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Notes sur quelques valeurs

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Quelques valeurs:

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Durant les siècles de l'histoire,
Des femmes d'une grande puissance,
Au comportement méritoire,
Eurent une heureuse influence.

Les héroïnes de roman,
Ne sont pas nées de père et mère
S'étant aimés humainement.
Elles ne sont que des chimères.

Non faite de chair et de sang.
Une femme qui se propose
Grâce à un magique talent
Devient renommée et s'impose.

Collectivement honorées,
Les ouvrières qui s'affairent,
Sans jamais arrêter d'oeuvrer.
Ont une existence précaire.

Or dans des récits véridiques,
Nombreuses seraient apparues
Des héroïnes authentiques,
Méritant d'être reconnues.

27 octobre 2016

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    extrait

     

     Sœur aimée

     je te caresse

     avec la fumée de ton corps interdit

     avec la pluie froide de décembre

     dans les hautes prairies lointaines

     au sud de cette existence trompeuse

     lève-toi les yeux bleus les yeux noisette

     les yeux d'ambre et de feu

     ton regard me fait du bien

     te regard me fait nulle

     ton regard me hantera

     dans les profondeurs

     de mes nuits assassinées.

     Femme rapaillée

     je te brûlerai

     dans la neige de ton cœur séculaire

     dans les vents qui te bouleversent

     grand sang bleu-vert aux entrailles de paille

     ton enfant sera à l'image du volcan

     lavé par l'eau limpide des jours pacifiques

     pour renaître de la lave de ton absence.

      ANDREA MOORHEAD 1er  trimestre  2016 -Les Éditions Mémoire d'Encrier

     

     

     

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LES VENDANGES

une aquarelle

d'Adyne Gohy

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a inspiré

SEGURET

une poésie de

Raymond Martin

 

 

De ton origine perdue dans la mémoire humaine,

Un  «homme savant» pour sûr a gravi  ta colline,

En quête d’un hypothétique gibier pour assouvir  sa  faim.

 Plus tard,  les  Gaulois «Voconcii» ont  façonné ton élégance mutine.

 

Opposants,  belliqueux et coriaces  face aux cohortes romaines,

Leur défaite, à l’issue de dures batailles, leur fut  providentielle,

Soutenus de fait des autres invasions par la généreuse  «Pax Romana» ,

Ils gardèrent  une partie de leur autonomie et leurs institutions traditionnelles.

 

De cette époque gallo-romaine très riche, tu as su profiter pour t’affirmer brillamment. 

Car du statut de colonie romaine,  la providence t’a  hissée vers la noblesse  provençale.

Convoitée tu fus, par la tiare papale et l’agneau nimbé portant la croix de Toulouse en conquérant.

Les  comtes de Toulouse y possédaient des vignes, sous les dentelles de Montmirail.

 

Vignes  phocéennes élaborées gauloisement dont les Romains, en  amateurs, vantèrent  le nectar.  

Sylvain, le  Dieu au  maillet de tonnelier, y est  célébré par un autel  en son  honneur.  

Le nez de Cyrano n’eut pas  le plaisir d’ humer, de ton vin, ses  délicates notes de terroir.

Le temps et l’histoire ont façonné ton  visage d’aujourd’hui. Les mascarons  en sont ton bonheur.

 

Cévennes et Alpilles s’offrent  à toi en reconnaissance de ta majesté, épaulées par un mistral

Dominant  de la vallée du  Rhône. Tu rayonnes  ainsi près des Baronnies  provençales,  Paradis des plantes aromatiques et senteurs  d’oliviers  chaloupés  par le craquettement  des cigales.

 

-  Ab  l’alen  tir vas me l’aire, qu’en  sen venir  de Proensa, tot quant  es  de  lai  m’agensa.

-  Avec mon haleine je tire vers moi l’air que je sens venir de la Provence. Tout ce qui est de là-bas me plait. 

 

  Raymond  Martin

 

 Septembre  2016.

 

 

 Grand merci  à   : Peire Vidal  .Poète Provençal

 

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 lLes dentelles de Montmirail

Un partenariat d'

Arts 12272797098?profile=originalLettres

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Le temps d’un instant. JGobert.

Un soleil d'automne verse ses derniers rayons de lumière. Il inonde la terre de magie, d’enchantement.

L’hiver s'installe.

La végétation se sent mourir insensiblement mais résiste encore. Dans cet espace de beauté, mêlé de couleurs flamboyantes, éclatantes, aux tons or et ocre, scintille un lac où les oiseaux se posent une dernière fois avant un long voyage.  

Non loin de là, à l’orée d’un bois, une petite demeure abandonnée.

Désertée par les propriétaires, elle n'intéresse plus personne.

La porte est entrouverte et laisse entrer le vent. Les fenêtres ont des carreaux brisés. La toiture, en mauvais état, redoute le prochain hiver. Le bois craque, souffre.

Malgré cette désaffection, la bâtisse respire encore l’odeur du passé, l’odeur du bonheur.

Aux seuils de l'hiver, les esprits de la forêt en prennent possession. 

Ils s'installent, vont et viennent, animent cet endroit à leur façon comme chaque année. La maison solitaire est douce, tendre et recèle des vieux trésors oubliés.

Un étrange génie y habite.

Il se confond à la maison et y réside depuis toujours.

Les esprits de la forêt font bon ménage avec lui. 

Il est la bonté même.

Les anciens locataires ont déménagé pour vivre en ville, dans la facilité, le confort. La vie dans la forêt est trop laborieuse, trop pénible. Ils ont échangé une liberté, une douceur de vivre, une sérénité d'être soi avec une nature généreuse pour un bien-être plus matériel.

Les esprits s’en amusent. Ils savent que la nature malgré sa rudesse donne beaucoup.  Que les hommes sont sots de partir et d'abandonner cette existence.

Ils ont oublié l'essentiel : la magie de l'endroit.

L'hiver est arrivé maintenant avec son lot d'intempéries. La petite maison est malmenée, brimée et souffre. Le froid ne l'épargne pas. La neige, le gel la transpercent, l’envahissent. Elle est triste d'être ainsi isolée. 

Les esprits de la forêt la réconfortent et l'entourent d'amour, mais elle n'y arrive plus. C'est trop pénible cette année. Elle sent sa vieille charpente trop lourde pour elle.

Pourquoi ne pas appeler le génie et enfin le réveiller ?

Les esprits savent que ce n'est pas leur rôle. Ils n’ont pas le pouvoir de s’adresser au génie, mais c'est pour une bonne cause. Il faut aider la petite maison.

Celui-ci s’étire et enfin se réveille.

La solitude rend vulnérable. Un secret bien gardé pour certains.

La petite maison souffre de solitude, d’isolement, de ce bonheur perdu dans les méandres du temps, de la routine journalière qui a fini par tout effacer et qui a laissé partir au loin ce qui lui était si précieux. Des actes perdus, des mots égarés  que le sens du temps a fait chavirer et tomber dans l’oubli.

Le génie, sorti de son sommeil, a toujours des solutions. Il sait qu’il est difficile de reconquérir une foi, une confiance que l’on a laissé partir sans se battre, que l'on croyait acquise à tout jamais.

Au bord du chemin, un jeune couple que rien n'a épargné cherche un endroit pour dormir, se reposer. Il  arrive à pas lents sous la pluie. Ils sont démunis, au bord d'un gouffre que l'on nomme désespoir, misère.

La vie et les hommes ne leur ont pas facilité l'existence. De promesses en mensonges, ils ont tout perdu. Ils marchent depuis des heures sous le froid et se demandent ce qui va leur arriver.

Les esprits de la forêt les ont repérés.

Ils font en sorte de les attirer vers ce chemin abandonné. Le génie a déjà tout prévu et la petite maison, d’un coup, se relève, se réveille, scintille.

C’est un cadeau du ciel que chacun prend avec joie.

Le couple ne sait pas encore que dans quelques minutes, une maison va ouvrir son cœur pour les accueillir, les protéger, les aimer. Celle-ci va revivre enfin et accompagner ces gens dans une existence nouvelle, riche et pleine de beauté.

Mais le jeune couple ne cherche pas à s’installer ici, dans cet endroit isolé. Il préfère passer son chemin.

La petite maison, le génie et les esprits sont stupéfaits de ce refus.

La tourmente a cessé.

Une autre route se dessine au loin. Des lumières s’allument.

Une auberge chauffée attend les voyageurs sans bagages. Il reste une chambre libre. Ils seront bien pour une nuit dans les bras de Morphée. Demain est un autre jour avec les rêves d’un monde nouveau.

La petite maison, désespérée, se console et s’apaise.

Seule au bord de la forêt, elle songe à ce qu’a été sa vie, ses bonheurs, ses jours heureux, enchantés.

Le génie s’est rendormi.

Les esprits de la forêt s’activent. Ils préparent une grande fête aux couleurs du temps avec au centre leur amie.

Ce temps qui n’appartient plus aux hommes.

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La fable n'est-elle vraiment - comme le veut la définition traditionnelle -qu'un bref récit mettant en scène des animaux? Mais Le Chat botté et Le Petit Chaperon rouge, où l'on voit intervenir des bêtes, sont appelés contes et non fables. Comment oublier aussi qu'au XVIIe et au XVIIIe siècle le mot fable est couramment employé au sens de mythe, comme le montrent bien les innombrables «dictionnaires de la fable» du temps, consacrés aux dieux, demi-dieux et héros du Panthéon antique? Autre ambiguïté: des expressions courantes comme fabuleux ou affabulation ne renvoient pas à des récits sur les animaux, mais au merveilleux et à la fiction en général.

Pour caractériser la fable, le plus simple reste de partir de l'étymologie: la racine indo-européenne bha (x), parler, d'où viennent le verbe grec fcmí, le latin fari et le mot fabula, en russe basnija. Dans cette perspective, la fable apparaît moins comme un genre déterminé que comme une nébuleuse originelle à partir de laquelle se sont formés peu à peu divers types de fiction faisant une part plus ou moins grande au narrateur, ou même l'excluant au profit des divers locuteurs qui se sont emparés de l'univers du discours.

Cette hypothèse permet de comprendre un des plus curieux paradoxes de la fable: au départ, le pouvoir indifférencié de séduire par la parole; à l'arrivée, ce genre singulier qui n'existe plus que «pour les enfants et pour les raffinés», suivant l'expression de MaxJacob. Genre encore plus marginal, si possible, que les contes de fées car la magie la plus extravangante, à notre époque, n'est-elle pas de présenter des animaux qui parlent? Il importe donc d'examiner de plus près ce fossile vivant. Comment a-t-il pu se constituer ou se maintenir?

 

De l'origine à la fonction des fables

 

Les recherches sur la fable ont longtemps buté sur le problème de ses origines. Fontenelle, à partir de l'Histoire des oracles du Hollandais VanDale, ne veut y voir que la volonté de croire, pour les uns, et celle d'exploiter cette crédulité, pour les autres. Mais la critique de cette «longue suite d'erreurs et de délires» vise plus les superstitions que les fables, fictions posées comme telles. Au XIXe siècle, on admet enfin qu'il s'agit de fictions, mais c'est pour supposer aussitôt qu'elles ont un sens caché qu'il faut décrypter: il s'agirait par exemple de mythes solaires ou de rites saisonniers transcrits en images symboliques. Ainsi, dans la Mythologie zoologique d'Angelo de Gubernatis (1874), le loup dévorant les chevreaux représente tour à tour le Soleil qui fait disparaître les blancheurs de l'aurore, ou l'Hiver, qui semble anéantir les plantes avant que le printemps les fasse reverdir. Interprétation que ne contredisait pas une sociologie décrivant «la mentalité primitive» comme prélogique, «confondant ce que nous distinguons et distinguant ce que nous confondons» (Lévy-Bruhl). Parallèlement, on voulait prouver que toutes les fables venaient de l'Inde. Les progrès de l'anthropologie, de MargaretMead et Bronislav Malinowski à EdmundLeach et à Claude Lévi-Strauss, nous ont permis de sortir peu à peu de notre ethnocentrisme. Nous commençons à admettre que les cultures dites primitives peuvent atteindre des équilibres égaux ou supérieurs au nôtre sous l'angle de la convivialité, de l'intégration sociale, des structures familiales, etc. Dans cette perspecive nouvelle, interdisciplinaire, le problème de l'origine des fables est remplacé par ceux, plus modestes, de leur fonction dans une société donnée, de leur description, de leur morphologie, de leur cheminement géographique et historique, etc.

Sous cet éclairage, les fables sont inséparables des contes. Il s'agit de formes d'art spécifiques qui viennent d'un lointain passé et qui ont un mode d'existence essentiellement oral, par l'intermédiaire de conteurs, spécialisés ou non, qui n'ont pas de statut de créateurs, mais qui créent malgré tout en élaborant sans cesse ces oeuvres et en les adaptant à leur public qui intervient à sa manière et peut, de ce fait, être à son tour considéré comme créateur. Dès l'apparition de nouveaux supports et de nouveaux modes de transmission, ces oeuvres essentiellement orales ont été notées, puis élaborées, ce qui a permis de suivre et de confronter le cheminement et la restructuration de la même histoire dans le circuit de l'oral et dans celui de l'écrit, et aussi de les classer par «types».

