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Lui

Je sais que tu navigues


aux ras des océans,


là où les vagues


ont des rondeurs de femmes.


Là où la houle


te berce comme mère


son enfant.


Je sais que tu les frôles


comme un amant


approche son premier baiser.



Je sais que tu caresses


les âmes des marins enfouis,


qui chuchotent aux sirènes


que tu n’es pas parti.


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L'histoire dans l'histoire

L’histoire se cache dans l’histoire et le temps dans le temps.Le projectionniste a interverti les bobines et le film, défilant jusqu’au bout de l’ennui dans la salle obscure de notre vie, n’a pas de sens précis. A vrai dire, il va dans tous les sens et manque à coup sûr de bon sens.Recommençons. L’histoire est dans l’histoire comme la fenêtre est dans le mur. La lumière est dans la fenêtre, encadrée par un châssis de paradoxes. La lumière est aussi dans le feu qui brûle au milieu des ombres, consumant les bûches jusqu’à la lie, n’y laissant qu’un petit soupir rougeoyant dans son tas de cendres. Le dernier petit soupir de l’amour qui s’étouffe au premier bâillement du jour.Recommençons. L’histoire est dans l’histoire. La pierre est dans le mur. Dans le cœur de la pierre vivent de lourds secrets, enchâssés dans l’attente d’un improbable désenvoûtement. Les secrets sont figés dans la façade aveugle, lavés et délavés par la pluie, par l’oubli des générations qui se succèdent, qui s’emboîtent l’une dans l’autre comme les histoires dans les histoires. Les secrets aussi, on les oublie. Et puis un jour, quand ils renaissent, on est surpris.L’histoire est dans l’histoire mais peu à peu elle se délie et vit sa propre vie. Pour être entendue, elle crie. Elle crie aux vents par tous les temps, de l’imparfait au subjonctif. C’est une histoire absolument incroyable, un vrai tissu de mensonges, mais qu’importe, c’est un conte, un geste, un jeu, une légende, une histoire à dormir debout, à veiller jusqu’au bout de l’espoir, à regarder mourir le dernier petit soupir du feu qui s’asphyxie dans ses cendres. C’est une histoire à en pleurer, comme toutes les histoires humaines, il faut l’entendre pour la croire, il faut la vivre, elle ne se termine pas très bien mais tant pis, elle vaut la peine d’être entendue. Ou lue. Elle est sertie dans les murs des maisons où elle a vécu. Si vous passez dans la rue, la nuit, peut-être ressortira-t-elle, comme la vérité du puits, suintant des murs noirs, des murs gris, et s’inscrivant en clair sur la façade, en prose ou en poésie.Quand elle en aura fini, quand vous la connaîtrez par tête, elle réintègrera l’histoire, l’histoire même qu’elle a quittée pour venir vous manger le cœur, pour vous désapprendre à grandir ou pour s’empêcher de mourir.L’histoire est dans l’histoire et la lumière est dans la nuit. Le temps est hors du temps, hors de la vie.Recommençons.2009-2010.
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La « Poétique » d’Aristote fut écrite vers 344 avant J.-C. et il ne nous en est parvenu qu'un fragment. L'expression grecque "poiesis" embrasse un domaine plus vaste que notre "poésie": elle s'applique à toute la création artistique en général, conçue, selon la tradition réaliste grecque, comme une imitation de la réalité sensible. Mais une difficulté surgit alors: celle de concevoir l'art comme une valeur spirituelle, c'est-à-dire renfermant une valeur idéale.

Platon, dans "La République", avait nié la spiritualité de l' art; dans "Ion", il avait défini l'art comme le produit mystérieux d'une sorte de délire, d'une folie d'origine divine. Sa conception métaphysique permet à Aristote de lever le doute platonicien sur la nature de l'art: la "forme" étant d'après lui immanente à l'objet, même une imitation de la réalité sensible peut posséder une signification spirituelle, du moment qu'elle tend à exprimer l'aspect formel de cette réalité; or tel est précisément le caractère de l'imitation artistique. Ayant ainsi défini le concept de "poiesis", Aristote établit une distinction entre les genres considérés en général: "l' épopée et le poème tragique, comme aussi la comédie, le dithyrambe et, pour la plus grande partie, le jeu de la flûte et le jeu de la cithare, sont tous, d'une manière générale, des imitations; mais ils diffèrent entre eux de trois façons: ou ils imitent par des moyens différents, ou ils imitent des choses différentes, ou ils imitent d'une manière différente, et non de la même manière" (1447 a). C'est ainsi que tout en discernant très clairement l'unité de l'art en tant que tel, Aristote pose le problème des genres d'un point de vue technique et empirique. La majeure partie du long fragment qui nous est parvenu est consacré à la tragédie et à l'épopée, qu' Aristote, avec tous les Grecs, considérait comme l'art par excellence, et à la comédie. Les trois éléments

fondamentaux de la poésie: la tendance à l'imitation (soeur de cette soif de connaître qui produit les sciences), l' harmonie et le rythme sont innés dans l'homme; ils ont donné naissance à l' épopée et, par l'introduction du

dialogue, à la tragédie et à la comédie. Six éléments caractérisent la tragédie: l' intrigue, les caractères, le style, le spectacle, la musique. De tous, le plus important est l'intrigue qui, imitant la réalité, est le seul

objet propre de l'art poétique; c'est donc à elle qu'Aristote consacre surtout son attention. L' imitation, on l'a vu, est une réalité spirituelle dans la mesure où elle s'applique à "la forme": or, comme la forme est l'élément

proprement rationnel de l' expérience, toute l'analyse aristotélicienne de l'intrigue se déroule sur le plan strictement rationnel. Ce qui possède une forme est un Tout, c'est-à-dire une chose qui a un commencement, un milieu et une fin; une totalité finie et séparée des autres. De plus, "le bel animal et toute belle chose composée de parties supposent non seulement de l'ordre dans ces parties, mais encore une étendue qui n'est pas n'importe laquelle, car la beauté réside dans l'étendue et dans l'ordre" (1450 b); le principe de la limitation des dimensions et de l'harmonie d'une oeuvre d'art est la première loi de la Poétique aristotélicienne; les événements doivent se suivre avec vraisemblance et nécessité, de manière à former un tout harmonieux et cohérent. La seconde loi est celle de l' "unité", dont les théoriciens de la Renaissance et de l'époque classique déduisirent, d'une manière assez arbitraire, les célèbres règles de l' unité de temps, de lieu et d' action.

