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Maria et les trois prétendants

Maria et les trois prétendants

Maria, marie-toi au plus vite
Parmi tes prétendants tu dois choisir
Car trop d’attente te fera moisir
Si tu ne respectes pas les rites.

Tu consumeras tes vingt ans
Tu seras une vieille d’antan.
Et puis que veux-tu qu’on aille dire
A toutes ces langues aiguisées pour médire ?

Voilà ce que te répétait tout ce monde
Et toi tu trouvais bien immonde
De ne pouvoir suivre ton cœur
Jusqu’aux confins du bonheur.

Ta mère te proposa un marin
Car elle aimait le poisson à la sauce
Et dès les premières lueurs du matin
Elle planifiait pour ta nuit de noces.

Et toi tu défilais tes craintes :
Si la mer resserrait ses étreintes
Autour de ton pauvre mari matelot
Ta vie ne serait que d’amers sanglots !

Non ! Non ! Ma chère mère
Tu veux me rendre la vie amère
Je t’achèterai du poisson tout près
Et j'en choisirai encore de plus frais !

Le deuxième prétendant se présente
C’est une connaissance récente
Après avoir longtemps prêché
Il se vanta d’être le joaillier du marché :

Je te couvrirai de mille bijoux 
Rien ne sera mon unique joujou
Que toi, ô belle, ravissante femme
Si tu acceptes d’apaiser mes flammes.

Vexée, Maria fondit en larmes
Mais libre arbitre était son arme
Scruta longtemps ce trésor
Se souvint que tout ce qui luit
N’est pas vraiment de l’or
Et prit aussitôt congé de lui.

Un jeune poète l’aborde :
Belle femme, en vérité
Un pur nom qui concorde
Avec votre piété et chasteté
Mérite bien un mari émérite
Au cœur affranchi des rites 
De ceux qui créent la discorde ;
Et si bien votre corps s’agite
Et que votre cœur palpite
C’est que l’Amour nous accorde.

La nouvelle circula à la ronde
Prière d’en deviner la suite.

Lahoussine EL HOUSSAINI
Agadir, le 02 Mai 2014

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Kandinsky

Kandinsky compare la vie spirituelle de l’humanité à un grand Triangle semblable à une pyramide et que l’artiste a pour tâche et pour mission d’entraîner vers le haut par l’exercice de son talent. La pointe du Triangle est constituée seulement de quelques individus qui apportent aux hommes le pain sublime. Un Triangle spirituel qui avance et monte lentement, même s’il reste parfois immobile. Durant les périodes de décadence les âmes tombent vers le bas du Triangle et les hommes ne recherchent que le succès extérieur et ignorent les forces purement spirituelles37.

Lorsque l’on regarde les couleurs sur la palette d’un peintre, un double effet se produit : un effet purement physique de l’œil charmé par la beauté des couleurs tout d’abord, qui provoque une impression de joie comme lorsque l’on mange une friandise. Mais cet effet peut être beaucoup plus profond et entraîner une émotion et une vibration de l’âme, ou une résonance intérieure qui est un effet purement spirituel par lequel la couleur atteint l’âme38.

La nécessité intérieure est pour Kandinsky le principe de l’art et le fondement de l’harmonie des formes et des couleurs. Il la définit comme le principe de l’entrée en contact efficace de la forme et des couleurs avec l’âme humaine39. Toute forme est la délimitation d’une surface par une autre, elle possède un contenu intérieur qui est l’effet qu’elle produit sur celui qui la regarde avec attention40. Cette nécessité intérieure est le droit de l’artiste à la liberté illimitée, mais cette liberté devient un crime si elle n’est pas fondée sur une telle nécessité41. L’œuvre d’art naît de la nécessité intérieure de l’artiste de façon mystérieuse, énigmatique et mystique, puis elle acquiert une vie autonome, elle devient un sujet indépendant animé d’un souffle spirituel42.

Les premières propriétés qui sautent aux yeux lorsque l’on regarde la couleur isolée, en la laissant agir seule, c’est d’une part la chaleur ou la froideur du ton coloré, et d’autre part la clarté ou l’obscurité de ce ton43.

La chaleur est une tendance au jaune, la froideur une tendance au bleu. Le jaune et le bleu forment le premier grand contraste, qui est dynamique44. Le jaune possède un mouvement excentrique et le bleu un mouvement concentrique, une surface jaune semble se rapprocher de nous, tandis qu’une surface bleue semble s’éloigner45. Le jaune est la couleur typiquement terrestre dont la violence peut être pénible et agressive46. Le bleu est la couleur typiquement céleste qui évoque un calme profond47. Le mélange du bleu et du jaune produit l’immobilité totale et le calme, le vert48.

La clarté est une tendance vers le blanc et l’obscurité une tendance vers le noir. Le blanc et le noir forment le second grand contraste, qui est statique45. Le blanc agit comme un silence profond et absolu plein de possibilités49. Le noir est un néant sans possibilité, il est un silence éternel et sans espoir, il correspond à la mort. C’est pourquoi toute autre couleur résonne si fortement à son voisinage50. Le mélange du blanc et du noir conduit au gris, qui ne possède aucune force active et dont la tonalité affective est voisine de celle du vert. Le gris correspond à l’immobilité sans espoir, il tend vers le désespoir lorsqu’il devient foncé et retrouve un peu d’espoir en s’éclaircissant51.

Le rouge est une couleur chaude très vivante, vive et agitée, il possède une force immense, il est un mouvement en soi51. Mélangé au noir, il conduit au brun qui est une couleur dure52. Mélangé au jaune, il gagne en chaleur et donne l’orangé qui possède un mouvement d’irradiation sur l’entourage53. Mélangé au bleu, il s’éloigne de l’homme pour donner le violet, qui est un rouge refroidi54. Le rouge et le vert forment le troisième grand contraste, l'orangé et le violet le quatrième55.

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administrateur théâtres

Faire Pivoter le Monde! Ce soir, deux fabuleux comédiens, Jacqueline Bir et Alain Leempoel nous précipitent dans la crise économique cruciale qu’a connue l’Argentine en 2001. Et Pietro Pizzuti, le génial metteur en scène, de déplorer que la situation n’est pas fort différente à notre époque. Il suffirait peut-être (et encore…) d’ôter le vieux Frigidaire  vintage  du plateau et nous serions quelque part en été, en Europe ? Un credo vibrant va se décliner sur le mode des variations captivantes lors de conversations mère-fils. Face aux débâcles économiques et sociales qui servent d’arrière-plan à la pièce, subsistent néanmoins l’amour de la liberté et la compassion pour les plus faibles. C’est le message qui tout au long de la pièce perle tantôt avec tendresse, tantôt avec combattivité sur les lèvres aimantes de cette mère de 82 ans qui, soudain, voit ressurgir un fils de 50 ans toujours pressé et qui lui téléphone bien plus souvent qu’il ne vient la voir.

Mamà, cheveux blancs, est assise dans le sofa et tourne le dos au public, comme dans « Le récit de la servante Zerline ». Son fils, Jaime, (prononcez Chaïm), surgit au milieu de l’appartement bien rangé, lustré, étincelant de propreté. Surprise, elle pense : « Qu’est-ce qu’il me cache ? » Lui : « Comment vais-je lui dire ? » Cette fois il a un problème de taille à lui soumettre : il voudrait lui faire quitter l’appartement où elle vit (seule?) depuis la mort de son mari mais qui ne lui appartient hélas pas. Sa femme Laura exige la vente. Ayant perdu son emploi enviable, Jaime est désemparé. Ils sont dans une situation financière inextricable avec des enfants habitués au luxe dont il faut continuer à payer les études. Le spectre de la maison de repos est aussitôt abordé par la mère, très lucide, qui n’en a pas fini avec la vie.

Malgré la salle comble, tâchez de trouver des places près de la scène, car les métamorphoses passionnées du visage de la mère, tellement émue de retrouver son fils, plongent le spectateur dans des vagues d’émotions. Jacqueline Bir a cette fibre particulière de comédienne qui vous fait monter les larmes aux yeux alors même que l’on voudrait s’en défendre. La vérité des sentiments, l’intensité du jeu deviennent pour le spectateur le plus flegmatique un émerveillement toujours recommencé. Le chantage affectif règne, on s’en serait douté ! Serait-on une mère sans cela. D’ailleurs, « est-ce que Freud aurait réussi, sans les mères? » lance la sémillante mama. On se retrouve en tout cas - couleurs chatoyantes et lumières automnales du plateau aidant - baignés de chaleur humaine et touchés par ces profondes vibrations qui ont fait fondre les cœurs lorsque Jacqueline Bir incarnait il y a quelques années « Oscar et la dame rose ».On reçoit ici toute la tendresse espiègle et rouspéteuse d’une mère pour son fils comme un cadeau du ciel et on rit de bonheur à ses bons mots et à sa remarquable intuition, on savoure sa mauvaise foi, ses réparties et son humour cinglant. Le duo avec Alain Leempoel est magistral.

A la fin du premier acte, voilà que les cœurs qui s’étaient insensiblement distanciés se rapprochent, se reconnaissent, se livrent avec pudeur et se retrouvent. Pas d’entracte et pour cause, le ciel a de ces surprises… Ah oui il y a aussi un mystérieux Gregorio, presqu’aussi vivant que les deux complices!

