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Une habitude portant fruit

 

Si comblée, j'éprouve une grâce,

Quand la beauté s'offre en cadeau,

J'écris un poème aussitôt;

Je veux en conserver la trace.

Il sera mis dans un dossier,

Y demeurera oublié,

Mais auparavant, je le lance,

Dans l'énergie de l'existence.

Ayant acquis droit de cité

Dans plusieurs sites réputés

J'y achemine poésies

Et certaines idées choisies.

Je sais que sont lus et relus

Mes petits récits qui ont plu.

Souvent et fort loin, ils voyagent.

De la tendresse s'en dégage.

Des milliers de pages tournées!

L'apprenant, j'en fus étonnée.

Lors, j'accueillis la certitude

Que porte fruit mon habitude.

21 février 2004

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administrateur partenariats

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Grain d'or –

D'après le tableau "Les Fleurs du Mal" de Liliane Magotte

 

Dans la vallée aux flancs,

Couverts de passiflores

Le maitre du champs blanc,

A semé un grain d'or.

 

Que germe ce grain,

Au centre de la toile

Qu'elle soit son écrin !

Comme le ciel aux étoiles.

 

Et explose en tous sens,

Sans autre turpitude

Que sa seule florescence,

Conjure la solitude.

 

Léger comme le vent ;

Le pinceau à l'épreuve,

Du "sang rouge et vivant

Dont la toile s'abreuve".

Alexandre Lansmans

Février 2014

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La petite auberge



Je me trouvais à la petite auberge. Je m’y rendais à chaque fois que j’avais le sentiment que mon imagination littéraire se tarissait.

J’avais écrit une nouvelle d’une dizaine de pages que j’avais vendue à un magazine féminin. Un an plus tard, à la veille des vacances d’été, la responsable de la rubrique culturelle me demanda de lui en écrire une autre.
- Dans le style de la précédente que beaucoup de lectrices ont aimée.
- Une histoire de cul ?
Au travers de l’appareil téléphonique, c’était comme si je la voyais pincer les lèvres.
-Pierre ! Dois-je te rappeler que le titre du magazine est : Femme de cœur.
- Soit, pas une histoire de cul mais une histoire de fesses. Pardon, je voulais dire une histoire de cœur.
J’ai écrit la nouvelle en un seul jour, et la lui ai envoyée dès le lendemain. Une heure plus tard, c’est elle qui m’appelait.
-Pierre, je n’apprécie pas ce genre de plaisanterie. Tu me l’as vendue l’année dernière. Je suppose qu’aujourd’hui, tu vas m’expédier celle d’aujourd’hui. Imagine qu’elle soit arrivée directement au secrétariat de rédaction.
J’avais réécrit sans m’en être rendu compte la nouvelle que je lui avais vendue un an plutôt. J’étais atterré.
-Tu es fatigué, Pierre. Tu travailles trop ces temps-ci. Tu devrais prendre quelques jours de repos. Pars pour la Petite Auberge. L’air de la campagne te fera du bien; avait dit Isabelle.
Je connaissais la Petite Auberge, située au fond des Ardennes, depuis que René et moi y avions passé deux jours après la réussite de sa dernière année à l’école hôtelière. Nous en avions été les seuls occupants. La tenancière, madame Lavergne, était sa tante.
Depuis c’est là que je venais me reposer durant un jour ou deux lorsque j’avais le sentiment que je devais me ressourcer.

Je me promenais dans la campagne et dans la forêt jusqu’à ce qu’une sorte de fièvre me saisisse. Je savais qu’il fallait que je rentre, que je retrouve mon écran, que j’écrive les premières lignes que j’avais à l’esprit avant qu’elles ne disparaissent. Un jour je les avais répétées à haute voix jusqu’à ce que je sois rentré chez moi.
Assis devant mon ordinateur, j’avais rédigé une nouvelle d’une dizaine de pages dont je savais qu’elle plairait.
J’ai rempli mon sac d’une chemise, d’un pantalon de toile et d’un peu de linge. Nous nous sommes embrassés Isabelle et moi comme si c’était peut-être notre dernier baiser.
Je téléphonais à madame Lavergne avant de partir, il y avait toujours une chambre de disponible. Ancien relais de chasse plus personne ne s’y rendait. La plupart du temps, j’étais le seul client.
J’étais assis dans la salle à manger en attendant que la pluie cesse, une averse comme il en tombait rarement durant cette saison. La météo n’annonçait aucune amélioration. Madame Lavergne m’avait préparé un thermos plein de café bouillant.
-Vous sortirez cet après-midi, monsieur Pierre.
- Oui, madame Lavergne.
Soudain, j’ai entendu claquer une porte, une voiture avait dû s’arrêter à quelques mètres. Une femme, un journal sur la tête, s’est précipitée dans la salle. Sa robe lui collait au corps. Quelques mètres, même parcourus en courant, avaient suffi pour la tremper.
-Ma pauvre dame, vous êtes trempée. Vous êtes seule ?
Madame Lavergne hésitait.
-Vous avez un bagage, je vais aller le prendre.
- Moi, je vais y aller.
- Je n’en ai pas. Vous êtes gentils tous les deux. Vous avez une chambre ? Je voudrais m’essuyer.
Elle était désemparée. Madame Lavergne s’est précipitée.
-Je suis sotte. Ma pauvre dame, venez vite.
C’était une très belle femme. De celles dont on dit qu’elles sont désirables. Sexuellement désirables. Je ne détachais pas les yeux de son corps. Sa robe qui lui collait à la peau n’en aurait pas montré davantage si elle avait été transparente.
-Vous ne voulez pas prendre une tasse de café chaud avant de vous changer ?
Madame Lavergne lui avait entouré le cou d’un essuie-éponge qu’elle avait été cherché dans la cuisine.
La femme m’a regardé un instant, peut-être qu’elle a souri. Je me sentais ridicule.
Lorsqu’elle est descendue, elle avait enfilé une robe de chambre en lainage que madame Lavergne n’avait pas dû porter souvent. Elle portait encore la trace des pliures qu’elle avait subies avant d’avoir été soigneusement rangée. Aux pieds, elle portait des charentaises. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire et elle a ri à son tour.
Madame Lavergne a posé un bol vide en face du mien, une bouteille de lait et une coupelle de morceaux de sucre.
-Tenez-le bien entre les mains, ça va vous réchauffer.
Nous avions l’air, elle et moi, d’un couple qui s’apprêtait à prendre son petit déjeuner.
-Vous venez de loin ?
- Je devais me rendre un peu plus loin mais je ne voyais plus rien. Vous aussi, vous avez été surpris par la pluie ?
- Non. Je connais l’auberge depuis fort longtemps. J’y viens lorsque j’ai besoin d’être seul. Peut-être pour me retrouver comme on dit. Je suis écrivain.
J’éprouvais le besoin de lui parler de moi. Je lui ai raconté comment j’y avais abouti et pourquoi j’y venais lorsque que mon imagination était sèche. Elle m’écoutait en souriant. De temps à autre, elle éclatait de rire en m’écoutant, et l’éclat de son rire m’émouvait à ce point que j’avais envie de serrer entre mes bras ce corps que je devinais tendre et tiède.
Elle devinait sans doute l’état dans lequel je me trouvais. Elle refermait le col de sa robe de chambre si maladroitement qu’elle découvrait à chaque fois une partie de sa poitrine. Elle disait :
-Pardon !
Je ne la regardais que plus fixement.
Madame Lavergne nous avait préparé une tranche de jambon fumé qu’elle avait accompagné d’une salade avec des croutons rôtis.
-Ce soir, je vous ferai une omelette aux champignons.
Elle regarda Françoise. Je dis Françoise parce que c’est le nom qu’elle m’avait donné mais aujourd’hui je ne suis plus sûr du tout que ce fût son véritable prénom.
-Pour moi, c’est oui. Rien que d’y penser je voudrais déjà que nous soyons ce soir. Mais je ne vous l’ai pas demandé : la chambre est disponible ?
-Vous êtes mes seuls clients.
Je n’ai jamais été aussi loquace. Je ne me souviens plus aujourd’hui de ce dont nous avons parlé mais il me semble qu’elle n’arrêtait pas de rire. Elle se laissait aller. Elle avait les coudes sur la table et ne se préoccupait plus de sa robe de chambre. Une seule fois, elle avait remarqué.
-Elle est chaude. Ce doit être bon en hiver.
-Vous voulez l’ôter ?
Elle parut surprise de ma réflexion.
-Je voulais dire : remettre votre robe.
-Cela n’en vaut plus la peine. Elle n’est peut-être pas encore complètement sèche. J’imagine qu’elle est froissée.
Moi, je n’ai cessé de bavarder. J’égrenais des anecdotes qui avaient jalonné ma carrière entre le moment où j’envoyais mes textes à des magazines jusqu’à ce jour où pour la première fois on m’a passé une commande.
A l’heure du dîner, nous étions devenus des amis de toujours. Françoise enjouée allait à la cuisine, se faisait expliquer des recettes de la région et revenait me les confier à voix basse comme le ferait à son référent une espionne intrépide. Elle se penchait vers mon visage et me les chuchotais à l’oreille. Je respirais avidement l’odeur de son parfum mêlée à celui de sa peau.
-Vous sentez bon.
-Vous aimez ? Je vous en frotterai derrière l’oreille.
C’est ainsi que nous sommes arrivés à l’heure du dîner. J’avais commandé une bouteille de vin rouge. Puis, après le repas, Françoise avait étendu les bras.
-Je vais aller me coucher.
J’ai bu encore un verre de vin puis je suis monté à mon tour. La porte de sa chambre qui était voisine de la mienne était entr’ouverte. L’esprit vide, comme un automate, je l’ai poussée. Françoise était étendue sur le côté, nue. Les draps étaient rejetés. Elle s’est mise sur le dos, les jambes écartées. Elle m’a regardé ôter ma chemise et mon pantalon. J’ai ôté mes chaussures et je me suis avancé vers elle en enlevant mon slip. Elle avait les paupières cernées.
Nous nous sommes aimés à plusieurs reprises affamés que nous étions de nous-mêmes. Assez tard dans la nuit, alors qu’elle dormait, la main sur mon corps, j’ai ramassé mes vêtements et je suis rentré dans ma chambre encore tout exalté.
J’ai dormi assez tard. Le soleil illuminait la chambre lorsque je me suis réveillé. Je ne savais que penser. Je suis descendu en refusant de raisonner.
L’auberge était vide. Madame Lavergne essuyait des verres derrière son comptoir.
-Vous êtes seule ?
- La dame est partie il y a plus d’une heure.
- Elle est partie ? Je n’ai pas entendu sa voiture. Vous connaissez son nom ?
-Vous le savez, monsieur Pierre. Je ne fais jamais remplir de fiche, ce n’est pas un hôtel ici.
Je suis rentré après avoir donné un coup de fil à Isabelle.

