Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Toutes les publications (159)

Trier par

Enfance,

 

Bruissement des arbres,

odeurs de pain, de chocolat,

eau fraiche sur un visage,

jarre en faience blanche et bleue,

posée sur une table en chêne,

toilette enfantine,

savonnette toute blanche,

au lilas, au coeur de l'hiver.

Cascade de rires sous la roseraie,

conciliabules entre filles vêtues de clair ;

Votre gorge infinie, ensoleillée et brune,

cerise charnue et pourpre,

craquante entre vos lèvres nues,

pluie chaude et diaprée,

sur votre corps, dans le vert endormi.

Riz au lait abricoté,

 dans une jatte en porcelaine blanche,

tilleul blond et or,

solitaire au fond d'un petit pré,

sente sinueuse, profonde,

retirée dans un bois murmurant.

Tout près d'elle,

une source cristalline, balbutiante,

où les arbres se mirent.

un essaim d'abeilles, de guêpes,

bourdonnantes, euphoriques,

gorgées de nectars de roses,

éclatantes, toutes blanches.

Petits lézards argentés,

se faufilant à toute allure,

sur les murs ébréchés.

Bruissement des arbres,

drap frais, immaculé,

sur le vert étendu,

ça et là, des fruits, des fleurs,

des senteurs me restituent

ma vive enfance.

Longue sieste,

blancheur d'une ombre,

à la fois caressante et folle,

désirs, soupirs d'adolescence.

Transparence de l'air.

 

 

Lire la suite...

le choix du sort

 

Soliloque

Quand on pense avoir fait un choix,

Il dépend surtout de la chance,

Qui réunit les circonstances

Indispensables, chaque fois.

Choisir et subir sont contraires.

Comment pouvoir imaginer

Se mettre un jour à cheminer

Où l'on n'a pourtant rien à faire?

De nouveaux besoins qui surgissent

Entraînent à partir ailleurs,

Vers un espace prometteur.

Que de rêves s'anéantissent!

Satisfait ou non, l'on vieillit,

Enfin épargné des attentes.

Être en santé certes contente.

Une ultime grâce ébahit.

26 juillet 2014

Lire la suite...

Frieda la juive.

 

C’était quelques années avant la dernière guerre. C’était en Allemagne. Hitler était au pouvoir après que le peuple allemand en toute légalité eut renversé le gouvernement de Weimar, un gouvernement de  modérés que les communistes effrayaient.

Le Destin l’avait investi, il dominerait le monde. Dieu le voulait ! Gott mit uns.

Mais le peuple, les hommes sont comme ça, veut aussi de la viande à se mettre sous la dent, de celle qu’on produit dans les arènes après qu’il ait tendu le pouce vers le sol. A mort ! A mort !

Hitler allait lui en fournir. De la viande toute fraiche. Celle que dieu avait désignée, hurla-t-il en tendant le doigt vers les juifs, ces maudits de toujours. A mort !

Curieuse époque. Les élites allemandes méprisaient Hitler et sa clique. Mais la plupart d’entre elles s’y soumettaient. Tant les Junkers que les officiers à la joue marquée d’un coup d’épée.

Ils baissaient l’échine pourvu qu’ils puissent redresser la tête avec la morgue aristocratique des gens bien nés.

Que leur importaient les juifs. Des tailleurs, des coiffeurs, des usuriers qui ne prêtaient aux fils de bonne famille que contre l’assurance que leur argent leur serait rendu. Qu’ils crèvent si le peuple veut qu’ils crèvent.

Eric von Berger était différent. Je le reconnais : toutes les élites allemandes lorsqu’elles donnaient par prudence l’apparence de la soumission n’étaient pas les valets de ce petit sergent qui ameutait les foules avec des cris de dément. Tous les ouvriers allemands n’étaient pas des charognards assoiffés du sang des juifs. Mais, à cette époque, qui était en mesure de les distinguer ?

Eric von Berger était un hobereau issu de cette Prusse qui avait juré fidélité à l’empereur. Agé d’une quarantaine d’années, il servait dans l’armée avec le grade de commandant. C’est lui qui organisait les manifestations culturelles destinées à la troupe et au corps des officiers. Concerts, séances théâtrales, expositions de peinture, il se tenait au courant de la vie artistique et intellectuelle du pays.

Il connaissait le monde des artistes, les artistes officiels qui émanaient  des académies et ceux qui, quel que soit leur petit nombre, faisaient bouillonner les cerveaux. La peinture, en particulier, suscitait sa curiosité. C’était à ne plus rien comprendre de ce que ses années d’étude si conventionnelles en matière de culture lui avaient appris. Sur la peinture, et ces peintres dont chaque trait sur une toile prétendait révolutionner, et la peinture et la façon de voir.

L’un d’entre eux l’envoûtait plus que les autres, c’est le mot qui convenait. Un certain Groszberg, un juif. Et, pour d’autres raisons vraisemblablement, le modèle qui l’accompagnait constamment sous prétexte que l’inspiration et le besoin de peindre pouvait le saisir à tout instant.

Il peignait vite, à grands coups de brosse.

Son modèle, Frieda Lewitz, peignait elle aussi. A la différence de Groszberg, elle peignait des toiles aux couleurs tendres teintées de sensualité. Personne dans son entourage n’appréciait ces toiles qui n’étaient d’aucune époque imaginable.

- Ne sens-tu rien venir, Frieda ? Ce sont des années de sang, pas d’amour. Même la couleur rouge est trop tendre. Ajoute autant de couches que tu voudras, tu n’auras rien dit de ce temps. Il faut peindre avec du sang véritable.

Lorsque von Berger venait les voir dans son atelier Groszberg prétendait qu’il avait soif : 

- Je vais prendre une bière.

- Ce n’est pas moi qui vous chasse, j’espère ?

Il grognait quelques mots incompréhensibles, et il sortait.

- Il n’aime pas les militaires. Pourtant, il en faut quand il y a la guerre. Ils ne les perdent pas toutes.

- Je crois que ce sont les guerres qu’il n’aime pas.

Entre Frieda, la juive, et Eric von Berger, les relations étaient étranges. Mais, je le répète, qu’est-ce qui ne l’était pas à cette époque ?

Ce peuple allemand qui ne voulait ni voir ni entendre, et qui applaudissait lorsqu’on lui demandait d’applaudir ? Ce n’était pas normal. Avez-vous remarqué ? A la même époque, dans un même pays, parfois dans une même ville, il se passait des choses qui étaient généralement les mêmes mais lorsque vous interrogiez les habitants de la cité, des voisins en quelque sorte, ils racontaient la chose comme s’il s’agissait d’évènements tout à fait différents. A croire que le monde est constitué de cercles qui sont autant de planètes distinctes.

En d’autres temps, Eric et Frieda eussent été amants depuis le premier jour. Elle était belle d’une beauté qui séduisait sexuellement. Elle n’avait pas cet air farouche des jeunes femmes qui croient encore que le sexe n’est pas la première chose à quoi pense un homme. Pourquoi cet homme épouserait-il une fille dont il ne sait rien, alors ?

Eric était bel homme. De plus, c’était un aristocrate. On a beau dire, c’est doublement flatteur. Un homme à l’aspect fragile qui avait encore le visage d’un ange. Les femmes ont de la compassion pour ces hommes là. De la compassion aux abandons du corps il n’y a pas loin. 

C’était un officier allemand. Il craignait qu’elle ne cède par peur. Dans certains mess d’officiers, où il ne manquait pas d’homos qui ne savaient pas de quoi ils parlaient, on disait des juives qu’elles étaient de bonne baiseuses et on éclatait de rire. Eric ne voulait surtout pas que Frieda le soupçonne d’avoir des pensées aussi vulgaires.

Frieda n’osait pas se mettre au lit avec un allemand. Un officier allemand qui plus est. Aux yeux des siens, on aurait pu dire qu’elle n’était qu’une putain.

C’était le jour de cette fameuse nuit qui retentira longtemps encore du bruit des vitres brisées dans les rues de Berlin. La nuit de cristal. Je n’ai jamais compris pourquoi on lui avait donné ce nom. Il faut n’avoir jamais entendu se briser la coupe de cristal qu’un juif jette sur le sol. Le son du cristal est doté d’une musicalité singulière. Sa vibration tient du miracle. Cette fameuse nuit, ce sont les vitres des magasins juifs qui ont été brisées.

Dans les rues on entendait le martèlement des bottes  sur le sol, et le chant des nazis. Des chants ? Des vociférations d’ivrognes. Ils se dirigeaient vers les quartiers populaires, là où, pensaient-ils, se terraient les juifs. C’est dans ces mêmes quartiers, aux nombreuses arrière-cours, que travaillaient les peintres et les sculpteurs dans des ateliers qui avaient servis naguère à des artisans.

Lorsqu’ils étaient dans des cafés où on leur faisait crédit, les peintres passaient une bonne partie de leur temps à discourir à propos de la peinture. Ils inventaient des noms pour qualifier leurs mouvements. Ils pensaient qu’ils étaient en train de transformer la peinture. Nouvelle objectivité, Dadaïsme, Constructivisme, etc…Art dégénéré, disaient les membres éminents des académies.

-Il faut partir d’ici. Sur le champ.

Eric pressentait ce qui allait arriver. Il n’était pas bon d’être juif. En ce temps-là en particulier.

