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Amour (205)

administrateur théâtres

Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le  dimanche 6 octobre 2013 à 20 heures, on écoutait avec ravissement et sans pause l'ORFEO de Monteverdi. C’est sans doute l'œuvre la plus impressionnante et la plus révélatrice du génie du compositeur. Une œuvre unique, d'une ambition esthétique sans précédent alliant poésie, chant et musique. "Poète et musicien ont dépeint les sentiments du cœur avec un talent tel qu'il aurait été impossible de mieux faire. La poésie est belle de conception, splendide de forme et la plus magnifique qui soit dans sa diction. La musique sert la poésie avec une qualité telle que rien de plus beau n'a jamais été entendu" (Lettre de Cherubino Ferrari, août 1607).

 Par ses proportions monumentales et sa construction rigoureuse, par sa justesse expressive, et surtout par sa beauté, L'Orfeo, favola in musica mérite d'être considéré comme le premier chef-d'œuvre de l'histoire du théâtre lyrique moderne. « Orphée, fable en musique », fut écrite à l'initiative du duc de Mantoue pour la saison de carnaval 1607 et représentée le 24 février devant  l'aristocratie et les érudits de la ville.  Monteverdi semble avoir mis près d'une année pour en achever la composition.  On ignore où exactement se déroula la représentation (selon la tradition à la Galleria degli Specchi ou à la Galleria dei Fiumi du palais ducal), s’il y avait des costumes et des décors. La salle  en tout cas n'autorisait pas l'emploi de machinerie  scénique utilisée dans les théâtres. Le libretto, écrit par Alessandro Striggio, fut distribué au public et le succès fut si  considérable que le Duc de Mantoue  ordonna aussitôt  une seconde représentation,  le 1er mars 1607.

Le mythe d'Orphée chanté par Ovide, très populaire au début du XVIIe siècle, est la base du  livret de Striggio où  la figure d’Orphée  prend des allures christiques. Les actes I, II et V évoquent  la pastorale tandis que les actes III et IV  sont situés aux Enfers. L'œuvre s'articule autour d'éléments purement orchestraux s'appuyant sur des rythmes de danses : la toccata initiale, les symphonies des débuts et fins d'actes, les ritournelles. Autour des parties chantées par le  chœur, on retrouve des solistes ou  des duos  rappelant la canzonetta ainsi que des  récitatifs et des arioso. La qualité expressive de la mélodie accompagnée d'instruments polyphoniques est exceptionnelle de  profondeur et d’humanité. Les visages trahissent les moindres émotions et la voix s’échappe, juste et spontanée.  La virtuosité met en lumière les passages dramatiques. La construction est très variée et équilibrée.  Monteverdi parvient à mettre dans le  drame de Striggio une charge émotionnelle très intense. En effet les  dilemmes, les joies et les peines des personnages se retrouvent comme enluminés dans l’orchestration. Différents rappels thématiques et  le choix de certaines sonorités soulignent des atmosphères et les émotions ou des changements de personnages. On entend une majorité d’instruments  nés à  Crémone mais aussi le  clavecin,  l’orgue régale, une  harpe d’or, le  luth et  les violes de gambe qui contribuent  à décrire intimement et de façon très vivante le destin de chacun des protagonistes.   

Chef en résidence au Centre culturel de rencontre d'Ambronay depuis 2010, Leonardo García Alarcón est un spécialiste de la musique de Claudio Monteverdi dont il connaît les moindres secrets et admire profondément la beauté. Il partage ce soir  la fraîcheur de son interprétation et la fougue de sa direction avec les jeunes instrumentistes et chanteurs  de la 20e académie. Le rôle de l'Orfeo a été confié au chanteur professionnel, Fernando Guimarães, ténor.  Les musiciens  de l'Académie baroque européenne d'Ambronay  jouent debout dans une lumière tamisée  une brillante Toccata tandis que le prologue  est personnalisé par l'arrivée de La Musica  interprétée par Francesca Aspromonte, soprano. Elle porte une longue robe noire très élégante et une longue queue de cheval de cheveux châtains. Avec délicatesse extrême elle  présente la fable d'Orphée qui par son chant apaise les bêtes sauvages et par ses prières soumet l'Enfer.

 

Il n’y a pas  ce soir de mise en scène particulière comme dans d’autres représentations d’opéra : prima la musica !  Mais les spectateurs ont la surprise  de découvrir les voix des solistes en de multiples  endroits de la salle Henry Le Bœuf : dans une allée, aux balcons, dans les coulisses. Le chœur, peu nombreux mais d’une présence extraordinaire, tour à tour bergers, nymphes ou esprits  se lève, bouge, sort de scène et réapparaît là où on ne l’attend pas … dans une chorégraphie sans cesse renouvelée. Jullian Millan nous offre sa très belle voix de baryton, en « pastore e spirito ». Hugo Bolivar et Alexis Knaus endossent  les voix de contre-ténor.  La mise en espace assurée par Fabien Albanese est donc très vivante. Les personnages jouent avec grande finesse un  répertoire très varié d’émotions. C’est  juste et émouvant tant cela a l’air naturel. La dynamique du  jeu des lumières -  rougeoyantes quand on est aux  Enfers, dorée pour célébrer la victoire orphique - est tout aussi soigneusement élaborée et évocatrice.

 

Pendant qu’Orphée  au son de sa lyre d’or conte son histoire d’amour (depuis le temps où Eurydice se refusait à lui et jusqu’à  maintenant où il exulte de bonheur), apparaît la Messagiera, funeste oiseau de nuit (une émouvante Angelica Monje Torrez ,mezzo-soprano).  Elle  interrompt brutalement  les festivités  des bergers et des nymphes. « La tua diletta sposa è morta » annonce la messagère avec des accents dramatiques, soutenue par de sombres accords de l’orgue.   La belle Eurydice dont on n’entend que deux brèves apparitions (Reut Ventorero, soprano) est morte, mordue par un serpent, dans un pré où elle cueillait des fleurs pour sa guirlande nuptiale. Rien n'a pu la sauver. Orphée, pétrifié de douleur  se révolte et décide de descendre aux Enfers pour l’arracher  à  Pluton grâce à la beauté de son art. S’il n’arrive pas à  la ramener sur Terre, il demeurera avec elle dans le Royaume des ombres. « Rimarro teco in copagia di morte, Adio terra, adio cielo, e sole , adio » Une plainte merveilleuse qui s’achève sur  un magnifique  duo des nymphes et les lamentations funèbres, à la fois  fortes et tendres du chœur. Dramma per musica.

 

La Speranza (Cecilia Mazzufero , soprano) conduit Orphée  armé de sa seule lyre, jusqu’aux rives  du Styx, les portes de l’enfer  où règne Pluton (l’impressionnant  Yannis François, basse). Elle le conjure de  lire la terrible inscription « Lassciate ogni speranza , voi ch’entrate »  "O vous qui entrez, abandonnez toute espérance". Charon (Yosu Yeregui, basse), le terrifiant nocher, refuse de lui faire traverser les eaux noires. Orphée parvient à le faire fléchir grâce à ses chants et l’endort. Harpe puis clavecin et violon seul soutiennent sa prière.  Deux  simfonia aèrent la tension dramatique intense de ce chant poignant, les cors ont joint leurs appels désespérés à la voix d’Orphée. Le chœur  a chaussé les masques  des esprits infernaux et commente l’action avec solennité comme dans une tragédie grecque. mais la  sinfonia renoue vivement  avec la joie.  

 Proserpine ( Claire Bournez, mezzo-soprano) est  tellement émue qu'elle supplie Pluton  de rendre Eurydice à Orphée.  Pluton, lui prenant la main, y consent par amour pour sa femme « tuo suavi parole d’amor… »  Le chœur acquiesce : «  Pietade, oggi, e Amore trionfan ne l’Inferno »  Mais  à la condition que  jamais Orphée ne  pose ses yeux sur sa femme, sinon elle  disparaîtra à jamais.  Et voici le doute qui assaille soudain  Orphée alors qu’il la conduit vers les cieux. Eurydice le suit-elle vraiment? Un bruit d’orage lui semble être les Furies s'apprêtant à lui ravir son bien. Il se retourne. Eurydice est au balcon, perdue à tout jamais, tandis qu'il est entraîné vers la lumière « dove ten vai, mia vita ? Ma moi grado me tragge e mi conduce a l’odiosa luce ! » Sinfonia et chœurs des esprits  accompagnés des vents intenses  achèvent l'acte.

