastèques / Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant / Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon / Te voici à Amsterdam avec une jeune fille [...]» ("Zone"). Le voyage dans l'espace va de pair avec celui dans le temps. Le passé du poète est représenté - Alcools se plaît à l'évocation, souvent pathétique, des souvenirs - mais aussi celui de l'humanité, par le biais des mythes, nombreux dans le recueil. Ces mythes sont de sources très diverses - la Bible, les contes populaires, les légendes gréco-latines, orientales, celtiques, germaniques, etc. - et contribuent, par leur exotisme et leur étrangeté, au charme mystérieux et nostalgique qui émane d'Alcools.

 

Spatial ou temporel, le voyage est signe de liberté et peut donc être associé à la fête et à la richesse: les saltimbanques «ont des poids ronds ou carrés / Des tambours des cerceaux dorés» ("Saltimbanques"). Il signale la toute-puissance de l'imagination poétique: «Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve / Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée / [...] mes pensées de tous pays de tous temps» ("Palais"). Or cet aspect positif du voyage, qui abolit limites et entraves, a son envers négatif. Dépourvu de but déterminé, le voyage est avant tout errance, symbole d'une douloureuse méconnaissance de soi: «Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes / Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes / Et détournant mes yeux de ce vide avenir / En moi-même je vois tout le passé grandir» ("Cortège").

 

Grâce à la richesse de sa prosodie, de ses constructions et de ses images, Alcools exerce une indéniable fascination. Celle-ci ne doit pourtant pas faire oublier le caractère fondamentalement pessimiste et désespéré du recueil.

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Cette célèbre toile de Vincent Van Gogh "représente" la terrasse d'un café, un soir d'été, à Arles.

Le peintre s'est placé perpendiculairement à la terrasse (et non en face), ce qui lui a permis de créer un effet de profondeur et d'enrichir sa toile d'un grand nombre d'éléments, en perspective : un cheval tirant un fiacre avec ses lanternes allumées, le ciel avec des étoiles en forme de fleurs, les maisons, la rue avec ses pavés, des personnages attablés, d'autres, dans la rue, un homme et une femme qui semblent converser, un balcon, l'embrasure d'une porte au premier plan à gauche, la frondaison d'un arbre, à droite.

Le store et les murs du café, éclairés par une lampe à gaz,  sont comme revêtus d'une substance précieuse. On pense à la vue de Delft de Vermeer et au "petit pan de mur jaune" que contemple Bergotte dans "La Recherche du temps perdu".

Les pavés eux-mêmes sont colorés et semblent refléter la lumière qui émane du café et des étoiles ; ils semblent même réverbérer le bleu du ciel nocturne. On y voit toutes les couleurs et les nuances de l'ensemble de la toile. On peut parler de métonymie (la partie pour le tout). Tout est déjà, mais rien n'est encore, nous cheminons sur des pavés disjoints, entre la tristesse et l'extase, la naissance et la mort, au seuil d'un mystère qui nous dépasse. Ces pavés cernés de noir préfigurent l'art abstrait. On les retrouve dans une toile de Paul Klee.

La silhouette blanche, étrangement allongée du garçon de café dans le trois quart inférieur de la toile retient particulièrement le regard. On a le sentiment que tout s'organise autour de cette silhouette. Roland Barthes parlerait du "punctum".

Mais ce garçon de café n'est ni le Christ, ni un ange ; Van Gogh communique un sentiment "mystique", paisible et joyeux, non en peignant un sujet "religieux", mais  à travers une scène de la vie quotidienne.

Tous les éléments de la création sont présents dans cette toile : le monde minéral (les pavés), végétal (la frondaison de l'arbre, les étoiles en forme de fleurs qui font penser au vers de Stéphane Mallarmé "Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées"), animal (le cheval), humain et céleste. Ces éléments sont en profonde harmonie les uns avec les autres.

Le bleu (saphir) et le jaune (d'or) couleurs primaires complémentaires, sont les couleurs dominantes. Il y a également des touches de vert absinthe, (en particulier sur le mur du café et ce n'est sans doute pas un hasard), de vert émeraude, de mauve et de noir. L'embrasure de la porte est de la même couleur que le ciel : bleu saphir et le sol de la terrasse est rouge orangé (la chaleur humaine). Le bleu saphir symbolise le mystère le plus profond, l'amour divin (il n'est d'ailleurs pas tout à fait approprié de dire que les couleurs symbolisent, elles "incarnent") ; nous ne savons pas ce qu'il y a "derrière" cette porte. Il en filtre un peu de cette lueur dorée (la joie parfaite ?) que l'on retrouve sur le mur du café. Le peintre a placé son chevalet près de cette porte. Être homme, c'est se tenir au seuil du mystère.
 
Pour peindre le ciel, le peintre a utilisé plusieurs nuances de bleu, du bleu clair au bleu marine (on parle de "camaïeu"). Ce ciel est à la fois "le ciel qu'on voit" et celui qu'ont découvert les astronomes dans leurs télescopes. On y voit s'y dessiner des galaxies, des trous noirs, des naines blanches, des amas d'étoiles... on y pressent une profondeur infinie. Le ciel révélé par la science est encore plus mystérieux aux yeux de l'artiste. La science ne dissipe pas le mystère, elle le renforce. Ce ciel n'est pas celui de Pascal ("Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie") et n'a rien d'effrayant  ; il est à la fois mystérieux et  familier. C'est aussi le ciel vu par un enfant, un "primitif" : deux étoiles dessinent des yeux, on devine une forme humaine ou angélique à la verticale du garçon de café, les étoiles, on l'a dit, ressemblent à des bouquets de fleurs, mais ce peut être le fruit du hasard, d'une interprétation subjective.
 
L'artiste ne peut se détacher de son époque, il en vit intensément les doutes, les interrogations et les tourments. Si la question de Dieu est au cœur de son œuvre et de sa vie (on sait que le peintre se destinait à la prédication), Van Gogh, contemporain de Nietzsche, sait bien qu'on ne peut plus l'aborder "comme avant". Le génie (Bach, Mozart, Van Gogh...) s'aventure, armé de sincérité, dans l'espace infini qui sépare le signifiant du Signifié, le verbe du Verbe.
 