 

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Québec

Au retour d’un voyage à Québec, je garde de cette ville la douceur de vivre. Le bonheur de se promener dans les rues donnant parfois l’impression d’être dans un autre siècle.  Le Vieux Québec ne m’a pas déçu. J’aime  y retourner et revisiter ces beaux quartiers sous un ciel limpide.

Dehors, au détour d’un monument,  sur un escalier, un joueur de violon comme beaucoup de grandes villes possèdent. Une musique divine sort de son instrument et un frisson me parcourt comme si j’étais tombée dans le sublime.

Ne voyant pas le musicien, je tourne la tête et qq marches plus haut, un homme joue, joue avec plaisir, frénésie. Sa musique est belle, magnifique.

Sur cet escalier en plein air, la musique se confond avec l’atmosphère que je respire  et je n’arrive plus à poursuivre mon chemin.  Ce musicien n’est pas de face, on dirait qu’il se cache. Je vois son épaule et son bras faisant vivre son archet.

La musique se fait de plus en plus languissante, lascive et je reconnais rapidement de beaux extraits de musique, le matin de Grieg,  la valse triste de Sibelius et d’autres encore.

Les passants ne s’arrêtent pas, trop pressés par le travail, ou de vivre leur vie à toute allure. Ils passent, montent, descendent cet escalier en pierre sans le voir. Certains tournent la tête.

La nuit tombe sur Québec et un froid sec nous enveloppe. La musique continue et l’archet joue, joue encore. Un rayon de lumière se pose sur l’instrument et seul celui-ci est maintenant visible. Dans la nuit de cette ville, sur ces marches, la beauté de la musique, le talent d’un musicien est au rendez-vous. 

Est-ce un endroit pour reconnaître l’aptitude d’un artiste, sa dextérité, sa beauté d’interprétation.  Dans ce contexte inattendu, peu de personnes s’arrêtent pour savourer le bonheur particulier que donne la musique. Les oreilles sont fermées et ne reconnaissent rien ou ne veulent pas entendre..

Si les hommes n’écoutent pas cette musique, à quoi d’autres sont-ils attentifs si ce n’est qu’à leur propre vie, soucis et autres. A coté de combien de choses exceptionnelles passent-ils inconsciemment sans regret, ni remord.  La vie est ainsi faite, nous mettons parfois trop d’intérêts sur des choses qui ne le valent pas et trop peu sur d’autres parfois essentielles.

Au bout d’un instant, je m’aperçois que je ne suis pas satisfaite d’entendre une telle musique sans voir la personne qui joue. Cette aubade, ce récital me parait alors  incomplet.  Et je n’ai toujours pas réussi à voir le visage de ce musicien d’exception.

 Dans la nuit tombée, lâchant le petit groupe d’amis,  mes jambes font qq pas et je me retrouve presque face à face avec ce musicien qui est toujours en retrait derrière son halo de lumière posé sur son instrument.

L’Ave Maria de Caccini me fait reculer.  Bouleversée, les yeux plein de larmes, je me sens mourir d’effroi, d’incompréhension.  Une telle musique venant de cet homme me parait soudain céleste et offerte pour rapiécer ce visage détruit, ravagé, dévasté, d’une laideur peu commune.  Mon esprit est pris de panique et toute la beauté que j’entends vient de disparaître en qq secondes. Je suis horrifiée  par ce que je vois.

Ce musicien sait sa disgrâce et connait les réactions des hommes. Pourtant chaque jour, il vient se poser sur cet escalier et sort son violon pour jouer, pour exister.

De l’archet de sa laideur sort la beauté, l’éclat de sa musique.  Son aspect repoussant s’efface et en qq secondes, il redevient l’homme qu’il est.

Les jours suivant, je suis allée m’assoir, pas très fière, à qq mètres de lui pour l’écouter jouer avant de rentrer en Europe.

 Je garde en moi cette vilaine réaction que je n’ai pas pu contrôler et qui me pèse encore à ce jour. J’ai toujours la blessure  de ce musicien au fond du cœur.

 

 

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VOULOIR...

Vouloir s'offrir instant parfait...

Ou mieux encore moment saveur!

Quelques secondes de petits bonheurs

Renier enfin tout regret!

Vouloir transformer l'horizon

Regarder bleu derrière nuages

Aborder à d'autres rivages

Retrouver le goût des chansons!

Vouloir oublier tout passé

Et se fixer sur le présent...

De vivre prendre enfin le temps

Et conjuguer le verbe Aimer!

Vouloir garder au fond de nous

Comme un trésor si bien caché...

Quelques pépites d'éternité...

Pour embaumer un amour fou!

Vouloir aller, oui, jusqu'au bout

Dans un chemin de doux partage...

Et donner le cœur en otage

Pour être... un petit peu fier de nous!

J.G. 

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administrateur théâtres

Pianodays @ Flagey 19 > 23.02 2014

Flagey Piano Days 

FLAGEY PIANO DAYS 19 > 23.02

 

 Les Piano Days du mois des amoureux est le nouveau festival concocté par le  pôle musical  Flagey.  Les amateurs de musique classique seront comblés par  une concentration exceptionnelle de talentueux pianistes avec des musiciens de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth ( dont on fête cette année le 75ème anniversaire),  Boris Giltburg,  premier lauréat du Concours Reine Elisabeth 2013, Jean-Philippe Collard et pour le marathon du samedi, Jean-Frédéric Neuburger, Anna Vinnitskaya et Frank Braley. Le dimanche, ce sera au tour de Rémi Geniet, le jeune pianiste français, deuxième lauréat du Concours Reine Elisabeth 2013, de renouer avec le podium du Studio 4.

 

Les festivités se sont ouvertes hier soir dans une atmosphère chaleureuse offrant un programme exceptionnellement vivant, brillant et pétillant.

Frank Braley ouvrait ces  cinq jours de liesse musicale en dirigeant et en interprétant au piano une œuvre (inachevée) de Mozart qu’il a en même temps dirigée : Le Concerto pour piano et violon en ré majeur, KV. Anh. 56 (Mannheim,1778).Un festival de légèreté orphique. On perd un peu de la sonorité du piano qui est sans couvercle, tandis que Frank Braley dirige et joue, dos au public. Par contre, les envols gracieux de la  soliste violoniste en dialogue avec le clavier sont empreints d’énergie solaire. A la fin du premier mouvement, il y a cette note belle comme le premier perce-neige, qui annonce la lumineuse brillance du final. Le deuxième mouvement est serti par le toucher de plume du pianiste qui souligne les splendides legatos des violons. De cristallines, les notes du clavier deviennent farceuses. Cela scintille. Le troisième mouvement  vit la joie dansante des cuivres complices, soulignant la virtuosité aérienne des solistes. Un très beau ralenti,  bien amené avant le final. Elina Bushka,  l'exquise violoniste lituanienne de 23 ans, est vigoureusement applaudie et par le public, et par son chef d’orchestre. Depuis septembre 2011, elle étudie à la Chapelle Musicale Reine Élisabeth sous la direction d'Augustin Dumay.  Elle a su créer une atmosphère d’ivresse musicale avec un orchestre de Chambre de Wallonie très en forme. L’ORCW est le complice régulier du Concours Musical International Reine Elisabeth. 

Mais la révélation de la soirée nous est venue avec ce jeune pianiste, Julien Brocal.  Il a débuté l’apprentissage du piano dès l’âge de 5 ans et montait deux ans plus tard seulement, sur la scène de la salle Cortot à Paris. Formé l’Ecole Normale de Musique de Paris Alfred Cortot, il  a décroché le prestigieux diplôme de concertiste, à l’unanimité. A la Chapelle Musicale Reine Elisabeth il devient l’élève de Maria-Joao Pires, une grande dame qui lui ouvre les portes de l’imaginaire musical. Les sonorités qu’il tire de son instrument  dans le Concerto pour piano en do majeur n° 21, KV. 467 sont parfaites, fruitées et lumineuses, d’une intime sensibilité.  Le jeune musicien vit sa musique intensément, il est raffiné dans les nuances, son ravissement musical est très communicatif et l’orchestre à l’écoute est prêt à bondir à ses moindres suggestions. La matière qu’il offre est palpitante, depuis les tendres épanchements jusqu’aux bouillonnements de plaisir. Le corps orchestral l’écoute, subjugué, dans ses splendides cadences. Un moment passionnel le décolle du tabouret pour finir le premier mouvement, sage et mesuré. Frank Braley imprime douceur et majesté au deuxième mouvement: voici les souffles profonds des cuivres langoureux. Le monde est dans la main gauche de Frank, le pianiste se baigne dans la lumière orchestrale.  Le thème revient à l’unisson avec les cors avec l’intensité d’une prière ou d’une  insistante supplique. Le doux tangage des pizzicati berce l’ensemble. La croisière musicale s’achève dans un final royal. Le concerto a été pétillant d’un bout à l’autre et on  a pu en a savourer les moindres bulles.  

 

C’est toujours sans podium et  avec merveilleuse simplicité que Frank Braley dirigera la deuxième partie du concert : La Symphonie n° 5 en si bémol majeur, D. 485 de Franz Schubert. Vivacité et élégance sont au rendez-vous. Il traque l’énergie de toutes parts. Le premier mouvement s’achève sur deux beaux crescendos, pleins de panache. Le deuxième mouvement ressemble furieusement à du Mozart. Le chef d’orchestre porte l’orchestre avec souplesse. Des flûtes  fuse l'émotion rare, et on pénètre dans les méandres de l’intériorité avant la reprise  joyeuse du thème principal.  L’orchestre est tellement enthousiaste que le chef doit calmer les  pupitres. Une belle phrase emphatique  et puissante, très contrastée,  rappelle une certaine gravité dans tout ce bonheur  rêvé et  revient identique mais jamais la même, après chaque reprise du thème. Une musique qui scintille, qui respire et resplendit.  

 

frankbraley_-c-_king_records.jpg?width=240Mercredi 19.02 | 20:15

Orchestre Royal de Chambre de Wallonie

Frank Braley, direction, piano

Julien Brocal, piano

Elina Bushka, violon

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Concerto pour piano en do majeur n° 21, KV. 467

Concerto pour piano et violon en ré majeur, KV. Anh. 56

Franz Schubert (1797-1828) Symphonie n° 5 en si bémol majeur, D. 485

 

Le programme complet de ces rendez-vous prestigieux se trouve ici :  

http://www.flagey.be/fr/programme/genre/musique/piano-days

Le site de Julien Brocal: http://www.julienbrocal.com

 A ce soir?  avec Boris Giltburg!