L’Acte V voit  Apollon (Riccardo Pisani, ténor) descendre du ciel (balcon gauche), faire une entrée triomphale du fond de la scène. Il vient offrir à Orphée qui se tient devant lui  les yeux baissés,  secours et immortalité, car  aucune joie ne dure longtemps sur terre. « Dunque se goder brami immortal vita , vientene meco al ciel, ch’a se t’invita »  Un dénouement édifiant dans l’air du temps en ce  début de 17e siècle. « Qu’aucun mortel ne s’abandonne à un bonheur éphémère et fragile, car bientôt il s’enfuit, et même, bien souvent, bien souvent, plus haut est le sommet, plus le ravin est proche. » avait prévenu le chœur !  Dans les cieux, Orphée pourra contempler indéfiniment l'image céleste d'Eurydice. Apollon remonte la scène par la gauche, Orphée par la droite de part et d’autre du chœur. Nymphes et bergers célèbrent en chantant et dansant cet amour transcendé et impérissable. Et le premier opéra de l’histoire de la musique, commencé par une Toccata  se referme sur une Moresca. Leonardo García Alarcón rend compte de l’équilibre et  l’esthétique parfaite de l’œuvre.  Splendeur et raffinement, les  tableaux musicaux sont tous bien contrastés, l’interprétation chantée est cohérente, fluide,  généreuse et idéalement nuancée. Cherubino Ferrari, dans sa lettre du mois d' août 1607 avait bien  raison.

 

http://www.bozar.be/activity.php?id=13235&selectiondate=2013-10-06

 

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administrateur théâtres

Du 19 septembre au 20 octobre 2013, au théâtre du Parc

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La plongée dans nos nuits par  Dominique Serron et Vincent Zabus : « Enfin, après 1001 nuits, la transformation complète de l’homme le révèle, aimant et pleinement pacifié. »

 

La réalité ? On a pendu la crémaillère chez Laurent (éditeur, la quarantaine) et Laure, qui ont emménagé dans un appartement improvisé dans une ancienne librairie  désaffectée, autre réalité. Peut-être celle de L’ombre du Vent … A cet événement, ils ont choisi le thème de la fête : les contes de mille et une nuits… Hasard ? Nécessité ? La réalité appelle-t-elle l’imaginaire ou est-ce le contraire qui se passe?  Une dispute Shakespearienne a surgi au sein du couple, « the green-eyed monster » plante ses crocs au fond du cœur de l’homme ! Laurent est jaloux ! Il a besoin de sa dose de valériane pur pouvoir dormir mais il a évidemment  perdu la clé de l’endroit où elle est rangée.

 

12272938870?profile=original Nouvelle réalité: c’est  Monsieur  Ibrahim, (l’épicier de la rue Bleue, vous vous souvenez ?) qui débarque et lui présente des cornes de gazelle pour le consoler: «  Mangez ! Et lisez !!! Laissez‐vous envahir l’esprit… » Début du voyage initiatique façon Lewis Caroll. Ces gâteaux magiques, une fois croqués, deviennent les gâteaux aux amandes dégustées par Shazaman et Shariyâr, deux sultans d’un autre âge et d’un autre espace, affolés par « la trahison féminine ».  Entretemps - si l’on peut dire -  l’art de la suggestion, les costumes, les voiles qui voilent et dévoilent,  la danse, les éclairages subtils ont réveillé l’imaginaire du lecteur. L’Orient est là.  Le spectateur, lui, se sent happé dans  la  galaxie théâtrale : c’en est fait de lui, il n’est plus spectateur. Il est  acteur aux côtés de mille et un personnages et a libéré son propre imaginaire.

 

12272939064?profile=originalL’esprit de Laurent se peuple des personnages des contes que lui racontait sa mère. Tout un programme ! L’imaginaire est à la fois évasion et prison, comment s’en sortir ? La sève de l’histoire est la fresque des peurs et des angoisses humaines. Nous sommes dans le théâtre de l’invisible. Voilà les deux sœurs, Shéhérazade (une Antigone orientale  admirablement jouée par France BASTOEN) et sa sœur Dounia… même intelligence, même complicité, même humanité, même soif de justice, hors la  fin funeste d’Antigone. Shéhérazade brave l’autorité paternelle (un Patrick BRÜLL flamboyant). Elle veut arrêter le massacre. Elle a le plan que l’on connait. Elle va métamorphoser le cruel Shariyâr.  Ou Laurent, qui sait ? Ou le spectateur? 

 

12272939859?profile=originalL’histoire a été co-écrite par Dominique SERRON et Vincent ZABUS. Une écriture fluide, généreuse, pétillante d’humour et fourmillant de références. Elle puise sa source dans une très belle humanité et  elle émerveille. Pas étonnant que surgissent alors  tous ces personnages fabuleux et si vivants à la fois, au sein d’imaginaires si bien conjugués ! Les failles de Laurent  sont les chemins qu’il faut  emprunter résolument pour accéder aux questions essentielles. Tous finissent  par se sentir transformés : écrivains, comédiens, spectateurs. Le grand Sigmund a lui aussi traversé la trame de  l’écriture.  La psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim agit en sourdine.   Et le miracle de la réconciliation finit par advenir après des tribulations fantastiques qui mélangent hardiment Laurent, son frère, son père, son patron et sa femme adorée et les personnages de contes.

 

12272940081?profile=originalComme dans l’Oiseau bleu de Maeterlinck, il y a une fée mystérieuse qui guide Laurent dans ses pérégrinations et ses  épreuves.  Le nombre trois est mythique.  Laurent en est conscient et  joue le livre dont il est le héros! Il vogue avec une  présence et une aisance extraordinaires d’un personnage à l’autre. Son regard, ses gestes, ses répliques ne cessent d’interroger passionnément. Malgré ses quarante ans, il a gardé   toute la fraîcheur d’une âme enfantine. Vous vous souvenez du jeune Guy Béart ? C’est un peu lui… Mais de qui parle-t-on ?  Mais du comédien, bien sûr, Laurent CAPELLUTO ! Une personnalité très  attachante et impétueuse. Et Laure, innocente, féminine et moderne en diable, qui est-elle ? Qui est le miroir de l’autre ? Laure ou la délicieuse Laure VOGLAIRE, comédienne ? « Qui suis-je ? » est la question récurrente.  

 

12272940660?profile=originalUne  pièce  incontestablement novatrice et  passionnante. La mise en scène est éblouissante. Les décors poétiques s’effacent, se fondent, s’élèvent, volent presque! Tout y est : depuis les 40 voleurs jusqu’au tapis volant en passant par d’autres contes moins connus.  Musiques envoûtantes (Jean-Luc FAFCHAMPS, assisté d’Aldo PLATTEAU), lumières et costumes féeriques. Beauté scénique à chaque tableau que l’on doit se retenir  d’applaudir.  La troupe de l’Infini Théâtre est merveilleuse, jeune, audacieuse, créative à l’infini. Ils n’ont  certes pas volé leur titre : « the sky is the limit ! »

Mise en scène : Dominique SERRON.

Scénographe: Ronald BEURMS.

Costumes: Renata GORKA.

Lumières: Nicolas OLIVIER.

Création Musicale: Jean-Luc FAFCHAMPS.

Assistant : Valentin DEMARCIN.

Assistante: Florence GUILLAUME.

Assistant stagiaire: Antoine COGNIAUX.

12272941455?profile=originalAvec:
Laurent CAPELLUTO (Laurent (le mari de Laure), le portefaix, le prince endormi)
Laure VOGLAIRE (L'épouse de Lui, la première pucelle, la femme enterrée vivante)
France BASTOEN (Shéhérazade, la deuxième pucelle, la mère de l'adolescent)
Vincent HUERTAS (Le frère de Laurent, le sultan Shazaman, Masrour...)
Jasmina DOUIEB (Jasmina (l’amoureuse du frère), Douniazade (sœur de Shéhérazade)...)
Patrick BRÜLL (Le père de Laure, le Vizir (père de Shéhérazade), Robert l’Ifrite...)
Othmane MOUMEN (Monsieur Ibrahim (l’épicier), les trois Qalandars, la vieille Sacamal...)
Vincent ZABUS (Jean-Jacques (le patron de Laurent), le sultan Shariyâr, Djafar le vizir déguisé)

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Photos:  Isabelle De Beir

En savoir plus: http://www.theatreduparc.be/spectacle/spectacle_2013_2014_001

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Lettres à un jeune poète

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Ce sont dix lettres écrites par le poète allemand Rainer Maria Rilke (1875-1926), entre 1903 et 1908, à Franz-Xaver Kappus, élève du Prytanée militaire de Sankt-Poelten, que le poète avait lui-même jadis fréquenté. Elles furent publiées, pour la première fois en 1929, chez Inzel à Leipzig. En même temps qu'il soumettait à Rilke quelques-unes de ses poésies, Kappus, alors à peine âgé de 20 ans, lui adressa une longue lettre dans laquelle il se confiait entièrement à lui. Rilke lui répondit: telle est l'origine de ces messages, qui furent détachés de l'ensemble de la correspondance de Rilke et publiés séparément.
Les "Lettres à un jeune poète", qui peuvent être comptées parmi les plus belles oeuvres de Rilke, forment une sorte de "guide spirituel" d'une valeur inestimable. Répondant à son jeune correspondant, Rilke ne traitera dans ces lettres que de questions essentielles, celles-là même que connaît inévitablement tout poète et, plus généralement, tout être dont la vocation est de créer. Une affirmation centrale, sur laquelle Rilke ne cesse de revenir, confère à ces lettres une étrange gravité: à savoir que nous devons sous abandonner sans réserve à cette nécessaire solitude que nous découvrons en nous-mêmes, car c'est d'elle que jaillit toute clarté. En effet, il n'est d'autre certitude que cette réalité première, et rien de ce que nous entreprenons ne sera promu à un avenir durable, si nous ne l'avons tout d'abord éprouvé en ce lieu retiré de nous-mêmes que n'atteignent point les bruits du monde.