Un "mystère familier" : "Une odeur de mûres traîne au fond des galaxies.", dit magnifiquement Jean Mambrino.

Des étoiles qui ressemblent à des fleurs, un mur recouvert d'or, des pavés semblables à des pierres précieuses... On reconnaît la figure poétique par excellence de la poésie : la métaphore. La toile de Vincent Van Gogh est une "transfiguration" du monde. "Transfigurer" (le contraire de "défigurer") ne veut pas dire "transformer", embellir, mais révéler, dévoiler. "C'est ainsi que je vois le monde, pourrait nous dire Vincent, c'est ainsi qu'il est vraiment et c'est ainsi que vous le verriez si vous preniez la peine de le regarder avec les yeux du coeur, de l'habiter en poètes (Hölderlin) et non en prédateurs et en blasés."

Dans "Les Portes de la perception", Aldous Huxley se demande si certains artistes comme Van Gogh et certains mystiques n'auraient pas le don naturel de percevoir les choses telles qu'elles sont, d'accéder naturellement (et non, comme le fait Huxley, en absorbant de la mescaline) à ce que les bouddhistes appellent "Sat Chit Ananda" (la félicité de l'avoir conscience), et la mystique rhénane "l'Istigkeit", expression dont maître Eckart aimait à se servir pour définir l'Etre. Cette expérience se caractérise, selon Huxley par un rehaussement des couleurs, une perception particulière du temps et de l'espace et quelque chose d'ineffable qu'il nomme, faute de mieux, "vision de béatitude", "grâce et transfiguration", "présence sacramentelle de la beauté". "Si les portes de la perception étaient nettoyées, disait le peintre et dessinateur anglais William Blake, toute chose apparaîtrait telle qu'elle est."

Le peintre a planté son chevalet en plein air, ici en pleine ville, comme il le fait aussi en plein champs.

Ce qui caractérise la peinture de Van Gogh et celle des Impressionnistes en général est le délaissement des sujets mythologiques ou religieux, des "natures mortes", de la peinture d'atelier  au profit de la peinture "en plein air" au contact de la nature et de la lumière naturelle dont l'artiste s'efforce de capter les nuances changeantes, l'emploi de couleurs pures, le choix de sujets profanes, extraits de la vie quotidienne dont l'artiste magnifie (ou plus exactement "rend visibles") le mystère et la beauté.

L'artiste vraiment créateur, ne se contente pas "d'imiter la nature" (Aristote) ; c'est pourquoi le verbe représenter ("cette toile représente une terrasse de café à Arles, en été, la nuit...") n'est pas adéquat.

Vincent Van Gogh n'a pas "représenté" une terrasse de café, il a rendu visible un étonnement joyeux, une secrète espérance, la nuit transfigurée.
 
 
Apparition 
 
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.
- C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un Rêve au coeur qui l'a cueilli.
J'errais donc, l'oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.
 
 Stéphane Mallarmé
 
 


Ravel - Piano Concerto in G major - Argerich... par PaGoO

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12272956682?profile=originalEcole vietnamienne (Huê, dans la Cité interdite)

Comme j'ai pu le constater du nord au sud l'école vietnamienne de peinture est particulièrement dynamique. Partout, du moins dans les régions touristiques, des peintres créent, s'affirment et exposent dans des galeries ou de simples échoppes. Capables de s'adapter aux goûts de tous les publics, ce sont aussi de remarquables copistes. Mais ce sont bien sûr les toiles originales, mariant tradition et innovation qui ont retenu mon attention.

12272957457?profile=originalEcole vietnamienne (Hôi An, Art Gallery 31)

Je ne présente pas nécessairement les grands maîtres d'aujourd'hui, du moins reconnus comme tels, côtés et catalogués, mais j'ai glané ça et là quelques oeuvres qui m'ont vraiment accroché l'oeil et le coeur. Je ne connais généralement pas leurs auteurs, aussi je vous les livre telles quelles dans une petite galerie vivante et authentique.

12272958265?profile=originalEcole vietnamienne (Hôi An)

La seule réserve que j'émettrais c'est que lorsque ces artistes tiennent un idée, ils la déclinent un peu trop quitte à créer de nouveaux stéréotypes et à perdre leur âme. Nous pouvons cependant leur faire confiance pour éviter cet écueil.

12272958683?profile=originalEcole vietnamienne (Hôi An)

D'ailleurs Jean Gallotti prédisait déjà en 1931 "Qui sait si la renaissance de l'art ne viendra pas, un jour, de quelque région très lointaine ?" dans un article "L'Ecole des Beaux-Arts d'Hanoï" (in L'Illustration, hors série, juillet 1931).

Alors, à vous d'en juger...

12272959460?profile=originalEcole vietnamienne (exposé sur une île du delta du Mékong).

Pour terminer une curiosité...

12272959858?profile=originalTrait puissant, proche de la calligraphie, on sent ici l'influence de la grande tradition chinoise depuis "Les peintres des Tang* qui excellaient dans la peinture  de chevaux étaient nombreux, mais Cao Ba* et Han Gan* sont les plus fameux. Leurs principes étaient nobles et anciens, et ils ne cherchaient pas la ressemblance formelle.", écrivait déjà le peintre et lettré Zhao Meng Fu*.

Le pittoresque de l'histoire est que j'ai pris cette photo dans un... dépotoir de Hôi An où cette toile était reléguée ! Lavis lacéré.

Michel Lansardière (texte et photos)

* Dynastie Tang 618-907, Cao Bao ca 74-770, Han Gan ca 706-783, Zhao Meng Fu 1254-1322.

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administrateur théâtres

Faire Pivoter le Monde! Ce soir, deux fabuleux comédiens, Jacqueline Bir et Alain Leempoel nous précipitent dans la crise économique cruciale qu’a connue l’Argentine en 2001. Et Pietro Pizzuti, le génial metteur en scène, de déplorer que la situation n’est pas fort différente à notre époque. Il suffirait peut-être (et encore…) d’ôter le vieux Frigidaire  vintage  du plateau et nous serions quelque part en été, en Europe ? Un credo vibrant va se décliner sur le mode des variations captivantes lors de conversations mère-fils. Face aux débâcles économiques et sociales qui servent d’arrière-plan à la pièce, subsistent néanmoins l’amour de la liberté et la compassion pour les plus faibles. C’est le message qui tout au long de la pièce perle tantôt avec tendresse, tantôt avec combattivité sur les lèvres aimantes de cette mère de 82 ans qui, soudain, voit ressurgir un fils de 50 ans toujours pressé et qui lui téléphone bien plus souvent qu’il ne vient la voir.