C'est dans l'unité que se trouve la différence fondamentale entre narration poétique et narration historique; alors que celle-ci est une suite empirique d'événements contingents, l'autre résulte d'un choix élevé d'événements significatifs rattachés les uns aux autres par le lien d'une nécessité absolue, de manière à former un enchaînement tel qu'en changeant une partie de place, ou en la supprimant, on en vienne à changer de place, ou en la supprimant, on en vienne à changer ou à boulverser l'ordre général. C'est une

conséquence du fait que "la poésie est plus philosophique et d'un caractère plus élevé que l' histoire; car la poésie raconte plutôt le général, l'histoire, le particulier" (1451 b); l'histoire expose ce qui est, la poésie

ce qui devrait être. Quand à sa valeur morale et éducative, il n'est pas vrai que la tragédie suscite et attise les passions, comme le croyait Platon; étant donné leur reproduction objective sous une forme universelle, elle en provoque au contraire la "catharsis" ou purification: idée par laquelle Aristote annonce la théorie de la nature objective et désintéressée des sentimens esthétiques qui, ébauchée par saint Augustin, sera développée par Kant. La division de la tragédie en différentes parties (aujourd'hui on dirait "actes") ne présente désormais qu'un intérêt médiocre; elle est moins importante à nos yeux que la théorie des caractères, où l'on retrouve également les lois de la vraisemblance et de la nécessité (cohérence). Les considérations qui suivent ont trait à la métrique, à la stylistique et à la rhétorique. Le fragment s'interrompt au début de l'exposé sur l' épopée, qui ne fait en substance que répéter ce que l'auteur avait déjà dit au sujet de la tragédie. L'importance historique de cet ouvrage a été immense: on peut le considérer comme le "manifeste" du classicisme ou du rationalisme esthétique de toutes les époques: l' art est une imitation de la beauté, considérée comme l'aspect formel, idéal de la réalité sensible.

Dans l'antiquité, la "Poétique" d'Aristote inspira l' "Art poétique" d' Horace (par endroits presque calqué sur elle). Au moyen âge, Averroès la paraphrasa et la commenta et Hermann l'Allemand donna, en 1265, une version latine de ce commentaire. Mais, d'une manière générale, les théories esthétiques d'Aristote n'exercèrent au moyen âge aucune influence. Elles n'en eurent pas davantage auprès des humanistes qui étaient essentiellement des platoniciens, ni auprès des philosophes et des artistes de la première moitié du XVe siècle.

En revanche, à partir de la seconde moitié de ce siècle, la "Poétique" d'Aristote exerça sur la pensée critique et esthétique une influence décisive. C'est à l' humaniste italien Francesco Robertelli (ou Robertello, 1516-1567), professeur à l' Université de Pise, qu'on doit la première interprétation de l'oeuvre d' Aristote. L'ouvrage de Robertelli, intitulé "Commentaire au livre d'Aristote sur l'Art poétique", publié à Florence en 1548, comprend la traduction latine du texte d' Aristote et une série de gloses sur chaque passage. Se fondant sur la doctrine du philosophe grec, Robertelli reconstruit les lois générales qui régissaient les oeuvres d'art de l' antiquité et formule, à son tour, un certain nombre de règles auxquelles les artistes modernes doivent selon lui se conformer. Un des points les plus intéressants soulevés par Robertelli a trait à la nature de la tragédie. Celle-ci est en effet une représentation vigoureuse des passions, y compris les plus malfaisantes. Un tel spectacle n'est-il pas capable d'entraîner vers le mal les esprits de ceux qui le contemplent? Et Robertelli de rappeler ici la notion de la "catharsis" qu'on trouve chez Aristote, et en particulier ce qu'il dit au sujet de la tragédie qui, "par la pitié et la terreur, libère l'homme de tels sentiments". Cette définition devait soulever d'innombrables discussions pendant toute la Renaissance et devenir un des canons littéraires de la Contre-Réforme catholique. Traitant ensuite de l' épopée, Robertelli conclut à la valeur philosophique de la poésie; en raison de sa valeur universelle, elle touche à la vérité de bien plus près que l'histoire. Les principes de la "Poétique" aristotélicienne, détachés de leur application concrète à la littérature et notamment à la tragédie grecque, acquièrent ainsi la valeur de règles applicables à l'art de toutes les époques. D'autre part, si Robertelli témoigne, en raison de sa formation rhétorique, d'un certain penchant pour les beautés purement formelles de l'oeuvre d'art et pour le plaisir qu'elles procurent, son livre annonce déjà le moralisme rigide de la Contre-Réforme. L'art poétique sera désormais considéré comme un guide pour l'artiste, et ses préceptes comme des règles universelles, antérieures à la création artistique elle-même.

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La conférence « Le principe de la poésie » fut prononcée à Richmond en 1849 par Edgar Allan Poe Elle est ordinairement considérée comme la charte de la poésie pure. Baudelaire l'avait lue, mais ne l'avait pas traduite: il l'utilisa largement sans la citer, dans les notices qu'il consacra au poète américain. En cette conférence, Poe expose sa pensée théorique. Il se propose de rechercher en quoi réside essentiellement ce que nous appelons Poésie. Il dégage quelques lois qui lui paraissent essentielles: le poème doit élever l' âme jusqu'au sublime. Il doit être court, car l'excitation poétique ne peut être que brève. Toutefois, la brièveté ne doit pas être exagérée. La poésie et la vérité ne se peuvent concilier, car leurs buts divergent. Le poème est en quelque sorte un organisme cohérent qui ne signifie que par lui-même. On ne peut le juger par l' intelligence, ni en fonction de la morale. Il n'est gouverné que par le goût, ou par le sens du Beau. Le sens du Beau est irrépressible et signe de notre divinité dans le monde. En une certaine mesure, poésie et musique poursuivent les mêmes buts: "La poésie est la création rythmique de la Beauté". La Beauté ne peut être enfin séparée d'une certaine atmosphère morbide qui la justifie: elle se manifeste par une exitation de l' âme qui convie celle-ci à se surmonter. Le thème le plus pur que puisse traiter un poète est l' Amour et la Femme. La logique à la fois glacée et passionnée de cette conférence, a profondément marqué la pensée baudelairienne et, à sa suite, celle de Mallarmé et de Valéry. L'idée principale qui en a été retenue est celle de l'autonomie de l' art: un oeuvre ne doit avoir d'autre projet qu'elle-même, elle doit être à elle-même sa propre fin. Sans doute, peut-on voir en cette conférence une défense et illustration de la théorie de "l' art pour l' art". Mais elle dépasse finalement ces conceptions et se distingue aussi bien des idées d'un Gautier et d'un Banville que de celles des Parnassiens. Sans doute, l'auteur a-t-il exagéré le dogmatisme de sa pensée, au point que l'on a pu soupçonner dans ce texte, ainsi que dans son essai sur "La genèse d'un poème", une plaisanterie de lettré: "Le corbeau" en effet ne fut pas composé selon les normes que l'auteur indique dans ce dernier essai, mais bien l'essai à partir d'une réflexion sur le poème. Les trois études "théoriques" de Poe (la troisième étant "L'essence du vers") ont entre elles un lien indiscutable. Leur importance et leur nouveauté résident en la présence constante qui est exigée du poète, à chaque instant de la création.