Etes-vous poète? Interrogez-vous sur les mobiles qui vous poussent à écire; déterminez avant toute autre chose s'ils sont d'une importance absolument vitale pour vous; "Etre artiste... c'est croire comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant aux grands vents du printemps, sans craindre que l' été puisse ne pas venir. L'été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre". On mesurera l'importance de ces phrases, si l'on se souvient qu'elles sont le fait du poète des "Elégies de Duino", ces élégies dont il désespéra de venir à bout et qu'"une étrange puissance" lui dicta soudain, en moins de quelques jours. Mais comment ne pas affirmer, parallèlement à cet ordre profond de la solitude, cette autre loi qui nous gouverne: celle de l' amour. Et c'est tout naturellement que Rilke passe du problème de l' art à celui de la sexualité. Comme Platon l'avait déjà fait dans le "Banquet", Rilke reconnaît une égale valeur à la fécondité de la chair et à celle de l'esprit; leur origine est la même; la volupté de la chair ne nous offre-t-elle pas une connaissance illimitée, totale, une prise de possession de l'univers tout entier. "En une seule pensée créatrice, revivent mille nuits d'amour oubliées qui font la grandeur et le sublime". L' amour est connaissance et si, pour l'homme, engendrer est une manière d'enfanter, n'est-ce pas enfanter que de "créer de sa plus intime plénitude"? Estimant que les sexes sont plus parents l'un de l'autre qu'on ne le pense généralement, Rilke développe ici cette idée, qui sera appelée à tenir tant de place, par la suite, dans son oeuvre, et qui constitue à penser que le renouvellement du monde sera le fait d'une attitude nouvelle de l'homme en face de la femme: pour lui, l'un et l'autre, oubliant leurs erreurs, ne se rechercheront plus pour s'opposer, mais uniront leurs solitudes, conservant ce respect mutuel, cette distance nécessaire à un développement parallèle de tout leur être. Dans les dernières lettres, Rilke revient avec une insistance accrue, sur cette notion de solitude que le poète, plus que tout autre, se doit de préserver intacte (lettre VIII notamment). Certes, la solitude n'est pas sans faire lever en nous un cortège de tristesse, mais pourquoi s'effrayer? Nos regards porteraient-ils au-delà des limites de la connaissance, peut-être alors percevrions-nous que ces tristesses sont comme des "aubes nouvelles" "où l'inconnu nous visite". Et le poète, parvenu au seuil de ce monde mystérieux, d'abandonner son correspondant à lui-même. Il apparaît donc que se dessinent tout au long de ces "Lettres", comme en filigrane, la plupart des thèmes qui formeront les "Elégies de Duino" ou les "Sonnets à Orphée"; à ce titre, les "Lettres à un jeune poète" sont peut-être la meilleure introduction à l'oeuvre poétique de Rilke.

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administrateur théâtres

12272875861?profile=originalUN TANGO EN BORD DE MER fut créé le 6 août 2010 au Festival Royal de Théâtre de Spa. Depuis, l’immense comédien français  Jean-Pierre Bouvier n’arrête pas de séduire par le raffinement  et la pudeur de son jeu. On l’a vu jouer avec sensibilité et  subtilité en 2011 dans LA DAME AU PETIT CHIEN et en 2012, dans le rôle magistral de Willy Brandt de DÉMOCRATIE de Michael Frayn. Il est le maître ès sentiments ressentis.

Le duo qu’il interprète avec Frédéric Nyssen (lui aussi dans DÉMOCRATIE) est dans cette ligne de travail nuancé. La mise en scène soignée  de Patrice Kerbrat et les verres de vodka  y sont pour beaucoup. D’une part il y a les monologues intérieurs tantôt feutrés, tantôt passionnés ; de l’autre il y a une pratique de  l’écoute attentive de l’autre.  Et même l’art subtil  de faire trouver à l’autre, les mots qu’il faut pour creuser la vie intérieure. Comme s’il s’agissait non pas d’un texte écrit et interprété mais d’une sorte d’improvisation affective.  Jean-Pierre Bouvier  endosse ici le rôle de Stéphane, la quarantaine, un profil d’homme élégant, instruit et posé, écrivain en vue de surcroît.  Il voyage, voit du beau monde et mène une existence enviable. Vincent est beaucoup plus jeune, il brûle tout ce qu’il adore, ne tient pas en place, et est réactif comme du vif argent.  Leur différence d’âge, de milieu, de statut, les éloigne et les fascine à la fois. On comprend très vite qu’ils ont été éperdument amoureux quelques années auparavant. Retrouvailles fortuites  ce soir-là  au bar d’un hôtel de bord de mer ? Le décor n’a certes pas le lustre rêvé, mais l’absence de barmans ou l’absence incongrue d’activité dans l’hôtel leur offre soudain un lieu et un temps d’entre deux, où les vérités les plus profondes peuvent éclore sans se faner, …sous les délicates lumières de  Laurent Béal.

 

Sensibilité, vivacité, tendresse, fougue et retenue à la fois. La gestuelle des deux hommes est un ballet du temps présent sur scène. Un pas en avant, deux pas en arrière et la sensualité des souvenirs ne demande qu’à remonter à la surface. Qualité des silences.  Justesse absolue des interprétations, les rôles étant à la base bien définis. Chacun suit son orbite et le public attend avec émoi chaque frôlement tangentiel. La fluidité du texte de Philippe Besson est magnifique et a des résonnances émouvantes dans  la vie de tous. Qui peut dire qu’il n’a jamais quitté ou été quitté ? Qui peut dire qu’il n’a jamais joué son couple au quitte ou double ?  L’histoire d’amour de ces deux hommes ressemble à toutes les histoires d’amour. Des histoires que l’on sait condamnées d’avance et qui pourtant sont si belles et si tentantes.12272876271?profile=original

La présence vibrante  des comédiens sur scène fait oublier le décor trouble de bar nocturne, somme toute fort ordinaire.  Le rythme du spectacle est un lent crescendo vers la vérité intérieure tandis que les  personnages de plus en plus vibrants pèsent leurs chimères et leurs souffrances, interrogent,  se dévoilent progressivement, et se cherchent mutuellement.

Frédéric Nyssen en particulier, est un maître ès non-verbal qui hurle son mal-être (sans jeu de mots), sa colère, ses angoisses, la difficulté de ses choix. Craquant de vérité, totalement crédible dans son impulsivité  et ses poses générationnelles d’être écorché. Tour à tour, il esquive, brouille les cartes et s’évapore sans explications. Mais à la fin tous deux, décapés par leur confrontation, retrouvent l’authenticité,  loin des maquillages du mensonge protecteur.

http://www.atjv.be/fr/saison/detail/index.php?spectacleID=500

 du 12 au 15 mars 2013, reprise

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administrateur théâtres

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Quel talent ! Patricia Ide se transforme soudain en gallinacée emplumée, montée sur des échasses pour mieux dominer son avorton de mari. Et de vitupérer, enjôler, glousser, ourdir et saccager tout ce qui croise son chemin. Un oiseau rare aux cris de panthère qui a su ravir le cœur malade du pauvre Ottavio, perclus, cassé en deux , vêtu de pourpre familiale et de la  honte d’avoir jeté son propre fils à la porte. Un comédien d’à peine trente ans, Grigory Collomb interprète ce rôle  … à s’y méprendre !  Va-t-il échapper un jour aux griffes acérées de son engeôleuse de femme qui le domine de trois coudées et demie ? C’est ce que Goldoni,  nous explique dans « La Serva amorosa », une pièce où fusent les apartés psycho-moraux de la servante rédemptrice, Corallina,  avec le public.   

C’est la non moins excellente Joëlle Franco, poids plume bondissant, surmonté d’une queue de cheval en ananas -  quelle nana ! – qui assume ce rôle délirant. Elle a  l’esprit aussi acéré que généreux pour son tendre frère et maître  Florindo (Quentin Minon, en héros romantique). Elle  donne à chaque prototype qui peuple la pièce  des répliques aussi bouillonnantes que mimées à l’extrême. Arlecchino, Pantalone… des personnages-types du Théâtre Italien comme on disait à l’époque.  Elle ravit  par sa mobilité, son ingénuité et ses réparties inventives. Ne serait-on pas dans l’improvisation pure et simple ? C’est du grand art théâtral totalement contrôlé. Quand les situations se corsent, ce sont  les sifflets, trilles et onomatopées et piaillements en tout genre qui remplacent le verbe.  La coquine contrôle tout !  Tous les moyens seront bons pour venir à bout de la paranoia familiale et rétablir l’équilibre et la justice. La crapuleuse Beatrice a appelé un croque-vif (disons, un notaire) pour se rendre (on s’en serait douté !) légataire universelle de son  futur défunt mari et évincer à jamais le fils légitime au profit de son stupide rejeton Lelio, le niais. Encore un rôle sublimement joué, cette fois par Maroine Amimi, autre talent éblouissant de justesse et de dynamisme.

La suite est une pantalonnade jouissive du plus bel effet. Les visages sont grimés, nous sommes en période de Carnaval. Le théâtre est partout, au balcon, par-dessus les toits, à la fenêtre, dans l’antichambre, au boudoir,  dans la rue… Les tréteaux tanguent et tremblent sous les la chorégraphie turbulente et drôle des comédiens. Quitte à  se démantibuler à maintes reprises et faire voler le mobilier afin de symboliser la déliquescence familiale et sociale ! La patte créative et acérée de Pietro Pizzutti  s’amuse, virevolte, nous assaille de jargon franco-italien, évoque l’origine napolitaine de gestes si italiens et semble s’amuser comme un  fou à nous balancer sa version moderne de la Commedia dell’arte. Une mise en-scène qui déchire littéralement le rideau dans lequel on semble avoir taillé le costume d’Ottavio. Mise en abyme stupéfiante, les personnages sortent de boîtes d’illusionnistes, échappent de paravents, sombrent dans des trappes et se balancent sur des cordes comme au cirque. Et  Rosara, (Flavia Papadaniel, dans toute sa beauté) la future mariée est un joyau de naïveté et de fraîcheur. Scènes exquises de déclaration amoureuse. Molière ou Marivaux ? C’et les deux à la fois, C’est Goldoni en personne.  Avec l’accent !

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Et les masques de Venise (vous disiez, Carnaval ?) sont là, pour démasquer l’hypocrisie, le désamour et les faux-semblants. La scénographie de Delphine Coërs et les costumes sont de haute voltige, avec une  connivence  artistique omniprésente. L’excès force le trait, le spectateur médusé devant ce grand Guignol ne peut soudainement plus se retenir de rire. Et  de se tenir les côtes tout au long du spectacle! Le plaisir théâtral percole, perfuse et se répand comme une vague de bonheur à l’aube d’un mois de févier fait pour le Carême !

Précipitez-vous !

Au théâtre Le Public

La Serva amorosa de CARLO GOLDONI Mise en scène : Pietro Pizzuti Avec: Patricia Ide, Maroine Amimi, Grigory Collomb, Joëlle Franco, Pietro Marullo, Quentin Minon, Flavia Papadaniel et Réal Siellez Grande Salle - Création - relâche les dimanches et lundis

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=320&type=1

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POURVU QUE TU RESTES!

Pourvu que tu restes !

(Quand un bonheur infime, nous parle et nous

Intime de tenir à la vie, d’y croquer à pleines dents)

 

Etrangère ! Tu le fus ;

Etrangère tu seras !

Et le peu de lumière

Que capturent tes paupières

Tu l’offres au temps qui fuit ;

Et le peu de ton souffle

Qui te hante et t’étouffe,

Vole en rêves luisants, 

Vole en vers fuyants!

 

Ainsi tu ne tiens plus !

 

Alors écoute et reste !

Prend tout ce qui me reste

De sève et de sang,

De souffle et de dons,

De rêves et d’aura,

De temps, de ton, de bras,

De bon, de bien, de draps,

Mais reste, reste là !

Mais reste avec moi !

 

Ainsi tu ne mourras plus !

 

 

J’ai besoin de tes yeux

Pour refaire le monde

Au goût de l’innocence.

J’ai besoin de tes cris

Pour tenter de construire

Un pays de cocagne.

Mes couleurs se déteignent,

Mes globules se déteignent,

La fin vient sans bruire !

 

Mais pire si tu n’y es plus !

 

Je te donnerai mon sang !

Que mes yeux se débrident,

Que mes jours se dérident,

Que mes heures se dévident !

Je ferai une étoffe,

Et la soie de tes mots,

Douceur incandescente,

Recouvrira nos os

Et que vienne la descente !

 

Trépas, je ne le crains plus !

 

Khadija, Agadir, Samedi  26/01/2013 à 19h37

© Khadija ELHAMRANI

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... presque rien

Il suffirait de presque rien

Deux doigts deux cheveux deux paroles

Qui se frôlent

De loin

                                    

Deux lèvres deux caresses

Qui s'attendent qui s'empressent

Un souffle qui s'en va et qui vient

un infime cristal presque rien

Une autre destinée un rien d'incertitude

Un rayon de soleil oblique qui s'invite

Entre nos solitudes.

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administrateur théâtres

Le film de Joe Wright, "Anna Karénine"

Le film de Joe Wright, "Anna Karénine"

Fort de ses quatre millions de dollars de recettes depuis sa sortie le 16 novembre aux États-Unis, le film de Joe Wright, "Anna Karénine", est arrivé dans les salles de l’hexagone mercredi 5 décembre. Une adaptation osée du roman éponyme de Léon Tolstoï qui ne plaît pas à tout le monde… (LE PLUS, Nouvel Obs’)

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=191856.html

N’attendez donc pas une  reconstitution historique fidèle et l’illusion cinématographique, vous serez déçus !  Voici tout son contraire. Une mise en abyme théâtrale intelligente et moderne appliquant au pied de la lettre le principe de Shakespeare :

“All the world's a stage,

And all the men and women merely players:

They have their exits and their entrances…” 

12272856093?profile=originalLe gigantesque théâtre délabré de la première séquence est bien le  symbole de la Russie impériale de 1874. Il accueille des personnages virevoltants ou soudainement figés dans une chorégraphie méticuleuse (Sidi Larbi Cherkaoui). Les personnages se gèlent pendant qu’un autre prend vie. Une course de chevaux  surréaliste ébranle le théâtre bourré de spectateurs.  La locomotive est tour à tour, jouet et réalité.  Les cloisons basculent, les lumières cascadent, le plateau se transforme en vrai paysage l’espace de quelques instants de rêve, puis les personnages se retrouvent coincés en coulisses parmi les rouages et autres machines du destin. La femme impure est voilée.  Les scènes se superposent derrière la rampe lumineuse comme dans un kaléidoscope. Où est passée la réalité ? Le metteur en scène Joe Wright et le scénariste Tom Stoppard semblent attendre  intensément  les réactions du public du 21e siècle, la caméra est omniprésente. On retient l’étonnante musique,  toujours prémonitoire, de Dario Marianelli, qui n’est pas sans rappeler  l’opéra de quat’  sous de Kurt Weil ou la Valse de Ravel. « Dance with me » est entêtant et obsessionnel à souhait.

« Vanity fair » à la russe: la haute société impériale russe est décrite à l’emporte-pièce sur un mode  fortement  satyrique, on l’aura compris. Les costumes sont éblouissants, la vaisselle somptueuse,  les sourires exquis comme des cadavres. Et  tout est faux et irrespirable. Joe Wright nous fait penser à notre James Ensor et sa galerie de portraits dans sa présentation squelettique de l’œuvre de Tolstoï dont le roman foisonnant de près de 900 pages est réduit à l’ossature d’une romance cruelle.

