Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Un mari fidèle

Un jour, elle était assise sur le seuil du café de la grosse Lulu alors que la plupart des membres de l’équipe de hockey, debout devant le comptoir, avalaient bières sur bières, tout heureux d’avoir vaincu. Cela n’arrivait pas souvent.

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- J’attends.

Je me suis assis auprès d’elle, j’ai entouré ses épaules et je l’ai embrassée. Il y a longtemps que nous étions amoureux l’un de l’autre mais nous étions trop timides pour nous déclarer. Nous avions un peu bu ce soir-là pour fêter la victoire du Club.

Malou, je l’avais connue dans le magasin de chaussures que possédait mon père. Elle essayait les escarpins bleus que je lui avais proposés.

- Ils sont trop étroits ?

Elle fit non de la tête. Elle se regardait dans le grand miroir sur pied et s’efforçait de sourire. Il lui aurait fallu une pointure plus grande mais les jeunes filles avaient le sentiment qu’au delà de la pointure 36, les jeunes gens se seraient moqués d’elles. 

Je l’ai revue deux jours plus tard, elle se promenait dans la rue en regardant les vitrines. Je l’ai saluée. Puis, je ne l’ai plus revue d’une semaine entière.

Je ne connaissais même pas son nom, je me demandais comment la retrouver et je me reprochais de ne pas lui avoir parlé davantage. Les jeunes gens sont bêtes, souvent. Puis, ils se reprochent les propos qu’ils n’ont pas tenus, ou qu’ils n’ont pas osés tenir à haute voix en présence de celles qu’ils aiment.

J’étais membre du club de hockey. Un joueur médiocre mais assidu. Hélas, même chez la grosse Lulu, je n’étais pas le meilleur. Ni le plus habile pour jouer au carton mouillé. Ce carton que l’on imprègne de bière avant de le lancer sur le sol d’un geste adroit, et d’écarter celui d’un concurrent.

C’est chez la grosse Lulu que je l’ai revue à la veille d’un match important. J’avais ignoré jusque là qu’elle était la cousine de Richard, un des membres de l’équipe.  Le soir même, Richard m’avait dit tout ce qu’il savait de sa cousine. Je connaissais l’essentiel : elle n’avait pas de petit ami.

- Vous me reconnaissez ? Les chaussures ne vous font pas mal ?

- Vous jouez au hockey, vous aussi ? Non, elles ne me font pas mal. Au contraire.

Nous avons parlé de Richard dont elle pensait autant de bien que j’en pensais moi-même. Elle irait voir le match du lendemain.

- J’adore le hockey.

Le lendemain nous étions côte à côte le long du terrain pour encourager les joueurs. Malou comme moi admirait le style de Richard.   

- Match splendide.

- Splendide en effet.

Nous sommes rentrés ensemble et nous nous sommes mariés trois mois plus tard.  Nous nous sommes aimés durant vingt ans. Elle est morte d’un cancer.

Ma seconde épouse, celle qu’on appelait la belle Aimée, était une femme divorcée. Elle m’invitait dans son appartement. Elle disait :

- Je n’aime pas vous savoir seul chez vous. Tout vous rappelle votre femme. Vous devez souffrir beaucoup.

- C’est vrai, Aimée. Mais souffrir me rapproche d’elle.

Aimée aussi aimait le sport, c’est au bar du club que je l’avais connue. Elle avait été la femme de Richard. Hélas pour Richard et pour elle, elle avait été la maîtresse de certains de ses co-équipiers. Il avait demandé et obtenu le divorce.

Depuis Aimée s’était éloignée du sport. Elle me l’avait confié un soir que nous prenions un verre chez elle :

- Je ne sais pas ce que tu en penses, mais le hockey est un sport aussi brutal que le rugby. Pire encore, ils se munissent d’un stick pour jouer.

Je la tutoyais désormais. Les confidences que nous nous faisions étaient celles d’amis. Notre situation en était plus claire et sans équivoque. Sinon qu’un jour d’été elle était en train de se bronzer sur sa terrasse en maillot deux pièces dont elle avait ôté la pièce du haut.