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Une famille honorable

 Les Bertrand étaient une famille honorable qui exploitait une entreprise spécialisée dans la vente de semences. Henri Bertrand en était le propriétaire. Il était le mari de Fernande qui  s’occupait du ménage. Julien, son fils, avait fait des études agronomiques et le secondait. Et il y avait Cécile, la jeune épouse de Julien. Ils étaient mariés depuis un an à peine.  

Les Bertrand occupaient à la lisière de la ville une maison spacieuse dont la pièce du rez-de-chaussée servait à la fois de hall d’entrée et de salle à manger. Située près de la cuisine, c’était une pièce large et longue dont une partie était destinée aux repas autour d’une grande table de couvent et une autre qui était vouée au repos ou aux conversations intimes devant l’âtre haut de plus d’un mètre. Un large escalier de bois, à droite, menait à une mezzanine sur laquelle s’ouvraient quatre chambres destinées aux enfants. Au fond du hall, derrière une lourde porte, se trouvait la chambre  d’Henri et de son épouse.

Lorsqu’il avait modifié  la maison héritée de ses parents, Henri avait songé qu’il serait un jour un patriarche entouré de fils, de leurs épouses, et de leurs enfants. C’est ainsi que se créent les dynasties. Des voisins l’avaient surnommée : le château. Il n’en était pas heurté. Au contraire.

L’histoire avait commencé à la mort de Fernande. Agée de cinquante huit ans, Fernande avait succombé à un arrêt du cœur. Henri en avait soixante. C’était un bel homme haut d’un mètre quatre-vingt au torse puissant, au visage régulier. Seul le nez légèrement tordu à la suite d’une intervention médicale durant l’adolescence attirait le regard, on eut dit le nez d’un boxeur.

Lorsque Fernande vivait encore et qu’ils étaient à table tous les quatre, Henri regardait souvent Cécile. C’est sa poitrine qu’Henri regardait. Fernande faisait semblant de ne rien remarquer, elle savait que son mari était sensible à la beauté des femmes. Cécile avait conscience de la manière dont son beau-père, au même titre que la plupart des hommes qui fréquentaient les Bertrand, la regardaient. Ils regardaient sa poitrine et ses hanches. Il se dégageait d’elle une séduction singulière dont finalement, pensait-elle, seul Julien son mari se souciait trop peu.

Quant à Cécile, le regard des hommes la troublait. Sous le regard qui la déshabillait et qu’ils accompagnaient d’un sourire faussement amical, elle imaginait ce à quoi ils pensaient. Ce qui la troublait, c’est que ça lui était agréable. Quand elle se déplaçait, la raideur qu’elle manifestait, elle le savait, attirait plus encore le regard sur ses hanches. C’était comme une caresse continue dont elle aurait voulu transmettre la chaleur à Julien. Hélas, elle ne provoquait chez lui que des élans rapides qui la laissaient sur sa faim.

- Vous prendrez la chambre du bas.

Après la mort de Fernande, Henri avait réfléchi. A quoi bon conserver la grande chambre et ce lit tellement large qu’un couple pouvait y dormir sans risque de se toucher par inadvertance.

- Et toi ?

Julien avait répondu sans beaucoup de conviction. Il n’imaginait pas que son père puisse avoir une autre compagne dans l’avenir. Dès lors, il pensait que c’était à lui qu’incombait désormais la responsabilité de la famille, et que la chambre du bas en était le symbole. Chaque chose a sa place toute désignée. Les choses de la vie, elles aussi, se déroulent selon un certain ordre.

Ils étaient accoudés à table.  Cécile dit :

- Vous serez mieux dans la grande chambre.

Henri pensait en la regardant : dans le grand lit.

Au bout d’un moment, Henri se leva pour se rendre au café où il avait repris ses habitudes de jeune homme. Durant ce temps ses enfants auraient le loisir de déménager de chambre.

Lorsqu’ Henri rentra, un peu ivre, il ferma doucement la porte d’entrée pour éviter de les réveiller. Il était content de ne rien entendre. C’est qu’il ne se passait rien, se dit-il. Si ça avait été moi, il se serait passé quelque chose.

Ils lui avaient aménagé la première des quatre chambres, celle qui se trouvait en face de l’escalier, celle qui eut été celle de son premier petit fils. Il se serait appelé Henri. Comme lui et son père. Un prénom de famille en quelque sorte.

Cécile avait posé un vase garni de fleurs sur la table où il allait déposer son portefeuille et sa montre. Peut être d’autres objets qu’un homme sort de sa poche avant d’ôter son pantalon.     

C’était l’été. Un été exceptionnellement chaud comme il ne s’en produit qu’un petit nombre durant un siècle. Henri n’était pas superstitieux  mais peut être que c’était un signe en effet.

Il éprouva une curieuse sensation en descendant, le lendemain matin. Est-ce qu’il était chez lui ? Peut être avait-il eu tort. Julien et Cécile étaient en train de déjeuner mais son assiette était à sa place habituelle.

Chacun d’eux portait une tenue légère. A travers la blouse de Cécile, on devinait les seins. Fernande aurait exigé une blouse moins transparente. Elle aurait dit :

- Ce n’est pas vous que les clients viennent voir.

Ce n’est pas sûr, pensait Henri. Julien aurait dit ce qu’aurait dit sa mère. Il le pensait vraisemblablement mais il n’osait pas le dire.

Ce jour là, Julien devait se rendre à une Foire agricole, on y présentait de nouvelles semences.

- Je reviendrai demain dans l’après-midi.

- Je croyais que tu reviendrais ce soir ?

Pendant que Cécile débarrassait la table, Julien était entré dans la  grande chambre pour faire sa valise. Il aimait cette chambre qui désormais était la sienne. Elle était le centre de la vie de cette famille dont il était l’avenir. Son père avait raison : une dynastie se crée et se perpétue dans la tête de ses membres.       

Henri était sorti. Il regardait le ciel. Temps d’orage ? Il aimait cette sensation dont la chaleur était la cause. Cette mollesse dans les muscles. Le temps des heures a des durées qui varient selon le climat, c’était une réflexion idiote quand on l’exprime mais elle était juste, pensait-il.

Il s’étendrait cette nuit, les jambes écartées, et dormirait tout nu. Et Cécile. Dormirait-elle toute nue ?

Il entendit la voiture de Julien qui partait. Il devait avoir chaud lui aussi. Il lui fit un signe de la main. Cécile revenait du garage, c’est là qu’elle avait embrassé Julien. Elle avait besoin de toucher ceux qu’elle aimait. Elle s’était serrée contre Julien.

- Reviens vite.

La chaleur l’accablait. Elle avait une conscience presque physique du regard d’Henri sur ses hanches. Sans raison, avant de rentrer, elle resta un moment immobile sur le seuil. Après le déjeuner Henri avait dit qu’il avait des courses à faire en ville.

- Vous reviendrez pour le dîner ?

- Oui. Fais quelque chose de léger.

Elle dit qu’elle ferait une salade.

- Tu as raison. Par ce temps une salade conviendra parfaitement.

Ce n’étaient que des banalités. Est-ce qu’il est nécessaire de parler simplement parce qu’on a peur de se taire ? On en dit peut être davantage encore.

Il ne revint que dans la soirée. Cécile l’avait attendu et ils dînèrent sans dire un mot sinon :

- merci, vous en voulez encore, père ?

Il avait toujours trouvé ce mot ridicule dans la bouche de Cécile.

Il n’était pas son père.

- Je vais me coucher, je ne sais pas pourquoi mais je suis fatiguée, ce soir.

Elle se leva et, sans desservir, elle se dirigea vers la grande chambre, celle qu’Henri avait occupée si longtemps. Elle avait rabattu la porte mais elle ne l’avait pas fermée. Il avait suffi à Henri de la pousser pour entrer.

Un matin, deux gendarmes frappèrent à la porte. En quittant le café, on supposa qu’il avait trop  bu, Henri s’était encastré dans un arbre. Il était mort sur le coup.

 

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Méditation

 

Nous nous aimions jadis, en ce pays lointain.

Nous fûmes séparés et tenus à distance.

Un hasard provoqué nous remit en présence,

Fit que nous devenions plus que de vrais copains.

Si longtemps éloignés, nous avions réussi

À sauver les émois de notre adolescence.

Je gardais en mon âme une vague espérance.

Te revoir en santé fut mon très grand souci.

Quelques jours exaltants et l'absence à nouveau.

Le silence non pas; m'arrivèrent sans cesse

Traversant l'océan, tes signes de tendresse.

Vingt années d'amitié depuis ce renouveau.

Tu m'appelais souvent; lors prise à l’improviste,

J'éprouvais chaque fois un battement de coeur.

Tu me parlais de tout, d’un film ou d’un auteur,

De ton vif intérêt pour l’oeuvre d’un artiste.

Nous avons partagé des instants d'allégresse

Échangé des pensées et des rêves aussi.

J'avais bien des raisons de te dire merci,

Ce n'était certes pas par pure politesse.

Tu ne m’entendras plus te dire que je t’aime.

Tout en m'attendrissant auprès de ta photo,

Je pense à ta fidélité, lors aussitôt

Je te dis que la mienne est demeurée la même.

3 juin 2011

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Sur la terre des Dieux.

Le miel d’or de mon cœur coule sur tes lèvres,

Sucrées  de  tes  mots  couverts de tendresse,

Qui  parlent  de passion  dédiée  à  l’orfèvre,

Qui  t’a  ciselée  douce  centauresse.

 

Sur la terre des Dieux dans l’Eden aux amours,

Tu  rejoins  ton  centaure  à  l’abri  des regards,

Au  son  d’une  aubade  chantée  avec humour,

Par  la  vénération  d’un  habile  vieillard.

 

Unis  sur  un  marbre  taillé  dans  le  passé,

Qui galopait aux feux de mes soleils couchants,

Sur  le  fil  d’une étoile aux  éclats angoissés,

Rassurés dans le soir par maints écrits  touchants.

 

Mythologie  flottant  sur  les  nuages  bleus,

Du  salon  antique  de grand-père et mamy,

Au papier peint rêveur couvert de  gorgebleues,

Qui tissaient mes songes perdus dans leurs nuits.

 

Le miel d’or de mon cœur coulait sur tes lèvres,

 

 

 

 Claudine QUERTINMONT D’ANDERLUES.

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Un grand écrivain.

 

Il est temps de faire une fin, comme on dit. J’ai 70 ans depuis hier. Encore un âge à chiffres ronds. J’ai eu 20 ans, l’âge de la mort de l’adolescence. 40 ans, l’âge des remises en question. 60 ans, celui de la pleine maturité. Celui que j’ai aujourd’hui est de toute évidence mon passeport pour l’éternité !

Je vis seul depuis vingt ans. Ma femme est morte, jamais je n’ai pensé à vivre avec une autre. Une épouse qu’on a aimé, ce n’est pas un livre qu’on referme pour en ouvrir un autre.