12272856473?profile=originalAnna, (la voluptueuse Keira Knightley), plutôt que de chercher de nouvelles façons de faire revivre son mariage imposé avec Alexeï Karénine (Jude Law) désespérément blême et dénué de vie, joue la madame Bovary russe et ne résiste pas longtemps aux assauts du comte Wronski (Aaron Taylor-Johnson).  On l’aurait souhaité plus romantique et fougueux cet amant, il est un peu pâle et fade à notre goût, bien qu’excellent si l’on veut en faire un pur pastiche.  Pour Anna, bonheurs et malheurs s’accumulent dans la balance de l’amour mais les leurres de la société feront s’écrouler tous les rêves des amoureux qui semblent s’être  trouvés.  Et la mort est le prix que doit payer l’héroïne pour s’être  livrée  avec  convoitise aux jeux interdits. Comme de bien entendu, la morale du 19e siècle  sera  sauve,  surtout dans un monde fait par et pour les hommes et les pères. Ce monde clos du théâtre est devenu fou.  Le seul moyen d’échapper, pour Emma Bovary comme pour Anna, devient l’arsenic ou la morphine. Où  est la différence ? Toutes deux se  dissolvent dans l’amour chimérique. Mais pour  Joe Wright : "Tout le monde essaie d’une manière ou d’une autre d’apprendre à aimer". C'est son propos.  Et Aimer passe immanquablement par le pardon. Plusieurs situations dans le film en sont la preuve et en particulier le cri d'Anna privée de son enfant:  « Mon fils me pardonnera quand il saura ce que c’est qu’aimer.» La machinerie bureaucratique impériale est sans pardon et sans merci.

12272856877?profile=originalPar contre, le couple d’idéalistes Kitty-Levine (Domhnall Gleeson, très convainquant et la délicieuse Alicia Vikander)  qui a su reconnaître ses erreurs et pardonner s’est  échappé du décor et  vit  au grand air. Leur amour réciproque et l'amour des autres est leur nourriture quotidienne. Des scènes champêtres réelles rappellent la prairie où le couple Anna-Wronski a connu l’éphémère extase.

La verte prairie du « Golden Country » de  George Orwell dans 1984?

Une image de ce que pourrait être un monde de rêve  et de solidarité…  

Un monde qui se mettrait à vivre enfin, comme ces deux jeunes enfants élevés par Alexeï Karénine, devenu enfin un peu moins absolu?

 

 

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administrateur théâtres

Jean et Béatrice de Carole Fréchette

 Vu pour vous au Théâtre du Blockry,  du 29 novembre au 12 décembre 2012

Mise en scène Cathy Min Jung

Avec Myriem Akheddiou, Nicolas Ossowski

 

Le jeu de l’amour et du hasard : Boucle d’Or, non, Boucle Anthracite attend au haut de sa tour (au 33ème étage) que son prince charmant vienne la libérer de sa solitude et de ses souffrances encore plus noires que ses cheveux. Elle est plus mystérieuse qu’une forêt vierge. Elle rêve de passion et de tendresse mais elle est plus secrète qu’un puits sans fond et sans eau. Lui, chasseur de prime pur et dur,  ne pense qu’à la récompense en billets de 20, promise dans la petite annonce, pourvu qu’il surmonte les « épreuves » de la dame mythomane. Il est prêt à user de tous les moyens (bonjour la sincérité des sentiments) pour tour à tour, l’intéresser, la séduire et la faire craquer. Mais au motif de toucher la prime. De l’amour, il n’en a cure ! Elle apparaît de plus en plus folle, lui coupe sans cesse la parole et lui, de plus en plus roué de vouloir la faire taire. La poursuite est délirante.  Et la pièce devient au fil des bons mots, des coups de griffes et des vérités-mensonges qui s’amoncellent, de plus en plus irrésistible.

Travaillant avec grande finesse et un sens aigu de l’observation du couple, Carole Fréchette, l’auteur canadienne de la pièce dirige le débat amoureux avec verve et causticité dans le cadre surréaliste de cet appartement improbable - Ceci n’est pas une histoire d’Ô -   meublé d’un unique fauteuil de cuir,  et parsemé de bouteilles d’eau minérale…  L’unique porte et l’unique fenêtre deviennent presque des personnages à part entière. On ne vous donnera pas la clé. Le  huis-clos amoureux, qui se mute presque en polar, question d’époque sans doute,  est bourré de suspense et de rebondissements.  Le rythme  débridé s’intensifie pour déboucher sur une clé que l’on jette dans le caniv-Ôh !  Mais où donc est la clé ? Tous les chemins de la carte du tendre aboutissent inexorablement à un mur. Le miroir aux alouettes de l’amour ne cesse de scintiller, la vérité ne cesse de se dérober. Le décalage entre l’homme indépendant et solitaire et la femme assoiffée d’amour ne cesse de s’affirmer. Mais le spectateur, bien accroché au fil du spectacle,  s’amuse follement dans les dédales du labyrinthe car il a le secret espoir que les personnages si touchants dans leurs contradictions finiront, à bout de souffle,  par se toucher enfin. Les vertus de la dispute ?  

C’est brillant, rocambolesque,  remarquablement interprété par Myriem Akheddiou  et Nicolas Ossowski totalement impliqués. Passion plus brûlante que le désert du Nevada,  action délirante sur  les quelques mètres carrés  de la scène et par-dessus-tout, un imaginaire plus  débordant que le fleuve qui sort de son lit. Vous parliez d’Ô ? « Au théâtre, il n’y a rien à comprendre, mais tout à sentir. » Louis Jouvet

Regardez la bande-annonce de la création.

 

http://www.atjv.be/fr/saison/detail/index.php?spectacleID=490

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PLUIE DE MOTS

 

Perdue dans mes vaines réflexions

Grises et quelques fois bien noires

Noyée dans de forts torrents

De déboires et de désespoir

Je perçois sous mon ciel tapissé de nuages

Tomber une fine pluie de mots

Comme une averse d’étoiles

Brillantes et étincelantes

Scintillantes et parfois filantes

Je leur tends tous mes bras

Et comme le sable file entre les doigts

Je sens couler comme des filets d’eau

Les soyeux filets de ces mots

Joignant la terre au firmament

Dans un universel langage

Unissant les coins de l’univers

Dans une idylle de mots en vers :

Il y en avait des mots de paix

Des mots amour

Des mots espoir

Des mots bonheur

Des mots sérénité

Des mots tolérance

Des mots solidarité

Des mots innocence

Des mots prospérité

Des mots aisance

Contre les misères de la terre

Des mots pour redéfinir les mots

Tel le mot « prochain »

Le mot « frère »

Le mot « ami »

Le mot « terre »

Un vrai ballet or et lumière

Qui dissipa les tons amers.

 

Khadija, Agadir, Lundi 24/12/12

© Khadija ELHAMRANI

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J’attends

 

Le brouillard gerce la joue de ma fenêtre

Le nid frémit et tremblant, comme mon être,

Attend.

A temps sont revenues les hirondelles nomades

Et les esquifs embrassent les pieds nus de la rade.

J’attends.

A ton retour bourgeonnent les baies abandonnées

Et chantant dans sa ruche, la petite reine couronnée

T’attend ;

Et tant qu’elle a ses ailes pour flirter avec les fleurs,

Ce sera donc pour elle les beautés, les couleurs

Et les tons.

Etend ton souffle tiède musqué par le Zéphyr

Et tend l’oreille aux vœux aériens de la lyre

Au Temps,

Etant éprise d’un rêve qui fuit sa longue quête

Elle roucoule le cœur dans les murmures de l’âme secrète.

O Temps !

Fais que ne tremblent ni mon être ni mon nid

Et que la lumière chasse l’ombre de tout ennui

Latent.

 

Khadija, Agadir, 30/11/12

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Derniers poèmes d'amour d'Eluard

12272841696?profile=original"Derniers poèmes d' amour" est in recueil poétique de Paul Éluard, pseudonyme d'Eugène Paul Grindel (1895-1952), publié à Paris au Club des libraires de France en 1962. Cet ensemble regroupe les principales plaquettes de poésie amoureuse publiées par Éluard après Poésie ininterrompue: le Dur Désir de durer, paru en 1946 avec un frontispice de Chagall chez Pierre Bordas; Le temps déborde, publié en 1947 sous le pseudonyme de Didier Desroches aux Cahiers d'Art de Zervos, avec des photographies de Dora Maar et de Man Ray, et réuni au recueil précédent chez Seghers en 1960; Corps mémorable, dont l'originale sous le pseudonyme de Brun est parue chez Seghers en 1947; le Phénix, publié en 1951 chez Guy Lévis-Mano avec des dessins de Valentine Hugo.

 

En 1946, lassé de la célébrité, Éluard adopte un nouveau pseudonyme, Didier Desroches, mais sa «manière» ne change pas pour autant. Quoique rassemblé par les éditeurs de manière posthume, ce recueil est homogène par l'unité chronologique de composition, puisque les trois premières sections, dédiées à Nusch, datent des années 1946-1947. «Le Phénix», hymne à Dominique, la dernière compagne d'Éluard rencontrée à Mexico en 1949, se rattache à l'ensemble par sa thématique amoureuse, formant un ultime canzoniere. L'ordre suivi n'est pas seulement chronologique: au chant d'amour du «Dur Désir de durer» succède la tragédie du «Temps déborde», traversée du «désert pourri désert livide» après la mort de Nusch, qu'il s'agit de faire revivre par la mémoire dans «Corps mémorable», avant de renaître à l'amour grâce à Dominique dans «le Phénix». Le recueil ainsi conçu retrace donc un itinéraire dialectique - bien que la logique n'en soit pas interne comme dans Poésie ininterrompue - où la mort est vaincue par l'amour.