Mamà, cheveux blancs, est assise dans le sofa et tourne le dos au public, comme dans « Le récit de la servante Zerline ». Son fils, Jaime, (prononcez Chaïm), surgit au milieu de l’appartement bien rangé, lustré, étincelant de propreté. Surprise, elle pense : « Qu’est-ce qu’il me cache ? » Lui : « Comment vais-je lui dire ? » Cette fois il a un problème de taille à lui soumettre : il voudrait lui faire quitter l’appartement où elle vit (seule?) depuis la mort de son mari mais qui ne lui appartient hélas pas. Sa femme Laura exige la vente. Ayant perdu son emploi enviable, Jaime est désemparé. Ils sont dans une situation financière inextricable avec des enfants habitués au luxe dont il faut continuer à payer les études. Le spectre de la maison de repos est aussitôt abordé par la mère, très lucide, qui n’en a pas fini avec la vie.

Malgré la salle comble, tâchez de trouver des places près de la scène, car les métamorphoses passionnées du visage de la mère, tellement émue de retrouver son fils, plongent le spectateur dans des vagues d’émotions. Jacqueline Bir a cette fibre particulière de comédienne qui vous fait monter les larmes aux yeux alors même que l’on voudrait s’en défendre. La vérité des sentiments, l’intensité du jeu deviennent pour le spectateur le plus flegmatique un émerveillement toujours recommencé. Le chantage affectif règne, on s’en serait douté ! Serait-on une mère sans cela. D’ailleurs, « est-ce que Freud aurait réussi, sans les mères? » lance la sémillante mama. On se retrouve en tout cas - couleurs chatoyantes et lumières automnales du plateau aidant - baignés de chaleur humaine et touchés par ces profondes vibrations qui ont fait fondre les cœurs lorsque Jacqueline Bir incarnait il y a quelques années « Oscar et la dame rose ».On reçoit ici toute la tendresse espiègle et rouspéteuse d’une mère pour son fils comme un cadeau du ciel et on rit de bonheur à ses bons mots et à sa remarquable intuition, on savoure sa mauvaise foi, ses réparties et son humour cinglant. Le duo avec Alain Leempoel est magistral.

A la fin du premier acte, voilà que les cœurs qui s’étaient insensiblement distanciés se rapprochent, se reconnaissent, se livrent avec pudeur et se retrouvent. Pas d’entracte et pour cause, le ciel a de ces surprises… Ah oui il y a aussi un mystérieux Gregorio, presqu’aussi vivant que les deux complices!

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Par leur jeu, Mère et Fils réussissent un miracle : celui d’abolir le Temps et les pénibles contingences matérielles, faisant de ces retrouvailles progressives, presque des noces spirituelles. La connivence est revenue entre celle qui s’entêtait « à cuisiner comme avant » et ce fils au prénom portugais beau comme une caresse. Voici un fils perdu et retrouvé, qui, après avoir fondé et après avoir trimé sans compter pour se conformer aux exigences du paraître une famille peu attentionnée, est rassuré sur lui-même et mûri. Grâce aux très particulières conversations avec sa mère, il renaît à la vie, au désir, à la liberté et aux valeurs essentielles et surmonte peurs et angoisses. Un conte philosophique?

Jusqu'au 18 mai 2014

Conversations avec ma Mère

Théâtre - Contemporain
La Vénerie - Espace Delvaux
Rue Gratès 3 1170 BRUXELLES - BELGIQUE

Création en langue française d’après le film argentin de Santiago Carlos Ovés, adaptation théâtrale de Jordi Galcerán
Mis en scène par Pietro Pizzuti avec Jacqueline Bir et Alain Leempoel

http://www.lavenerie.be/index.cfm?r1=1&r2=102670

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Les Poètes maudits, les absolus, les impeccables, ceux de la royauté de l'esprit, de l'âme et du coeur humain...

"Les Poètes maudits" est un essai critique de  Verlaine, paru pour la première fois en 1883 dans la revue littéraire d'avant-garde "Lutèce" (dirigée par Léo Trézenic): publié en volume chez Vanier en 1884 et en 1888. Les "poètes maudits" de 1883 et 1884 n'étaient que trois: Tristan Corbière, Rimbaud et Mallarmé: dans l'édition de 1888, ils sont au nombre de six: les trois cités, Marceline Desbordes-Valmore (dont Verlaine devait la connaissance à Rimbaud), Villiers de l'Isle-Adam et enfin le "Pauvre Lélian", "celui qui aura eu la destinée la plus mélancolique", c'est-à-dire Verlaine lui-même. Par "poètes maudits" Verlaine entend les vrais poètes, les "poètes absolus" (c'est ainsi qu'il les appelle dans son avant-propos), inconnus de son temps. On peut, dit-il, reprocher à Corbière ses irrégularités; mais "les impeccables ce sont tels et tels. Du bois, du bois et encore du bois. Corbière était en chair et os tout bêtement. Chez Rimbaud (que, rappelle-t-il pudiquement), "nous avons eu la joie de connaître"), il exalte "l'immortelle royauté de l'Esprit, de l'Ame et du Coeur humains: la Grâce et la Force et la grande Rhétorique" niées par nos pittoresques, nos étroits naturalistes de 1883. De Mallarmé, il reprend l'éloge qu'il en avait déjà fait dans le "Voyage en France par un français" (1880) et où il disait que "préoccupé, certes!! de la beauté, il considérait la clarté comme une grâce secondaire et, pourvu que son vers fût nombreux, musical, rare, et, quand il le fallait languide ou excessif, il se moquait de tout pour plaire aux délicats, dont il était, lui, le plus difficile. L'essai de Verlaine occupe, dans l'histoire littéraire moderne, une place extrêmement importante. En 1883, si Verlaine commençait à être connu, les noms des poètes dont il parlait étaient ignorés ou oubliés. Les poèmes de Corbière, de Mallarmé et surtout de ceux de Rimbaud, dont les célèbres "Voyelles" et "Le bâteau ivre", qu'il citait à l'appui de son fervent éloge, furent une révélation pour le public. Leur célébrité date de là: elle devait être consacrée l'année suivante par la parution d' "A rebours", où Huysmans fait figurer les oeuvres de Corbière, de Mallarmé et de Verlaine parmi les préférées de son héros Des Esseintes (non Rimbaud parce que, expliquera Huysmans plus tard, il n'avait encore rien publié à cette époque). C'est ainsi que naquit ce "décadentisme" auquel le mouvement symboliste se rattache directement.