Et aujourd’hui, c’est mieux ? C’est un autre débat comme on dit quand on ne sait pas ce qu’il faut répondre.

Eric était en civil. Il avait sorti sa carte d’officier et la tenait en main. Au  cas où une de ces brutes le regarderait de trop près, il la lui mettrait sous le nez. Il avait raidi le cou, et accentué sa morgue d’officier. Il tenait Frieda par la taille.

-Bravo, mon prince. Il n’est pas nécessaire de vous souhaiter une bonne nuit.

Ils se mirent à rire parce qu’ils parlaient de sexe. Eric garda la main sur la hanche de Frieda même après qu’ils aient disparu.

- Dieu merci, j’ai encore ma chambre d’étudiant. Après, nous verrons.

L’homme fragile se révélait un homme déterminé. Frieda ne demandait rien d’autre que de se laisser guider par lui. C’était à la fois un sentiment de peur atroce et d’exaltation qui lui soulevait la poitrine.

Arrivés dans la chambre elle ouvrit les boutons de sa robe pour se dénuder. Elle s’étendit sur le lit, à même le couvre-lit, et tendit les bras.

Le lendemain Eric retourna à l’atelier de Groszberg.

Le peintre était en train de bourrer une sacoche de toile.

- Je pars, monsieur von Berger. Bientôt ils briseront des corps. J’ai eu la visite d’un certain Giraud.qui m’a acheté deux toiles, il y a trois mois. Il me conseille de partir. J’ai toujours rêvé de Paris. Berlin, c’est fini. Vienne aussi, c’est fini.

- Et vos toiles ?

- J’emporterai celles que je pourrai porter. Les autres, je les laisserai à ceux qui n’imaginent pas qu’on puisse emporter sa patrie à la semelle de ses souliers.

Il a raison, pensa Eric. Avec ce clown sinistre qui était le chef de l’Allemagne tout pouvait advenir.

Il ne voulait pas perdre Frieda. Fuir ! Il fallait fuir comme Groszberg se préparait à le faire.

Bientôt ce serait la guerre. L’Autriche. La Tchécoslovaquie. La Pologne. Demain la France  puis l’Angleterre. Puis…Cette armure d’officier qu’il portait sur le dos depuis des générations, est ce qu’il pourra la déposer un jour ?

Il avait jure de servir son pays. Si les militaires commençaient à se poser la question : c’est quoi mon pays, autant se tirer une balle dans la tête. Il y était prêt. Mais il n’était pas prêt de sacrifier Frieda. C’est drôle comme de simples discours vous font oublier que votre vie est unique et irremplaçable.

Il lui ferait passer la frontière. En France, elle ne risquait pas de se faire arrêter comme des milliers de personnes étaient en train de l’être. Les bureaux  de la caserne bruissaient des rumeurs les plus invraisemblables.

- Heil Hitler !

Jusqu’à son ordonnance qui le saluait en tendant le bras levé, et le commandant von Berger répondait de la tête mais n’osait pas le lui interdire.

Ce soir-là, dans sa chambre d’étudiant, sur son lit d’adolescent, témoin de tant de songes inavoués, il prit Frieda consentante avec tant de vigueur qu’il était incapable de mesurer ses ardeurs. Comble de torture, alors qu’il espérait lui faire l’amour jusqu’au bout de la nuit comme si c’était la dernière fois, il ne put la prendre qu’une fois à peine.

- Ce n’est rien. Je t’aime.

Elle caressait son sexe qui ne réagissait pas. Il était chaud, tendre et docile. On eut dit un oiseau blessé. Eric avait les larmes aux yeux.

- Ce n’est rien mon chéri, ce n’est rien.

A Frieda aussi, les larmes venaient aux yeux. Ils ne purent s’aimer qu’au lever du jour.

Berlin se trouve à près de cinq cents kilomètres de la frontière française. En train, c’était prendre de grands risques, les contrôleurs étaient vigilants. Par les routes encombrées, les risques étaient nombreux, eux aussi, Mais à cette époque, pour des juifs, vivre était tout aussi risqué.

Sa tenue d’officier pouvait donner le change. Quelques jours de congés octroyés par le  Général von Hauser, son supérieur direct, pouvait apaiser les suspicions. Plutôt que de se diriger directement vers la frontière française, il pouvait se diriger vers Stuttgart puis Karlsruhe. On y venait pour les eaux. On ne s’y étonnerait pas lors d’un contrôle qu’un officier supérieur en congé s’y rende accompagné de sa maîtresse. 

Fallait-il que le trajet soit court, c’était plus prudent, ou un peu plus long, et conserver Frieda plus longtemps auprès de lui ? Lui seul pouvait en décider, Frieda était prête à tout pour ne pas le quitter.

Groszberg lui avait communiqué l’adresse d’un passeur en mesure de faire passer la frontière à des juifs, des communistes, et d’autres cibles du nazisme. C’était une question d’argent pour le passeur et les garde-frontières qui devaient détourner les yeux.

- Tu iras à Paris. Groszberg m’a parlé d’un quartier appelé Montparnasse. De nombreux peintres y vivent. Bientôt, les Allemands occuperont Paris, c’est une question de mois. Je viendrai t’y chercher. Efforces-toi de changer de nom.

Avant la frontière durant la dernière nuit qu’ils passèrent ensemble ils s’aimèrent avec tant d’ardeur qu’ils auraient aimé mourir pour ne penser à rien d’autre. Mais ne meurt pas qui veut.

Dans la ferme Eric attendit que le passeur revienne avec une bague de Frieda. C’était le signe convenu pour dire que tout s’était bien passé. Il repartit pour Berlin. C’était en mars 1940.

Comment imaginer qu’en même temps, dans le sang et dans l’horreur, se mêlent l’histoire d’un peuple et le destin dérisoire d’un couple à peine constitué. Que le temps leur soit plus largement compté, et ils cesseront de s’aimer ou chacun d’entre eux en aimera un autre, et l’histoire sera différente ou il n y aura pas d’histoire du tout.

C’est l’Histoire de l’Humanité ? L’histoire de l’humanité, ce n’est que l’histoire de chacun d’entre nous.

Après l’armistice Eric von Berger avait été affecté aux services culturels du gouvernement militaire à Paris. Son rôle véritable, c’était d’acheter des objets de valeur pour les transférer en Allemagne.

Dès qu’il fut à Paris, il parcourut Montparnasse sur les conseils d’un collaborateur qui avait son pourcentage sur les œuvres achetées ou réquisitionnées.

-Une certaine Frieda, dites-vous. Une peintre ? Un modèle de Groszberg ? Groszberg a quitté la France. On dit que c’est pour les Etats-Unis.

Il avait promis de chercher. On se méfierait moins d’un Français que d’un Allemand. Durant plus d’un an, il n’y eut rien de nouveau.

Le 15 septembre 1941, le Français lui dit qu’il pourrait rencontrer le lendemain quelqu’un qui avait connu une peintre allemande.

Sorti du Lutétia, le quartier général du gouverneur militaire, Eric von Berger se dirigea vers l’avenue Montparnasse. Soudain un homme, un membre de la résistance française, un certain Rol-Tanguy, apprit-on plus tard dans les livres d’histoire, jaillit du porche d’un hôtel, se précipita vers lui un pistolet à la main,  et tira deux fois sur Eric qui s’écroula, la main sur la poitrine.

 

Lire la suite...

Nous vieillirons ensemble

 

Isabelle est devenue ma maitresse après que ma femme soit morte. Elle avait quitté son mari parce qu’il se conduisit  comme un vieillard dès qu’il eut épousé Isabelle. Il lui faisait l’amour une fois par semaine, le samedi, parce que le dimanche  il pouvait dormir plus longtemps.

C’est elle qui me l’avait raconté durant notre première nuit d’amour. Je l’avais embrassée, longtemps. Elle s’était abandonnée contre moi. Elle s’était étendue sur le lit.

- Pénètre-moi.

Elle aimait faire l’amour. Elle disait :

- C’est vivre que de faire l’amour. Si je m’écoutais, je ferais l’amour du matin au soir.

Nous avons vécu une année ensemble. Je n’avais rien à lui dire mais lorsqu’elle se rendait compte que je l’écoutais à peine, elle se levait et me disait :

- On monte ?

La chambre à coucher se trouvait à l’étage.

C’était une femme fidèle. Elle se rendait parfaitement compte que nous nous séparerions un jour proche mais elle se refusait de me tromper. Elle n’aurait pas aimé d’être l’épouse d’un mari trompé, elle ne voulait pas être la compagne d’un cocu. Les occasions cependant ne lui manquaient pas.

Je me souviens en particulier d’un représentant qui lui faisait des avances presque ouvertement lorsque j’étais absent ou lorsqu’il la suivait dans les réserves de son magasin.

- J’en ai envie moi aussi mais je ne coucherai pas avec vous  tant que je serai avec Pierre. Je suis une femme honnête.

Elle m’a  quitté pour le plus ancien de ses amis, celui qu’on appelait le bel Alfred. Il avait fait partie d’un groupe de comédiens amateurs dont elle avait été la vedette à l’âge de dix-huit ans.

Nous étions au lit lorsqu’elle m’a annoncé qu’il valait mieux nous séparer. J’ai répété :

- Tu as raison.