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Par leur jeu, Mère et Fils réussissent un miracle : celui d’abolir le Temps et les pénibles contingences matérielles, faisant de ces retrouvailles progressives, presque des noces spirituelles. La connivence est revenue entre celle qui s’entêtait « à cuisiner comme avant » et ce fils au prénom portugais beau comme une caresse. Voici un fils perdu et retrouvé, qui, après avoir fondé et après avoir trimé sans compter pour se conformer aux exigences du paraître une famille peu attentionnée, est rassuré sur lui-même et mûri. Grâce aux très particulières conversations avec sa mère, il renaît à la vie, au désir, à la liberté et aux valeurs essentielles et surmonte peurs et angoisses. Un conte philosophique?

Jusqu'au 18 mai 2014

Conversations avec ma Mère

Théâtre - Contemporain
La Vénerie - Espace Delvaux
Rue Gratès 3 1170 BRUXELLES - BELGIQUE

Création en langue française d’après le film argentin de Santiago Carlos Ovés, adaptation théâtrale de Jordi Galcerán
Mis en scène par Pietro Pizzuti avec Jacqueline Bir et Alain Leempoel

http://www.lavenerie.be/index.cfm?r1=1&r2=102670

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"Homo ludens" est un essai de critique de l'historien hollandais Johan Huizinga (1872-1945), composé en allemand et publié à Amsterdam en 1938. Dans ce livre, l'auteur entreprend de "définir les éléments de jeu" que comporte la civilisation; à cette fin, il s'appuie sur une notion particulière de la culture, conçue comme un ensemble organique vivant d'une vie propre et échappant aux événements et aux passions. Déjà dans "Déclin du moyen âge", ses vues sur le duché de Bourgogne nous avaient montré un type de "parfait chevalier". Avec "Erasme" (1924), l'auteur avait dessiné la silhouette d'un érudit vivant en dehors des disputes et s'était attaché à nous prouver la valeur de la pensée intime et l'esprit religieux le plus indépendant. Dans "Homo ludens", Huizinga oppose un nouveau modèle de civilisation aux mythes de l' "homo sapiens" (Linné) et de l' "homo faber" (Bergson).

Telle une fleur délicate, la société résulte des contrastes sociaux: elle en est la convention, la création raffinée, le "jeu" en quelque sorte. En dehors de toute nécessité intrinsèque, l'art et la politique, l'amour et les convenances engendrent l' oeuvre, le geste, la parole, dans une effusion sereine et harmonieuse qui porte sa loi en soi-même.

Cet ouvrage rassemble un grand nombre d'exemples et d'observations sur les "éléments de jeu" qui ont brillé depuis le passé jusqu'à nos jours dans le langage et dans la poésie, dans la peinture et le droit, dans la guerre et dans la science, dans le sport et dans l' amour, tout comme dans la philosophie. Chaque époque historique est examinée "sub specie ludi", sans en exclure la politique actuelle envisagée, elle aussi, comme une vaste partie de cartes propre à offrir des solutions inattendues et, au milieu de tant de contrastes, à faire entrer chacun de nous dans le silence de son intimité morale.

L'oeuvre ne manque pas de souligner combien le dilettantisme fut à la base de la formation philosophique de l'auteur. Elle constitue cependant un recueil de pensées bien significatif et qui nous donne une certaine vision du monde sous un aspect unitaire et rationnel. Par "jeu", il faut donc entendre la force ailée des passions dans sa forme de vie la plus élevée: disons l'oeuvre accomplie par un Ariel invisible et tout puissant sur quelque sauvage Caliban.

Seules, ces "formes" désintéressées de civilisation conservent, à travers le temps, la trace du travail et de la lutte de tant de siècles, tout comme dans le symbole d'une pyramide d' Egypte ou d'un théorème de géométrie se conserve l'acquis de la société la meilleure, même si les erreurs et les contradictions inhérentes à la vie des peuples autant que des individus ne cessent de se multiplier.

La crise politique de l'Europe et du monde dans les années qui correspondent à la montée du nazisme suscita chez lui plus qu'une méditation ; il établit un diagnostic dont la clairvoyance nous émeut encore.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale (1938), c'est dans cet ouvrage de philosophie et de synthèse historique qu'il livre à ses contemporains (et aux générations futures) le fruit de ses méditations ; dans cet "Homo ludens" qui fit aussi le tour du monde, il a prétendu recueillir l'essence éternelle de l'homme - peuples et individus - dans la réalisation d'un style renouvelé sans cesse dans une recherche créatrice qui est le jeu. Comme Érasme avec sa folie, Huizinga introduisait avec le jeu une dimension anti-intellectualiste à l'intérieur même de l'intellectualisme.

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N.-B.: 

Dans "La crise de la civilisation" (1935)  il fit allusion aux courants nationaux-totalitaires et leurs mythes. Ce qui lui valut d'être détenu par les nazis jusqu'à sa mort en 1945.

Il y notait: 

"Si le salut vient, il sera dû non pas à la matière et à d'extraordinaires régénérations économiques et sociales, mais à l'esprit et à une purification spirituelle. Les champions d'une civilisation purifiée devront être comme des gens qui viennent de se réveiller de bon matin. Ils devront secouer leurs mauvais rêves. Le rêve de leur âme qui vient de sortir de la pourriture et pourrait bien y retomber. Le rêve de leur cerveau qui n'était que du fil de fer tordu et de leur coeur qui était  de glace. Le rêve des griffes et des défenses qui avaient remplacé leurs mains et leurs dents. Et ils devront se rappeler que l'homme ne peut être une bête sauvage."

Je reparlerai de cet ouvrage ("La crise de la civilisation")

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Un meneur d'hommes.

René était le fils d’un professeur de collège qui avait quitté sa femme alors que René n’avait que huit ans. Il était parti un matin, et n’était jamais revenu. Elle avait trouvé une lettre qui disait : je pars. De ce jour-là, elle se mit à haïr tous les hommes.

- C’est toi le seul homme de ma vie.   

Souvent, elle faisait porter à René des vêtements de couleur qui auraient mieux convenus à une fille. Personne ne se moquait de lui. A la première raillerie d’un condisciple, il s’était rué les poings en avant, et il avait frappé.

Nous avions fait nos études secondaires ensemble, René et moi. Nous avions renoncé à l’université. Les universitaires sont les prolétaires d’aujourd’hui.  Des prolétaires qui sont les défenseurs cultivés des oppresseurs.  Au même titre que les policiers dont le rôle est de défendre aussi ceux qui oppriment. Nous, nous voulions être parmi les opprimés.

René disait : nous détruirons le beau monde pour construire un monde plus beau. De gré ou de force.

- Et la liberté?

Quel rapport, ajoutait-il. La liberté, c'est comme un adultère commis sur le sable. Il terminait avec emphase: La première marée l'efface. Nous avions vingt ans.

C’est ensemble que nous avions décidé de nous affilier au parti communiste, le parti des travailleurs.

- Tu comprends ? Avoir un idéal de fraternité mais rester hors du combat, c’est indécent.

Au début, Alphonse Delomme, le député communiste de la région s'était inquiété de ces fils de petits bourgeois qui venaient rejoindre le Parti.

- Ce n'est pas un club pour rhétoriciens.

Soit, avait-il dit, il nous jugerait à notre travail. Parce qu'il dirigeait le journal régional du parti, il se déchargea sur nous du travail de réécriture des nouvelles que lui communiquaient les délégués d'usine.

Nous, nous ne faisions pas de fautes d'orthographe, et il nous arrivait, le soir, d'aller aider l'imprimeur du journal de la classe ouvrière.

Il nous avait confié à Marc Moreau, le secrétaire régional des Jeunesses communistes. Trapu, le visage creusé, parlant fort, Marc ne tenait pas en place. Il s'épanouissait dès qu'un auditoire lui faisait face. Peu importait qu'ils fussent nombreux ou non, généralement ils ne dépassaient pas une dizaine, les jeunes ouvriers qui consacraient deux heures par semaine à la cellule dans l'arrière salle d'un café.

Lorsqu'ils étaient deux, c'était de René et moi qu'il s'agissait. Marc faisait notre éducation en parlant d'Histoire, en citant Marx et Lénine, en évoquant la commune de Paris, les luttes ouvrières qui préparent la société de demain, et la place que chacun d'entre nous devait occuper.

René trouvait qu’il était trop didactique.

Lorsque Max est mort, un malaise cardiaque, c’est René qui devint  secrétaire des jeunesses communistes de la ville. Elles n’étaient pas nombreuses ces jeunesses, et préféraient les racontars des filles aux allocutions vibrantes de René.

René apprit à écrire des mots qui étaient des coups de poing. Des mots qui figuraient sur les tracts qu’il distribuait à l’entrée des usines. Il était devenu agit-prop. Agitation et Propagande. C’était un travail important.

Paul Perrin était le fils du propriétaire de l’usine qui se trouvait  derrière la gare, le quartier populaire de la ville. Il avait fait ses études avec nous mais les avait poursuivies pour devenir ingénieur. Un jour, vraisemblablement, il dirigerait l’usine de son père.