 

Le recueil se construit donc autour de l'admirable «Le temps déborde», composé après la mort de Nusch, brutalement emportée le 28 novembre 1946, alors qu'Éluard se soignait à Montana, dans le Valais. Ainsi que l'observe le critique Georges Poulet, l'événement singulier, anecdotique fait irruption dans la lyrique amoureuse d'Éluard, qui jusque-là affranchissait l'amour des lieux et des circonstances pour le vouer à l'intemporel et à l'universel. «Le temps déborde» rejoint ainsi au plan personnel la «poésie de circonstance» collective de Cours naturel et d'Au rendez-vous allemand. Cet événement inacceptable, impensable même, qui faillit plonger Éluard dans la folie, est au coeur du poème, qui tente d'approcher l'indicible:

 

 

Vingt-huit novembre mil neuf cent quarante-six

Nous ne vieillirons pas ensemble.

Voici le jour

En trop: le temps déborde

Mon amour si léger prend le poids d'un supplice.

 

 

Unique dans l'oeuvre d'Éluard, la précision chronologique, faisant écho au «21 du mois de juin 1906», date de la naissance de Nusch évoquée dans Poésie et Vérité 1942, témoigne de l'irruption du «réel» annoncée par Poésie ininterrompue _ de la finitude dans un univers jusque-là optimiste. Le dernier vers, dont le vocabulaire perpétue la tradition pétrarquiste de l'Amour, la poésie, n'est cette fois, ni métaphorique ni hyperbolique. Le sens littéral marque le triomphe de la «dure réalité» sur l'image: à la mort figurée - «mourir de ne pas mourir» - succède la mort effective.

 

Le topos de la précarité de l'amour se trouve ainsi renouvelé par les circonstances. Par sa méditation douloureuse sur le temps - qui joue un rôle sans cesse grandissant depuis les Yeux fertiles - Éluard retrouve la grande tradition de l'élégie, dont la tristesse n'a d'égal que la simplicité de ton. Mais contrairement aux plus beaux poèmes de Chénier, de Lamartine, de Hugo, le temps poétique n'est pas celui de la mélancolie, nostalgique du passé révolu, mais plutôt de l'«excès», du «jour en trop» qui barre l'avenir, anéantit le présent et, même, invalide le passé: «Le temps me file entre les doigts / La terre tourne en mes orbites», «mon passé se dissout», «Et l'avenir mon seul espoir c'est le tombeau.» D'où l'admirable formulation du décalage: «La vie soudain horriblement / N'est plus à la mesure du temps.»

 

L'excès du temps arrêtant le cours d'une poésie qui se voulait «ininterrompue», comme l'amour qualifié de «poème vivant», ouvre le royaume des ombres. Éluard, ici encore, reprend les motifs de la poésie élégiaque pour les intégrer à son univers imaginaire, dominé par la lumière et par le regard, dont l'échange est la vie même. La mort de Nusch plonge donc le poète, «ombre dans le noir», dans les ténèbres et la cécité:

 

 

Mes yeux soudain horriblement

Ne voient pas plus loin que moi

Je fais des gestes dans le vide

Je suis comme un aveugle-né

De son unique nuit témoin

 

("les Limites du malheur")

 

 

La violence des images s'écarte alors toutefois de la douceur élégiaque, comme l'atteste la fascination pour le cadavre en décomposition  de l'aimée mais aussi du poète. Éluard se souvient de la poétique baroque de J.-B. Chassignet («Mortel pense quel est dessous la couverture...») ou de Jean de Sponde («Mais si faut-il mourir...»), abondamment cités dans la Première Anthologie vivante de la poésie du passé:

 

 

Doux avenir, cet oeil crevé c'est moi,

Ce ventre ouvert et ces nerfs en lambeaux

C'est moi, sujet des vers et des corbeaux,

Fils du néant comme on est fils de roi

 

("Un vivant parle pour les morts")

 

 

Après avoir tenté de dire non pas tant la mort de Nusch que le retentissement de celle-ci sur la conscience poétique, la poésie est vouée à la mémoire. C'est le propos de «Corps mémorable», qui tente de ressusciter la splendeur du corps disparu que les éléments ont assimilé. L'union cosmique présente dans tous les recueils reçoit ici une signification nouvelle, littérale: «Elle ne vit que par sa forme / Elle a la forme d'un rocher / Elle a la forme de la mer / Elle a les muscles du rameur / Tous les rivages la modèlent» ("Mais elle").

 

Quant à la dernière section, consacrée à la célébration de l'amour rené de ses cendres - «le Phénix», selon une image fréquente chez Maurice Scève (voir Délie) - grâce à Dominique, elle énonce une dialectique, toute baroque, métaphorisée par le feu. La mort de Nusch y est en effet surmontée par l'amour: «Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille» ("Je t'aime"). Ce nouvel amour par lequel le monde recommence transcende aussi la mort du poète vieillissant, dans son «dernier combat pour ne pas mourir» ("le Phénix"): «L'éternité s'est dépliée» ("Dominique aujourd'hui présente").

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UN APPEL DU PARADIS

Filez, heures de tristesse ! Partez loin de ma vie

Je ne veux plus pleurer, je ne veux plus mourir

Mon soleil de retour me ramène le sourire

M’invite à répondre à l’appel du paradis.

 

Eloignez-vous chagrin de mon cœur si fragile.

Qu’il est frais le parfum du jasmin sur son cou ;

Ses relents que je sens encore et me secouent

Les narines et le cœur me rendent bien fébrile.

 

Tellement tendre et tiède est son baiser ardent

Que son appel de loin a ravivé en moi

Réveillant les douceurs et les brûlants émois

Que ne pourraient éteindre la distance et le vent.

 

Allez-vous-en nuages de gris et de tourments !

M’est revenue ma rage d’aimer et mes envies

D’embrasser les plaisirs et les grands appétits

Puisqu’enfin je retrouve mon cœur et ma passion.

 

J’ai longtemps ratissé les rues noires de mes nuits

Vaine recherche éperdue de ses rayons dorés

A tisser de mes mots des voiles perforées

Que sa venue a vite rapiécées et unies.

Khadija, Agadir, Vendredi 5 Octobre 2012

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Faux bonheur

Tu as beau noyer ton chagrin

Sous les fous rires esclaffés,

Sous les fortes doses de café

Et sous tes kilos entassés

A courir en restant en place

Derrière la toute petite trace

De cet amour qui te piétine

Comme si tu n’étais que vermine

Ou un petit zéro sur la gauche

Alors que son cœur te chagrine

Et reste aussi dur que la roche,

Tu ne recouvreras l’amour

Qu’en recouvrant ta dignité

Tu ne retrouveras la paix

Qu’une fois l’illusion oubliée

Et le regard tendant plus loin

Encore plus loin que le bout de ton nez !

Mais ton cœur voudra-t-il céder ?

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VENUS

Il est temps que tu lèves le voile

Sur cette Ishtar aux mille facettes

Aux Aphrodisiaques regards

Que tu retiens derrière ton voile !

 

Ton corps le crie et t’en supplie,

Ton cœur à ses désirs se plie

Si ce n’est ta pudeur grise.

Mais la pudeur est-elle de mise

En amours folles ? Quoi que tu dises,

Vénus tu es ! Quoi que tu fasses,

Entre les rouges colères de Mars

Et les feux ardents de Vulcain,

Tu restes reine du Féminin

Destin et déesse de l’Amour.

 

Seul Jupiter saura te plaire

Et te dompter, petite rebelle !

De ses présents, ses douces grâces

Derrière lesquelles se cache sa fougue,

Il saura te soumettre enfin

Car en toi tu le veux en maître

Même si tu feins tes airs hautains,

Lionne et reine des félins.

 

Khadija, Agadir, dimanche 14 octobre 2012, 21H.

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administrateur théâtres

« Orphéon » ouvre la saison au théâtre Le Public,

12272732654?profile=originalHistoire d'ici  ORPHEON

de STANISLAS COTTON
Mise en scène : Virginie Thirion Avec : Pietro Pizzuti et Alexandre Trocki

DU 07/09/12 AU 20/10/12

 « Orphéon », est une pièce magistralement interprétée par un duo de comédiens splendidement contrastés, qui exposent leurs sentiments et leurs rêves avec tendresse infinie. Une pièce qui porte l’espoir de faire bouger le monde, car l’inertie tue.

Un décor tout blanc. « Sans rêve, il n’y a rien » Une citerne de mots. Un flot de sentiments. Du théâtre à fleur de peau, à fleur de cœur. Bref,  du théâtre sensible. Un poète, Orphéon Bilboquet - nom impossible, mais un nom bien d’ici, rapport aux tableaux de Magritte… -  et Elmer Etcetera, un politicien se rencontrent dans un muséum. C’est le coup de foudre, celui qui arrive toujours quand on l’attend le moins, ici et maintenant devant l’éblouissant contrejour d’un nu féminin peint  par  Pierre Bonnard.

 Las,  l’écrivain public n’a pas de plume (étrange… ) mais le politicien lui donne sa carte. Deux fabricants de rêve se sont trouvés, expriment leur amour, clament différences, célèbrent leur amour du changement, leur vision de l’avenir, leur espérance, leur bonheur d’être ensemble. «…En l'amitié dequoy je parle, elles se meslent et confondent l'une en l'autre, d'un meslange si universel, qu'elles effacent, et ne retrouvent plus la cousture qui les a joinctes. Si on me presse de dire pourquoy je l'aymoys, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en respondant : Par ce que c'estoit luy, par ce que c'estoit moy. »12272829491?profile=original  Lui : «  Et si on inventait des rieurs publics qui combattent le mensonge ?» Lui : « comment pourras-tu faire le métier de politique sans mentir ? ». Lui : un poète qui jamais n’écrirait une lettre de dénonciation ?  Surréalisme, sans doute.

Mais, « Combien de temps dure la joie ? » Voilà que survient  le cauchemar qui n’a rien d’irréel, le jeu de massacre. La plongée en apnée dans la  désespérance. La dénonciation absolue de la perte, de la souffrance, de la mort, de l’insupportable absence. Orphée a perdu l’amour de sa vie. Les coupables sont un septuor de forcenés transcontinentaux, et parmi eux,  un raton laveur. L’un de ces êtres spécialisés en ratonnades… Le raton laveur  bien évidemment  s’en lave les mains et lave tout, plus blanc… Orphée nous retourne un regard plein d’humanité, et égrène des phrases qui touchent au plus profond : «  Dans le miroir, c’est l’autre que tu dois apprendre à connaître ! «  «  Raton, procède au nettoyage ; ampute-toi de toi-même ». « Je ne suis pas l’ennemi, je suis l’autre… »

Seul : « Je n’aime ni le baseball, ni le tango. Lorsque tes yeux plongeaient dans les miens, ils faisaient grandir ton sourire, le mien s’élargissant »… « Où porte ma plainte ?» « Sans rêve, il n’y a rien » Des phrases qui laissent trace dans notre mémoire.

http://www.pietropizzuti.be/Orpheon.html

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=316&type=1

L'invité du Théâtre Le Public : Pietro Pizzuti - samedi 22 septembre 2012 De 18h00 à 19h30, entrée libre: bienvenue à tous! Réservations vivement souhaitées avant le vendredi 21 septembre 2012 au 0800/944.44! Pietro Pizzuti est un Homme de Théâtre, avec un grand H et un grand T. Ou bien est-il le théâtre fait homme ? Auteur, Acteur, metteur en scène, traducteur,… Artiste en résidence au Public, il ouvre la saison dans « Orphéon », magnifique texte que Stanislas Cotton a écrit en pensant à lui. Venez l’écouter nous parler de son métier d’artiste, de ses passions et de ses engagements humains au micro indiscret d’Éric Russon !          

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Paul Eluard

 

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Nusch au miroir

« Capitale de la douleur » est un recueil poétique de Paul Éluard, pseudonyme d'Eugène Paul Grindel (1895-1952), publié à Paris chez Gallimard en 1926.

 

Éluard réunit dans son premier grand recueil de l'époque surréaliste des poèmes publiés séparément en plaquettes sous les titres: Répétitions, paru en 1922 à la librairie Au Sans Pareil, en collaboration avec Max Ernst, qui propose des dessins en contrepoint; Mourir de ne pas mourir, «dernier livre» publié chez Gallimard en 1924, à la veille de son départ pour un mystérieux voyage autour du monde. La troisième section, «les Petits Justes», qui figurait déjà dans la plaquette Mourir de ne pas mourir, reprend partiellement les «onze haïkaï» de Pour vivre ici publiés en 1920, tout comme la dernière section des «Nouveaux poèmes», qui comprend en outre des textes de Au défaut du silence primitivement publié en 1925 de manière toute confidentielle, et illustré anonymement par Max Ernst. Éluard renonce ainsi au silence qu'il s'était imposé. Breton, à qui était dédié Mourir de ne pas mourir, dans le prière d'insérer repris dans Point du jour, célèbre la «passion» et l'«inspiration» des «mouvements du coeur» que le recueil laisse affleurer.

 

La structure de Capitale de la douleur suit à peu près la chronologie des prépublications, de sorte qu'il serait vain d'y chercher une «architecture secrète» concertée. L'unité thématique et stylistique de l'ensemble, très sensible, permet toutefois de discerner une évolution, en particulier de la première section, «Répétitions», aux trois suivantes, «Mourir de ne pas mourir», «les Petits Justes», «Nouveaux Poèmes». «Répétitions», par la typographie de ses vers centrés au milieu de la page, souligne la discontinuité d'une écriture vouée à la fulgurance et à l'ellipse, plus proche du style de Breton, voire de Char, que de celui, fluide et harmonieux, auquel Éluard habitue le lecteur dès «Mourir de ne pas mourir». Contrairement aux recueils ultérieurs, Capitale de la douleur fait éclater la syntaxe par de fréquentes anacoluthes. De l'amplification de la forme poétique témoigne alors la récurrence du poème en prose, rare dans la première section, et surtout la disposition strophique qui permet une métrique régulière ou quasi régulière (alexandrin). De façon générale, les poèmes sont assez longs, favorisant le développement tout musical de «variations» thématiques fondées sur la répétition: «Dans un coin...» ("Max Ernst"), «Il y a» ("Dans la danse"), etc. Le titre de la section «Répétitions», qui renvoie aux échos et reflets du texte et de l'image, prend également la valeur d'un commentaire en abyme du poème et annonce le style litanique de Poésie ininterrompue. Cette tendance, un temps contredite par les «haïkaï» des «Petits Justes», est largement confirmée par les «Nouveaux Poèmes», où s'imposent à égalité le poème en prose et le poème strophique, avec une prédilection pour le quatrain, parfois rimé. Cette continuité stylistique sera la «signature» d'Éluard dans le groupe surréaliste.

 

 

Ce n'est qu'à la lecture des épreuves, dans le rapt de l'inspiration, que s'impose et se substitue au titre primitif «l'Art d'être malheureux» celui de Capitale de la douleur, titre qui conserve la thématique du «malheur» et scelle l'unité de recueils antérieurs apparemment disparates. C'est ainsi que le recueil tout entier est traversé par le motif de la douleur, de la souffrance, du malheur et d'une destinée funeste qu'il faut sans doute rapporter au taedium vitae [dégoût de la vie] que voulait exprimer le voyage de 1924, mais aussi, assurément, au décadentisme laforguien qui marque l'entrée en poésie de l'auteur: Premiers Poèmes (1913-1918), le Devoir et l'Inquiétude (1916-1917) et le Rire d'un autre (1917). A cet égard, Capitale de la douleur est, avec Le temps déborde de 1947, écrit après la mort de Nusch, le recueil dont la tonalité est la plus sombre et, peut-être, la moins conforme à l'image communément reçue de la poésie d'Éluard. Ce «désespoir qui n'a pas d'ailes» ("Nudité de la vérité"), étonnamment proche du "Verbe être" dans le Revolver à cheveux blancs de Breton, introduit une négativité rare chez Éluard, et dont la corrélation est étroite avec les tensions stylistiques. L'influence de Verlaine se fait même sentir dans ces poèmes qui évoquent parfois la figure du «poète maudit» dont le «malheur» est narcissiquement chanté par une prosodie envoûtante:

 

 

Larmes des yeux, les malheurs des malheureux,

Malheurs sans intérêt et larmes sans couleurs. [...]

Il fait un triste temps, il fait une nuit noire

A ne pas mettre un aveugle dehors.

 

("Sans rancune")

 

 

Éluard, qui avait sans doute lu les Oeuvres de Rimbaud publiées en 1898 par Paterne Berrichon, proclame avoir «quitté le monde», «un monde dont [il est] absent» ("Giorgio de Chirico"). Les «absences» des «Nouveaux Poèmes» témoignent aussi d'un malaise fondamental: celui de la «douleur» d'être au monde.

«Mourir de ne pas mourir», bien évidemment, reprend cette thématique doloriste, mais pour la rattacher à la lyrique amoureuse médiévale et renaissante et, au-delà, à la mystique. Le titre est en effet inspiré du célèbre «Que muero porque no muero» de Thérèse d'Avila, devenu topos du «mal d'amour» dans la poésie européenne du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècle. Gala, à qui sont dédiés les «Nouveaux Poèmes», est au centre de ce recueil; Éluard, ayant entre-temps rencontré Nusch, évoquera en 1929 dans la Révolution surréaliste l'aliénation de sa liberté par une femme «inquiète» et «jalouse». C'est aux souffrances et aux affres de l'éros que le recueil est donc consacré, proche en cela des Mystérieuses Noces de Pierre-Jean Jouve, publiées en 1925. Le motif de la «chasse», des «liens», des «jours de captivité», omniprésent, se trouve ainsi remotivé, tissant un réseau serré d'images au fil d'un recueil qui s'inscrit dans la grande tradition de la Vita nuova de Dante, puis du pétrarquisme. De là, peut-être, la présence à la fois obsessionnelle et anonyme d'«une femme» qui, telle la «passante» de Baudelaire qu'évoque irrésistiblement "Ronde", demeure la «belle inconnue». Souvent évoquée à la troisième personne par un «elle» indéterminé dans «Répétitions», la femme aimée devient progressivement une interlocutrice. «Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire...» Les «Nouveaux Poèmes», qui hésitent encore entre la communication directe et l'évocation indirecte, s'achèvent pourtant sur une série d'invocations jusqu'à l'admirable et justement célèbre: «La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur...» Et le recueil de se clore sur: «Tu es pure, tu es encore plus pure que moi-même», qui consacre la transitivité de cette poésie entièrement vouée à sa destinatrice, à la fois proche et inaccessible. Mais il convient, néanmoins, de ne pas surévaluer la distance entre le poète et la dame; car Éluard ne manque pas de représenter l'union accomplie, qui deviendra la thématique centrale des recueils ultérieurs, allant jusqu'à la fusion dans "l'Amoureuse": «Elle est debout sur mes paupières...».

 

C'est encore à la tradition pétrarquiste qu'il faut rapporter l'importance du regard, des yeux, si souvent commentée par les critiques, dans Capitale de la douleur. Éluard décline tous les paradigmes de ce topos: source de lumière, les yeux causent aussi le désespoir lorsque, «toujours ouverts», ils empêchent le poète de dormir ("l'Amoureuse"), suscitant un «ciel de larmes [...] pour que sa douleur s'y cache» ("Entre peu d'autres"). Mais - et c'est là l'originalité de la poétique éluardienne - le regard joue aussi, de manière ambivalente, un rôle médiateur dans la communication - voire la communion - amoureuse. Par une dialectique des contraires, qui n'est d'ailleurs pas étrangère au lyrisme pétrarquiste, la douleur se mue en jouissance et la poésie prend une tonalité volontiers euphorique, comme l'atteste l'omniprésence du rire et du sourire et, surtout, de l'oiseau aux ailes duquel les yeux finissent par être identifiés, comme dans "Leurs yeux toujours purs" - «vol qui secoue [s]a misère» -, «ailes couvrant le monde de lumière», dans "la Courbe de tes yeux [...]". L'oeil est alors explicitement associé à des images érotiques, comme dans "la Grande Maison inhabitable ":

 

 

Les yeux plus grands ouverts sous le vent de ses mains

Elle imagine que l'horizon a pour elle dénoué sa ceinture.

 

 

Cette thématique bien connue se développe donc pour la première fois dans Capitale de la douleur, pour s'imposer dans les recueils suivants. Les vers célèbres: «Le monde entier dépend de tes yeux purs / Et tout mon sang coule dans leurs regards» montrent bien que la vie procède du regard, dont le cercle est l'image de la perfection, selon la tradition néoplatonicienne.

Autant diamants, cristaux et miroirs contribuent à l'épanouissement de cette «beauté facile» et «heureuse» évoquée dans "la Parole", autant l'obscurité et, surtout, l'opacité et l'ombre - ces «vitres lourdes de silence / Et d'ombre où mes mains nues cherchent tous tes reflets» ("Ta chevelure d'oranges [...]") - définissent déjà dans Capitale de la douleur le mal absolu, alors même que la nuit, parce qu'elle trace un «horizon», paradoxalement, «donne à voir»: «Il faudra que le ciel soit aussi pur que la nuit» ("Joan Miró").

 

Car le regard, au-delà même de l'amour, participe à la genèse du monde par la lumière. L'oeil est simultanément ce qui voit et ce qui est vu - à la fois source et objet de la lumière. La «pureté» du regard de l'aimée «Chaque jour plus matinale / Chaque saison plus nue / Plus fraîche» ("la Vie") saisit à ses origines le monde dans son intégrité native, ainsi que pour l'enfant:

 

 

Et c'est dans les yeux de l'enfant,

Dans ses yeux sombres et profonds

Comme les nuits blanches

Que naît la lumière.

 

("le Plus Jeune")

 

 

Le premier des «Nouveaux Poèmes», "Ne plus partager", révèle le pouvoir créateur de la vision: «L'espace a la forme de mes regards», «L'espace entre les choses a la forme de mes paroles.»

Le privilège accordé à la vision (il s'agit même de «voir le silence») conditionne évidemment la dimension picturale du recueil. «Répétitions», on le sait, est né d'une étroite collaboration avec le peintre Max Ernst, dont le nom constitue le titre du premier poème du recueil, de même que «les Petits Justes». «Mourir de ne pas mourir» et «Nouveaux Poèmes», par certains de leurs titres, montrent bien l'importance des peintres: "Giorgio de Chirico", "André Masson", "Paul Klee", "Max Ernst" à nouveau, "Georges Braque", "Arp", "Joan Miró". Éluard ne se singularise pas en cela, qui invoque les mêmes amis peintres que Breton. Mais de façon plus significative, il met en scène la peinture ou le travail du peintre, comme s'il décrivait des tableaux imaginaires, comme dans "l'Invention" ou "Ronde", qui évoquent un paysage, ou "Oeil de sourd" qui mentionne un portrait. "Intérieur", qui se réfère sans doute à la peinture hollandaise, s'ouvre sur la fuite du «peintre et son modèle». Mais c'est surtout par la richesse des notations de couleurs et de lumière que le recueil affiche sa qualité picturale - «lèvre rouge avec un point rouge», «jambe blanche avec un pied blanc» du corps de la femme décrit dans "Manie", «femmes de bois vert et sombre» de "Dans la danse", «liane verte et bleue qui joint le ciel aux arbres» dans "Celle qui n'a pas la parole"... Le poème "Première du monde", dédié à Picasso, atteste que la peinture a partie liée avec les origines, si bien qu'elle devient l'allégorie de toute création; ainsi du poème "Georges Braque" qui décrit, en fin de compte, l'acte poétique lui-même:

 

 

Un homme aux yeux légers décrit le ciel d'amour.

Il en rassemble les merveilles.

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Frétillement

 

Quand tout me charme en toi
M'appelle à la rébellion
Tout te désire en moi
Me pousse au consentement
Je vois venir à moi
Ton souffle si ardent
Tes mots me dévisagent
Ton œil me déshabille
Ton souffle me convoite
Ma peau du coup frétille
Mon voile ne tient plus
Mon teint si écarlate
Trahit mon pouls tonnerre
Et mes sens en émoi
Ne pensent plus à l'âge
Ni même à la pudeur
Mais seulement au voyage
De nos deux cœurs soudés
Que seul l'amour soulage
Au rendez-vous des corps
Qu'une flèche a guidés
Vers leur ultime port


Khadija, Rabat, jeudi 31Mai2012, 17h.

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HYMNE


Ferme les yeux et détends-toi
Ferme-les bien pour mieux me voir
Je suis en toi, le jour ; et dans le noir
Tu me verras au fond de toi
Et sous les toits
Et dans les bois
Sur les lisières 
Et au bord des fraiches rivières
Etends-toi à l’ombre des arbres
Aux bras tendus
Pour t’embrasser
Laisse-toi porter
Par la vague d’encens
Qui se dégage des feuilles et des troncs
Et voyage
Vogue
Vole à tout vent
Les chemins de la découverte
Quoique sinueux et longs
Sont pour l’homme des portes ouvertes
Sur l’oasis bleue du paradis
Sur l’océan vert des vallées
Sur la plénitude des belles plaines 
Beaux tapis de velours semés
Puis ouvre les yeux 
Pour embrasser de ton regard
Les blanches cimes
Tu verras qu’au loin les montagnes
Te font signe
Ecoute leur appel résonner
Hymne par l’écho emporté
Fais ta prière
Dieu est bien là pour l’exaucer !

KHADIJA, Agadir, le mardi 09/11/10, à 16h30

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