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Les fêtes galantes


La Chaconne d'Arlequin de Lully

C'est un recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Lemerre en 1869. Certains poèmes avaient été auparavant publiés dans diverses revues: "Clair de lune", sous le titre de "Fêtes galantes", et "Mandoline", sous le titre de "Trumeau", dans la Gazette rimée du 20 février 1867; "A la promenade", "Dans la grotte", "les Ingénus", "A Clymène", "En sourdine", "Colloque sentimental" dans l'Artiste, le 1er juillet 1868, sous le titre collectif de "Nouvelles Fêtes galantes"; "Cortège" et "l'Amour par terre" dans la même revue, en mars 1869, sous le titre "Poésie".

 

Verlaine compose les Fêtes galantes dans les années 1866-1868, c'est-à-dire juste après la publication des Poèmes saturniens. Tout comme le précédent, ce recueil, édité à compte d'auteur, n'éveille aucun écho. Rimbaud le lit toutefois à Charleville et écrit à Georges Izambard, le 25 août 1870: "J'ai les Fêtes galantes [...]. C'est fort bizarre, très drôle; mais vraiment, c'est adorable."

 

Le recueil comprend vingt-deux poèmes de formes diverses mais tous divisés en strophes identiques, à l'exception de "l'Allée" (constitué d'un ensemble continu de quatorze alexandrins aux rimes croisées) et de "Lettre" (poème aux rimes plates composé de cinq strophes d'inégale longueur). Les titres de certains textes suggèrent, de même que celui du recueil, une atmosphère festive, par le biais d'activités, d'objets ou de personnages associés au divertissement: "Pantomime", "Cortège", "Fantoche", "Mandoline", "Colombine". Dans l'univers des Fêtes galantes règnent l'oisiveté et les plaisirs: "A la promenade", "En patinant", "En bateau", "les Indolents". Un "paysage choisi" ("Clair de lune"), soigneusement policé et artistement agencé - voir aussi "l'Allée", "Dans la grotte" - sert de cadre à ces "fêtes", "galantes" dans la mesure où - des titres tels que "Cythère", "l'Amour par terre" ou "Colloque sentimental" en témoignent - elles sont dominées par les jeux du désir et la quête du plaisir amoureux.

 

Inspiré des peintures de Watteau et de Fragonard, l'univers des Fêtes galantes rappelle, tant par ses personnages que par ses décors, celui d'un XVIIIe siècle sensuel, spirituel, libertin, ironique, élégant, désinvolte. La nature est domestiquée en parcs - pourvus d'avenues, de boulingrins, de bassins, de grottes, de pavillons et de statues - dans lesquels évoluent des figures dont les noms conventionnels évoquent les jeux de la Préciosité, par exemple Clitandre dans "Pantomime", Clymène dans "Dans la grotte" et "A Clymène", Atys, Églé et Chloris dans "En bateau", ou Tircis et Aminte dans "Mandoline".

 

Le corps est mis en représentation, paré avec artifice, grâce à des masques ("Clair de lune") ou à une mouche qui "ravive l'éclat [...] de l'oeil" ("l'Allée"). Vêtements et parures sont somptueux, destinés à solliciter les regards et à aiguiser les désirs: "Les hauts talons luttaient avec les longues jupes, / En sorte que, selon le terrain et le vent, / Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent / Interceptés! - Et nous aimons ce jeu de dupes" ("les Ingénus"). Raffiné, tant dans ce qu'il met en scène que dans sa facture poétique, l'art verlainien se plaît, l'exemple précédent en témoigne, à de subtils rejets qui soulignent le sens, non sans humour, et confèrent au vers une musicalité particulière. Fréquemment évoquée dans le recueil car elle fait partie de l'environnement coutumier des personnages, la musique fonde aussi le charme et l'originalité de la poésie des Fêtes galantes. Ainsi "Sur l'herbe", faisant fi de toute logique, voire du langage lui-même, mime l'euphorie d'un chant suscité par l'ivresse: "- Ma flamme... - Do, mi, sol, la, si./ [...] - Messieurs, eh bien? / - Do, mi, sol. - Hé! bonsoir, la Lune!" Ailleurs, ce sont la variété, le caractère inhabituel et la brièveté des mètres, cette dernière entraînant un retour rapide de la rime et de nombreux rejets, qui engendrent une mélodie inédite et typiquement verlainienne: "Arlequin aussi / Cet aigrefin si / Fantasque / Aux costumes fous, / Ses yeux luisant sous / Son masque" ("Colombin"). L'utilisation fréquente de l'assonance et de l'allitération contribue également à la musicalité, souvent ludique, du vers: "Et filons! - et bientôt Fanchon / Nous fleurira - quoi qu'on caquette!" ("En patinant").