Les contes d'animaux occupent les premiers numéros, de 1 à 299, dans la classification internationale Aarne-Thompson. Le conte animalier a-t-il une structure spécifique? Propp, on le sait, analysant une centaine de contes merveilleux, a identifié un schéma fonctionnel comportant un manque ou méfait initial que le héros répare ou compense par une série de combats ou d'épreuves et qui aboutit à un équilibre meilleur. Par opposition à ce schéma dynamique et fermé, le conte animalier, qui ne comporte généralement que deux personnages, serait, selon Marie-LouiseTenèze, une structure statique, ouverte. En effet, les héros (le fort et le faible, le trompeur et le trompé) se retrouveraient à l'arrivée dans la même situation qu'au départ, donc disponibles pour une nouvelle aventure fondée sur la même opposition. Ainsi s'expliquerait que les contes animaliers se présentent volontiers sous forme de chaînes ou de cycles: celui du renard, du loup, de l'âne, etc.

L'opposition entre les protagonistes ne se réduit pas à ces deux contrastes. Elle s'organise autour de couples de contraires, du type force physique + sottise et faiblesse + intelligence, auxquels s'ajoute l'antagonisme bête sauvage-bête domestiques. Double reflet d'une combinaison encore plus fondamentale, celle qui associe la bête et l'homme, confrontation où l'homme n'a pas nécessairement le beau rôle. Ainsi, par un jeu d'éventualités infiniment variées, se constitue un monde fictif, mais aussi cruel et imprévisible que le vrai: le renard ne cesse de berner le loup, mais il est trompé à son tour par la merlette; la chèvre qui a quitté son abri sera mangée; mais les biquets qui auront su exiger le mot de passe seront épargnés. Et ainsi de suite.

Ces analyses permettent de comprendre pourquoi «se servir d'animaux», suivant l'expression de LaFontaine, n'est pas un choix neutre. Au-delà de toute intention politique qui peut s'y ajouter, il suppose une sorte de philosophie implicite, qui n'est pas nécessairement naïve: l'idée que l'homme est un animal parmi d'autres, privilégié certes par son intelligence, mais qui doit attention et respect aux autres espèces. Cet émerveillement devant la nature donne une saveur particulière aux contes étiologiques et mimologiques, récits qui sont censés expliquer telle ou telle caractéristique d'un animal (par exemple la lâcheté du lièvre ou la trompe de l'éléphant) ou encore justifier son cri (le conte n'hésite pas, souvent, à le traduire en langage humain).

Dans la plupart des contes d'animaux collectés ou élaborés depuis quelques siècles, l'intention cosmogonique n'est plus explicite; les traits distinctifs de chaque animal nous sont fournis sans explication car ils jouent leur rôle dans l'histoire racontée. Les conteurs populaires privilégient telle ou telle caractéristique de chaque espèce animale - typologie qui, à la longue, devient un répertoire de locutions courantes et une ébauche d'histoire naturelle.

 

Chacal sanscrit et fourmi malgache

 

Un des recueils le plus souvent cités dans les histoires de la fable est le Pañcatantra, ou les «Cinq Livres» de la sagesse, dont le noyau primitif date vraisemblablement du début de notre ère. Il s'agit de contes d'animaux qui ont été recueillis dans l'Inde méridionale, le Cachemire et le Népal et qui se sont transmis et augmentés par d'innombrables versions, syriaques, arabes, hébraïques, latines, etc. Une de ces versions a été particulièrement populaire, sous le titre Hitopadesa ou l'«Instruction profitable». Les héros de cette épopée sont les animaux de la faune indienne, depuis les princes de la jungle et de la savane jusqu'aux bestioles les plus modestes, la puce et le pou. Le chacal y tient le rôle de notre renard. Il s'agit de récits sans moralité explicite et même très souvent immoraux, au sens courant du terme, puisque les personnages obéissent à la loi du plus fort. L'ironie est cependant toujours présente et on peut la considérer comme l'esquisse d'une moralité par antiphrase. Traduite et adaptée plus de deux cents fois, l'oeuvre a exercé une profonde influence sur toute la tradition animalière européenne, du Resneke Fuchs aux Gesta Romanorum, de Marie de France à LaFontaine, à Grimm et à Andersen. Va-t-on pour autant conclure à une influence directe, textuelle des Indes et par là revenir à la théorie de l'origine unique des fables? L'hypothèse est peu probable. On retrouve les mêmes histoires d'animaux dans beaucoup d'autres littératures orales européennes, amérindiennes ou africaines, par exemple dans les contes populaires malgaches, recueillis par JeannedeLongchamps: rapports d'entraide, de dépendance ou de violence et aussi récits étiologiques justifiant le «fady», forme malgache du tabou mélanésien, expliqué par des aventures où ces animaux sauvèrent la vie de l'homme. On a pris l'habitude de réserver le nom d'apologues aux récits comportant une morale distincte et celui de fables aux textes purement narratifs. Cette distinction ne doit pas nous faire oublier que les variations formelles de la fable sont liées aux besoins du public qui, en l'occurrence, doit être considéré non seulement comme destinataire mais comme co-auteur. S'il est de connivence et capable de saisir le non-dit, la fable peut se présenter sous l'apparence d'un simple récit, imagé ou non; dans le cas contraire, la fable proprement dite est longuement analysée et expliquée et peut même n'apparaître que comme un exemple ou comme la justification concrète d'un raisonnement.

 

D'Ésope aux «renardies»

 

Ésope, poète aussi légendaire qu'Homère, aurait vécu en Grèce au VIe siècle avant J.-C. Le recueil qui nous est parvenu sous son nom comporte environ trois cents brefs récits en prose, souvent accompagnés d'une courte moralité. À ces récits il faut ajouter la Vie d'Ésope, esclave phrygien, fable qui joue le rôle d'un véritable «mode d'emploi». Il s'agit d'un conte, ou d'une rapsodie de contes, qui nous présente les épreuves et les problèmes que le fabuliste légendaire dut affronter et résoudre, tantôt pour répondre à des accusations calomnieuses, tantôt pour que son maître consente enfin à l'affranchir. Au-delà des anecdotes se précise la caractéristique essentielle du genre: le mentir-vrai. Là où la société emprisonne ou tue ceux qui disent la vérité, l'artiste est acculé à la «feinte», au «dire sans dire». Et quelle meilleure ruse que de faire parler les animaux? Les puissants du jour sont réduits à l'impuissance, car se fâcher reviendrait à avouer qu'ils se sont reconnus.

Autre étape de l'évolution de la fable, au premier siècle de notre ère: Phèdre. D'origine thrace, mais citoyen romain, il restructure le genre. La fable reste concise, mais devient, par sa construction même, une comédie ou un petit drame aux effets soigneusement préparés.

Sous le Bas-Empire et tout au long du Moyen Âge, les contes animaliers connaissent un double destin. Dans leur forme originale, ils continuent à être racontés aux veillées, dans les campagnes, comme l'atteste par exemple NoëlduFail dans ses Propos rustiques et facétieux; christianisés, dans le sillage des paraboles, ils se transforment en exempla, à l'appui des prêches. À un autre niveau d'élaboration, tour à tour oral et écrit, le genre connaît un essor considérable: tantôt brève histoire pour rire, en vers (ysopet, lai ou fabliau), tantôt cycle de contes d'animaux rehaussés d'allusions politiques, comme les diverses branches du Roman du Renart, violente et savoureuse satire des injustices de la société féodale. On notera que les traits typiques des animaux de la fable, suivant l'époque et les intentions de l'artiste, peuvent évoluer au point de changer de sens: le renard, en trompant le trompeur, finit par devenir un personnage positif; l'âne, symbole de la sottise, apparaît souvent comme celui de l'humilité et de la patience, une patience qui pourrait bien ne pas durer toujours.

Les fables ont un autre emploi essentiel: la pédagogie. À une époque où l'enseignement est austère et se fait essentiellement en latin, les fables d'Ésope et de ses émules, souvent illustrées, sont vite identifiées comme de remarquables instruments de travail scolaire. Ésope, diffusé dès le début de l'imprimerie, s'enrichit de beaucoup d'autres versions de contes animaliers ou de gloses: les fables d'Aphthonius, de Babrias, d'Avienus, d'Abstemius, de Faërne. Dans les collèges, l'enfant traduit ces fables latines et grecques, mais il est invité aussi à les refaire, à les amplifier en développant les «circonstances», à «argumenter» à leur sujet, à disserter sur leur «morale». La diffusion des fables s'effectue aussi par les emblèmes, hybridation du genre, très pratiquée par les humanistes: un titre bref, de forme souvent proverbiale, précède une gravure, généralement très soignée, qui raconte la fable en image; suit la fable elle-même; vient enfin un long commentaire qui précise à la fois l'anecdote et sa signification. Ces recueils -dont le plus célèbre est celui d'Alciat (1531)- ont un très grand succès au XVIIe siècle. Nous savons ainsi que LaFontaine a apprécié et utilisé les recueils plusieurs fois réédités de Baudoin et de Verdizotti. Nombreuses aussi sont les résurgences des contes d'animaux dans la littérature savante du XVIe siècle, soit sous la forme même de fables, comme chez Marot, soit dans des épisodes intégrés à une narration plus élaborée, comme l'histoire des moutons de Panurge, chez Rabelais.

 

Le dernier des fabulistes?

 

Faut-il, avec l'entomologiste J.H. Fabre, s'étonner des «grossiers non-sens» de LaFontaine et rappeler que la cigale n'est ni granivore ni insectivore? À ce compte, pourquoi ne pas incriminer aussi l'étrange erreur de ces bêtes qui parlent et qui chantent? Le fabuliste a sans doute su que les cigales disposent d'un délicat suçoir à sève, mais peut-on lui tenir grief d'avoir maintenu, dans une fable brève, la typologie traditionnelle qui, du reste, respecte la vérité à propos des rapports peu cordiaux qu'entretiennent l'espèce des fourmis et celle des cigales?

Les Fables de La Fontaine ne nous dispensent pas, c'est certain, de suivre les progrès de l'entomologie contemporaine; leur mérite -et leur réussite- est ailleurs: dans la convenance complexe entre un genre souple et un esprit libre et inventif, attentif aux événements importants et aux grands courants de pensée de son temps. Héritier de traditions multiples, respectées et approfondies avec bonheur, LaFontaine a transformé la fable en elle-même et en tout autre chose: rapsodie de contes animaliers et essai philosophique, comme le Discours à Madame de La Sablière (IX, 20) ou scénario plein d'imprévu et vagabondage lyrique comme Les Deux Pigeons (IX, 2).

La réussite de La Fontaine a-t-elle tari le genre? Il est certain que les fables de Florian, souvent habiles et gracieuses, souffrent de la comparaison. Mais l'erreur, justement, n'est-elle pas de vouloir comparer ce qui ne doit pas l'être? Plusieurs fabulistes, en évitant d'imiter La Fontaine et en recherchant un autre ton dans leurs traditions nationales, ont atteint une notoriété justifiée: ainsi, en Angleterre, les fables de John Gay (1726), en Allemagne, celles de G.E. Lessing (1759), en Espagne, celles de T. de Yriarte (1782). Le plus célèbre de ces rénovateurs de la fable reste Ivan Andreievitch Krylov (1768-1844). Ses fables sont élaborées à partir de contes d'animaux du terroir russe; bien qu'adaptées à l'actualité du temps, elles la dépassent par un «parti pris des choses» plein d'ironie; elles restent vivantes aussi par leur langue, imagée et savoureuse, riche en expressions proverbiales et en trouvailles qui sont vite devenues populaires.

Mais faut-il limiter la fable, qui a été si longtemps cyclique et de tradition orale, à ses formes les plus brèves et au support de l'imprimé?

Le courant animalier, enrichi par les relations des grands voyageurs et par les observations des zoologistes, s'est renouvelé dans des cycles romanesques d'une grande qualité artistique: ainsi les deux Livres de la jungle du Britannique R. Kipling, l'Appel de la forêt et autres romans consacrés aux animaux du grand Nord de l'Américain Jack London, qui sont vite devenus des classiques de la littérature pour adolescents. Parallèlement, le progrès des sciences naturelles et leur vulgarisation ont rejeté les animaux prétextes de la fable dans la littérature pour les plus jeunes. En inversant les caractéristiques traditionnelles de quelques fauves, en particulier celles du loup, MarcelAymé, dans les Contes du chat perché, leur a inventé des aventures pleines de grâce et de malice.

La fable a paru trouver un nouveau souffle dans le secteur du dessin animé, avec les courts métrages de Walt Disney, largement diffusés par le cinéma, la presse et le livre. Mais Donald le Canard et Mickey la Souris se sont révélés des héros ambigus. Dans des scénarios qui semblent anodins, ils distillent et banalisent un individualisme cynique et sans scrupules, très éloigné de l'humanisme fondamental de la fable.

Ce n'est pas une raison de douter de l'avenir de ce genre qui a déjà resurgi tant de fois de ses cendres. Le besoin du public contemporain en oeuvres courtes, réfléchies et gaies est loin d'être comblé. Et sa curiosité sur la vie animale et sur ses rapports avec la nôtre est restée intacte. Peut-être faudra-il chercher les résurgences futures de la fable du côté du court métrage, documentaire ou d'animation, de la bande dessinée, de la nouvelle, du poème et de la chanson.

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Balade,

 

Je mets mon châle bleu,

je me coiffe; oh rien qu'un peu,

mes cheveux roux illuminent l'hiver,

je les aime un peu fous,

l'air au dehors est doux.

Je m'assoies sur un banc,

j'applique sur mes lèvres,

une teinte abricotée,

sur mes joues un peu pâles un blush ensoleillé,

je me lève, je contemple le ciel,

flou, car la brume l'enveloppe,

j'ai chaud de vous.

J'aborde tout doucement

les berges de la Seine,

mes bottines souples et noires

se fichent, s'amusent des pavés gris ;

mes pas iront sans doute jusqu'à vous !

Ma tête danse tout en dedans,

mon cœur excessif, en cet instant magique,

n'est que roses et musique,

mon corps réceptif, euphorique,

s'en nourrit pour en faire don au vôtre.

