Louis fut le premier homme qui lui ait fait l’amour. Elle avait vingt ans, et il en avait vingt-quatre. Ils étaient quatre garçons et elle, la seule fille du groupe, qui avaient décidé de passer un week-end à la campagne.
Louis, durant la nuit, avait pénétré dans sa chambre, s’était glissé dans son lit et l’avait réveillée en lui faisant l’amour. Il avait dit qu’il l’aimait, qu’il en avait trop envie, et après qu’elle se soit abandonnée, le corps lourd et les nerfs à vif, il avait dit que si elle était fâchée, dès le matin il s’en irait.
Le lendemain, il apparut vite à leurs amis que désormais Louis et Julie formaient un couple. Chez certains des trois, peut être même chez tous, il y eut une pointe de jalousie, et le sentiment que Louis avait eu raison : en amour comme à la guerre, avait dit Napoléon, tout est affaire d’action.
Julie était de ces filles qu’on est tenté de conquérir plutôt que de protéger. Belle, robuste, la démarche sportive, elle avait un visage coloré, de ceux dont on dit qu’ils respirent la santé, des yeux bleus qui avaient l’air de vous découvrir tout entier, et avec sa poitrine pleine qui tendait robes, blouses ou pulls, elle avait une silhouette qui ne laissait aucun garçon, ni aucun homme plus âgé, indifférent.
Six mois plus tard, Louis et Julie se marièrent. Il y a un temps propice à l’amour, et un autre propice au mariage. Si Louis avait rencontré Julie un an plutôt, il aurait tenté de la séduire pour coucher avec elle. Mais un an plus tôt il jouissait trop de sa liberté de célibataire pour en sacrifier une partie. Il était beau garçon, il plaisait aux femmes, mariées ou non, serveuse de café, épouse esseulée d’un représentant de commerce, ou célibataire qui comme lui cherchait les aventures d’un soir. Le sexe occupe un espace considérable dans l’esprit des êtres humains depuis qu’ils ont des yeux, et un sexe.
Louis et ses amis, étaient originaires d’une ville de province de plus ou moins trente mille habitants. Ils y avaient effectué leurs études à peu près à la même époque, et les jours de sortie, le samedi soir en tout cas, ils fréquentaient les mêmes cafés ou les mêmes discothèques.
Chacun d’entre eux connaissait les autres par ce qu’il savait de source personnelle ou au travers de ragots qu’il n’y avait aucune raison de vérifier. Ce qui excitait les jeunes hommes, et leurs amies ou leurs femmes, concernait généralement les relations des uns avec les autres. Si possible, les relations sexuelles qui pimentent les conversations.
De Louis et de Julie, il n’y avait pas grand-chose à dire sinon que Louis avait confié un jour à un ami, un jour qu’il avait bu un verre de trop vraisemblablement, que Julie n’en avait jamais assez et qu’elle avait beaucoup d’imagination. Dans une ville de trente mille habitants, Louis et Julie n’étaient pas les seuls à pratiquer des jeux de nuit, même durant le jour.
Le père de Louis était mort à peu près au moment où Louis avait rencontré Julie. Il était propriétaire, dans une des rues les plus animées de la ville, d’un magasin de meubles dont sa femme et Louis lui durent dès lors s’occuper.
Louis et Julie se firent aménager un appartement confortable au dessus du magasin. Julie se chargea de la vente aidée d’une jeune vendeuse, Louis fit les achats, et la maman de Louis emménagea dans une maison qu’ils avaient fait construire, son mari et elle, à la lisière de la ville pour y abriter leurs vieux jours.
Commerçants établis et prospères, Louis et sa femme n’avaient aucun souci d’argent, sinon quant à la manière de le dépenser. C’était une situation agréable. Mais parfois, elle engendrait des périodes d’ennui dont ils avaient le sentiment qu’il fallait absolument les remplir d’une activité quelconque s’ils voulaient préserver leur union. Nombreux sont les couples qui le savent. C’est ainsi que leur vie commença à se transformer.
Ce jour là, Louis rendait visite à un fournisseur de sièges, et il avait téléphoné pour dire qu’il ne rentrerait que dans l’après midi. Julie le répéta à un représentant qui souhaitait lui soumettre des nouveautés. Le représentant dit que c’était dommage mais que cela lui donnait l’occasion d’admirer « s’il pouvait se permettre de le dire, mais la vérité a ses droits » la beauté. Julie lui répondit que c’était exagéré, et lui offrit une tasse de café puisqu’il était midi. Il dit merci, et elle déposa quelques biscuits sur une assiette de couleur.