 

Le comportement des personnages qui peuplent les Fêtes galantes est codé et étudié ("Avec mille façons et mille afféteries", "l'Allée"). Le paraître est savamment orchestré et appelle un décryptage sur ce théâtre - nombreuses sont d'ailleurs les références aux personnages de la commedia dell'arte - du badinage érotique: "On est puni par un regard très sec, / Lequel contraste, au demeurant, avec / La moue assez clémente de la bouche" ("A la promenade"). Toujours teinté d'un léger humour - ainsi, "un baiser sur l'extrême phalange / Du petit doigt" est une chose "immensément excessive et farouche" dans "A la promenade" -, le marivaudage se fait parfois plus audacieux, sinon parodique, par exemple lorsqu'une belle, "gantée avec art" et drapée dans sa "lourde robe" attire l'"insolent suffrage", c'est-à-dire attise le brûlant et sauvage désir de ses compagnons familiers, un singe et un négrillon. Dans "les Coquillages", le jeu de la métaphore précieuse, qui associe les coquillages d'une grotte à diverses parties du corps de l'amante, se termine par une chute où se mêlent humour, galanterie et érotisme: "Mais un, entre autres, me troubla."

 

La fantaisie du recueil, son aspect badin, voire anodin, ne sauraient masquer la présence d'une tristesse qui y imprime comme un voile permanent. Ainsi, le premier poème invite déjà à repérer un décalage ou une discordance au sein de la voix qui chante, à percevoir une détresse exprimée en sourdine derrière l'apparence: "Tout en chantant sur le mode mineur / L'amour vainqueur et la vie opportune, / Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur / Et leur chanson se mêle au clair de lune" ("Clair de lune"). Certes, l'amour et le bonheur sont offerts mais leur appropriation ne s'effectue pas pleinement. Toujours balancée au rythme d'un "souffle berceur" ("En sourdine"), soumise à des principes contradictoires et traduite volontiers par des images oxymoriques, l'expérience verlainienne ressemble à ces jets d'eau que l'on voit "sangloter d'extase" dès le poème initial.

 

Le plaisir est inséparable d'une mélancolie inspirée sans doute par la conscience du caractère provisoire et périssable de toute chose. Ainsi le décor même des Fêtes galantes paraît parfois fragile, menacé. Dans "A la promenade", par exemple, les adjectifs confèrent avec insistance au décor une inquiétante précarité - "Le ciel si pâle et les arbres si grêles" - qui le porte au bord de l'évanescence. Les derniers poèmes des Fêtes galantes confirment et aggravent cette impression d'angoisse, sensible dès "Clair de lune" et perceptible dans divers autres textes. L'"exquise mort", qui consisterait, pour les amants, à mourir d'amour ensemble, est traitée, dans "les Indolents", sur un mode franchement comique; elle ne s'accomplit pas puisque les protagonistes "Eurent l'inexpiable tort / D'ajourner une exquise mort. / Hi! hi! hi! les amants bizarres." Ce poème, iconoclaste en ce qu'il désacralise le sentiment, semble préfigurer "l'Amour par terre" qui dit peu après, sur un mode grave, la destruction de l'Amour dont "le vent de l'autre nuit a jeté bas" la statue: l'exclamation "Oh! c'est triste!" vient à deux reprises souligner le caractère douloureux du spectacle. Cette fois, le rire n'est plus de mise et tout se passe comme si l'univers des Fêtes galantes, un moment surgi du néant, des temps anciens et de l'imagination du poète, s'abolissait à tout jamais. Dans le dernier poème, "Colloque sentimental", le parc est désormais "solitaire et glacé". Les personnages ne sont plus que "deux formes" fantomatiques, "deux spectres": "Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, / Et l'on entend à peine leurs paroles." Le recueil choisit de se clore sur cette parole qui s'anéantit et sur une note désespérée: "L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir." La magie et les mirages des Fêtes galantes ne sauraient masquer, dans la poésie de Verlaine, la "voix [du] désespoir" ("En sourdine").

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Commentaires

  • Merci de remettre en valeur ce recueil. De mon père, mort avant ma naissance, j'ai recueilli 3 recueils de Verlaine, "Les fleurs du Mal" et "Toi et moi" de Paul Géraldy... Les deux premiers m'ont marqué!

  • Une analyse magnifique d'un recueil que nombre d'entre-nous se gaussent pourtant de bien connaitre...

    Merci et chapeau bas pour une telle érudition ! Tout y est à sa place, dans le moindre détail !!!

    Juste une omission d'ordre musical : l'influence du recueil sur nos chers compositeurs, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Renaldo Hahn, Maurice Ravel, j'en passe et des meilleurs !

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