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La métaphysique du premier théâtre de Maeterlinck (voir la Princesse Maleine, 1889; les Aveugles, 1890; Pelléas et Mélisande, 1892) supposait un monde hostile à l'homme. Le destin, essentiel protagoniste de ce théâtre, était le seul Dieu de l' "incroyant" Maeterlinck. Or, celui-ci, dans ses essais, s'appliquera au contraire à réduire l'empire de la fatalité, à dépister tout ce qui décourage la volonté de résistance et de lutte des hommes. Le mal qu'il situait autrefois dans l'au-delà, il le voit maintenant dans la société observée à travers un univers, certes différent de celui de l'homme, mais qui s'en approche par certains aspects. Son premier acte d'hostilité contre la religion du destin, Maeterlinck le manifeste dans Sagesse et Destinée en 1898: "Nous ne voulons plus de l'étroite et basse morale des châtiments et des récompenses que nous offrent les religions positives." Il ne cessera de les multiplier par la suite.

 

Pendant cette période, Maeterlinck fut essentiellement moraliste et prédicateur. Il se reprochait de s'être trop abandonné au goût du mystère qui avait jusque-là nourri son oeuvre, et qui l'empêchait de se tourner entièrement et résolument vers les hommes et la société. Avec l'observation de la nature, il trouve un terrain de recherche adéquat qui lui permet d'assurer une transition. Ses essais La Vie des abeilles (1901) et l'Intelligence des fleurs (1907) sont à cet égard les plus personnelles des oeuvres de la seconde période. C'est là, plus que dans Monna Vanna (1902), qu'il redevient l'interprète du mystère comme il l'avait été dans son théâtre de 1889-1892. Mais cette fois-ci, Maeterlinck veut interroger l'inconnu "objectivement", à travers des destinées autres qu'humaines.

 

"Je n'ai pas l'intention d'écrire un traité d'apiculture ou de l'élevage des abeilles", annonce d'emblée Maeterlinck. De ses vingt années de fréquentation des abeilles, il entend faire un usage modeste, et "parler simplement des blondes avettes de Ronsard". En rappelant que leur histoire ne commence qu'au XVIIe siècle avec les découvertes du grand savant hollandais Swammerdam, que Réaumur démêla quelques énigmes, et que François Huber reste le maître et le classique de la science apicole, Maeterlinck ne fait que tracer les grandes lignes du savoir avant d'évoquer ses premières émotions face à une ruche. -être grégaire, l'abeille ne peut survivre qu'en respirant la multitude: "C'est à ce besoin qu'il faut remonter pour fixer l'esprit des lois de la ruche", société parfaite mais impitoyable où l'individu est entièrement absorbé par la collectivité (livre 1). Maeterlinck expose la dépendance de la reine à cet "esprit de la ruche" qui règle jour après jour le nombre des naissances, annonce à la reine sa déchéance, la force à mettre au monde ses rivales et protège celles-ci contre la haine de leur mère avant de fixer l'heure de l'essaimage, moment où une génération entière, au faîte de sa prospérité, abandonne courageusement à la génération suivante toutes ses richesses, la "cité opulente et magnifique" où elle est née (2). Non seulement ces émigrantes laissent aux milliers de filles qu'elles ne reverront pas, un énorme trésor de cire, de propolis et de pollen et des centaines de livres de miel, mais elles s'exilent vers un nouvel abri où tout est à reconstruire, et se remettent à la besogne. Pourtant, au milieu des prodiges de leur industrie et de leurs renoncements, une chose étonne: l'indifférence à la mort de leurs compagnes (3). Dans la cité mère, après le départ de l'essaim, la vie reprend et bientôt naissent les jeunes ouvrières. Les nymphes princières dorment encore dans leurs capsules; lorsque s'éveille la première jeune reine, elle part immédiatement à la recherche de ses rivales pour détruire les princesses endormies. Si la ruche décide un essaimage, les reines successives partiront accompagnées d'une bande d'ouvrières former les essaims secondaires et tertiaires. La reine vierge est capable de pondre avant même d'avoir été fécondée par le mâle, mais elle n'engendrera que des mâles impropres au travail (4). Parmi les mille prétendants possibles, la reine en choisit un seul pour "un baiser unique d'une seule minute qui le mariera à la mort en même temps qu'au bonheur". Deux jours plus tard, elle dépose ses premiers oeufs et aussitôt le peuple l'entoure de soins minutieux (5). Après la fécondation, les ouvrières tolèrent quelque temps la présence oisive des mâles mais bientôt elles se transforment en justicières et bourreaux: c'est le massacre des mâles suivi de l'hivernage (6). Pour remarquables que soient ces étonnants rayons "auxquels on ne peut rien ajouter ni retrancher, où s'unit dans une perfection égale la science du chimiste à celle du géomètre, de l'architecte et de l'ingénieur", on peut objecter qu'aucun progrès n'a marqué l'histoire des ruches. Objection rejetée par Maeterlinck: "Les abeilles vivent depuis des milliers d'années et nous les observons depuis dix ou douze lustres" (7).

 

En optant pour les insectes et les plantes, Maeterlinck se flatte d'échapper au danger de l'anthropomorphisme. Il s'agit pour lui de surprendre le secret de la nature dans un monde différent, mais qui "participe peut-être plus directement à l'énigme profonde de nos fins et de nos origines que le secret de nos passions les plus passionnées et les plus complaisamment étudiées". Pourtant, en allant chercher dans les ruches le sens des destinées humaines, il se jette dans le péril qu'il voulait précisément éviter... Ce n'est pas en scientifique que Maeterlinck étudie la vie des abeilles et, en dépit des quelques expériences conduites dans son jardin, son regard n'est pas celui de l'observateur objectif. Seul l'intéresse le mystère de cet "esprit" qui régit une société animale extrêmement élaborée, et qui lui renvoie en miroir le mystère de l'humanité, de ses origines et de son devenir. C'est dire à quel point l'anthropocentrisme est omniprésent dans la Vie des abeilles.

 

S'interroger sur l'intelligence des abeilles, lui fournit une occasion de mettre en cause celle de l'homme: "Outre qu'il est fort admissible qu'il y ait en d'autres êtres une intelligence d'une autre nature que la nôtre, et qui produise des effets très différents sans être inférieurs, sommes-nous, tout en ne sortant pas de notre petite paroisse humaine, si bons juges des choses de l'esprit?" L'édifice plein de certitudes et de sagesse de la ruche dont l'organisation générale, si minutieuse et si précise, échappe à notre entendement (qui en édicte les lois?), Maeterlinck le conçoit comme dédié à ce qu'il nomme le "dieu avenir", c'est-à-dire la volonté de se perpétuer aussi longtemps que la Terre elle-même, dans un continuel effort pour "être"; ce faisant, il projette sur la société des abeilles une force suprême qui en serait le guide et le mystérieux régisseur et que, ni chez les abeilles, ni chez les hommes, Maeterlinck l'incroyant ne nomme.

 

L'auteur évoque, fasciné, le gaspillage prodigieux auquel se livre la Nature: tant de mâles, à l'heure du vol nuptial, s'élevant vers la reine pour ne pas l'atteindre et mourir bientôt; tant de milliards d'oeufs qui se perdent, dont la vie ne sortira jamais; tant d'abnégation au travail alors que deux ou trois fleurs suffiraient à nourrir les abeilles et qu'elles en visitent deux ou trois cents par heure. Pourquoi cette surabondance, cette économie du monde qui se nourrit d'elle-même? Si Maeterlinck croit que rien dans l'univers n'est inutile, il reconnaît aussi l'éternelle propension de l'homme à l'insatisfaction et son incapacité à admettre qu'une chose puisse avoir un but en soi et se justifie par le simple fait d'exister.

 

Derrière le propos scientifique et l'observation prétendument "objective" de la nature, Maeterlinck dissimule ses doutes, ceux du philosophe qui se heurte sans cesse à la nature comme source éternelle de mystère. A une soif réelle d'observer et d'apprendre, s'ajoute la certitude que ses interrogations resteront à jamais sans réponse. Si l'observation de la nature ne lui inspire pas de réels travaux d'entomologiste, du moins lui fournit-elle l'occasion d'un véritable chef-d'oeuvre de descriptions et d'interrogations fondamentales où il est autant question de l'observant que de l'observé. A la différence des traités d'apiculture, la Vie des abeilles n'a rien à craindre des progrès de la recherche scientifique: sa vérité est celle de la poésie.

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Dea Arduina


Par l'âme qui parcourt de mes yeux entre ouverts
le livre du soleil dans le matin frileux ;
par le fauve reflet d'un chevreuil sur le vert,
les volutes fanées d'un reste de Grand feu ;

par la brume glacée des rochers à l'hiver,
l'horizon vacillant en osmose de bleu ;
par les notes poivrées de l'humus en prière,
l'arbre mort et la source, par le secret des dieux ;

par tout ce qui me lie au vibrant univers
et qui me tient debout lorsque rien ne se peut,
tout ce qui transparaît au-delà du mystère
et déchire la nuit d'un éclair fabuleux ;

par les arpèges fous de l'étrange concert
où ma terre s'entend donner à qui le peut
et veut en l'épousant dépasser la matière :
par tout cela je suis et suis un homme heureux.



Une certaine vision de l'Ardenne : visitez mon blogue
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Encrages


(à S.B.)

Et l'eau, long cours, s'en va, s'écoule, coule, là-bas vers la mer :
ruisseau, cascade, fleuve à l'hiver, étiage, berge, roselière.
Et là, mon pas, tranquille, fougère, pose ma voie sur la terre,
pose mon chant sur le miroir, reflet, mes joies, mes colères.

Passez, passons, fluides oublis, ancrés, encrés sur un fil ;
sur la tranche de maigres feuilles tracer un semblant d'utile.

J'écris à l'aube sur quelque bleu, les pleins, déliés, lumières
d'un ciel de vie, ciel d'aubépine, ta main posée sur mes vers
apaise le torrent, diamant, les grave, grave l'éphémère.
Je suis vivant, tu vis en moi, depuis, je vois et j'espère.



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Traces...


La trace qui s'éteint sur la laisse de mer :
il marchait mais encore comment s'appelait-il ?
Douze coups de chagrin déjà c'était hier,
les chiens gueulent au vent glacé de notre exil.

Griffe, quatre saisons saisissent un éclair,
rien, cheveu de printemps scintille de grésil ;
nais puisque c'est ainsi passager de la terre,
sois mais sois à la vie funambule à son fil.

Urgence d'être cri, urgence d'être chair,
urgence de donner sans attendre fût-il
insensé de donner autant que désespère
cette béance en nous de naître à l'inutile.

Puis au-delà des dieux tutoyer le désert,
balayé d'océan pressentir comme l'île
pressent que les marées sont filles de la terre,
que le regard est vain s'il ne meurt au futile.

...

Parfois la main se tend tant qu'elle vient à taire
au moins pour un instant le trait, le sillon qu'il
nous est tant à douleur de porter solitaire
la plaie s'endort alors ; traces, vous souvient-il ?



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Renaître encore !


J'impacte sur la nuit, sur l'espace moiré de mes noires marées. Là où l'autre n'existe pas. Où il n'y a pas d'excuse. La solitude, seulement, des nécropoles intérieures. Renaître encore !

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Vient de paraître
Jean-Nicolas De Surmont sera au Salon du livre de Bruxelles.
Il offrira des séances de dédicaces
au stand de Québec Édition (stand 212)
le jeudi 4 mars, entre 15 h et 16 h
le samedi 6 mars entre 11 h et 12 h.

Écrire l’histoire de la poésie vocale au Québec : le pari est de taille, et Jean-Nicolas De Surmont le relève avec brio. En montrant comment l’évolution des pratiques vocales est indissociable des changements politiques, économiques et identitaires de leur lieu d’émergence, il retrace les grandes lignes de la chanson québécoise en la rattachant à une chronologie efficace. Grâce aux ressources rassemblées par les plus grands folkloristes – pensons ici à la collection de plus de dix milles chansons de Marius Barbeau –, l’auteur de La poésie vocale et la chanson québécoise suit patiemment la voix d’une nation en pleine ébullition. Des premières vedettes (Hector Pellerin, J. Hervey Germain, Alexandre Desmarteaux) aux jeunes talents néo-traditionnels (Mes Aïeux, la Chasse-Galerie, Mauvais Sort…), Jean-Nicolas De Surmont offre un survol de l’histoire du Québec à travers ses chansonniers et ses mouvements musicaux. Ce recul, nécessaire, et cette approche novatrice permettent une meilleure compréhension des enjeux qui ont marqué le processus identitaire québécois.

Jean-Nicolas De Surmont est membre de l’équipe Popular Cultures Research Network de l’Université de Leeds (Royaume-Uni). Il s’intéresse à la métalexicographie et aux réseaux hypertextuels, ainsi qu’à la poésie vocale québécoise. Il est l’auteur de plus d’une centaine d’articles et comptes-rendus publiés dans une vingtaine de pays. Titulaire d’un doctorat portant sur l’ingénierie lexicale, il est actif comme enseignant et conférencier dans plusieurs domaines notamment la terminologie, la lexicographie et la chanson. Polyglotte, il a en outre suivi des cours de chant et joue plusieurs instruments de musique.

Table des matières

Remerciements

Introduction

Chanson signée et chanson de tradition orale

Cerner la nature de l’objet-chanson

Parcours historiographique et phénomène

chansonnier

Histoire de la chanson au Québec

Le XVIIe siècle : métissage des pratiques

Le XVIIIe siècle : pratiques rurales et autochtones

Le XIXe siècle : éclatement des formes de pratique

chansonnière

Le XXe siècle : les débuts de l’enregistrement sonore

1919 – 1939 : période charnière pour la chanson

traditionnelle

La génération de l’art lyrique

1939 – 1950 : l’essor de la « chanson canadienne »

Les années cinquante : la chanson devient la lanterne

de la culture québécoise

Échanges France – Québec : des cabarets et des

boîtes à chanson

Les années soixante : la chanson en révolution

Le mouvement chansonnier et la valorisation de

l’auteur-compositeur-interprète

Chansonnier versus yé-yé : entre la France et les

États-Unis

Les interférences entre la sphère du politique et la

pratique chansonnière

Le féminisme et les femmes : une nouvelle voie

s’ouvre

Récupération de la fonction symbolique de la

tradition orale

1970 – 1990 : le rock et l’exploitation commerciale

Les années quatre-vingt : crise économique et essor

des nouveaux supports de diffusion

De 1990 à aujourd’hui

Le star-system et Star Académie

La chanson traditionnelle au XXIe siècle

Le chansonnier

Le recueil de chansons

Le faiseur de chansons politiques

La chanson sans musique ou le poème chanté

Folklorisation et oralisation de la chanson signée

L’activité chansonnière : entre tradition et modernité.

Le mouvement chansonnier contemporain .

L’influence de la tradition orale sur le corpus

chansonnier

Conclusion

Glossaire

Discographie québécoise

Médiagraphie

Bibliographie

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Dans son essai « Art et scolastique » (1920), Jacques Maritain, lié avec de nombreux peintres modernes, en particulier Rouault et Chagall, Maritain essaya très tôt d'édifier une philosophie de l' art sur les principes du thomisme. Exposées ici dans un style savant et ardu, très "scolastique", ces théories restent néanmoins étroitement liées aux débats particuliers de l'époque; elles veulent avant tout dénoncer mais aussi comprendre cette recherche de la "gratuité", du "désintéressement", qui était la grande revendication de nombreux milieux artistiques des années vingt. Avec "Art et scolastique", l'auteur ne donne pas, au sens propre du mot, une esthétique, mais plutôt une "poétique". Son point de départ n'est pas le sentiment du Beau, mais la notion de l' Agir, qui à la fois procède de l' intelligence et se distingue du pur connaître, et aussi la réalité de l' art, qui se distingue du pur Agir comme une vertu dont la fin est de bien faire son oeuvre. Ici, l'art est surtout envisagé comme une activité spécifique, possédant ses lois propres, dans ses conflits possibles avec les règles de la moralité, dans ses analogies aussi avec l'ordre spirituel. Mais Maritain défend résolument l' art de toute soumission intrinsèque à la morale et aux fins spirituelles: "L' art, dit-il, apparaît comme quelque chose d'étranger en lui-même à la ligne du bien humain, presque comme quelque chose d'inhumain, et dont les exigences cependant sont absolues". Il n'en reste pas moins que la marque humaine, celle des mains mais aussi celle de l' âme, est imprégnée sur l'oeuvre d' art. "L'oeuvre chrétienne veut l' artiste saint, en tant qu'homme".

Dans "Frontières de la poésie", Maritain devait poursuivre sa recherche à la fois dans un sens plus métaphysique (comparaison entre l'idée créatrice chez l'homme et chez Dieu) et avec plus d'attention pour les problèmes esthétiques concrets. Il fait d'abord une distinction importante entre Poésie et Art. Apparentée à la métaphysique et à la mystique, la poésie est comme une saisie imparfaite, au coeur même des apparences, de la marque divine empreinte sur toutes choses. L' art, au contraire, est essentiellement création et n'obéit qu'aux lois de sa création même. C'est ainsi qu'il a été conduit à revendiquer une liberté totale; il ne veut être attentif qu'à ses règles propres; il ne tient plus compte de l'homme. Mais il se refuse ainsi à la poésie, il devient stérile et inhumain. S'il est sans doute absurde de vouloir subordonner l' esthétique à l' éthique, il reste cependant que l'homme artiste relève pareillement de l'une et de l'autre. Son oeuvre n'a rien à voir avec la morale mais lui-même est sujet de la morale. D'une certaine manière l'artiste vaudra ce que vaut l'homme: si la "pointe active de l' âme", l' instinct supérieur, n'est pas ému par les réalités les plus hautes, la mesure même de la raison reste mesquine. Elle est exclue des profondeurs d'en haut et d'en bas et elle préfère bientôt les méconnaître. L'ouvrage contient également une série remarquable de notes brèves, sous le titre de "Dialogues" (en particulier sur Dostoïevski et Gide), trois études sur Rouault, Severini et Chagall et "La clef des chants", essai sur la musique moderne à propos de Stravinsky, Satie et Lourié. Maritain est encore revenu sur le problème du rapport entre le spirituel et le poétique dans sa "Réponse à Jean Cocteau".

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Si grand

Ecrire comme si
Ecrire comme on voudrait
Le feu du soleil
Ecrire comme la lenteur du temps perdu
Ecrire comme la joue douce de ma grand-mère
Ecrire avec ferveur l'ultime écho d'une impression
Si forte qu'elle en balbutie de frayeur
Oser le pas d'écrire à tâtons, dans le noir, quand la nuit dort

In Résonances, Anthologie, Poèmes et Récits, Présenté par le Cercle de la Rotonde, Ed. Mémor, Bruxelles, 2006
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La gloire amoureuse, un extrait

