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au fil de l'eau

.

roule roule ma rivière

abrase tous ces cailloux

aux arêtes déchirantes

escalade les rochers

en grands bonds éclaboussés

.

tu n'as que faire des crocs

ni des griffes qui t’arrachent

de petites escarbilles

que le vent cueille et emporte

pour les offrir au soleil

.

chante chante ma rivière

et sautille en clapotant

si transparente et si fraîche

.

oh raconte encor pour moi

cette montagne et ton rire

quand libérée du froid noir

tu as tout soudain jailli

du grand glacier ébloui

où tu sommeillais enfant

.

coule coule ma rivière

impatiente suis ta course

va te fondre dans la mer

.

je chemine à tes côtés

où mon ombre s’étirant

à ton rythme vagabonde

.

ah jamais quoi que tu fasses

tu ne pourras revenir

au lit blanc qui t'a vu naître

.

et comme toi je m'écoule

dans ton eau j’ai mis mes pas

et ma chanson dans ta voix

.

.

.

.

.

AU ... REVOIR ?

.

je suis partie à vau l'eau

comme s'en vont les nuages

sans pluie

sans bruit

sans sillage

une ombre flottant sur l'eau

.

à la nuit je suis partie

enroulée dans l'ombre dense

sans cris

sans pleurs

en silence

frôlée de chauves-souris

.

et dans le vide qui guette

depuis si longtemps mes pas

j'ai glissé

à hue

à dia

en boule

sans queue ni tête

et je n'en reviendrai pas

.

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hors-temps

..

.

nébuleuse de la fourmi !

.

.

entrer dans sa douleur

attendre seulement qu'il soit enfin plus tard

.
et tes mots ont dansé charriant des lumières
raccrochant des fils nus aux spirales de l'ombre
.
oui partir loin
très loin
avant l'âge de pierre
avant l'âge de feu
dans le chaos premier où tout reste possible
où le regard est neuf absorbant la beauté

.
avant l'âge des routes
avant l'âge des lois
quand seule l'innocence

nous fait nous reconnaître
courir dans les prairies ou sur les océans
danser dans les étoiles qui touchent à la terre

et sauter d'astre en astre enroulés de comètes

.
magnifique Scorpion mollement étiré
trois étoiles par trois
couché sur l'horizon
et trois par trois aussi
le baudrier d'Orion

et sa tête imprécise

.
ta bouche sur mes yeux...
mon coeur entre tes mains...

.
seulement remonter le temps jusqu'à la mer
redevenir écume inondée de lumière
et flotter près de toi pour quelques millénaires

.

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sa bouche béante


Encore une Flo me direz vous..

SDC10333

Une que je sens bien , naturelle avec son paquet de veines, artères et réseaux lymphatiques sous le bras, sous l'aisselle. Rien de grave encore, juste un débordement pictural en attendant le soir et la nuit qui suivra.

En dessous 2ème et dernier état

2 états de Flo et son réseau 80x60 acry et marouflage sur toile

SDC10336

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Piazza del Campo

Autre jeu:

Passer du corps et de ses courbes à l'authenticité des façades de la ville de Sienne.

Je ne dis pas que les courbes d'un corps ne sont pas authentiques.

Les courbes incitent à la générosité.. les courbes sont naturellement "Italiennes"


Piazza del Campo 80x60 acry et marouflage sur toile

Gegout©2010

piazza-del-campo

La piazza del Campo n'a pas besoin de courbes pour séduire.. je suis encore une semaine après notre retour sous l'emprise de cette place.

Cette place s'impose par sa force sans coquetterie.

Ici la beauté se situe au delà du joli..

Je garderai longtemps le choc avec cette rencontre, ce premier regard lorsque l'on tourne au coin d'une rue et on se retrouve nez à nez face à ces façades.

J'en frissonne encore..!


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Pas d'enfance sous la croix

Derrière une haie parfaitement tondue, suivie d’un verger de vieux pommiers, l’école apparaissait. Bâtisse massive et blanche, tout en rectangle, elle devait paraître bien plus impressionnante dans les yeux de l’enfant qu’elle ne l’était en réalité. Sur le côté droit, une haute grille en métal vert indiquait que l’endroit était vigilant. Derrière elle, un long couloir ouvert sur le ciel longeait trois classes successives d’où émanaient, par les fenêtres grandes ouvertes, des odeurs de craie mêlées à celles du cuir neuf. L’atmosphère semblait suspendue jusqu’au retour des vagues remplies d’enfants.

Sous un de ces soleils francs qui accompagnent parfois les premiers jours de l’année scolaire, père et fille l’empruntèrent. Tous deux plus grands que la moyenne, l’un, miniature de l’autre, avançaient vite comme on se dépêche de terminer quelque chose de pénible. Alice, la main enfouie dans celle de son père, faisait trois pas quand il en faisait un. Elle comprenait que ces quelques minutes sacrées avec l’homme qu’elle chérissait devaient être réduites. De la haute fenêtre du salon, sa mère devait scruter nerveusement le fond du chemin de gravier, préparant ses silences remplis de reproche et sa mine maussade.

De l’autre main, son père portait une petite valise de couleur moka dont les deux lanières semblaient prêtes à se rompre et qui, pour le grand homme, ne devait pas être plus lourde qu’un dictionnaire. Alice devait rester au couvent durant quelques jours. Celui-ci ne possédait que deux lits pour les circonstances exceptionnelles.

Ils parvinrent à la cour. Dans le coin du préau, Alice remarqua des latrines toutes petites. Pendant qu’ils attendaient devant la porte principale que la cloche en laiton leur envoie une religieuse, ils demeurèrent en silence, côte à côte, dans les effluves d’ammoniac qui émanaient des minuscules alcôves de soulagement. Alice ressentit une vive inquiétude, dans un vertige d’odeurs diverses, inconnues et violentes.

La sœur apparut, toute menue, tranquille, vêtue d’une chasuble de couleur prune. D’une longue manche très blanche, une main fine apparut qui saisit celle d’Alice. Elle devait très bien connaître les comportements qui évitent les larmes d’une enfant, elle lui sourit avec une douceur toute maternelle.

Le père tapota la chevelure de sa fille, coupée rase par la servante le matin même. Le geste fût bref, presque gêné. Il ne la regarda même pas, pauvre petite chose qui s’agitait en elle, happant une dernière bouffée de présence paternelle comme si celle-ci allait la sauver d’une noyade inévitable. Il ferma les boutons de son veston, avec l’énergie d’une personne qui veut prévenir de la brièveté d’une conversation. Alice entendit « Quelques jours, ma sœur, deux semaines tout au plus, nous reviendrons… ». Mais la phrase se perdit dans les remous des émotions de l’enfant pour ne plus devenir que des mots effilochés. Alice avait la gorge qui serrait jusqu’à la douleur.

Le père se pencha, embrassa sa fille. Elle reprit conscience. Il lui dit : « Je compte sur toi pour être parfaite. Ta mère et moi viendrons te voir à notre retour de Norvège. Tu resteras quelques jours de plus pour lui permettre de se reposer. »

Alice n’était pas dupe, sa mère n’avait pas besoin de se reposer : la maison était entretenue de fond en comble par Amalia, la servante. Sa mère ne s’occupait que de remplir les vases de fleurs et de soigner sa beauté délicieuse. Elle ignorait tout du bonheur d’accomplir les petites tâches domestiques avec amour…

Son mari la conduisait partout où elle le souhaitait, comme un chauffeur dévoué. Il la remplaçait même dans ses engagements professionnels, car elle souffrait du dos à l’annonce de toute besogne ne la mettant pas en lumière. Elle s’appliquait avec un soin presque obsessionnel à faire croire à une fragilité très féminine, pareille à celle des pétales de magnolia qu’Alice aimait ramasser pour en caresser la douceur, mais sur lesquels il fallait tirer pour provoquer la déchirure. Elle ne possédait que l’importance d’elle-même et l’art de provoquer l’inquiétude pour rassembler le monde autour d’elle: lorsque le jeu ne prenait pas, elle utilisait les crises de désespoirs qui lui ôtait la faim (réparée la nuit en cachette…) et les larmes assez légères pour ne pas ébrécher la perfection de son maquillage. Mais, elle excellait surtout dans l’art du mensonge, adroit, mis en scène, doué de stratégie perverse. Cela lui prenait tout son esprit et la ramenait inéluctablement à son souci premier : être "la" seule. Elle était incapable de supporter une volonté plus forte que la sienne, ni même une autre volonté. Elle éliminait tout ce qui pouvait lui fournir de l’ombre. Donc, Alice « savait ». Elle savait parfaitement que sa mère seule avait exigé son éloignement. Elle l’entendait si souvent se plaindre auprès de la servante, dans un espagnol nerveux, derrière la porte de la buanderie volontairement laissée entrouverte : « Madre de Dios, qu’ai-je fais pour avoir une pareille gamine ? Je ne la supporte pas…Comme la vie aurait été agréable sans elle ! Je suis bien malheureuse… ». La voix maternelle, précise comme une lame, devenait un écho ouateux, car Alice apprenait à fermer les oreilles de son cœur pour ne pas atteindre la douleur.

La petite fille fut soudainement reprise par un sentiment de froideur intense, de détachement douloureux et vit soudain son père qui s’éloignait. Elle voyait cette haute stature, son chêne, qui reprenait le même chemin, dans des pas allongés, se retournant une seule fois, avec un sourire tendre noyé dans l’expression de quelqu’un que le devoir a déjà happé.

Alice pressentit qu’elle venait d’être déposée à l’entrée d’un autre monde et se sentait trébuchante, à la porte de l’inconnu où il ne semblait rien subsister de sa petite vie. Elle suivit la religieuse et la petite valise. « Si mon père m’a laissée là, je ne dois pas avoir peur », se dit-elle, pour calmer son angoisse.

C’était trop tôt quitter le nid. Elle venait tout juste d’apprendre à porter ces jupes d’uniforme qui irritaient les cuisses sans ménagement, à calligraphier les lettres sans dépasser, à utiliser son taille-crayon sans casser la pointe et surtout à maîtriser son incessante envie de courir dehors.

Elle pénétrait la vie brutalement détachée du nid, avec un sentiment d’abandon qui imprimait définitivement sa mémoire. Elle était la seule enfant qui dormait au couvent. La présence de la religieuse qui la prenait en charge la rassura. Elle avait des gestes doux dans lesquels l’enfant, habituée à la rudesse campagnarde de la servante et à la retenue glaciale de sa mère, puisait sa résistance aux évènements.

Celle-ci ouvrit la porte d’une chambre monastique. Une odeur de lavande embaumait le lieu. Encore une autre odeur, mais familière celle-là. Alice se détendit. Le lit semblait si haut qu’elle se demanda comment elle allait y grimper seule. La sœur l’y aiderait et, une fois là-haut, seule, elle se laisserait glisser comme elle le faisait le long de l’orme qui dominait le fond du jardin de la maison. Elle avait besoin de savoir la fuite possible.

Soudain, elle leva les yeux et resta bouche bée face à homme très maigre, à peine vêtu, dont les joues ressemblaient à un flan entamé par une cuillère gourmande, dont les côtes étaient comme les octaves symétriques d’un piano vertical, dont les jambes ressemblaient à des bâtons de réglisse. Un sang brun s’écoulait de ses mains et de son côté, des larmes bleues glissaient le long de sa mâchoire saillante. Il était attaché avec des clous sur une immense croix. Il la regardait intensément. Les terreurs d’un enfant sont vite perceptibles, la sœur lui dit doucement : « C’est Notre Seigneur, il souffre pour nous sauver. Tu dois lui rendre grâce et le remercier.»

Alice était habituée à ce langage compliqué, avec son odeur de drame, tenu régulièrement par son père. Elle ne retint pas les mots et ne souhaita qu’une chose de ce personnage étrange, qu’il cesse de la regarder.

La petite valise fut rapidement vidée et les affaires rangées. La servante, aussi affectueuse qu’une femme qui n’a pas su être mère peut l’être, avait pris soin de lui mettre ses vêtements préférés pour les heures de loisirs, sachant combien il lui était pénible de supporter l’uniforme de laine brute. Sa mère avait glissé quelques chocolats dessous, avare de son intervention maternelle mais toujours soucieuse de préserver son apparence de bonne mère.

Alice prit un premier dîner avec les religieuses dans l’immense réfectoire où résonnait le cliquetis des couverts, sur fond de prières dites par une novice. Les religieuses attablées l’une à côté de l’autre, étaient comme une rangée de fleurs alourdies par la chaleur. Les couches superposées de tissus leur avaient ôté le corps. Leurs visages, jeunes ou âgés, possédaient la même couleur pâle et terne. Les peaux bouffies ou sèches comme du papier ne respiraient plus la santé, mais affichaient une sérénité peut-être vraie, jointe à une félicité évidente d’avoir fait le bon choix. Derrière une petite croix de bois, leur poitrine était aplatie et sous le col amidonné, le cou était amolli par des longs silences. Les sœurs les plus âgées aspiraient leur soupe avec bruit quand leur main tremblante parvenait à la bouche. Ce qui était loupé, retombait dans l’assiette comme une pluie épaisse.

Alice fut si absorbée par le spectacle qu’elle en oublia le morceau de blanc de poulet qu’elle avait devant elle. Elle reçut malgré tout un généreux dessert de pudding aux fraises et fut heureuse de cette nouvelle largesse à son égard : sa mère avait l’habitude de lui donner une ration mesurée, toujours moindre que celle servie à sa sœur cadette, une de ses subtiles façons de lui prouver sa préférence cruelle.

De retour dans la chambre, la religieuse l’aida sans impatience à faire sa toilette du soir et à revêtir sa chemise de nuit. Elle la souleva, l’aida à se glisser dans les draps qui faisaient un bruit de papier que l’on chiffonne, le même que celui de crépon qu’Alice utilisait pour faire des fleurs qu’elle offrait à sa mère, ne sollicitant qu’un léger signe d’affection qui ne venait pas. Alice savait déjà que tout attachement serait coûteux.

Le lit lui sembla glacial et immense. Elle grelotta. La sœur l’accompagna à réciter la prière, lui fit une petite croix sur le front et sortit.

La porte se referma sur un carré noir, tranché par un seul filet de lumière venant de la grosse lumière de la cour. La religieuse avait laissé sur la table de chevet une lampe si mesquine qu’elle atténuait à peine quelques ombres. Même l’homme sur la croix semblait s’être fondu dans les ténèbres. Alice attendit d’être réchauffée pour penser à ce qui lui arrivait. Elle revit rapidement le visage crispé de sa mère qui avait repris des couleurs quand la portière de la voiture s’était refermée sur elle, son père qui conservait un silence absolu. Alice se demandait pourquoi il laissait faire, pourquoi il ne la protégeait pas, ce père de l’autre rive, qu’elle ne connaîtrait sans doute jamais, mais qu’elle aimant tant. Elle souffrait plus de cette résignation que de l’aversion maternelle. Sa mère était malade du cœur ou de la tête, Alice en était certaine, mais son père…ce père solide, source de savoir, de sagesse, exemple si fidèle à Dieu, pourquoi donc la laissait-il seule à affronter la détestation? Fallait-il qu’elle n’en vaille pas la peine ?

Alice supportait les fantaisies haineuses de sa mère, elle s’y habituait, comme on adopte un sort inévitable, mais elle ne lui pardonnait pas de l’éloigner de sa maison. La vieille demeure avec ses pignons flamands, sa longue verrière qui longeait toute la façade et le grand parc boisé qui semblait la couper du monde, ressemblait à une vieille femme qui a vu et compris tant de choses qu’elle préfère le mutisme afin de ne pas gêner les miracles qui désavouent la fatalité. La maison avait abrité des juifs pendant la guerre. Elle était résistante et sage. Alice en sortait avec l’impatience du retour et y revenait avec une joie réparatrice, comme un enfant qui va le temps d’un jeu et revient comme on se réfugie dans les jupes de sa mère, assuré de retrouver l’amour.

Sa mère l’éloignait aussi de « son » rhododendron, son ami, sa rose des alpes, planté dans la zone de combat entre la forêt et les derniers arbres. Son odeur fraîche et herbacée enivrait Alice lorsqu’elle faisait des ronds autour de lui, perchée sur son vélo gris, de plus en plus vite, jusqu’à glisser sur le gravier. Quand une irritation violente naissait en elle, quand un mot avait fait trop mal, quand un mensonge la rendait nerveuse, le massif en payait les frais : elle passait et repassait alors en son centre, toujours sur son vélo, confirmant le couloir tranchant, le visage giflé par les branches. L’arôme doux et boisé calmait ses sombres pensées, le soulagement prenait place. Alice s’asseyait alors à son ombre, éclatant les petites boules qui donnaient du lait. Le rhododendron survivait, seule racine loyale de cette petite vie.

A 22 heures, il n’y eut plus aucun bruit. Le couvent semblait détaché de la ville environnante. L’enfant se sentait glisser vers le sommeil qui gagnait sur son angoisse. Elle aimait la nuit, elle y pénétrait comme on s’éveille. Elle échappait à ce que la mémoire impose. Elle possédait l’exercice d’allègement, déposait toutes ses inquiétudes dans une boite imaginaire. Elle devenait maître de l’impossible. La réalité adoptait les sens, les bruits, les couleurs, les odeurs qu’elle désirait. Des images douces et colorées se tissaient. Le manque d’amour se dédommageait. Elle se voyait marchant au côté de son père sous une voûte d’arbres majestueux ou assise sur ses genoux près d’un âtre rassurant…Elle créait l’illusion d’amour, libérée des mensonges, des artifices. Si le souvenir insistait, une fuite efficace la ramenait aux songes apaisés. Même éveillée, Alice exerçait cette évasion. La nuit pouvait fondre les traits et les contours de ce qui faisait mal, mais elle pouvait aussi ranimer les formes et les couleurs de ce qui faisait du bien. La nuit était le seul lieu où elle reprenait le contrôle de son sort.

A l’approche du jour, Alice conditionnait ses rêves dans une mémoire qu’elle gérait bien : elle pouvait y plonger lorsque le jour ramenait ses petits brisures douloureuses ou ses déceptions.

Le matin vint trop vite. A la première seconde de conscience, Alice devina le désastre, Le lit était mouillé. La pièce n’était pas froide, mais c’était la honte qui la faisait trembler. Elle resta paralysée, le drap relevé au bord des yeux, respirant juste ce qu’il fallait. Le temps paraissait s’étirer comme l’annonce prolongée d’un mauvais moment. Pourtant, Alice prévoyait les réprimandes comme un rituel rassurant qui la ramenait à des habitudes, un repère dans ce bouleversement. Seule l’humiliation lui semblait au dessus de ses forces.

Une religieuse qu’elle n’avait pas encore vue, toute noire, les lèvres épaisses et les yeux très blancs, entra. Alice osa à peine tourner les yeux de son côté. Mais, elle vit qu’elle était épaisse comme ces grosses boules de pâte que le boulanger sortait du pétrin. Cela la rassura, car elle avait relevé que la voisine était aussi chaleureuse que grosse et en avait déduit que tout ce qui était rond était bon.

« Debout, mon enfant, dit la sœur, la journée va être ensoleillée, il faut en profiter. Dans votre pays, les jours de soleil sont comptés. Tu commenceras par un bon petit déjeuner. »

Elle rabattit les draps et vit aussitôt la tâche sombre. Elle ne dit mot, souleva l’enfant par-dessous les aisselles et la déposa sur le sol.

« Enlève tout ce que tu as sur toi, je vais te laver, je vais te faire jolie pour le jour du Seigneur. » dit-elle. Alice se trouva rapidement savonnée, rincée, séchée et fraîchement vêtue d’une robe fleurie et légère. Elle éprouva un véritable plaisir physique à se glisser dans ses vêtements de congé. Elle devait être peignée comme son père l’exigeait toujours avant de se mettre à table. Le peigne lui fit mal. Elle regarda dans le miroir et vit que son crâne était visible tant les cheveux avaient été coupés court. Sa mère ne la voulait pas fille. Son père lui avait dit « Tu ressembles à une noix de coco! ». Cela l’avait amusée, elle n’y voyait pas encore de mal.

Elle tourna son regard vers la soeur qui n’avait rien dit du petit accident et lui en voulut de se taire. Sans le vouloir, elle ramenait l’enfant aux silences qui l’entouraient systématiquement dans la maison familiale, comme si le moindre mot pouvait lui donner une consistance qui agacerait sa mère. Elle aurait aimé bénéficier de l’importance de quelqu’un que l’on punit.

Le petit déjeuner fut englouti sans plaisir : la margarine et la parcimonie du sirop n’avaient donné au pain blanc qu’un goût fade et à peine sucré.

Alice se retrouva vite dans la cour. Elle éprouva d’abord une fierté joyeuse d’être l’unique usager de tout cet espace qui habituellement était envahi de centaines d’enfants. Elle explora tous les coins et recoins dont certains étaient interdits. Là, en plein jour, elle était maître des lieux, pour quelques temps, comme elle était maître de ses rêves durant la nuit. Elle goûtait à une impunité reposante.

Elle peuplait toutes les places où elle s’arrêtait de visions et de prestige. Elle s’y inventait des aventures qui la firent courir, se cacher, dialoguer, crier, prendre l’épée. Elle s’octroyait un héroïsme gratifiant. Elle traçait des camps de retranchement imaginés avec une craie bleue sur le sol et s’offrait des minutes de relâche. A elle seule, elle était dix. C’était grisant, elle en oubliait le temps…Elle fût ainsi occupée jusqu’au déjeuner. La cloche annonça le repas et Alice rassasia un estomac affamé, excité par ses glorieuses équipées. Ensuite, elle s’assit sous un marronnier, seul arbre dans la cour, qui inclinait doucement la tête au-dessus du mur voisin, comme s’il trouvait sa raison de vivre de l’autre côté. Alice avait gelé ses personnages imaginaires durant le repas, le temps de son absence. Mais, cette fois-ci, elle ne les réveilla pas, elle oublia les chevaliers audacieux et les princesses délivrées, pour un temps : elle pénétra en songe dans la demeure familiale. Elle imaginait son père, la pipe de bruyère à la bouche, penché sur un de ses nombreux livres, dans des odeurs de tabac sucré, comme dans une indispensable solitude qui préserve l’intégrité de l’esprit. Il lui manquait tant ! Elle vit la servante qui s’affairait au-dessus des fourneaux, le tablier brodé autour de la taille fine, toujours taiseuse et discrète comme une ombre qui persiste et puis sa mère, devant le miroir, le visage recouvert d’une crème vert d’argile, un bandeau de soie autour des cheveux, un œil sur son reflet, un autre obligé sur la petite sœur qui galopait en tous sens sur le tapis moelleux. Dans un coin, une chaise espagnole, tressée d’osier, basse, petite et vide…C’était la sienne, celle sur laquelle elle s’asseyait durant des heures pour regarder la vapeur qui s’échappait du fer à repasser, écoutant les contes espagnols récités par la servante, dont celui du « gato que ha perdido su campanilla de plata » (le chat qui a perdu sa clochette d’argent). Elle vit soudain la petite chaise emportée par un courant d’eau exalté. Elle paniqua, son cœur se figea car la chaise fut engloutie, émergea, coula, revint, disparut et s’accrocha enfin à une branche trop éloignée, Alice ne put la saisir. Elle comprit que sa place disparaissait …

Au fur et à mesure que la journée s’approchait de sa pause, Alice ressentait une forte solitude qui, bien que remplie d’imagination nomade, ne résistait pas à l’avancée de la pénombre. L’enfant savait instinctivement que sa tristesse resterait accrochée à sa vie, discrète, dans un recoin de toute l’énergie qu’elle déploierait pour l’oublier. On ne grandit pas légèrement sans être aimé.

Pour se distraire, elle observa les religieuses durant tout le dîner et fit même l’effort d’écouter les prières dont elle ne comprenait pas grand-chose. Si petite, elle mettait déjà au point des finasseries pour éviter une trop vive conscience de sa situation. Elle savait qu’elle devait atteindre les sphères supérieures pour éviter les bassesses douloureuses, qu’elle devait toujours saisir le pendant heureux des moments pénibles.

Les religieuses allaient et venaient de la cuisine au réfectoire, l’un aussi vaste que l’autre, dans des gestes presque mécaniques et des bruits de braisières qu’on lave, rangeant, séchant, raclant le sol de pierre bleue huileux. Alice se sentait rassurée par ses mouvements d’abeilles, elle ressentait une appartenance, une intégration paisible.

Les jours suivants furent remplis par l’école et les soirées de jeux dans la cour. Une fois les devoirs effectués, Alice se jetait dehors, allait respirer comme un petit animal que l’on sort d’une cage. En classe, elle était dissipée. Elle n’aimait pas le savoir imposé, les listes à apprendre par cœur, les contours que le pinceau ne devait pas déborder. Elle voulait découvrir par elle-même, enregistrer le monde à son rythme, selon sa disponibilité. Il y a des chagrins qui tétanisent, des angoisses qui gèlent l’esprit, le rendent imperméable. Alice avait des moments où elle avalait le monde, d’autres d’un autisme salvateur. Elle fixait alors les yeux sur le marronnier qui faisait face à la grande fenêtre et s’évadait…L’institutrice ne lui en faisait pas le reproche, sans doute détenait-elle la psychologique suffisante pour comprendre qu’il fallait la laisser faire pour l’aider à ne pas sombrer.

Pourtant, à 6 ans, Alice sacralisait la vérité et ne se reposait jamais de son avidité de connaissances. Elle avait les pieds bien ancrés. Elle avait un besoin vital de voir déposer des mots précis sur chaque chose. Elle était toujours remplie de questions et pourchassait les réponses documentées. Elle fixait un regard franc sur elle-même, sur les autres. Si elle ne contrôlait pas toujours son imagination vite emportée, elle ne lâchait jamais le fil qui la ramenait à la réalité. A l’école, une activité la ralliait à l’intérêt : elle aimait tracer des lettres étudiées et délicates, bien enclavées entre les trois lignes dont une restait éloignée des deux autres. Par la magie des majuscules remplies de courbes élégantes, elle réunissait les trois traits. Elle parviendrait à dessiner la lettre de la réunion, à se faire aimer de ses deux parents. Toute petite chose prenait une importance et remplissait le vide.

A la fin de la première semaine, sans que rien ne lui ait été annoncé, elle sut que son père viendrait après la célébration eucharistique du dimanche. C’était le jour des devoirs moraux. Elle sentait qu’elle se mettait en danger de déception, mais elle espérait. Elle avait l’habitude de se fabriquer des devoirs comme les amarres d’une vie que l’amour n’attache pas à quai. Elle décida donc de faire honneur à sa visite, de se faire propre et jolie, de ranger la chambre qu’il ne visiterait pas, de ranger le plumier qui resterait au fond du cartable, de recopier le poème qu’il n’aurait pas le temps de lire. Elle voulait éliminer une à une les causes d’un mécontentement éventuel.

Le jour dit, il y avait beau temps. Après une heure de jeux dans la cour, sans concentration, pendant laquelle Alice rentra et sortit plusieurs fois pour voir l’heure sur la grande horloge murale du hall d’entrée, suivie de la messe à la chapelle où Alice avait regardé les hirondelles frôler les arcs pour plonger dans la sacristie ouverte, en ressortir et faire des ronds criards dans la coupole, elle fila dans la chambre qui lui était devenue familière et, debout sur les pointes des pieds, se regarda dans le miroir. Elle vérifia que sa bouche était propre, ses mains aussi et se repeigna. Elle lissa sa jolie chasuble fleurie, frotta ses sandales blanches avec un mouchoir et se mit quelques gouttes d’eau de rose. Elle sortit ensuite et alla s’asseoir sur la double marche de pierre bleue de la première classe tout près du portail. Sous un soleil lourd, elle attendit, petite personne solennelle et tenace. Elle était colonisée par l’espoir de retrouvailles chaleureuses. « Ma mère viendra-t-elle avec lui ? » se demanda-t-elle. Un espoir un peu confus se heurtait à l’envie d’avoir son père pour elle toute seule. Elle patienta de longues heures. L’heure du goûter fut dépassé, et les espoirs perdaient en vigueur. Alice ne savait heureusement pas encore qu’elle ébauchait une attente qui se répèterait toute sa vie. Les soeurs l’avaient invitée à déguster un verre d’orangeade et quelques biscuits pour la faire rentrer, mais elle était rivée à la marche, guettant tout bruit, scrutant toute mouvement.

Soudain, dessous le portail, elle vit deux chaussures d’homme luisantes et deux chevilles de femmes, fines, lumineuses sous des bas de soie grège, dans des escarpins découpés. La haute grille s’ouvrit et le porche se remplit d’un couple élégant et gracieux. Alice sentit sa poitrine gonflée jusqu’à la douleur, elle eut du mal à bouger. Elle ne vit même pas le regard de sa mère qui passait au-dessus d’elle. Son père la prit dans ses bras, à plus de deux mètres du sol et la serra contre lui. Sa mère enfin l’embrassa sans lâcher le bras de son mari. Alice la trouva magnifique, le décolleté dénudant légèrement les épaules, la taille fort cintrée, entourée d’une bande de tissus chamarré, les chaussures assorties, les cheveux bombés et remplis de reflets dorés, elle était toute pareille à ces femmes qui posent dans les magazines de couleurs. « Elle est peut-être une « star »… ? » se dit Alice. En marge des adultes, une évidence lui avait-elle échappé? Etait-ce pour cela qu’elle n’avait pas le temps d’être mère ?

Mais, non, elle ne se détachait que rarement de la petite sœur cadette, aussi jolie et blonde qu’elle, son image lumineuse. Alice était fière d’avoir la mère la plus jolie de l’école, mais elle savait que cette femme était définitivement son ennemie : le déchirement avait opéré, son exclusion à elle n’était qu’une affaire de temps.

Alice ne parvenait pas à parler, elle attendait la suite, elle pressentait le drame : ils ne venaient pas la reprendre, seulement la visiter. La douleur qu’elle ressentit la déconcerta. Son père se pencha vers elle et lui tendit une petite voiture de pompier rouge, avec une échelle blanche et une petite cloche de métal.

- « Tu aura de quoi t’amuser ainsi, dit-il, mais n’oublie pas que tu es là avant tout pour apprendre. S’amuser est accessoire. Nous viendrons te chercher la semaine prochaine pour l’anniversaire de ta sœur et tâche que les sœurs me fassent un bon rapport sur tes attitudes. »

- « Oui, Papa, je ferai de mon mieux. Merci pour le camion » répondit Alice. Elle se demanda ce qu’il penserait s’il la voyait se fatiguer durant des heures de jeux, mais garda la tête baissée pour ne pas montrer ses joues rosies à l’idée de cette délicieuse désobéissance.

Ses parents s’en allèrent, avec un geste léger de la main. Pour un enfant, tout devient interminable quand les choses font mal. Elle voulut croire que son père regretterait de la laisser et reviendrait sur ses pas. Elle patienta, en vain. Le camion de pompier devint le plus précieux trésor du monde, le tuteur qui empêche de plier. Elle s’installa sur les marches de pierre bleue qui menaient à une classe, les yeux rivés sur le petit objet. Elle laissait passer le temps, attendant que ses émotions se déposent, que son cœur cesse de cogner, que les larmes s’épuisent. « Je le savais pourtant, se dit-elle, qu’aurais-je pu espérer ? » Cela avait été un dernier espoir d’enfant. Une certitude neuve, jusque là imperceptible, s’installa en elle : peu à peu, depuis sa venue au monde, la séparation s’était accomplie. Elle ne leur était pas adaptée. La nature avait fait une erreur. Ils avaient déjà cessé d’être ses parents, il lui faudrait se trouver d’autres dieux.

Une jeune religieuse, sans doute alertée par son inquiétude, vint s’asseoir à côté d’elle. Elle la regardait sans pitié mais avec la volonté d’introduire dans ce petit cœur malmené la force suffisante pour avancer. Alice avait le visage chez qui l’enfance ne peut plus accomplir le miracle de l’insouciance. Pourtant, sa beauté était faite de précision et de délicatesse. Ses yeux vifs dont la clarté touchait cherchaient désespérément un regard affectueux, un assentiment. Sa bouche, aussi fine que bien dessinée, avait appris la prudence, les mots qu’il ne fallait pas dire, mais s’étirait pour un rien.

La religieuse la souleva, émue : sans doute se reconnaissait-elle en la petite ? Ses parents à elle n'avaient pas empêché son sacrifice. Elle la prit sur son bras et l’emmena dans les cuisines où elle l’assit devant une grande assiette de fraises fraîchement coupées, saupoudrées d’un sucre floconneux. Alice les dévora, la main crispée sur son petit camion rouge.

Le soir approchant, les religieuses remplirent une grande et ronde bassine de métal installée dans la cour. Alice fut plongée dans l’eau délicieuse. Elle fut savonnée, rincée et frictionnée à la fin du bain. Les religieuses puisaient dans leur maternité consignée la douceur qui devait distraire l’enfant de ses détresses. Alice fit de cette bassine une piscine immense et bleue où elle apprenait à sa petite sœur à nager. Au bord, son père la regardait faire avec admiration. Alice reçut l’éclat d’un bonheur flou et bref qui soulagea la crispation de son cœur durant quelques secondes.

La permission de prolonger la soirée lui fut accordée et Alice resta seule dans la cour, pendant que les soeurs vaquaient à leurs occupations de prières et de lessives.

La soirée était douce. Les odeurs de la nature emprisonnées par la chaleur se libéraient alors qu’elle se déposait. Une fraîcheur caressante menait à la préparation du repos.

La petite fille, agenouillée sur le béton, faisait rouler le petit camion de pompier rouge dans des hurlements de sirène imités. Le jouet fit des cercles, zigzagua, se gara dans un coin du préau pour en ressortirent aussitôt sous une alerte subite. Alice imaginait les héros et les sauvés. Elle était habile dans la création d’un monde où les beaux sentiments humains prenaient forme sans frein. Dans ces incendies imaginés, elle déployait un feu de sentiments héroïques, elle sauvait sa famille ou des inconnus, elle était admirée. Ce petit moment de reconnaissance fabriqué lui permettait d’oxygéner son espérance.

Elle s’assit, ramenant les genoux à la hauteur du menton, les bras noués autour de ses petites jambes rondouillettes. Elle eut l’impression que son cœur se griffa d’un soudain écho, elle entre en elle : son père criait. Elle ne comprit pas tout, mais saisit les mots reconnus, ceux qui avaient marqué définitivement sa mémoire, qui comme une machine infernale s’étaient enroulés autour de sa dernière confiance: « Mais, tu es folle, ma pauvre fille ! » Soudain, de son pied gauche qui glissa malgré elle, le petit camion fut poussé sous de longues poutrelles amassées dans un coin du préau.

Dans les premières secondes, la petite fille demeura hébétée. Elle obéit au drame sans résistance. Elle reçut comme un éclair fulgurant sur l’étendue de son malheur, elle se retrouvait avec un cordon de vie dépouillé de force. Elle se sentait aspirée dans le gouffre sombre que creusaient les abandons répétés.

Elle se releva, secouée de hoquets, les bras raidis le long du corps, le visage bouffi de sueur, les jambes peu sûres. Dans cette position injuste, elle n’avait pas la force de soulever ces lourds métaux. Elle les longea dans un "va et vient" répété où l’inquiétude cherchait un dénouement. Elle devait récupérer son jouet, le lien, le rappel…Couchée à même le sol, elle glissa son bras nu plusieurs fois dans le couloir noir entre les barres de métal. Mais le jouet avait atteint les profondeurs. Elle se redressa, se recoucha plusieurs fois. Elle s’agenouilla enfin, insensible à la grossièreté du sol. Son peignoir d’un bleu indigo fleuri récoltait les larmes. C’est ainsi que les religieuses la retrouvèrent.

- Mais, que se passe-t-il, mon enfant ? Pourquoi toutes ces larmes ? Es-tu tombée ? s’écria la Révérende Mère.

- Mon petit camion…sanglota Alice, il est parti en dessous des poutres. Je ne verrai plus ni mon Papa ni ma Maman…

- Mais, que racontes-tu, petite sotte ? Ce n’est qu’un jouet, les ouvriers le retrouveront. Tes parents n’étaient pas dedans ! Cela ne te vaut rien de jouer seule, tu as trop d’imagination !

Viens, nous allons laver ton visage et te faire un bon bol de chocolat.

Au moment où la religieuse voulut lui prendre la main, Alice poussa soudain un cri fort, trop longtemps retenu. Elle pointa du doigt l’endroit où avait disparu le jouet et perdit connaissance.

Lorsqu’elle revint à elle, elle était étendue sur le gros édredon moelleux. Elle sentit l’eau tiède couler d’un gant de toilette apposé sur son front. Elle vit quelques visages inquiets, marqués par le reproche, au-dessus d’elle. Les religieuses avaient craint une crise de nerfs. Elle referma les yeux alourdis et entendit dans le brouillard :

- Quelle étrange enfant ! Tout cela pour un jouet…

- Elle est trop sensible, je te le dis, moi, elle va donner du mal à ses parents…

- C’est sans doute pour cela que sa mère ne la supporte pas…

Il y eut un bruit de porte. Le silence se fit. Alice, entre ses longs cils, reconnut la forme du visage duveteux de la Révérende qui s’assit sur le bord du lit. Elle lui caressa longuement ses courts cheveux, si bien que l’enfant s’endormit. La lutte contre le chagrin l’avait exténuée.

A l’adresse de ses sœurs, la Révérende dit : « Un trésor n’a de prix que celui qu’on lui donne. Pour Alice, ce petit camion a été sa première possession mais surtout le seul lien non intérieur avec son père. Il pouvait s’éloigner, le jouet était l’attachement. Il a permis à l’enfant, durant quelques heures, de supporter la douleur du déchirement. Elle avait un contrôle sur le lien et se sentait rassurée. Elle n’était pas prête de le perdre. Il lui fallait avoir le temps d’apprendre mais elle ne l’a pas eu. C’est trop brutal pour une si petite fille. »

La Révérende regardait Alice comme elle se regardait enfant. Elle avait connu la douleur de la déchirure, celle des enfants séparés de leurs parents dans des wagons plombés. Le gant de sa mère lui avait permis de ne pas sombrer.

« Elle n’est ni excessive, ni trop sensible, ni sotte…, dit-elle, c’est une enfant qui a déjà compris qu’elle va découvrir le monde seule, entre sa soif d’apprendre et l’indifférence des autres. Elle va devoir s’accrocher à la vie…Comme nous, elle s'est posée tout près du monde, sans avoir pu y pénétrer... »

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Le roi attendait que la victoire lui vienne de la désunion des révoltés. Il espérait que les factions se déchireraient et que la lutte des intérêts et des idées briserait l'opposition. Le 22 septembre, les événements semblaient lui donner raison. L'anarchie régnait à Bruxelles. Entre les modérés et les avancés, les moderates et les liberals, comme les appelle le diplomate anglais Cartwright, la querelle s'est envenimée. Des raisons de tactique politique divisent d'abord les adversaires de Guillaume 1er. Les partisans des solutions extrémistes, d'une rupture ouverte avec La Haye, se sont ralliés aux vues conciliatrices de la majorité des séparatistes, soucieux de respecter les voies constitutionnelles. De la séparation, ils espèrent tous des libertés politiques plus larges: dans une Belgique autonome, la presse serait libre, le jury rétabli, la liberté de langue une réalité, le pouvoir royal serajt bridé par la responsabilité ministérielle. Mais à mesure que les jours passent, que le roi tergiverse, n'applique pas immédiatement les voeux remis au prince d'Orange, les radicaux s'énervent. Les mouvements de troupes les inquiètent. La lente descente des divisions hollandaises vers le Sud, le renforcement des places fortes, l'occupation des points stratégiques se sont en effet déroulés méthodiquement dans la première quinzaine de septembre. Ainsi, une intervention des troupes est à craindre. Il faut constituer une armée nationale, rassembler des fonds, exciter les populations des campagnes et des petites villes, diffuser partout des mots d'ordre, organiser à travers le pays un véritable « réseau » d'hommes sûrs qui, au signal donné, dirigeront sur Bruxelles les volontaires et les armes. Pour organiser une force nationale, il faut des fonds et ainsi les problèmes ne sont pas seulement militaires, mais financiers et politiques. Les caisses publiques, le produit des impôts levés pour l'administration et pour le gouvernement royal, voilà une source de richesses qu'il faudrait se réserver. Mais, où est l'organisme qui donnerait aux fonctionnaires fiscaux des ordres qui seraient suivis? La Commission de sûreté formée à Bruxelles le 11 septembre n'a pas répondu à l'attente des patriotes. En fait, s'emparer des caisses publiques, organiser une armée, c'est se mettre en révolte ouverte. Or, depuis que les députés sont partis pour La Haye afin d'y discuter la séparation par les voies légales, ce sont là des initiatives dangereuses, c'est fournir à l'adversaire des prétextes d'intervention armée. Aussi bien, le courant modéré se renforce, le gouverneur du Brabant, Van der Fosse, tient toujours en main la perception des impôts de l'Etat et il assure le versement des caisses des receveurs dans celle du caissier général. La résistance à la révolte est nettement perceptible entre le 8 et le 15 septembre. A Bruxelles, l'effort des extrémistes pour créer un corps auxiliaire armé aboutit tout juste au recrutement de quarante hommes le 9 septembre. Et le 14, cette compagnie compte à peine une centaine d'hommes. Fait remarquable, la Régence de Bruxelles veut bien leur donner la nourriture pour les empêcher de piller, mais elle leur refuse l'équipement.

Le 8 septembre, le commandant de la garde bourgeoise, Vanderlinden d'Hooghvorst, engage ses compatriotes à suspendre momentanément leur marche vers Bruxelles. Les Liégeois, accourus à l'appel de Ducpétiaux et de Chazal, qui se chargera de les nourrir. Pour les bourgeois paisibles et craignant tout éclat, ils constituent d'ailleurs un groupement dangereux. Le Conseil de la garde bourgeoise ordonne au chevalier de Saint-Roch de dissoudre la compagnie qu'il a formée. Le 11 septembre, la moitié des Liégeois a été renvoyée « moyennant trois florins par tête et l'assurance des journées d'étape ». Le 13, il en reste cent cinquante « dont il paraît que l'on ne peut se défaire », se lamente le gouverneur Van der Fosse, mais le lendemain, il se félicite d'un nouveau départ de quarante-trois de ces Liégeois. Le manque de ressources force une partie des volontaires à rentrer à Liège. Charles Rogier s'est adressé à la Régence de la ville de Liège et a réclamé le paiement, à charge de la ville, de la solde des soixante-dix hommes qui l'ont accompagné à Bruxelles. Mais le 16 septembre, le Conseil de Régence « attendu que l'objet de cette demande ne rentre pas dans ses attributions, décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la demande de Monsieur Charles Rogier ».

Pour les exaltés, la constitution d'un Gouvernement provisoire résoudrait tous les problèmes politiques et financiers. Les modérés n'en veulent pas. La lutte entre ces deux groupes ne pouvait s'éterniser. Si le souverain, le 13 septembre, avait annoncé qu'il était prêt à redresser les griefs essentiels et avait manifesté à l'égard de la séparation moins de réserve hostile, il aurait assuré la victoire des modérés. Mais le discours du trône est le meilleur argument pour les extrémistes. Ceux-ci insistent notamment sur la menace d'action militaire que renferme la décision de maintenir la milice sous les armes au-delà du terme normal.
Le 14, à Bruxelles, des rassemblements se forment à la Grand'Place et Place de la Monnaie. « Vive la Liberté! vive de Potter! vive Napoléon! » crie-t-on, et l'on brûle le discours du roi. Au banquet offert ce soir-là par les sections de la garde aux officiers liégeois, Charles Rogier, monté sur une table, avait lu le discours roval avec habileté et les cris « aux armes! vive la liberté! à bas le roi! » s'étaient élevés de toute part. Les épées furent dégainées, le discours brûlé.

Devant la lenteur calculée du roi, une réaction était inévitable. L'état-major général de la garde bourgeoise convoqua à l'hôtel de ville, pour la matinée du 15, les représentants des sections: les commandants, ainsi qu'un capitaine, un sous-officier et un garde choisis par élection dans chaque section. La Commission de sûreté, l'état-major et ces représentants délibérèrent dans la salle gothique sur un projet d'adresse aux députés belges demandant une prompte et favorable décision quant à la séparation.

C'est à cette séance orageuse qu'éclata la rupture entre les deux groupes: les modérés et les extrémistes. La réunion fut rendue publique et des provinciaux y participèrent. Un membre posa la question préalable: « Ne convenait-il pas d'insérer dans l'adresse la mention de l'établissement prochain d'un gouvernement provisoire à défaut d'obtenir promptement justice? » Les Liégeois se montrèrent particulièrement ardents. Charles Rogier eut une vive discussion avec l'avocat Spinnael et le marquis du Chasteler. Il trouvait l'adresse rédigée par le comte de Mérode, « molle et trop historique ». Il réclama des mesures énergiques, la fin des négociations et des tergiversations, une attitude plus ferme. Les patriotes bruxellois, parmi lesquels les rédacteurs du Courrier des Pays-Bas, Claes et Jottrand, firent entendre des paroles de sagesse: « vous n'avez pas d'argent ». Les Liégeois soutenus par les étrangers à la capitale menacèrent: « on fera marcher le Borinage, les volontaires accourus ici vous forceront à sortir de la légalité ». Mais les Bruxellois restèrent inébranlables. Les Liégeois et leurs partisans, devant leur échec, quittèrent la salle. Un seul député des sections de Bruxelles, Edouard Ducpétiaux, ami de de Potter, les suivit...

Le soir, à l'hôtel de ville le projet d'adresse du comte Félix de Mérode, remanié par un comité de rédaction désigné le matin en fin de séance, fut adopté à l'unanimité par les représentants de la garde bourgeoise et signé par de nombreux notables bruxellois. Le document restait vague sur l'objet essentiel: la consécration du principe de la séparation du Nord et du Sud. Les Bruxellois apercevaient d'ailleurs si bien la difficulté d'accélérer les formalités constitutionnelles, qu'i1s se contentèrent sans préciser, de prier les députés « d'obtenir immédiatement du trône une mesure rassurante et décisive », et le retrait des troupes venues du Nord.
Retirés à l'Hôtel de la Paix, tenu par Pletinckx et lieu de ralliement des patriotes, où, la veille, les Liégeois avaient été reçus, les extrémistes rédigèrent également une adresse aux députés. Ed. Ducpétiaux, Ch. Rogier, B. Renard, Ernest Grégoire, Ed. Berten, F. Chazal, P. Rodenbach, Niellon, Vandersmissen et d'autres signèrent ce document.
Ces extrémistes sous la présidence de Charles Rogier, le tournaisien Renard étant secrétaire, décidèrent de faire sortir la Commission de sûreté des voies diplomatiques. Ils lui proposèrent une série de mesures impressionnantes qui sont toutes révolutionnaires: l'organisation et l'armement complet de la garde bourgeoise, l'élargissement de ses cadres, l'organisation de compagnies franches dans les campagnes, le choix d'un chef pour commander les forces nationales, l'appel sous les drapeaux nationaux des militaires belges. Toutes ces mesures en venaient à former l'armée de la nation. Comment se procurer les fonds? La surveillance de la rentrée des deniers publics et leur destination à la cause nationale y pourvoiraient. Il faudrait encore surveiller rigoureusement le service des postes et des administrations dont les agents pourraient se mettre en opposition avec la cause nationale. Ce sont là des moyens d'action que la grande majorité de la garde bourgeoise et de la Commission de sûreté ne veulent pas mettre à exécution. Mais ce qui frappe, dès cette date du 15 septembre chez les modérés comme chez les extrémistes, c'est le caractère national des revendications. L'adresse des bourgeois bruxellois aux députés est d'une grande fierté patriotique: rappel du drapeau cher au souvenir des Belges, en tous temps jaloux de leurs droits, allusion à l'incurie d'un ministère an tibelge, opposition formelle à la Hollande.

Quatre fois le terme « national» revient sous la plume des hommes réunis à l'Hôtel de la Paix le 15 septembre « à l'effet de prendre les mesures que leur inspirera leur patriotisme pour le salut de la patrie ». L'opposition, politique d'abord, est devenue nationale. Les chants patriotiques excitent les creurs. Le 12 septembre, à la Monnaie, La Feuillade a chanté la Brabançonne, composée par Jenneval qui devait être tué en combattant le 18 octobre. Le dernier couplet était une menace au Roi:

«Mais malheur, si de l'arbitraire
Protégeant les affreux projets
Sur nous du canon sanguinaire
Tu venais pointer les boulets!
Alors tout est fini, tout change;
Plus de pacte, plus de traité
Et tu verrais tomber l'Orange
De l'arbre de la Liberté. »

La Marseillaise des Belges, la Bruxelloise, la Liberté belge, la Garde bourgeoise de Bruxelles, hymnes vibrants de ferveur patriotique sont chantés au théâtre et dans les cafés.
Mais les divergences sur les procédés deviennent capitales et le fossé se creuse entre les deux tendances. Un jeune docteur en droit, Gustave du Roy de Blicquy, garde bourgeois et excellent patriote, mais fort bien renseigné sur la mentalité des officiers belges de l'armée royale -son frère est lieutenant au 36 régiment de cuirassiers -s'effraye de l'audace des extrémistes. Il écrit le 16 septembre à un autre frère qui se trouvait en province: « Pourvu que l'exaltation de nombre de jeunes gens et des Liégeois, qui sont tous un peu boute-feu, n'entraîne pas la cause dans le précipice en marchant sans prévoyance et surtout en s'abandonnant à des coups hardis qui forceraient l'armée à se défendre et ne donneraient pas le temps aux Belges de quitter [c'est-à-dire de déserter], si la chose prend ici de la consistance et leur offre des garanties ». La voie de la sagesse et de la prudence ne sera pas suivie. Un centre permanent réunit les hommes décidés à tenter l'aventure. Après avoir rédigé leur adresse à l'Hôtel de la Paix, les patriotes se sont donné rendez-vous le soir à la salle des Beaux-Arts, rue de Bavière. Ils y décidèrent la formation d'un club, à l'instar de Paris, la Réunion centrale dont le but « est de favoriser l'émission libre et la discussion calme de toute mesure jugée utile au triomphe des intérêts moraux et matériels des provinces méridionales ». Un règlement fut rédigé, un comité constitué. La présidence pour la première séance fut offerte à Charles Rogier qui la refusa en sa qualitéd'étranger à la ville. II recommanda Ducpétiaux au suffrage des membres et accepta la vice-présidence. Le 16, le club s'installa à la salle SaintGeorges, rue des Alexiens.

La Réunion centrale groupe des éléments jeunes et enthousiastes, Bruxellois, provinciaux, étrangers, tous partisans résolus d'une véritable révolution. Ce sont les « Jacobins », comme les appelle Cartwright. Les statuts et la procédure du club éveillent, en effet, le souvenir de la célèbre société du cloître de la rue Saint-Honoré. Les hommes de 1830 vivaient réellement en pensée avec les révolutionnaires de 1789 ou de 1793, selon leurs tendances. Jean-Baptiste Nothomb, froid et réfléchi, était passionné de curiosité pour les événements de l'an II. Sylvain Van de Weyer, le 28 août, à l'assemblée des notables à l'hôtel de ville de Bruxelles, ne tira-t-il pas un des orateurs par le pan de l'habit en lui disant: « 89, oui, 93, non » ?
La Réunion centrale n'agit d'abord, comme les clubs de la grande Révolution, que par voie indirecte: elle envoya à la Commission de sûretédes députations et des requêtes. Elle la pressa de s'emparer de l'autorité, de mettre la main sur les fonds publics, de surveiller les opérations de la Société Générale et de prendre des mesures radicales pour repousser l'agression du gouvernement qui se préparait. Puis, devant l'inertie de cet organisme, elle passa à l'action. Le 18, un membre proposa de faire élever des barricades; le club décida que, si le lendemain la Commission n'avait pas ordonné ces travaux, il les ordonnerait lui-même. Et devant les bruits d'une attaque imminente, il fit placer des sentinelles en dehors des portes de la ville. Ainsi, 'Gendebien, membre de la Commission de sûreté, a parfaitement défini les visées de ce club: « forcer la main à la commission de sûreté, la déborder au besoin... Le but du plus grand nombre de ses membres est l'affranchissement de la Belgique sous une même dynastie; mais d'autres désirentlever l'étendard français ». Ces exaltés souhaitent ardemment la formation d'un Gouvernement provisoire, seule autorité vraiment révolutionnaire, capable d'organiser la résistance à l'invasion armée, de discuter avec le souverain les conditions d'un accord satisfaisant pour la Belgique. Ils ont cependant peu de moyens à leur disposition. Ils sont pauvres : les cotisations du club fixées à un florin et les dons patriotiques sont modestes. Mais ils sont en étroit contact avec le peuple. Charles Rogier est très écouté par les volontaires liégeois, casernés à Sainte-Elisabeth, Pierre Rodenbach a autour de lui des volontaires flamands, Renard des Tournaisiens. Pourtant c'est le peuple bruxellois qui constitue la masse qu'il faut manoeuvrer. Un des procédés les plus efficaces pour entretenir la tension des esprits fut la diffusion de nouvelles, vraies, fausses ou exagérées. La peur d'une attaque des troupes royales a été au cours des mois d'août et de septembre le meilleur excitant. C'est elle qui soulève le peuple le 31 août, à la veille de l'entrée du prince, c'est l'annonce de la concentration des troupes hollandaises qui indigne la population, c'est la lecture des extraits de la presse hollandaise réclamant l'écrasement des rebelles qui déchaîne le patriotisme. De « faux bruits » sont répandus: quarante mille gardes nationaux français sont prêts à marcher au secours de Bruxelles, dit-on le 14 septembre. La veille, on racontait qu'Exelmans avait passé la frontière française avec douze mille hommes! Autre « bobard » : quinze mille Borains sont prèts à marcher!

Voilà une arme facile à manier pour énerver la population! Mais les difficultés économiques dans lesquelles se débattent la classe ouvrière et le petit peuple de Bruxelles sont pour les meneurs le meilleur atout. L'émeute du 25 août a accentué singulièrement les embarras de l'industrie et augmenté le chômage. Des fabriques ont été pillées; les transactions commerciales sont paralysées par l'incertitude de l'avenir politique. Des petits fabricants et des manufacturiers suspendent leurs travaux, renvoient leurs ouvriers en tout ou en partie. La Banque est atteinte. Les effets escomptés par la Société Générale ne sont pas acquittés à mesure de leur échéance. La direction ne paie qu'un cinquième en numéraire et quatre cinquièmes en billets. Le besoin d'espèces devient grave et le 17 septembre, la Société Générale supplie le ministre des Finances d'intervenir auprès du Syndicat d'Amortissement afin d'obtenir un emprunt de 3 millions de florins. Elle aide la ville, cependant, en lui avançant cent mille florins pour régler les salaires des ouvriers que l'on fait travailler au canal et aux boulevards. Sans doute ces salaires sont médiocres: celui des ouvriers, âgés de plus de dix-huit ans, « sera provisoirement de 50 cents par jour et de 25 cents pour ceux de quatorze à dix-huit ans ». Mais c'était le salaire que reçurent pendant toute la première moitié du XIXesiècle les ouvriers manreuvresterrassiers de l'industrie du bâtiment à Bruxelles. Aussi la réclamation d'une augmentation de 25 cents fait réfléchir. Armés de pioches et de pelles, ces ouvriers se présentent le 16 devant l'hôtel de ville. On leur accorde 10 cents. Ils se dispersent peu satisfaits et déclarent qu'ils sont bien décidés à revenir bientôt pour obtenir le reste. Ils sont sûrement victimes d'agents provocateurs. « Un pouvoir occulte excite les ouvriers à élever des prétentions insoutenables ou ridicules » écrit Levae à de Potter le 18 septembre. En outre, la vie est chère. Aussi la charité privée s'efforce de calmer les maux les plus tristes. Des collectes sont organisées par l'état-major de la garde bourgeoise, mais leur produit, quoique appréciable, -plusieurs milliers de florins -est insuffisant. « Une foule de pauvres ne discontinue pas d'assiéger la porte de l'hôtel. Dans plusieurs maisons des rues Royale et Ducale, on a fait cuire du pain que l'on distribue jour par jour. Monsieur le Comte de Mercy a mis à cet effet à la disposition de son portier une somme de soixante florins. Comme c'est une prudence nécessaire en ce moment de ne pas indisposer trop les basses classes, je prie votre Altesse de m'autoriser à employer une certaine somme de la même manière. J'en tiendroi compte à la fin du mois », manda le 16 septembre J.-F. Staedtler, intendant, au prince Auguste d'Arenberg.

Les bourgeois, placides et qui n'ont pris les armes que pour protéger la propriété, sans intention politique, sont inquiets devant l'agitation ouvrière. De plus, ils sont fatigués de monter une garde monotone. Leur lassitude est dangereuse pour la cause nationale, car la garde de Bruxelles constitue la force la mieux organisée à Opposer à une attaque de l'armée. Cette garde se désagrège. Des bourgeois se font remplacer. Les nobles s'éloignent de la ville. A mesure que les revendications sont devenues plus radicales, beaucoup de négociants, d'industriels, de proprriétaires, de paisibles bourgeois, loin de désirer une rupture brutale, en viennent à souhaiter ardemment des mesures d'apaisement, une solution de compromis. Même chez les partisans résolus des libertés nationales, le désarroi dans la pensée apparaît. La question essentielle, la séparation, divise les esprits. Le Courrier des PaysBas publie le 18 septembre un article symptômatique. Les inconvénients graves de la séparation pour les intérêts matériels font souhaiter un aménagement du système représentatif qui assurerait dans un Etat unifié, la domination effective des Belges qui sont les plus nombreux. Van de Weyer, le 18, ne voyait pas d'issue à la situation, et son confrère Jottrand, du Courrier des Pays-Bas, reconnaissait qu'une amnistie politique rendrait facile un accommodement. Le 18 septembre au soir, les deux émissaires Nicolaï et Vleminckx, chargés de remettre à La Haye les adresses aux députés belges, sont rentrés à Bruxelles, désespérés par l'accueil reçu, impressionnés par les déclarations des députés hollandais qui veulent que l'ordre soit d'abord rétabli, effrayés surtout par les préparatifs militaires qu'ils ont vus déployés depuis Anvers.

A l'hôtel de ville, la Commission de sûreté, l'état-major de la garde, des délégués des sections discutèrent sur l'attitude à suivre. Gendebien proposa de « repousser la force par la force », mais i.l n'était nullement question d'attaquer avec témérité les troupes royales. La discussion porta aussi sur la constitution d'un Gouvernement provisoire. Le projet fut encore une fois ajourné.
Pendant que ces notables discutaient, une patrouille envoyée par la Réunion centrale se dirigeait vers Tervueren où elle s'empara de quatre chevaux de la maréchaussée et les ramena en ville, tandis qu'une autre patrouille arrêtait la diligence qui se rendait à Amsterdam. La Commission de sûreté, où la tendance radicale est affaiblie par le départ de Gendebien, parti la veille au soir pour Mons et la France où il doit rencontrer de Potter, réagit maladroitement devant les manifestations indisciplinées des volontaires. Elle condamne les deux incartades de la nuit. Elle y voit une « violation expresse du droit des gens comme des engagements contractés ». Elle a peur d'une agression militaire « que les habitants de cette ville ne cherchent pas à provoquer ». Aussi, ordonne-t-elle le renvoi sans délai des chevaux enlevés et décide-t-elle d'écrire au prince Frédéric « pour désavouer cette infraction et en annoncer la réparation ». Enfin, .la Commission institue un conseil de discipline chargé d'appliquer la rigueur des lois militaires aux individus qui à l'avenir se rendraient coupables de pareils délits.
Ces décisions sévères furent portées à la connaissance de la population dans une proclamation affichée partout le 19 septembre dans l'après-midi. C'était une déclaration de guerre au parti extrémiste. La réaction rapide de celui-ci appuyée sur le peuple triompha complètement des modérés, balaya la Commission de sûreté, désarma la bourgeoisie, livra finalement Bruxelles à une quasi-anarchie.

La Réunion centrale, en effet, a saisi l'occasion offerte pour déborder l'autorité municipale. Elle s'est indignée, dans sa séance du 19, de l'attitude de la Commission de sûreté. A dix-huit heures trente, l'h-Jtel de ville fut envahi par une trentaine de Liégeois, tambour battant, drapeau déployé. Ils exigèrent qu'on leur livrât les signataires de la proclamation et qu'on leur donnât des armes. Le commandant de la garde bourgeoise, E. d'Hooghvorst s'empara de leur drapeau, stigmatisa leur attitude. Les Liégeois n'étaient pas en nombre et Rogier fit retirer ses hommes dans leur quartier. Pendant ce temps, la foule resta massée Grand'Place invectivant la Commission de sûreté, criant à la trahison des chefs de la bourgeoisie, exigeant la déchéance de la dynastie, réclamant du travail, du pain et des armes pour aller attaquer l'armée. Le tumulte dura toute la nuit. Les frictions se multiplièrent entre les gardes bourgeois et cette foule d'ouvriers, parmi lesquels d'anciens militaires étaient les plus énergiques. Les Liégeois et des meneurs excitèrent la cohue. A une heure du matin, l'inévitable se produisit. Une patrouille bourgeoise insultée et attaquée fit feu. Un homme fut tué, trois autres furent grièvement blessés.
Irrité, le peuple se répandit dans plusieurs directions et désarma sans beaucoup de résistance quelques corps de garde bourgeoise. A sept heures du matin, les hommes armés se dirigèrent vers la caserne Sainte-Elisabeth. Renforcés par les Liégeois, ils entreprirent un désarmement systématique des bourgeois. Ils commencèrent par le poste de l'Amigo à neuf heures du matin. Deux heures plus tard, quinze cents fusils avaient changé de mains.
A dix heures, l'hôtel de ville avait été forcé par le peuple armé et hurlant: « liberté! des armes! » Dans les greniers, des caisses de fusils et de pistolets furent découvertes. Le gouverneur de la province, Van der Fosse, qui se trouvait à ce moment à l'hôtel de ville, s'enfuit vers le haut de la ville et quitta Bruxelles le soir même. Des membres de la Commission de sûreté, de l'état-major et les députés des sections réunis en séance, se dispersèrent. C'était la fin de la Commission de sûreté dont Van de Weyer ne signera cependant l'acte de décès que le lendemain à l'aube. Le Conseil de la garde disparut aussi. Le désarmement se poursuivit. Cependant le peuple lajssa des armes à ceux qui se joignirent à lui ou affirmèrent être prêts à se battre contre les Hollandais.

L'état-major ne siégeait plus à l'hôtel de ville, mais les cadres n'étaient pas tous brisés. Toute autorité n'était pas annihilée: des chefs de section réussirent à se faire écouter, à réunir quelques centaines de gardes et les conflits furent ainsi évités avec les groupes populaires, groupes qui étaient d'ailleurs en train de prendre une forme militaire. Les premiers corps francs apparurent. Le docteur en médecine, devenu commerçant, Ernest Grégoire, le liégeois Léonard Joseph Lambinon, le namurois Isidore Gillain, Jean-Baptiste 'Tanden Elskens dit « Borremans » se mirent à leur tête. Vanderlinden d'Hooghvorst réussit même à convoquer pour le lendemain une revue générale. En fait, le pouvoir était uniquement entre les mains des hommes en armes, qu'ils fussent du peuple ou de la bour geoisie. Les armes ne devaient pas servir à une révolution sociale, mais le peuple organisé voulait se défendre, repousser l'envahisseur étranger, l'attaquer même. Le secrétaire d'ambassade Cartwright fut frappé de cette attitude des insurgés : point de pillage, point d'effraction pour s'emparer des biens, mais des recherches systématiques pour trouver des fusils. Point de luttes contre le bourgeois, parce que bourgeois, mais de la haine manifestée contre les défaitistes et les attentistes.
Cette révolte fut-elle une action spontanée? En partie seulement. Il y eut des agents provocateurs, dont l'activité, en opposant peuple et garde bourgeoise, fit le jeu de Guillaume 1er. Elle justifiait,en effet, l'appel des bourgeois au prince Frédéric: les dangers de pillage légitimaient en quelque sorte l'entrée des troupes. II y eut aussi des meneurs français, mais ce furent surtout les Liégeois et les radicaux de la Réunion centrale qui poussèrent à l'action violente.

Le 20 vers midi, la Réunion centrale décida la création d'un Gouvernement provisoire. Rogier y présenta et y défendit trois noms: de Potter, l'homme du peuple, Gendebien, celui des classes moyennes et le comte d'Oultremont, véritable puissance dans le pays de Liège. Dans l'après-midi, le corps liégeois renforcé sortit en groupe imposant de la caserne et promena dans Bruxelles, sous le commandement de Charles Rogier, sabre au clair, un drapeau liégeois, jaune et rouge, sur lequel en lettres de drap noir, ont été inscrits les noms des trois hommes choisis par le club. D'autres noms écrits à la main ont été attachés au drapeau: Van Mleenen, Mérode, Raikem, Van de Weyer, Stassart. Exactement les noms que la Réunion centrale avait adjoints à la première liste lors d'une nouvelle réunion. Une affiche portant tous ces noms était placardée dans Bruxelles.
Mais cette Réunion centrale qui groupe cependant des radicaux, de vrais démocrates, de futurs républicains, n'entend nullement faire une révolution sociale. Elle a bousculé la Commission de sûreté parce qu'elle était trop tiède. Le soir du 20, elle décida, pour détourner le peuple de se livrer au désordre dans l'intérieur de la ville, de l'occuper militairement en organisant des corps francs et en cherchant à faire tomber les places fortes les plus proches de la capitale. Dans les campagnes, on sonnera le tocsin et l'on tentera de provoquer une insurrection générale. Une proclamation fut lancée, appelant la Belgique à un armement général contre la Hollande dont on fit entrevoir la conquête!

La nuit du 20 au 21 se passa sans excès. Des bourgeois atterrés aux premiers moments, reprirent confiance. D'Hooghvorst exerça à nouveau le commandement de la garde transformée, dont la mission se limitait maintenant à la défense de l'ordre à l'intérieur de la ville. Pour les opérations extra muras, des corps francs étaient en formation. Tous les yeux se tournèrent vers la banlieue. Le 21, au début de l'après-midi, un détachement de dragons fut signalé sur la route de Schaerbeek. L'alarme fut donnée, le tocsin sonna à Sainte-Gudule. Le peuple courut aux barricades, des petits groupes de volontaires, des Liégeois notamment, allèrent faire le coup de feu à Zellick, d'autres à Dilbeek, tandis que par la porte de Hal quittaient la ville ceux qui désespéraient de la victoire. Le comte Van der Meere chargé, le 21, du commandement des forces mobiles de la garde bourgeoise créées pour participer aux opérations militaires, s'éclipsa le soir même. Van de W eyer, de la Commission de sûreté, Moyard et le comte L. van der Burch, de l'état-major de la garde, étaient à Valenciennes le 22. Dans la nuit du 21 au 22, une fausse alerte fatigua les défenseurs, et la journée du 22 se passa en escarmouches aux abords de la ville. Le petit peuple restait prêt au combat. Il a multiplié les barricades, accumulé dans les greniers pierres et plâtras. Dans les quartiers populaires, l'avance des troupes royales rencontrera sûrement de sérieux obstacles.

La proclamation du prince annonçant l'entrée des troupes fut connue à Bruxelles le 22 dans l'après-midi. Elle alarma les tièdes. Le baron van der Smissen, commandant en second la garde, le chevalier Hotton, colonel commandant la garde à cheval, Fleury-Duray, major attaché, à l'état-major général de la garde, abandonnèrent à leur tour Bruxelles et ils retrouveront leurs amis le soir du 23, à Valenciennes, à l'Hôtel de la Poste aux Chevaux. Félix de Mérode était à Rixensart le 22, puis il se retira dans sa propriété de Trélon, dans le nord de la France. Des exaltés de la Réunion centrale prirent peur aussi. Niellon et Chazal quittèrent la capitale la veille des combats pour chercher également refuge en France. La cause semblait perdue. Ducpétiaux tenta une démarche de conciliation auprès du prince Frédéric. Il fut arrêté et envoyé à Anvers. Sa tentative prouvait bien le désarroi dans les rangs des extrémistes. Il restait cependant des fanatiques qui ne cédaient pas. Ils seront peu nombreux le 23 septembre, aux premières heures du jour, pour s'opposer à l'entrée des troupes dans la ville.

N. - B.: Vous pouvez retrouver les chapitres 1 et 2 en tapant simplement 1830 dans le moteur de recherche en haut à droite sur la première page du site

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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Subjectif présent

Paysages de pluies,
austères majestés :
l'Ardenne que je vis
aurait-elle existé
si je n'avais surpris
quelques mots à marier ?
Quelle saveur, quel fruit,
aux semailles couchées,
s'il en est qui survit,
s'il vous plaît à l'aimer ?

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Collection Robert Paul Exemplaire sur papier Chine Reproduction interdite

Six chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre (1895)
Collection Robert Paul (exemplaire sur papier Chine)

Edition originale (rarissime)

Un pauvre homme est entré chez moi

Pour des chansons qu'il venait de vendre,

Comme Pâques chantait en Flandre

Et mille oiseaux doux à entendre,

Un pauvre homme a chanté chez moi,

Si humblement que c'était moi

Pour les refrains et les paroles

A tous et toutes bénévoles,

Si humblement que c'était moi

Selon mon coeur comme ma foi.

Or, pour ces chansons, les voici,

Comme mon âme, les voilà,

Sainte Cécile, entre vos bras;

Or, ces chansons bien les voici,

Comme voilà bien mon pays

Où les cloches chantent aussi

Entre les arbres qui s'embrassent

Devant les gens heureux qui passent,

Où les cloches chantent aussi

Des Dimanches aux Samedis;

Et c'est pour toute une semaine

Qu'ici mon coeur, sur tous les tons,

Chante les joies de la saison,

Et c'est dans toute une semaine

Où chaque jour a sa chanson.

I


CELLE DU LUNDI

Et prime en joies, et tout béni,

Gens de chez moi, voici Lundi:


Messes sonnant, cloches en tête,

Avec leurs voix qui disent fête,


Et le soleil après, et puis

Ceux des outils tout beaux d'habits.


Mais lors, chôment les établis,

Et suivant la mode d'ici,


Avec les voeux qu'on se souhaite,

Les apprentis chantez la quête;


Puis préparez, comme aux dimanches,

Pour tous les saints leurs robes blanches,


Car dès aube, tout en sueur,

Voici saint Arnold des brasseurs


Cherchant saint Jude avec ses hommes,

Pour s'aller jouer à la paume.


Or place alors, sur le marché,

Maraîchères et maraîchers,


Car aujourd'hui ceux de saint Blaise

Pour le palet veulent leurs aises,


Tandis qu'ayant perdu leur roi,

S'en vont, les bras longs, ceux d' Eloi


Montrer à tous, faute de gloire,

Comment forgerons savent boire


Et garder pour eux le bon droit

Aussi bien au jacquet qu'à l' oie.


Mais lors c'est votre heure, aubergistes,

Et que saint Riquier vous assite,


Et soif aidant lundi de mai,

S'accomplissent tous vos souhaits;


Puis mendiants que Job patronne,

Salut! et plaies pansées d' aumônes,


Quant à nous, ceux de Sébastien,

Nous partons au joyeux jardin


Tirer, puisqu'aujourd'hui c'est fête,

Le papegai à l' arbalète,


Laissant bouder à mauvais vin

Ceux de Crépin seuls en leur coin.

II


CELLE DU MARDI


Et mardi, ce sont les batistes

Et les linges dans tous les coins

Des maisons comme des jardins,

Et mardi, voici les batistes,


Et les vieilles gens égoïstes,

Faisant taire à chaque refrain

Les servantes, le coeur au loin,

Dans les chansons qui les assistent.


Mais paix et joies aux rouges mains,

C'est mardi blanc comme les anges,

Et dans les toiles et les langes

Lors paix et joies aux rouges mains,


Puis gloire à vous, sainte Blandine

Descendue chez les serviteurs,

Puis gloire à vous, sainte Blandine

En aide douce à leur labeur,


C'est mardi, c'est votre conquête,

Aux fenêtres, blancs les rideaux,

Comme aussi les armoires nettes

Et fleurant bon les draps nouveaux.

III


CELLE DU MERCREDI


Puis tout en blanc

Et tout en rose,

C'est le grand jour des jardiniers,

Mercredi ainsi qu'un bouquet

Chantant-fleurant

Lilas et rose,


Et les marchés

Pleins de pensées,

Et les carillons exaucés

En leurs voeux de voix et clarté,

Fleurs enbaumant,

Cloches sonnées.


Or Flandre alors,

C'est en décors

D'arbres au loin en draperies,

Jardinier, vos imageries,

Et Flandre, alors,

Chère à saint Maur,


Puis par vos soins

Mercredi ouint

D'un paradis tout en prairies,

Et pour la douceur de la vie

Alors sans fin,

Flandre aux jardins.

IV


CELLE DU JEUDI


Et lors, Jeudi, rendez heureux

Les cordiers et les amoureux,

Les uns seuls et les autres deux,

Mais tous experts en lacs et noeuds;


Et pour les cordiers, faites tendre

Sous les cardes virer le chanvre,

Et pour les amoureux, sans nombre

Baisers donnés, baisers à rendre.


Puis, soit de lin ou soit de chanvre,

Jeudi, sacrez tous les liens

Pour le repos et pour le bien

De notre amour quotidien;


Et Pierre, alors, des Fois jurées,

Aux mains doigts à doigts enlacées

A toujours ainsi qu'à jamais,

Prêchez et puis sanctifiez:


Des cordiers le voeu de veuvage,

Et Jeudi, des sots et des sages,

Les uns seuls et les autres deux,

Mais tous experts en lacs et en noeuds.

V


CELLE DU VENDREDI


Or, Vendredi, c'est vous alors,

Vendredi cher à ceux du Nord

En mémoire de Jésus mort,


Et puis les barques et les voiles

Rentrant de mer à pleine toile,

Chacune selon son étoile


Pauvre ou riche, mais de retour

Avec les guidons à l'entour

Des mâts qui fêtent leur grand jour.


Car Vendredi, c'est saint Christophe

Patron de l' amure et du lof

Et des drapeaux de rouge étoffe,


Et mer en fête, et terre en joie,

Et le poisson, comme au pavois,

Porté dans la clameur des voix,


Puis toutes les mains étonnées

Des mannes trop multipliées

Pour n'être point miraculées.


Mais lors c'est fête, pauvres gens,

Et dansez en rond les enfants

Au soir venu avec le vent,


Et vendredi, ardent les souches!

Car sonne enfin l'heure des bouches,

Avec le soleil qui se couche.

VI


CELLE DU SAMEDI


Et Samedi soir,

Samedi soir,

Avec votre bel habit noir,

Et les lampes que l'on allume,

Et les toits des maisons qui fument;

Et Samedi soir,

Samedi soir,

Maintenant c'est vous tout en noir,


Et puis les pies,

Et puis la lune,

Et sur leurs portes les vieillards,

Et les enfants qui chantent tard

Près des bêtes à l'abreuvoir,

Et puis les pies,

Et puis la lune,

Et les maçons qui s'en vont boire.


Or, à sa fin

C'est la semaine,

Et pour les pauvres doigts de peine

Aux écheveaux la fin des laines,

Et tout en place en les armoires;

Or, c'est la fin

De la semaine

Où chaque jour fut à la peine,


Et samedi soir,

Samedi soir,

Avec votre bel habit noir,

Maintenant de nuit douce et pleine

Faites à tous un reposoir;

Samedi soir,

Samedi soir,

Tout le monde a fait son devoir.


A présent c'est encor Dimanche,

Et le soleil, et le matin,

Et les oiseaux dans les jardins,

A présent c'est encor Dimanche,

Et les enfants en robes blanches,

Et les villes dans les lointains,

Et, sous les arbres des chemins,

Flandre et la mer entre les branches.


Or, c'est le jour de tous les anges;

Michel avec ses hirondelles

Et Gabriel tout à ses ailes,

Or, c'est le jour de tous les anges;

Puis, sur terre les gens heureux,

Les gens de mon pays, tous ceux

Allés par un, allés par deux,

Rire à la vie aux lointains bleus;


A présent c'est encor Dimanche,

-Meuniers dormants à leurs moulins,-

A présent c'est encor Dimanche,

Et ma chanson, lors à sa fin.

 

 

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MAL D' INNOCENCE

Je ne reconnais pas la personne sur le miroir . j'aperçois une personne étrange aux traits sévères et au regard sans expression
J'ai envie de sortir de mon corps et courir à en perdre l'haleine.
••••••••••••••
J'ai envie de poursuivre les papillons parmi les fleurs dans un paysage aux mille couleurs.
J'ai envie de me fondre à l'arc en ciel un jour pluvieux.
J'ai envie de m'enivrer de l'air frais du printemps
J'ai envie de me balader dans le sable jadis doré d' Ain Diab
J'ai envie m'asseoir sur le rocher du marabout Sidi Abderrahman et regarder la mer des heures et des heures sans me lasser;
J'ai envie de retrouver mes amis d'enfance ; Khadija, fatiha, Myriam, Samir , Gaby, Michèle et les autres
J'ai envie de leur prendre la main dans une ronde et tourner, tourner sans jamais s'arrêter.
J'ai envie de retrouver le temps ou un rien nous remplissait de joie et bonheur.
••••••••••••••
Je tourne le dos au miroir et sort dans la rue.
Je marche d'un pas lent mais décisif avec l'espoir de retrouver le temps de l' INNOCENCE PERDUE.

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ADMINISTRATEUR GENERAL

Porentru a voyagé dans de nombreux pays et a été principalement fascinée par les affiches qu'elle a collectionnées dans sa mémoire.

Sa démarche réside dans le fait qu'elle considère qu'il n'y a pas d'avenir sans passé.

Pour elle, ces affiches déchirées dans différentes villes du monde sont une empreinte significative de l'histoire, et ainsi mêlees à sa peinture elles deviennent son propre présent, contemporain plein de vie et d'avenir. La dualité également est très présente dans sa peinture, surtout l'ombre que nous projetons de nous-mêmes avec nos multifacettes, car l'humain est complexe c'est ce qui fait sa force et sa richesse.

Le rapport passé-présent, puis l'être humain et son ombre sont en permanence en confrontation dans son oeuvre.

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l'enfer du décor

Vite, de retour des terres de Sienne, je ne résiste pas au plaisir sadique de dévoiler l'envers du paradis .. Ici bas qq-part en Toscane,une des photos emblématiques mise à mal.. par un cadrage indécent..

Le groupe de cyprès et à droite l'élément perturbateur..

gegout©2010

SDC10295

Tout individu visitant cette Toscane sera confronté à cette photo déclinée sous tous les produits dérivés.. calendriers et cartes postales.. Une sorte de madone végétale, une Mona Lisa sylvestre.. un David au sexe lon.. et multiple..!

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12272661101?profile=originalLa Fleur en Papier Doré, rue des Alexiens à Bruxelles

Maria CaunusPropos de Maria Caunus sur "La poésie portugaise"

Le livre de référence, paru aux Editions de l'Arbre à paroles, un anthologie par Robert Massart

Poésies d'Amelia Militao lues par Isabelle Bielecki

Amelia Militao évoqua également des textes de Florbela Espanca et de Miguel Torca

Une séance sous les auspices du Grenier Jane Tony, 29ème saison du cercle (Dir. Piet Lincken) au beau printemps 2010.

(Photos Arts et lettres)

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Inspiré des peintures de Watteau et de Fragonard, l'univers des Fêtes galantes (1869) de Verlaine rappelle, tant par ses personnages que par ses décors, celui d'un XVIIIe siècle sensuel, spirituel, libertin, ironique, élégant, désinvolte. La nature est domestiquée en parcs - pourvus d'avenues, de boulingrins, de bassins, de grottes, de pavillons et de statues - dans lesquels évoluent des figures dont les noms conventionnels évoquent les jeux de la Préciosité, par exemple Clitandre dans "Pantomime", Clymène dans "Dans la grotte" et "A Clymène", Atys, Églé et Chloris dans "En bateau", ou Tircis et Aminte dans "Mandoline".

Le corps est mis en représentation, paré avec artifice, grâce à des masques ("Clair de lune") ou à une mouche qui "ravive l'éclat [...] de l'oeil" ("l'Allée"). Vêtements et parures sont somptueux, destinés à solliciter les regards et à aiguiser les désirs: "Les hauts talons luttaient avec les longues jupes, / En sorte que, selon le terrain et le vent, / Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent / Interceptés! - Et nous aimons ce jeu de dupes" ("les Ingénus"). Raffiné, tant dans ce qu'il met en scène que dans sa facture poétique, l'art verlainien se plaît, l'exemple précédent en témoigne, à de subtils rejets qui soulignent le sens, non sans humour, et confèrent au vers une musicalité particulière. Fréquemment évoquée dans le recueil car elle fait partie de l'environnement coutumier des personnages, la musique fonde aussi le charme et l'originalité de la poésie des Fêtes galantes. Ainsi "Sur l'herbe", faisant fi de toute logique, voire du langage lui-même, mime l'euphorie d'un chant suscité par l'ivresse: "- Ma flamme... - Do, mi, sol, la, si./ [...] - Messieurs, eh bien? / - Do, mi, sol. - Hé! bonsoir, la Lune!" Ailleurs, ce sont la variété, le caractère inhabituel et la brièveté des mètres, cette dernière entraînant un retour rapide de la rime et de nombreux rejets, qui engendrent une mélodie inédite et typiquement verlainienne: "Arlequin aussi / Cet aigrefin si / Fantasque / Aux costumes fous, / Ses yeux luisant sous / Son masque" ("Colombin"). L'utilisation fréquente de l'assonance et de l'allitération contribue également à la musicalité, souvent ludique, du vers: "Et filons! - et bientôt Fanchon / Nous fleurira - quoi qu'on caquette!" ("En patinant").

Le comportement des personnages qui peuplent les Fêtes galantes est codé et étudié ("Avec mille façons et mille afféteries", "l'Allée"). Le paraître est savamment orchestré et appelle un décryptage sur ce théâtre - nombreuses sont d'ailleurs les références aux personnages de la commedia dell'arte - du badinage érotique: "On est puni par un regard très sec, / Lequel contraste, au demeurant, avec / La moue assez clémente de la bouche" ("A la promenade"). Toujours teinté d'un léger humour - ainsi, "un baiser sur l'extrême phalange / Du petit doigt" est une chose "immensément excessive et farouche" dans "A la promenade" -, le marivaudage se fait parfois plus audacieux, sinon parodique, par exemple lorsqu'une belle, "gantée avec art" et drapée dans sa "lourde robe" attire l'"insolent suffrage", c'est-à-dire attise le brûlant et sauvage désir de ses compagnons familiers, un singe et un négrillon. Dans "les Coquillages", le jeu de la métaphore précieuse, qui associe les coquillages d'une grotte à diverses parties du corps de l'amante, se termine par une chute où se mêlent humour, galanterie et érotisme: "Mais un, entre autres, me troubla."

La fantaisie du recueil, son aspect badin, voire anodin, ne sauraient masquer la présence d'une tristesse qui y imprime comme un voile permanent. Ainsi, le premier poème invite déjà à repérer un décalage ou une discordance au sein de la voix qui chante, à percevoir une détresse exprimée en sourdine derrière l'apparence: "Tout en chantant sur le mode mineur / L'amour vainqueur et la vie opportune, / Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur / Et leur chanson se mêle au clair de lune" ("Clair de lune"). Certes, l'amour et le bonheur sont offerts mais leur appropriation ne s'effectue pas pleinement. Toujours balancée au rythme d'un "souffle berceur" ("En sourdine"), soumise à des principes contradictoires et traduite volontiers par des images oxymoriques, l'expérience verlainienne ressemble à ces jets d'eau que l'on voit "sangloter d'extase" dès le poème initial.

Le plaisir est inséparable d'une mélancolie inspirée sans doute par la conscience du caractère provisoire et périssable de toute chose. Ainsi le décor même des Fêtes galantes paraît parfois fragile, menacé. Dans "A la promenade", par exemple, les adjectifs confèrent avec insistance au décor une inquiétante précarité - "Le ciel si pâle et les arbres si grêles" - qui le porte au bord de l'évanescence. Les derniers poèmes des Fêtes galantes confirment et aggravent cette impression d'angoisse, sensible dès "Clair de lune" et perceptible dans divers autres textes. L'"exquise mort", qui consisterait, pour les amants, à mourir d'amour ensemble, est traitée, dans "les Indolents", sur un mode franchement comique; elle ne s'accomplit pas puisque les protagonistes "Eurent l'inexpiable tort / D'ajourner une exquise mort. / Hi! hi! hi! les amants bizarres." Ce poème, iconoclaste en ce qu'il désacralise le sentiment, semble préfigurer "l'Amour par terre" qui dit peu après, sur un mode grave, la destruction de l'Amour dont "le vent de l'autre nuit a jeté bas" la statue: l'exclamation "Oh! c'est triste!" vient à deux reprises souligner le caractère douloureux du spectacle. Cette fois, le rire n'est plus de mise et tout se passe comme si l'univers des Fêtes galantes, un moment surgi du néant, des temps anciens et de l'imagination du poète, s'abolissait à tout jamais. Dans le dernier poème, "Colloque sentimental", le parc est désormais "solitaire et glacé". Les personnages ne sont plus que "deux formes" fantomatiques, "deux spectres": "Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, / Et l'on entend à peine leurs paroles." Le recueil choisit de se clore sur cette parole qui s'anéantit et sur une note désespérée: "L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir." La magie et les mirages des Fêtes galantes ne sauraient masquer, dans la poésie de Verlaine, la "voix [du] désespoir" ("En sourdine").

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André Goosse et la nouvelle orthographe

André Goosse est le grammairien belge que l’on sait. Doit-on encore rappeler qu’il est le continuateur de Maurice Grevisse, et qu’il réédite et met à jour l'ouvrage de ce dernier, Le Bon Usage ?

Plus récemment, André Goosse s'est investi dans le débat portant sur la nouvelle orthographe. Le Conseil supérieur de la langue française (dont il est membre depuis 1989) avait préparé un rapport, non pas sur une réforme de l'orthographe, mais sur des aménagements destinés à remédier au désordre et à l'arbitraire. C'était peu de choses, mais il en est résulté une grande agitation des esprits. Dans La nouvelle orthographe (1991), André Goosse défend avec flamme la réforme de 1990. Une question qui redevient actuelle et dont on parle beaucoup !

 

André Goosse sera en entretien avec Anne Dister

à la Casa Nicaragua, En Pierreuse, 23, à 4000 Liège

le 26 mai 2010 à 20 heures

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COMPTINE MYSTERIEUSE

COMPTINE MYSTERIEUSE

Le village d'Ophain est situé dans le Brabant wallon à une vingtaine de kilomètres de Bruxelles.
Un ami qui y a passé son enfance me racontait que dans les années 1945-1950 lorsque passait un chemineau, les enfants le suivaient en chantant:

PIERRE A LA ROUTE DANS LE DESERT
PIERRE A LAPIN
BOUILLON MALADE

Cette comptine serait-elle venue du Moyen Âge ?
S'agirait-il de Pierre L'Ermite qui prêchait les croisades ?
Pierre a lapin (a la peste)
Godefroid de Bouillon est malade.

Cette explication donne le vertige.


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