N.-B.: En souvenance du libraire-antiquaire Gérard Crucis qui m'avait initié à la collection d'éditions originales de "Poètes maudits": "d'abord les maudits"... m'avait-il soufflé...

R.P.

A lire aussi: 

La littérature symboliste

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administrateur théâtres

 

12272935653?profile=original"Reprenons l’ordre chronologique : a)  L’écriture de Roberto Athayde  b) Ce qu’en fit Annie Girardot en 1974, c) Ce qu’en fit le théâtre Le Public en 2013"

 

 Conçu par l’auteur brésilien Roberto Athayde, ce seul en scène était une attaque virulente contre les délires politiques des dictateurs en Amérique du Sud. Une métaphore osée qui met en scène une instit pathétique (silence dans les rangs !) pour combattre un système qui boucle la parole, encourage la délation et réduit l’humain à un porte-faix …. Mais plus personne ne parle chez nous  de ce cinéaste, dramaturge, écrivain  et poète brésilien.

 

Le monologue de Madame Marguerite a fait fureur en France dès qu’Annie Girardot créa sur scène en 1974 ce personnage névrosé de Madame Marguerite. Institutrice de CM2, Madame Marguerite pratiquait avec ses élèves un absolutisme pédagogique quasi intégriste. Elle se sentait investie d’une mission vitale, détenait un savoir obscurantiste absolu (!) ainsi que le pouvoir totalitaire (!). Ses sautes d’humeur, de la basse flatterie à  l’insulte en passant par un registre de propos malveillants exposaient une caricature bienvenue du délire de la violence. Joué  à l’époque devant un auditoire médusé au Paul-Emile Janson à l’ULB avec tout le talent et la férocité dont Annie Girardot était capable, on ne pouvait sans doute pas taxer ce spectacle d’outrancier.    

 

12272935666?profile=originalAvec Le tandem Virginie Hocq (à la mise en scène) et Marie-Paule Kumps (l’institutrice omni-théâtrale), on plonge dans le surréalisme si cher à notre pays. Car le texte a vraiment pris un sérieux coup de vieux tandis que les images du couloir de la salle de classe belge sont  hyper-réalistes. (Bravo à Céline Rappez pour sa scénographie et ses costumes ton sur ton avec les murs jaunes et le tableau vert!)  Les portraits royaux cuvée 2013 sont de la dernière actualité… Dès l’entrée les spectateurs sont conditionnés à être des élèves soumis et sans défense, sauf celle de rire !  Mais comment être touché par ce texte devenu plutôt banal à nos yeux? Certes, il rend compte des gains inestimables de Mai 68, époque révolue, où il était indispensable de combattre le délire dictatorial en général, offrir la liberté sexuelle, libérer les femmes, changer la relation maître-élève. Las, tout cela semble être bien dépassé et finit par ennuyer. Surtout que l'on  reçoit  aussi en plein visage  des tonnes  de préjugés durs à cuire vis-à-vis de l’homosexualité. Et on subit, impuissants, la banalisation et les dégâts de l’utilisation des drogues, tabac compris.

12272936477?profile=originalDe récréatif et vachement critique, le spectacle devient glauque, orné de vulgarités de tous genres et lourd de  platitudes.  Dommage car, après quelques décrochages et bâillements au milieu des rires assidus des spectateurs bien conditionnés, on arrive enfin dans le vif du propos. Alors, les dix dernières minutes du spectacle sont foudroyantes car elles dénoncent la vitesse de l’évolution d’une société où tout d’un coup les choses vous échappent. Comme dans la terrible maladie d’Alzheimer. Cela est très émouvant et splendidement joué par Marie-Paule Kumps. Le travail du jeu de l’actrice est remarquable dans la montée de  son délire psychiatrique.  Madame Marguerite est devenue superbement folle dans cette parodie, car la société est devenue folle!

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UNE CRÉATION ET PRODUCTION DU THÉÂTRE LE PUBLIC. PHOTO©BRUNO MULLENARTS.

Assistanat à la mise en scène: Monia Douieb

Scénographie et costumes : Céline Rappez

Couturière : Carine Duarte

Lumière : Maximilien Westerlinck

Régie : Louis-Philippe Duquesne

Stagiaire régie : Aurore Mignolet

Photos: Morgane Delfosse

 

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=340&type=1

MADAME MARGUERITE

de ROBERTO ATHAYDE Adaptation Jean-Loup Dabadie

DU 05/09/13 AU 26/10/13

Marie-Paule Kumps sera l'Invité du Public le 5/10/2013

Quelques photos, ainsi que celles d'Arts et Lettres: ici

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 Le printemps est annoncé

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d'ADYNE GOHY

en concordance avec

Le printemps déjà là

Cerisiers en fleurs avant l'heure,

un bijou blanc dans un jardin,

sous le léger châle de l'hiver encore,

devenu impuissant,

tout en haut, une tenture toute bleue, lisse,

printemps trop tôt tombé du ciel,

mars sans la pluie;

déboutonnage d'un blanc corsage,

dentelle grège, chaude neige;

nuage végétal, trouble!

lèvres rouges ébahies,

s'égaie l'arborescence embaumée et pastelle;

blanche comme neige, tourterelle!

Cerisiers en fleurs, avant l'heure,

un bijou blanc dans un chemin,

sous le léger châle de l'hiver encore,

devenu impuissant,

tout en haut, une tenture toute bleue, lisse,

nos mots orangés, audacieux,

parfum citron,

senteur de limonade dans l'air,

baptême au dessus de la terre,

sans pluie, sans bruit;

ensoleillement inouï et bleu!

de NINA

Les partenariats d'

Arts12272797098?profile=originalLettres

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ENTRE SURREALISME ET METAPHYSIQUE : L’ŒUVRE DE GHISLAINE LECHAT

Du 31 – 03 au 24 – 04 - 16, l’ESPACE ART GALLERY a le plaisir de vous proposer une exposition intitulée ETERNITY-SERENITY, consacrée à l’œuvre de l’artiste française, Madame GHISLAINE LECHAT.