Le personnel lui portait le respect qu’il portait à son père, et l’appelait monsieur Paul. Lui tutoyait tous les ouvriers. Son père lui avait dit :

- Si tu ne le fais pas, ils diront que tu es prétentieux. Que tu établis une barrière entre eux et toi.  

Un jour, nous nous trouvions devant l’usine de monsieur Perrin, c’était durant la pause de midi, des ouvriers qui fumaient en bavardant s’écartèrent pour laisser passer la voiture de Paul Perrin, une petite M.G décapotable qui ne disposait que de deux sièges, et une banquette à l’arrière pour y poser un bagage.   

- ça, c’est de la voiture !

Louis, un des plus anciens membres du personnel, secouait la tête.

- On le sait, Louis que c’est de la voiture. Tu nous le répètes tous les jours.

- Parce que c’est la vérité. C’est moi qui la lave. Je la connais mieux que monsieur Paul.

Il en était fier.

René s’était glissé parmi eux. Il distribuait une feuille ronéotypée qui était le journal de la section du parti.  

Il interpella Louis.

- Il se l’est offerte avec l’argent que son père amasse grâce à votre sueur.

Louis avait haussé les épaules.

- Si tous les patrons étaient comme lui, toi et ton parti, vous pourriez fermer votre boutique.

La plupart des ouvriers parlaient entre eux sans faire attention à lui. René souriait mais son regard avait durci.

- C’est pour eux que nous devons nous battre.

C’est vers cette époque que je me suis détaché du parti. Je dois bien l’avouer, c’était de ma part une attitude romantique que celle de mon adhésion au parti. La révolution enflamme la plupart des jeunes bourgeois alors que ce sont les classes populaires qui devraient souhaiter l’explosion de nos sociétés figées.

Pendant longtemps, René et moi nous nous sommes revus comme si rien n’avait changé. Son caractère cependant s’est modifié lorsqu’il avait appris que Gisèle, la fille d’un contremaître de l’usine allait épouser Paul Perrin.

René était amoureux de Gisèle, la fille d’un travailleur qui avait entrepris des études d’institutrice. Il avait le sentiment d’être trahi à la fois par elle et par son père. Son père qui était  heureux de ce que sa fille, d’un seul coup,  gravisse de nombreux barreaux de l’échelle sociale.

- En couchant !

- On peut tomber amoureux de Pierre, non ?

- Quels cons ! Des esclaves consentants. Voilà ce qu’ils sont.

Je n’ai plus revu René. J’ai supposé qu’il poursuivait une carrière de leader populaire. Parfois, je me disais que mes préoccupations sociales n’avaient pas duré longtemps, et que René, lui, était resté fidèle à ses rêves d’adolescent. Etait-ce par compassion ou par goût du pouvoir ?

On est bête quand on est un adolescent. Je me souviens d’un mendiant à qui je n’avais pas donné l’aumône parce que c’était pour manger ; disait-il.

- Je veux bien si c’est pour boire.

Nous avions ri, René et moi. René disait :

- Ne jamais donner l’aumône. Que la vie leur soit dure, ça entretient la haine.

Le jour où il a tué le député Delomme, toute la ville en a été bouleversée. Au procès, il a dit qu’Alphonse Delomme se prenait pour une dame d’œuvres charitables. Les ouvriers, les prolétaires, comme il disait, n’étaient que des moutons. Ce n’est pas ainsi qu’on transforme le monde.

 

 

 

Un meneur d’hommes.

René était le fils d’un professeur de collège qui avait quitté sa femme alors que René n’avait que huit ans. Il était parti un matin, et n’était jamais revenu. Elle avait trouvé une lettre qui disait : je pars. De ce jour-là, elle se mit à haïr tous les hommes.

- C’est toi le seul homme de ma vie.   

Souvent, elle faisait porter à René des vêtements de couleur qui auraient mieux convenus à une fille. Personne ne se moquait de lui. A la première raillerie d’un condisciple, il s’était rué les poings en avant, et il avait frappé.

Nous avions fait nos études secondaires ensemble, René et moi. Nous avions renoncé à l’université. Les universitaires sont les prolétaires d’aujourd’hui.  Des prolétaires qui sont les défenseurs cultivés des oppresseurs.  Au même titre que les policiers dont le rôle est de défendre aussi ceux qui oppriment. Nous, nous voulions être parmi les opprimés.

René disait : nous détruirons le beau monde pour construire un monde plus beau. De gré ou de force.

- Et la liberté?

Quel rapport, ajoutait-il. La liberté, c'est comme un adultère commis sur le sable. Il terminait avec emphase: La première marée l'efface. Nous avions vingt ans.

C’est ensemble que nous avions décidé de nous affilier au parti communiste, le parti des travailleurs.

- Tu comprends ? Avoir un idéal de fraternité mais rester hors du combat, c’est indécent.

Au début, Alphonse Delomme, le député communiste de la région s'était inquiété de ces fils de petits bourgeois qui venaient rejoindre le Parti.

- Ce n'est pas un club pour rhétoriciens.

Soit, avait-il dit, il nous jugerait à notre travail. Parce qu'il dirigeait le journal régional du parti, il se déchargea sur nous du travail de réécriture des nouvelles que lui communiquaient les délégués d'usine.

Nous, nous ne faisions pas de fautes d'orthographe, et il nous arrivait, le soir, d'aller aider l'imprimeur du journal de la classe ouvrière.

Il nous avait confié à Marc Moreau, le secrétaire régional des Jeunesses communistes. Trapu, le visage creusé, parlant fort, Marc ne tenait pas en place. Il s'épanouissait dès qu'un auditoire lui faisait face. Peu importait qu'ils fussent nombreux ou non, généralement ils ne dépassaient pas une dizaine, les jeunes ouvriers qui consacraient deux heures par semaine à la cellule dans l'arrière salle d'un café.

Lorsqu'ils étaient deux, c'était de René et moi qu'il s'agissait. Marc faisait notre éducation en parlant d'Histoire, en citant Marx et Lénine, en évoquant la commune de Paris, les luttes ouvrières qui préparent la société de demain, et la place que chacun d'entre nous devait occuper.

René trouvait qu’il était trop didactique.

Lorsque Max est mort, un malaise cardiaque, c’est René qui devint  secrétaire des jeunesses communistes de la ville. Elles n’étaient pas nombreuses ces jeunesses, et préféraient les racontars des filles aux allocutions vibrantes de René.

René apprit à écrire des mots qui étaient des coups de poing. Des mots qui figuraient sur les tracts qu’il distribuait à l’entrée des usines. Il était devenu agit-prop. Agitation et Propagande. C’était un travail important.

Paul Perrin était le fils du propriétaire de l’usine qui se trouvait  derrière la gare, le quartier populaire de la ville. Il avait fait ses études avec nous mais les avait poursuivies pour devenir ingénieur. Un jour, vraisemblablement, il dirigerait l’usine de son père.

Le personnel lui portait le respect qu’il portait à son père, et l’appelait monsieur Paul. Lui tutoyait tous les ouvriers. Son père lui avait dit :

- Si tu ne le fais pas, ils diront que tu es prétentieux. Que tu établis une barrière entre eux et toi.  

Un jour, nous nous trouvions devant l’usine de monsieur Perrin, c’était durant la pause de midi, des ouvriers qui fumaient en bavardant s’écartèrent pour laisser passer la voiture de Paul Perrin, une petite M.G décapotable qui ne disposait que de deux sièges, et une banquette à l’arrière pour y poser un bagage.   

- ça, c’est de la voiture !

Louis, un des plus anciens membres du personnel, secouait la tête.

- On le sait, Louis que c’est de la voiture. Tu nous le répètes tous les jours.

- Parce que c’est la vérité. C’est moi qui la lave. Je la connais mieux que monsieur Paul.

Il en était fier.

René s’était glissé parmi eux. Il distribuait une feuille ronéotypée qui était le journal de la section du parti.  

Il interpella Louis.

- Il se l’est offerte avec l’argent que son père amasse grâce à votre sueur.

Louis avait haussé les épaules.

- Si tous les patrons étaient comme lui, toi et ton parti, vous pourriez fermer votre boutique.

La plupart des ouvriers parlaient entre eux sans faire attention à lui. René souriait mais son regard avait durci.

- C’est pour eux que nous devons nous battre.

C’est vers cette époque que je me suis détaché du parti. Je dois bien l’avouer, c’était de ma part une attitude romantique que celle de mon adhésion au parti. La révolution enflamme la plupart des jeunes bourgeois alors que ce sont les classes populaires qui devraient souhaiter l’explosion de nos sociétés figées.

Pendant longtemps, René et moi nous nous sommes revus comme si rien n’avait changé. Son caractère cependant s’est modifié lorsqu’il avait appris que Gisèle, la fille d’un contremaître de l’usine allait épouser Paul Perrin.

René était amoureux de Gisèle, la fille d’un travailleur qui avait entrepris des études d’institutrice. Il avait le sentiment d’être trahi à la fois par elle et par son père. Son père qui était  heureux de ce que sa fille, d’un seul coup,  gravisse de nombreux barreaux de l’échelle sociale.

- En couchant !

- On peut tomber amoureux de Pierre, non ?

- Quels cons ! Des esclaves consentants. Voilà ce qu’ils sont.

Je n’ai plus revu René. J’ai supposé qu’il poursuivait une carrière de leader populaire. Parfois, je me disais que mes préoccupations sociales n’avaient pas duré longtemps, et que René, lui, était resté fidèle à ses rêves d’adolescent. Etait-ce par compassion ou par goût du pouvoir ?

On est bête quand on est un adolescent. Je me souviens d’un mendiant à qui je n’avais pas donné l’aumône parce que c’était pour manger ; disait-il.

- Je veux bien si c’est pour boire.

Nous avions ri, René et moi. René disait :

- Ne jamais donner l’aumône. Que la vie leur soit dure, ça entretient la haine.

Le jour où il a tué le député Delomme, toute la ville en a été bouleversée. Au procès, il a dit qu’Alphonse Delomme se prenait pour une dame d’œuvres charitables. Les ouvriers, les prolétaires, comme il disait, n’étaient que des moutons. Ce n’est pas ainsi qu’on transforme le monde.

 

 

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La rive aux grands arbres

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Une photo de Suzanne Walther-Siksou

a inspiré

Au Parc Gouin à Montréal

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Une aquarelle d'Adyne Gohy

La rive aux grands arbres

Poème de Suzanne Walther-Siksou

inspiré de l'aquarelle d'Adyne Gohy

Le fleuve aux reflets lumineux

Dans un impressionnant décor.

Sont exposées des masses d'or,

De grands arbres mystérieux.

L'émoi ressenti est immense

Face à la suprême beauté,

Au repos qu'offre le silence.

Ineffable félicité!

Dans la douce magnificence,

Berçant son âme romantique,

Recourant à la transcendance,

Un peintre crée l'image unique.

Arbres de la rive dormante,

Superbe, emplie de poésie

Une aquarelle éblouissante

Aux couleurs de sa fantaisie.

Un partenariat d'

Arts 
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Lettres

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j 'ai faim j'ai soif

  "Agenouillée devant ton autel, humblement, lumière, source de vie créatrice,

   pour t'offrir ce monde, mes frères, mes sœurs, mes enfants,

  Toi qui lumière erre depuis une décennie  dans la pénombre de nos chaumières,

  tentant en vain de nous nourrir de ton pain de vie, pain d'amour, eucharistie éternelle,

  source d'eau pure revigorante, chatoyante..

  Tournée vers toi les mains jointes, accomplie en  la  grâce de ton Esprit, pour te chanter.

  O Jérusalem resscucitée, lumière éternelle abreuve ce monde de ton miel suave, au mil

  parfums délicieux ...d'ambre, santal, gingembre, embaume de ton encens.

   Cette terre en friche t'appelle, assoiffée elle te réclame...Papa j'ai soif!

  O lumière de mon âme, que ta   paix   nous inonde, nous enveloppe, en ton Eternité.

  Par ta parole, le monde fut conçu, engendré, prit forme

  Par  la grâce de ton Esprit, demain, renaitra.

  Havre de  paix , de plénitude, tu éloignes de  nous toute ivraie , les ténèbres s'estompent.

  Le nouveau-né te cherche.....dis  ABBA c'est quoi l'amour?

   Que ces quelques vers écrits, fixés ici-bas parviennent jusqu'à toi, pour chanter avec nous la vie"

   Fleurus le 30 mai 2014. Mamyblue

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12273013282?profile=originalBartolomé Esteban Murillo (Séville).

Avant de nous consacrer au coeur de notre sujet, la peinture romantique andalouse, un petit panorama des peintres andalous qui ont marqué la peinture espagnole et internationale.

Il ne s'agira donc ici que de brosser à grands traits le portrait des fondateurs de l'Ecole andalouse, avec :

  • Juan Sanchez Cotan (1561-1627), qui fit l'essentiel de sa carrière à Tolède, mais qui s'établit à Grenade dès 1603 pour y réaliser de nombreux tableaux de dévotion. Quoiqu'il soit surtout connu comme maître des bodegones (natures mortes).

12273013673?profile=originalFrancisco de Zurbaran : Santa Marina (musée Carmen Thyssen, malaga).

  • Francisco de Zurbaran (1598-1664), né en Estrémadure, mais formé à Séville où il passa toute sa vie. Il y fonde avec Vélasquez l'Ecole de Séville.

12273014253?profile=originalFrancisco de Zurbaran : Santa Teresa de Jesus (cathédrale de Séville).

  • Diego Velasquez (1599-1660), né et formé à Séville, il gagna Barcelone en 1629, avant d'entamer un long périple en Italie, pour finir sa vie et son oeuvre à Madrid.
  • Alonso Cano (1601-1667), formé à Séville avant de tenir un rôle majeur dans l'évolution de l'Ecole de Grenade où son influence fut profonde.

12273014652?profile=originalBartolomé Esteban Murillo : Garçon au chien

(musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg).

  • Bartolomé Esteban Murillo (1617-162), le maître de Séville. Peintre virtuose, il met un soin particulier à détailler chaque expression, à donner vie à ses scènes populaires, donnant l'illusion au spectateur d'y participer. Son influence sera prépondérante jusqu'à Cézanne. C'est incontestablement le maître du picaresque (les picaros, aventuriers et vauriens, étaient nombreux à Séville). Ce fut le seul peintre espagnol du XVIIe siècle connu de son vivant hors de son pays.

12273015061?profile=originalMurillo : Immaculée Conception (Ermitage, Saint-Pétersbourg).

  • Francisco Herrera le Jeune (1622-1685), né à Séville, très baroque.
  • Juan de Valdés Leal (1622-1690), autre Sévillan au style original.

A suivre...

Michel Lansardière (texte et photos).

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Gratter le souvenir

 

Gratter le souvenir de l’ongle de l’esprit.

Chercher dans un parfum la douceur d’un visage,

La trace d’un amour, la trace d’un message.

Que reste-t-il de moi quand j’ai tout désappris ?

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Une histoire banale




Lorsqu’Hélène est morte, j’avais cinquante ans à peine. L’âge où on s’interroge quant à sa vie et quant à son avenir. Souvent trop tard pour changer quoi que ce soit. Changer, oui. Mais sans bouleverser ce à quoi on est habitué.
C’est une boutade que mon ami Robert répétait souvent. Changer de femme, c’est changer de vie. C’est parfois la transformer de fond en comble sans devoir changer de voiture.
J’avais toujours rêvé de faire ma compagne de Julie mais c’est Robert qu’elle avait épousé et moi dont elle avait fait son témoin de mariage. J’ai parfois eu le sentiment qu’elle aurait accepté que je devienne son amant. Mais Robert était mon ami. Plus tard, elle m’a dit qu’elle n’avait pas compris. Elle m’a demandé si je ne l’avais pas trouvée assez belle, ce jour-là ?
Les hommes souvent, après quelques années de mariage, rêvent de femmes différentes selon les différentes saisons de la vie ou de la journée. C’est surtout vrai durant la nuit lorsque, en caressant leur femme, ils évoquent celles qui figurent en couverture des magazines. Ou la femme d’un ami.
Autant que les hommes, les femmes ont leurs rêves. Un certain nombre d’entre-elles, si pas toutes. Elles rêvent d’hommes qui combleront leurs pulsions sexuelles. Et de celui qui à leur seule vue contribuera à améliorer leur image sociale. Ce sont rarement les mêmes. Les premiers sont jeunes en général. Et vigoureux.
Aux yeux de Julie, moi j’étais différent. Nous nous connaissions depuis si longtemps que ce n’était pas tromper son mari que de le faire avec moi. J’étais une sorte de double imparfait de Robert. S’il devait mourir avant elle, il aurait été heureux que je lui succède dans le lit de sa femme. Certaines nuits, je pataugeais dans ces idées saugrenues. Finalement sait-on ce qui est saugrenu ou non ?
Je pensais souvent à Julie. Au travers de sa silhouette, et plus précisément au travers de sa poitrine que j’imaginais dure et tiède. Pourquoi sa poitrine ? Ces pensées qui me tourmentaient du temps d’Hélène, c’est Hélène que j’accusais de les provoquer. Est-ce que tous les maris se ressemblent ?
Hélène, un matin, ne s’est pas réveillée. Durant la nuit son cœur s’était arrêté de battre. Le jour même Robert avait un accident de voiture qui le tuait sur le coup. Etrange coïncidence ! A se demander si les morts ne se donnent pas d’étranges rendez-vous.
Aux funérailles d’Hélène, j’ai reçu les condoléances de Julie qui m’a serré contre elle pour m’embrasser. Le lendemain c’est elle qui recevait les miennes et me serrait à nouveau contre son corps. Elle s’était parfumée un peu plus fort que la veille.
Trois jours plus tard, nous avons passé la nuit ensemble chez moi dans ce qui avait été notre lit à Hélène et à moi. Julie disait qu’elle était angoissée dans le sien. C’était la première fois qu’elle dormait seule. Elle a posé la main sur mon sexe.
Le sentiment amoureux, celui qu’on ne s’explique pas, a ressurgi au moment où elle m’a dit :
- Merci, c’était bon, tu sais.
Et des gestes qu’elle a évoqués en me mordant le lobe de l’oreille. Je l’aimais, je le savais.
Durant quelques jours, nous avons pris des précautions afin de ne pas susciter des propos vulgaires chez nos voisins. Elle rentrait chez elle dès la fin de l’après-midi mais revenait à la nuit tombée. J’avoue que cela augmentait notre excitation réciproque.
- Tu as pensé à moi en m’attendant ?
Puis elle est restée et nous avons vécu comme un couple établi.
Nous nous sommes mariés six mois plus tard. Elle avait vendu son appartement après avoir récupéré quelques meubles auxquels elle tenait. Leur lit en particulier.
- Tu comprends, il me rappelle trop de souvenirs.
J’ai pensé à Hélène qui durant notre nuit de noces avait éteint la lumière. C’est dans le noir que je lui avais ôté sa chemise de nuit.
A plusieurs reprises depuis, j’ai comparé Julie à Hélène. Une nuit, alors qu’elle s’était étendue sur moi, j’ai dit :
- Arrête Hélène.
Julie à éclaté de rire.
- Elle te faisait ça, Hélène ?
- J’ai peur de n’être pas un homme pour toi.
Elle m’avait caressé et j’avais réagi sans ardeur. Nous étions mariés depuis trois mois.
C’est à cette époque qu’elle a commencé à manifester une fringale d’achats. Elle avait de nombreuses courses à faire. Elle n’avait rien à se mettre, disait-elle. Elle s’absentait pour un après-midi entier et je constatais que j’en étais soulagé. C’était sûr désormais, j’avais eu tort d’épouser Julie. Même si elle était moins assoiffée de sexe qu’elle ne l’était à la mort de Robert.
Un jour, je l’ai suivie. Elle est entrée dans un hôtel et quelques minutes plus tard Gérard, un ami commun à Robert et à moi, la suivait. Trois heures se sont passées. Elle en sortit et Gérard sortait à son tour.
Je compris pourquoi certaines nuits elle ne cherchait plus son plaisir auprès de moi. Un soir, elle m’avait dit au moment ou je lui saisissais les seins :
- Pas ce soir, j’ai la migraine.
C’était donc ça, l’amour ?