Mais elle a commencé à me manquer quinze jours plus tard. De plus en plus fort. C’est ce soir-là que je me rendis compte que j’avais besoin d’elle. C’est ridicule à dire mais j’avais le sentiment que son corps s’était imprimé sur le mien.

Loin d’elle, je manquais d’air et d’équilibre, je me tenais aux murs pour avancer. Ses gestes mécaniques durant que nous faisions l’amour m’étaient devenus indispensables.

Il n’y avait qu’une solution. J’ai attendu qu’Alfred se rende chez elle tout au début de leur liaison. Il faisait nuit  lorsqu’il en sortit. Il venait de faire l’amour, il venait de la tenir entre ses jambes, j’en étais persuadé. La voiture à démarré, j’ai roulé sur son corps et j’ai repris la route. J’étais à peine rentré qu’Isabelle me téléphonait pour me dire qu’Alfred s’était fait renverser, qu’elle était bouleversée. Je lui ai promis de venir chez elle immédiatement. Elle m’attendait assise sur le canapé. Je me suis assis près d’elle, j’ai entouré ses épaules.

- Pierre, oh, Pierre !

Elle pleurait à nouveau, la tête contre mon épaule, tandis que le lui baisait le front.

- Oh, Pierre.

Nous avons fini la nuit ensemble.

Il m’arrive de m’éveiller durant la nuit. Mouillé de sueur. C’est elle qui m’attire contre elle.

Je le sais désormais. Nous vieillirons ensemble.

Mais comment ?

Lire la suite...

Un mari fidèle

Un jour, elle était assise sur le seuil du café de la grosse Lulu alors que la plupart des membres de l’équipe de hockey, debout devant le comptoir, avalaient bières sur bières, tout heureux d’avoir vaincu. Cela n’arrivait pas souvent.

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- J’attends.

Je me suis assis auprès d’elle, j’ai entouré ses épaules et je l’ai embrassée. Il y a longtemps que nous étions amoureux l’un de l’autre mais nous étions trop timides pour nous déclarer. Nous avions un peu bu ce soir-là pour fêter la victoire du Club.

Malou, je l’avais connue dans le magasin de chaussures que possédait mon père. Elle essayait les escarpins bleus que je lui avais proposés.

- Ils sont trop étroits ?

Elle fit non de la tête. Elle se regardait dans le grand miroir sur pied et s’efforçait de sourire. Il lui aurait fallu une pointure plus grande mais les jeunes filles avaient le sentiment qu’au delà de la pointure 36, les jeunes gens se seraient moqués d’elles. 

Je l’ai revue deux jours plus tard, elle se promenait dans la rue en regardant les vitrines. Je l’ai saluée. Puis, je ne l’ai plus revue d’une semaine entière.

Je ne connaissais même pas son nom, je me demandais comment la retrouver et je me reprochais de ne pas lui avoir parlé davantage. Les jeunes gens sont bêtes, souvent. Puis, ils se reprochent les propos qu’ils n’ont pas tenus, ou qu’ils n’ont pas osés tenir à haute voix en présence de celles qu’ils aiment.

J’étais membre du club de hockey. Un joueur médiocre mais assidu. Hélas, même chez la grosse Lulu, je n’étais pas le meilleur. Ni le plus habile pour jouer au carton mouillé. Ce carton que l’on imprègne de bière avant de le lancer sur le sol d’un geste adroit, et d’écarter celui d’un concurrent.

C’est chez la grosse Lulu que je l’ai revue à la veille d’un match important. J’avais ignoré jusque là qu’elle était la cousine de Richard, un des membres de l’équipe.  Le soir même, Richard m’avait dit tout ce qu’il savait de sa cousine. Je connaissais l’essentiel : elle n’avait pas de petit ami.

- Vous me reconnaissez ? Les chaussures ne vous font pas mal ?

- Vous jouez au hockey, vous aussi ? Non, elles ne me font pas mal. Au contraire.

Nous avons parlé de Richard dont elle pensait autant de bien que j’en pensais moi-même. Elle irait voir le match du lendemain.

- J’adore le hockey.

Le lendemain nous étions côte à côte le long du terrain pour encourager les joueurs. Malou comme moi admirait le style de Richard.   

- Match splendide.

- Splendide en effet.

Nous sommes rentrés ensemble et nous nous sommes mariés trois mois plus tard.  Nous nous sommes aimés durant vingt ans. Elle est morte d’un cancer.

Ma seconde épouse, celle qu’on appelait la belle Aimée, était une femme divorcée. Elle m’invitait dans son appartement. Elle disait :

- Je n’aime pas vous savoir seul chez vous. Tout vous rappelle votre femme. Vous devez souffrir beaucoup.

- C’est vrai, Aimée. Mais souffrir me rapproche d’elle.

Aimée aussi aimait le sport, c’est au bar du club que je l’avais connue. Elle avait été la femme de Richard. Hélas pour Richard et pour elle, elle avait été la maîtresse de certains de ses co-équipiers. Il avait demandé et obtenu le divorce.

Depuis Aimée s’était éloignée du sport. Elle me l’avait confié un soir que nous prenions un verre chez elle :

- Je ne sais pas ce que tu en penses, mais le hockey est un sport aussi brutal que le rugby. Pire encore, ils se munissent d’un stick pour jouer.

Je la tutoyais désormais. Les confidences que nous nous faisions étaient celles d’amis. Notre situation en était plus claire et sans équivoque. Sinon qu’un jour d’été elle était en train de se bronzer sur sa terrasse en maillot deux pièces dont elle avait ôté la pièce du haut.

- Pourquoi ne pas profiter du soleil ? Tu peux te déshabiller dans le salon.

Je me suis déshabillé dans le salon. J’ai eu un moment d’hésitation au moment d’ôter mon slip, je l’ai ôté puis remis, avant de m’allonger auprès d’elle sur son drap de bain. C’est vrai qu’elle était belle et plus que séduisante.

Je l’ai épousée et, entourés de quelques amis du club, à l’exception de Richard, nous avons soupé dans un restaurant renommé. Puis, je ne sais plus qui nous y avait invités, nous avons terminé la soirée chez la grosse Lulu.

Une nuit, après nous être aimés, elle me demanda s’il n’était pas préférable que nous nous séparions.

Je l’avoue, ces actes d’amour que nous exécutions chaque nuit avant de nous endormir avaient fini par nous fatiguer. Elle y mettait cependant beaucoup de cœur mais il y manquait la surprise et la jouissance des premiers jours. Lorsque se confondent les plaisirs de la chair et ceux de la raison.

A son comportement face aux hommes, et plus encore à son comportement face aux maris de nos amies, je devinais combien Aimée avait besoin d’être désirée. Au bout de quelques années, les courses qu’elle faisait se prolongeaient. J’ai voulu savoir ce qu’elle faisait lors de ses sorties. Je l’ai suivie. Jusqu’à l’hôtel de la gare.

Un jour elle m’a demandé si je l’aimais ? Elle faisait allusion à l’ardeur que je manifestais. Malou ne m’avait jamais posé cette question. La réponse allait sans doute de soi. Elle n’avait aucune connotation sexuelle. Je l’aimais. Je l’aimais tout simplement. Peut être que j’ignorais ce que le mot aimer signifiait. Aimée est morte elle aussi. Elle s’était dressée dans le lit et le temps d’avoir saisi mon bras elle était morte.

Durant quelques jours, je suis resté enfermé chez moi puis j’ai commencé à sortir, puis à me rendre dans un café à la clientèle constituée de femmes seules et de quelques hommes en quête de bonnes fortunes.

Un soir parce que le café était plein, je me suis assis en face d’une jolie femme dont l’âge ne devait pas dépasser les quarante à quarante cinq ans. Nous avons bavardé. Très rapidement elle a avancé les pieds entre les miens. Elle me regardait dans les yeux. Nous avons continué de bavarder.

- Je vous invite à dîner ?

- Je veux bien.

Après le repas, je l’ai ramenée chez elle, elle m’a demandé si je voulais prendre un dernier verre, et nous sommes montés chez elle. C’est elle qui s’est serrée contre moi pour m’embrasser la bouche ouverte et, corps contre corps, nous nous sommes rendus dans la chambre à coucher.

- Je suis heureuse, tu sais. J’ai tellement peur toute seule. Tu es content ?

Elle s’était découverte, la poitrine dressée.

- Tu aimes mes seins ?

Puis, elle a demandé si j’étais marié. J’ai répondu que j’étais veuf. Elle a paru soulagée et s’est serrée contre moi à nouveau.

- Tu vas rire, mais j’en étais sûre. Je ne t’aurais pas laissé monter, sinon. Faire l’amour, ce n’est pas tout dans la vie.

Je me suis marié pour la troisième fois. C’est de tendresse qu’il s’agissait cette fois. Le soir, je pouvais enfiler mes pantoufles.

Vraisemblablement, nous finirons notre vie ensemble. Le plus ingambe veillerait sur l’autre. Je pourrai lui raconter les péripéties de ma vie avec mes épouses pour étoffer nos conversations. Et, de temps à autre, sans craindre les faiblesses soudaines, lui montrer que l’amour, le vrai amour, constitue un tout.

Elle est morte, elle aussi. 

Mais, elles auraient pu en jurer : j’ai été un mari fidèle.

 

 

Lire la suite...

