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Un vagabond sans bagage JGobert

Déguisé en chien, Il erre volontairement d’une démarche lourde dans les rues de la ville. Il ne cherche rien. Il a perdu son souffle. Il a baissé les bras, jeté ses rêves, effacé de sa mémoire ses souvenirs. Il est seul avec lui-même. Un vagabond sans bagage.

Dans une autre vie, il était important. Il avait des responsabilités, de l’argent, le pouvoir. Ce pouvoir qui fait qu’un homme est respecté, adulé, honoré par les autres hommes. Tout le monde l’admirait et il aimait les plus belles.  Quand il sortait le soir, il voyait les yeux se fixer sur lui et l’envier. Belle voiture,  belle demeure, belle femme. Tout ce qu’un homme aime posséder. Il était célèbre aussi pour ses débordements, les gens trouvaient qu’il en faisait trop mais ils le flattaient malgré tout.   Pouvoir, gloire, argent font de vous un être souverain. Il avait perdu le sens même de la réalité.

Il avait une famille. Une femme, une petite fille qui ne le voyaient pas souvent. Son emploi du temps ne lui permettait pas d’être journellement avec eux.  Il voyageait beaucoup pour ses affaires, pour son plaisir. Il passait le plus clair de son temps dans de très beaux hôtels parfois en bonne compagnie. Un jour, sa femme demanda le divorce. Celle-ci lui prit une partie de sa fortune et continua sa vie loin de lui.

Depuis quelques années, il n’est plus le même, il déambule dans cette existence dépouillée mesurant ainsi le chemin parcouru en vain et la vraie valeur des choses et leur réelle importance. Il cherche une figure de paix débarrassée des biens matériels. Il cherche un renouveau, une paix intérieure

Dehors il redécouvre le monde, la vie. Il apprend à savourer, à goûter un rayon de soleil et sa chaleur sur sa peau. L’odeur d’un café noir qui s’échappe d’une fenêtre ouverte. La beauté éphémère d’une fleur à peine éclose couverte de rosée. Le chant mélodieux d’un rossignol posé sur une branche. Le cliquetis  cristallin de l’eau qui se déverse lentement dans un petit bassin couvert de minuscules nénuphars. Le rire d’un enfant que sa mère promène avec tant d’amour. Il cherche l’apaisement.

Il se dit qu’il a gaspillé un temps précieux  dans tant de choses futiles, puérils. Cette ambition qu’il poursuivait si intensément, ce pouvoir qu’il entretenait avec tant de force, cet argent qu’il lui était si indispensable,  ne lui permettait pas de voir le bonheur étalé à ses pieds et au lieu de le ramasser délicatement, le recueillir avec bonheur, il le piétinait chaque jour avec force.

Mais ce destin d’exception sans âme commençait à l’étouffer, le rendre sombre et soucieux. Chaque jour devenait de plus en plus difficile, malaisé. Il sentait son étoile lui échapper. Il était riche et il n’était pas heureux.

Un soir qu’il festoyait dans sa belle résidence, avec de nombreux nouveaux amis, que sa piscine était remplie d’étrangers et sa table et sa cave vidée. La musique s’arrêta.

Le téléphone sonna.  Une voix venue d’ailleurs  l’immobilisa et il sentit le sol se dérober sous ses pas.  Une flopée de sentiments oubliés, effacés l’envahir. Il s’éveilla d’un long sommeil.

Sa fille vient d’avoir un accident et tout lui revient à la figure. Tout ce qu’il n’a pas fait pour elle. Tout ce qu’il a omis de lui dire. Le silence installé entre eux et l’indifférence dans laquelle la vie l’a plongé. Tout ce qu’elle représente pour lui et dont il n’avait plus conscience depuis si longtemps.

Le souvenir de sa naissance et la joie qu’il avait ressenti. L’immense bonheur qui l’avait submergé à la minute même de son premier cri. L’importance qu’elle avait pris pour lui à ce moment, c’était son bonheur, son bébé.

La fin de l’histoire n’est pas tragique. Sa fille va bien. Elle n’a pas voulu le recevoir à l’hôpital, ni le revoir depuis. Malgré son insistance, elle lui a dit d’une voix étrange qu’il n’était plus son père depuis si longtemps et qu’elle n’avait pas besoin de lui. Que son amour ne l’intéressait pas, qu’elle n’en voulait pas, qu’elle n’en avait pas besoin.

Il continue son destin avec ces phrases gravées sur son cœur et de nombreuses interrogations. Il connaît maintenant le poids de la solitude dans un cœur qui aime à vide. Il réapprend d’autres valeurs  et  reconnaît que sa fille est l’être le plus important de sa vie. Il sait aussi que le pouvoir, la gloire et l’argent lui ont pris une grande  partie de son temps le laissant démuni de l’essentiel.

Un matin, il est parti.

 

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administrateur partenariats

Corroy-le-Grand, ce samedi 21 juin,

nous découvrons une discrète mais coquette fermette

fleurie de mille parfums.

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Nous passons la barrière et approchons de cette jolie porte

derrière laquelle se cache un atelier de peinture très particulier !

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De merveilleux animaux décorent les murs de cette pièce accueillante...

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Pinceaux d'une finesse extraordinaire, les outils du peintre animalier

reproduisent à la perfection et avec toute la sensibilité que cela requière,

les douces fourrures soyeuses de nos amis les animaux.

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Passionnée, Nicole nous explique la démarche de son travail.

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Le travail est précis, méticuleux, et l'étude des matières est le fruit d'un très long travail

de documentation ! Nicole imagine les décors dans lesquels elle place les animaux et cultive

dans son jardin les plantes et les fleurs qui figurent sur ses compositions originales .

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12273023690?profile=originalUne très belle rencontre immortalisée par la traditionnelle photo,

De gauche à droite,  Adyne Gohy , Nicole Duvivier et Liliane Magotte.

Un partenariat

Arts 12272797098?profile=originalLettres

Nicole Duvivier, peintre animalier, est l'invitée vidéo d'Arts et Lettres de novembre 2014.

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12273019894?profile=originalVenderoras, de rosquillas en un rincon de Sevilla, 1881.

Manuel Wssel de Guimbarda.

Quand bien même ils furent très influencés par les artistes étrangers.

Je pense notamment aux chantres du romantisme, les Français, Delacroix et son Le massacre de Scio, et Géricault ou, un peu plus tard, par le réalisme de Courbet, les Anglais Constable et Turner, ou l'Allemand Caspar David Friedrich.

Mais aussi et surtout à leur propre littérature, en particulier Estébanez Calderon et ses "Escenas andaluzas", 1831. Ou dans son sillage Fernan Caballero avec "Cuadros de costumbres populares andaluzas", 1852.

Quand bien sûr leur travail fut occulté en Espagne même et au-delà par l'immense et inclassable Franscisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Goya, ce colosse, écrasa profondément le dix-neuvième siècle, comme l'ogre Picasso ne fit qu'une bouchée du vingtième.

Aussi c'est bien pour cela que j'ai souhaité vous les faire découvrir ici.

Car tous ces peintres ont développé leur propre identité au travers de grands thèmes liés au romantisme, tels le paysage ou l'histoire.

Ici teintés par l'architecture mauresque...

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A choeur battant rien d'impossible (cathédrale de Séville).

"Les riches plafonds,

Les miroirs profonds,

La splendeur orientale,

Tout y parlerait

A l'âme en secret

Sa douce langue natale."

Charles Baudelaire, L'invitation au voyage.

... ou des types (le Gitan et le flamenco, le brigand, bandolero, la courtisane, la danseuse, bailarina, le taureau et le torero, le religieux et le pénitent...) qui constituent l'essence du costumbrisme.

Certains de ces peintres sont dits "précieux", tels :

Manuel Wssel de Guimbarda (1833-1907), voir plus haut ses "Vendeuses de beignets".

Ricardo Lopez Cabrera (1864-1950), dont je présente "Les jeunes mariés" 

12273021066?profile=originalRecién casados, 1905.

José Gallegos y Arnosa (1859-1921) et ses "Enfants de choeur" :

12273021281?profile=originalNiños de coro, 1885/90.

Vicente Palmaroli Gonzales (1834-1896), en ses "Jours d'été" plus impressionniste :

12273021674?profile=originalDias de verano, 1885.

Ou enfin José Garcia Ramos (1852-1912), où "En sortant d'un bal masqué" constitue peut-être l'archétype du style "précieux" :

12273021465?profile=originalSalida de un baile de masquaras, 1905.

A suivre...

Michel Lansardière (texte et photos).

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La deuxième mort de Jésus.

L’idée m’était venue d’écrire un texte sur Judas. Sa personnalité m’avait toujours fasciné, il avait été le plus déterminant des apôtres. Sans lui rien de ce que nous vénérons, rien de notre culture et de notre civilisation, rien de ce qui est notre histoire, rien n’aurait été. C’eût été mieux ? Qui le sait ?

Ce serait une pièce de théâtre mais la vie sur un plateau de théâtre  vous renvoie à la vôtre et fait de toute une salle un seul spectateur.

Il y aura Marie-Madeleine bien sûr. En revanche Myriam, celle dont on ne parle jamais, l’amie de Judas, s’éprendra peu à peu de Jésus l’homme de pouvoir, l’homme en vue. Celui dont chacun des propos, même le plus trivial, suscite le débat et la controverse. N’est-ce pas une raison suffisante pour que le Magistère souhaite sa mort ?

Judas a été l’instrument du Pouvoir. Il accomplira son destin. Jésus accomplira le sien. Et le peuple de Judas, c’était aussi celui de Jésus, accomplira celui qui lui était dévolu de toujours.

En réalité, le thème de la pièce ne sera pas celui-là : Judas tuera Jésus par jalousie. Comme un homme trompé le ferait dans une banale histoire de coucherie. Mais comme tous les faibles qui n’osent pas regarder leur vérité en face, il se voudra un juste et donnera à son acte un motif politique.

C’est ainsi que les trente deniers ont été à la fois le déclencheur de la nouvelle histoire du peuple juif et le moteur de la déification de Jésus. Ce rôle terrible et grandiose, c’est à lui, Judas, qu’il sera donné de l’écrire.  Pour ce qui n’était qu’une histoire de fesses.

Dans la pièce, Jésus ressemblera à un bel éphèbe tout juste bon à se regarder dans un miroir. Narcissique, c’est ça ! Peut-être souhaite-t-il vraiment sa propre mort ? Aux yeux de l’Univers elle projetterait de lui cette haute image qu’il a de sa personne.

Dans une histoire vieille de plusieurs milliards d’années, depuis qu’un poisson minuscule a été rejeté sur une grève, des années bien plus extraordinaires que ce court épisode de l’histoire des hommes, il a suffi d’un banal fait divers, la mort d’un juif, pour que l’Histoire avec un grand H cette fois, prenne un nouveau cours.

- Tu comprends, Jean ?

Je m’exaltais de plus en plus.

- Et quel rôle pour Judas ! Tu comprends Jean ?

Jean était un homme qui comprenait tout mais n’était jamais sûr de rien. Les objections lui tenaient lieu d’arguments. Il me regardait effrayé. Il dit :

- Le rôle de Judas apparaitra plus grand que celui de Jésus. C’est impossible. N’oublie pas l’opinion de millions et de millions d’êtres humains. Ceux qui sont morts pour lui et tous ceux qui se sont efforcés de vivre à son image. Le public n’acceptera pas le sens que tu veux donner à ta pièce.

- C’est moi qui tiendrai le rôle de Judas.

Le débat était clos comme on dit.

Je travaillais avec Jean depuis trois ans environ. Ensemble, nous avions monté deux spectacles qui ont eu du succès auprès d’un public plus exigeant que celui qu’on rencontre en général. Je ne peux pas écrire des choses simples.

Avant l’intrigue proprement dite, j’imagine les personnages, et parmi eux celui dont la vie modifiera celle des autres. Parfois, en cours d’écriture, je m’aperçois que ce n’est pas le personnage prévu qui est le personnage clef de la pièce mais un autre que la pièce révèle. La pièce prend alors un sens différent.

Parfois, je me demande qui est l’auteur d’une pièce. Le personnage ou moi ? Il me semble que je découvre l’intrigue en même temps que lui. Comment exprimer mon ivresse quand il se met à parler en moi pour la première fois.

Judas, je voulais que ce soit moi qui le joue, je savais que je lui donnerais une image qui frapperait les esprits. Pour Jésus j’en destinais le rôle à Julien, mon ami et mon double, un double opposé. Il a les traits d’une fille de photo de mode, le corps triangulaire, mince de hanche et large d’épaules, la chevelure blonde à peine ondulée, bref il est beau de cette beauté fragile que l’âge, très vite, recouvrira de graisse.

Moi, j’ai le visage aigu, et je suis plutôt maigre que mince. Ce sont mes yeux, m’a-t-on dit, qui font mon charme. Ils donnent à mon visage cette ombre de mystère qui intrigue et qui parfois effraye mais ne laisse pas indifférent. Hélène, ma compagne, prétend que je joue un rôle, c’est normal pour un homme de théâtre, celui du beau ténébreux. Après avoir fait l’amour, les yeux fermés, du doigt elle caresse comme si elle les dessinait, les traits anguleux de mon visage et la courbe de mes lèvres. J’aime la sensation que ces caresses me procurent.

Hélène tiendrait le rôle de Myriam, la compagne de Judas. Celui de Marie-Madeleine, la prostituée amoureuse de celui à qui elle lave les pieds, et qu’elle réconforte quand il est fatigué ou qu’il doute de lui-même, je le destinais à Simone, la femme de Jean. Jean assurerait la mise en scène.

Les évènements seraient ceux qui ont précédé de peu la crucifixion de Jésus mais le premier acte serait celui du jour de la crucifixion. Et la première scène du premier acte se passerait le soir, juste avant la nuit, quand il ne reste au pied de la croix que Marie-Madeleine, le visage enfoui dans un foulard et, autour, quelques gardes dont la torche est en train de s’éteindre.

Il fait noir quelques instants puis à gauche de la scène, sous l’éclat de la lune, avant que le jour ne se lève, on voit Jésus serrer Myriam dans ses bras. A droite, on reconnait la silhouette de Judas.  

Maintenant, le plateau est entièrement éclairé, c’est une journée chaude de Palestine. Jésus et ses disciples occupent une grande partie de la scène tandis que des paysans et des commerçants les regardent. Jésus parle à ses disciples, il a le geste ample du discoureur professionnel qui prend tout le monde à témoin. Judas, au fond de la scène est auprès d’un rabbi qui lui tient le bras. La mécanique prévue est en marche.

Le petit théâtre de soixante places ou nous jouions était plein tous les soirs depuis quinze jours. Jean était ravi. Au début il avait manifesté quelques craintes quant au scénario. Jean est un consensuel. Il a peur de blesser les convictions, elles sont toutes honorables, prétend-il, mais le succès de la pièce aidant, il estimait qu’il fallait bousculer les idées reçues.

 Julien lui aussi paraissait transformé. Au fur et à mesure que le spectacle suscitait l’intérêt du public, il prenait de l’assurance et j’avais le sentiment qu’il ne récitait pas un rôle. Les répliques que je lui avais écrites lui venaient naturellement. C’était un Christ plus vrai que nature. Hélène de son côté ne le regardait plus comme avant.

Avant, Hélène n’était pas une compagne officielle mais elle n’avait pas d’autre amant que moi. Nous n’avions aucun engagement l’un envers l’autre mais c’est tout naturellement que je la raccompagnais chez elle ou que je la ramenais chez moi lorsque l’envie nous en prenait. J’étais partagé entre le besoin de l’avoir exclusivement à moi et la peur de dépendre d’elle.

Tandis que le succès de la pièce se prolongeait, je n’aimais pas l’intérêt que désormais Hélène semblait porter à Julien. C’est ridicule à dire, je regrettais le rôle que je lui avais dessiné. C’est avec une vigueur plus grande que je jouais le mien, celui du Judas qui vend son frère pour répondre aux vœux du destin mais dont la mort le débarrasserait d’un rival.

Est-ce que dans la réalité, les choses s’étaient passées comme je le disais ? Deux histoires différentes greffées sur une histoire de coucherie. Deux histoires parallèles, l’une sordide et l’autre édifiante et terrible, qui marquent des peuples innocents durant des siècles ?

Je me suis demandé si je n’aurais pas dû modifier le scénario ? C’est sa disparition après la crucifixion qui propulse Jésus vers l’éternité. J’aurais pu insister sur sa disparition. Qu’est ce qui prouve son élévation ? Qu’est ce qui prouve qu’il a eu les jambes brisées même si les hanches sont affaissées ? Qu’est ce qui prouve que l’assertion de témoins selon lesquels il aurait été vu en Asie est fausse ?

Du coup apparaîtrait l’imposteur. L’homme qui attirait  Myriam, et Hélène, n’était qu’un petit escroc trouillard.

Jean était littéralement tétanisé par mes propos.

- Tu es fou. Modifier la pièce en cours de représentations.

- Les spectateurs ne viennent pas voir la pièce deux fois. Ils ne s’en apercevront pas. Et puis, quel exploit littéraire et dramatique !

- Mais pourquoi ?

- Je crois, Jean, que je suis passé à côté du vrai thème de la confrontation entre Jésus et Judas. C’est Judas qui devrait être l’homme vénéré et, pour ceux qui croient en lui, le Fils de Dieu.

Jean était étourdi.

- Tu es fatigué. Je l’ai toujours dit : écrire un grand rôle, et le tenir soi-même, soir après soir, ce n’est pas tenable.  

Après une représentation, ce devait être au bout de deux mois, je m’apprêtais à ramener Hélène chez elle.

- Je suis fatiguée.

- Tu ne veux pas que je te ramène ?

- C’est pour toi que je dis ça. J’ai une migraine atroce.

Ce soir là, je suis rentré chez moi, Hélène n’a rien fait pour me retenir, et j’ai su que je haïssais Julien.

La pièce se terminait dans le même décor que celui de la première scène mais c’est Myriam, cette fois, qui se trouvait au pied de la croix dans la pénombre, les yeux levés vers Jésus qui gémissait. Les deux larrons ne s’y trouvaient plus ni les gardes. A droite du plateau, sous un halo de lumière, Judas contemplait Myriam. Il avait dans la main une bourse ouverte d’où tombaient des deniers. Je savais que cette scène prêterait à équivoque.

Non ! Il ne l’avait pas dénoncé et condamné à mort pour de l’argent mais parce que Myriam commençait à l’aimer et partageait avec lui les secrets et les fantasmes de nos exaltations sexuelles. Les obscénités qui nous brûlaient n’étaient plus que les gestes ordinaires des accouplements ordinaires.

Marie-Madeleine aimait Jésus, soit, mais Simone, l’épouse de Jean, ne devrait-elle pas aimer Julien? L’homme aux idées toutes faites. Blanches ou noires. Celui qui pérorait en disant que l’amour d’un couple tient à sa volonté d’être un couple qui s’est promis fidélité. Qu’il mérite le déshonneur, la mort peut-être, celui qui a manqué à son serment.

Un soir, après la représentation, j’ai dit à Simone.

- Il me semble que tu ne mets pas beaucoup de conviction dans ton rôle. Ca ne crève pas les yeux que tu aimes Jésus qui est en train de crever, lui.

Je m’étais tourné vers Jean.

- J’ai peut-être peur de me mettre en avant au détriment d’Hélène.