- Pourquoi ne pas profiter du soleil ? Tu peux te déshabiller dans le salon.

Je me suis déshabillé dans le salon. J’ai eu un moment d’hésitation au moment d’ôter mon slip, je l’ai ôté puis remis, avant de m’allonger auprès d’elle sur son drap de bain. C’est vrai qu’elle était belle et plus que séduisante.

Je l’ai épousée et, entourés de quelques amis du club, à l’exception de Richard, nous avons soupé dans un restaurant renommé. Puis, je ne sais plus qui nous y avait invités, nous avons terminé la soirée chez la grosse Lulu.

Une nuit, après nous être aimés, elle me demanda s’il n’était pas préférable que nous nous séparions.

Je l’avoue, ces actes d’amour que nous exécutions chaque nuit avant de nous endormir avaient fini par nous fatiguer. Elle y mettait cependant beaucoup de cœur mais il y manquait la surprise et la jouissance des premiers jours. Lorsque se confondent les plaisirs de la chair et ceux de la raison.

A son comportement face aux hommes, et plus encore à son comportement face aux maris de nos amies, je devinais combien Aimée avait besoin d’être désirée. Au bout de quelques années, les courses qu’elle faisait se prolongeaient. J’ai voulu savoir ce qu’elle faisait lors de ses sorties. Je l’ai suivie. Jusqu’à l’hôtel de la gare.

Un jour elle m’a demandé si je l’aimais ? Elle faisait allusion à l’ardeur que je manifestais. Malou ne m’avait jamais posé cette question. La réponse allait sans doute de soi. Elle n’avait aucune connotation sexuelle. Je l’aimais. Je l’aimais tout simplement. Peut être que j’ignorais ce que le mot aimer signifiait. Aimée est morte elle aussi. Elle s’était dressée dans le lit et le temps d’avoir saisi mon bras elle était morte.

Durant quelques jours, je suis resté enfermé chez moi puis j’ai commencé à sortir, puis à me rendre dans un café à la clientèle constituée de femmes seules et de quelques hommes en quête de bonnes fortunes.

Un soir parce que le café était plein, je me suis assis en face d’une jolie femme dont l’âge ne devait pas dépasser les quarante à quarante cinq ans. Nous avons bavardé. Très rapidement elle a avancé les pieds entre les miens. Elle me regardait dans les yeux. Nous avons continué de bavarder.

- Je vous invite à dîner ?

- Je veux bien.

Après le repas, je l’ai ramenée chez elle, elle m’a demandé si je voulais prendre un dernier verre, et nous sommes montés chez elle. C’est elle qui s’est serrée contre moi pour m’embrasser la bouche ouverte et, corps contre corps, nous nous sommes rendus dans la chambre à coucher.

- Je suis heureuse, tu sais. J’ai tellement peur toute seule. Tu es content ?

Elle s’était découverte, la poitrine dressée.

- Tu aimes mes seins ?

Puis, elle a demandé si j’étais marié. J’ai répondu que j’étais veuf. Elle a paru soulagée et s’est serrée contre moi à nouveau.

- Tu vas rire, mais j’en étais sûre. Je ne t’aurais pas laissé monter, sinon. Faire l’amour, ce n’est pas tout dans la vie.

Je me suis marié pour la troisième fois. C’est de tendresse qu’il s’agissait cette fois. Le soir, je pouvais enfiler mes pantoufles.

Vraisemblablement, nous finirons notre vie ensemble. Le plus ingambe veillerait sur l’autre. Je pourrai lui raconter les péripéties de ma vie avec mes épouses pour étoffer nos conversations. Et, de temps à autre, sans craindre les faiblesses soudaines, lui montrer que l’amour, le vrai amour, constitue un tout.

Elle est morte, elle aussi. 

Mais, elles auraient pu en jurer : j’ai été un mari fidèle.

 

 

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

  • Encore une impression de déjà lu ..... Les pointures de souliers me sont familières.

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles