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Un meneur d'hommes.

René était le fils d’un professeur de collège qui avait quitté sa femme alors que René n’avait que huit ans. Il était parti un matin, et n’était jamais revenu. Elle avait trouvé une lettre qui disait : je pars. De ce jour-là, elle se mit à haïr tous les hommes.

- C’est toi le seul homme de ma vie.   

Souvent, elle faisait porter à René des vêtements de couleur qui auraient mieux convenus à une fille. Personne ne se moquait de lui. A la première raillerie d’un condisciple, il s’était rué les poings en avant, et il avait frappé.

Nous avions fait nos études secondaires ensemble, René et moi. Nous avions renoncé à l’université. Les universitaires sont les prolétaires d’aujourd’hui.  Des prolétaires qui sont les défenseurs cultivés des oppresseurs.  Au même titre que les policiers dont le rôle est de défendre aussi ceux qui oppriment. Nous, nous voulions être parmi les opprimés.

René disait : nous détruirons le beau monde pour construire un monde plus beau. De gré ou de force.

- Et la liberté?

Quel rapport, ajoutait-il. La liberté, c'est comme un adultère commis sur le sable. Il terminait avec emphase: La première marée l'efface. Nous avions vingt ans.

C’est ensemble que nous avions décidé de nous affilier au parti communiste, le parti des travailleurs.

- Tu comprends ? Avoir un idéal de fraternité mais rester hors du combat, c’est indécent.

Au début, Alphonse Delomme, le député communiste de la région s'était inquiété de ces fils de petits bourgeois qui venaient rejoindre le Parti.

- Ce n'est pas un club pour rhétoriciens.

Soit, avait-il dit, il nous jugerait à notre travail. Parce qu'il dirigeait le journal régional du parti, il se déchargea sur nous du travail de réécriture des nouvelles que lui communiquaient les délégués d'usine.

Nous, nous ne faisions pas de fautes d'orthographe, et il nous arrivait, le soir, d'aller aider l'imprimeur du journal de la classe ouvrière.

Il nous avait confié à Marc Moreau, le secrétaire régional des Jeunesses communistes. Trapu, le visage creusé, parlant fort, Marc ne tenait pas en place. Il s'épanouissait dès qu'un auditoire lui faisait face. Peu importait qu'ils fussent nombreux ou non, généralement ils ne dépassaient pas une dizaine, les jeunes ouvriers qui consacraient deux heures par semaine à la cellule dans l'arrière salle d'un café.

Lorsqu'ils étaient deux, c'était de René et moi qu'il s'agissait. Marc faisait notre éducation en parlant d'Histoire, en citant Marx et Lénine, en évoquant la commune de Paris, les luttes ouvrières qui préparent la société de demain, et la place que chacun d'entre nous devait occuper.

René trouvait qu’il était trop didactique.

Lorsque Max est mort, un malaise cardiaque, c’est René qui devint  secrétaire des jeunesses communistes de la ville. Elles n’étaient pas nombreuses ces jeunesses, et préféraient les racontars des filles aux allocutions vibrantes de René.

René apprit à écrire des mots qui étaient des coups de poing. Des mots qui figuraient sur les tracts qu’il distribuait à l’entrée des usines. Il était devenu agit-prop. Agitation et Propagande. C’était un travail important.

Paul Perrin était le fils du propriétaire de l’usine qui se trouvait  derrière la gare, le quartier populaire de la ville. Il avait fait ses études avec nous mais les avait poursuivies pour devenir ingénieur. Un jour, vraisemblablement, il dirigerait l’usine de son père.

Le personnel lui portait le respect qu’il portait à son père, et l’appelait monsieur Paul. Lui tutoyait tous les ouvriers. Son père lui avait dit :

- Si tu ne le fais pas, ils diront que tu es prétentieux. Que tu établis une barrière entre eux et toi.  

Un jour, nous nous trouvions devant l’usine de monsieur Perrin, c’était durant la pause de midi, des ouvriers qui fumaient en bavardant s’écartèrent pour laisser passer la voiture de Paul Perrin, une petite M.G décapotable qui ne disposait que de deux sièges, et une banquette à l’arrière pour y poser un bagage.   

- ça, c’est de la voiture !

Louis, un des plus anciens membres du personnel, secouait la tête.

- On le sait, Louis que c’est de la voiture. Tu nous le répètes tous les jours.

- Parce que c’est la vérité. C’est moi qui la lave. Je la connais mieux que monsieur Paul.

Il en était fier.

René s’était glissé parmi eux. Il distribuait une feuille ronéotypée qui était le journal de la section du parti.  

Il interpella Louis.

- Il se l’est offerte avec l’argent que son père amasse grâce à votre sueur.

Louis avait haussé les épaules.

- Si tous les patrons étaient comme lui, toi et ton parti, vous pourriez fermer votre boutique.

La plupart des ouvriers parlaient entre eux sans faire attention à lui. René souriait mais son regard avait durci.

- C’est pour eux que nous devons nous battre.

C’est vers cette époque que je me suis détaché du parti. Je dois bien l’avouer, c’était de ma part une attitude romantique que celle de mon adhésion au parti. La révolution enflamme la plupart des jeunes bourgeois alors que ce sont les classes populaires qui devraient souhaiter l’explosion de nos sociétés figées.

Pendant longtemps, René et moi nous nous sommes revus comme si rien n’avait changé. Son caractère cependant s’est modifié lorsqu’il avait appris que Gisèle, la fille d’un contremaître de l’usine allait épouser Paul Perrin.

René était amoureux de Gisèle, la fille d’un travailleur qui avait entrepris des études d’institutrice. Il avait le sentiment d’être trahi à la fois par elle et par son père. Son père qui était  heureux de ce que sa fille, d’un seul coup,  gravisse de nombreux barreaux de l’échelle sociale.

- En couchant !

- On peut tomber amoureux de Pierre, non ?

- Quels cons ! Des esclaves consentants. Voilà ce qu’ils sont.

Je n’ai plus revu René. J’ai supposé qu’il poursuivait une carrière de leader populaire. Parfois, je me disais que mes préoccupations sociales n’avaient pas duré longtemps, et que René, lui, était resté fidèle à ses rêves d’adolescent. Etait-ce par compassion ou par goût du pouvoir ?

On est bête quand on est un adolescent. Je me souviens d’un mendiant à qui je n’avais pas donné l’aumône parce que c’était pour manger ; disait-il.

- Je veux bien si c’est pour boire.

Nous avions ri, René et moi. René disait :

- Ne jamais donner l’aumône. Que la vie leur soit dure, ça entretient la haine.

Le jour où il a tué le député Delomme, toute la ville en a été bouleversée. Au procès, il a dit qu’Alphonse Delomme se prenait pour une dame d’œuvres charitables. Les ouvriers, les prolétaires, comme il disait, n’étaient que des moutons. Ce n’est pas ainsi qu’on transforme le monde.

 

 

 

Un meneur d’hommes.

René était le fils d’un professeur de collège qui avait quitté sa femme alors que René n’avait que huit ans. Il était parti un matin, et n’était jamais revenu. Elle avait trouvé une lettre qui disait : je pars. De ce jour-là, elle se mit à haïr tous les hommes.

- C’est toi le seul homme de ma vie.   

Souvent, elle faisait porter à René des vêtements de couleur qui auraient mieux convenus à une fille. Personne ne se moquait de lui. A la première raillerie d’un condisciple, il s’était rué les poings en avant, et il avait frappé.

Nous avions fait nos études secondaires ensemble, René et moi. Nous avions renoncé à l’université. Les universitaires sont les prolétaires d’aujourd’hui.  Des prolétaires qui sont les défenseurs cultivés des oppresseurs.  Au même titre que les policiers dont le rôle est de défendre aussi ceux qui oppriment. Nous, nous voulions être parmi les opprimés.

René disait : nous détruirons le beau monde pour construire un monde plus beau. De gré ou de force.

- Et la liberté?

Quel rapport, ajoutait-il. La liberté, c'est comme un adultère commis sur le sable. Il terminait avec emphase: La première marée l'efface. Nous avions vingt ans.

C’est ensemble que nous avions décidé de nous affilier au parti communiste, le parti des travailleurs.

- Tu comprends ? Avoir un idéal de fraternité mais rester hors du combat, c’est indécent.

Au début, Alphonse Delomme, le député communiste de la région s'était inquiété de ces fils de petits bourgeois qui venaient rejoindre le Parti.

- Ce n'est pas un club pour rhétoriciens.

Soit, avait-il dit, il nous jugerait à notre travail. Parce qu'il dirigeait le journal régional du parti, il se déchargea sur nous du travail de réécriture des nouvelles que lui communiquaient les délégués d'usine.

Nous, nous ne faisions pas de fautes d'orthographe, et il nous arrivait, le soir, d'aller aider l'imprimeur du journal de la classe ouvrière.

Il nous avait confié à Marc Moreau, le secrétaire régional des Jeunesses communistes. Trapu, le visage creusé, parlant fort, Marc ne tenait pas en place. Il s'épanouissait dès qu'un auditoire lui faisait face. Peu importait qu'ils fussent nombreux ou non, généralement ils ne dépassaient pas une dizaine, les jeunes ouvriers qui consacraient deux heures par semaine à la cellule dans l'arrière salle d'un café.

Lorsqu'ils étaient deux, c'était de René et moi qu'il s'agissait. Marc faisait notre éducation en parlant d'Histoire, en citant Marx et Lénine, en évoquant la commune de Paris, les luttes ouvrières qui préparent la société de demain, et la place que chacun d'entre nous devait occuper.

René trouvait qu’il était trop didactique.

Lorsque Max est mort, un malaise cardiaque, c’est René qui devint  secrétaire des jeunesses communistes de la ville. Elles n’étaient pas nombreuses ces jeunesses, et préféraient les racontars des filles aux allocutions vibrantes de René.

René apprit à écrire des mots qui étaient des coups de poing. Des mots qui figuraient sur les tracts qu’il distribuait à l’entrée des usines. Il était devenu agit-prop. Agitation et Propagande. C’était un travail important.

Paul Perrin était le fils du propriétaire de l’usine qui se trouvait  derrière la gare, le quartier populaire de la ville. Il avait fait ses études avec nous mais les avait poursuivies pour devenir ingénieur. Un jour, vraisemblablement, il dirigerait l’usine de son père.

Le personnel lui portait le respect qu’il portait à son père, et l’appelait monsieur Paul. Lui tutoyait tous les ouvriers. Son père lui avait dit :

- Si tu ne le fais pas, ils diront que tu es prétentieux. Que tu établis une barrière entre eux et toi.  

Un jour, nous nous trouvions devant l’usine de monsieur Perrin, c’était durant la pause de midi, des ouvriers qui fumaient en bavardant s’écartèrent pour laisser passer la voiture de Paul Perrin, une petite M.G décapotable qui ne disposait que de deux sièges, et une banquette à l’arrière pour y poser un bagage.   

- ça, c’est de la voiture !

Louis, un des plus anciens membres du personnel, secouait la tête.

- On le sait, Louis que c’est de la voiture. Tu nous le répètes tous les jours.

- Parce que c’est la vérité. C’est moi qui la lave. Je la connais mieux que monsieur Paul.

Il en était fier.

René s’était glissé parmi eux. Il distribuait une feuille ronéotypée qui était le journal de la section du parti.  

Il interpella Louis.

- Il se l’est offerte avec l’argent que son père amasse grâce à votre sueur.

Louis avait haussé les épaules.

- Si tous les patrons étaient comme lui, toi et ton parti, vous pourriez fermer votre boutique.

La plupart des ouvriers parlaient entre eux sans faire attention à lui. René souriait mais son regard avait durci.

- C’est pour eux que nous devons nous battre.

C’est vers cette époque que je me suis détaché du parti. Je dois bien l’avouer, c’était de ma part une attitude romantique que celle de mon adhésion au parti. La révolution enflamme la plupart des jeunes bourgeois alors que ce sont les classes populaires qui devraient souhaiter l’explosion de nos sociétés figées.

Pendant longtemps, René et moi nous nous sommes revus comme si rien n’avait changé. Son caractère cependant s’est modifié lorsqu’il avait appris que Gisèle, la fille d’un contremaître de l’usine allait épouser Paul Perrin.

René était amoureux de Gisèle, la fille d’un travailleur qui avait entrepris des études d’institutrice. Il avait le sentiment d’être trahi à la fois par elle et par son père. Son père qui était  heureux de ce que sa fille, d’un seul coup,  gravisse de nombreux barreaux de l’échelle sociale.

- En couchant !

- On peut tomber amoureux de Pierre, non ?

- Quels cons ! Des esclaves consentants. Voilà ce qu’ils sont.

Je n’ai plus revu René. J’ai supposé qu’il poursuivait une carrière de leader populaire. Parfois, je me disais que mes préoccupations sociales n’avaient pas duré longtemps, et que René, lui, était resté fidèle à ses rêves d’adolescent. Etait-ce par compassion ou par goût du pouvoir ?

On est bête quand on est un adolescent. Je me souviens d’un mendiant à qui je n’avais pas donné l’aumône parce que c’était pour manger ; disait-il.

- Je veux bien si c’est pour boire.

Nous avions ri, René et moi. René disait :

- Ne jamais donner l’aumône. Que la vie leur soit dure, ça entretient la haine.

Le jour où il a tué le député Delomme, toute la ville en a été bouleversée. Au procès, il a dit qu’Alphonse Delomme se prenait pour une dame d’œuvres charitables. Les ouvriers, les prolétaires, comme il disait, n’étaient que des moutons. Ce n’est pas ainsi qu’on transforme le monde.

 

 

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Commentaires

  • Il me semble avoir déjà lu un début identique mais débouchant sur l'histoire d'une mère abusive.

     Avoir un bon patron, humain et tout et tout est une bénédiction. Et voilà comment souvent les ouvriers scient

    la branche de l'arbre où ils sont assis. En écoutant les prometteurs de beaux jours.

    J'imaginais une autre chute, d'une banalité renversante contrairement à la vôtre.

    Votre imagination me paraît intacte. ....Bravo et bonne soirée.

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