Prince des embaumeurs,puisses-tu nous rapprocher l'un de l'autre.Prince des embaumeurs,Serre-nous l'un contre l'autre.Prince des embaumeurs,libère la vie,ouvre nos lèvres.Arrache au souffle la parcelle de mortet jette-la au loin à l'abri du rocher.Ces sourires mouillés sont des morts qui renaissentpoussés par des fleuves d'azur.Des démons charriés par nos bouches de confusion,par les torrents de feu qui agitent, meurtris,le tissu invisible de l'émoi.Couverts de flammes et de folie,nos baisers se touchent dans l'au-delà.Nos baisers se touchent et se séparent,convois du renoncement aux choses,projetés épars en torches liquidessur les yeux mi-clos d'une mort rajeunie.VAux parapets de la tour, accoudé,le joueur contemple le spectacle de la vallée verdoyante qui s'étend au-dessous des terrasses.Immobile sur le lac supérieur de la pensée,il écarte le ciel saigné à blanccomme un trou laissé vide.Dans la poussière qui recouvre son front,une femme dénudée dort paisiblement.Il y a tant d'allées et venues dans ces yeux,de brins d'herbe oubliés, de terres révolues.A ses pieds sous la mousse, coule un fin filet d'eau, une ombre qui ruisselle vers les tentes de chanvre.Un chant de liesse fugace, d'écritures et de traits,de guerriers, de danseurs qui s'effacent miroitants à mesure que passent les barques.Immobile sur le lac supérieur de la pensée,le joueur dans un saut majuscule,crucifie en riant,le visage étonné de l'attenteet grave dans la mousse,les chroniques de sa résurrection.VIEt tel un cerveau de pierre,la cave où nous logeonspour quelques nuits d'amournous paraît immenseavec ses couloirs glissants,ses parois moites,où l'on devine plus qu'une simple invitation.Nous vidons toutes les bouteilles, tu es blancheet lunaire.Cet amour immaculé.Cet amour similaire aux ajours.Cet amour émasculé, ensorcelé.Cet amour blessé dans son ventre et dans son sang.Et tel un cerveau de pierre la cave où nous gisons s'emplit de regards, de sable et de songes uniques.Et tel un cerveau de pierre,elle nous recouvre de ses peines,de ses dictionnaires,de ses voûtes basses où résonnent nos cris d'enfants.Dehors,le ciel splendide et calmedescend les marches du palaiset jaillit anonyme.Pur sous le soupirail attentif.VIILe ciel habite un point fragile entre tes yeux,entre nadir et zénith.J'y suis allé un soir de pluieentre deux rêvespour retrouver l'ancien rivageet sa clarté divine.Je me suis promené longtemps,au point de mire de deux existences,à l'endroit sacrilège où se forment les vies de chair.Aux pieds de ces tours Saturniennes.Et c'est sans doute que douloureuxce même soir,plus fou que d'habitudej'ai brisé d'un coup secle vase d'airain,accédé aux formes les plus reculéesde ton amour magnifié.Vers séculaires à l'empreinte de cesfragments sculptés qui brisèrent l'infidélité en la nommant.J'ai lu en songeant,parcourant le ponton dans l'espace.j'ai lu, j'ai soudé,un sarment de ta folie sur mon ventre désert.J'ai lu, agité ta foliecomme un flambeau ruisselant d'argile,sculpté la hanche du Géantqui gardait en silence,la couronne de la reine légendaire.Qui voudra me croire ?Le ciel habite un point fragile entre tes yeux.Le ciel de ta signature de chair, le haut du précipice.J'y suis allé cueillir des perles et des fleursDeux sourires légers gardaient l'entrée de tes blessures.Le point fragile entre tes yeux.j'y suis allé un jour de pluie,entre deux rêves inachevés.La maison de l'ancienne passion.Il y a du givre sur la fenêtre,des roses sèches sur le tapis.
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Le monde opaque, un extrait

... Ces moments si rares
Que nous eûmes tant de peine
À déchiffrer
Toi sous la lucarne qui rêvais
De l’enfant abandonné
Dans sa tour de pierre
Moi penché sur les astres
Rêvant de l'intime durée
Du fond de l’espace
Depuis le vase constellé du porteur d’eau
Jusqu’aux lèvres de la vierge errante
Ces routes fragiles parcourues
À grand peine
À corps perdu
À l’insu de nos songes de parcimonie
Ces moments qui nous suivent
Et nous contournent maintenant
À perte de vue
Couvrant l’horizon écarlate
De triptyques chamoisés...


... Tous nos gémissements de fêtes foraines
Ces respirations souterraines de l'amour
Ces moments complices
Noués aux deux bouts
Lancés dans la course des essieux
Le temps quadrillé sans relâche
À l’affut du moindre frisson
Avec ses pentagrammes illisibles...



... Des semaines et des jours
D’éclairs oubliés
Des moments de floraison galante
Gravés dans la paume d’une main
La main retenue des moments
Cousus sur nos lèvres durcies
Qui retiennent leurs paradoxes
Et offrent leur démesure
Au moindre gémissement tardif
La félicité d’une vie fugitive


Ces carcans accouplés
Ces corps momentanés
Couchés n’importe où
Sur le sol
Dans les tombeaux pillés
Les interstices sales
Les crevasses boueuses
Goûtant le suc des arbres
Ces corps de préludes
Au règne de la nature invisible...


... Seuls comme deux enclumes
Sous la pluie battante
Battant le soc exténué de la vie opaque
Ces moments de douleur qui se hâtent
Ces moments de conspiration bâtarde
Qui s’emparent de nous
Dans notre mort étroite
Sans fondations
En des cieux où la chair aspire
À plus d’humanité...



... Et je n'ai plus aimé le monde.
Mais toi, sombre comme hier
Et l’ovale joyeux
De tes clavicules tremblantes
J’ai mis à mal
Le souvenir de nos incendies
De nos ligatures
De ton ventre hanté
Par les esprits du marais
Dans un miroitement de songes acides
De plaies ruisselantes
Toujours et partout
Le cantique effrayant de l'offrande
De l'autre à l'autre
De l'autre pour l'autre
De l'autre dans l'autre
Amoureux qui s'effondrent pantois
Au creux d’une peur partagée
S'immolant dans le feu
Pour se terrer plus bas
Épuisant la maigreur de la soif
Les hanches soudées dans


L’enclos de leurs ébats
Humides de vie
L’amour qui tourne tel une hélice
La volupté féroce de l'éternité
Qui renouvelle sa peau
Et le serment initial de la passion
Mutation de gestes recomposés
Alors dans cet amour caudal
Est-ce toi encore
Ou l'autre qui prend ma place
Ce malandrin infernal
Qui se joue de tout ...
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Pour Paul Klee dans sa « Théorie de l’art moderne » (recueil d’essais esthétiques datant de 1964), la modernité en art doit s'orienter vers les formes inédites du moi; ainsi le créateur doit parvenir au "moi divin" ("a priori"). L'artiste moderne déplace le centre de gravité de la matière et la considère sous un nouvel angle. Si le dessin est l'art d'éliminer, la couleur, elle, contient tout. La perception de l'artiste est "mouvement", tout comme l'oeuvre, qui s'inscrit nécessairement dans le temps. Créer, c'est dialoguer avec la nature; car il y a des lois communes à la nature; car il y a des lois communes à la nature et à l'art. La forme créatrice "fonctionne" dans la création; le peintre doit rechercher cette fonction, plutôt que la forme achevée.