Entre équilibre et déséquilibre discursif, GHISLAINE LECHAT associe symbolique chrétienne, surréalisme et métaphysique à l’intérieur d’une même interprétation plastique.

Qu’entendons-nous par « équilibre-déséquilibre » ? Il y a dans le langage de l’artiste un point de non retour entre rationalité et irrationalité, exprimé de façon savante, en associant plusieurs écritures à l’intérieur d’un même style.

L’artiste connaît sa matière ou plus exactement, l’histoire de cette matière que l’on appelle l’Art.

Dans LA CHUTE DE GABRIEL (150 x 150 cm - acrylique),

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l’image de la rationalité est exprimée dans le thème de l’échiquier que nous retrouvons, comme un leitmotiv, dans l’ensemble de l’œuvre exposée. A cette image s’ajoute celle du cercle (compris dans un autre cercle). Le cercle englobant est de couleur rouge vif, tandis que le cercle englobé est de couleur noir intense. A y regarder de près, il s’agit en réalité, de deux demi-sphères, créant la figure du cercle complet dans l’imaginaire du visiteur. Nous nous trouvons face à une vision chaotique où tout périclite : l’échiquier sur lequel est posé l’ange effectue un mouvement incliné comme pour amorcer une descente aux enfers. L’ange, de conception néo-classique, est appuyé sur un globe terrestre en miniature. Il semble être précipité vers l’abîme par une figure surgissant du cercle noir, dont seulement le bras, issu de l’obscurité, mélange sa blancheur à celle du corps de Gabriel. Pour exprimer cette dialectique basée sur « l’équilibre-déséquilibre », l’artiste a installé un jeu de droites et de diagonales à l’intérieur de l’espace. La droite est assurée par la figure, statique, issue du cercle noir (de laquelle on ne voit que le tronc : le reste du corps est laissé à l’imaginaire du visiteur). Tandis que la diagonale prend forme à la fois dans la posture de l’ange ainsi que dans le mouvement de l’échiquier basculant dans le vide. Quelque part, cette allégorie, issue de l’imaginaire de l’artiste, pourrait s’inscrire aisément dans le prolongement de l’iconographie dantesque, car dans l’esprit, nous ne sommes dimensionnellement pas loin de la vision fantastique d’un William Blake illustrant l’Enfer de la Divine Comédie.

Le geste du  bras tendu de l’ange, l’expression torturée de son visage ainsi que le traitement de sa chevelure viennent tout droit de l’iconographie romantique tributaire du néo-classicisme : on pense à Canova.  S’il y a une expression sur le visage de l’ange, il n’y en a aucune sur celui du personnage issu de l’arrière-plan. S’il est « esprit », la seule « matérialité » révélée au visiteur se concrétise dans la présence lumineuse de son bras, dont la main se pose sur la tête de l’ange.

Concernant le décodage symbolique, le cercle noir englobé dans le rouge, participe d’un langage complexe. Il représente à la fois le temps, le trou noir et la Terre. Dans le cas de la chute de l’ange Gabriel, le globe terrestre miniaturisé repose sur l’échiquier, autrement dit, sur le terrain du rationnel. Mais celui-ci périclite dans l’abîme. Il s’agit du traitement personnel d’un thème biblique. Thème extrêmement surprenant, puisque s’il s’agit d’envisager une possible chute, celle de Lucifer sublimant sa beauté face à celle de Dieu, semblerait, à priori, plus adéquat. Mais c’est ici qu’intervient le ressenti de l’artiste. Si dans le récit vétérotestamentaire, Lucifer plonge des cieux jusqu’à l’abîme, Gabriel, lui, est chassé par l’artiste de cet amalgame symbolique, à la fois temps, trou noir et Terre, pour disparaître dans le même abîme. Cet ange est déjà plus « homme » que créature céleste par l’expression de sa peur. Observez la façon dont il prend appui de sa main gauche sur le globe terrestre en réduction. Le geste de la main droite signifie non seulement la peur de la chute mais peut-être aussi le refus de sa propre image. Car il y a un rapport symbolique entre la posture de la main droite du refus et celle de la gauche agrippée au globe terrestre, en équilibre entre la déchéance de l’ange humanisé et celle du Monde courant à sa perte. Remarquez également le traitement du bras de la créature qui le pousse. Du noir le plus intense, il passe au blanc le plus diaphane, comme pour signifier tant à l’ange qu’au visiteur que la déchéance devient l’essence même de leur identité commune. Notons la grande beauté virile dans le rendu du corps de l’ange Gabriel : une ligne droite associe le torse (de trois-quarts) à la créature maléfique. Tandis qu’à partir du bassin, les jambes prennent une position oblique. Les pieds posés sur l’échiquier, en déséquilibre, signent la diagonale annonçant la tragédie.

LE QUATRIEME JOUR (150 x 150 cm - acrylique)

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participe d’un autre thème d’inspiration biblique traité à partir d’un ressenti personnel.

Il s’agit de l’image du Christ méditatif, penché sur le Monde et s’interrogeant sur le futur de celui-ci. Cette œuvre est un mélange de symbolisme et de surréalisme, c'est-à-dire de rationnel et d’irrationnel. Le côté rationnel est représenté par l’image du sol en damier (rappelant l’échiquier) ainsi que par le rôle tenu par l’architecture : six colonnes (trois à droite, trois à gauche) partant des bords de la toile assurent deux lignes droites jusqu’à la limite de l’arrière-plan. Les quatre dernières colonnes portent une coupole en haut de laquelle une petite ouverture inonde de lumière le personnage du Christ. La coupole est en réalité une stylisation héritée de l’architecture gothique avec une ordonnance ramassée soulignée par de petits arcs traversant la croisée des voûtes.