- C’est de Myriam qu’il s’agit, pas d’Hélène. C’est toi, Marie-Madeleine, qui aime Jésus. Plus que ne l’aime sa mère. Il t’importe peu que Jésus s’amourache de Myriam, c’est l’amour que tu lui portes qui compte. Plus que tout. Aime le fort !

J’ai ajouté avec ce rire gras que je déteste :

- Il n’est pas beau, Julien ? Combien de spectatrices aimeraient l’avoir dans leur lit.

Jean m’approuvait de la tête.

A la manière dont Simone jouait son rôle depuis lors, je devinais que le regard qu’elle portait sur Julien n’était plus seulement celui d’une partenaire.

C’était la première fois qu’un de nos spectacles durait aussi longtemps. Le bouche à oreille fonctionnait remarquablement et, plus extraordinaire encore, la Télévision avait envoyé un cameraman pour nous filmer. En réalité c’est Julien qu’il voulait avoir et Julien ne se sentait plus. Il était désormais le plus grand.

Peu de temps auparavant  j’avais vu Hélène et Julien sortir d’une maison de rendez-vous. A proximité du théâtre, située dans une rue étroite, la façade anonyme, elle n’était connue que des fonctionnaires ou des employés du quartier qui s’y rendaient avec une collègue durant l’heure du déjeuner. J’y avais parfois emmené des conquêtes pour une coucherie rapide.

D’Hélène, je jouissais de ce qu’elle me donnait mais ce n’étaient que des gestes convenus qui nous soulageaient. Je devinais que ce n’est pas à moi qu’elle s’offrait mais à Julien.

Au théâtre, entre Simone et elle, la tension augmentait imperceptiblement tous les jours. Une rivalité s’installait. Les mots leur venaient du ventre. Julien comme un mannequin qui déclame allait de l’une à l’autre, leur donnait la réplique et souriait avec la fatuité d’un séducteur sûr de lui.

Je m’étonnais que Jean ne s’aperçoive de rien. Que fallait-il faire pour qu’il ouvre les yeux ? A moi, il me semblait que le théâtre tout entier était l’écho des amours de ce trio obscène. Que tout le monde riait, que c’était un vaudeville, et que seul le texte que je leur avais écrit leur donnait cette dimension singulière, celle d’hommes et de femmes ordinaires soudain désignés par le destin.

Lorsqu’après les répétitions de l’après-midi, Simone et Julien partaient ensemble, je les suivais discrètement. Si j’avais pu, je les aurais guidés moi-même vers la maison de rendez-vous mais cela n’avait pas été nécessaire. Ils semblaient la connaître aussi bien que moi.

Un jour qu’après la répétition Julien et Simone quittaient le théâtre, j’ai vu Jean qu’un billet anonyme avait averti qui les suivait et  pénétrait derrière eux dans la maison de rendez-vous. Il y eut des coups de feu, et j’ai appris que Jean avait tiré à plusieurs reprises en criant : Judas, tu n’es qu’un Judas tandis que Julien tombait sur le dos, les mains ouvertes, et les bras en croix.

 

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Isabelle

 

 

C’est à Londres que j’avais retrouvé Isabelle. Il y a cinq ans, je m’étais brouillé avec son mari pour une raison dont je ne m’étais plus souvenu très clairement deux ans plus tard.

C’est Isabelle qui nous avait réconciliés devant une bière au comptoir d’un café où ma femme et moi, Isabelle et son mari et d’autres, nous passions la soirée le samedi soir. Peut être que nous en avions envie les uns et les autres. Pourtant, nous nous étions brouillés.

Durant près de trois ans mes activités professionnelles m’avaient éloigné d’eux. Nous nous rencontrions moins souvent mais nous nous téléphonions régulièrement.  A l’époque, ma femme m’avait quitté et j’étais heureux d’être absorbé par mon travail, par les voyages auxquels il m’obligeait, et par les rencontres féminines que je faisais sans avoir à les dissimuler à qui que ce soit.