Le sexe ? Au début, je m’étais procuré par l’entremise d’un site spécialisé, un mannequin, une sorte de poupée d’un mètre soixante de hauteur qui avait toute l’apparence d’une femme véritable.

Je ne m’en suis jamais servi. Je l’ai conservé très longtemps. Un jour, je l’ai découpé en petits morceaux et je m’en suis débarrassé. A un certain âge, les pulsions sexuelles s’émoussent. On peut  passer pour chaste et l’être effectivement sans gros efforts.

En réalité, je n’ai jamais compris la chasteté qu’on affiche par fidélité à la femme décédée. Ou de l’amant disparu.

Il m’est arrivé de tromper Henriette mais je n’aurais pu vivre avec une autre qu’elle. Je ne crois pas ceux qui prétendent n’avoir jamais succombé aux charmes d’une femme séduisante.

Je suis un écrivain. Mes lecteurs ne sont pas nombreux mais ils sont d’une grande qualité. Ils attendent mon prochain livre. A chaque fois, ils attendent mon prochain livre. Aujourd’hui leur grande qualité a un goût un peu acide.

Un jour, mon ami Delcourt est venu me faire une proposition.

- Ecoutes, Jacques. Marc veut lancer une petite revue hebdomadaire. De l’importance d’une brochure. Bon marché. On y parlera de livres, de ceux qu’il vend en particulier, et, c’est la nouveauté, la dernière page sera consacrée à une nouvelle écrite par un écrivain connu. J’ai pensé à toi.

Henri secondait Marc Lambin, le propriétaire d’une grande librairie très courue.

- Il aime Faulkner, la revue s’intitulera : Mosquito. C’est moi qui suis chargé des textes hors ceux qui promeuvent les livres. Tu seras payé, bien sûr. Pas des masses mais …

J’ai accepté. Il y avait longtemps que je ne voyais plus mon nom sur la couverture d’un livre ou au bas d’un texte. J’ai pensé que c’était une occasion à saisir. La dernière page. La page de couverture, celle que le lecteur compulse en premier lieu.

J’imaginais déjà la surprise d’Henri, de Marc lui-même, devant ce qui serait une sorte de testament spirituel dans lequel je dirais les choses qui comptent avec des mots qui frappent. Des phrases au bout desquelles le lecteur lèvera les yeux au ciel pour réfléchir. Peut- être  même qu’il se retiendra de pleurer.  Henri m’avait réservé quatre semaines, quatre pages. J’avais huit jour pour rédiger la première, la dernière sera vraisemblablement le dernier chapitre d’un texte profond, et celui d’une vie.

Je passais beaucoup de temps devant mon ordinateur. Aucun des textes que j’écrivais ne survivait à une relecture. C’était banal, j’effaçais. Je recommençais à nouveau, j’effaçais encore. Parfois, je ne me relisais pas. Peine perdue. En me levant, avant même de me raser, je relisais ce qui subsistait de la veille. Et j’effaçais.

Le jour où Henri allait venir pour chercher mon texte, je n’avais rien à lui remettre. J’étais paniqué. C’était reconnaître l’indigence de mon imagination et la mort de l’écrivain que j’avais été.

Presque de force, je me suis assis devant mon clavier, et j’ai commencé à taper. Pour l’amour d’une femme, c’est le titre qui m’était venu à l’esprit.

«  Ce jour- là, Dieu sait pour quelle raison, Suzanne était entrée au Majestic, et s’était assise dans un des sièges d’où on pouvait voir entrer les clients.

Vers trois heures de l’après-midi, elle était assise depuis vingt minutes à peine, Roland poussait la porte battante de l’entrée suivi du porteur de bagage.

Il y eut comme un éblouissement dans les regards croisés qu’ils échangèrent.

Une demi-heure auparavant, ils ne savaient rien l’un de l’autre, et voilà que c’était comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Ils savaient l’essentiel l’un de l’autre. Que faut-il connaitre de plus dans la vie que le chemin qui désormais s’ouvre devant vous ?

Roland s’était dirigé vers elle. Suzanne s’était levée lentement comme si elle avait été mue par une force intérieure irrésistible. Il lui saisit les mains et s’inclina. Le hall, si bruyant un instant auparavant était devenu aussi silencieux que la nef d’une église. Chacun  des personnages qui s’y trouvaient s’était figé dans son attitude. On eut dit des statues. De celles dont un mage aurait sculpté les personnages d’un théâtre où l’amour régnait en maitre. Seul.

- Venez ; dit-il. Tu es belle, tu sais.

Ses yeux brillaient d’un éclat dont elle devinait la raison. Le désir du premier homme pour la première femme. Elle était prête à s’y soumettre. Son corps lui dictait ses attentes.   

Ils se dirigèrent vers l’ascenseur qui menait aux chambres. Le brouhaha soudain avait repris. Mais tout le monde les regardait et se posait la question ;

- Que va-t-il se passer ? »  

C’est le texte glissé dans une enveloppe de papier kraft que je remis à Henri. Il n’eut pas la curiosité de le lire.

- Je suis déjà en retard.

J’avais signé, en signe de dérision : Daphnée de Delly.

Peu de temps auparavant, pour meubler des périodes d’inaction de plus en plus fréquentes j’ai commencé à compulser des sites sur Internet. Sites d’inconnus ou d’institutions. De temps à autres,  je compulsais le site de la Bibliothèque Royale. Elle était en train de numériser ses archives.

Un jour, surprise ! Sous un numéro d’enregistrement, mon nom m’est apparu, daté de 1946. Il s’agissait d’une nouvelle envoyée à une revue qui l’avait mise; disait-elle, en attente. Malheureusement, avant même que ma nouvelle n’ait été publiée, la revue avait cessé de paraître faute de liquidités. Le fonds avait été repris par la Bibliothèque Royale.

Le titre de la nouvelle était : L’amour d’une femme. J’étais âgé de 25 ans en 1946. Ma première œuvre avait été une histoire d’amour. Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer.

Une idée m’était venue. Pourquoi le texte d’un écrivain âgé devait il évoquer l’expérience ou la réflexion d’une vie ? Toutes les vies se valent. Toutes les réflexions se valent. Ce serait le sens de du texte promis à Henri. Une sorte de testament spirituel. J’y ai travaillé toute la semaine. Sans résultat satisfaisant. C’était mièvre. Quant à la nouvelle que j’avais remise à Henri, personne, au sein de la rédaction de la revue, ne s’était aperçu de ce que j’avais substitué au texte qu’ils attendaient un texte à la facture et au ton tout à fait différents.

Soit, me dis-je, cela me donne une semaine de plus. Et, en une demi-heure à peine, j’ai donné une suite à l’amour d’une femme. Daphnée de Delly venait de me sauver une fois de plus.

« Le serveur avait apporté une bouteille de Bollinger. Roland lui avait fait signe de sortir. Il était aux côtés de Suzanne, et tous les deux contemplaient la Méditerranée du haut de leur balcon. L’air était doux. »

Puis, je résume, il se passait quelque chose qui nécessitait quatre à cinq lignes.

« Tous les deux s’étaient approchés du lit princier dont une femme de chambre avait relevé les draps. » 

Glissé dans une enveloppe de papier kraft, format A4, je l’ai remise à Henri.

-Navré, je ne peux pas rester Jacques, l’imprimeur n’attend pas.

En se retournant, il me dit :

- Merci, Jacques. Merci. Je savais bien que j’avais frappé à la bonne porte.

Je pris la décision de lui dire la vérité dès qu’il reviendrait. Soit pour rompre à jamais avec moi, soit pour prendre le texte de la troisième semaine. Celui pour lequel il avait, comme il le disait, frappé à la bonne porte.

C’est quoi l’inspiration ? Sait-on comment elle vient, la question m’éblouit à proprement parler en passant devant l’armoire  dans laquelle je rangeais des livres, des dossiers, des photos et des objets auxquels je tenais ou croyais tenir.

Henriette m’avait acheté une vieille bible qu’elle avait trouvée lors d’une brocante. Elle datait de 1885, le titre et le dos portait la mention : bible, en lettres d’or. Je ne voyais plus qu’elle. 

Tout de la vie des êtres humains se trouve dans des textes anciens : Bible, ancien et nouveau testament, le cantique des cantiques, etc. Mais les lecteurs y cherchent ce qui ne s’y trouve pas. Il faut se rendre à l’évidence, c’est le même roman que les écrivains réécrivent à chaque génération.

Une vulgaire copie. Amour et mort. Les hommes, en gros, se ressemblent depuis la nuit des temps. Dieu, pour ceux qui y croient, n’a pas eu beaucoup d’imagination. Si les récits sont mièvres, c’est que les faits le sont.

Henri était toujours aussi pressé. L’imprimeur ; disait-il.

- Il faut que je te parle, Henri.

- Oui ?

Il s’était assis en face de moi. Je le voyais, il avait soudain conscience de la solennité du moment. Henri et moi, nous sommes des amis de toujours. Il y avait dix ans de différence entre nous mais je ne m’en suis rendu compte que peu de temps auparavant. Le jour, précisément, où il est venu me proposer de lui fournir de la copie pour Mosquito.

- Les textes que je t’ai fournis n’étaient pas de moi. En réalité, ils étaient de moi mais d’un autre moi. Ils étaient inspirés du jeune homme que j’ai été il y a longtemps.

- Oui ?

- Une bluette. Rien qu’une bluette. 

- Oui ?

Si tu l’avais lue, ou Marc ou dieu sait qui, vous me l’auriez jetée à la figure.

Henri s’était levé.

- Mais je l’ai lue, Marc l’a lue, des lecteurs et des lectrices nous ont téléphoné, le tirage de la semaine dernière semaine a augmenté de 20%. Tu comprends, Jacques. Les lecteurs et les lectrices en ont marre des crimes ou des autobiographies déguisées de gens qui disent tous la même chose. Ils veulent de l’amour. De l’amour, pas des histoires de fesses qu’ils connaissent parfois mieux que ceux qui les écrivent.

Il avait l’air angoissé.

- Dis, Jacques, tu m’as préparé le texte de la troisième semaine ?

- Mais…

Il prit une chaise et l’enfourcha, les bras croisés sur le dossier.

-Je ne partirai pas sans lui, Jacques. Même si je dois y passer la nuit.

Je me suis rassis devant l’ordinateur, et me suis remis à taper.

 

 

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Le monde de Jo

Le jour se lève, un rayon de lumière frappe à ma vitre. Enfermé, je suis là et j’attends. Depuis que je suis né, cette bulle me garde prisonnier. D’un grand espace, je suis passé à un plus petit pour finir ici. La vue est imprenable, je suis en hauteur et je vois tout.

