Le jour se lève, un rayon de lumière frappe à ma vitre. Enfermé, je suis là et j’attends. Depuis que je suis né, cette bulle me garde prisonnier. D’un grand espace, je suis passé à un plus petit pour finir ici. La vue est imprenable, je suis en hauteur et je vois tout.
Enfin du bruit, la maison s’éveille doucement et ils arrivent chacun à leur tour. La dame, qui entre en premier, n’est plus toute jeune, elle baille et met le café en route. Ce bruit de cafetière me faisait peur quand je suis arrivé.
Une agréable odeur se repend dans la pièce. Elle prépare la table comme chaque matin, des bols, du pain, du beurre, de la confiture. Ils ne sont pas riches diront certains mais pas pauvres non plus.
L’homme arrive à son tour, ensommeillé et le visage fermé. A peine un bonjour, un petit geste sans tendresse. Assis il regarde sans voir, boit son café et allume une cigarette. Encore cette maudite cigarette qui empeste la maison. Assisse à son tour, elle le regarde et se dit qu’elle n’a pas eu de chance.
De ma hauteur, je vois la scène et avec un certain détachement, je pense que ces deux là auraient dû se quitter depuis longtemps, ne pas rester ensemble. La dame, perdue dans ses pensées, s’évade comme chaque jour, à toute vitesse vers ce rêve qui aurait pu être sa vie.
Moi, je tourne, je tourne. J’ai faim et je me débats pour attirer son attention. Elle vient de se rappeler que j’existe et d’un geste amical, me verse ma nourriture.
Les enfants sont partis depuis qq années, ils font leur vie. Le fils a fait de bonnes études et réussira. Sa sœur est infirmière, elle aime son métier. Un vieux rêve de jeunesse arrivé à son terme. Ils se sont installés à qq km de la maison et viennent régulièrement. Les fêtes de famille sont joyeuses et gardent l’ambiance des années passées, le temps de la jeunesse, du bonheur, de l’insouciance. Tous réunis, la vie reprend son cour et anime la vie du couple.
J’aime cette agitation, ces bruits familiers, le regard de la petite infirmière, ma préférée qui vient me voir et me taquine.
Dés le départ des enfants, le silence retombe sur cette maison comme une chape. La tristesse, le chagrin sont bien réels. Le bonheur, rebelle, ne dure pas. Les visages reprennent une expression amère et les habitudes se réinstallent instantanément.
Tout se pose et se tait.
Moi, je les regarde se perdre dans le temps, oublier que la vie leur a donné de bons moments. Je les vois s’éteindre jour après jour dans cette existence, dans cette vieillesse qui les mine et ne leur apporte que de la peine.
Avant de continuer à vieillir, avant que tout s’arrête, elle aurait adoré aimer encore. Aimer comme au premier jour, avoir le cœur qui s’emballe et le sang aux joues. Dans sa tête, elle est toujours jeune et belle. Elle a bien essayé mais ca n’a pas marché. Il ne lui reste que ses pauvres rêves, ses souvenirs défraîchis.
Lui fatigué, le journal sur les genoux, la télé allumée, dort. La vie lui a ôté ses illusions et le travail l’a usé trop tôt. Il a perdu cette gaieté qui la faisait tant rire. Parfois, elle le regarde avec tendresse quand il ne la voit pas. Que s‘est-il passé pour en arriver là ?
Les soirées sont lasses, monotones et les jours passent sans fin.
Je suis là qui tourne dans mon bocal. Parfois je rêve aussi, je rêve d’un lac bleu comme le ciel, de petits cailloux roulés par le courant, du soleil traversant l’eau limpide et venant me caresser doucement.
Quitter cette uniformité, cette routine qui fait la tristesse, la grisaille de la vie. Leur crier de bouger, de remuer, d’essayer de vivre encore et encore. Que tout peut continuer, qu’il ne faut jamais baisser les bras. Que l’on peut vieillir sans être vieux et que si qq minutes suffissent pour faire un bonheur, ils doivent le prendre, l’attraper comme un cadeau de la vie.
ET moi, du fond de mon bocal, je suis la vie qui tourne en rond.
Commentaires
Chère Josette,
Que de questions en effet.
Non certes, la vie ne se résume pas à ce que nous vivons avec un compagnon, un mari, un amant. Sans un regard vers les autres, elle devient mortifère. Les enfants ....petits enfants, .... les amis, des activités de bénévolat, les sorties en groupe évitent bien des pièges d'enfermement et de repli.
Quand vient la décrépitude (maladies, sentiment de devenir inutile et j'en passe) le danger rôde.
J'ai écrit, il y a bien longtemps, plusieurs poèmes sur ce thème dont l'un commence ainsi :
La vieille dame de ma rue
Toute bossue, toute menue
Se sentant lasse et inutile
S'en est allée dans un asile ..... etc.
En fait, c'était l'histoire de ma vieille voisine. Un jour, en revenant du travail, j'ai été choquée par le spectacle décrit rapidement ci-après : tous ses meubles avaient été jetés sur le trottoir. Ne pouvant plus assumer, "on" l'avait tout bonnement "placée". Brr. Et cet élève qui m'avait dit un jour :"Madame, mon père n'aime pas les vieux. Il embête une vieille dame âgée de 80 ans qui habite notre immeuble" Toute affaire cessante et tant pis pour une inspection inattendue comme c'était le cas à l'époque, j'ai saisi l'occasion et entamé, à l'emporte pièce, une leçon sur le respect que nous devons envers "les vieux" tout en insistant sur le fait que c'était notre sort à tous. Que tous nous deviendrons vieux un jour.
Etant en contact étroit avec les pensionnaires d'une maison de retraite se trouvant près de chez mes parents, un autre poème intitulé "Les vieux" a jailli de la même source.
Heureux certes, ce qui n'empêche pas de se poser bien des questions. Car il est difficile de rester indifférents devant certaines situations dites "limite". Même à un âge dit "avancé".
Bonne journée à toi et écris-nous beaucoup de tes belles nouvelles qui font réfléchir.
Bisous. Rolande.
Chère Rolande.
Sommes-nous fait pour vivre en couple ? t la vie se résume-t-elle à ce que nous vivons avec un compagnon, un mari ou un amant ? Ne peut-on pas se sentir heureux malgré ce quotidien parfois triste que nous acceptons bon gré mal gré? N'avons-nous pas en soi autre chose de plus solide, de plus beau ? Que de questions n'est-ce pas ?
Bonne journée
Amitiés
Josette
Il faut bien du courage pour faire de chaque jour un moment exceptionnel. Certains arrivent à garder la ligne qu’ils se sont tracé jusque la fin de leur vie et on appelle cela « l’amour ». D’autres échouent lamentablement et parfois sans avoir essayé autre chose et d’autres encore recommencent sans fin pour trouver le bonheur.
Il n’y a pas de recettes. On fait ce que l’on peut et pas ce que l’on veut. La vie se charge de nous du début jusque la fin.
Amitiés Liliane
Josette
Merci Nada d'avoir reposté ton message.
Amitiés
Josette
Que la pensée créatrice vous apporte la sérénité et la paix d’esprit :))
Très beau texte qui, hélas, est le reflet d'une triste réalité.
Alors qu'il serait si formidable de retrouver les premiers élans des débuts ...Hélas, nous sommes trop souvent englués par notre propre finitude et nous devenons "des vies qui tournent en rond" .... en attendant la fin.
Des amis disparus nous ont dit un jour :"c'est triste de se détruire ainsi mutuellement". C'est étrange cette faculté que nous avons de creuser notre propre malheur. Et de foncer ainsi droit dans le mur de nos indifférences.
Le film "Le chat" avec Jean Gabin et Simone Signoret analysait très bien ce genre de rapport à l'autre et la triste fin d'une union usée par une trop longue cohabitation.
Cependant, il y a des couples qui perdurent et semblent s'aimer jusqu'à ce que la mort les sépare, suivant une formule éculée. Comment ont-ils fait ? C'est un secret qu'ils feraient bien de divulguer,malgré un parcours sans doute sinueux et plein de pièges à éviter....s'ils n'y sont pas tombés !
Car la vie est loin, très loin d'être un long fleuve tranquille. Oh que non !!
Nous pourrions très bien entamer un récit par ces mots "J'ai X années et je voudrais mourir".
Comme le dit Liliane : "trop fatigués pour changer de vie" ....Jusqu'à accepter d'être englués par le cours vicieux d'une relation devenue obsolète.
Josette, vous avez encore beaucoup à écrire et vous le faites avec talent.
Bonne soirée et merci à vous. Rolande
Ah Josette, nous en avons connu de pareilles situations...si bien décrite ici !
"L'ennui naît de l'uniformité" dit-on...
Parfois, certains seraient tués de peur de sortir de leur carcan ...
Parfois, certains le font et s'enivrent jusqu'à en mourir.
Parfois, la disparition d'un des deux permet à l'autre de revivre.
Parfois, trop fatigués pour changer de vie, après avoir lutté leur pour enfin accéder à ce qu'ils pensent être leur bonheur, ils s'abandonnent à la langueur morose des jours sans sel.
Et bien précisément. Si vous pouvez vous faire entendre de cette manière et faire partager-comme vous aimez le faire sur ce réseau- sur une plus grande échelle cela s'appelle écrire un livre ! Voilà le rendez-vous dont je parle !
Voilà un bel objectif, n'est-ce pas ? Claudine commentait "L'inconstant- que vous avez eu la gentillesse d'apprécier- par ces mots "Que vais-je faire ce matin ? " C'est bien la question que nous nous posons souvent !
Amitiés.
Gilbert. Ce texte ne vous laisse pas indifférent. Tous les qualificatifs sont bons. Les sentiments expriment ce que l’on ressent, souffrance, joie, curiosité, désarroi et font de nous des êtres humains dans un monde où il est difficile de se faire entendre.
Amicalement
Josette
C'est amusant, pathétique, grave, inattendu, émouvant, curieux, réaliste, irréaliste... et d'autres qualificatifs au détour des phrases. Robert l'a relu 3 fois, 76 personnes ont ouvert la page. Aller au fond des sentiments, comprendre la souffrance et savoir l'exprimer parce qu'on la connaît c'est une richesse et pour les autres toujours une curiosité. Pas une curiosité malsaine mais un réconfort de savoir que l'on n'est pas seul dans le désarroi. Creusez, Josette, vous avez des rendez-vous que vous ne soupçonnez pas !