Isabelle était de ces femmes qui ne laissent aucun homme indifférent.

Ce fût un coup de tonnerre lorsqu’on apprit que Louis avait quitté Isabelle. Il avait téléphoné afin qu’elle ne s’inquiète pas. Il avait dit qu’il partait, et il avait raccroché. C’est ce qu’Isabelle me dit au téléphone deux jours plus tard lorsqu’elle se fut persuadée qu’il ne reviendrait pas.

- J’étais honteuse au point que je me serais enfermée.  Tu comprends ? C’est comme si après tant d’années, il m’avait repoussée en me disant tu es moche. Dis, toi aussi, tu penses que je suis devenue trop laide pour un homme ?

J’étais à Londres pour mes affaires quand je l’ai  rencontrée ce jour-là. Il devait être cinq heures de l’après-midi et je rentrais lentement à mon hôtel pour me reposer avant de me préparer à sortir pour dîner et finir la soirée dans un bar. Un programme banal mais efficace pour combler l’ennui.

- Isabelle, qu’est-ce que tu fais ici, tu es seule ?

Elle eut un instant de surprise avant de me reconnaître, puis elle parut soulagée et, en haussant les épaules comme on invoque la fatalité, elle dit :

- Tu vois, moi aussi, je me promène.

- Louis est ici ?

- Probablement, mais pas avec moi. Louis n’a pas besoin de moi. Qui a besoin de moi ?

- Ne dis pas d’idioties. Viens, nous allons prendre quelque chose, et tu me raconteras.

Nous sommes allés à mon hôtel, et dans le fond du bar, assis devant une table sur laquelle le barman avait déposé deux whiskys et une coupelle d’olives, elle m’avait raconté son séjour à Londres.

Elle savait que Louis était à Londres. Comment ?, elle ne me l’a pas dit. Elle voulait de toute force le rencontrer. Elle voulait savoir pourquoi il était parti. Elle voulait qu’il le lui dise, les yeux dans les yeux. Si ça avait été pour une autre femme, peut-être qu’elle l’aurait compris mais elle savait que ce n’était pas pour une autre femme, elle s’était renseignée discrètement, la seule femme avec laquelle il l’avait trompée, la femme du dentiste,  n’avait pas quitté son mari.

- Alors, si ce n’était pas pour une autre femme, c’était à cause de l’âge qu’il avait. Les hommes, à un certain âge, sont saisis d’une sorte de fièvre, ils veulent recommencer leur vie. Puis, ils regrettent, on ne recommence rien du tout, mais ils pensent qu’ils ne peuvent pas revenir chez eux parce que leur épouse ne leur pardonnera pas. Certains tombent de plus en plus bas. Ils ont tort, en tout cas lui avait tort, je ne suis pas comme ces femmes-là.

Ils en avaient parlé toute la nuit, m’a-t-elle dit. Elle l’avait supplié de passer cette nuit avec elle même si ce devait être leur dernière nuit.

- Et nous nous sommes aimés comme tu ne peux pas imaginer. Je me suis même abaissé à des gestes, à toi je peux le dire, dont je n’aurais pas pensé que j’en étais capable, et que j’ai découverts avec lui au point que ce matin, étendue sur le lit pendant qu’il était dans la salle de bains, j’étais sûre qu’il reviendrait avec moi. Lorsque je suis revenue de la salle de bains à mon tour il avait quitté la chambre, et quand je suis descendue dans le hall, mon cœur battait à se rompre, à la réception on m’a dit que le monsieur avait réglé la chambre et qu’il était parti. Je suppose qu’ils m’ont prise pour une prostituée, et moi, je me demande s’ils n’avaient pas raison.

Elle m’a saisi la main, j’ai cru qu’elle allait pleurer. Nous avons dîné au restaurant de l’hôtel, nous avons repris un verre au bar, nous avons parlé, et c’est tout naturellement qu’elle m’a accompagné dans ma chambre.

- Tu as été son ami, tu comprends pourquoi il est parti ?