Le côté irrationnel est représenté par l’élément surréaliste symbolisé par la mer dont l’eau déferle jusque vers la moitié de l’espace scénique. L’eau est un symbole de pureté (l’eau baptismale) lequel renoue avec une spiritualité ante chrétienne de conception classique et proche-orientale. N’échappant pas à l’iconographie néo platonicienne, le Christ (vêtu de blanc – autre symbole de pureté) devient ici un philosophe. Mais il s’agit d’un philosophe qui n’enseigne plus comme dans l’iconographie paléo chrétienne. De même que sa personne n’est plus associée à celle du « Pantocrator » de l’Orient chrétien présidant le Jugement Dernier et qui de son air sévère demande des comptes à l’humanité. Il s’agit d’un Christ méditatif qui par son questionnement sur la portée de son sacrifice exercerait son esprit critique. Un jeu savant de perspective introduit deux trouées lumineuses (une à droite, l’autre à gauche), au fond desquelles se dessine une issue, donnant au visiteur le sentiment d’avoir deux tableaux par démultiplication de l’image. Quelle voie choisir ? se demandera le visiteur. Celle de gauche, présentant un escalier ascendant, offre une grande trouée lumineuse. Celle de droite se réduit à une fente de laquelle s’échappe de la lumière. Laquelle choisir pour accéder à la béatitude ? Celle de gauche avec sa grande trouée lumineuse est bien tentante. Quoique, sans vouloir être gidien  à outrance, celle de droite est….étroite !  De chaque côté de la composition pendent deux encensoirs, statiques, pour stabiliser l’espace.

VENUS TEMPTATOR (150 x 150 cm - acrylique)

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est une vue de dos de la Vénus de Milo à qui l’artiste a donné un buste dénudé recouvert au niveau du coccyx par une tunique descendant jusqu’aux pieds.

Cette Vénus, dont le titre indique qu’il s’agit d’une tentatrice, campée au centre du tableau, est associée à celle de Botticelli (emprisonnée à l’intérieur d’un cadre faisant office de fenêtre, derrière qui se profile un personnage inconnu, stylistiquement fort proche de la figure située derrière l’ange Gabriel). Il s’agit de la confrontation de deux nudités procédant de la même mythologie. Dans cette œuvre très métaphysique, la symbolique des couleurs est primordiale : le blanc est associé à la peau laiteuse des deux Vénus dont la destination psychologique est tout aussi symbolique : celle campée au centre de la toile est statufiée, l’autre, à l’intérieur du tableau est portraiturée. La tentation procède de la sensualité dégagée par les œuvres. La Vénus inspirée de Botticelli, présentée au bord du tableau-fenêtre est portraiturée sans son coquillage sur un parterre en forme d’échiquier. Il s’agit d’une vision calme et heureuse de la féminité. La sensualité de la Vénus statufiée est concentrée sur les plis nerveux de sa tunique. Une fois encore, rationalité et irrationalité s’affrontent, si l’on compare les plis fébriles presque chaotiques de son vêtement avec ceux extrêmement bien ordonnés de la tunique du Christ du QUATRIEME JOUR (mentionné plus haut), conçus en forme de « M » (c'est-à-dire dans une géométrie s’appuyant sur l’image philosophique de la raison). L’élément surréaliste s’exprime dans la présence de la mer, sur la gauche de la composition ainsi que dans la conception de la lumière, conçue dans un chromatisme associant le bleu, le vert et le jaune clairs. La dimension métaphysique résulte de la conception de l’architecture, unissant colonnes antiques sur la gauche de la toile avec à l’opposé, un mur avec en hauteur sur quatorze dalles tout un panel de hiéroglyphes égyptiens accentuant l’élément mystique. La Vénus statufiée, au pinacle de sa sensualité fébrile, évolue sur l’échiquier de la rationalité. Non loin d’elle, au premier plan, le globe  miniaturisé, comme pour rappeler son essence terrestre associé à son humaine vulnérabilité. Elle semble se diriger vers une arcade surmontée par un arc en plein cintre donnant sur un fond noir. Est-ce la porte donnant sur le vide ? Est-ce la peur de l’inconnu qui se niche en nous ? Le visiteur donnera sa propre réponse.

GHISLAINE LECHAT est une autodidacte. Oui…oui, vous avez bien lu : autodidacte ! Elle peint depuis des années en répondant à l’idée de ce qu’elle perçoit. Dans son œuvre, le temps en suspension, est sublimé dans un univers où le symbole se marie aux écritures surréaliste et métaphysique. Elle affectionne particulièrement l’acrylique et l’huile. Les personnages qu’elle peint appartiennent à une mythologie bien souvent explorée par l’histoire de l’Art.

A titre d’exemple, le personnage ailé, que ce soit l’ange sous la forme de Lucifer ou d’Icare, se brûle au feu de ses propres limites. L’artiste confère au Sacré de nouveaux territoires balisés sur le terrain fertile de sa propre humanité.

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza


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Ghislaine Lechat et François Speranza:  interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(30 mars 2016 - Photo Robert Paul)

                                      

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Exposition Ghislaine Lechat à l'Espace Art Gallery en mars-avril 2016 - Photo Espace Art Gallery

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Liliane Magotte, artiste peintre:

 

Deashelle, chroniqueuse vedette sur Art et lettres

 

Jacqueline Gilbert, poète et peintre:

 

Olivier Dumont, peintre:


 

Antonia Iliescu, chant, auteur compositeur, poète:

 

Adyne Gohy, aquarelliste:


 

Sandra Dulier, poétesse:


Claude Hardenne, peintre, sculpteur et écrivain:


Charles De Wit, peintre:



Claudine Quertinmont, poétesse

 

Rébecca Terniak (interview via Skype)

 

Claude Miseur, poète, invité d'arts et lettres septembre 2013


Stephan Van Puyvelde (Editions Novelas), Invité Octobre 2013 d'Arts et Lettres
Une réalisation Actu TV à l'initiative d'Arts et Lettres

Bernadette Reginster est l'invitée de novembre 2013 d'Arts et lettres

Jacqueline Nanson, peintre est l'invitée d'Arts et Lettres de décembre 2013


Albertine Swerts) (Tine), peintre est l'invitée télévision d'Arts et Lettres de février 2014

Jacqueline De Clercq,  auteure, est l'invitée télévision d'Arts et Lettres de février 2014

Plus sur l'auteure Jacqueline De Clercq: Voir en plein écran

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12272835074?profile=original"Les vrilles de la vigne" est recueil de textes de Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873-1954), publiés en revue pour la plupart, et recueillis en volume sous ce titre à Paris aux Éditions de la Vie parisienne en 1908; réédition définitive chez Ferenczi en 1934.

 

Entre contes métaphoriques et poèmes en prose, les pièces qui composent les Vrilles de la vigne inaugurent cette veine du texte bref, si foisonnante et originale dans l'oeuvre de Colette. Comme dans nombre de ses ouvrages, l'écriture se nourrit de l'expérience vécue - Colette s'est séparée de Willy et vit, à partir de janvier 1907, avec Missy, la fille du duc de Morny -, que l'imaginaire et la poésie viennent transformer et transcender.

 

Les Vrilles de la vigne comprennent vingt textes dont la disposition n'obéit pas à un ordre chronologique. L'organisation du recueil participe donc d'une architecture concertée. Les trois premiers textes («les Vrilles de la vigne», «Rêverie de Nouvel An» et «Chanson de la danseuse») sont des sortes de contes métaphoriques dans lesquels Colette évoque sa destinée, douloureuse et exaltante à la fois, de femme libre et solitaire. Les trois pièces suivantes («Nuit blanche», «Jour gris» et «le Dernier Feu»), adressées à Missy, célèbrent la douceur du lien avec la compagne et rappellent, sur un ton empreint de nostalgie, les souvenirs d'une enfance aux allures de paradis perdu. D'autres pièces s'apparentent à des fables: la description du comportement des animaux familiers, chers à Colette et souvent présents dans son oeuvre, invite à une méditation sur les relations humaines («Amours», «Nonoche», «Toby-Chien parle», «Dialogue de bêtes»). Le personnage de Valentine, dont Colette brosse le portrait à travers dialogues et anecdotes («Belles-de-jour», «De quoi est-ce qu'on a l'air», «la Guérison»), fournit matière à diverses réflexions sur les amours et la destinée des femmes. Les trois dernières pièces apparaissent comme des croquis pris sur le vif de paysages marins («En baie de Somme», «Partie de pêche») ou de l'univers du spectacle («Music-halls»).

 

Au-delà d'une grande variété apparente, le recueil trouve son unité dans une quête de l'identité qui est au coeur de presque tous les textes. Après la désillusion du premier amour et du mariage, Colette, tout comme le rossignol emprisonné dans les vrilles de la vigne, a su s'affranchir de ses liens: «Cassantes, tenaces, les vrilles d'une vigne amère m'avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d'un somme heureux et sans défiance. Mais j'ai rompu, d'un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j'ai fui...» («les Vrilles de la vigne»). L'écrivain cherche aussi à se libérer de sa première expérience littéraire, c'est-à-dire du personnage de Claudine (voir Claudine à l'école), ce double mythique d'elle-même avec qui elle ne veut plus être confondue. Ce renoncement, pour être revendiqué, n'en est pas moins douloureux et nostalgique: entre l'idéale Claudine et la superficielle Valentine, que la narratrice traite avec une affectueuse condescendance, Colette cherche son identité de simple femme.

 

L'écriture relate et nourrit tout à la fois cet apprentissage de soi. Relevant aussi bien de la confidence intime que de l'essai moral, le texte est médiateur d'une conquête apaisante de la sagesse: «Il faut vieillir. Ne pleure pas, ne joue pas des doigts suppliants, ne te révolte pas: il faut vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d'un départ nécessaire...» («Rêverie de Nouvel An»). Le propos, toutefois, demeure simple et modeste. Cette oeuvre, dans laquelle l'écrivain sait mêler la mélancolie et l'humour, l'anecdote et la méditation, est riche de cette verve pittoresque et attachante dont Colette a déjà le secret.

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Le "Propos sur le Bonheur" d'Alain

12272743463?profile=original"Propos sur le bonheur" est un essai d'Alain, pseudonyme d'Émile Chartier (1868-1951), publié à Nîmes dans les Cahiers du Capricorne en avril 1925, et en volume, dans une version augmentée, à Paris chez Gallimard en 1928.

Alain commença à écrire ses premiers «propos», sous le titre de «Propos du dimanche» et «Propos du lundi» dès 1903: de Paris, il envoyait un article hebdomadaire au journal la Dépêche de Rouen et de Normandie. Il traitait les sujets d'actualité avec un grand sérieux. Puis Alain «invente» le «propos»: le 16 février 1906, dans les «Propos d'un Normand», désormais quotidiens, il laisse aller sa plume au gré de ses humeurs. Alain est alors un Normand, au propre et au figuré: originaire de Normandie, il incarne l'homme de bon sens par définition. Le «propos» renvoie à la tradition de l'essai selon Montaigne, où le «sage» s'analyse et exerce sa pensée en toute lucidité. De 1906 à 1936, les «propos» s'imposeront comme une sorte de commentaire, à chaud, de l'actualité politique: les «Propos d'un Normand» (16 février 1906-1er septembre 1914) furent suivis, après la guerre et une interruption due à la «tyrannie de l'opinion», par les Propos (d'avril 1921 à février 1927), puis les Libres Propos (de mars 1927 à septembre 1935) et les Feuilles libres (1935-1936). Certains seront réunis par thème et publiés en volumes: Propos sur la littérature, Propos sur l'éducation, Propos sur l'économique, etc. Dans ses textes, Alain exprime des opinions inspirées du radicalisme et dénonce les errements extrémistes des militaires et des politiques. Il lance aussi l'anathème sur le freudisme, qui ôte à l'individu toute liberté en prétendant le réduire à ses pulsions.