 

NINA

 

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Propos en état second

Deux fois, j'ai dit son nom dans le silence.
En son élégant habit de concert,
Tenant sa baguette, la musicienne,
Auprès de moi aussitôt revenue.

Blonde comme la plus jeune des fées,
Fluette, avec de très petites mains
Elle est d'une délicate beauté
Surprend par son énergie mesurée.

Occasionnellement reprend son rôle.
L'en a dépossédée la providence.
Un rare hasard par chance lui offre
De révéler son savoir, son talent.

Ils m'apparaissent comme étant des dons.
Mystère de l'intelligence en art.
Certes je peux lui offrir un orchestre
Et un univers de sons à gérer.

Salzbourg! Ses années de conservatoire,
Le sublime dans l'ivresse reçu!
Ce soir, à diriger sera parfaite.
Vais me laisser enivrer à mon tour.

25 octobre 2016

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L'hagiographie est un genre littéraire qu'au XVIIe siècle on appelait aussi l'hagiologie ou l'hagiologique. Comme le père Delehaye le précisait en 1905 dans un ouvrage qui a fait date, Les Légendes hagiographiques, elle privilégie les acteurs du sacré (les saints) et elle vise l'édification (une «exemplarité»): «Il faudra donc, écrivait l'auteur, réserver ce nom à tout monument écrit inspiré par le culte des saints et destiné à le promouvoir.» De ce «monument», la rhétorique est saturée de sens, mais du même sens. C'est un tombeau tautologique.

Un certain nombre de points de vue sont trop étroits. L'hagiographie chrétienne (qui sera seule évoquée ici) n'est pas limitée à l'Antiquité ou au Moyen Âge, même si, depuis le XVIIe siècle, elle a été trop étudiée sous l'angle de la critique historique et d'un retour aux sources, et, de ce fait, rangée avec la légende dans les temps d'une pré-historiographie ancienne, pour réserver à la période moderne le privilège des biographies scientifiques. Il est impossible aussi de ne la considérer qu'en fonction de l'«authenticité» ou de la «valeur historique»: ce serait soumettre un genre littéraire à la loi d'un autre - l'historiographie - et démanteler un type propre de discours pour n'en retenir que ce qu'il n'est pas.

Comme la Vie de saint Martin (l'un de ses prototypes anciens), la «vie de saint» est «la cristallisation littéraire des perceptions d'une conscience collective» (Jacques Fontaine). D'un point de vue historique et sociologique, il faut retracer les étapes, analyser le fonctionnement et préciser la situation culturelle de cette littérature. Mais le document hagiographique se caractérise aussi par une organisation textuelle où se déploient les possibilités impliquées par le titre jadis donné à ce type de récit: acta ou, plus tard, acta sanctorum. De ce deuxième point de vue, la combinaison des actes, des lieux et des thèmes indique une structure propre qui se réfère non pas essentiellement à «ce qui s'est passé», comme le fait l'histoire, mais à «ce qui est exemplaire». Les res gestae ne constituent qu'un lexique. Chaque «vie de saint» est plutôt à considérer comme un système qui organise une manifestation grâce à une combinaison topologique de «vertus» et de «miracles».

 

 

1. Histoire et sociologie

 

Jalons pour une histoire

 

Née avec les calendriers liturgiques et la commémoraison des martyrs aux lieux de leurs tombeaux, l'hagiographie s'intéresse moins, durant les premiers siècles (de 150 à 350 environ), à la vie qu'à la mort du témoin. Une deuxième étape s'ouvre avec les Vies: celles des ascètes du désert (cf. la Vie de saint Antoine par Athanase) et, d'autre part, celles de «confesseurs» et d'évêques - Vies de saint Cyprien (┼ 258), de saint Grégoire le Thaumaturge (┼ vers 270) ou de saint Martin de Tours par Sulpice Sévère. Suit un grand essor de l'hagiographie, où les fondateurs d'ordres et les mystiques occupent une place croissante. Ce n'est plus la mort, mais la vie, qui fonde. D'abord chez les Grecs (Siméon le Métaphraste au Xe siècle), puis dans l'Occident médiéval (la «Légende dorée» de Jacques de Voragine au XIIIe siècle n'est que le cas le plus fameux), se multiplient alors des compilations plus récapitulatives et cycliques, affectées de titres anciens dont elles changent le sens: Ménologe, Catalogus sanctorum, Sanctilogium, Legendarium, etc. Tout au long de ce développement, se distinguent la Vie destinée à l'office liturgique (de type plus officiel et clérical) et la Vie destinée au peuple (type plus lié aux sermonnaires, aux récits des jongleurs, etc.).

En 1643, la publication à Anvers du premier volume des Acta sanctorum par les jésuites Bolland et Henskens (ou «Henschenius») marque un tournant: premier en date des travaux que vont éditer les Bollandistes (en particulier Daniel Papebroch, le plus célèbre de cette «Commune» érudite), ce volume résulte du projet que le père Rosweyde avait conçu près d'un demi-siècle avant. Il introduit la critique dans l'hagiographie. Recherche systématique des manuscrits, classification des sources, mutation du texte en document, privilège accordé au «fait» si minuscule soit-il, passage discret de la vérité dogmatique à une vérité historique qui a en elle-même sa propre fin, chasse que définit déjà, paradoxalement, «non la découverte du vrai, mais celle du faux» (E. Cassirer): ces principes définissent le travail collectif d'une équipe qui s'inscrit elle-même dans une internationale de l'érudition par un réseau de correspondances et de voyages, moyens d'informations et de contrôles réciproques. Ainsi se forme, sur cette infrastructure sociale, un communis eruditorum consensus. Désormais, dans la classification des ouvrages religieux, «les vies de saints, générales et particulières, sont une grande partie de l'histoire ecclésiastique» (Table universelle des auteurs ecclésiastiques, 1704).

Du fait que la sélection érudite retient seulement des documents ce qu'ils ont de «sincère» ou de «véritable», l'hagiographie non critique, qui reste la plus importante, s'isole. Un clivage s'opère. D'une part, «l'austérité» qu'en matière liturgique les prêtres et les théologiens ont toujours opposée à la folklorisation populaire se mue en «exactitude» historique, forme nouvelle du culte par lequel des clercs tiennent le peuple dans la vérité. D'autre part, de la rhétorique des sermons sur les saints on passe à une littérature «dévote», qui cultive l'affectif et l'extraordinaire. Le fossé entre les «Biographies» savantes et les «Vies» édifiantes s'élargit. Les premières sont critiques, moins nombreuses et traitent de saints plus anciens, c'est-à-dire également relatifs à une pureté primitive du vrai et à un privilège élitiste du savoir. Les secondes, comme mille «Fleurs des saints» populaires, sont très répandues, et consacrées plutôt à des contemporains morts «en odeur de sainteté». Au XXe siècle, d'autres personnages, ceux de la politique, du crime ou de l'amour, prennent le relais des «saints», mais entre les deux séries le clivage se maintient.

 

Un document sociologique

 

La vie de saint s'inscrit dans la vie d'un groupe, Église ou communauté. Elle suppose que le groupe a déjà une existence. Mais elle représente la conscience qu'il a de lui-même en associant une figure à un lieu. Un producteur (martyr, saint patronyme, fondateur d'une abbaye, d'un ordre ou d'une Église) est donné à un site (le tombeau, l'église, le monastère), qui devient ainsi une fondation, le produit et le signe d'une advenue. Le texte implique aussi un réseau de supports (transmission orale, manuscrite ou imprimée) dont il arrête, à un moment donné, le développement indéfini. Dans la dynamique de la prolifération et de la dissémination sociales, il fixe une étape. Aux fuites et à la «perte» dont se paie la diffusion, il répond par la clôture d'une mise en scène, qui circonscrit ou rectifie le mouvement des convictions en marche (progrès de la dévotion pour les premiers martyrs ou de celle qui amplifie les miracles du padre Pio). À cet égard, il a une double fonction de découpage. Il distingue un temps et un lieu du groupe.

D'une part, la «vie de saint» articule deux mouvements apparemment contraires. Elle assure une distance par rapport aux origines (une communauté déjà constituée se distingue de son passé grâce à l'écart que constitue la représentation de ce passé). Mais par ailleurs un retour aux origines permet de reconstituer une unité au moment où, en se développant, le groupe risque de se disperser. Ainsi le souvenir (objet dont la construction est liée à la disparition des commencements) se combine à l'«édification» productrice d'une image destinée à protéger le groupe contre sa dispersion. Ainsi se dit un moment de la collectivité partagée entre ce qu'elle perd et ce qu'elle crée. La série des vies de Pakhôme ou de François d'Assise atteste à la fois des états et des programmes différents, proportionnés à une distanciation du passé et à la réaction présente qu'elle suscite.

D'autre part, la vie de saint indique le rapport que le groupe entretient avec d'autres groupes. Ainsi le «martyre» prédomine là où la communauté est plus marginale, confrontée à une menace de mort, alors que la «vertu» représente une église établie, épiphanie de l'ordre social dans lequel elle s'inscrit. Révélateurs, aussi, de ce point de vue, le récit des combats du héros avec les figures sociales du diable; ou le caractère soit polémique soit parénétique du discours hagiographique; ou le noircissement du décor sur lequel le saint se détache par des miracles plus fortement marqués; ou la structure soit binaire (conflictuelle, antinomique) soit ternaire (médiatisée et «en équilibre») de l'espace où les acteurs sont disposés.

Il y a aussi une sociologie historique du héros. Ainsi, le martyr est la figure dominante dans les commencements de l'Église catholique (les Passions), protestante (les martyrologes de Rabe, de Foxe, de Crespin), ou, à un moindre degré, camisarde, etc. Puis viennent les confesseurs (au IVe siècle, chez les Syriens ou en Gaule avec saint Martin) qui doublent et finalement relayent les martyrs: soit l'ermite qui est encore un combattant (mais au désert et avec le diable) et déjà un fondateur, soit le pasteur (l'évêque ou l'abbé restaurateur d'une communauté). On passe ensuite aux hommes de vertus (avec une prédominance des religieux sur les prêtres et les laïcs); les femmes suivent, assez tardivement (époque mérovingienne, si l'on s'en tient aux canonisées) et en petit nombre, mais en avance sur la troupe plus mince encore des enfants.

 

Une fonction de «vacance»

 

Dans la communauté chrétienne et dès les premiers temps, l'hagiographie se distingue globalement d'un autre type de texte, les «livres canoniques» que constituent essentiellement les Écritures. Dans sa Vie (Ve siècle), il nous est dit de Mélanie qu'une fois «rassasiée» des livres canoniques ou des recueils d'homélies, «elle parcourait les vies des Pères comme par manière de dessert». La vie des saints apporte à la communauté un élément festif. Elle se situe du côté de la détente et du loisir. Elle correspond à un «temps libre», lieu mis à part, ouverture «spirituelle» et contemplative. Elle ne se trouve pas du côté de l'instruction, de la norme pédagogique, du dogme. Elle «divertit». À la différence des textes qu'il faut croire ou pratiquer, elle oscille entre le croyable et l'incroyable, elle propose ce qu'il est loisible  de penser ou faire. Sous ces deux aspects, elle crée, hors du temps et de la règle, un espace de «vacance» et de possibilités neuves.

L'usage de l'hagiographie correspond à son contenu. Dans la lecture, elle est le loisir distingué du travail. On la lit pendant les repas, ou quand les moines se récréent. Durant l'année, elle intervient aux jours de fête. Elle se raconte aux lieux de pèlerinage ou s'écoute aux heures de liberté.

Sous ces divers aspects, le texte coupe d'imaginaire la rigueur du temps; il réintroduit le répétitif et le cyclique dans la linéarité du travail. En montrant comment, par un saint (une exception), l'histoire s'est ouverte à la «puissance de Dieu», il crée une place où le même et le loisir se rejoignent. Cette place exceptée ouvre à chaque lecteur la possibilité d'un sens qui est à la fois l'ailleurs et l'immuable. L'extraordinaire et le possible s'appuient l'un l'autre pour construire la fiction ici mise au service de l'exemplaire. Cette combinaison en la forme d'un récit joue une fonction de «gratuité» qui se retrouve également dans le texte et dans son mode d'emploi. C'est une poétique du sens. Elle n'est pas réductible à une exactitude des faits ou de la doctrine sans détruire le genre même qui énonce. Sous les espèces d'une exception et d'un écart (c'est-à-dire par la métaphore d'un cas particulier), le discours crée une liberté par rapport au temps quotidien, collectif ou individuel, mais c'est un non-lieu.

 

Une littérature populaire?

 

La plus ancienne mention d'un hagiographe dans la littérature chrétienne ecclésiastique est une condamnation: l'auteur (un prêtre) fut dégradé pour avoir commis un apocryphe. L'orthodoxie réprime la fiction. Le décret Gélasien (qu'on a pu appeler le premier Index de l'Église de Rome) fait une large place à l'interdiction de Gestes de martyrs. Aussi l'hagiographie n'est-elle entrée dans la littérature ecclésiastique que par effraction, ou par la petite porte. Elle s'insinue dans l'ordre d'une cléricature; elle n'en fait pas partie. Les «Passions des martyrs» ne sont introduites que très tardivement (VIIIe siècle) et avec beaucoup de réticence, dans la liturgie romaine. Il en ira de même pour l'Église grecque où l'hagiographie se développe pourtant beaucoup plus vite et, à partir du IXe siècle, souvent chez les laïcs. Les mêmes réserves se retrouvent au XVIe siècle, aux origines des Églises protestantes et plus encore, au XVIIIe siècle, dans l'administration ecclésiastique catholique mobilisée contre ces «légendes» et «superstitions» par une chasse aux sorcières. Ultérieurement, l'État prendra le relais des juridictions ecclésiastiques. Ainsi, entre mille autres, la censure ministérielle qui, à Paris, en mai 1811, frappe un recueil des «merveilles» opérées à Notre-Dame de Laus: «C'est servir l'Église, dit le censeur, que d'empêcher que des croyances sans authenticité deviennent un sujet de dérision» (Paris, Arch. nat., fo 18, I, 149).