Bien que contemporain de Kandinsky, l'auteur ne développe pas les mêmes vues que lui, par-delà leur commune volonté d'innover. Là où Kandinsky cherche la forme "a priori" dans sa dimension absolue, Klee se concentre sur le caractère opératoire de la forme. A ce titre, il met au jour une autre attitude de la conscience créatrice transcendantale.

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Les odes au jardinet, un extrait.

Les semis

Quand on laboure, ce n’est pas grave si on est de mauvaise humeur. Il m’arrive même de frapper des grosses mottes de terre sur le sol en jurant. C’est du travail de force, on commence en chemise et on termine noir comme de la fumée. Par contre, pour ce qui est des semis, il vaut mieux penser à de belles et bonnes choses. Les semis bourgeonnent mieux lorsqu’on les entoure de nuages de senteurs douces. À quoi où à qui pensez-vous que le commandant Danofsky pense lorsqu'il sème ses magnifiques plantules ?
Tout d'abord, le commandant nettoie ses oreilles et ses cheveux, se frotte la barbe avec de la teinture d’ortie et saute nu dans le puits, une, deux, trois fois de suite. Tout au fond du puits il y a une valise avec des ustensiles réservés à la cuisine des grands jours. L’eau garde les petites cuillères bien propres et les casseroles brillantes et lisses.
Voici pour vous, une pensée cuite du commandant Danofsky. D'abord, il prépare un plat délicieux, un plat qu'il adore : les carbonnades flamandes au pain d'épice et au miel. Le plat doit mijoter une journée entière et lorsqu'une odeur brûlante de sucre mou et de viande marinée sort de la casserole, il se penche et respire un grand coup. Il hume le plat et fait ressortir par ses oreilles des notes de musique qui vont s'enrouler autour des bourgeons nouveaux nés. Il faut très vite les récupérer, les rouler dans la farine et les faire dorer de chaque côté pour qu’elles gardent leur sonorité de beurre bien doré.
Ne vous inquiétez pas si vous entendez pleurer les jeunes floraisons aux extrémités de l’arbre, ils ont faim, ils ont grand faim d’harmonie et de contrepoints. Voici des quintes qui s’accrochent, des duos de triolets qui s’ouvrent au vent, des quartes, des octaves minuscules qui se hissent sur la pointe des nouveaux jets.
Tout n’est que symphonies et ballets au grand jour des semaisons. Si ça vous fait rêver et vous donne envie, dites-vous bien qu’on n’arrive pas à un tel résultat en une saison. Il faut des années et des années pour accorder tous ces violons et toutes ces harpes dans le jus d’une chlorophylle bien verte et juteuse. Et jamais de gros mots en cas de malheur, ni de semence de datura sur la pointe de la langue. Vous ne connaissez pas le datura ? Allons donc ! C'est le passé d'une rature qu'on a joué aux dés.




Le réveil de la salade

La salade s’est réveillée de bonne heure au son de la limace. Un drame se joue sous mes yeux et je me sens impuissant. Je vois. Une limace et son oncle qui digèrent lentement le vert tendre de la feuille et progressent vers l'intérieur du corps. À quelques mètres de là, un troisième baveur se presse pour les rejoindre. Le combat, inégal, se déroule en silence. Personne n’interviendra dans l’issue de la lutte, car la loi importe plus que la vie des combattants.
J’ai connu l’époque où dans une situation pareille nous aurions tenu conseil avec les habitants les plus proches et aurions sacrifié un sachet de sciure bien sèche que nous aurions dispersé sur leur route. Elles se seraient engluées, seraient mortes dans d’atroces souffrances, et pourquoi, pour qui, pour où ? Pour une feuille de salade qui fait tout un plat de ses chemises alors qu’elles repoussent, repoussent et repoussent encore.
Rien de plus lassant que ces êtres sans fleurs qui sous l’apparence d’un cœur tendre dissimulent des radicaux amers. Régalez-vous limaces ! D'ici quelques jours, la salade ne sera plus que feuilles froissées qu'elle me tendra en disant : voici mon testament autographe. Je lègue ma chlorophylle à la lumière et mes nuances de vert et de blanc au commandant Danofsky. Je pardonne à mes bourreaux ainsi qu'au chat qui vient de me pisser dessus. Laissez moisir en paix mon cœur tendre, à l'abri des pluies de juin.




La marguerite

Il ne faut pas écraser sans arrêt par manque d'attention les choses qu’on croise sur son chemin. Je sais bien que les fleurs refleurissent si on les laisse faire, mais je sais aussi que ce n’est pas difficile de faire un pas sur le côté et de marcher sur les cailloux de l’allée. Ils ont l’habitude eux. Ils sont durs et ne sont pas dans l'obligation de fleurir. Tout ce qu’ils ont comme devoir, c’est crissoter légèrement sous la semelle lorsqu’on passe. Pour le reste, les cailloux ressemblent à de très vieilles fleurs qui ont passé l’âge de se déguiser. Ils aiment la chaleur, mais supportent sans effort apparent les plus grandes neiges qui leur permettent de reprendre du brillant pendant la saison d’hiver. Mes marguerites, quant à elles, je les appelle mes œufs sur le plat. Rien à voir avec les cailloux si ce n'est la forme du jaune. Mous cailloux font trempette à mou pain. Et molle tartine font cuisine à matines.
Tenez, puisque nous parlons des marguerites, ce qui est amusant, c'est qu'il y en a toujours beaucoup les années ou les poules pondent bien. Lorsqu'on en voit une, c'est qu'il y en a plein qui s’apprêtent et se font belles sous la terre. Blanches sous bruns, c'est pas aussi facile d'en sortir propre. Elles sortent volontiers sans me prévenir et bougent toutes en même temps, à gauche le matin et à droite le soir. La nuit elles replient leurs pétales et on ne les voit plus. Et c'est ça qui est dangereux, car on risque facilement de les écraser si on ne fait pas attention. Ce n’est pas parce qu’elles ne servent à rien qu’il faut les ignorer.
Chaque fois que vous cueillez une marguerite, je vous conseille de faire ce qui suit. Vous lui parlez d’amour et vous tournez autour de sa corolle en sifflotant. Certaines personnes s’embrassent et arrachent les pétales une à une en priant. Elles prient d’amour. Elles prient pour ce qu’elles ont maintenant, mais qui va s’en aller. Mais si vous devenez l’ami des marguerites, rien ne s’en ira. C’est cela leur trésor, le trésor des marguerites. Un amour qui ne s'en ira pas.