Nous nous irritons, nous nous agitons: preuve que nous méconnaissons les causes de notre mal-être. Or, tout est une question de tempérament. Si notre corps souffre, la dépression nous guette. Peu importent les motifs que nous pouvons avoir d'être malheureux: adoptons une vision positive des choses. Il faut vouloir le bonheur et non pas se laisser travailler par la peur de l'avenir. Ne laissons donc pas notre imagination errer, et alimenter sans cause nos appréhensions: rien ne perturbe davantage la santé physique et morale. Ne nous complaisons pas dans la tristesse. Oublions nos angoisses en identifiant leurs facteurs physiologiques, faisons du sport et pallions l'ennui mortifère en nous distrayant. N'accusons pas le sort: soyons lucide, rien ne nous détermine sinon notre propre nature et nous pouvons la transformer. Faisons de notre inquiétude le moteur de notre progrès et ne cessons d'oeuvrer pour notre félicité. Nous trouverons alors notre bonheur non dans une satisfaction illusoire mais, à chaque instant, dans l'action. Une fois en paix avec nous-mêmes, adoptons l'art de vivre que nous dictent la politesse et le respect d'autrui, sans nous laisser influencer par la rhétorique chère aux prêtres et aux poètes. Le bonheur est un devoir social qui se cultive grâce à un art de vivre bien entendu.


Les «propos» apparaissent comme des billets d'humeur où l'auteur exprime ses partis pris sur le ton de la conversation. D'une part, le «propos» se définit donc comme un essai libre de toute contention rhétorique, un fragment d'une «imprécision calculée» (Samuel de Sacy). D'autre part, il se veut le procès-verbal d'une réflexion consciente sur son être. Cette double caractéristique en fait le moyen privilégié de traduire une morale ou, plus précisément, un art de vivre. Il ne s'agit pas, pour Alain, d'imposer une norme mais de forger un instrument menant à la connaissance de soi. Dans les Propos sur le bonheur, Alain ramène toutes les angoisses à des troubles physiologiques. Qu'est-ce que le bonheur? Impossible à définir, jamais acquis, il vient d'une disposition de l'esprit, proche de la vertu antique, de la force d'âme virile. Comment forger cette aptitude au bonheur? Pour Alain, d'abord, il convient de se connaître soi-même, puis de cultiver, envers ses semblables, la politesse consistant à bannir des conversations tout motif d'inquiétude. Alain développe donc une philosophie de l'action: le bonheur est à conquérir, ici et maintenant. Quant à l'imagination, la folle du logis, elle fait extravaguer l'homme; elle l'incite à se projeter dans le passé ou l'avenir. De l'action conjuguée de la douleur physique et des délires imaginaires naît la métaphysique, qui se complaît dans la souffrance. Or l'inquiétude ne peut constituer qu'un aiguillon dans la chasse au bonheur. Puisant ses sources chez les stoïciens, Platon, Descartes et Spinoza, Alain incite l'homme à se détacher de ses passions et à les considérer comme extérieures au moi. Thèse évidemment peu compatible avec celles, contemporaines, du docteur Freud.

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administrateur théâtres

    La joute picturale, l’avez-vous vue ?  « Red » de John Logan au Public

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Nous n’avions pas une envie folle  d’aller écouter des acteurs gloser sur l’art et ses valeurs, marchandes ou non. Nous sommes entrés dans la salle, sceptiques et sommes revenus  estomaqués.  Le décor sombre d’un atelier de peintre dans ce qui semble être un entresol, imperméable à la lumière n’avait rien pour plaire. Ni la baignoire sur pattes qui rappelle furieusement Marat à son dernier soupir. Il n’y avait pas l’ombre d’une atmosphère un peu  bohême. Le rire, le bien, le confort proscrits, d’entrée de jeu.

Puis c’est  le  déchaînement de deux acteurs aussi éblouissants l’un que l’autre:  PATRICK DESCAMPS et ITSIK ELBAZ. Un déferlement d’énergie pure. Celle du rouge qui va du pavot à la coccinelle, en passant par la Ferrari, le sang séché et un baiser d’amour. Les deux comédiens en scène sont de véritables forces de la nature. L’une avouée, l’autre en devenir. L’un, bien qu’il s’en défende férocement :  un père adoptif, grand frère, psy, professeur, rabbin, mentor et incorrigible misanthrope. L’autre :  un orphelin, chien perdu sans collier, patient qui s’ignore, jeune assistant qui a tout de l’esclave, élève fiévreux d’apprendre, respectueux apprenti  en brassage et épandage de couleurs sublimes.12272791258?profile=original

Que voit-il exactement dans la radiance mystérieuse des toiles de Rothkowitz ? L’élève doit se laisser envahir ! « Sois humain une fois dans ta vie ! » lui assène le maître qui  le harcèle de questions titanesques, le pousse dans ses moindres  retranchements,  fait éclater toutes les barrières  des conventions,  jusqu’à ce qu’il explose lui-même  dans une déflagration dévastatrice. Créatrice ?  

« L’art est le seul accès au cœur de la souffrance humaine » déclare Rothko.  En désaccord  avec ses contemporains et le mouvement cubiste, Rothko-la rupture,  l’iconoclaste de l’encombrement de  la société moderne, croit aux valeurs sûres, Rembrandt, Van Gogh, les tout  grands maîtres. Caravage illumine ses tableaux de l’intérieur. Prône le travail acharné,  la douleur de l’enfantement artistique. Usant de tout un arsenal verbal haut en couleurs, il confond le jeune gringalet pour  son manque de culture  littéraire, musicale,  philosophique, théologique, mythologique,  poétique. En appelle à Platon, engage une bataille féroce entre Dionysos  et Apollon. « Notre tragédie est de ne jamais atteindre l’équilibre ». Ne supporte pas la nature et sa  lumière. Condamne  Le Bien et le Rire.  Il prône la contemplation presque mystique d’une œuvre, rêve d’exposer sa nouvelle série abstraite telle une fresque vibrante dans un mythique restaurant futuriste « les quatre saisons » que l’on visiterait comme une chapelle. Et que l’on écouterait comme une symphonie.

Le dernier coup porté est un coup de pied au derrière qui lance sur orbite  l’élève devenu son bouillant adversaire,  prêt à dévorer la vie, dans l’énergie créatrice. Tandis que le Rouge, lieu de toutes les pulsions vitales  est lentement avalé par le Noir, la pire crainte du maître. Et le rideau tombe. Sur un spectacle démentiel, inoubliable et extraordinaire.

 

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Joute picturale

de JOHN LOGAN / Traduction d'Alexia Périmony avec la collaboration de Christopher Hampton
Mise en scène: MICHEL KACENELENBOGEN

avec PATRICK DESCAMPS et ITSIK ELBAZ

DU 20/01/12 AU 03/03/12

 

Le superbe dossier pédagogique : http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=289&type=1

 

 

 

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