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Vincent Van Gogh, terrasse de café le soir à Arles

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Cette célèbre toile de Vincent Van Gogh "représente" la terrasse d'un café, un soir d'été, à Arles.

Le peintre s'est placé perpendiculairement à la terrasse (et non en face), ce qui lui a permis de créer un effet de profondeur et d'enrichir sa toile d'un grand nombre d'éléments, en perspective : un cheval tirant un fiacre avec ses lanternes allumées, le ciel avec des étoiles en forme de fleurs, les maisons, la rue avec ses pavés, des personnages attablés, d'autres, dans la rue, un homme et une femme qui semblent converser, un balcon, l'embrasure d'une porte au premier plan à gauche, la frondaison d'un arbre, à droite.

Le store et les murs du café, éclairés par une lampe à gaz,  sont comme revêtus d'une substance précieuse. On pense à la vue de Delft de Vermeer et au "petit pan de mur jaune" que contemple Bergotte dans "La Recherche du temps perdu".

Les pavés eux-mêmes sont colorés et semblent refléter la lumière qui émane du café et des étoiles ; ils semblent même réverbérer le bleu du ciel nocturne. On y voit toutes les couleurs et les nuances de l'ensemble de la toile. On peut parler de métonymie (la partie pour le tout). Tout est déjà, mais rien n'est encore, nous cheminons sur des pavés disjoints, entre la tristesse et l'extase, la naissance et la mort, au seuil d'un mystère qui nous dépasse. Ces pavés cernés de noir préfigurent l'art abstrait. On les retrouve dans une toile de Paul Klee.

La silhouette blanche, étrangement allongée du garçon de café dans le trois quart inférieur de la toile retient particulièrement le regard. On a le sentiment que tout s'organise autour de cette silhouette. Roland Barthes parlerait du "punctum".

Mais ce garçon de café n'est ni le Christ, ni un ange ; Van Gogh communique un sentiment "mystique", paisible et joyeux, non en peignant un sujet "religieux", mais  à travers une scène de la vie quotidienne.

Tous les éléments de la création sont présents dans cette toile : le monde minéral (les pavés), végétal (la frondaison de l'arbre, les étoiles en forme de fleurs qui font penser au vers de Stéphane Mallarmé "Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées"), animal (le cheval), humain et céleste. Ces éléments sont en profonde harmonie les uns avec les autres.

Le bleu (saphir) et le jaune (d'or) couleurs primaires complémentaires, sont les couleurs dominantes. Il y a également des touches de vert absinthe, (en particulier sur le mur du café et ce n'est sans doute pas un hasard), de vert émeraude, de mauve et de noir. L'embrasure de la porte est de la même couleur que le ciel : bleu saphir et le sol de la terrasse est rouge orangé (la chaleur humaine). Le bleu saphir symbolise le mystère le plus profond, l'amour divin (il n'est d'ailleurs pas tout à fait approprié de dire que les couleurs symbolisent, elles "incarnent") ; nous ne savons pas ce qu'il y a "derrière" cette porte. Il en filtre un peu de cette lueur dorée (la joie parfaite ?) que l'on retrouve sur le mur du café. Le peintre a placé son chevalet près de cette porte. Être homme, c'est se tenir au seuil du mystère.
 
Pour peindre le ciel, le peintre a utilisé plusieurs nuances de bleu, du bleu clair au bleu marine (on parle de "camaïeu"). Ce ciel est à la fois "le ciel qu'on voit" et celui qu'ont découvert les astronomes dans leurs télescopes. On y voit s'y dessiner des galaxies, des trous noirs, des naines blanches, des amas d'étoiles... on y pressent une profondeur infinie. Le ciel révélé par la science est encore plus mystérieux aux yeux de l'artiste. La science ne dissipe pas le mystère, elle le renforce. Ce ciel n'est pas celui de Pascal ("Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie") et n'a rien d'effrayant  ; il est à la fois mystérieux et  familier. C'est aussi le ciel vu par un enfant, un "primitif" : deux étoiles dessinent des yeux, on devine une forme humaine ou angélique à la verticale du garçon de café, les étoiles, on l'a dit, ressemblent à des bouquets de fleurs, mais ce peut être le fruit du hasard, d'une interprétation subjective.
 