Un couple épanoui

 

Louis fut le premier homme qui lui ait fait l’amour. Elle avait vingt ans, et il en avait vingt-quatre. Ils étaient quatre garçons et elle, la seule fille du groupe, qui avaient décidé de passer un week-end à la campagne.

Louis, durant la nuit, avait pénétré dans sa chambre, s’était glissé dans son lit et l’avait réveillée en lui faisant l’amour. Il avait dit qu’il l’aimait, qu’il en avait trop envie, et après qu’elle se soit abandonnée, le corps lourd et les nerfs à vif, il avait dit que si elle était fâchée, dès le matin il s’en irait.

Le lendemain, il apparut vite à leurs amis que désormais Louis et Julie formaient un couple. Chez certains des trois, peut être même chez tous, il y eut une pointe de jalousie, et le sentiment que Louis avait eu raison : en amour comme à la guerre, avait dit Napoléon, tout est affaire d’action.

Julie était de ces filles qu’on est tenté de conquérir plutôt que de protéger. Belle, robuste, la démarche sportive, elle avait un visage coloré, de ceux dont on dit qu’ils respirent la santé, des yeux bleus qui avaient l’air de vous découvrir tout entier, et avec sa poitrine pleine qui tendait robes, blouses ou pulls, elle avait une silhouette qui ne laissait aucun garçon, ni aucun homme plus âgé, indifférent.

Six mois plus tard, Louis et Julie se marièrent. Il y a un temps propice à l’amour, et un autre propice au mariage. Si Louis avait rencontré Julie un an plutôt, il aurait tenté de la séduire pour coucher avec elle. Mais un an plus tôt il jouissait trop de sa liberté de célibataire pour en sacrifier une partie. Il était beau garçon, il plaisait aux femmes, mariées ou non, serveuse de café, épouse esseulée d’un représentant de commerce, ou célibataire qui comme lui cherchait les aventures d’un soir. Le sexe occupe un espace considérable dans l’esprit des êtres humains depuis qu’ils ont des yeux, et un sexe.

Louis et ses amis, étaient originaires d’une ville de province de plus ou moins trente mille habitants. Ils y avaient effectué leurs études à peu près à la même époque, et les jours de sortie, le samedi soir en tout cas, ils fréquentaient les mêmes cafés ou les mêmes discothèques.

Chacun d’entre eux connaissait les autres par ce qu’il savait de source personnelle ou au travers de ragots qu’il n’y avait aucune raison de vérifier. Ce qui excitait les jeunes hommes, et leurs amies ou leurs femmes, concernait généralement les relations des uns avec les autres. Si possible, les relations sexuelles qui pimentent les conversations.

De Louis et de Julie, il n’y avait pas grand-chose à dire sinon que Louis avait confié un jour à un ami, un jour qu’il avait bu un verre de trop vraisemblablement, que Julie n’en avait jamais assez  et qu’elle avait beaucoup d’imagination. Dans une ville de trente mille habitants, Louis et Julie n’étaient pas les seuls à pratiquer des jeux de nuit, même durant le jour.

Le père de Louis était mort à peu près au moment où Louis avait rencontré Julie. Il était propriétaire, dans une des rues les plus animées de la ville, d’un magasin de meubles dont sa femme et Louis lui durent dès lors s’occuper.

Louis et Julie se firent aménager un appartement confortable au dessus du magasin. Julie se chargea de la vente aidée d’une jeune vendeuse, Louis fit les achats, et la maman de Louis emménagea dans une maison qu’ils avaient fait construire, son mari et elle, à la lisière de la ville pour y abriter leurs vieux jours.

Commerçants établis et prospères, Louis et sa femme n’avaient aucun souci d’argent, sinon quant à la manière de le dépenser. C’était une situation agréable. Mais parfois, elle engendrait des périodes d’ennui dont ils avaient le sentiment qu’il fallait absolument les remplir d’une activité quelconque s’ils voulaient préserver leur union. Nombreux sont les couples qui le savent. C’est ainsi que leur vie commença à se transformer.

Ce jour là, Louis rendait visite à un fournisseur de sièges, et il avait téléphoné pour dire qu’il ne rentrerait que dans l’après midi. Julie le répéta à un représentant qui souhaitait lui soumettre des nouveautés. Le représentant dit que c’était dommage mais que cela lui donnait l’occasion d’admirer « s’il pouvait se permettre de le dire, mais la vérité a ses droits » la beauté. Julie lui répondit que c’était exagéré, et lui offrit une tasse de café puisqu’il était midi. Il dit merci, et elle déposa quelques biscuits sur une assiette de couleur.

Quand Louis rentra, elle lui raconta la visite du représentant. Elle se sentait épanouie, et durant la nuit elle se montra particulièrement aimante parce qu’elle aimait qu’on lui dise qu’elle était belle. Louis, comme la plupart des maris, s’il jouissait de la beauté de sa femme, mentalement et physiquement, ne le lui répétait plus comme aux premiers jours de leur rencontre. Ils se mettaient au lit comme on se met à table.

Il y avait un couple d’amis qu’ils fréquentaient plus volontiers que d’autres. Souvent, quand on rencontre un couple, ils ne sont pas deux comme on pourrait le supposer mais quatre. Un ensemble de deux couples, bien entendu, qui sont liés comme les doigts de la main.

Georges Meunier était architecte et passait pour un artiste. Il concevait le plan d’ouvrages que lui commandait la municipalité mais s’intéressait peu aux détails d’exécution, c’est ce qui lui donnait cette réputation d’artiste de qui on excuse bien des choses. De plus, elle lui permettait d’exprimer au sujet des femmes des compliments parfois osés qu’on excusait d’un homme plus préoccupé d’art que de convenances.

Delphine, son épouse, professeur au Lycée des filles était une intellectuelle affichée. Toujours un magazine politique et littéraire sous le bras, plié en deux mais au titre apparent, lorsqu’elle se déplaçait ne fut-ce que pour faire ses courses. Au café, elle commandait un kir, elle n’aimait pas la bière, et le whisky était la boisson des bourgeois. En province, ces choses comptent.

Très liés avec Louis et Julie, ils sortaient ensemble ou s’invitaient les uns chez les autres. Louis, le soir, voyait Georges au café avant de rentrer diner, et Delphine, après ses cours, venait bavarder avec Julie. Et parfois, ils allaient passer le week-end à la côte. C’étaient de bons amis.

- J’ai tourné un film en vacances. Il faut qu’on vous montre ça.

C’était en août que Georges l’avait proposé. Ils étaient allés en Corse, et y avaient passé deux semaines.

Le lendemain soir, après le diner, ils s’installèrent tous les quatre au salon devant un magnifique poste de télévision aux images aussi claires que celles projetées sur les écrans de cinéma. Sur une table basse devant les fauteuils pour deux placés en L, Georges avait préparé les verres et différentes boissons afin que chacun puisse se servir comme il l’entendait. Et des biscuits qui donnent soif, qui se grignotent et qui, en craquant, ajoutent à la convivialité bon enfant qui règne entre amis véritables.

Il y eut d’abord Delphine qui faisait des grimaces face à la caméra. Elle était en maillot deux pièces et se couvrait la poitrine de ses bras croisés. Elle se tortillait comme le faisaient les personnages des films muets aux débuts du cinéma. Puis, plus loin, on voyait que c’était la fin de l’après-midi, Delphine se dorait au soleil, la poitrine dénudée, en fixant la mer. Puis, c’est la caméra qu’elle regardait, debout, les mains sur les hanches.

-Tu veux montrer que tu es bien faite ? D’accord, c’est vrai.

Louis entoura les épaules de Julie.

- Julie aussi est bien faite, dit Georges. Tu n’as pas de raison de te plaindre.

Soudain, il y eut sur l’écran des striures comme on en voit quand  la pellicule se déchire, on entendit des « ah », et enfin des images claires à nouveau. Mais c’étaient celles d’un homme qui pénétrait une femme, et dont le sexe tendu était si gros que le visage de la femme exprimait à la fois de la douleur et de l’extase.

- Nom de dieu, il a du se tromper, cet imbécile.

Mais le projecteur continuait de tourner.

Parce qu’ils avaient bu quelques verres, c’est Delphine qui proposa :

- Et si vous passiez la nuit ici ? Le lit est assez grand.

En évoquant cette soirée la nuit suivante, ils n’en avaient pas parlé de la journée, Louis, en souriant, dit à Julie :

- J’ai vu que ça te plaisait. J’étais content pour toi.

C’est au lit qu’ils continuèrent d’en parler pendant qu’ils se caressaient, conscients qu’ils en tiraient plus de plaisir qu’à l’habitude. Louis pensait que beaucoup de choses sont dites quant à l’amour, la fidélité, la beauté de l’âme, et d’autres âneries mais que rien ne valait la pratique.

- Un jour, dit Julie, nous ne nous lèverons que pour manger.

Deux ans plus tard, revenu en ville, j’ai appris que Louis avait quitté Julie pour épouser Delphine. Georges, lui, vivait avec Julie. Les deux couples étaient parfaitement heureux. Mais, ils avaient cessé de se fréquenter. C’est la vie !

 

Lire la suite...

ROSES BLANCHES...

 

Au bord de leurs corolles, un zeste de vert tendre...

L'éclat de leur pureté est ce qu'il faut comprendre!