Enfin du bruit, la maison s’éveille doucement et ils arrivent chacun à leur tour. La dame, qui entre en premier, n’est plus toute jeune, elle baille et met le café en route. Ce bruit de cafetière me faisait peur quand je suis arrivé.

Une agréable odeur se repend dans la pièce. Elle prépare la table comme chaque matin, des bols, du pain, du beurre, de la confiture. Ils ne sont pas riches diront certains mais pas pauvres non plus.

L’homme arrive à son tour, ensommeillé et le visage fermé. A peine un bonjour, un petit geste sans tendresse. Assis il regarde sans voir, boit son café et allume une cigarette. Encore cette maudite cigarette qui empeste la maison. Assisse à son tour, elle le regarde et se dit qu’elle n’a pas eu de chance.

De ma hauteur, je vois la scène et avec un certain détachement, je pense que ces deux là auraient dû se quitter depuis longtemps, ne pas rester ensemble. La dame, perdue dans ses pensées, s’évade comme chaque jour, à toute vitesse vers ce rêve qui aurait pu être sa vie.

Moi, je tourne, je tourne. J’ai faim et je me débats pour attirer son attention. Elle vient de se rappeler que j’existe et d’un geste amical, me verse ma nourriture.

Les enfants sont partis depuis qq années, ils font leur vie. Le fils a fait de bonnes études et réussira. Sa sœur est infirmière, elle aime son métier. Un vieux rêve de jeunesse arrivé à son terme. Ils se sont installés à qq km de la maison et viennent régulièrement. Les fêtes de famille sont joyeuses et gardent l’ambiance des années passées, le temps de la jeunesse, du bonheur, de l’insouciance. Tous réunis, la vie reprend son cour et anime la vie du couple.

J’aime cette agitation, ces bruits familiers, le regard de la petite infirmière, ma préférée qui vient me voir et me taquine.

Dés le départ des enfants, le silence retombe sur cette maison comme une chape. La tristesse, le chagrin sont bien réels.  Le bonheur, rebelle, ne dure pas. Les visages reprennent une expression amère et les habitudes se réinstallent instantanément.

Tout se pose et se tait.

Moi, je les regarde se perdre dans le temps, oublier que la vie leur a donné de bons moments. Je les vois s’éteindre jour après jour dans cette existence, dans cette vieillesse qui  les mine et ne leur apporte que de la peine.

Avant de continuer à vieillir, avant que tout s’arrête, elle aurait adoré aimer encore. Aimer comme au premier jour, avoir le cœur qui s’emballe et le sang aux joues. Dans sa tête, elle est toujours jeune et belle. Elle a bien essayé mais ca n’a pas marché. Il ne lui reste que ses pauvres rêves, ses souvenirs défraîchis.

Lui fatigué, le journal sur les genoux, la télé allumée, dort. La vie lui a ôté ses illusions et le travail l’a usé trop tôt. Il a perdu cette gaieté qui la faisait tant rire. Parfois, elle le regarde avec tendresse quand il ne la voit pas. Que s‘est-il passé pour en arriver là ?

Les soirées sont lasses, monotones et les jours passent sans fin.

Je suis là qui tourne dans mon bocal. Parfois je rêve aussi, je rêve d’un lac bleu comme le ciel, de petits cailloux roulés par le courant, du soleil traversant l’eau limpide et venant me caresser doucement.

Quitter cette uniformité, cette routine qui fait la tristesse, la grisaille de la vie. Leur crier de bouger, de remuer, d’essayer de vivre encore et encore. Que tout peut continuer, qu’il ne faut jamais baisser les bras. Que l’on peut vieillir sans être vieux et que si qq minutes suffissent pour faire un bonheur, ils doivent le prendre, l’attraper comme un cadeau de la vie.

ET moi, du fond de mon bocal, je suis la vie qui tourne en rond.

 

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L'espace de l'art

 

Quand on nomme un écrit poème

Créant un espace aéré,

On peut prendre plaisir d'errer

Chargé de mots que l'on parsème?

Créant un espace aéré,

L'emplir de fantaisie extrême,

Chargé de mots que l'on parsème.

Y deviendront-ils éthérés?

L'emplir de fantaisie extrême,

Les mots auront d'autres attraits.

Y deviendront-ils éthérés

En perdant leur nature même?

Les mots auront d'autres attraits,

Parfois transformés à l'extrême,

En perdant leur nature même.

L'art transcende ce qui est vrai.

Parfois transformés à l'extrême,

Des lieux que la pensée recrée,

L'art transcende ce qui est vrai,

Font naître des émois suprêmes.

18 février 2014

 

 

 

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Une simple aventure

                            Une simple aventure.      

 

Pierre  logeait dans un hôtel situé à proximité de l’Université. Il y avait là les petits restos et les cafés qu’il fréquentait lorsqu’il était étudiant. Personne ne l’y reconnaissait plus. L’Université, c’est comme un bus qui vous aide à parcourir quelques années de la vie, puis c’est comme s’il n’y avait jamais eu de bus et, pour certains, comme s’il n’y avait jamais eu d’Université.

Il était le représentant d’une maison qui elle-même était la filiale d’une entreprise américaine. Le prestige de la firme rejaillissait sur chaque membre de son personnel. Nombreux, on le sait, sont ceux qui préfèrent le prestige à la hauteur de leur salaire.

Il visitait les hôpitaux, il s’entretenait avec les médecins des différents départements, les techniciens des laboratoires, et il leur exposait les qualités du matériel de la firme.

Les infirmières disaient : docteur. Peu de vendeurs de produits médicaux, d’anciens étudiants qui n’avaient pas achevé leurs études médicales, rectifiaient.

Bel homme, et conscient de l’attrait qu’il exerçait, il avait parfois une aventure avec une infirmière ou l’interlocutrice qu’il avait invitée à dîner, et ne rentrait chez lui que le jour suivant.

Le soir, pour éviter la solitude de sa chambre, il allait prendre un verre dans un bar qu’il fréquentait lorsqu’il était encore étudiant. Situé dans une impasse, « La jambe de bois » avait une clientèle limitée à d’anciens étudiants nostalgiques et à des jeunes qui se faisaient offrir à boire par les anciens. A une certaine heure du soir, Pierre s’asseyait au piano après avoir offert un verre au pianiste habituel.

- C’est bon ce que tu fais. Pourquoi t’as pas continué ?

- On croit qu’on choisit. On ne choisit pas.

- Tu parles comme un vieux.

Il ne vivait pas encore avec Clotilde. Il ne l’avait rencontrée qu’un an plus tard. Ce n’était  pas une liaison. Comme beaucoup d’autres hommes sans doute, et peut être de femmes, il avait une mémoire bien compartimentée. Celle qui permet de vivre sans regarder derrière soi.

Clotilde, il l’avait rencontrée à l’Archiduc, un bar à la mode, où se pressaient les amateurs de musique de jazz. A partir de onze heures du soir, il était impossible d’y circuler. Pour se déplacer, il fallait se creuser un chemin parmi les consommateurs collés les uns aux autres en s’excusant pour la forme et en levant son verre au dessus de la tête. Autant de balises liquides qui indiquaient que quelqu’un, homme ou femme, se trouvait en dessous. Face à face, corps contre corps. Ce soir là c’était Clotilde et lui.

- Je vous offre un verre ?

- Si nous parvenons au comptoir, avec plaisir.

Quelques heures plus tard, ce fut Clotilde qui demanda :

- On va chez toi ou chez moi ?

Clotilde était divorcée. Elles sont nombreuses les femmes divorcées. Il arrive que les maris se séparent de leur épouse durant leur mariage sans qu’elles en soient averties. Lorsqu’elles le sont, à moins d’un arrangement de convenance, le couple divorce pour de vrai. Parfois, il le regrette.

Clotilde et son mari n’étaient mariés que depuis deux ans lorsqu’elle avait appris qu’il la trompait avec sa secrétaire. Il avait dit :

- Ce n’est pas ma faute. Je pensais bien que je lui plaisais, je le lui avais répété : ne vous penchez pas comme ça lorsque vous êtes derrière mon dos pour lire un rapport en même temps que moi. Tu sais la poitrine qu’elle a, elle la met pratiquement sous mon nez, le corsage entr’ouvert.

C’était un homme fat et suffisant. Il semblait jouir en se confessant, avait dit Clotilde.

- C’est un accident. Je ne suis qu’un homme, après tout.

Il avait juré qu’il quitterait sa secrétaire sur le champ, c’est Clotilde qu’il avait quittée.

Pierre et elle s’étaient revus les jours suivants. Elle avait demandé le premier jour :

- Tu veux revenir ce soir ?

Il ne savait pas ce qu’il devait répondre. Elle avait été ardente. Durant la nuit, il avait pensé à Béatrice qui lui avait appris à caresser le corps d’une femme. Il avait pensé à Julie aussi. Il avait pensé à la chambre qu’il occupait.

Elle avait fixé les règles.

- On couche mais on ne s’est rien promis.

Acheteuse de lingerie féminine pour une chaine de grands magasins, un tiers de son temps se déroulait à l’étranger. Elle achetait non seulement de ces parures qui excitent l’imagination des maris mais des culottes de coton, des combinaisons et autres sous-vêtements destinés à la majeure partie des femmes. Davantage de tailles X, XL et E.L que de S. et Médium. Les médecins le confirment d’ailleurs, si le bedon menace les messieurs, c’est sur les fesses que se porte d’abord l’embonpoint des femmes.

- Cela permet d’occuper les mains des messieurs lorsque la conversation commence à languir.

Sans s’être rendu compte du temps qui passait, Pierre et elle vivaient pratiquement ensemble depuis trois ans. Parfois, lorsqu’il se taisait, elle craignait qu’il ne s’ennuie. Le temps des confidences à cœur ouvert n’était pas encore venu. Quand les gens voyagent, ils veulent se créer des souvenirs qu’ils évoqueront plus tard. Les voyages, c’est la matière première des conversations à venir.

Il y avait à Milan, deux fois par an, une foire de la lingerie.

-Tu connais Milan ? Tu connais l’Italie ?

- Non.

- Je t’invite.

L’hôtel de la Place, à proximité de la Cathédrale et des rues étroites où se trouvent les bars à filles, était un hôtel de grand luxe. Au sous sol, un bar permettait d’y passer la soirée en écoutant un pianiste. C’était un hôtel très cher. Clotilde s’en moquait. Elle disait :

- Ils ne me payent pas pour mes beaux yeux mais pour l’argent que je leur rapporte. Je veux bien travailler comme un nègre mais je veux vivre comme un prince.

Ils formaient, croyait-elle, une sorte de ménage incertain mais installé. Elle avait été séduite par ce garçon un peu plus jeune qu’elle qui ne demandait qu’à apprendre ces gestes que beaucoup de jeunes gens prétendaient connaitre de façon innée mais dont ils usaient maladroitement face à des jeunes femmes prêtes à toutes les découvertes.

Aux gestes mécaniques de l’amour, elle donnait un rythme qui les rendait différents en fonction d’une dramaturgie imperceptible qui variait selon l’heure ou les endroits. Clotilde faisait l’amour comme un violoniste se sert de son violon. Sans abandon véritable mais soucieuse du plaisir partagé. Elle préservait sa liberté en n’appartenant à personne.

- Le jour où moi ou toi, on a envie d’être seul, il suffit de le dire.

C’était sa façon à elle, sans blesser son partenaire, de dire qu’ils n’étaient pas unis pour la vie. Ou que de temps à autre, une rencontre inattendue pouvait se produire sans qu’il s’agisse d’une rupture définitive. C’est ce qu’elle appelait : être de bons amis. Il faut bien le reconnaitre, il est souvent plus ardu de rompre que d’être amoureux.

 

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administrateur théâtres

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                     "Les géants de la montagne", texte de Pirandello

                                      "The stuff dreams are made of"

 

Préparez-vous  au  lâcher-prise car l'histoire n'en est pas vraiment une et on pénètre avec ce spectacle poétique  dans le monde de l’occulte et de la folie. Cartésiens, abstenez-vous !  Mais au bout de la construction Pirandelesque inachevée, on aura compris l'essentiel. Le credo de Pirandello  proclame  qu'une société sans les Arts deviendrait une chose monstrueuse, dirigée par des géants gloutons et dévoreurs. Pirandello affirme la puissance de l'imaginaire qui anime l'homme et le définit. Sans l'imaginaire, le rêve, l'homme trahit sa nature profonde  et devient un géant grotesque.  

Ilse, comtesse et comédienne, est dans un trouble profond. Sa troupe a été huée, le public a rejeté "La Fable du fils changé", le texte du poète. Le poète s'est suicidé car elle a rejeté son amour pour poursuivre son art de comédienne. Les comédiens décimés parcourent les routes et arrivent sur le flanc de la montagne où ils sont recueillis dans la Villa par le magicien Cotrone entouré d’êtres fantasmagoriques surprenants. Celui-ci déploie devant leurs yeux interdits, les merveilles de son monde magique où l'imagination crée tout. De toutes parts fusent des bribes d'explications à propos du rêve, de la poésie, des cauchemars, de l'esprit versus la matérialité du monde réel.                                                                                             

  
Ilse pour sa part,  tient à représenter en public La Fable du fils changé en hommage au poète disparu ou presque, car le revoilà, fruit de l’imagination, tenant sa corde à la main ! La preuve, non ? Il suffit d'imaginer.  Ils donneront la représentation lors d'une noce, chez les Géants invisibles. Cette pièce  est pathétique ressemble à un authentique cauchemar et se termine par la mise à mort de la Poésie. En ce, entendez : tous les Arts. Puisque vous en supprimez un, et les autres s’évanouissent également  étant tous faits de l’étoffe des rêves. Supprimez le rêve et vous tombez dans la brutalité.

Dans une sorte de transe inoubliable dictée par la peur, Ilse (une éblouissante Hélène Theunissen) voit les dernières paroles de son plaidoyer déchirant pour la survie de la Poésie, tranchées par le  couperet infernal du sombre rideau de fer qui sépare le théâtre de la vie. Le monde d'Edgar Poe.


Mais qui sont ces géants? Générateurs de peur, ils n'apparaissent jamais dans la pièce mais sont une menace perpétuelle. Ils représentent toutes nos dérives mortifères, les nôtres et celles de l'histoire de l'humanité.  Ils représentent notre monde  du matérialisme pur et dur,  le monde du « vrai », du fonctionnel, de l’utile et de la grande mécanique. Ce réel palpable et surtout monnayable à l’envi,   sera  omniprésent dans « Le meilleur des mondes »  de Huxley où  seront proscrits les Arts et la Religion. Et si ces géants n'étaient que les ombres du mythe de la caverne? Et si le Magicien et ses acolytes étaient vrais eux? Habillés de couleurs et de lumière? Et si devant nous, nous avions une troupe de comédiens tous plus fabuleux les uns que les autres qui donnent corps à leur rêves et leurs émotions ? Sous la baguette mystérieuse du Magicien, le maître d'œuvre, le créateur, l'Artiste. Un être frêle et menu, débordant de faconde.

 C'est Jaoued Deggouj, l'artiste qui joue ce rôle de soixantenaire ou plus, à la manière d'un jeune premier. Souple et plein d'entrain il dégage face à la tragique comtesse (Helène Theunissen)  une énergie extraordinaire. Tous deux et leurs compagnons font de ce spectacle pas toujours très accessible, une prestation théâtrale baroque et étonnante de brio!  La mise en scène de Danièle Scahaise oscille entre l'onirique, le burlesque, le maléfique et l'angélisme. Les comédiens de l'affiche de rêve de Théâtre en liberté jouent haut et sans filets, émergeant de  trappes et disparaissant tout à coup  par des portes dérobées dans le miroir noir de l'histoire. L'émotion est grande devant la  fragile  et généreuse résistance de la troupe  complice et son immense investissement théâtral. On entend le pas lourd  de l'ombre des géants à travers lequel  s'égrène le texte, avec ses zones d'ombre et ses éclairs de lucidité folle, qui nous préviennent contre  la montée du géantisme !

Mise en scène : Daniel Scahaise Avec Maxime Anselin, Barbara Borguet, Toni D’Antonio, Isabelle De Beir, Gauthier de Fauconval, Jaoued Deggouj, Daniel Dejean, Dolorès Delahaut, Karen De Paduwa, Christophe Destexhe, Bernard Gahide, Stéphane Ledune, Julie Lenain, Bernard Marbaix, Laure Renaud Goud, Sylvie Perederejew,  Hélène Theunissen

Du 6 février 2014 au 15 mars 2014 au Théâtre de la place des Martyrs

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12272992894?profile=originalProméthée est l'une des plus puissantes figures nées de la légende et dont la littérature et les différents arts n'ont cessé de s'inspirer depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours. A l'origine, divinité du feu, les poètes et les conteurs lui ont peu à peu conféré maintes attributions et un sens philosophique et moral: il en est venu à symboliser l'esprit humain aspirant à la connaissance et à la vertu.

C'est dans le "Prométhée enchaîné" d'Eschyle que le mythe s'offre avec le plus de grandeur et de vérité. C'est à la fois la plus facile et la plus difficile des tragédies d'Eschyle (525-456 av JC): la plus facile quant à l'interprétation littérale, la plus difficile quant à l'interprétation critique. Elle fit partie d'une trilogie dont nous savons exactement l'ordre de composition; ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que le "Prométhée délivré" suivait le "Prométhée enchaîné". Quant à savoir si le "Prométhée porteur de feu" ouvrait ou terminait cette trilogie, l'une et l'autre hypothèse sont également valables. La date à laquelle Eschyle l'écrivit est de même inconnue, mais il est permis d'en situer la composition entre celle des "Perses" et celle des "Sept contre Thèbes". Les personnages en sont tous des divinités: Kratos, Bias (rôle muet), Héphaïstos, Prométhée, le Choeur des Océanides, Océan, Io (fille d' Inachos), Hermès.

La scène se passe dans une région désertique de la Scythie, sur les flancs d'une montagne, non loin de la mer. Nous sommes aux premiers temps du règne de Zeus qui, aidé de Prométhée, a renversé depuis peu la tyrannie de Cronos et des Titans. Prométhée, coupable d'avoir ravi le feu céleste et d'en avoir enseigné l'usage aux mortels, est conduit en ces lieux par Kratos et Bias, les deux principaux serviteurs d'Héphaïstos, qui est lui-même aux ordres de Zeus. Tandis qu'on l'enchaîne, Prométhée se tait; mais sitôt il commence son long et célèbre monologue: "Ether divin, vents à l'aile rapide, eaux des fleuves, sourire innombrable des vagues marines, Terre, mère des êtres, et toi, Soleil... je vous invoque ici". Du fond de la mer, les Océanides ont entendu sa plainte et les voilà qui surviennent. Prométhée leur fait le récit de ses fautes et reconnaît avoir révélé aux hommes les bienfaits du feu. Océan paraît à son tour. Il conseille au Titan de se montrer moins fier de cet exploit, de faire preuve d'humilité et de repentir; à cette seule condition, il lui viendra en aide. Prométhée ironise et le repousse, ainsi que ses conseils, puis continue à raconter aux Océanides les nombreux services qu'il a rendus à la race infortunée des mortels. "Ne va pas, Prométhée, pour obliger les hommes, jusqu'à dédaigner ton propre malheur". Un jour viendra aussi où Zeus devra céder au destin, répond fièrement le Titan et, le plus mystérieusement du monde, il fait allusion à un terrible secret qui sera l'arme de sa délivrance. A cet instant même, une jeune fille, dont le front est orné de deux petites cornes, entre en scène en courant, affolée: c'est Oi (la lointaine aïeule d' Héraklès, le futur libérateur de Prométhée). Condamnée à parcourir la terre, elle est inlassablement poursuivie et piquée par un taon: telle est la vengeance de la jalouse Héra qui a connu sa liaison avec Zeus. Si Io se trouve en ces lieux, c'est par hasard; elle ignore devant quel captif elle se trouve et s'étonne fort en apprenant son nom. Comme elle se lamente et pleure sur elle-même, Prométhée lui annonce que le règne de Zeus prendra fin quand, lui, sera libéré: ce mystère lui a été révélé un jour par Thémis, sa mère. "Mais qui serait capable de te délier en dépit de Zeus?" demande Io. -"Un de tes descendants..., trois générations après le petit-fils d'Io à la douzième génération). Ainsi le voile du destin s'entrouvera-t-il légèrement; le drame approche de sa conclusion: Zeus envoie Hermès auprès du Titan pour qu'il révèle le secret qu'il prétend si orgeuilleusement détenir; mais, tandis que Prométhée refuse, voici qu'un cataclysme boulverse le ciel et la terre, et que le rocher auquel Prométhée est enchaîné se fend: on voit disparaître le prisonnier dans l'abîme. Nous le retrouverons sur le Caucase dans la tragédie suivante; c'est là qu'il fera connaître son secret et qu'Héraklès brisera ses liens. Plus que toutes les autres pièces d'Eschyle, le "Prométhée enchaîné" connut une vogue immense, il y a un demi-siècle environ dans les cénacles à tendances révolutionnaires dressés contre toute autorité établie (en particulier l' autorité religieuse). Inutile de dire que, de toutes les façons d'interpréter le drame, celle-ci, pour opposée qu'elle puisse être à la pensée d'Eschyle en général et au sens de son Prométhée en particulier, n'en est pas moins valable, prouvant aussi combien le mythe de Prométhée est fécond et bien propre à exalter l'imagination.

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administrateur théâtres

En ce moment, au Centre Culturel d'Auderghem, la très  joyeuse troupe de "l'Opéra en fête" From Paris, of course!

Un spectacle musical de Raphaëlle FARMAN & Jacques GAY

Mise en scène : Raphaëlle FARMAN et Jacques GAY

Avec Raphaëlle FARMAN,

Frédérique VARDA, Jacques GAY, Franck CASSARD, Fabrice COCCITTO

Un Karaoke bien tempéré

On adore les surprises, surtout quand elles vous prennent si gentiment par le  cœur. Voici un spectacle totalement inédit, une brillante fantaisie musicale  née aux Deux Ânes à Paris qui se polit comme un galet parfait depuis bientôt trois ans  devant  une foule de bienheureux spectateurs qui ne se seront jamais autant amusés. Le monde appartient à ceux qui se couchent … tard et vous ne pourrez pas résister à aller bavarder avec les commis de « l’Opéra en fête » (c’est le nom de la troupe) accueillis par des chaleureux applaudissements au bar, après le spectacle.   Le cocktail est particulier et explosif : les plus timides donnent de la voix et les habitués des concerts de Patrick Bruel voudraient sortir leur briquet…

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 L’histoire racontée est celle du Sieur et Dame Dugosier de la Glotte et leur cher fils (qui ne s’appelle pas Tanguy). Ils revisitent avec émotion  l’histoire familiale depuis le temps des cavernes jusqu’à nos jours. Contant heurs et malheurs dignes de la succulence  des livres de Goscinny, le  fil conducteur suit des pépites chansonnières les plus drôles et les plus inattendues. Le pastiche amène des bouffées incontrôlables de rire et vous-même finissez par suivre les traces du chansonnier. Digne des grandes scènes d’opéra ce spectacle lyrique cause  une franche admiration, et la comédie porte haut la  jouissance du mot bien dit. La cadence bien tempérée permet de jouir de chaque minute comme si on respirait profondément les parfums de la musique. L’écriture enlevée du spectacle où règne le bel esprit  fourmille d’allusions très  plaisantes, tout comme  la mise en scène d’ailleurs, signée par les auteurs du spectacle, Raphaëlle Farman et Jacques Gay.

En filigrane vous y verrez l’évolution des mœurs, le rapport homme-femme, les rapports de force dans la société, de la Carmagnole au Temps des cerises…  et bien sûr  mille et une broderies sur l’amour (…et l’argent). A chaque époque - prononcez "magnifailleque" - les voix magnifiques  des quatre comédiens chanteurs entonnent les tubes mythiques de l’opéra. Fermez les yeux, vous y êtes. La passion, la puissance, les vibratos, les legatos enchanteurs, les couleurs, le miel et le cuivré de la voix, tout y est, que ce soit  chez la Duchesse de Gerolstein, à la Péricole, au Pays du sourire, à la Vie parisienne… Mais vous vibrerez bientôt vous-même, de la tête aux pieds, en osant poser vos propres trémolos sur  les Carmina Burana, le Choeur des esclaves  de Nabucco ou Plaisir d’amour.  Sans compter le scintillement ininterrompu d’anachronismes savoureux qui passe en revue des musts de la chanson française (ou presque).                                                                                                                                                                                            Fabrice Coccitto, le malicieux pianiste comédien est  d’ailleurs extraordinaire et s’emploie à créer les atmosphères comme ces Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau joués dans une lumière tamisée. Pendant qu’il joue devant des spectateurs subjugués, c’est un ballet de changement de costume accéléré qui se passe en coulisse, et puis sur scène débarquent la splendide diction de Raphaëlle Farman (soprano), digne de la Comédie française, le bagou tinté de Belmondisme de Jacques Gay (baryton), les duo de domestiques délicieux et farceurs (Frédérique Varda et Frank Cassard), la chorégraphie d’une esthétique de grands maîtres ou de grands surréalistes, à vous de choisir. Après tout, on est à Bruxelles, n’est-il pas! Qu’il est donc  doux de se laisser enchanter par tant de qualité vocale!  Et on les adore, ces Brigands du théâtre et du chant lyrique!

http://www.cc-auderghem.be/index.php/component/redevent/details/206.html

 

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Le retour du Golem

 

Je me souviens du film dans lequel jouait Harry Baur. C’était en 1932, j’avais quatre ans. Depuis j’ai appris que ce n’était pas Harry Baur qui tenait le rôle du Golem, ce monstre né de l’argile pour défendre le peuple juif.

Harry Baur, je l’ai revu 10 ans plus tard. En juin 1942, à la gare de Lyon à Paris. Il m’a regardé avec une intensité presque physique. J’ignore ce qu’ont pu se dire au travers de leur regard cet homme désespéré et l’enfant qui le matin même avait fui son pays. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je serais comédien.

Il était retenu par le bras par deux hommes en manteaux de cuir, le chapeau droit sur la tête, des agents de la Gestapo qui l’entraînaient alors qu’il continuait de fixer le jeune garçon fasciné que j’étais.

-Viens. Viens vite.

C’était mon père.

Le temps a passé. Et voici que le vent de la haine se lève à nouveau.

- Il faut réveiller le Golem. De la terre dans laquelle on enterre les morts, avec la même glaise un nouveau Golem sera crée. Il sauvera le peuple juif aujourd’hui comme il l’a sauvé dans le passé.

Mon ami Michel aimait les formules amphigouriques.

Moi j’éprouvais une étrange sensation. Une nuit,  après le théâtre, j’avais dîné comme je le faisais souvent dans une brasserie proche, j’avais bu du vin, un peu trop peut-être, j’ai su que c’est moi qui avais été désigné. Je ne me suis endormi que très tard.

Je venais d’avoir 64 ans, je ne montais plus sur la scène que pour montrer à d’autres comment je voulais qu’ils s’expriment. Je leur montrais l’attitude du corps, le geste, et les traits du visage. Et la voix, surtout la voix, le rythme de la voix. Cette façon de dire qui n’est pas celle qu’on utilise dans la vie réelle.

La phrase et la ponctuation qui est la respiration du texte, plus que l’action, est le moteur de la pièce.

Tout le monde prononce les mêmes mots. Tous les auteurs racontent la même histoire sans cesse recommencée que La Bible, en premier, a  racontée. Mais la phrase de l’un n’est pas celle d’un autre. Ne serait-ce que la virgule dans le corps d’une phrase, et la pièce se termine en chef d’œuvre ou en four.

Le Golem auquel je pensais n’était pas un personnage de théâtre. C’était un personnage réel qui avait l’apparence d’un personnage de théâtre. Il serait double. Ne verraient son visage que ceux qui subiraient sa loi. Ils ne le verraient qu’une seule fois. A la dernière seconde de leur vie.

Son rôle serait d’être le poing du peuple juif. Vivre ou périr, c’est la loi de la vie.

Comme au théâtre cependant, le Golem renaîtrait chaque soir jusqu’à ce qu’il soit rendu à la glaise parce que la paix aura été rendue aux hommes de bonne volonté.

Le lendemain, j’en ai parlé à Cécile. Cécile avait été ma femme durant 20 ans, nous étions séparés depuis 10. Peut être que nous nous remarierons dans 10 ans, il y a des couples qui fonctionnent par cycles.

Je ne me souviens plus du motif de notre séparation. En revanche, je me souviens de plus en plus souvent de ce qui m’avait plu en elle au point que j’aurais été prêt à n’importe quoi pour l’épouser et la mettre dans mon lit. On appelle ça la passion. Je me demande à quoi on pense quand on parle de la passion du Christ. Je ne me moque pas. La mort devrait être l’aboutissement de chaque passion. C’est trop dur, après.

Cécile écrivait les pièces que je montais, j’étais trop exalté pour écrire. Ma main était incapable de suivre ma pensée. Cécile, au travers de l’incohérence de ma pensée, en saisissait la trame, la mettait en forme, et le texte s’exprimait sans qu’on dut en changer un seul mot.

Au début de notre mariage je lui faisais souvent l’amour après qu’elle ait écrit. Quelle que soit l’heure.  Habillés ou non. Dans la fièvre. J’y mettais la rage qu’on éprouve lorsqu’on se venge. Et j’avais le sentiment que l’auteur de la pièce, c’était moi.

- Jamais, je n’ai joui aussi fort.

 Ces jours-là, à table, elle me regardait manger et veillait à ce que mon verre ne fut jamais vide.

Il m’arrivait de la tromper parce que je voulais me détacher d’elle. Mais aucune autre ne m’étreignait le ventre comme la silhouette de Cécile lorsqu’elle me tournait le dos.

Je lui ai parlé du Golem.

- Le personnage, soit. Mais comment frappe-t-il ces crapules sans se faire prendre tout en se désignant ? Je ne vois pas la scène.

- Gorki, tu te souviens ? Brecht, les mendiants professionnels ? Hugo, Shakespeare, et d’autres. La lie de la société donne une représentation d’elle-même qu’aucune autre catégorie humaine n’est à même d’égaler. Et que faisons-nous tous les soirs sinon montrer ce que nous sommes ?

- Peux être que tu as raison. Tu le sais, je crains les bons sentiments au théâtre. Ils sont fort applaudis, et la pièce est vite oubliée.

Deux jours plus tard, la presse relatait que dans une banlieue de la capitale, on avait trouvé les corps étranglés de deux caïds suspectés d’avoir détruit des stèles juives, et d’avoir battu un rabbin, presqu’à mort, à proximité de sa synagogue.

On ignorait qui en était l’auteur. Même dans le quartier, personne n’avait eu envie d’en parler. Un policier, pour la forme probablement, avait noté sur un procès-verbal qu’un vieillard qui avait l’habitude de regarder la rue du haut de sa fenêtre du sixième étage, avait vu, lui semblait-il, un homme trapu, les bras ballants, marcher comme un automate.

Le policier avait écrit que la description était confuse, le vieillard était à moitié saoul, l’heure était imprécise. En tout cas, il ne ressemblait à personne de connu dans le quartier. Il n’avait pas ajouté que ça faisait deux crapules de moins.

Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, j’avais dormi jusqu’à dix heures du matin. Puis, j’ai cherché sur internet des photos d’Harry Baur. Je pensais que ça aiderait Cécile à peindre son personnage.

Lorsqu’il est mort, il était âgé de soixante trois ans. J’en avais soixante quatre, je sentais son personnage davantage que je n’en avais jamais senti d’autres que j’avais incarnés. Mais c’est vrai qu’un comédien dit toujours la même chose lorsque, pour la première fois, un personnage prend possession de lui.

Je voulais être le Golem, je voulais être Harry Baur. Je voulais dominer ce public qu’on devine sans le voir. Ah, la jouissance que je ressentais lorsque je jouais. Cette rumeur qui monte de la salle est faite, malgré le silence de chacun d’entre eux, de la respiration de tous les spectateurs. Certains soirs, cette rumeur me faisait frissonner. Je sortais de scène vidé mais heureux. J’avais bien joué, je le savais.

Je m’étais exalté devant Cécile qui griffonnait sur un carnet. Parfois elle ne traçait qu’un trait, ou la forme d’un visage qu’elle noircissait ensuite, ou mettait quelques mots qu’elle seule et Dieu étaient à même de relire, je lui en avais souvent fait la remarque.

Cécile avait un compagnon, et elle en changeait souvent. C’était la cause de son indifférence à mon égard. Elles sont nombreuses, les femmes qui raisonnent avec leur ventre. Un jour, elle se trainerait à mes pieds pour que je consente à lui faire l’amour à nouveau.

- Tu vois ce que je veux dire ?

C’était le lendemain du jour où la police avait découvert dans une décharge un cadavre enroulé d’un drap marqué d’une croix gammée. Là encore, il n’y avait eu chez une fille qui se promenait la nuit qu’une description confuse. La silhouette d’un homme trapu qui marchait lentement, les bras ballants.

- On aurait dit : un robot.

Il s’agissait du Golem, je le savais. Le temps d’aujourd’hui et celui du passé pouvaient être le même.

Cécile avait revêtu ce qu’elle appelait son bleu de travail. Un cache-poussière gris de deux tailles plus ample que nécessaire. Au début, c’était une façon de manifester qu’écrire était un travail d’artisan. Ecrire chaque jour, ne serait-ce qu’une page, quelques lignes même. Mais tous les jours. Comme l’ouvrier qui se rend chaque jour devant son établi.

C’était devenu un rite. Lorsque nous étions de jeunes mariés, son tablier était blanc et serré, pareil à celui des infirmières qui le portent à même le corps.

- J’ai le sentiment que tu es en train de monter deux pièces dans la pièce. Je ne vois pas encore l’articulation qui les relierait. C’est toi auparavant qui exigeait des auteurs de s’en tenir à l’unité d’action, qu’elle soit apparente ou non.

- Je t’ai dit que tu étais belle ?

- Rentre chez toi, Pierre. Et réfléchis à ce que je t’ai dit.

Je suis rentré chez moi. Ce studio que je baptisais avec un sourire de dérision de garçonnière parce que des filles, avant de se mettre au lit, disaient :

- C’est gentil, chez toi.

Et pourquoi pas deux pièces jouées simultanément ? Sur la même scène. Avec les mêmes comédiens. Chaque spectateur verrait la pièce qu’il veut voir.

La première scène se passerait en Tchécoslovaquie dans la cave du rabbin qui avait modelé le Golem. Je ferais le rabbin. Puis, je ferais le Golem recrée.

Le décor était encore flou. Quant aux comédiens, je pensais à l’un d’entre eux en particulier, un certain Thierry que le théâtre saoulait, l’un porterait une veste d’officier nazi et un autre un long manteau de cuir. A notre époque. Dès lors la tragédie irait de soi.

Cécile paraissait incrédule. Moi, j’usais d’une certaine emphase pour donner plus de poids à l’histoire que je lui déclamais. J’avais retrouvé l’énergie de mes débuts, quand je subjuguais les filles qui ne savaient plus qui elles désiraient, l’homme ou le comédien. Etre visible, quel puissant aphrodisiaque ! Je me sentais investi.

Un soir, nous avions travaillé assez tard, je lui ai dis que je n’avais pas envie de rentrer chez moi.

- Je suppose que ça ne t’ennuies pas que je passe la nuit ici ?

- Dans mon lit ? Il ne faut pas, Pierre. Nous allons gâcher quelque chose.

Elle me poussa vers la porte. Dehors, je me suis dis que j’avais eu tort de ne pas insister. J’aurais du la brusquer. Elle avait hésité. Les femmes aiment les vainqueurs.

Un mois plus tard, la pièce était écrite, les rôles distribués, et le jour de la générale était fixé. Mais Cécile était éloignée de moi tout autant que la première fois que je lui avais parlé du Golem. Alors que moi, étrange phénomène, j’étais de plus en plus obsédé par l’envie de redécouvrir ce corps que je connaissais.

Je me souviens d’un temps où j’affirmais qu’à choisir entre un tableau de Rembrandt et la plus jolie des filles, s’il fallait que l’un ou l’autre disparaisse, être humain ou non, c’est la fille que je sacrifierais. Aujourd’hui, je sais que c’est faux.

La pièce serait un succès, je le sentais au travers de chacune des parcelles de mon corps. A nouveau, je serais l’homme qu’on admire, et Cécile me désirera à nouveau. Les faims de l’âme ou de l’esprit, c’est le corps qui les apaise.

A la fin de la dernière répétition, je l’avais prise à part.

- Demain soir, tu seras à moi à nouveau. Dans l’Antiquité, les vainqueurs avaient droit au triomphe. Tu seras mon triomphe à moi.

- Tu parles comme on parlait dans la porteuse de pain. Je croise les doigts pour toi.

Ce fut un four. Des spectateurs avaient quitté la salle discrètement. Les applaudissements de courtoisie retentissaient d’autant plus forts que l’acoustique de la salle faisait de chacun d’entre eux l’écho parfait de l’autre. Le battement d’ailes d’un seul papillon pouvait, parait-il, provoquer un séisme à l’autre bout de la planète. Du four d’aujourd’hui pouvait naitre le succès de demain. L’histoire du théâtre est pleine de ces métamorphoses. Peut-être. Mais que pensait ce seul et unique papillon qu’on écrase entre les doigts ? J’aurais voulu mourir.

Je suis sorti dans la rue. Je retenais à peine mes larmes. Cécile est sortie à son tour. Je suppose qu’elle me cherchait, elle est venue vers moi dès qu’elle m’a vue. Je n’ai pas pu les retenir. A quoi bon, d’ailleurs ! Les larmes coulaient sur mes joues.

Elle a entouré mes épaules. Elle s’est serrée contre moi.

- Ne pleure pas. Viens.

Nous avons passé la nuit chez elle. Les femmes aiment les combattants qui, le soir d’une bataille perdue, viennent chez elles, et y déposent leur armure.

 

 

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Soliloque sur mon présent

 

 

Quelques habitudes nouvelles,

Ne m'imposant aucun effort,

Me font éprouver du confort,

Or me sens dépendantes d'elles.

Le temps n'a plus à me presser.

Je pense quand je repose,

Souvent durant de longues pauses.

Il m'est doux de me prélasser.

Pour rendre utile ma paresse,

J'emprisonne certains émois,

En des vers, en couleurs parfois.

Je crée toujours dans la tendresse.

Me prend l'envie de partager,

De communiquer ma liesse,

Elle amoindrira la tristesse,

Un ennui venu déranger.

Certes, je m'intéresse à moi,

Tout autant qu'avant et pour cause.

Je redoute la pire chose,

L'irréductible désarroi.

Dans ma routine quotidienne,

Et mes nouvelles habitudes,

Je conserve mes certitudes

La raison reste ma gardienne.

17 février 2014

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voici un poème extrait de mon recueil de poésie classique , protégé par les droits d'auteur , il est publié par les éditions de l' onde : L'hébétude d'un souffle ( véronique benzazon)


L'aube fraîchit.
Le ciel gris me contraint de flâner ma paresse,
car le vent viscéral a tissé sa caresse,
me révélant une détresse.

L'aube fraîchit happée à ce beau magicien,
dont je flairai l' empyreume par une étresse
qui soulevait sa pleine ardeur pour sa prêtresse,
parmi la limbe d'une ivresse,
où se mouvait languissant un grand batracien.

L'augure a deviné fleurant le musicien,
qu'il répandit, son intuitif ancien
timbre,en ce pays laurentien.

J'avais perçu l'inflexion d'une allégresse,
qui fit germer le vibrement aérien,
dans la charmoie assoupie au suc velvétien.
Frémissante envers ce païen,
je tressaillis bouleversée à son adresse.

Poètesse IRIS
véronique benzazon

le lien pour vous procurez mon recueil de poésie classique :
http://www.decitre.fr/livres/l-hebetude-d-un-souffle-9782916929767.html

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 Quelques extraits de " La Patine du Temps...."

Heureux sommes-nous de vouloir encore avancer dans la grâce et le privilège de l'âge ! Quand nos pas plus lents, nos gestes moins subtils auront pris place dans nos vies, le temps aura perdu la page de notre mémoire... mais, nous aurons marqué d'un onglet le chapitre de nos plus beaux souvenirs !

Il fut long ce chemin ! Nous avons trouvé les clés de notre devenir et avons lâché prise de ce qui n'était plus - le passé devait rester au passé - cette frange de clarté nous permit de vivre enfin dans la lumière !

L'amour vrai est une fleur de privilège dans le champ mille fois labouré des années, mais le temps n'est rien, pour toi, pour moi, si l'on vieillit ensemble...

Le temps nous berçait comme au temps des fêtes foraines et si nous n'avions plus l'âge de tournoyer au manège des chaînes, en cette nuit balafrée de mille feux d'artifice, nous nous sentions jeunes et beaux... Toi, le veston noir trop étroit, le noeud de satin louvoyant sur son lien et moi, en robe à danser, un peu étriquée, aux paillettes ternies... cela avait-il de l'importance ? Nous fêtions à cloche-cendrillon notre lointaine jeunesse ! Puis, nous sommes partis sur la pointe des pieds, nous tenant par la main, chantonnant des airs d'autrefois, nous réchauffant aux lumignons de la tendresse,en écoutant le silence précieux de l'éternité. Ce temps nous appartenait !

Quand la jeunesse déchirait avidement la mesure du temps, savions-nous alors, qu'un jour l'on ravauderait chaque usure, chaque ourlet décousu, avec une infinie patience, mouillant nos doigts pour enfiler l'aiguille des secondes et... pour garder un peu d'éclat à nos habits d'amour ?

Quand le coeur se dévoile, s'ouvrant comme un bon pain redondant découvrant sa mie, cette manne céleste nourrissant notre faim... le temps s'amenuise et cache sous la nappe des miettes de vie, mais c'est par le ferment de nos tendres souvenirs que s'est levée la pâte, c'est par nos mains que nous avons pétri nos sentiments nouveaux... Et lorsque nous rompons cette croûte solide, c'est en remerciant le ciel de nous avoir donné le bonheur quotidien, à la table de l'amour !     

Les années se fermeront comme un livre précieux et sacré, laissant en nos coeurs une rose séchée, à la plus belle page de la vie !  Le sablier devient plus étroit chaque jour, mais forts de nos sentiments, nous avons eu mille fois raison d'aimer plus largement encore et d'avoir laissé s'exprimer le félibre de l'amour...

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