L'artiste ne peut se détacher de son époque, il en vit intensément les doutes, les interrogations et les tourments. Si la question de Dieu est au cœur de son œuvre et de sa vie (on sait que le peintre se destinait à la prédication), Van Gogh, contemporain de Nietzsche, sait bien qu'on ne peut plus l'aborder "comme avant". Le génie (Bach, Mozart, Van Gogh...) s'aventure, armé de sincérité, dans l'espace infini qui sépare le signifiant du Signifié, le verbe du Verbe.
 
Un "mystère familier" : "Une odeur de mûres traîne au fond des galaxies.", dit magnifiquement Jean Mambrino.

Des étoiles qui ressemblent à des fleurs, un mur recouvert d'or, des pavés semblables à des pierres précieuses... On reconnaît la figure poétique par excellence de la poésie : la métaphore. La toile de Vincent Van Gogh est une "transfiguration" du monde. "Transfigurer" (le contraire de "défigurer") ne veut pas dire "transformer", embellir, mais révéler, dévoiler. "C'est ainsi que je vois le monde, pourrait nous dire Vincent, c'est ainsi qu'il est vraiment et c'est ainsi que vous le verriez si vous preniez la peine de le regarder avec les yeux du coeur, de l'habiter en poètes (Hölderlin) et non en prédateurs et en blasés."

Dans "Les Portes de la perception", Aldous Huxley se demande si certains artistes comme Van Gogh et certains mystiques n'auraient pas le don naturel de percevoir les choses telles qu'elles sont, d'accéder naturellement (et non, comme le fait Huxley, en absorbant de la mescaline) à ce que les bouddhistes appellent "Sat Chit Ananda" (la félicité de l'avoir conscience), et la mystique rhénane "l'Istigkeit", expression dont maître Eckart aimait à se servir pour définir l'Etre. Cette expérience se caractérise, selon Huxley par un rehaussement des couleurs, une perception particulière du temps et de l'espace et quelque chose d'ineffable qu'il nomme, faute de mieux, "vision de béatitude", "grâce et transfiguration", "présence sacramentelle de la beauté". "Si les portes de la perception étaient nettoyées, disait le peintre et dessinateur anglais William Blake, toute chose apparaîtrait telle qu'elle est."

Le peintre a planté son chevalet en plein air, ici en pleine ville, comme il le fait aussi en plein champs.

Ce qui caractérise la peinture de Van Gogh et celle des Impressionnistes en général est le délaissement des sujets mythologiques ou religieux, des "natures mortes", de la peinture d'atelier  au profit de la peinture "en plein air" au contact de la nature et de la lumière naturelle dont l'artiste s'efforce de capter les nuances changeantes, l'emploi de couleurs pures, le choix de sujets profanes, extraits de la vie quotidienne dont l'artiste magnifie (ou plus exactement "rend visibles") le mystère et la beauté.

L'artiste vraiment créateur, ne se contente pas "d'imiter la nature" (Aristote) ; c'est pourquoi le verbe représenter ("cette toile représente une terrasse de café à Arles, en été, la nuit...") n'est pas adéquat.

Vincent Van Gogh n'a pas "représenté" une terrasse de café, il a rendu visible un étonnement joyeux, une secrète espérance, la nuit transfigurée.
 
 
Apparition 
 
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.
- C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un Rêve au coeur qui l'a cueilli.
J'errais donc, l'oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.
 
 Stéphane Mallarmé
 
 


Ravel - Piano Concerto in G major - Argerich... par PaGoO

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Commentaires

  • Elle existe toujours la terrasse, je l'ai photographiée il y a quelques années  et elle est d'autant plus chaleureuse que le regard de Vinvent l'a magnifiée en l'immortalisant.

    Merci pour ce commentaire, pour la poésie de Mallarmé et la musique, j'ai passé un moment parfait! Ce n'est pas si fréquent

    Jacqueline

  • Merci pour cette analyse  d' une grande sensibilité

    Le poète voit ce que les autres ne font que regarder

    Arlette

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