Atmosphère vraiment magique à Saint-Pétersbourg, la métropole la plus septentrionale au monde. Chaque année de fin mai à début juillet, la nuit ne tombe jamais totalement sur l'ancienne capitale des tsars. Pendant tout le mois, des concerts et des spectacles illuminent les nuits de la ville de Pierre le Grand. Les nuits blanches culminent au moment du solstice d'été le 21 juin, lorsque le soleil à minuit ne descend que de 6° sous l’horizon. Le festival des Nuits blanches est l’occasion pour le théâtre Mariinsky de donner chaque jour des concerts différents et parfois, à toute heure du « jour ». Depuis 1993, Valery Gergiev, le directeur du théâtre est aussi le directeur artistique de l’International Stars of the White Nights, festival annuel de Saint-Petersbourg.
Lors d’un voyage culturel Clio, nous avons eu le privilège d’assister le 17 juillet dernier à la production du Prince Igor de Borodine, l'auteur de l'opéra Le Prince Igor et de ses célèbres Danses polovtsiennes. Une salle comble, dont le public principalement pétersbourgeois a été séduit dès le lever de rideau. Voici des chanteurs généreux, dont la qualité d'artistes réside pour chacun d’eux en leur capacité magique d'émouvoir et de toucher, sans parler de la qualité technique parfaite des interprétations.
Une distribution brillante avec dans le rôle du prince Igor le baryton Nikolai Putilin, la star du théâtre qui tourne régulièrement avec la Compagnie d'opéra Mariinsky et indépendamment en Allemagne, France, Espagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Finlande, Grande-Bretagne, Japon, les Etats-Unis… et bien d’autres ! Il s’est produit au Metropolitan Opera et au Lyric Opera de Chicago, au Royal Opera House, Covent Garden, à la Scala… enregistrant The Queen of Spades, Sadko, Iolanta, La forza del destino, Mazepa, Prince Igor et Boris Godounov avec le Mariinsky Opera Company sous le label Philips Classics et NHK.
La soprano Irina Vasilieva, tout aussi légendaire, est elle aussi à la tête d’une impressionnante liste de rôles lyriques et interprétait l’exquise Yaroslavna, la femme du Prince Igor, abandonnée au palais pendant que celui-ci s’en va combattre les Polovstviens, nomades d'Asie centrale en 1185. Elle joue le rôle des pénélopes à merveille, avec une fermeté de sentiments admirable. On a devant soi une icône musicale rayonnante. Sa lamentation, accompagnée de sa suivante sur les les remparts déserts, est bouleversante!
Mais parlons du décor ! Pour le spectateur occidental il semblera à première vue d’une lourdeur presque …mérovingienne, l’an 800 chez nous ! Mais si on a suivi quelque peu l’histoire des villes Rus’ au 12e siècle, les tableaux successifs sont très justement évoqués : Une place dans l'ancienne ville russe de Putivl, une soirée dans le camp Polovtsien, les murs de la ville de Putivl, une salle du palais avec le prince usurpateur Vladimir Galitsky et ses acolytes, la chambre de Yaroslavna… Ils rejoignent même le décor imaginé pour cette légende épique (poème épique médiéval Le Dit de la campagne d'Igor) par Bilibin en 1930.
Quant aux costumes, on est hypnotisé par leur splendeur, leur nombre et leur richesse. Du jamais vu, en Europe Occidentale. Des manteaux d’apparat, des coiffes, des brocarts, des bijoux, des armures, des étendards, des chevaux vivants qui traversent la scène, des ballets de guerriers russes et d’esclaves orientales. Celui qui n’aimerait pas la musique est comblé visuellement, c’est du grand art de mise en scène et une chorégraphie grand spectacle. Les accents contrastés de douleur et d’amour de l'âme slave sont déployés avec émotion et panache par l’Orchestre et des Chœurs sublimes.
On garde aussi à l’esprit le magnifique duo passionné de Stanislav Leontiev jouant Vladimir (le jeune fils d’Igor) épris de Konchakovna (Zlata Bulycheva), la fille du Khan Konchak, l’ennemi juré au cœur immense, et l’aria fabuleux de celui-ci à l’acte 2. Une basse impressionnante par sa clarté, la puissance et la résonance de sa voix, interprétée avec effusion par un Askar Abdrazakov inondé ensuite de bravos et d’applaudissements.
Il faut dire que l’acoustique de ce splendide théâtre qu’est le Mariinsky contribue grandement à l’émotion musicale. Le premier pas dans le parterre restera gravé dans nos mémoires. Le décor d'un luxe inouï commandé par la grande Catherine II de Russie nous a immédiatement projetés dans l’époque fastueuse où Borodine créait son opéra. Hélas il mourut avant que celui-ci ne fût achevé et représenté dans ce théâtre mythique de pur style Rococo en 1790, trois ans après sa mort. La version représentée en ce mois de juillet 2014 s’est limitée aux deux premiers actes de la partition de Borodine, pourtant complétée pour sa finition, son édition et orchestration par ses amis Rimski-Korsakov et Glazounov… Et il faut l’avouer, nous avons été un peu pris de court par la fin abrupte de l’œuvre inachevée…où le prince Igor surgit d’on ne sait où et se joint discrètement au chœur final. Nous avons en effet pu entendre récemment une autre version de l’œuvre reconstruite dans son entièreté après un long travail musicologique au MET de New York, une production diffusée mondialement.
En revanche, malgré la surprise de la fin, l’orchestre est d’une vitalité légendaire. Il est dirigé par Pavel Smelkov incarnant lui-même un océan bouillonnant de souffle épique, mêlant lyrisme, humour et valeurs nobles aux accents rutilants de l’interprétation. Le talent et l’enthousiasme volcanique du chef d’orchestre ont su provoquer chez le public une joie intense, née du bonheur évident du partage de la musique qui ne connait pas de frontières.
http://www.mariinsky.ru/en/playbill/playbill/2014/7/17/1_1900/