Pour reprendre les termes qu'emploie Du Cange (1665), de «légitimes censeurs» se dressent constamment contre «la dévotion des peuples». De tout temps comme au XVIIe siècle, les «hommes doctes» s'opposent à la «fausse créance» des peuples et la rangent avec «la barbarie des siècles passés» (A. Godeau, 1681). L'hagiographie serait la région où pullulent, localisés à la même place et condamnés ensemble, le faux, le populaire et l'archaïque.

Cette censure est le fait de clercs (quand ils ne sont pas religieux, ils sont politiques), mais elle obéit à des critères différents selon les époques. La norme au nom de laquelle on exclut la «légende» varie. Aux origines, elle est surtout liturgique. Puis elle est de type dogmatique. À partir du XVIIe siècle, elle a une forme plus historique: l'érudition impose une définition nouvelle de ce qui est «vrai» ou «authentique». Au XIXe siècle, elle prend une allure plus morale: au goût de l'extraordinaire, perte de sens et perte de temps, s'oppose un ordre lié au mérite du travail, à l'utilité des valeurs libérales, à une classification selon les vertus familiales. Elle se réfère aussi à une normalité psychologique: alors dans un «monde» qui doit être «malade», le saint doit se distinguer par son «équilibre» qui l'aligne, exemplaire, sur le code établi par de nouveaux clercs.

Chaque fois appuyée sur les règles qui caractérisent un statut de la société ecclésiastique, la censure cléricale extrait de la masse de la littérature hagiographique une part «conforme» à une norme du savoir: cette part sera canonique et canonisable. Le reste, qui est le principal, est jugé sévèrement, mais toléré cependant à cause de son utilité pour le peuple. Cette littérature «hérétique» est tour à tour destinée au peuple par des clercs (auteurs ou utilisateurs de tant de vies édifiantes) et récusée au titre des erreurs qui proviennent de l'ignorance populaire. Ainsi naît le problème à double face d'une littérature «populaire»: produit d'une élite ou effet de ce que celle-ci élimine? L'hagiographie est entrée depuis cent ans dans le folklore; là, elle se voit souvent affecter le privilège de représenter un fonds de l'homme dont une élite de savants, folkloristes ou ethnologues, serait l'interprète et la conscience. Mais ce travail n'est-il pas voué à éliminer ce que l'hagiographie est censée représenter, et donc à perdre ce qu'il vise?

 

 

2. La structure du discours hagiographique

 

Le héros

 

L'individualité, dans l'hagiographie, compte moins que le personnage. Les mêmes traits ou les mêmes épisodes passent d'un nom propre à l'autre: de ces éléments flottants, comme de mots ou de bijoux disponibles, les combinaisons composent telle ou telle figure et l'affectent d'un sens. Plus que le nom propre importe le modèle qui résulte de ce «bricolage»; plus que l'unité biographique, le découpage d'une fonction et du type qui la représente.

La construction de la figure s'effectue à partir d'éléments sémantiques. Ainsi pour indiquer chez le héros la source divine de son action et de l'héroïcité de ses vertus, la vie de saint lui donne souvent une origine noble. Le sang est la métaphore de la grâce. D'où la nécessité de généalogies. La sanctification des princes et l'anoblissement des saints se répondent, de texte à texte: ces opérations réciproques instaurent en hiérarchie sociale une exemplarité religieuse, et elles sacralisent un ordre établi (tel est le cas avec saint Charlemagne ou saint Napoléon). Mais elles obéissent également à un schéma eschatologique qui renverse l'ordre politique pour lui substituer le céleste, et change les pauvres en rois. En fait, il y a circularité: chaque ordre reconduit à l'autre. C'est l'ambiguïté des Gesta principum et vitae sanctorum: une attraction réciproque du prince et du saint les rassemble en la preuve que «c'est toujours la même chose» sous la diversité des manifestations.

L'utilisation de l'origine noble (connue ou cachée) n'est qu'un symptôme de la foi qui organise la vie de saint. Alors que la biographie vise à poser une évolution, et donc des différences, l'hagiographie postule que tout est donné à l'origine avec une «vocation», avec une «élection» ou, comme dans les vies de l'Antiquité, avec un ethos initial. L'histoire est alors l'épiphanie progressive de ce donné, comme si elle était aussi l'histoire des rapports entre le principe générateur du texte et ses manifestations de surface. L'épreuve ou la tentation est le pathos de ce rapport, la fiction de son indécision. Mais le texte se raconte luimême en focalisant le héros autour de la «constance», persévérance du même: «Idem enim constantissime perseverebat qui prius fuerat», est-il dit de saint Martin dans sa Vita. La fin répète le commencement. Du saint adulte, on remonte à l'enfance, en qui se reconnaît déjà l'effigie posthume. Le saint est celui qui ne perd rien de ce qu'il a reçu.

Le récit n'en reste pas moins dramatique, mais il n'y a devenir que de la manifestation. Ses lieux successifs se répartissent essentiellement entre un temps d'épreuves (combats solitaires) et un temps de glorifications (miracles publics): passage du privé au public. Comme dans la tragédie grecque, on sait l'issue dès le début, avec cette différence que là où la loi du destin grec impliquait la chute du héros, la glorification de Dieu demande le triomphe du saint.

 

Un discours de «vertus»

 

L'hagiographie est, à proprement parler, un discours de vertus. Mais le terme n'a que secondairement, et pas toujours, une signification morale. Il avoisine plutôt l'extraordinaire et le merveilleux, mais seulement en tant qu'ils sont des signes. Il désigne l'exercice de «puissances» se rattachant aux dunameis du Nouveau Testament et articulant l'ordre de l'apparaître sur un ordre de l'être. La «puissance» représente la relation entre ces deux niveaux et maintient leur différence. Cette médiation comporte tout un éventail de représentants, depuis le martyre ou le miracle jusqu'à l'ascèse ou l'accomplissement du devoir d'état. Chaque vie de saint offre un choix et une organisation propres de ces vertus, en utilisant pour ce faire le matériau fourni soit par les faits et gestes du saint, soit par les épisodes appartenant au fonds commun d'une tradition. Les «vertus» constituent des unités de base; leur raréfaction ou leur multiplication produit dans le récit des effets de retour ou de progrès; leurs combinaisons permettent une classification des hagiographies.

Ces unités peuvent être caractérisées à différents titres. En tant qu'elles fournissent des modèles (exempla) sociaux, elles se situent à une intersection entre l'évolution de la communauté particulière où elles sont élaborées (aspect diachronique) et la conjoncture socioculturelle que cette évolution traverse (aspect synchronique): ainsi la place et la définition de la pauvreté varient au Moyen Âge, selon qu'une congrégation est proche ou éloignée de ses commencements, et selon que le paupérisme joue dans la société globale le rôle d'une mobilité devenue nécessaire ou d'une menace pour l'ordre. Il en ira de même, par exemple, pour ces vertus opposées que sont d'une part l'irréductibilité de la confession de foi par rapport au milieu (martyre par le sang), d'autre part l'intégration au nom de l'utilité sociale (le devoir d'état) ou d'une conformité culturelle (l'équilibre psychologique).

Les vertus relèvent aussi d'une hiérarchie des signes d'après leur rapport à l'être qu'ils manifestent. On peut expliquer par là qu'il y ait eu éclatement de la vertu - dunamis, et que les «vertus» se soient spécialisées en se distinguant des «miracles». Les unes et les autres se réfèrent à la «puissance», mais comme norme sociale dans le cas des premières, comme exception dans le cas des secondes. Là où elle se produit, la moralisation des vertus semble le procédé qui permet de transformer les signes les plus conformes aux règles sociales d'une époque en manifestations les plus vraies (les plus transparentes) du mystère chrétien. Ailleurs, l'exception (le miracle) est donnée comme l'irruption de la puissance divine: est vrai (conforme à l'être) ce qui n'est pas conforme à l'ordre social. Dans la première perspective, les miracles deviennent secondaires; on les relativise ou on les efface, tel un indiscret surcroît. Dans la seconde, les vertus font figure de préambules et de combats qui préparent le dévoilement miraculeux de l'essentiel. On aura donc la vie de saint qui va de l'ascèse aux miracles par une progression vers la visibilité, ou, au contraire, celle qui vise, au-delà des premiers prodiges, les vertus communes et «cachées», la «fidélité dans les petites choses», traits de la véritable sainteté.

Une théologie est toujours investie dans le discours hagiographique. Elle est particulièrement évidente là où la vie de saint sert à prouver une théologie (surtout chez les Byzantins ou, en Occident, aux XVIe et XIXe siècles): la thèse est vraie puisqu'elle a été professée par un homme qui était un saint. Plus fondamentalement, c'est une combinaison des signes qui donne le sens du récit. Par eux-mêmes, le tableau et l'ordre des vertus exposent, sur le mode de la fiction, une théorie de la manifestation. L'organisation d'une Vie obéit donc à des types divers de projections du tableau systématique sur l'axe temporel. Elle peut être anthropologique (ainsi le récit donnera sous la forme d'étapes successives la distinction philosophique des «actes», des «puissances» et du «mode d'être», ou la tripartition de l'homme en «sensible», «psychique» et «spirituel»), ou éthique (ainsi les éléments biographiques seront classés selon des «catalogues de vertus», d'après les trois voeux de religion, etc.), ou théologique (ainsi l'expansion chronologique suit la division en trois vertus théologales et en quatre vertus cardinales), etc. Pendant la période moderne, l'eucharistie, condition du passage de l'être au paraître, est l'objet privilégié par le miracle, qui devient le doublet et la «preuve» de ce qui rend possible le récit d'une «manifestation».

 

Topique hagiographique

 

L'hagiographie offre un immense répertoire de thèmes qu'historiens, ethnologues et folkloristes ont souvent explorés. Avec Günther et beaucoup d'autres, on peut relever de petites unités fortement structurées dont la rémanence n'est pas nécessairement explicable par des influences: ainsi l'apparition du crucifix miraculeux, le corps jeté à la voirie et protégé des chiens par des oiseaux de proie, la statue venue de la mer, la lutte du cavalier contre le dragon, le porteur de sa propre tête, etc.

Il y a aussi tout un bestiaire. La vie de saint court-circuite souvent l'humain en liant, dans le miracle, la puissance divine et l'animal qui en est la victime ou le bénéficiaire: ces évanouissements de l'homme dans le miracle composent une démonstration plus forte d'une jonction des extrêmes, mais aussi les retours d'un fantastique du désir. Le répertoire animalier comporte d'ailleurs des régions de reliefs très différents, les unes plus stéréotypées et symboliques (le cochon, le serpent, le lion, l'aigle, etc.), les autres plus réalistes (la volaille, le chien, le cheval, etc.). Entre elles passe la frontière mouvante qui sépare un lexique reçu (dont les origines sauvages sont encore proches) et le langage de la nature cultivée (l'animal domestique ou familier). Plus important encore est le langage du corps, topographie de «trous» et de creux: les orifices (la bouche, l'oeil) et les cavités internes (le ventre, ultérieurement le coeur), tour à tour privilégiés, s'inscrivent dans les dialectiques extérieur-intérieur ou englobant-englobé, pour permettre un riche théâtre d'entrées et de sorties.

Globalement, ces thèmes renvoient à des systèmes de représentation. On a pu distinguer: un type démoniaque, ou «agonique», qui localise dans un combat céleste les figures du diable et ses métamorphoses; un type historique, ou scripturaire, qui répète, développe et illustre les signes fournis par l'Ancien et le Nouveau Testament; un type ascétique et moral, qui s'organise autour de la pureté et de la culpabilité, et qui répète les représentations de la santé et de la maladie; etc.

 

 

3. Une géographie du sacré

 

L'hagiographie se caractérise par une prédominance des précisions de lieu sur les précisions de temps. Par là aussi elle se distingue de la biographie. Elle obéit à la loi de la manifestation, qui caractérise ce genre essentiellement «théophanique»: les discontinuités du temps sont écrasées par la permanence de ce qui est le commencement, la fin et le fondement. L'histoire du saint se traduit en parcours de lieux et en changements de décors; ils déterminent l'espace d'une «constance».

 

La circularité d'un temps clos

 

Dans son ensemble, et dès les premiers mots, la vie de saint se soumet à un autre temps que celui du héros: celui, rituel, de la fête. L'aujourd'hui liturgique l'emporte sur un passé à raconter. L'incipit fixe au discours son statut. Il ne s'agit pas d'une histoire, mais d'une «légende», c'est-à-dire de ce qu'il «faut lire» (legendum) ce jour-là. Depuis les premiers «calendriers» jusqu'aux «Vies de saints pour tous les jours de l'année» (de J. Caillet, entre cent autres) et aux «catalogues des saints selon l'ordre des mois», un cadre liturgique fixe à l'hagiographie sa place dans une circularité, le temps autre, sans durée, déjà eschatologique, de la fête. L'«ordre» d'un calendrier s'impose au récit (ainsi deux calendriers sont à l'origine des versions, grecque et latine, de la Vie de Mélanie). Les oeuvres du saint sont classées d'après les calendriers en usage dans les communautés où se lit sa légende. C'est l'ordre d'un cosmos.