Elles s'ouvrent avec bonheur au plaisir de nos yeux

Ce regain de fraîcheur, leurs donne un ton précieux!

Roses blanches et charnues à nos désirs s'exposent

Elles semblent avec candeur, nous dire : Regarde, j'ose!

Le blanc se fait couleur et nos pensées s'envolent

Plus question de pudeur, puisque la vie décolle!

J.G.

Lire la suite...

Une épouse modèle

 

Agathe  était la fille unique du quincailler du quai Notre-Dame. C’était ce qu’on appelle un beau parti. Agathe était loin d’être laide, bien au contraire. Ses traits étaient harmonieux, ses yeux bleus avaient la candeur supposée de l’innocence et dès qu’elle souriait, son visage s’illuminait au point que les jeunes gens regrettaient qu’elle manifestât tant de retenue et qu’elle ait toujours l’air triste alors qu’elle souhaitait seulement avoir cet air réservé qui convient à une jeune fille en âge de se marier.

Le père, un notable membre de la fabrique d’église, fortuné et veuf, était fier de ce que personne en ville ne puisse répandre le moindre ragot au sujet de sa fille. Son futur mari, disait-il, la recevrait pure comme au sortir  du berceau, et elle ne sourirait que pour lui.

 Sauf lorsqu’elle reprendrait les affaires de son père et que, comme c’est l’usage, elle sourirait aussi à la clientèle.

De leur côté, Jérôme et Julien Delporte étaient les fils jumeaux du minotier qui avait sa grosse maison rue des Jésuites, 

Bien que ce ne soit pas à lui qu’il pensait mais à ses fils, monsieur Delporte avait des vues sur la fille de son ami, la jolie Agathe. Le problème, c’était : à qui la marier, Jérôme ou Julien ? A part la couleur des chaussettes, rouge pour Jérôme et jaune pour Julien, rien ne les distinguait.

Leur ressemblance était si grande que s’il n y avait eu la couleur des chaussettes personne n’aurait été  en mesure de les distinguer. Leur caractère, leur comportement, jusqu’aux tics, tout chez eux était identique.

Un miracle de la nature, disait monsieur Delporte en soupirant et en jetant vers le ciel un regard de reproche. Finalement, ce fût Julien après que les deux pères se furent mis d’accord sur le montant de la dot, des espérances des uns et des autres, de la prime prévue si Agathe accouchait d’un garçon, et de la situation professionnelle du futur mari.

- Ne pense-tu pas qu’il faudrait demander à Agathe de donner son avis quant à celui qu’elle préfère ?

- Ils se ressemblent si fort.

Le soir même, monsieur Delporte dit à son fils Jérôme que monsieur Lecrinier souhaitait le rencontrer «seul à seul ».

- Je pense qu’il veut te parler d’Agathe. Qu’est ce que tu penses d’Agathe ?

- Oui ; répondit Jérôme en rougissant.

- Oui ; répéta  monsieur Delporte en soupirant. Après tout, pensa-t-il, on ne demande pas à de futurs fiancés de s’exprimer comme des orateurs. Il suffit qu’ils s’aiment. Et lui, en tout cas, on sait qu’il dira: oui.

Il aurait pu ajouter : et comme Julien, en tout, est comme son frère, inutile de l’interroger, ils seraient deux à dire: oui. 

Monsieur Lecrinier, parce qu’il avait parlé avec Julien, eut le sentiment qu’il avait agi en père aimant soucieux de l’avenir de sa fille. Agathe, quant à elle, accepta d’épouser Jérôme ou Julien.

Certains dirent peu après que c’est une malédiction qui avait frappé ces familles. Malédiction ou non, ce mariage, célébré avec pompe, précédât de peu toute une série de malheurs pour ceux qui en furent les victimes. Monsieur Lecrinier d’abord qui mourut trois mois après le mariage de sa fille. Monsieur Delporte qui le suivit dans la tombe deux mois plus tard.

Tous les trois occupaient la maison paternelle. Jérôme et Agathe dormaient dans la grande chambre, Julien dans celle qui était la sienne depuis son enfance.

Durant deux ans leur vie à tous les trois se passât sans problème majeur. Ils formaient aux yeux de leurs relation un couple parfait sinon qu’ils étaient trois plutôt que deux. En général ce genre de situation existait lorsqu’auprès d’un couple marié il y avait, clandestinement ou non, un amant ou une maîtresse.  

Si bien qu’on trouvât tout naturel au décès de Jérôme, un stupide accident de voiture, qu’après un veuvage convenable, Agathe épousât Julien, elle n’avait même pas à changer de patronyme ni d’adresse, et Julien ne dût déménager que son pyjama tandis que la chambre au bout du couloir redevint une chambre d’amis avant de devenir, si Dieu le voulait, une chambre d’enfants.

Par contre, pour le nouveau couple un autre problème se posa. Lorsque Jérôme vivait il ne serait pas venu à l’idée de Julien de convoiter sa belle-sœur. Agathe était belle mais une barrière psychologique lui interdisait de la désirer. Et il ne la désirait pas.

Même après leur mariage, et l’occupation du même lit, il éprouva des difficultés à reconnaitre qu’Agathe n’était plus sa belle-sœur, qu’elle était devenue sa femme et que ses rapports avec elle durant la nuit devaient être repensés.

Agathe ne s’y serait pas opposée. Au contraire il arrivait à Agathe de penser que c’eût été plus confortable, plus conforme aux relations entre époux et vraisemblablement plus agréable. Et puis, pourquoi ne pas le dire, si Julien, physiquement, ressemblait à son frère, c’est avec une curiosité un peu perverse qu’Agathe se demandait comment Julien se comportait au lit.

Un jour, à la fin de la matinée, après avoir renvoyé ses trois employés pour la pause de midi, alors qu’elle s’apprêtait à fermer le magasin, le représentant d’un fournisseur, sa voiture à peine immobilisée devant sa porte, lui fît de grands signes de la main.

- Madame Agathe, je suis en retard.

Monsieur Guy était un représentant de ce qu’on appelle aujourd’hui l’ancienne école. Lorsque les firmes exigeaient de leurs représentants qu’ils soient avenants avec les clients. Si le client était une femme il n’était pas interdit, bien au contraire, de lui faire la cour. Monsieur Guy le faisait autant pour la firme qu’il représentait que pour lui.

Agathe ouvrit la porte.

- J’allais fermer.

Elle le fit entrer. Ils se dirigèrent tous les deux vers la pièce arrière. Agathe s’assit devant le bureau tandis que monsieur Guy, derrière elle, feuilletait le lourd catalogue qu’il avait déposé devant elle pour lui présenter, penché au dessus de son épaule, les dernières nouveautés.

-Ce n’est rien, dit Agathe à monsieur Guy qui s’excusait de l’avoir touchée en tournant les pages. Ce n’est rien, répéta Agathe, mais elle avait été troublée parce que la main de monsieur Guy avait par mégarde touché un de ses seins.

Les psychiatres vous le diront, le trouble que ressent un homme ou une femme se transmet à celui ou à celle qui en est la cause. La plupart des adultères naissent de cette sensation partagée bien plus que de la curiosité, la séduction, l’ennui ou d’autres raisons plus ou moins romantiques.

Elle devait l’avouer, l’incident avait été court mais pas désagréable. Lorsqu’elle rentra chez elle après la fermeture du magasin, elle regarda Julien avec affection.

Cette nuit-là, en se retournant sur elle-même, Agathe toucha le ventre, et peut-être le sexe de Julien. Elle dit :

- Excuse-moi,

Il répondit : ce n’est rien, ce n’est rien.

Mais les mains en avant, il saisit le derrière de sa femme. Elle dit que c’était par inadvertance mais Julien ne l’écoutait plus.

Ils eurent un enfant un an plus tard.

 

Lire la suite...

Un Montréalais en Hiver

 

Ce poème a été inspiré par le tableau de Claude Moulin «Montréal,Qc»

 

On fait des rêves tout éveillé

Qui parfois incitent au voyage;

Arriver ailleurs, sans bagages,

S'émouvoir et s'émerveiller!

Alors qu'il a les yeux ouverts,

Un matin, sur son pas-de-porte,

Le fabuleux soudain emporte

Un Montréalais en Hiver.

Un divin créateur, la nuit,

Quand tout dormait dans le silence,

A déversé, en abondance,

Une manne près de chez lui.

L'espace est d'un bleu velouté.

Il se sent empli d'allégresse.

En même temps que de tendresse.

Et ne peut certes pas douter.

Le décor n'est pas une image

Restée d'un rêve passager.

Fasciné, il n'ose bouger.

Offert en grâce, ce voyage!

24 juillet 2014

 

Lire la suite...

ATTENTION! PEINTURE FRAICHE

Un jour, mon grand-père demande à mon mari de bien vouloir le conduire « derrière la gare ».  Cette expression était et l’est encore je le pense, courante pour désigner la rue commerçante un peu snobée par les gens du « village ». Le mot « village » étant ici utilisé pour en situer le centre. C’est peut-être un peu compliqué pour les personnes de l’extérieur, mais notre territoire est très morcelé dans l’esprit des habitants : le petit village, le grand village, derrière la gare, Marche, ainsi que les hameaux…  On est toujours de quelque part mais on le reste durant toute sa vie quoi qu’on fasse. Et nul besoin d’expliquer que l’on colle une étiquette à chacun selon la réputation (vraie ou fausse) de l’endroit où il habite.

