IN MEMORIAM
In La Chanson de la Rue Saint-Paul de Max Elskamp (1922)
A MON PERE
Mon Père Louis, Jean, François,
Avec vos prénoms de navires,
Mon Père mien, mon Père à moi,
Et dont les yeux couleur de myrrhe,
Disaient une âme vraie et sûre,
En sa douceur et sa bonté,
Où s'avérait noble droiture,
En qui luisait comme un été,
Mon Père avec qui j'ai vécu
Et dans une ferveur amie,
Depuis l'enfance où j'étais nu,
Jusqu'en la vieillesse où je suis.
Mon Père, amour m'était en vous,
Que j'ai gardé toute ma vie,
Ainsi qu'une lumière luie
En moi, et qui vous disait tout;
Mon père qui étiez ma foi
Toute de clarté souriante,
Dont la parole m'était loi
Consentie par mon âme aimante,
Mon Père doux à mes erreurs,
Et qui me pardonniez mes fautes,
Aux jours où trop souvent mon coeur
De sagesse n'était plus l'hôte,
Mon Père ainsi je vous ai su
Dans les heures comme elles viennent
Du ciel ou d'enfer descendues,
Apportant la joie ou la peine.
Or paix et qui était en vous
En l'amour du monde et des choses,
Alors que mon coeur un peu fou
Les voyait eux, parfois moins roses,
C'était vous lors qui m'apportiez
Foi en eux qui n'était en moi,
Lorsque si doux vous souriiez
A mes craintes ou de mon émoi,
Et vous étiez alors mon Dieu,
Et qui me donniez en silence,
Et rien que par votre présence
Espoir en le bonheur qu'on veut,
Pour mieux accepter en l'attente
L'instant qui est, le jour qui vient,
Et sans doute les démente
Croire aux joies dans les lendemains.
O mon Père, vous qui m'aimiez
Autant que je vous ai aimé,
Mon Père vous et qui saviez
Ce que je pensais ou rêvais,
Un jour où j'avais cru trouver
Celle qui eut orné ma vie,
A qui je m'étais tout donné,
Mais qui las! Ne m'a pas suivi,
Alors et comme je pleurais,
C'est vous si doux qui m'avez dit:
Rien n'est perdu et tout renaît
Il est plus haut des paradis,
Et c'est l'épreuve pour ta chair
Sans plus mais d'âme un autre jour,
Tu trouveras le vrai amour
Eternel comme est la lumière,
Et pars et va sur les navires
Pour oublier ici ta peine,
Puisque c'est ce que tu désires,
Et bien que ce soit chose vaine,
Va, mon fils, je suis avec toi,
Tu ne seras seul sous les voiles,
Va, pars et surtout garde foi,
Dans la vie et dans ton étoile.
Or des jours alors ont passé
De nuit, de brume ou d'or vêtus,
Et puis des mois et des années
Qu'ensemble nous avons vécus
Mon Père et moi d'heures sincères,
Où nous était de tous les jours
La vie ou douce, ou bien amère,
Ainsi qu'elle est tour à tour,
Et puis en un matin d'avril
Les anges noirs eux, sont venus,
Et comme il tombait du grésil
Sur les arbres encore nus,
C'est vous mon Père bien aimé,
Qui m'avez dit adieu tout bas,
Vos yeux dans les miens comme entrés
Qui êtes mort entre mes bras.
A MA MERE
O Claire, Suzanne, Adolphine,
Ma Mère, qui m'étiez divine,
Comme les Maries, et qu'enfant,
J'adorais dès le matin blanc
Qui se levait là, près de l'eau,
Dans l'embrun gris monté des flots,
Du fleuve qui chantait matines
A voix de cloches dans la bruine;
O ma Mère, avec vos yeux bleux,
Que je regardais comme cieux,
Penchés sur moi tout de tendresse,
Et vos mains elles, de caresses,
Lorsqu'en vos bras vous me portiez
Et si douce me souriiez,
Pour me donner comme allégresse
Du jour venu qui se levait,
Et puis après qui me baigniez
Nu, mais alors un peu revêche,
Dans un bassin blanc et d'eau fraîche,
Aux aubes d'hiver ou d'été.
O ma Mère qui m'étiez douce
Comme votre robe de soie,
Et qui me semblait telle mousse
Lorsque je la touchais des doigts,
Ma Mère, avec aux mains vos bagues
Que je croyais des cerceaux d'or,
Lors en mes rêves d'enfant, vagues,
Mais dont il me souvient encor;
O ma Mère aussi qui chantiez,
Parfois lorsqu'à tort j'avais peine,
Des complaintes qui les faisaient
De mes chagrins choses sereines,
Et qui d'amour me les donniez
Alors que pour rien, je pleurais.
O ma Mère, dans mon enfance,
J'étais en vous, et vous en moi,
Et vous étiez dans ma croyance
Comme les Saintes que l'on voit,
Peintes dans les livres de foi
Que je feuilletais sans science,
M'arrêtant aux anges en ailes
A l'Agneau du Verbe couché,
Et à des paradis vermeils
Où les âmes montaient dorées,
Et vous m'étiez la Sainte-Claire,
Et dont on m'avait lu le nom,
Qui portait de lumière
Un nimbe peint autour du front.
Mais temps qui va et jours qui passent,
Alors, ma Mère, j'ai grandi,
Et vous m'avez été l'amie
Aux heures où j'avais l'âme lasse,
Ainsi que parfois dans la vie
Il en est d'avoir trop rêvé
Et sur la voie qu'on a suivie
De s'être souvent trompé,
Et vous m'avez lors consolé
Des mauvais jours dont j'étais l'hôte,
Et vous m'avez aussi pardonné
Parfois encore aussi mes fautes,
Ma Mère, qui lisiez en moi,
Ce que je pensais sans le dire,
Et saviez ma peine ou ma joie
Et me l'avériez d'un sourire.
O Claire, Suzanne, Adolphine,
O ma Mère, des Ecaussines,
A présent si loin qui dormez,
Vous souvient-il des jours d'été,
Là-bas en Août, quand nous allions,
Pour les visiter nos parents
Dans leur château de Belle-Tête,
Bâti en pierres de chez vous,
Et qui alors nous faisaient fête
A vous, leur fille, ainsi qu'à nous,
En cette douce Wallonie
D'étés clairs là-bas, en Hainaut,
Où nous entendions d'harmonie,
Comme une voix venue d'en haut,
Le bruit des ciseaux sur les pierres
Et qui chantaient sous les marteaux,
Comme cloches sonnant dans l'air
Ou mer au loin montant ses eaux,
Tandis que comme des éclairs
Passaient les trains sous les ormeaux.
O ma Mère des Ecaussines,
C'est votre sang qui parle en moi,
Et mon âme qui se confine
En Vous, et d'amour, et de foi,
Car vous m'étiez comme Marie,
Bien que je ne sois pas Jésus,
Et lorsque vous êtes partie,
J'ai su que j'avais tout perdu.
In Max Elskamp in La Chanson de la Rue Saint-Paul de Max Elskamp (1922)
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