Il se retrouve dans les «catalogues universels» qui substituent à la circularité du «sanctoral» (le cycle annuel des fêtes de saints) la totalité plus vaste de l'histoire depuis le commencement du monde, comme le fait déjà L. Rabe (1571): autre temps clos, car la chronologie, qui s'introduit dans l'hagiographie, reste le moyen d'une récapitulation englobante. L'ordre liturgique ne se morcelle que là où s'impose l'ordre alphabétique. Encore survit-il subrepticement (par exemple avec la «table» dite «chronologique» qui, dans le Dictionnaire hagiographique de Migne, en 1850, suit le calendrier). Il reste la norme cachée, le soutien secret de l'espace où l'ailleurs se trouve enfermé. Cette protection d'un lieu mis en dehors du temps fait-elle autre chose que répéter ce que dit le texte avec la volonté de couvrir d'extraordinaire une localité religieuse ou avec la tendance apocalyptique et millénariste qui s'y exprime si souvent?

 

Une composition de lieux

 

La vie de saint est une composition de lieux. Primitivement, elle naît en un lieu fondateur (tombe de martyr, pèlerinage, monastère, congrégation, etc.) devenu lieu liturgique, et elle ne cesse d'y ramener (par une série de voyages ou de déplacements du saint) comme à ce qui est finalement la preuve. Le parcours vise le retour à ce point de départ. L'itinéraire même de l'écriture conduit à la vision du lieu: lire, c'est aller voir.

Le texte, avec son héros, tourne autour du lieu. Il est déictique. Il montre toujours ce qu'il ne peut ni dire ni remplacer. La manifestation est essentiellement locale, visible et non dicible; elle manque au discours qui la désigne, la fragmente et la commente en une succession de tableaux. Mais cette «discursivité», qui est passage de scène en scène, peut énoncer le sens du lieu, irremplaçable, unique, extraordinaire et sacré (hagios).

L'organisation de l'espace que parcourt le saint se déplie et se replie pour montrer une vérité qui est un lieu. Dans un très grand nombre d'hagiographies, anciennes ou modernes, la vie du héros se partage, comme le récit de voyage, entre un départ et un retour, mais elle ne comporte pas la description d'une société autre. Elle va et elle revient. Il y a d'abord la vocation qui exile de la ville le saint pour le conduire au désert, dans les campagnes ou dans des terres lointaines - temps d'ascèse que clôt son illumination. Puis vient l'itinéraire qui le ramène à la ville ou qui conduit à lui la foule des villes - temps d'épiphanie, de miracles et de conversions. Ce schéma permet d'introduire les lecteurs dans le mouvement du texte, il produit une lecture itinérante, il prend en charge dans sa première partie le monde «mauvais» pour conduire sur les traces du saint vers le lieu dit. C'est le côté «édifiant» de l'hagiographie, soit sous une forme parénétique, soit sur le mode d'un jugement prononcé contre le «monde» (la première partie est la place privilégiée des combats avec le démon).

Davantage encore, ces deux lieux contraires, ce départ doublé d'un retour, ce dehors qui s'accomplit en trouvant un dedans, désignent un non-lieu. Un espace spirituel s'indique par la contrariété de ces mouvements. L'unité du texte tient dans la production d'un sens par la juxtaposition des contraires - ou, pour reprendre un mot des mystiques, par une «coïncidence des opposés». Mais le sens est un lieu qui n'en est pas un. Il renvoie les lecteurs à un «au-delà» qui n'est ni un ailleurs ni l'endroit même où la vie de saint organise l'édification d'une communauté. Un travail de symbolisation se produit là souvent. Peut-être cette relativisation d'un lieu particulier par une composition de lieux, comme l'effacement de l'individu derrière une combinaison de vertus ordonnées à la manifestation de l'être fournissent-elles la «morale» de l'hagiographie: une volonté de signifier dont un discours de lieux est le non-lieu.

Les littératures

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Élément unique et complet,
explosion sublime de l'incréé,
dans la clarté de l'insaisissable illimité,
s'étend le non-être d'un monde inconscient
fait de rêves, de reflets, et de pensées.
Contenant les germes qui nous composent,
la perfection cosmique disposant de ses propres forces,
crée l'Omnivers, quiddité parfaite de l'expansion
insondable où l'infini mystère du berceau céleste,
irrigue d'échos, de trop brèves espérances.
Dans la dilatation de l'aube des temps,
l'auguste unité, brane de l'univers,
source du vent, de l'eau et la lumière,
remplit de son fluide vibrant, les battements
incessants de notre étincelle d'Essence,
raffinant ainsi par la guidance
d'un amour inconditionnel
les prodromes nous condamnant
à une déréliction
.

Nom d'auteur Sonia Gallet

recueil © 2016
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Mon présent séjour

À chacun sa phase de chance.
L'imprévisible providence
Me permet un présent séjour
Où n'ai rien à porter de lourd.

Je prends des nouvelles de moi,
Pour me rassurer quelques fois.
Il me faut être vigilante
Pour demeurer intelligente.

Dans le silence, étant passive,
J'accueille la lumière vive,
Dés mon lever chaque matin,
Ma tasse de café en mains.

Ravie, je contemple le ciel,
Ses continents artificiels
Qui s'enfoncent dans l'eau profonde,
En laissant d'éphémères ondes.

Incorporelle, je voyage,
Portée par un flottant nuage.
Or quand le soleil m'éblouit,
Mon âme vibre, épanouie.

24 octobre 1016

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administrateur théâtres

14670874_672015146291948_2373224485732231859_n.jpg?oh=5513eb5ea6ec679ee08b99d0ed9342c6&oe=58A5F23BQuête d’identité et cheminement vers la paix

Jean-Loup Horwitz est un comédien français, connu pour ses pièces de théâtre ainsi que pour ses doublages à la télévision. Il est aussi l’auteur de la pièce " Adolf Cohen " avec Isabelle de Botton, une femme qui en vaut trois. Bénies-soient-elles !  C’est le Centre Culturel d’Auderghem qui nous les a fait découvrir, et bien que ce spectacle ne soit resté qu’une mince semaine à l’affiche - ainsi le veut la formule de Paris-Théâtre - on éprouve le désir de revenir sur ce spectacle attachant qui a été créé au théâtre de la Bastille, à deux pas des fenêtres de Charlie Hebdo.

 Une énorme explosion tue Adolf Cohen. Sa mère pleure cet enlèvement brutal en temps de paix, alors que jadis la Shoah lui avait déjà ravi son mari et un autre fils. Puis c’est la rencontre avec Dieu, question de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ils se parlent d’égal à égal, mais que répondra Dieu?  Le doute plane sur  toute la pièce et donne au propos fertilisé par l’humour, une belle dimension humaine. Fonte des préjugés assurée.

Flashback donc sur le récit de sa vie. On oublie dès le premières répliques que le personnage est mort assassiné et converse avec le Très haut ! Il est né dans le ghetto de parents juifs non religieux mais accoutumés aux traditions. Lorsque l’enfant est né, nul ne pouvait savoir que ce nom-prénom serait un oxymore! Il arrive en France et rejoint la communauté juive allemande. La guerre arrive et par précaution, l’enfant est recueilli à la campagne par Marcelle:  une nouvelle mère, totalement antisémite. Il devient diacre. De retour de déportation, sa vraie mère le recherche. Si la pièce est une fiction, l’affaire des enfants cachés juifs est une réalité. Au cours de la guerre, le couple Finaly, qui vit dans la région de Grenoble se sait menacé et confie ses deux enfants à une institution catholique. Les parents sont déportés et tués. Les enfants sont placés chez une tutrice catholique qui les fait baptiser. A la Libération elle refuse de les rendre à leur famille d’origine... Et  Adolf, là-dedans ? Il est perpétuellement déchiré entre le souvenir de ses racines profondes et son attachement à sa mère d’accueil !  Il a 25 ans et vit à Paris après les retrouvailles avec sa vraie mère. Le voilà dans le fracas de la jeunesse de Saint-Germain-des-prés, au caté Flore avec Boris Vian… Et non, on ne déflorera pas l’attachement qui le lie à  sa nouvelle terre, Israël et à une nouvelle femme, Leila,  sa fiancée palestinienne. Il meurt trop tôt, cet infatigable combattant de la paix, au coeur d'un attentat! C’est la que la comédie s’arrête.

Mais la pièce, heureux mélange d’humanité,  jamais on ne l’oubliera! Ni la présence en  scène  si émouvante de ce duo de comédiens bourrés de tendresse et de  talent, pleinement heureux de partager l’amour des hommes. Et de semer les graines de la paix. Un bouillon d'émotions, d'humour et de bienveillance, une véritable potion magique qui rassure sur notre humanité!  Humilité congénitale!  Nous sommes tous faits du même humus...  Qu’on arrête avec la violence des dogmes. Comme le disait Voltaire.

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Sous un soleil d'automne JGobert

Un soleil d'automne verse ses derniers rayons de lumière et inonde la terre de magie,  d’enchantement. Un hiver s'installe sur une nature où la végétation se sent mourir insensiblement et résiste encore. Un ciel pur dans un espace de beauté mêlé de couleurs flamboyantes, éclatantes, aux tons or et ocre. Un lac scintillant où les oiseaux se posent avant un long voyage.  

Non loin de là, à l’orée d’un bois, une petite demeure désertée, laissée à l'abandon par les propriétaires et qui n'intéresse plus personne. La porte est entrouverte et laisse entrer le vent. Les fenêtres ont des carreaux brisés, cassés. La toiture, en mauvais état, redoute le prochain hiver. Le bois craque, souffre et malgré cette désaffection, cette bâtisse respire encore l’odeur du passé, l’odeur du plaisir d'antan, l’odeur du bonheur.

Aux seuils de l'hiver, les esprits de la forêt en prennent possession. Ils s'installent, vont et viennent, animent cet endroit à leur façon. Cette maison solitaire est douce, tendre et recèle des trésors oubliés, effacés..

Un étrange génie y habite et se confond à la maison. Il y réside depuis toujours et a connu les derniers habitants partis. Les esprits de la forêt font bon ménage avec lui.  Il est la bonté même.

Les anciens locataires ont déménagé pour vivre en ville, dans la facilité, le confort. La vie dans la forêt était trop laborieuse, pénible pour eux. Ils ont échangé une liberté, une douceur de vivre, une sérénité d'être soi avec une nature généreuse pour un bien-être plus matériel.

Les esprits savent que la nature est rude, difficile, cruelle et que les hommes sont sots de partir et d'abandonner cette existence. Ils ont oublié l'essentiel : la magie de l'endroit.

L'hiver est arrivé rapidement avec son lot d'intempéries. La petite maison est malmenée, brimée  et souffre dans ce vent et cette pluie glaciale. Le froid ne l'épargne pas. La neige, le gel la transpercent, l’envahissent. Elle est triste d'être ainsi isolée. Les esprits de la forêt la réconfortent et l'entourent d'amour, mais la petite maison n'y parvient plus. C'est trop pénible cette année. Elle sent sa vieille charpente trop lourde pour elle.

Pourquoi ne pas appeler le génie et enfin le réveiller ?

Les esprits savent que ce n'est pas leur rôle et qu’ils n’ont pas le pouvoir de s’adresser au génie, mais c'est pour une bonne cause. Il faut aider la petite maison.

Celui-ci s’étire et enfin se réveille. Il se confond à l’environnement et en prend possession sans le moindre souffle.

La solitude rend vulnérable, précaire. Un secret bien gardé pour ne pas susciter la pitié de ceux qui clament haut et fort leur bonheur. La petite maison de la forêt souffre de solitude, d’isolement, de ce bonheur perdu dans les méandres du temps. De la routine qui a fini par tout effacer et qui a laissé partir au loin ce qui lui était si précieux. Des actes, des mots que le sens du temps a fait chavirer et tomber dans l’oubli.

Le génie, sorti de son repos, a des solutions mais il est difficile de reconquérir une foi, une confiance que l’on a laissé partir sans se battre, que l'on croyait acquise à tout jamais.

Au bord du chemin, un jeune couple que rien n'a épargné et qui cherche un endroit pour dormir, se reposer, arrive à pas lents sous la pluie. Ils sont seuls, démunis et au bord d'un gouffre que l'on nomme désespoir, misère. La vie et les hommes ne leur ont pas facilité l'existence. De promesses en mensonges, ils marchent depuis des heures sous le froid et se demandent ce qui va leur arriver.

Les esprits de la forêt les ont repérés et font en sorte de les attirer vers ce chemin abandonné. Le génie a déjà tout prévu et la petite maison, d’un coup, se relève, se réveille, scintille. C’est un cadeau du ciel que chacun prend avec joie. Le couple ne sait pas encore que dans quelques minutes, une maison va ouvrir son cœur pour les accueillir, les protéger, les aimer. Celle-ci va revivre enfin et accompagner ces gens dans une existence nouvelle, riche et pleine de beauté du cœur.

Mais le jeune couple ne cherche pas à s’installer ici, dans une vie rude. Il préfère passer son chemin. La petite maison, le génie et les esprits de la forêt sont stupéfaits de ce refus.

La tourmente a cessé. Une autre route se dessine au loin et des lumières s’allument. Une auberge chauffée attend les voyageurs sans bagages. Il reste une chambre libre. Ils seront bien le temps d’une nuit dans les bras des fées. Demain sera un autre jour avec les rêves d’un monde nouveau.

La petite maison, désespérée, se console et s’apaise. Seule au bord de la forêt, elle songe à ce qu’a été sa vie, ses bonheurs, ses jours heureux, enchantés. Le génie s’est rendormi et les esprits de la forêt s’activent. Ils préparent une grande fête aux couleurs du temps avec au centre la petite maison de la forêt.

Ce temps qui n’appartient plus aux hommes.

 

 

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Les diverses définitions classiques de l'homme prennent comme base son animalité à laquelle elles ajoutent la mention d'une différence spécifique: «animal politique», «animal doué de raison», «animal parlant» ou encore, comme dans la tradition indienne, «animal sacrifiant». Toutes, donc, impliquent un minimum de compatibilité entre le genre et l'espèce ou entre le sujet et l'attribut. Aux yeux d' Aristote, par exemple, le fait pour l'homme de ne pouvoir vivre qu'en société, loin d'abolir son animalité, la suppose, au contraire, et la ratifie dans la spécificité de ses besoins. En revanche, celui qui voudrait définir l'homme comme «animal capable d'ascèse» subvertirait complètement ce jeu du genre et de la différence spécifique sur lequel reposent les autres définitions. C'est qu'un seul cas, dûment attesté, d'ascèse pratiquée par un animal, fût-il «supérieur», nous apparaîtrait comme le miracle des miracles, alors que des ébauches de langage, de raisonnement, de sociabilité, etc., se laissent observer dans le comportement de maintes espèces animales. En se livrant à l' ascèse, donc, l'homme ne cherche plus à perfectionner son animalité mais bien à la renier, à la limite à la supprimer. Aussi, la coupure radicale entre l'homme et l'animal devrait-elle, pour autant qu'elle existe, se laisser au mieux appréhender à partir de ce singulier phénomène de l'ascétisme qui accompagne l'homme à travers toute son histoire. Phénomène essentiellement religieux, l'ascèse exprime le refus par l'homme de sa condition incarnée et son désir nostalgique de rejoindre en cette vie même un absolu soustrait aux vicissitudes de l'existence temporelle. Héroïque dans son essence même, volontiers habitée par un esprit d'orgueil et de démesure, son destin ordinaire est de déboucher sur une certaine forme d'insatisfaction, sinon d'échec. Aussi -tout comme le mysticisme auquel il a partie liée- l'ascétisme a-t-il été souvent jugé avec une certaine sévérité. En son absence, pourtant, toutes les valeurs morales et religieuses tendent à s'affadir et à se corrompre. Aujourd'hui, où une certaine surabondance de biens coexiste à l'échelle de la planète avec un extrême dénuement, les significations dont il est porteur paraissent plus précieuses que jamais. Après avoir fortement décliné en Europe, et dans de moindres proportions en Asie, l'institution monastique connaît aujourd'hui un réel regain de faveur. Il est vraisemblable, cependant, que, dans une société de plus en plus ouverte et individualiste, de petits groupes informels seront mieux à même que le monachisme traditionnel d'assurer la pérennité du mode de vie ascétique.

 

L'essence de l'ascétisme

 

Quiconque cherche à dégager l'essence de l'ascèse est d'emblée confronté à la variété infinie - au moins en apparence- des pratiques ascétiques à travers le temps et l'espace, ainsi qu'à la déconcertante diversité des idéaux religieux, philosophiques, politiques, etc., censés les justifier. Qu'y a-t-il de commun, par exemple, entre un shaman sibérien se livrant à d'effrayantes austérités dans le but avoué d'acquérir des pouvoirs magiques et un prisonnier politique d'aujourd'hui prêt à jeûner jusqu'à la mort afin d'arracher sa libération aux autorités de l'État? Et entre ces deux derniers et un moine cistercien ou un hésychaste du mont Athos? Ici, pourtant, l'étymologie du terme s'avère, comme souvent, d'un certain secours. Le mot «ascèse» vient -on le sait- du grec askèsis dont le sens propre est «pratique» ou «entraînement». Le terme s'applique en particulier aux athlètes qui s'exercent en vue des jeux du stade et, plus généralement, à ceux qui cherchent à se perfectionner dans un art à travers une pratique quotidienne. Mais, l'ascète -au sens religieux-, à quoi s'exerce-t-il exactement et dans quel but?

Les pratiques ascétiques ont beau se diversifier à l'infini en fonction des époques, des climats, des religions et même des tempéraments individuels, on constate que, partout et toujours, elles concernent certains secteurs bien spécifiques du comportement humain. Relèvent par excellence de l'ascèse -à condition d'avoir été librement consentis- le jeûne prolongé, les veilles, l'exposition aux rigueurs des éléments, les disciplines et austérités, le contact avec le répugnant, la solitude, le silence, la claustration, le dénuement matériel, l'abstinence sexuelle, la non-disposition de soi, le partage d'une condition sociale méprisée, etc.

Vu ainsi de l'extérieur, l'ascète fait l'effet d'un masochiste, voire d'un désespéré, et sa vie prend l'allure d'un lent et savant processus d'autodestruction. Mais ce genre de jugement, fort commun de nos jours, n'atteint guère que les dérives ou les aberrations de l'ascèse et laisse échapper son sens profond. On définirait au mieux l'ascète comme un homme en rupture avec les évidences du sens commun selon lesquelles nous sommes d'abord des vivants individuels, porteurs de besoins et d'intérêts spécifiques, et, à ce titre, légitimement désireux de prolonger notre existence, d'éviter la souffrance, d'accroître nos aises et notre jouissance. Or, aux yeux de l'ascète, il n'y a là qu'esclavage, car cette manière de vivre consiste, au fond, à poursuivre avec les moyens de l'intelligence humaine des buts qui sont déjà ceux de l'animal. Vivre ainsi reviendrait donc à s'avouer dépendant du milieu extérieur et de la volonté d'autrui, à mener jour après jour une lutte perdue d'avance contre la fatigue, la maladie, le vieillissement, la rareté, la concurrence externe et finalement la mort. C'est donc au nom de la liberté de l'esprit que l'ascète refuse d'entrer dans ce jeu. Et il le fait en s'efforçant d'abord de percevoir comme telles, puis de paralyser à la source ces réactions spontanées du corps, à base de plaisir et de déplaisir, qui nous indiquent d'instant en instant notre degré d'adaptation, ou de désadaptation, au monde extérieur. Cherchant à briser la logique binaire de l'agréable-désagréable, il se porte délibérément à la rencontre du désagréable, et le but de son «entraînement» -si paradoxal vu de l'extérieur- est de se démontrer à lui-même qu'il n'est pas forcé de réagir par le déplaisir à ce qui affecte négativement son organisme. Il réalise ainsi peu à peu que c'est lui-même qui fabrique ses douleurs et ses dégoûts, qu'il peut donc cesser à tout instant de le faire et qu'alors le monde extérieur n'aura plus le pouvoir de lui dicter ses émotions. Cet effort acharné de déconditionnement se heurte cependant à toute la puissance des mécanismes psycho-biologiques qui sont à l'oeuvre dans l'espèce humaine comme dans l'ensemble des espèces vivantes. Son aboutissement serait donc impossible, et l'idée même de l'entreprendre ne viendrait à personne, si d'emblée les privations ascétiques ne dévoilaient -d'abord sous forme de sensations insolites, puis de pressentiments, enfin de ravissements et d'extases- leur contrepartie positive inconnue du «monde». La justification ultime de l'ascèse est en effet de permettre un éveil à la vie mystique; comme si les mécanismes d'adaptation à l'environnement qu'elle s'efforce de briser -ou plutôt de démonter pièce par pièce- jouaient aussi le rôle d'écrans ou d'oeillères nous rendant aveugles à la présence au fond de nous-mêmes d'une mystérieuse réalité béatifique, prête à se manifester à tout instant.

Il n'y a cependant là aucune automaticité car l'entreprise ascétique comporte ses propres problèmes et contradictions, donc sa propre dialectique. D'un côté, en effet, l'ascète ne peut jamais tout à fait devenir le mort-vivant qu'il aspire à être. Quelles que soient les privations auxquelles il se soumet, il ne peut renoncer complètement à respirer, à dormir, à boire, à manger, etc. Une pratique qui renchérirait toujours davantage dans la voie des austérités physiques ne pourrait déboucher que sur la mort ou une sorte d'hébétude. En un sens, donc, l'ascèse purement corporelle aboutit à une impasse et à un échec. Aussi bien, une autre voie a-t-elle été explorée, sans doute dès les commencements de l'histoire de l'ascétisme. Elle consiste à pratiquer les renoncements et austérités «en esprit» et non plus toujours matériellement. Cela revient à supposer que les gestes physiques ne sont pas l'essentiel et qu'on peut, au moins dans certaines limites, laisser le corps suivre ses pulsions, à condition de conserver une attitude de pur témoin, de manière que cette participation de l'organisme au mouvement général de la vie demeure sans résonance affective immédiate. Sur un autre plan, l'ascèse elle-même peut être vécue comme une entreprise mondaine parmi d'autres, sous-tendue par la volonté de réussite et suspendue à l'espoir que les privations et humiliations endurées porteront fruit au centuple, par exemple sous forme de ravissements mystiques ou de salut dans l'au-delà. Face à cette éventualité d'une subtile revanche des instincts vitaux, la pratique ascétique n'a d'autre ressource que de se retourner contre elle-même dans une perspective de renoncement au renoncement ou de «lâcher prise» radical. C'est l'ensemble de ce jeu intérieur d'oppositions qui constitue la dialectique de l'ascétisme et justifie qu'il ait une histoire. Depuis toujours, en effet, les religions, les spiritualités et les traditions initiatiques se sont distinguées les unes des autres par la place qu'elles accordaient à l'ascétisme, notamment dans ses rapports avec la mystique et la morale, et par leur manière spécifique de résoudre ses tensions et contradictions internes.

 

L'ascétisme en Grèce

 

L'ascétisme a joué un grand rôle dans certaines des écoles philosophiques de la Grèce ancienne. On distinguera ici une tradition dualiste de l' ascèse-purification et une tradition «réaliste» de l'ascèse comme retour à la nature. La première remonte au pythagorisme et à l' orphisme. C'est la tradition du corps-tombeau (sôma =sêma) à laquelle Platon a donné ses lettres de noblesse dans le Gorgias (492 a) et dans le Phédon (67c-e). Le corps est ici le rempart de boue qui dérobe à l'âme la vue des intelligibles dont elle est parente et dont elle se souvient. La vie philosophique s'identifie alors à un long entraînement à «mourir et être mort» (Phédon, 64 a), c'est-à-dire que l'on s'efforce de vivre dans le seul exercice de l'intelligence, en refoulant les sensations confuses qui émanent du corps. Quant à la seconde tradition, elle se manifeste avec éclat chez les premiers représentants de l'école cynique, Antisthène et Diogène de Sinope. On a pu caractériser la voie préconisée par eux comme «une ascèse physique à finalité spirituelle». Aux antipodes de l'intellectualisme socratique, les cyniques posent qu'une vie de pauvreté, d' endurcissement physique et d'extrême frugalité est nécessaire et suffisante pour conduire l'âme à l'autosuffisance (autarkeïa) et à la félicité. Les cyniques ne se réfèrent à aucune instance transcendante. L'ascèse, selon eux, est ce qui débarrasse l'âme de tous les désirs frelatés déposés en elle par la vie dans la cité, lui permettant ainsi de retrouver le goût des choses les plus simples et toujours à notre disposition, telles que l'eau des torrents ou la pierre où reposer sa tête. Au-delà de cette fonction de permettre un retour à la nature, l'ascèse cynique est ce qui forge pour l'âme une cuirasse d'insensibilité (apatheïa) qui lui permettra de conserver une parfaite sérénité face aux tragédies de l'existence: deuils, infirmités, exil, déshonneur, maladies mortelles. C'est pourquoi Diogène n'hésite pas à présenter sa doctrine comme un hédonisme et un eudémonisme.

Ces deux grands courants demeurent présents à travers toute l'Antiquité mais interfèrent rarement. Le thème cynique de la modération des désirs se retrouve chez Épicure faisant l'éloge de la vie frugale. De son côté, l'exigence d'un endurcissement de l'âme, en vue de parer aux coups du destin, devient presque un lieu commun du stoïcisme tardif (Sénèque, Épictète, Marc Aurèle). Quant à la tradition dualiste de la catharsis, elle se prolonge chez les gnostiques et les manichéens, mais plus nettement encore dans le néo-platonisme. Toute la philosophie de Plotin, en particulier, se laisse interpréter comme une méditation sur le thème de la déchéance de l'âme, consécutive à son exil dans le corps: «C'est comme si un homme plongé dans la boue d'un bourbier ne montrait plus la beauté qu'il possédait et comme si l'on ne voyait en lui que la boue dont il est enduit. La laideur est survenue en lui par l'addition d'un élément étranger, et, s'il doit redevenir beau, c'est un travail pour lui de se laver et de se nettoyer pour être ce qu'il était» (Ennéades, I, 6, 5). La contemplation plotinienne -qui culmine dans l'extase- suppose donc une ascèse radicale, à la fois corporelle et spirituelle. Pour remonter à son origine -l'Un-, l'âme doit «retrancher toutes choses» (V,3,17).

 

L'ascèse chrétienne

 

L'histoire de l' ascétisme chrétien commence au IVe siècle avec le départ pour le désert d'Égypte de saint Antoine et de Pacôme, le futur organisateur de la vie cénobitique. À cette époque, le christianisme a acquis définitivement droit de cité dans l'Empire romain. Mais, si les persécutions ont cessé, la grande attente eschatologique du retour en gloire du Christ est demeurée d'actualité, avec la condamnation radicale qu'elle implique de la cité terrestre et de ses valeurs. En se détournant du monde de la manière la plus radicale, les premiers ermites du désert cherchent à vivre par anticipation dans la proximité immédiate de Dieu, prenant en cela le relais des martyrs qui, eux aussi, avaient conscience d'aller, en quelque sorte, à la rencontre du Christ. Jusqu'au VIIIe siècle environ, d'abord en Égypte et en Syrie puis dans tout le Proche-Orient, des milliers d'«hommes ivres de Dieu», vivant tantôt à l'intérieur de vastes communautés monastiques et tantôt en anachorètes, ont ainsi consacré leur existence à explorer toutes les modalités possibles de l'ascèse corporelle et spirituelle et en ont fixé définitivement le modèle, du moins pour l'Occident.

L' ascète du désert a pour compagnons naturels la faim et la soif. Non content de la frugalité que lui impose son cadre de vie, il s'acharne à multiplier les jeûnes temporaires et à diminuer toujours davantage sa ration quotidienne de pain rassis ou moisi, d'herbes sauvages, de graines, d'eau croupissante. Il ne dort que le strict nécessaire, et jamais allongé, mais de préférence dans une position inconfortable, telle que debout appuyé contre un mur. Il aime prier de longues heures en plein soleil, à genoux, les bras en croix, ou debout sur une brique. Il s'expose volontairement à la vermine et aux piqûres d'insectes. Sa cellule est étroite, obscure, étouffante. Parfois, il élit domicile dans un ancien tombeau, une grotte à flanc de montagne ou un puits asséché. Il peut aussi choisir de s'installer, comme les «dendrites», au creux d'un vieil arbre, ou dans une cage suspendue à ses branches, ou encore, comme Siméon le Stylite, passer des dizaines d'années au sommet d'une colonne, exposé à toutes les intempéries. Il peut même parfois régresser volontairement à un mode de vie animal, comme ces ascètes «brouteurs» qui hantaient les bords de la mer Noire au VIe siècle. Par ailleurs, la règle du silence prévaut largement dans les communautés tandis que certains anachorètes font voeu de ne plus jamais adresser la parole à personne. Beaucoup aussi mortifient le sens de la vue en s'imposant de garder toujours les yeux baissés vers la terre. Les uns et les autres, lorsqu'ils font leur noviciat dans une communauté, ou auprès d'un anachorète qui les a acceptés comme disciples, se soumettent aux épreuves initiatiques imposées, même les plus absurdes en apparence, comme de tresser et détresser sans cesse le même panier d'osier ou d'arroser des années durant un bâton sec planté en plein désert. Tous, aussi, recherchent l' anonymat, se cachent sous de faux noms, changent de lieu de retraite ou jouent au simple d'esprit dès que le renom de leur spiritualité, franchissant les déserts, commence à attirer vers eux des visiteurs plus curieux que fervents.

Ces hommes sous-alimentés, épuisés, fiévreux cherchent ainsi, selon le mot de l'un d'eux (saint Dorothée), à «tuer ce corps qui les tue» (Histoire lausiaque, II,3). L'ascèse, toutefois, ne représente jamais pour eux une fin en soi. Elle ne fait que les libérer pour une vie intérieure intense, faite de prières et de méditations continuelles. Leur but ultime est de se purifier si totalement qu'ils puissent devenir dignes de goûter, en cette vie même, un avant-goût du paradis. Et, de fait, beaucoup connaissent des illuminations, des ravissements, des visitations. Certains conversent familièrement avec les anges et les chérubins. Cependant, la redoutable ambiguïté, inhérente à toute forme d'ascèse qui se porte aux extrêmes, ne manque jamais de peser sur eux. Elle se manifeste par toutes sortes de «tentations» -celles de saint Antoine ne sont que les plus célèbres-, d'apparitions démoniaques et de visions infernales derrière lesquelles se devine la sourde angoisse de ces ascètes devant leur propre hybris. Et c'est pourquoi, sans doute, nombre d'entre eux, désespérant de venir à bout du péché d' orgueil et craignant pour leur salut éternel, ont finalement choisi de quitter le désert et de revenir à la ville mener une existence profane, en une apparente capitulation qui représentait peut-être la culmination de leur effort d'ascèse.

L' ascétisme médiéval demeure, en Occident comme en Orient, dominé par ce modèle des Pères du désert. Il est l'apanage exclusif de l'institution monastique dans laquelle le cénobitisme l'emporte de plus en plus sur l'érémitisme. Les couvents devenant des centres non seulement de prière mais aussi d'étude et de travail, ainsi que des foyers d'évangélisation, les formes extrêmes de l'ancienne ascèse disparaissent au profit de pratiques moins inhumaines et plus fortement institutionnalisées (règle de saint Benoît puis règle de Cîteaux). Vers la fin du Moyen Âge, cependant, on note une certaine recrudescence de l'ascèse physique (usage du cilice et de la discipline) en liaison avec la popularité croissante du motif de l'«Imitation de Jésus-Christ», notamment de Jésus humilié et crucifié. Cette forme d'ascèse, à la fois sentimentale et sanglante, connaît son apogée avec la piété «baroque» de la Contre-Réforme puis est emportée dans le mouvement général d'affaiblissement de la foi qui marque le XVIIIe siècle. Parallèlement, dans l'Europe du Nord, le succès du protestantisme déracinait l'institution monastique au profit d'une «ascèse dans le monde» (M. Weber), discipline personnelle d'ordre éthique et purement intérieure.

L'Église d'Orient a, dans l'ensemble, su mieux préserver l'esprit de l'ascétisme, et cela presque jusqu'à nos jours. Elle l'a fait en laissant une place à l' érémitisme, temporaire ou permanent, et en favorisant le développement de techniques de méditation telles que «la prière du coeur», où postures du corps, oraisons jaculatoires et contrôle du souffle sont associés d'une manière originale. Les notions d' apatheïa, ou indifférence au monde, et d' hésychia, ou silence de la pensée dans l'attente de Dieu, résument symboliquement cette orientation de la spiritualité connue sous le nom d' hésychasme.

 

L'ascétisme indien

 

Les origines de l'ascétisme en Inde sont très anciennes. Le Rgveda (XVe s. av.J.-C.) mentionne déjà diverses catégories d'ascètes: kesin («chevelus»), yati («disciplinés»), vratya («qui ont fait un voue»), muni («silencieux»), etc. Ces personnages ont en commun de pratiquer le tapas. Le terme évoque l'idée d'un échauffement provoqué violent. Il sert de désignation générique à toute une série de pratiques telles que le jeûne prolongé, l'abstention de sommeil, la station debout sur une jambe, l'entraînement à supporter la chaleur la plus torride comme le froid le plus glacial, à garder le silence, à contrôler sa respiration, etc. Au départ, il s'agissait sans doute d'un effort de concentration systématique des énergies du corps aux fins de connaître l' extase et d'acquérir des pouvoirs magiques. Les idées de «pénitence» ou de «mortification» paraissent en tout cas étrangères à ces premiers ascètes. Ce vieux fonds de pratiques -avec les spéculations qui lui furent de très bonne heure associées- s'est avéré être, tout au long de l'histoire de l' hindouisme, une mine inépuisable. On retrouve en particulier dans toutes les doctrines philosophiques et religieuses de l'âge classique au moins des traces de la double finalité présente dès l'origine: dans le prolongement de l'extase, une forme de connaissance de type mystique ou gnostique, supposée capable de soustraire l'adepte au circuit des renaissances ou samsara; dans la perspective des pouvoirs magiques, la conquête en cette vie de jouissances illimitées.

Une voie «intellectualiste» est représentée par des écoles telles que le samkhya et le vedanta. Elle suppose une rupture initiale avec le monde: le «renonçant» (sannyasin) abandonne ses biens, sa famille, sa caste et jusqu'à son nom, pour se consacrer uniquement à la poursuite de la délivrance ultime (moksa). Les adeptes de ces écoles se recrutent parmi les hautes castes, surtout les brahmanes. Leur organisation sociale est des plus variées. Elle comprend aussi bien des solitaires, gyrovagues ou sédentaires, que de vastes monastères, tels que les math védântiques fondés par Sankara au VIIIe siècle. Le mode d'organisation le plus courant est cependant celui des ashrams, forestiers ou périurbains, où un petit nombre de disciples vit, travaille et étudie auprès d'un maître. Si le régime de vie est ici en général fort austère -aucune possession d'objets personnels, vêture minimale, nourriture végétarienne, en principe mendiée-, ces renonçants brahmaniques ne pratiquent guère les austérités physiques. Leur grande occupation est l'étude des textes philosophiques de leur secte et, plus encore, la méditation constante des enseignements ésotériques des textes sacrés: Upanishads, Bhagavad-Gita, etc. Le yoga classique -celui des yoga-sutra de Patañjali- se rattache à ce courant, dans la mesure où les «réfrènements et disciplines» (yama-niyama) -du genre: ne pas voler, dire toujours la vérité, observer la continence, etc.- ne sont vus que comme des conditions préalables à remplir et où l'ascèse proprement physique (postures et contrôle du souffle) ne sert ici que de propédeutique aux efforts de méditation et de concentration de l'esprit.

À l'opposé se situe le vaste peuple des sadhu -«saints hommes»-, gens en général peu lettrés, plus tournés vers les pratiques extrêmes que vers la méditation. La plupart sont shivaïtes mais éparpillés en de multiples sectes. Les adeptes du hatha-yoga ou «yoga de l'effort violent», dans lequel les postures «acrobatiques», aux effets physiologiques importants, et les spectaculaires exercices de rétention du souffle jouent un grand rôle, se rencontrent surtout parmi eux. Beaucoup, cependant, se contentent d'un tapas des plus frustes. Une forme remarquable d'ascèse -traditionnelle dans ces milieux shivaïtes depuis les antiques Pasupata jusqu'aux modernes Aghorapanthi- est la recherche systématique de l'opprobre à travers le maniement de l'immonde (déjections, cadavres, etc.) joint à un comportement burlesque, voire obscène (ce dernier trait ayant des parallèles chez les cyniques grecs et dans la secte soufie des malamati). Les deux voies -celle de la méditation et celle de l'effort violent- tendent à se rejoindre dans le tantrisme où les pulsions biologiques, notamment la sexualité et l'agressivité, ne sont plus combattues de front mais utilisées, dans le cadre fortement ritualisé d'un «sacré de transgression», comme véhicules d'une prise de conscience de la félicité intrinsèque de l'âme.

Parallèlement à ce riche déploiement des techniques de maîtrise du corps et de l'esprit dans l'hindouisme, les deux grands mouvements «hérétiques» que sont le jaïnisme et le bouddhisme ont développé leur propre conception de l'ascèse. L'un et l'autre se fondent sur la distinction des moines, qui prononcent des voeux (en principe révocables) et sont soumis à une discipline conventuelle, et des laïcs extérieurs, soumis à des obligations plus légères que les moines, soutenus par les moines dans leur vie spirituelle et les soutenant en retour sur le plan matériel. Le jaïnisme s'est toujours montré le plus rigoriste des deux, surtout pour les moines de la secte des digambara qui, aux cinq grands voeux classiques (non-violence, véracité, honnêteté, chasteté, pauvreté) et à l'obligation de mendier la nourriture, ajoutent celle de la nudité. Toutes sortes de «gênes» sont aussi répertoriées (piqûres d'insectes, rebuffades, etc.), que les religieux doivent endurer sans broncher. S'y ajoutent des jeûnes temporaires et, dans certaines conditions, la possibilité du suicide par inanition (samlekhana). Les célèbres «jeûnes à mort» de Gandhi ne sont que la transposition de cette pratique, à des fins autant politiques que spirituelles, dans le monde moderne. Le bouddhisme, de son côté, est toujours resté plus modéré, à l'image de son fondateur qui commença sa carrière religieuse par des austérités extrêmes pour réaliser ensuite que c'était là une impasse et que seule une «voie du milieu», à mi-chemin du laxisme et de l'autotorture, pouvait le conduire à l'éveil et au nirvana. C'est pourquoi l'ascèse violente -de type «fakirique»- n'a guère eu cours (sauf peut-être au Tibet) dans les monastères bouddhistes où la culture des techniques d'éveil a toujours tenu la première place.

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Une troublante exaltation

Alors que j'étais dans l'oubli
De tout ce qui combla ma vie,
En ouvrant un superbe ouvrage,
J'y ai trouvé un court message.

L'énergie que j'en ai reçue,
Par battements de coeur perçus
M'a transportée dans l'allégresse
Auprès du puits de la tendresse.

Oh ce bonheur qui resurgit!
La mémoire souvent attendrit
Et incite à faire une halte.
Rien du passé ne nous exalte.

Se souvenir n'est pas revivre. 
Mais les ressentant, on s'enivre
D'émois devenus réversibles.
Je croyais cela impossible.

23 octobre 2016

 

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Les oiseaux



Novembre, dans le ciel bas et gris, les oiseaux.

Une nuée de points noirs côte à côte,
Aux ailes lentes d’un vent poussant des rameaux,
Sans bruit, tel un soupir, migre vers d’autres côtes.

C’est toujours en Novembre quand s’abat le gel,
Et que vibrent les frimas durs aux miséreux,
Qu’apparaissent les oiseaux tremblants dans le ciel,
Fuyants ,mais libres d’aller où leur âme veut.

Ils doivent migrer où nul ne peut les toucher.
Leur maison est bâtie au sein de l’azur,
Au creux d’un nuage qui les peut se coucher,
Tel un temple déifié, nid d’un air plus pur.

Leur voyage connaîtra de longues lunes,
Car nulle part le soleil ne dure vraiment.
Ils navigueront de lumières en brumes,
Et tomberont aveuglés d’un vain firmament.

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Berceuse de l'innocence

Est arrivé pour moi le temps
Devenu vaporeux espace.
À mon aise, je me déplace
Dans un nouveau commencement.

Devenu vaporeux espace,
Silencieux est mon présent.
Dans un nouveau commencement,
J'accueille de nombreuses grâces.

Silencieux est mon présent.
À l'imprévisible fais face.
J'accueille de nombreuses grâces.
Mon parcours demeure plaisant.

À l'imprévisible fais face.
Tout change subrepticement.
Mon parcours demeure plaisant.
Dans l'innocence, me prélasse.

22 octobre 2016

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administrateur théâtres
Une brume d'or dans un temps de feu…
 
Entamée avec Enoch Arden, la Monnaie
poursuit son exploration de la musique de Richard Strauss avec Capriccio, opéra en un acte et son dernier, créé en 1942 à Munich.
Légère et vive, cette « conversation musicale » est un hommage crépusculaire et nostalgique à un monde disparu, et dont Stefan Zweig qui insuffla l’idée à Strauss dès 1934 est le représentant perdu. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce vieux compositeur âgé de 80 ans, retranché dans sa villa de Garmisch, fermant les yeux sur un monde à feu et à sang, tourné désespérément vers une époque depuis longtemps disparue ; et, cependant, écrivant encore et encore une musique d’où surgissent les plus belles et les plus bouleversantes émotions.

L’œuvre n’avait plus été jouée à la Monnaie depuis 1983. Son retour a été confié au chef d’orchestre allemand Lothar Koenigs à la tête de l’Orchestre symphonique de la Monnaie, et au metteur en scène David Marton. 

Le livret ne se limite pas à une mascarade amoureuse. Quel sera le genre du spectacle donné pour l'anniversaire de la Comtesse ? Un opera seria, avec des chanteurs italiens spécialisés dans le bel canto, comme le voudrait La Roche ? Un spectacle faisant la part belle à la poésie et mettant en valeur le jeu théâtral de mademoiselle Clairon, une actrice célèbre, ainsi que le voudrait Le Comte, frère de Madeleine ? « Prima la musica – dopo le parole ! », clame-t-on d'un côté. « Prima le parole – dopo la musica ! », réplique l'autre partie.

Le débat est illustré par une déclamation de sonnet par Olivier, une improvisation au clavecin de Flamand, un intermède dansé, un duo des chanteurs italiens. Le Comte met fin au débat en suggérant que soient relatées dans un opéra les aventures de la journée. La proposition est acceptée. Il est tard, les invités prennent congé. Un spectacle n'est qu'illusion, sur la scène règne l'éphémère et le rêve ne tient qu'à peu de choses. M. Taupe, le souffleur, qui s'était endormi et qu'on a oublié, le rappelle au Majordome, qui propose de le faire raccompagner à Paris. La comtesse est restée au château. Un rendez-vous a été pris avec Olivier, le lendemain à onze heures, à la bibliothèque. Le Majordome lui rappelle que Flamand l'attendra au même endroit et à la même heure. Que faire ? Lequel des deux choisir ? Doit-on d'ailleurs choisir entre la poésie et la musique ? La Comtesse se met à la harpe et s'accompagne en chantant le sonnet d'Olivier. Musique et poésie se fondent l'un dans l'autre. Madeleine est interrompue dans sa rêverie par le Majordome, qui l'invite à passer à table.


Pour David Marton, hongrois et berlinois d’adoption, les discussions menées dans la “Konversationsstück für Musik” de Strauss sont à prendre très au sérieux. Mais il constate que cette question séculaire à l’opéra de la primauté du mot ou de la musique est insoluble – du moins aussi longtemps qu’elle reste traitée en termes abstraits. En la replaçant dans le tangible d’une mise en scène particulière qui impose d’établir concrètement des priorités, le débat retrouve toute son actualité. Cette mise en scène à l’intérieur de la mise en scène place les frénétiques conversations des différents bretteurs sous un éclairage étonnant et parfois très drôle. Marton ne va jamais à l’encontre de l’esprit de l’œuvre grâce à sa manière pleine de vie d’aborder l’émotion, à une direction d’acteur tout en finesse et une utilisation intelligente du double espace théâtral.
 
La distribution rassemble une pléthore d’excellents chanteurs, à commencer par Sally Matthews qui interprétera pour la première fois le rôle de la Gräfin Madeleine. La soprano anglaise n’est plus à découvrir sur la scène belge où elle se produit régulièrement. Après avoir interprété le rôle-titre de Jenůfa, elle était une bouleversante Daphne dans l’opéra éponyme de Strauss.

Le frère, Der Graf, sera joué par le baryton allemand Dietrich Henschel. Présent à la Monnaie depuis le début du mandat de Peter de Caluwe, il y a incarné de multiples rôles, Wozzeck, Nick Shadow, Golaud et Œdipe, avant d’être un formidable Doktor Schön dans notre dernière Lulu et d’endosser le personnage de Peter dans Hänsel und Gretel (Humperdinck) en décembre 2015.

Le ténor lituanien Edgaras Montvidas incarnera le compositeur Flamand. Depuis ses débuts à la Monnaie dans le Requiem de Bruneau en 2012, il s’est produit à Glyndebourne, Berlin, Munich comme à l’Opéra Royal de Versailles.
C’était un autre habitué de la scène de la Monnaie qui devait chanter le poète Olivier mais le baryton français Stéphane Degout a malheureusement dû déclarer forfait. Son rôle est repris par le baryton estonien Lauri Vasar qui l’interprétait récemment encore à l’Opéra de Lyon. Il a interprété le personnage du Minotaure pour la création de Phaedra (Henze) en 2007, et Schaunard (La Bohème).  Il  accepté cette reprise au pied levé. 

Kristinn Sigmundsson fait ses débuts à la Monnaie dans le rôle de La Roche (Theaterdirektor). C’est un interprète très sollicité pour les grands rôles de basse, ceux de Wagner et Verdi notamment.

Charlotte Hellekant chantera Clairon (Schauspielerin). La mezzo-soprano s’est produite notamment dans deux des dernières créations de la Monnaie, Matsukaze (Murasame) qu’elle reprendra également cette saison et Au monde (la fille aînée).
Ce seront les quatre jeunes interprètes de l’Opéra de Lyon, coproducteur avec la Monnaie, qui viendront interpréter les rôles du souffleur, des chanteurs italiens et du majordome : le ténor suisse François Piolino (Monsieur Taupe) ; la soprano russe Elena Galitskaya(Italienische Sängerin) 3e Prix et Prix du public du Concours Reine Elisabeth 2011 et son compatriote le ténor Dmitry Ivanchey (Italienischer Sänger) qui font tous deux font leurs débuts à la Monnaie ; le jeune baryton Christian Oldenburg (Haushofmeister).
Parmi les huit serviteurs, nous pourrons entendre deux membres de  la MMAcademy, Pierre Derhet (MMAcademy Laureate) et Maxime Melnik (MMAcademy soloist), ainsi que Artur Rozek membre de l’International Opera Academy, aux côtés de Zeno Popescu, Nabil Suliman, Vincent Lesage, Bertrand Duby et Kris Belligh.
Agenda

03.11.2016 – 16.11.2016

Lieu

Palais de la Monnaie, Tour & Taxis

Tarifs

cat 1 - 129 € / cat 2 - 99 € 
cat 3 - 84 € / cat 4 - 59 € 
cat 5 - 34 € / cat 6 - 10 €

Présentation

Introductions une demi-heure avant les spectacles par Antonio Cuenca Ruiz (en français) & Reinder Pols (en néerlandais)

Langue

Chanté en allemand
Surtitré en français et en néerlandais

Durée

ca 2h 45’
(1h - entracte - 1h 25')

Streaming

live sur ArteConcert
10.11.2016
streaming sur lamonnaie.be
24.11 > 15.12.2016
sur Klara
03.12.2016
sur Musiq’3
03.12.2016

 

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administrateur théâtres

14695587_1445099122186137_2258976398414716966_n.jpg?oh=5598aace944035af312da142c2c70f1a&oe=58A97712Viva Nabucco ! « Sur les ruines de Sion, le roi Assyrien ne s’installera pas. Et Baal, dieu mensonger disparaîtra » 

Vole ma pensée, sur des ailes dorées;

Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines,

Où embaument, tièdes et suaves,

Les douces brises du sol natal !

 

Salue les rives du Jourdain,

Les tours abattues de Sion ...

Oh ma patrie si belle et perdue !

Ô souvenir si cher et funeste ! 

PRETENDRE que « Va, pensiero », le chant des esclaves hébreux dans Nabucco, a catapulté Giuseppe Verdi   vers les sommets de  la   renommée  universelle est loin d’être exagéré. Il reste l'un des plus grands moments de  l'opéra, et les Chœurs d'Opéra de Liège sous la direction de  Pierre Iodice  ont  exécuté ce moment tant attendu de façon remarquable  le soir de la première. Le public en était tout chaviré.  Un chant qui commence à l'unisson, devient un bouleversant gonflement nostalgique, pour s'amplifier à pleine voix et mourir dans des soupirs d’espérance. Le temps de méditer sur tout ce qui nous enchaîne ou pourrait nous asservir.  La mise en scène de Stefano Mazzonis Di Palafera de Nabucco est d’une simplicité  confondante pour un opéra de cette envergure!  La plèbe des Babyloniens et des Hébreux, dont se détachent les personnages bibliques, se meut dans de lentes  mobilités  menaçantes et font penser aux arrière-plans de grands tableaux du 17 siècle.

 

 LE DECOR lui-même est un chef-d'œuvre d’abstraction moderne, avec ce rideau d’étoiles de David censé véhiculer la Jérusalem antique - avant, pendant et après sa destruction. Au deuxième acte, la maquette aérienne couleur lapis lazzuli des jardins suspendus de Babylone faits d’escaliers, de colonnades et balcons  est  un travail d’artiste. La texture est   une dentelle d’octogones imbriqués qui symbolisent les palais splendides de la cité et le regard  des femmes à travers les moucharabiehs. Au troisième acte, les pieds des esclaves fouleront les flots du Jourdain, lieu de baptême et  de rédemption en live. L’eau lumineuse qui coule depuis  l’arrière-plan fait d’un rideau de joncs dorés par  le soleil levant, a noyé la splendeur envolée des palais babyloniens. Des décors d’une simplicité parfaite soulignés par de savants jeux de lumière plongent le spectateur dans  une rêverie intemporelle.

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LA DISTRIBUTION est bien sûr éblouissante, à la mesure de l’oeuvre avec en tête, Leo Nucci dans le rôle-titre. Le chanteur vibre d’une puissance prophétique sous ses 74 printemps. Il fait une entrée remarquée sur un fabuleux cheval de bois dont le pelage arbore des couleurs de fleurs rien moins que Chagalliennes, assorties au bleu munificent des palais. Il commettra l’irréparable péché d’orgueil qui le foudroie : « Moi qui suis Dieu, adorez-moi ! » Il deviendra dément, mais il se repentira avec ferveur et regagnera la grâce divine. Une fresque épique à lui seul. Son Dio di Giuda! arrache des clameurs à la salle!


   

 

 

 LA SOPRANO argentine Virginia Tola en tant que Abigaille, campe du haut du  majestueux cheval psychédélique, la violence, la soif de pouvoir qui s’est emparée d’elle et la destruction. Elle joue du dynamisme vocal et théâtral. Sa  voix est l’instrument  achevé de tout  pouvoir insatiable : brillante et tranchante. Mais elle est aussi capable de lamentations en présence de l’homme qu’elle désire. Elle criera « Mort aux Hébreux ! Rends-moi cette couronne ! Plutôt mourir ! »  Sa superbe s’achève après s’être discrètement empoisonnée. Un très émouvant sursaut d’humilité et de dignité survient, elle implore, vaincue,  le  pardon du Tout Puissant, trempant la main dans le fleuve Jourdain.

 

 L’EXQUISE  Nahama Goldman, pour la première fois sur la scène de l’Opéra Royal de Wallonieincarne la douce Fenena, l’otage assyrienne du grand-prêtre. Elle apparaît comme   la   noble  fleur des chants justes, souples et tristes alors qu’à tout instant, vivant symbole d’empathie ou de compassion,  elle voit sur elle le glaive de  la mort. A côté d’elle, Giulio Pelligra brille d’une belle puissance et  intensité dans le rôle d’Ismaele.

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ORLIN ANASTASSOV, superbe basse lyrique dans le rôle du grand prêtre juif Zaccaria, est une révélation. Un très magistral Vieni, o Levita! ... Il santo Codice reca! rallie l’adhésion de la salle entière après sa belle introduction aux violoncelles que l’on aurait cru plus profonde. La sagesse, l’humilité et le courage qu’il insuffle de sa voix puissante et magnifiquement posée, ont de quoi ébranler. La voix appelle à une alliance éternelle avec le Tout Puissant, loin des fausses idoles renversées.  

 

Mais bien sûr, il n’y a pas que la qualité des chanteurs ou des  40 choristes dirigés par Pierre Iodice, il y a aussi la tenue de l’orchestre par  Paolo Arrivabeni qui savoure la partition avec nuances, finesse et énergie, loin de tout fracas  prétentieux.

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NOTES:

DIRECTION MUSICALE : Paolo Arrivabeni  MISE EN SCÈNE : Stefano Mazzonis di Pralafera  CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice  ARTISTES : Leo NucciIonut PascuVirginia TolaTatiana MelnychenkoOrlin AnastassovEnrico IoriGiulio PelligraCristian MogosanNa’ama GoldmanRoger JoakimAnne RenouprezPapuna Tchuradze  

 9 DATES : Du mardi, 18/10/2016 au samedi, 29/10/2016

(Saison 2016-2017) : | Opéra Royal de Wallonie

www.operaliege.be/fr/activites
La complexité de la trame originale du Nabucco de Verdi a été ici revisitée pour en garder l'essentiel: l'amour, la quête d'indépendance, la justice et le pardon.

Le lien http://fr.allreadable.com/cb36EP9 vous permet de retrouver le texte du livret en français

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