Quand Louis rentra, elle lui raconta la visite du représentant. Elle se sentait épanouie, et durant la nuit elle se montra particulièrement aimante parce qu’elle aimait qu’on lui dise qu’elle était belle. Louis, comme la plupart des maris, s’il jouissait de la beauté de sa femme, mentalement et physiquement, ne le lui répétait plus comme aux premiers jours de leur rencontre. Ils se mettaient au lit comme on se met à table.
Il y avait un couple d’amis qu’ils fréquentaient plus volontiers que d’autres. Souvent, quand on rencontre un couple, ils ne sont pas deux comme on pourrait le supposer mais quatre. Un ensemble de deux couples, bien entendu, qui sont liés comme les doigts de la main.
Georges Meunier était architecte et passait pour un artiste. Il concevait le plan d’ouvrages que lui commandait la municipalité mais s’intéressait peu aux détails d’exécution, c’est ce qui lui donnait cette réputation d’artiste de qui on excuse bien des choses. De plus, elle lui permettait d’exprimer au sujet des femmes des compliments parfois osés qu’on excusait d’un homme plus préoccupé d’art que de convenances.
Delphine, son épouse, professeur au Lycée des filles était une intellectuelle affichée. Toujours un magazine politique et littéraire sous le bras, plié en deux mais au titre apparent, lorsqu’elle se déplaçait ne fut-ce que pour faire ses courses. Au café, elle commandait un kir, elle n’aimait pas la bière, et le whisky était la boisson des bourgeois. En province, ces choses comptent.
Très liés avec Louis et Julie, ils sortaient ensemble ou s’invitaient les uns chez les autres. Louis, le soir, voyait Georges au café avant de rentrer diner, et Delphine, après ses cours, venait bavarder avec Julie. Et parfois, ils allaient passer le week-end à la côte. C’étaient de bons amis.
- J’ai tourné un film en vacances. Il faut qu’on vous montre ça.
C’était en août que Georges l’avait proposé. Ils étaient allés en Corse, et y avaient passé deux semaines.
Le lendemain soir, après le diner, ils s’installèrent tous les quatre au salon devant un magnifique poste de télévision aux images aussi claires que celles projetées sur les écrans de cinéma. Sur une table basse devant les fauteuils pour deux placés en L, Georges avait préparé les verres et différentes boissons afin que chacun puisse se servir comme il l’entendait. Et des biscuits qui donnent soif, qui se grignotent et qui, en craquant, ajoutent à la convivialité bon enfant qui règne entre amis véritables.
Il y eut d’abord Delphine qui faisait des grimaces face à la caméra. Elle était en maillot deux pièces et se couvrait la poitrine de ses bras croisés. Elle se tortillait comme le faisaient les personnages des films muets aux débuts du cinéma. Puis, plus loin, on voyait que c’était la fin de l’après-midi, Delphine se dorait au soleil, la poitrine dénudée, en fixant la mer. Puis, c’est la caméra qu’elle regardait, debout, les mains sur les hanches.
-Tu veux montrer que tu es bien faite ? D’accord, c’est vrai.
Louis entoura les épaules de Julie.
- Julie aussi est bien faite, dit Georges. Tu n’as pas de raison de te plaindre.
Soudain, il y eut sur l’écran des striures comme on en voit quand la pellicule se déchire, on entendit des « ah », et enfin des images claires à nouveau. Mais c’étaient celles d’un homme qui pénétrait une femme, et dont le sexe tendu était si gros que le visage de la femme exprimait à la fois de la douleur et de l’extase.
- Nom de dieu, il a du se tromper, cet imbécile.
Mais le projecteur continuait de tourner.
Parce qu’ils avaient bu quelques verres, c’est Delphine qui proposa :
- Et si vous passiez la nuit ici ? Le lit est assez grand.
En évoquant cette soirée la nuit suivante, ils n’en avaient pas parlé de la journée, Louis, en souriant, dit à Julie :
- J’ai vu que ça te plaisait. J’étais content pour toi.
C’est au lit qu’ils continuèrent d’en parler pendant qu’ils se caressaient, conscients qu’ils en tiraient plus de plaisir qu’à l’habitude. Louis pensait que beaucoup de choses sont dites quant à l’amour, la fidélité, la beauté de l’âme, et d’autres âneries mais que rien ne valait la pratique.
- Un jour, dit Julie, nous ne nous lèverons que pour manger.
Deux ans plus tard, revenu en ville, j’ai appris que Louis avait quitté Julie pour épouser Delphine. Georges, lui, vivait avec Julie. Les deux couples étaient parfaitement heureux. Mais, ils avaient cessé de se fréquenter. C’est la vie !
Commentaires
Je crois bien l'avoir déjà lue elle aussi ! ....
Ah ! ces petites villes repliées sur elles-mêmes : il s'en passe des choses ....
Et vous en saisissez fort bien les dessous ....qu'on est loin d'imaginer.