Cette digression nous éloigne quelque peu de ce jour de fin de siècle où mon grand-père pour qui internet ne voulait rien dire, demande à mon époux de l’emmener acheter des pots de peinture pour rafraîchir sa maison.

Comme je m’étonnais, qu’ayant deux magasins tout près, il lui fallait aller voir ailleurs, il se fâcha pensant que nous ne voulions pas accéder à sa demande. Il avait bien le droit d’aller voir là où il en avait envie et ce n’est pas nous qui lui empêcherions de suivre son idée…  Quand il était dans cet état, inutile, bien sûr de le contredire. Mais, si nous voulions bien l’emmener où il le désirait, encore fallait-il qu’il y eut un magasin. Or, il y avait bien longtemps que la boutique n’existait plus « derrière la gare »…

Furieux et conforté dans son idée que nous refusions de lui rendre service, il se dirige vers la remise où il mettait le tas de journaux destinés à la récolte sélective et en revient avec une publicité… Triomphant, il me dit : « Tu vois, toi qui sais toujours tout, qu’il y a bien un magasin de peinture ». Partagée entre l’envie d’éclater de rire et de garder mon sérieux devant le visage furibond de mon grand-père, j’essaie d’avoir assez de diplomatie pour lui expliquer la différence entre émail et [iméél[… Que ce n’était pas un magasin de peinture mais bien un informaticien qui offrait ses services et notamment la possibilité d’envoyer des emails à un prix attractif. Mais pour quelqu’un qui n’avait jamais approché un ordinateur, ce que je lui disais équivalait à lui parler en hébreux. Nous l’avons quitté furibond non sans lui avoir proposé de lui démontrer que c’était la réalité. Il détestait avoir tort…

Quelques jours plus tard, il était occupé à repeindre sa cuisine quand nous sommes arrivés. Je ne lui ai jamais demandé d’où venait la peinture, il ne s’est jamais excusé de s’être emporté mais il me dit : « C’était bien un magasin d’informatique ».  Il était bizarrement « passé devant » à bicyclette, alors que ce n’était pas son circuit normal. Ma grand-mère l’appelait ‘Saint Thomas’. Mais ainsi l’honneur était sauf.

 

 

Lire la suite...

Au parc Gouin. Québec

La-semeuse025.jpg

Haïkus

Le parc en couleurs

Mouettes et canards flânent

Le fleuve miroite.

...
Tout près de la rive

Une manne les invite

Attrappe qui peut!

...
Une pêche sèche!

Vite les gourmands se pressent.

Un festin de pain.

...
À chacun son lot

Selon sa vivacité

Quelques fois, la chance.

...

Lire la suite...
administrateur théâtres

1920px-Spb_06-2012_English_Embankment_01.jpgAtmosphère vraiment magique  à Saint-Pétersbourg, la métropole la plus septentrionale au monde. Chaque année de fin mai à début juillet, la nuit ne tombe jamais totalement sur l'ancienne capitale des tsars. Pendant tout le mois, des concerts et des spectacles illuminent les nuits de la ville de Pierre le Grand. Les nuits blanches culminent au moment du solstice d'été le 21 juin, lorsque le soleil à minuit ne descend que de 6° sous l’horizon. Le festival des Nuits blanches est l’occasion pour le théâtre Mariinsky de donner chaque jour des concerts différents et parfois, à toute heure du « jour ».  Depuis 1993, Valery Gergiev,  le directeur du théâtre est aussi le directeur artistique de l’International Stars of the White Nights, festival  annuel  de Saint-Petersbourg.

 1280px-%D0%92%D1%85%D0%BE%D0%B4_%D0%B2_%D0%9B%D0%B5%D1%82%D0%BD%D0%B8%D0%B9_%D1%81%D0%B0%D0%B4.jpgLors d’un voyage culturel Clio, nous avons eu le privilège d’assister le 17 juillet dernier à la production du Prince Igor de Borodine, l'auteur de l'opéra Le Prince Igor et de ses célèbres Danses polovtsiennes. Une salle comble, dont le public principalement pétersbourgeois  a été séduit dès le lever de rideau. Voici des  chanteurs généreux, dont la qualité d'artistes réside pour chacun d’eux  en leur capacité magique d'émouvoir et de toucher, sans parler de la qualité technique parfaite des interprétations.

Une distribution brillante avec dans le rôle du prince Igor  le baryton Nikolai Putilin, la star du théâtre  qui tourne régulièrement avec la Compagnie d'opéra Mariinsky et indépendamment  en Allemagne, France, Espagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Finlande, Grande-Bretagne, Japon, les Etats-Unis… et  bien d’autres ! Il  s’est produit  au Metropolitan Opera et au Lyric Opera de Chicago, au  Royal Opera House, Covent Garden, à la  Scala… enregistrant The Queen of Spades, Sadko, Iolanta, La forza del destino, Mazepa, Prince Igor et Boris Godounov avec le Mariinsky Opera Company sous le label Philips Classics et NHK. 

La soprano Irina Vasilieva, tout aussi légendaire, est elle aussi à la tête d’une impressionnante liste de rôles lyriques et interprétait l’exquise Yaroslavna, la femme du Prince Igor, abandonnée au palais pendant que celui-ci s’en va combattre les Polovstviens, nomades d'Asie centrale en 1185. Elle joue le rôle des pénélopes à merveille, avec une fermeté de sentiments admirable. On a devant soi une icône musicale rayonnante. Sa lamentation, accompagnée de sa suivante  sur les les remparts déserts,  est bouleversante!

 1.jpg?width=650

   Mais parlons du décor ! Pour le spectateur occidental il semblera à première vue d’une lourdeur presque …mérovingienne, l’an 800 chez nous !  Mais si on a suivi quelque peu l’histoire des villes Rus’ au 12e siècle, les tableaux successifs sont très  justement évoqués : Une place dans l'ancienne ville russe de Putivl, une soirée dans  le  camp Polovtsien, les murs de la ville de Putivl, une salle du palais avec le prince usurpateur Vladimir Galitsky et ses acolytes, la  chambre de Yaroslavna…   Ils rejoignent  même le décor imaginé pour cette légende épique (poème épique médiéval Le Dit de la campagne d'Igor) par Bilibin  en 1930.

 

Quant aux costumes, on est  hypnotisé par leur splendeur, leur nombre et leur richesse. Du jamais vu, en Europe Occidentale. Des manteaux d’apparat, des coiffes, des brocarts, des bijoux,  des armures, des étendards, des chevaux vivants  qui traversent la scène, des ballets de guerriers russes et d’esclaves orientales. Celui qui n’aimerait pas la musique est comblé visuellement, c’est du grand art de mise en scène et une  chorégraphie grand spectacle. Les accents contrastés de douleur et d’amour  de l'âme slave  sont  déployés avec émotion et panache par l’Orchestre et des Chœurs sublimes.

On garde aussi à l’esprit le magnifique duo passionné de Stanislav Leontiev jouant  Vladimir (le jeune fils d’Igor) épris de  Konchakovna (Zlata Bulycheva),  la fille du Khan  Konchak, l’ennemi juré au cœur immense,  et l’aria fabuleux de celui-ci à l’acte 2. Une basse impressionnante par sa clarté, la puissance et la résonance de sa voix, interprétée avec effusion par un Askar Abdrazakov  inondé ensuite  de bravos et d’applaudissements.

 

1.1297000967.1_mariinsky-theatre-st-petersburg.jpg?width=450Il faut dire que l’acoustique de ce splendide théâtre qu’est le Mariinsky contribue grandement à l’émotion musicale. Le premier pas dans le parterre restera gravé dans nos mémoires. Le décor d'un luxe inouï commandé par la grande Catherine II de Russie nous a immédiatement projetés dans  l’époque fastueuse où Borodine créait son opéra. Hélas il mourut avant  que celui-ci  ne  fût achevé et  représenté dans ce théâtre mythique de pur style Rococo en 1790, trois ans après sa mort. La version représentée en ce mois de juillet 2014 s’est limitée aux  deux  premiers actes de la partition de Borodine,  pourtant complétée pour sa finition, son édition et orchestration  par ses amis Rimski-Korsakov et Glazounov… Et il faut l’avouer, nous avons été un peu pris de court par la fin abrupte de l’œuvre inachevée…où le prince Igor surgit d’on ne sait  où et se joint discrètement au chœur final. Nous avons en effet  pu entendre récemment une autre version de l’œuvre reconstruite dans son entièreté après un long  travail musicologique au  MET  de New York, une production diffusée mondialement.

En revanche, malgré la surprise de la fin,  l’orchestre est d’une vitalité légendaire. Il est dirigé par Pavel Smelkov incarnant lui-même un océan bouillonnant de souffle épique, mêlant lyrisme, humour et valeurs nobles aux accents rutilants de l’interprétation. Le talent et l’enthousiasme volcanique du chef d’orchestre  ont su provoquer chez le public une joie intense, née du  bonheur évident du partage de la musique qui ne connait pas de frontières. 

 

http://www.mariinsky.ru/en/playbill/playbill/2014/7/17/1_1900/

 

Lire la suite...
administrateur théâtres

9e1d4122-0d8e-11e4-99d4-1317d120b632_web.jpg.h600.jpg?width=450

Un monde de pantins? Nous vivons au pays pléthorique des jouets. Nous sommes inondés de tentations électroniques qui brisent en nous la soif de connaissance et la nécessité du moindre effort. Des jouets, il y en a tant et tant qu’on les casse et les met au rebut. Victimes de l’exploitant du lieu, on brait rapidement avec les ânes du cirque. Et la lumière là-dedans? Il n’y a qu’un triste Lumignon qui tire sur sa cigarette électronique.

A travers cette farce cruelle et vertueuse, Pinocchio a encore bien des choses à nous dire. Tête brûlée de la tête aux pieds, mais doté d’un cœur d’or, il désobéit par instinct et prend toutes les obliques qui traversent et transforment, mû par une curiosité avide. Seul bémol: il redoute le travail et l’effort! Les conseils pleuvent de toutes parts, sans effet: de Gepetto son père; du criquet, sa conscience extérieure qu’il a d’ailleurs froidement assassinée; de la fée bleue tour à tour, sœur et mère. Il n’écoute que ses pulsions et les boniments des imposteurs. Sauf que… il éprouve de l’amour pour son père virtuel et pour la fée bleue qui pardonne toutes ses incartades et l’aime sans conditions.

972dc940-0d8e-11e4-99d4-1317d120b632_web.jpg.h600.jpg?width=450

Et cet amour le travaille de l’intérieur et lui permet de faire un choix! Le sien et pas celui des autres, mais un choix qui le transforme en homme. Il a compris que planter des pièces d’or dans le champ des miracles et attendre que cela pousse est dérisoire. En lui, naît enfin le désir d’apprendre, de travailler, de créer quelque chose pour le bien commun. «Pour être un homme, il faut être rigoureux et bienveillant!» souffle quelqu’un! Au passage, l’auteur Carlo Collodi ne se prive pas de railler la justice et les médecins… Les coups de griffe pleuvent dans cette histoire. Pinocchio se jette enfin à l’eau pour sauver son père parti à sa recherche depuis des mois… La rencontre se fait dans le ventre du monstre marin, un requin-baleine, où Gepetto perd sa lampe mais l’amour lumineux du fils les sauve tous les deux. Ouf! Au retour, la fée bleue est toujours présente mais c’est Pinocchio seul qui s’est fait naître à la vie !  Il appartient maintenant au monde sensible, fait de chair et de sang, de sève et de lumière. « Obéir, désobéir? Pinocchio le naïf fait éclater quelques-unes de nos certitudes. Sa conduite met en question le productivisme de nos sociétés. Ce n’est rien de moins que l’espoir qui nous est donné par le pouvoir de l’imaginaire collodien » écrit Jean-Claude Blanc (Collection du T.P.R., 1983).

Pinocchio 167.jpeg

La mise en scène de Stephen Shank répond fidèlement  à l’hymne de créativité entonné par Collodi. Emaillée de savoureuses références musicales de Brahms à Charles Aznavour en passant par "La vie en rose" et "We will rock you", la distribution est éblouissante! Il y a Jean-Louis Leclercq dans Gepetto - un rôle qui lui va comme un gant - Pascal Racan pour le très fieffé Renard, et Marc De Roy pour un inimitable Chat. Avec une Sylvie Perederejev enchanteresse, à la fois: fille, jeune-fille, fée, Colombine, chèvre et mère ! Une armée de poissons fabuleux, des médecins, des gendarmes en bicornes, des bandits et surtout, Peter Ninane, le mignon bandit de la pire espèce…On oscille entre Commedia dell’ Arte et  Grand Guignol! Le metteur en scène, Stephen Shank s’en est donné à cœur joie, question créativité et inventions. Les multiples personnages sont habillés de costumes riches extrêmement recherchés signés Thierry Bosquet, tous gonflés de poésie et d’humour. L’imaginaire est ici le roi des planches. Il n’y a d’ailleurs que peu de décor, si ce n’est la mouvance des différents tableaux. La majesté des pierres de l’abbaye et les très beaux jeux de lumière suffisent amplement. Les chorégraphies s’enchaînent avec souplesse, dans un rythme et une vitalité extraordinaire qui jaillit littéralement des planches, comme autant de miracles, malgré les marches dures où se fracassent régulièrement les rêves du pantin. On ne peut rester de bois devant tout ce bois qui parle, rit et enchante. 

 12273031461?profile=originalSi le programme spécifie que le spectacle ne s’adresse aux enfants qu’à partir de huit ans, nous vous le conseillons sans hésiter dès sept ans. Certes, il s’agit d’une fable cruelle dénonçant les valeurs vides et les compromissions, mais les enfants de cet âge sont déjà exposés et même fascinés par la cruauté du monde. Ils sont au meilleur âge pour faire leur choix et se laisser séduire par les sensibles antennes du charmant criquet Denis Carpentier et suivre, le cœur en émoi profond, la marionnette allégorique qui veut devenir homme, magnifiquement incarnée par Maroine Amini, sacré meilleur espoir masculin au dernier prix de la critique.

http://www.deldiffusion.be/prochaines-productions/66-Pinocchio

Lire la suite...

Celle qu'il appelait Suzie

 

 

Sans faire-part, sans évidence,

Elle a tiré sa révérence

Et disparu à tout jamais.

On n'entendra plus la nommer.

Elle perdit son importance,

Quand fut condamné au silence,

Celui qui tendrement l'aimait.

Le sort ne prévient ni promet.

Un surnom qu'un être nous donne,

Sans être imité par personne,

S'éteint en même temps que lui;

Il glisse au plus profond d'un puits.

Souvent c'est un mot qui caresse,

Apportant énergie, liesse.

Celle qu'il appelait Suzie

Y repense avec nostalgie.

22 juillet 2014

Lire la suite...

Il n'y a pas de morale.

 

 

  

 

Mon oncle avait quatre-vingt deux ans. Il était pensionnaire d'une maison de retraite, une maison de vieux. Lorsque ma tante est morte, une attaque cérébrale, il avait refusé de rencontrer qui que ce soit de la famille de sa femme, et nous avions cessé de nous voir. Sa femme n'appartenait qu'à lui, avait-il dit. Sa douleur, il ne voulait la partager avec personne.  

Leur maison était grande et confortable. Ils l'avaient achetée quelques années auparavant en  pensant à leur vieil âge, et à l'hypothèse d'un handicap qui aurait nécessité une garde malade à demeure.

Pratiquement, il n'en sortit plus jamais. Sinon pour faire ses courses au supermarché parce qu'il fallait bien se nourrir. Revenu chez lui, il s'asseyait dans la cuisine, et contemplait le jardin qui se trouvait à l'arrière. Ou il s'étendait sur le lit de la chambre à coucher et regardait le plafond en pensant à sa femme.

A force d'être immobile, il s'efforçait de ne plus vivre. Il pensait que c'était une façon de mourir puisqu'il n'avait pas eu le courage de se tuer.

Puis, il avait rencontré Cécile qui était veuve. Au bout de trois semaines, ils couchaient ensemble.

J'avais reçu d'un notaire un courrier qui m'informait que j'étais l'héritier d'un monsieur, pensionnaire d'une maison de retraite, qui n'était pas décédé mais qui avait tenu à ce que je sache que le jour où il mourrait, j'étais celui qu'il avait choisi pour hériter de ses biens.

Des biens? Le notaire m'informa qu'à sa connaissance, il n'en avait pas, qu'il s'agissait de biens symboliques, que la symbolique autant que la sémantique accroissait la qualité des choses, c'est mon oncle qui avait tenu à ce qu'il me le dise. Il avait prétendu que j'étais un garçon intelligent qui saurait apprécier ses propos.

Ma tante était morte vingt ans auparavant, et j'étais curieux de revoir ce mari qui par amour avait exigé l'exclusivité de la vie et de la mort de sa compagne mais dont le veuvage n'avait pas éteint les pulsions. Il avait constaté qu'on pouvait tout à la fois aimer sa femme défunte, et trouver chez une autre de quoi les satisfaire.

C'est ce qu'il me raconta par morceaux durant les visites que je lui rendais. Il avait l'air d'en jouir en me fixant dans les yeux pour juger de mes réactions. Le plus beau, je le devinais à ses hésitations et à des propos qu'il distillait comme un auteur qui ménage ses effets, le plus beau, je le pressentais, était à venir. Mais c'était quoi : le plus beau?

- Elle faisait bien l'amour, Cécile. A toi, je peux le dire. Après tout, je n'avais que soixante deux ans et elle, à peine cinquante-cinq. Elle avait du tempérament. C'est drôle, on ose davantage avec une étrangère qu'avec celle qu'on a épousé à l'adolescence, et à qui on a promis de ne jamais rien cacher. Il n'y a pas de morale en amour. Ni morale ni justice.

Il était l'heure de fermer. Il me retint par le bras.

- Je ne sais pas si je dois le dire.

Il s'était levé pour rejoindre sa chambre.

Je lui rendais visite tous les vendredis. Ce qui m'apparaissait au début comme les bavardages d'un vieillard à qui je rendais visite par compassion excitaient désormais ma curiosité. Cet homme, pensais-je, est en train de me dire des choses importantes. Je n'imaginais pas en quoi elles étaient importantes mais je savais qu'elles l'étaient. Il suffisait d'attendre.

Cécile et lui n'avaient pas grand chose à se dire. Cela ne les gênait pas.  Lorsque le silence s'installait, Cécile disait:

- Tu viens.

Et ils allaient se mettre au lit.

Leur liaison avait duré cinq ans. Je ne sais pas si elle avait été heureuse, il ne l'avait pas dit formellement ni le contraire d'ailleurs, mais elle avait été inventive. De sorte que lorsque Cécile  s'enticha d'un amant à peine plus jeune que lui, ce qui l'avait blessé, c'était qu'elle partageait avec ce bellâtre des audaces dont il avait pensé que c'était à lui seul qu'elle les avait destinées.

Il avait le sentiment d'avoir été frustré d'un droit de propriété, en tout cas de copropriété, qu'il avait sur les exercices amoureux auxquels ils s'étaient livrés. Du temps de son épouse, il aurait rougi en les évoquant.

- Vous pensez encore à ça, mon oncle?

- Je ne suis pas encore gâteux. Il y a longtemps que j'ai séjourné aux Etats-Unis, ça n'empêche pas que je me souviens très bien de New-York. Et ça n'est pas désagréable. Cécile prétendait qu'on pouvait faire l'amour bien après quatre-vingt ans.

- Quatre-vingt ans?

- Il me regardait avec ironie.

 Il n'était pas resté seul très longtemps. Six mois plus tard, il faisait la connaissance d'une dame plaisante d'aspect qui prenait le thé à la terrasse d'un café. Lui, il buvait un café déjà tiède, en regardant les passants.

- Il fait beau aujourd'hui.

Elle avait eu l'air de réfléchir, elle l'avait regardé un instant.

- C'est vrai, il fait beau.

Ce fut sa troisième compagne, Hélène.

- Je te le jure. Si elle n'était pas morte, elle aurait été la dernière. Tant elle avait de qualités.

- Elle est morte?

Les larmes lui mouillaient les yeux. Il se leva et retourna dans sa chambre en trainant les pieds.

Le vendredi suivant, il avait hoché la tête.

- Quel est l'imbécile qui a dit : de l'audace, encore de l'audace. Moi, j'ai longtemps hésité. Et j'aurais du hésiter plus longtemps encore. Peut-être un jour de plus. C'est souvent le dernier jour qui est déterminant. En réalité, la dernière seconde. Tant que la chose n'a pas été faite, elle n'a jamais existé. Et tout serait différent.

Il avait ajouté :

- Il n’y a pas de morale.

Le bellâtre était mort après quinze ans de vie commune avec Cécile.

- Vous voyez qu'il y a une justice, mon oncle. Avouez que vous avez été content ce jour-là.

Je le disais sans conviction. J'imaginais qu'après plus de quinze ans de séparation, presque seize, et à leur âge, les blessures d'amour propre avaient disparu. Et l'union ave Hélène qui l'aimât sans éclats, sans passion spectaculaire mais profondément, avait du lui être chère. Somme toute, il aurait du être reconnaissant à Cécile. C'est à Cécile qu'il devait sa rencontre avec Hélène, non ? Je l'avoue, je connais peu la psychologie masculine.

Cécile avait téléphoné le jour même de la mort de son compagnon, il avait reconnu sa voix immédiatement. Son cœur s'était mis à battre plus fort.

 - Il est mort.

Il avait deviné de qui il s'agissait. Elle l'annonçait à mon oncle parce qu'il lui semblait que c'est à lui qu'elle devait l'annoncer en premier. A qui d'autre, pensa mon oncle qu'une joie soudaine avait envahi.

- Mort. Il m'a laissée seule.

- Courage, Cécile. La vie n'est pas finie. Je vais venir.

- Oh Richard ! Il m'a laissé seule.

Après tant d'années, il la revoyait de mémoire comme s'ils s'étaient quittés la veille. Chaque détail de ce qui fut leur dernière nuit d'amour lui revenait. Il en avait conscience une fois de plus, ils avaient vécu une passion torride. Et le destin leur offrait de la poursuivre.

- Tu le sais: quand le désir d'une femme te submerge plus rien ne compte. Ne mens pas. Le désir aveugle, et engourdit le cerveau.

Il avait parfois parlé la tête basse si bien que j'avais du me pencher vers lui pour l'entendre. Il avait entrecoupé ses propos de silences dont je ne savais pas s'ils étaient voulus ou s'ils étaient dus à son âge. Il arrivait, j'en étais convaincu à présent, à cet essentiel, ces choses importantes, que j'avais pressenti dès nos premières rencontres.

- Mon oncle, vous n'avez pas?

J'étais incapable de poursuivre. Une chose est de penser que les hommes sont capables de tout, une autre est de  constater que c’est vrai. Et d'être le confident de ce qu'il faut bien appeler un meurtrier. Est-ce que les prêtres, dans leur confessionnal, éprouvent la même angoisse?

C'est du cyanure qu'il avait versé dans le vin dont ils buvaient une bouteille tous les soirs pour se détendre avant de dîner.

- Hélène n'a pas souffert, je t'assure. Elle est morte sur le champ.

Ce jour-là, étendu sur le lit, c'est à Cécile que mon oncle pensa longtemps avant de s'endormir. Ses rêves furent ceux d'un adolescent. Par pudeur, il attendit le lendemain des funérailles pour revoir Cécile.

- Je suis contente que tu sois venu. J'ai appris qu'Hélène était morte. Pauvre Richard. Nous n'avons pas de chance tous les deux.

Il la serra contre lui. Elle se laissa aller, davantage parce qu'il la serrait que poussée par le désir. Il lui embrassait le cou à cet endroit qui jadis mettait en marche son petit moteur comme ils disaient. Elle avait le cou ridé d'une vieille femme.

- Tu veux te coucher?

En se déshabillant, il voyait dans le miroir de la salle de bain son ventre proéminent qu'il tentait d'atténuer en se raidissant. Quant à Cécile, ses hanches s'étaient élargies et des plis lui cernaient le ventre. Elle avait toujours été encline à la cellulite. Il détourna la tête et se glissa sous les draps. Lorsqu'elle le rejoignit, il lui entoura le cou tandis qu'elle plaçait la main sur son sexe.

Ils restèrent au lit près d'une demi-heure sans rien se dire. Le haut de sa cuisse était mouillé mais chacun d'entre eux, finalement, avait fait l'amour tout seul. En fermant les yeux.

- Tu es déçu? Tu veux rester?

- Tu es gentille. Il faut que je rentre. Je reviendrai demain.

Elle sourit en soupirant.

- Ce n'est jamais comme avant.

En rentrant chez lui, il lui sembla que l'appartement était froid. Il n'avait pas de chance. Toutes les femmes qu'il avait aimées étaient mortes. Il restait seul comme un chien abandonné.

Il secoua la tête.

- Il n'y a pas de morale dans la vie.

 

Lire la suite...

Un merveilleux émoi

la%20co-Cath%C3%A9drale.jpg?psid=1

La cathédrale de longueil vue au couchant

Un tableau de Claude Moulin

Il est des grâces inouïes,

Offertes comme par magie.

À l'improviste, elles surgissent,

Et, en fascinant attendrissent.

Je suis à contempler un ciel,

Fastueux, semblant irréel,

Quasiment noir en une masse,

Nuancé en un autre espace.

S'élèvent en relief vers lui,

Faits d'un or cuivré qui reluit,

Des morceaux d'une cathédrale

Qui semble certes originale.

L'énergie du soleil couchant,

Donne aux teintes un éclat brillant.

En regagnant ma maisonnette,

J'ai l'esprit heureux, à la fête.

22 juillet 2014

 

 

Lire la suite...

Les deux rôles

 

À mon amie Liliane

 

Contemplant, ravi, la beauté

Que la nature offre à ses yeux,

Le rendant souvent envieux,

Le peintre pille à satiété.

Il vole formes et couleurs,

Leur brillance, leur énergie.

Talentueux tour de magie,

Les voilà implantées ailleurs.

Aux mêmes grâces confronté,

Souvent fort ému le poète,

Entend des mots qui dans sa tête

S'unissent en toute liberté.

Sa plume aussitôt s'en empare

Et les transcrit fidèlement.

Restera vivant un moment,

Dont la qualité semblait rare.

Du visuel et des paroles

Que l'on peut lire à haute voix,

Vibrent en harmonie parfois.

Lors on apprécie les deux rôles.

19 juillet 2014

Lire la suite...

Une photo pour vous

 

 

À Rébecca

J'ai décidé, sans bonne grâce,

De cesser d'en vouloir au sort,

Qui certes m'inflige des torts,

Et m'enlaidissant me tracasse.

Je n'avais pas prévu sur moi

Les durs effets de la vieillesse

Qui détruit charme ou joliesse

Et prive d'allant bien des fois.

J'entretenais le goût de plaire,

Sans me forcer, spontanément,

Mon sourire paraissait charmant

Il ne peut plus me satisfaire

Je posais en toute amitié,

En me sachant photogénique.

Je trouvais cela sympathique.

On ne pourrait pas m'oublier.

Voici mon image pour vous,

Prise ce jour, plein de liesse.

J'avais l'humeur à la tendresse,

Aucune appréhension du tout.

20 juillet 2014

Lire la suite...
RSS
M'envoyer un mail lorsqu'il y a de nouveaux éléments –

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles