Collection Robert Paul Exemplaire sur papier Chine Reproduction interdite
Six chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre (1895)
Collection Robert Paul (exemplaire sur papier Chine)
Edition originale (rarissime)
Un pauvre homme est entré chez moi
Pour des chansons qu'il venait de vendre,
Comme Pâques chantait en Flandre
Et mille oiseaux doux à entendre,
Un pauvre homme a chanté chez moi,
Si humblement que c'était moi
Pour les refrains et les paroles
A tous et toutes bénévoles,
Si humblement que c'était moi
Selon mon coeur comme ma foi.
Or, pour ces chansons, les voici,
Comme mon âme, les voilà,
Sainte Cécile, entre vos bras;
Or, ces chansons bien les voici,
Comme voilà bien mon pays
Où les cloches chantent aussi
Entre les arbres qui s'embrassent
Devant les gens heureux qui passent,
Où les cloches chantent aussi
Des Dimanches aux Samedis;
Et c'est pour toute une semaine
Qu'ici mon coeur, sur tous les tons,
Chante les joies de la saison,
Et c'est dans toute une semaine
Où chaque jour a sa chanson.
I
CELLE DU LUNDI
Et prime en joies, et tout béni,
Gens de chez moi, voici Lundi:
Messes sonnant, cloches en tête,
Avec leurs voix qui disent fête,
Et le soleil après, et puis
Ceux des outils tout beaux d'habits.
Mais lors, chôment les établis,
Et suivant la mode d'ici,
Avec les voeux qu'on se souhaite,
Les apprentis chantez la quête;
Puis préparez, comme aux dimanches,
Pour tous les saints leurs robes blanches,
Car dès aube, tout en sueur,
Voici saint Arnold des brasseurs
Cherchant saint Jude avec ses hommes,
Pour s'aller jouer à la paume.
Or place alors, sur le marché,
Maraîchères et maraîchers,
Car aujourd'hui ceux de saint Blaise
Pour le palet veulent leurs aises,
Tandis qu'ayant perdu leur roi,
S'en vont, les bras longs, ceux d' Eloi
Montrer à tous, faute de gloire,
Comment forgerons savent boire
Et garder pour eux le bon droit
Aussi bien au jacquet qu'à l' oie.
Mais lors c'est votre heure, aubergistes,
Et que saint Riquier vous assite,
Et soif aidant lundi de mai,
S'accomplissent tous vos souhaits;
Puis mendiants que Job patronne,
Salut! et plaies pansées d' aumônes,
Quant à nous, ceux de Sébastien,
Nous partons au joyeux jardin
Tirer, puisqu'aujourd'hui c'est fête,
Le papegai à l' arbalète,
Laissant bouder à mauvais vin
Ceux de Crépin seuls en leur coin.
II
CELLE DU MARDI
Et mardi, ce sont les batistes
Et les linges dans tous les coins
Des maisons comme des jardins,
Et mardi, voici les batistes,
Et les vieilles gens égoïstes,
Faisant taire à chaque refrain
Les servantes, le coeur au loin,
Dans les chansons qui les assistent.
Mais paix et joies aux rouges mains,
C'est mardi blanc comme les anges,
Et dans les toiles et les langes
Lors paix et joies aux rouges mains,
Puis gloire à vous, sainte Blandine
Descendue chez les serviteurs,
Puis gloire à vous, sainte Blandine
En aide douce à leur labeur,
C'est mardi, c'est votre conquête,
Aux fenêtres, blancs les rideaux,
Comme aussi les armoires nettes
Et fleurant bon les draps nouveaux.
III
CELLE DU MERCREDI
Puis tout en blanc
Et tout en rose,
C'est le grand jour des jardiniers,
Mercredi ainsi qu'un bouquet
Chantant-fleurant
Lilas et rose,
Et les marchés
Pleins de pensées,
Et les carillons exaucés
En leurs voeux de voix et clarté,
Fleurs enbaumant,
Cloches sonnées.
Or Flandre alors,
C'est en décors
D'arbres au loin en draperies,
Jardinier, vos imageries,
Et Flandre, alors,
Chère à saint Maur,
Puis par vos soins
Mercredi ouint
D'un paradis tout en prairies,
Et pour la douceur de la vie
Alors sans fin,
Flandre aux jardins.
IV
CELLE DU JEUDI
Et lors, Jeudi, rendez heureux
Les cordiers et les amoureux,
Les uns seuls et les autres deux,
Mais tous experts en lacs et noeuds;
Et pour les cordiers, faites tendre
Sous les cardes virer le chanvre,
Et pour les amoureux, sans nombre
Baisers donnés, baisers à rendre.
Puis, soit de lin ou soit de chanvre,
Jeudi, sacrez tous les liens
Pour le repos et pour le bien
De notre amour quotidien;
Et Pierre, alors, des Fois jurées,
Aux mains doigts à doigts enlacées
A toujours ainsi qu'à jamais,
Prêchez et puis sanctifiez:
Des cordiers le voeu de veuvage,
Et Jeudi, des sots et des sages,
Les uns seuls et les autres deux,
Mais tous experts en lacs et en noeuds.
V
CELLE DU VENDREDI
Or, Vendredi, c'est vous alors,
Vendredi cher à ceux du Nord
En mémoire de Jésus mort,
Et puis les barques et les voiles
Rentrant de mer à pleine toile,
Chacune selon son étoile
Pauvre ou riche, mais de retour
Avec les guidons à l'entour
Des mâts qui fêtent leur grand jour.
Car Vendredi, c'est saint Christophe
Patron de l' amure et du lof
Et des drapeaux de rouge étoffe,
Et mer en fête, et terre en joie,
Et le poisson, comme au pavois,
Porté dans la clameur des voix,
Puis toutes les mains étonnées
Des mannes trop multipliées
Pour n'être point miraculées.
Mais lors c'est fête, pauvres gens,
Et dansez en rond les enfants
Au soir venu avec le vent,
Et vendredi, ardent les souches!
Car sonne enfin l'heure des bouches,
Avec le soleil qui se couche.
VI
CELLE DU SAMEDI
Et Samedi soir,
Samedi soir,
Avec votre bel habit noir,
Et les lampes que l'on allume,
Et les toits des maisons qui fument;
Et Samedi soir,
Samedi soir,
Maintenant c'est vous tout en noir,
Et puis les pies,
Et puis la lune,
Et sur leurs portes les vieillards,
Et les enfants qui chantent tard
Près des bêtes à l'abreuvoir,
Et puis les pies,
Et puis la lune,
Et les maçons qui s'en vont boire.
Or, à sa fin
C'est la semaine,
Et pour les pauvres doigts de peine
Aux écheveaux la fin des laines,
Et tout en place en les armoires;
Or, c'est la fin
De la semaine
Où chaque jour fut à la peine,
Et samedi soir,
Samedi soir,
Avec votre bel habit noir,
Maintenant de nuit douce et pleine
Faites à tous un reposoir;
Samedi soir,
Samedi soir,
Tout le monde a fait son devoir.
A présent c'est encor Dimanche,
Et le soleil, et le matin,
Et les oiseaux dans les jardins,
A présent c'est encor Dimanche,
Et les enfants en robes blanches,
Et les villes dans les lointains,
Et, sous les arbres des chemins,
Flandre et la mer entre les branches.
Or, c'est le jour de tous les anges;
Michel avec ses hirondelles
Et Gabriel tout à ses ailes,
Or, c'est le jour de tous les anges;
Puis, sur terre les gens heureux,
Les gens de mon pays, tous ceux
Allés par un, allés par deux,
Rire à la vie aux lointains bleus;
A présent c'est encor Dimanche,
-Meuniers dormants à leurs moulins,-
A présent c'est encor Dimanche,
Et ma chanson, lors à sa fin.
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Commentaires
Notre Dame des imagiers, une des sept Notre Dame des plus beaux métiers. Bois gravé de Max Elskamp. Coll. R.P. Rarissime
Un autre chef d'oeuvre: L'alphabet de Notre Dame la vierge
Versifier les jours, c’est s’aider à apprécier d’agréables moments qui passent et ne plus s’apitoyer sur le refrain de Charles Aznavour (1924-2018) : «Je n'ai pas vu le temps passer! » Quant à moi, j’ai apprécié le « Samedi soir, Avec votre bel habit noir, Tout le monde a fait son devoir » soit d’aimer ou de faire la fête et de s’ouvrir tout simplement à la vie après une semaine éreintante. Mieux, j’ai aimé aussi « Dimanche, le jour de tous les anges. » Merci à vous Monsieur Robert Paul pour cette douceur poétique de la Flandre. Alger, Louhal Nourreddine, le 4 octobre 2020.
Merci pour ce trésor de beauté et de sagesse que vous avez partagé avec nous. On sent derrière chaque vers le parfum d'une époque paisible. Merveilleux !
Tout en découvrant jour après jour ce texte de Max Elskamp, pesant chaque mots, d'une telle justesse d'expression de l'âme et de l'esprit, c'est aussi toute une série de tableaux qui fêtent la joie de vivre, dans sa plus pure simplicité constituée par la nature d'un être.
Merci de partager vos livres précieux Monsieur Paul.
Michelle
Quelle merveille ! Tout à la fois poésie, rappel des saints du jour, étude des us et coutumes de l'époque , un petit bijou de la Flandre du temps jadis ... imprimé chez Henri Van de Velde... document ô combien précieux !! Merci de ce partage enchanteur, Monsieur Paul !
Cordialement, Nicole