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IN MEMORIAM
In La Chanson de la Rue Saint-Paul de Max Elskamp (1922)


A MON PERE

Mon Père Louis, Jean, François,
Avec vos prénoms de navires,
Mon Père mien, mon Père à moi,
Et dont les yeux couleur de myrrhe,

Disaient une âme vraie et sûre,
En sa douceur et sa bonté,
Où s'avérait noble droiture,
En qui luisait comme un été,

Mon Père avec qui j'ai vécu
Et dans une ferveur amie,
Depuis l'enfance où j'étais nu,
Jusqu'en la vieillesse où je suis.
Mon Père, amour m'était en vous,
Que j'ai gardé toute ma vie,
Ainsi qu'une lumière luie
En moi, et qui vous disait tout;

Mon père qui étiez ma foi
Toute de clarté souriante,
Dont la parole m'était loi
Consentie par mon âme aimante,

Mon Père doux à mes erreurs,
Et qui me pardonniez mes fautes,
Aux jours où trop souvent mon coeur
De sagesse n'était plus l'hôte,

Mon Père ainsi je vous ai su
Dans les heures comme elles viennent
Du ciel ou d'enfer descendues,
Apportant la joie ou la peine.
Or paix et qui était en vous
En l'amour du monde et des choses,
Alors que mon coeur un peu fou
Les voyait eux, parfois moins roses,

C'était vous lors qui m'apportiez
Foi en eux qui n'était en moi,
Lorsque si doux vous souriiez
A mes craintes ou de mon émoi,

Et vous étiez alors mon Dieu,
Et qui me donniez en silence,
Et rien que par votre présence
Espoir en le bonheur qu'on veut,

Pour mieux accepter en l'attente
L'instant qui est, le jour qui vient,
Et sans doute les démente
Croire aux joies dans les lendemains.
O mon Père, vous qui m'aimiez
Autant que je vous ai aimé,
Mon Père vous et qui saviez
Ce que je pensais ou rêvais,

Un jour où j'avais cru trouver
Celle qui eut orné ma vie,
A qui je m'étais tout donné,
Mais qui las! Ne m'a pas suivi,

Alors et comme je pleurais,
C'est vous si doux qui m'avez dit:
Rien n'est perdu et tout renaît
Il est plus haut des paradis,

Et c'est l'épreuve pour ta chair
Sans plus mais d'âme un autre jour,
Tu trouveras le vrai amour
Eternel comme est la lumière,

Et pars et va sur les navires
Pour oublier ici ta peine,
Puisque c'est ce que tu désires,
Et bien que ce soit chose vaine,

Va, mon fils, je suis avec toi,
Tu ne seras seul sous les voiles,
Va, pars et surtout garde foi,
Dans la vie et dans ton étoile.
Or des jours alors ont passé
De nuit, de brume ou d'or vêtus,
Et puis des mois et des années
Qu'ensemble nous avons vécus

Mon Père et moi d'heures sincères,
Où nous était de tous les jours
La vie ou douce, ou bien amère,
Ainsi qu'elle est tour à tour,
Et puis en un matin d'avril
Les anges noirs eux, sont venus,
Et comme il tombait du grésil
Sur les arbres encore nus,

C'est vous mon Père bien aimé,
Qui m'avez dit adieu tout bas,
Vos yeux dans les miens comme entrés
Qui êtes mort entre mes bras.

 


A MA MERE

O Claire, Suzanne, Adolphine,
Ma Mère, qui m'étiez divine,

Comme les Maries, et qu'enfant,
J'adorais dès le matin blanc

Qui se levait là, près de l'eau,
Dans l'embrun gris monté des flots,

Du fleuve qui chantait matines
A voix de cloches dans la bruine;

O ma Mère, avec vos yeux bleux,
Que je regardais comme cieux,

Penchés sur moi tout de tendresse,
Et vos mains elles, de caresses,

Lorsqu'en vos bras vous me portiez
Et si douce me souriiez,

Pour me donner comme allégresse
Du jour venu qui se levait,

Et puis après qui me baigniez
Nu, mais alors un peu revêche,

Dans un bassin blanc et d'eau fraîche,
Aux aubes d'hiver ou d'été.

O ma Mère qui m'étiez douce
Comme votre robe de soie,

Et qui me semblait telle mousse
Lorsque je la touchais des doigts,

Ma Mère, avec aux mains vos bagues
Que je croyais des cerceaux d'or,

Lors en mes rêves d'enfant, vagues,
Mais dont il me souvient encor;

O ma Mère aussi qui chantiez,
Parfois lorsqu'à tort j'avais peine,

Des complaintes qui les faisaient
De mes chagrins choses sereines,

Et qui d'amour me les donniez
Alors que pour rien, je pleurais.

O ma Mère, dans mon enfance,
J'étais en vous, et vous en moi,

Et vous étiez dans ma croyance
Comme les Saintes que l'on voit,

Peintes dans les livres de foi
Que je feuilletais sans science,

M'arrêtant aux anges en ailes
A l'Agneau du Verbe couché,

Et à des paradis vermeils
Où les âmes montaient dorées,

Et vous m'étiez la Sainte-Claire,
Et dont on m'avait lu le nom,

Qui portait de lumière
Un nimbe peint autour du front.
Mais temps qui va et jours qui passent,
Alors, ma Mère, j'ai grandi,

Et vous m'avez été l'amie
Aux heures où j'avais l'âme lasse,

Ainsi que parfois dans la vie
Il en est d'avoir trop rêvé

Et sur la voie qu'on a suivie
De s'être souvent trompé,

Et vous m'avez lors consolé
Des mauvais jours dont j'étais l'hôte,

Et vous m'avez aussi pardonné
Parfois encore aussi mes fautes,

Ma Mère, qui lisiez en moi,
Ce que je pensais sans le dire,

Et saviez ma peine ou ma joie
Et me l'avériez d'un sourire.
O Claire, Suzanne, Adolphine,
O ma Mère, des Ecaussines,

A présent si loin qui dormez,
Vous souvient-il des jours d'été,

Là-bas en Août, quand nous allions,
Pour les visiter nos parents

Dans leur château de Belle-Tête,
Bâti en pierres de chez vous,

Et qui alors nous faisaient fête
A vous, leur fille, ainsi qu'à nous,

En cette douce Wallonie
D'étés clairs là-bas, en Hainaut,

Où nous entendions d'harmonie,
Comme une voix venue d'en haut,

Le bruit des ciseaux sur les pierres
Et qui chantaient sous les marteaux,

Comme cloches sonnant dans l'air
Ou mer au loin montant ses eaux,

Tandis que comme des éclairs
Passaient les trains sous les ormeaux.

O ma Mère des Ecaussines,
C'est votre sang qui parle en moi,

Et mon âme qui se confine
En Vous, et d'amour, et de foi,

Car vous m'étiez comme Marie,
Bien que je ne sois pas Jésus,

Et lorsque vous êtes partie,
J'ai su que j'avais tout perdu.

In Max Elskamp in La Chanson de la Rue Saint-Paul de Max Elskamp (1922)

 

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