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Etre vivant,

 

Toucher à l'essentiel,

l'espace d'une seconde,

d'une minute ou d'une heure ;

un regard, un toucher, une voix ;

qu'importe,

rien ni personne,

 ne pourront évincer cela !

Toucher à l'essentiel,

l'espace d'une seconde,

d'une minute ou d'une heure ;

micro bouleversement en soi ;

euphorie bleue et chaude,

clarté soudaine,

qu'importe,

rien ni personne,

 ne pourront être au dessus de cela !

Ce quelque chose,

d'infiniment grand,

c'est miniaturisé,

 pour se blottir en nous,

nous rendre pleinement conscient

de la respiration du Monde.

Toucher à l'essentiel,

prépare à la rencontre,

au côtoiement  de l'univers de l'autre,

en toute transparence.

Notre peau,

de presque tout s'étonne, frissonne.

 

 

 

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La vallée du bonheur. JGobert

Les nuages jouent. Ils  dessinent et crayonnent sur la vallée faisant naître des tableaux d’ombres et de lumières. Sur ces vastes étendues de blé d’or, sur ces tapis de fleurs sauvages, le vent les amène et les chasse avec la même douceur.  Petites sphères blanches qui se transforment au gré du temps en décor éthéré, ils remplissent le ciel d’une multitude  de beauté.

La terre, devant cette immensité de bleu et de blanc, resplendit et renvoie par une main experte des aquarelles, des portraits aux couleurs du monde où ocre, vert émeraude, rouge vermillon se marient tendrement. Une scène de maître nait au milieu du tumulte de la vie et une musique céleste entonne une marche triomphante vers ces tableaux idylliques où  se pressent les hommes vers un monde nouveau.

Ils cherchent la paix, la sérénité, la vérité dans des cœurs troublés et parfois confondus par la haine, la rancune, la cupidité, le mensonge.  Ils espèrent trouver une réponse à leurs souffrances en essayant de bannir ce qui fait la trame de la vie gommant les chemins escarpés et les sentiments les plus futiles.

Sous cette voute qui tient lieu d’espace, d’infini. Ils se posent les questions qui réclament des réponses judicieuses  et qui sont encore des énigmes pour certains. Le Système, en mode de loi,  englobe les hommes, en étouffe certains et les laisse démunis devant tant d’indifférence.  Ils en oublient  le fondement même de la vie et le respect que chaque homme a droit.

Sur ce chemin cheminant tranquillement à travers ces paysages éclatants où un vent léger rafraichit les pensées, les cœurs légers voguent sur cette vague de douceur et se laissent porter. Ils arrivent lentement là où le bonheur les attend.

Les autres, moins chanceux,  ne ressentent pas cette félicité et bien qu’ils poursuivent depuis un certain temps cette recherche, restent sur des voies couvertes de cailloux et d’ornières.

Tout le monde n’atteint pas le paradis sur terre, la douceur de vivre, l’enchantement d’être deux ou trois ou quatre, la satisfaction d’avoir eu une vie juste, équitable, le plaisir simple mais si important  d’aimer et le suprême honneur d’avoir été aimé pour soi.

Seuls les âmes pures arrivent dans cette vallée et peuvent en retirer le fruit suave de la vie ou de l’éternité.

JGobert

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Bruxelles, une nuit...

Bruxelles, une nuit

Quand Bruxelles s'abandonne aux lustres qui pendulent, 
Zinneke en gargouille et Flupke en cirrhose, 
la cousine Rosa arrose son balcon rose 
et ses mules couronnées de campanules.

Dans le ciel mansardé, entre rideaux de tulle,
entre hier et demain, la lune étale ses poses.
Un tram en liberté chenille en nuit morose,
le cyclope allumé trimbale ses noctambules.

Bruxelles tangue, accents mouillés et vague prose,
au rythme de la nuit et de toutes les Gudule 
d'impasses graffitées en forme d'ecchymoses.

Quand la lune me nargue, lunule et funambule,
quand s'éteint l'Atomium noyé en couperose,
j'écoute le bruit du vers tombant au fond des bulles.

Rolande Gillard

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Le temps de notre vie

 

Soliloque

 

Sur le mur de l'oubli, apparaissent des brèches,

Qui ne révèlent rien quand on passe pressé.

Il masque un grand espace où se trouvent entassés

Des émois calcinés sur une rive sèche.

Le noir, la nuit venue, envahit la lumière

Et la divagation la pensée ordonnée.

Poussé à l'aventure, on reçoit des données

Menant en un ailleurs souvent imaginaire.

Parfois, par grand hasard, on retrouve des clefs;

On pénètre en des lieux où d'anciens amis vivent.

Lors des ardeurs fanées aussitôt se ravivent;

Ô se sentir soudain, caressé, cajolé!

Le sommeil nous paraît un besoin essentiel.

Détournant la raison, il fait qu'elle s'enlise.

Il cerne notre envie d'agir, la paralyse.

Rogné d'une moitié, reste le temps réel.

29 mai 2014

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" L'art d'être grand-père" est un recueil poétique de Victor Hugo (1802-1885), publié à Paris chez Calmann-Lévy en 1877.

Derniers vers de Victor Hugo (les Quatre Vents de l'esprit, publiés par la suite, furent écrits auparavant), ce recueil apparaît comme son testament poétique. Conçu avec la naissance de Georges et Jeanne, les enfants de Charles Hugo, apparition survenue dans le vide créé par la mort de l'épouse de Victor, celle de ses fils et l'internement de sa fille Adèle, cet ensemble fut trop souvent réduit à quelques poèmes un peu mièvres pour anthologies thématiques. Il redistribue pourtant les thèmes développés dans les Châtiments et les Contemplations. Composé de 18 sections comprenant de une à douze pièces où Hugo utilise une grande variété strophique, le recueil développe l'art du grand-père, soit celui d'«obéir aux petits». Loin du sentimentalisme familial chevrotant, il s'agit de rendre évidente la complicité des âges extrêmes dans leur relation avec l'au-delà. Naissance et mort sont deux aurores et le grand-père apparaît parfois comme un vieux gamin vaguement anarchiste, dispensateur de dons, ceux de la lune ou de friandises. Hugo donne le monde à ses petits-enfants.

Le cycle du «Jardin des Plantes» (IV) raconte de nouveau la Genèse. Dans ce microcosme de la Création, où se définit l'immanence divine, le bien compose avec le mal. Cet ancien Jardin du roi, devenu Muséum national d'histoire naturelle, allégorise à sa façon l'Histoire et se peuple de misérables. Enfin, il s'y mêle l'«infiniment grand» et l'«infiniment charmant» dans l'unité de la variété libre, cet ordre véritable. Infini et néant, mixte d'idéal et de chimère, esthétique du labyrinthe: le Jardin des Plantes rassemble enfer et paradis et laisse entrevoir une «lueur dans l'énorme prison». «Pêle-mêle de branchages augustes», le poème du "Jardin des Plantes", où la Genèse se combine aux fables de La Fontaine ou au matérialisme philosophique, rassemble la pensée hugolienne sur la nature et l'Histoire. Passé et présent s'y fondent, annonce de l'avenir.

A ce don poétique de l'univers s'ajoute celui de l'écoute: «Le babil des marmots est ma bibliothèque» (XV, 7). C'est que les enfants parlent une langue d'avant Babel, bégaiement d'avant la poésie, comme «les Griffonnages de l'écolier» (VIII) le sont du dessin. Ces arabesques figurent les combinaisons de l'infini. Le rapport à l'enfance s'énonce dans «Grand âge et bas âge mêlés» (VI). Relation privilégiée, cette complicité de la sagesse et de l'innocence conduit à rejeter tout autant le républicanisme athée que le cléricalisme obscurantiste. De là le refus de la dure loi des pères et de l'écrasement par le péché originel («l'Immaculée Conception», VII). Il faut en finir avec Satan. En attendant le triomphe des petits, le grand-père poète chante «l'Épopée du lion» (XIII), «Enfants, Oiseaux et Fleurs» (X), «Deux Chansons» (XVI) et le «Laus puero» (XV). Au-delà des contradictions et des antithèses, un chant d'amour et d'espérance se construit, reprenant les accords des harmonies poétiques précédentes: confiance dans les pouvoirs illimités de la poésie et éclosion de la lumière dans les ténèbres.

La dernière partie, «que les petits liront quand ils seront grands», conclut et ouvre. Si le progrès boite, si le poète est humilié en ces temps d'imposture, le jour succédera à la nuit, et il faudra bien accepter l'aurore. La justice, c'est-à-dire la pitié, triomphera, et le pardon à venir se lit dans l'ordre du monde: l'âme est «à la poursuite du vrai» (XV, 5).

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La répétition

 

Trois femmes et un homme sont les personnages de la pièce. Ils suivent des cours de comédie chez Damien, un ancien comédien. Il reçoit un petit nombre d’élèves. Le décor est sommaire : une table, deux ou trois sièges, un lit. Et un téléphone.  

 

Lorsque la pièce commence, trois des personnages sont en scène. Ce sont deux des femmes, Louise et Denise qui doivent répéter une scène qui se déroule dans une maison de retraite. Et, tout au fond, Marie qui imite et caricature leurs gestes.

Denise, pour s’exercer, dira à trois reprises, à un rythme différent, la même réplique de Brecht. Une main sur la table, elle a les yeux levés, tandis que Louise assise, accoudée, la regarde attentivement. Denise récite :

Denise.- On dit qu’il faut s’oublier soi-même et partager ce qu’on a, oui, mais si on a rien ? La charité ne rapporte rien. Si elle rapportait ne serait-ce que quelques sous, ce ne serait pas une vertu si rare.

Louise.- Je ne le sens pas.

Denise recommence autrement. Avec emphase.

Louise.- Ah, non ! C’est mauvais.

Denise.- Tu es sûre ?

Louise.- C’est du Brecht, ma chérie.

Denise recommence.

Louise.- Décidément, je ne le sens pas.

Denise.- Tu es plus difficile que Brecht lui-même. (Elle prononce ch.)

Louise.- Pas Brecht. Brect. On ne prononce pas le ch.

Denise.- Tu me chipotes toujours sur tout. D’ailleurs, madame je sais tout, comment sais-tu comment ça se prononce ? Tu n’étais pas là de son vivant. A moins que…tu es déjà si vieille ?

Louise.- Ca te fait rire ? Fernand me le disait bien. Ca ne vole pas très haut chez toi.

Denise.- Ce n’est pas ce qu’il me dit à moi. Il est vrai qu’il y a des moments où ce ne sont pas les mots qui comptent.

Louise.- Garce !

Après un silence.

Denise.- Tu crois qu’ils vont lui acheter son spectacle ?

Louise.- Je l’espère.

Denise.- Sinon, qu’est-ce que nous allons faire ?

Louise.- Ce ne sont pas les rôles qui manquent.

Denise.- Toi, peut-être. Moi, je n’ai rien en ce moment. Je suis nerveuse.

Louise.- Un peu de patience. Il téléphonera dès que ce sera fait.

Denise.- Je me demande s’il n’aurait pas du proposer une autre pièce. Une pièce drôle, il y a un public pour ça.

Louise.- Ou un drame. Il y a un public pour ça aussi. Pauvre fille.

Denise.- Je ferais bien une prière.

Louise.- Une prière !

Denise.- Tous les vrais comédiens sont superstitieux, c’est leur sensibilité qui veut ça. Il y a aussi le lien qui existe entre eux et ce qui les dépasse qui est une preuve de leur vocation.

Louise.- Décidément, Fernand avait raison. Heureusement que tu ne prononceras jamais d’autres mots que ceux que d’autres auront écrit pour toi. Ne change pas, ma chérie. Tu te souviens de ton texte, au moins?

Denise.- Les vieux.

Louise.- Les vieux ? C’est le titre ? Ce n’est qu’un titre provisoire.

Denise.- Moi, je ne le vois pas, ce texte. Je suis comme toi, je ne le vois pas.

Louise.- Tu ne vois jamais rien. C’est toi cependant qui veux être comédienne ?

Denise.- Parce que j’ai la vocation. Quand j’y pense, j’ai des frissons. C’est une preuve, non ? Tu as des frissons, toi ?

Louise.- Non. Reprenons. Nous sommes dans la chambre d’un hôpital. Peut-être que je vais mourir. Désormais, chaque minute compte. Il me faut rassembler tous mes souvenirs. Ce seront mes seuls compagnons dans l’au-delà. Il faut qu’ils soient les plus nombreux possibles. Alors, tu le connais ton texte ?

Denise.- Je ne le vois pas, je te dis.

Louise.- Met tes lunettes, et lis. Je commence. Pourquoi ris-tu ?

Denise.- C’est toujours toi qui commande. Dois-je t’appeler maître, toi ou maîtresse ? Vous vous prenez pour qui, madame ? Maître Damien en personne, peut-être ?   

Elle imite.

Denise, avec emphase,- Ce n’est pas que je tienne au titre mais le respect de la hiérarchie est le pain des sociétés bien constituées. Fermez les bans.    

 

Denise feuillette un livre.

Louise.- Tu m’écoutes ?

Après un moment : tu m’écoutes ?

Denise.-  Oui, na.

Louise. - Non, tu ne m’écoutes pas. Qu’est-ce que je t’ai dit?

Denise.- Tu m’as parlé de Pierre.

Louise.- Si je t’avais parlé d’un homme, je t’aurais parlé de Jean.

Denise.- Jean, Pierre, hier c’était Marcel. Tu dis toujours la même chose.

Louise.- Et tu dis que tu es mon amie. Je pourrais crever que ça ne te ferait ni chaud ni froid. Le livre de madame ! Ca, c’est quelque chose. Des histoires d’amour pour midinettes. Mais le vrai amour, celui qui te met le feu au corps, sais-tu seulement ce que c’est ? Ne ricane pas. Celui qui te met le feu au cul. Voilà, je l’ai dit.

Un long silence.   

Denise se lève, glisse un signet dans son livre. Et fait semblant de sortir. Pendant que Louise compulse un carnet d’adresse. Elle a raffermi ses lunettes sur le nez. Elle compose le numéro. Un moment se passe. De l’indifférence affectée, son visage passe à l’inquiétude. L’interlocuteur a décroché. Enfin. Elle joue la surprise.

Louise.- C’est vous ? Jean ! Oh ! Je me suis trompé de numéro. Je vous prie de m’excuser. C’est vrai, je l’avoue, Jean. Souvent je fais le vôtre automatiquement. Je vous dérange, Jean. Mais si, je vous dérange.

Oh, ici c’est toujours la même chose. Dans ces maisons, il faut accepter une certaine promiscuité. Non, Denise, ça va encore. Sinon que ça ne vole pas très haut. Vous savez ce qu’elle lit ?  Là voilà qui revient. Au revoir, Jean. Je vous embrasse moi aussi.

Tu as été faire pipi ?  

Denise.- Tu n’apprendras jamais rien. Je ne comprends pas comment, je peux supporter ta vulgarité.

Louise.- Jean a téléphoné. Il voulait venir malgré les difficultés qu’il éprouve à se déplacer. Qu’est-ce qu’il imagine ? Que je vais écouter la vie qu’il aura menée avec sa femme avant qu’elle ne meurt.

Tu te souviens de la manière dont il me courrait après ? Et, ce n’était pas pour me parler de sa femme.

Bref, tu m’as comprise.

Denise.- Cela aussi, tu l’as déjà raconté dix fois. Tu veux que je te dise la suite.

Louise.- Mon cœur ! Mon cœur ! Je ne resterai pas un jour de plus avec elle.

Denise.- Calmes-toi. C’était pour rire.

Louise.- Albert, tu te souviens d’Albert ? Je te l’ai déjà raconté ?

Denise - Cela ne fait rien, racontes.

Louise.- Je l’appelais : l’homme au cheval.

Denise.- Il faisait du cheval ?

Louise.- Il jouait aux courses. A Ascot. Non, je me trompe. A Chantilly. Avec son chapeau spécial pour le Derby.

Denise.- Il jouait avec un chapeau ?

Louise.- Un jour, il m’a dit : Vous voyez ce tableau ? C’est un Courbet. Il vaut des millions. Pour une nuit avec vous, Louise, il est à vous. Je lui ai répondu : pour qui me prenez-vous. Un Courbet. Gaston Courbet. Pas un autre.

Denise.- Gustave.

Louise.- Quoi, Gustave ?

Denise.- Gustave Courbet. Pas Gaston.

Louise.-Gaston, Gustave, quelle différence. Ca n’empêche pas de peindre.

Denise.- Il n’est pas signé.

Louise.- J’attendais cette remarque. C’est ce qui lui donne une valeur supplémentaire, les peintres signent leurs tableaux, en bas, à droite, et parfois au dos de leur toile. Pour qu’on puisse les distinguer les uns des autres, en réalité. Ceux dont la patte est reconnaissable entre toutes n’ont pas besoin de signer. Est-ce qu’un poème de Rimbaud a besoin d’être signé pour être beau, je le demande à haute voix ?

Denise.- Rimbaud ! Mon dieu !

Louise.- En tout cas, si ce tableau n’est pas de lui, il est celui d’un de ses élèves. Et s’il ne vaut pas des millions, des millions et des millions, il vaut simplement des millions.

Un instant de silence, puis :

Louise.- J’étais la plus belle. La plus belle. Crois- moi. Ce dont tu te souviendras à l’heure de la mort, ce ne seront pas des livres, ce seront les caresses des hommes. Et celles dont ils t’auront privées. N’hésite pas. Le jour où tu ne t’en souviendras plus, autant mourir pour de vrai.

La place du cœur, ce n’est pas à la poitrine qu’elle se trouve. Ce n’est pas là. C’est là.

Soudain, le visage de Louise se crispe. Elle porte la main à la poitrine. Elle pousse un cri.

 

Marie, la troisième des femmes, elle fait office de chœur, commente.

- Elles ne s’aiment pas. Pourquoi les êtres humains ne s’aiment-ils pas ? Elles se connaissent à peine. Louise à cinquante cinq ans. Elle est belle et désirable. Fernand se jetterait à l’eau pour elle. Non, j’exagère. C’est à Denise qu’il fait du plat. Elle aussi, il la mettrait bien dans son lit. Pourquoi ne porterais-je pas témoignage de ce que je vois ? Aujourd’hui encore on répète avec emphase les propos des comédiennes grecques quant à des citoyennes de leur cité. Deux mille ans graveront-ils mes propos d’aujourd’hui dans le marbre de l’histoire ? Les Atrides, dites-vous. N’y a-t-il plus de meurtres aujourd’hui ? Plus d’enfants assassinés ? D’époux trompés et de femmes sacrifiées pour la gloire et l’ambition d’un homme ?

 

Denise.- Décidément, je ne le vois pas, ce texte.

Louise.- Moi non plus, en réalité.

Denise.- Je suppose que maître Damien a ses raisons. Mon rôle est si petit que je me garderais bien de donner une opinion. A mon avis, il s’agit du texte d’un ami. Ou d’un ami du producteur. Souvent, les producteurs ont des ces exigences…Je l’ai vu dans des films américains.

Vous entendez ?

Toutes portent la main à la poitrine. Entre Fernand.

Fernand.- Ce n’est que moi, mes jolies.

Toutes.- Tu as des nouvelles ?

Fernand.- Je suis venu pour entendre les vôtres.

 

Marie.- Elles se taisent. Aucun mot ne franchit leurs lèvres. Elles sont immobiles. De véritables statues. Les statues qui se trouvent dans les parcs de nos cités sont-elles simplement immobiles. Se mettront-elles à vivre dès que nous, nous aurons cessé de le faire ? Qui peut l’affirmer. Mais qui de nous peut affirmer le contraire.

 

Le téléphone sonne. Longtemps. L’une d’elles se décide.

Louise.- Prenez-le, Fernand. C’est vous, l’homme.

Fernand décroche.

Fernand.- Oui. Oui.

Il raccroche.

Denise.- Qu’est-ce qu’il a dit ?

Louise.- Oui, qu’est-ce qu’il a dit.

Fernand.- Je ne me souviens pas.

Louise.- Fernand ! Il s’agit de notre avenir. C’est trop grave.

Fernand.- Avec Fernand, rien n’est grave. Même ce qui est sérieux.

Louise.- Fernand !

Fernand.-Soit. Tout reste ouvert.

Toutes.- Ah !

Fernand.-Le producteur n’a pas dit non. Il a téléphoné à maître Damien…

Denise.-Pour le lui dire ?

Fernand.- Pour dire qu’il serait en retard. Que Damien pouvait l’attendre.

Dès lors, je traduis : rien n’est fait. Et si rien n’est fait, tout est faisable. Positiver. Il faut po-si-ti-ver. Si tu penses : c’est perdu, tu seras malheureuse.

Denise.- Et si tout à l’heure, maître Damien nous annonce que le producteur a dit non ?

Fernand.- Tu seras malheureuse, mais après. Est-ce que je t’ai déjà fait danser ?

 

Il invite Denise à danser. Sans musique.

Fernand.- Lorsque je danse, je me laisse guider par une musique intérieure. Est-ce que je t’ai déjà embrassée ? Non, ne t’inquiète pas, tu n’a rien de moins que les autres.

.

Marie.- Comment faire la différence entre la comédie et la vie ? J’allais dire : la vie véritable. Cela me plait à moi de passer d’une rive à l’autre de ce fleuve qui m’entraîne sans que je puisse me reposer un instant. Tu crois qu’il s’arrête parce que tu dors, pauvre conne. Et parfois, tu fais semblant de dormir une heure de plus. Mais le fleuve, lui, ne dort pas. Il continue de t’entraîner. Rêve ou vis, peu importe le nom que tu donnes à cette histoire sans queue ni tête, mais prend du plaisir, ma fille. Il ne s’agit pas d’un bout de texte de théâtre comme celui que Louise a prononcé tout à l’heure. Il s’agit de ton sang.  

 

Louise à Marie.

Louise.- Est-ce que je te l’ai déjà dit ? Tu es émouvante, ma petite Marie. Tu m’as émue. Tu dois être bouleversée toi aussi. Stanislavski le disait : Même si vous n’avez qu’un mot à dire, dites-le avec vos tripes. Bonjour, c’est bonjour. Mais : Bonjour, c’est autre chose.

Sur une scène de théâtre, tuer un enfant à coups de marteau ou manger des frites, pour moi c’est pareil. Ce n’est pas à nous d’être ému. Notre rôle, c’est d’émouvoir le spectateur. C’est maître Damien qui l’a dit.

Denise.- Comme c’est vrai. Retiens cette phrase, Marie. Je suis sûre que c’est une réplique extraordinaire. Je suis sûre que lorsqu’il l’entendra, dite par une autre bouche que la sienne, maître Damien demandera à l’auteur de l’introduire dans son texte.

Louise.- Où elle va tomber comme un cheveu dans la soupe.

Denise.- Personne ne s’en apercevra. Elle est trop belle. Les spectateurs, tu le sais, écoutent à peine lorsque la comédienne est jolie.

Louise.- Jolie ? Tu te crois au cinéma ? Au théâtre, ma fille, les spectateurs ne mettent pas leur manteau sur les genoux.

Silence. Le découragement les submerge.

Denise.- Pourquoi ne téléphone t-il pas ?    

Louise.- L’enfer c’est.., c’est l’attente. J’ai le corps tout remué. Je dois retrouver mon calme.

Denise.- Il n’est pas très long, notre texte.  L’art dramatique n’échappe pas aux lois générales de l’économie, c’est maître Damien qui me l’a dit à la fin du mois dernier. Pour quelques répliques à peine, c’est tout de même un comédien en plus. Et ça coûte, un comédien. 

D’accord, pas beaucoup. Mais tout de même. Et puis, le texte en est plus resserré. Moins de répliques, la densité augmente.  Oui. Et à force. Plus de répliques du tout, et la densité de l’œuvre est à son paroxysme. J’ai inventé le texte muet. Sans comédiens. Sans décor. Sans théâtre. Le comble de l’émotion dramatique.

Le téléphone sonne. Denise se précipite.

Denise.- Oui, Oui ? Ah, Ah, oui.

Elle raccroche.

Marie.- C’était maître Damien ?

Denise.- Qui donc, sinon.

Marie.- Cela peut-être n’importe qui, peut-être une erreur.

Denise.- Le plombier.

Marie.- C’était le plombier ?

Denise.- Tu ne veux pas savoir ce qu’il a dit ?

Marie - Non. Je le devine. Cette pièce sera un four. Il faut être toqué pour la jouer. Elle a été écrite par un apprenti. Et quand je dis un apprenti, je suis en dessous de la vérité. Tu peux me dire où est l’action ?

Denise.- N’empêche que le producteur  n’a  pas refusé.

Louise.- Ce n’est pas vrai ? Fais attention, Denise. Ne joue pas avec mon cœur.

Denise.- Il ne l’a pas refusée parce qu’il n’était pas encore arrivé. Lorsqu’il arrivera, peut-être qu’il la refusera mais peut-être qu’il ne la refusera pas non plus.

Louise.- Je sens que je vais mourir.

Denise.- Je répète ce qu’a dit maître Damien.

Louise.- Il avait une bonne voix ?

Denise.- Je ne sais pas. Il a dit : ne vous énervez pas, les enfants.

Louise.- Il a dit : ne vous énervez pas ? Peut-être que la pièce n’est pas si mauvaise. Il me semble la voir. C’est dans une chambre d’hôpital. Une chambre dans une maison de vieux. Louise, enfin le personnage qu’elle incarne est mort. Fernand vient nous l’annoncer. 

Fernand entre.

Louise.-Tu te souviens de ton texte ? Lorsque Louise, enfin le personnage qu’elle incarne, meurt. 

Fernand.- Elle me dit : ne me touchez pas avec vos mains farfouilleuses. Je peux me déplacer seule. Et je réponds, si je devais vous toucher avec quelque chose, ce serait avec mon pied. Là où je pense ! Oui, j’ai déjà dit des textes d’une autre nature. Mais quand on est comédien, on n’a pas toujours le choix.

Louise.- Je peux prendre le tableau ?

Denise.- Le tableau ?

Louise.- Le Courbet. Il est à moi. C’est dans le texte.

Fernand.- Evidemment, un texte dans lequel on cite un grand peintre comme Courbet, ne peut pas être mauvais. J’ai connu un auteur dont le héros parlait de Pablo Picasso, il trainait sur Paablo. Si un critique prétendait que sa pièce n’était pas un chef d’œuvre, il demandait : vous n’appréciez pas Picasso ?

Denise.- Le langage n’est pas très riche.

 

Marie.- Ne cherches pas une langue riche. Ne t’acharne pas à connaître un grand nombre de mots. Ou des mots rares. Les spectateurs risquent de ne pas te comprendre. A quoi bon savoir, si tu es seul à savoir. A trop savoir, tu risques de t’isoler. Au contraire, homme intelligent ou  femme ayant un peu de cervelle, tu feras semblant d’écouter ceux qui en savent moins que toi. Ils répandront tes louanges autour d’eux. Hosanna !

 

Denise.- Je crois qu’elle devient folle.

Louise.- Qu’est-ce qu’on fait ?

Fernand.- On attend. Que faire d’autre. Nous passons notre vie à attendre. Si le temps passé à attendre était supprimé, avec quelques années d’existence, nous la remplirions tout autant qu’aujourd’hui. C’est du Nietzche.

Denise.- Moi, j’en ai assez. Producteur ou pas, Damien ou pas, j’en ai marre, je m’en vais.

Louise.- Nous ne pouvons pas partir. Nous sommes des professionnels.

Fernand.- Louise a raison, nous sommes des professionnels.

Denise.- Mais, reconnaissez-le. Le texte est pauvre. C’est de notre réputation qu’il s’agit.

Louise.- Notre réputation. J’en connais une qui ferait bien d’y penser plus souvent, et avant de préférence.

Denise.- C’est à moi que tu fais allusion ?

Louise.- Non. Au roi de Prusse.

Denise.- Au roi de Prusse ?

Louise.- Madame ne sait pas qui c’est. Madame est trop jeune sans doute.

Fernand.- Les filles !

Denise.- Je comprend que des gens puissent en tuer d’autres. Je ne comprends pas qu’on puisse les mettre en prison pour ça. Il y a des femmes qu’on devrait pouvoir tuer, et plutôt que de condamner leur meurtrière, c’est elles qu’il faudrait mettre en prison.

Fernand.- Les filles, les filles.

Le téléphone sonne. C’est l’angoisse.

Fernand.- C’est vous maître Damien. Il a refusé, je le pressentais. Non. Non, il n’a pas refusé ?

Il se tourne vers les autres :

Il n’a pas refusé.

Au téléphone.

Fernand.- Quoi ? Quoi ? Il n’a pas refusé. Il est mort ? Sur le chemin ? Un accident ? Il ne reste rien de sa voiture ?

Il raccroche.

Fernand.- Vieux con ! Vieux con !

 

Marie.- Je n’aime pas les vieux. Ils encombrent le chemin des jeunes. Ils disent ce qu’il faut faire de ce monde qui n’est pratiquement plus le leur. Je le dis avec solennité : il faut tuer les vieillards.

 

Louise.- Ta gueule, Marie. Ta gueule.

 

Marie.- Nous sommes morts. Nous sommes tous morts. Mais ils n’ont pas le temps de nous enterrer tous à la fois

 

Parce que qu’elle n’arrête pas de réciter, il ne reste plus aux autres qu’à l’étrangler.

Louise.-Tu connaissais ton texte, toi ?

Fernand.- Bien sûr. Nous sommes des comédiens, pas des touristes.

Louise à Denise.

Louise.- Et toi ?

Denise.- Bien sûr. Nous sommes des professionnels.

Louise.- Oui. Toujours  prêts. The show must go.

 

On entend les trois coups du brigadier comme si la pièce allait seulement commencer.

 

                                   Rideau

 

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LES MOTS...LES MOTS!

Les mots que l'on tricote en mailles étonnantes...

Et ceux que l'on désire dans une fureur démente!

Les mots trop policés dont on se sert en vain

Et ceux désabusés qui vont aller trop loin.

Les mots qui virevoltent un beau soir de printemps

Et ceux qu'on improvise pour déguster l'instant...

Les mots de vérité qui nous laissent bien seul

Et font désespérer d'un jour en faire le deuil!

Les mots inespérés qui sont comme des caresses

Et qui mettent un bémol à toute notre détresse!

Les mots si purs et beaux qui chantent à nos oreilles

Et ceux, plus rocailleux, qui piquent comme l'abeille!

Les mots que l'on retient, victimes de la pudeur

Ils stagnent tout au fond, encombrant notre cœur!

Et tous les mots d'amour que l'on aura pas dits!

Ils chantent dans la tête, la vie est sans répit...

Les mots... les mots!

J.G.!

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Propos sur Esther

Esther est une pièce de Jean Racine que les candidats au baccalauréat devaient étudier.

Je me souviens d'en avoir appris et récité de longs passages dont la magistrale prière d'Esther.

Je savais que Racine avait mis en scène un récit biblique.

Cette oeuvre dramatique de la littérature française, est émouvante. Nous étions préparés à répondre à toutes les questions qui nous seraient posées à son sujet. Or il ne semblait pas utile que l'on sût ce qui ne se rapportait pas directement à son contenu et à ses qualités.

Comment aurions-nous pu comprendre l'importance que Racine accordait à ce récit, le sens qu'il voulait lui donner?

En 1688, Mme de Maintenon et les illustres personnes qui dirigeaient la Maison de St-Cyr lui demandèrent d'écrire une pièce destinée à leurs élèves.

Il ouvrit sa bible au Livre d'Esther qui l'avait, sans doute, troublé et incité à méditer.

« Je leur proposai le sujet d'Esther, qui les frappa d'abord, cette histoire leur paraissant pleine de grandes leçons d'amour de Dieu et de détachement du monde au milieu du monde même.»

Racine fut éduqué par les Solitaires de Port Royal. Ces messieurs prêchaient la tolérance.

Pascal, l'un d'eux, avait révélé en 1670, dans ses pensées et opuscules, l'attention qu'il avait pour le peuple juif.

« Je considère cette loi qu'ils se vantent de tenir de Dieu et je la trouve admirable.»

( Les preuves historiques 4.)

Je n'avais pas lu la préface d'Esther ni le prologue qui précède le premier acte de cette tragédie.

La préface révèle la foi dont fut imprégné Racine en étudiant l'Ancien testament, et son respect pour le vrai Dieu.

Il semble content d'annoncer:

«On dit même que les juifs encore aujourd'hui célèbrent par de grandes actions de grâces le jour où leurs ancêtres furent délivrés par Esther de la cruauté d'Aman».

Le prologue, intitulé La piété, récité avant le premier acte n'a de rapport avec la pièce que par les quelques vers qui l'annoncent,

« Retracez-lui d'Esther l'histoire glorieuse,

Et sur l'impiété la foi victorieuse»

« Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité»

Je pense qu'il serait important d'éclairer les étudiants sur le choix de Racine

Esther est une pièce particulière parmi ses oeuvres.

Alors que le peuple juif était honni, torturé, souvent à l'instigation de prêtres haineux, Racine apparaît comme un juste.

28 mai 2014

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Deuil blanc,

 

ça s’égosille ici et là,

ça déchante,

les p'tits piafs

en ont "raz le gosier",

de ces douches quotidiennes

diluviennes !

Le ciel est bas,

aqueux et savonneux,

plein de nuages mousseux.

Les chemins,

les jardins,

par mes sanglots,

de toi si lourds,

se délimitent,

mais plus fort palpitent.

Le soleil,

sur la route,

 émietté et tout blanc,

de toi ma grande amie,

endosse ce clair deuil.

Une goutte d'ondée,

à l'instar d'un baptême,

me touche et me traverse ;

est-ce un geste de toi ?

 

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Météo enfantine,

 

Qu'il fasse gris,

ou bien ensoleillé,

les voix de l'enfance,

du monde entier,

demeurent les mêmes,

de l'essentiel si riches.

Ce qui n'est point le cas,

des adultes,

des grands dit-on,

qui s'attristent, font la tête,

dès lors que le temps,

 se montre plus gris, maussade.

C'est à croire,

que l’enfance est imperméable

au mauvais temps !

Son soleil,

étant partout,

peut-être même,

 d'une toute autre couleur ?

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