Elle était incapable de dire : pourquoi il m’a quittée. C’est comme s’il l’avait rejetée, et elle ne comprenait pas qu’on puisse la rejeter.

- Je te plais ? Tu vivrais avec moi, toi ?

Isabelle prenait l’avion vers la fin de la matinée, je l’ai accompagnée jusqu’à l’aéroport, nous nous sommes embrassés, nous nous sommes promis de nous revoir dès que je serais rentré.

Ce serait drôle, ais-je pensé, si je rencontrais Louis par hasard.

Un soir Isabelle est arrivée chez moi les yeux brillants, le corsage froissé, incapable de masquer sa nervosité. Elle avait rencontré dans un bar du haut de la ville, il y avait des années qu’elle souhaitait savoir comment les choses s’y passaient, un homme qui lui avait offert à boire. Ils avaient beaucoup ri ensemble. Il lui avait proposé de terminer la soirée dans un autre bar, et avant de monter dans sa voiture il avait ouvert le coffre pour lui montrer un fusil à pompe qu’il emportait toujours avec lui.

- La ville est parfois dangereuse la nuit.

Elle avait été littéralement fascinée. Il devait être un homme dont il valait mieux ne pas savoir de quoi il vivait même s’il avait avoué être représentant en lunetterie. Une couverture probablement, tous les membres du milieu en ont une.  

Dans la voiture, il avait plongé sa main dans son corsage, et lui avait saisi les seins. Elle ne s’était pas offusquée de sa brutalité mais il avait dit en glissant une main sous sa jupe :

- Tu aimes ça, hein, faire la putain ?

Elle ne l’avait pas supporté. Elle avait ouvert  la portière, et elle s’était précipitée vers une station de taxis. C’est du moins ce qu’elle m’avait dit. Elle aurait dû rester ce jour-là.

Un jour, au téléphone, elle m’a dit qu’elle avait rencontré par hasard un ami d’enfance. Pas d’enfance en réalité, mais un ami à Louis, à elle et à quelques autres du temps de leur adolescence. C’est Louis qu’elle avait épousé mais ça aurait pu être lui, c’est ainsi qu’elle le raconta.

André, cet ami d’enfance, elle l’avait rencontré par hasard dans le hall d’un hôtel du boulevard où elle était entrée pour boire un café.

- Et Louis?

- Nous nous sommes séparés.

Il l’ignorait. Il voulait l’inviter à dîner, enfin si personne ne l’attendait.

- Tout ce qu’il voulait, c’était coucher.

Ils s’étaient revus à trois reprises, il avait parlé de divorce le premier jour, puis il avait dit que la vie était compliquée mais qu’il fallait assumer, puis il avait proposé de la revoir. Elle ne s’était pas donné la peine de répondre. Mais c’était comme si une fissure s’était faite dans sa poitrine, c’est ainsi qu’elle définissait ce serrement qu’elle avait ressenti entre les côtes, tu crois que c’est le cœur? Peut-être qu’elle était moins séduisante depuis que Louis l’avait quittée. Peut-être qu’il faut être deux pour qu’une femme soit vraiment belle?

Je voyais Isabelle plus souvent désormais. Il y avait entre nous, c’est ainsi que je le traduisais, avec une sorte de lâcheté peut être, une connivence presque fraternelle. De plus j’admirais sa détermination à oublier Louis, à faire comme s’il n’avait jamais existé, à se reconstruire comme elle disait.

A chaque fois qu’elle avait une aventure je m’en réjouissais avec elle. Mais c’était toujours une aventure sans lendemain parce qu’elle ne voulait pas se lier en attendant qu’elle ait choisi celui avec lequel, elle disait « un homme ayant vécu », elle se sentirait en sécurité tant mentalement que physiquement.

- Tu comprends, disait elle, je veux que nous ayons la même façon de penser pour le connaître mieux que n’importe quelle autre femme, et pour qu’il ait envie de moi jusqu’au dernier de nos jours. Elle éclatait de rire. Enfin, le plus tard possible. On peut, paraît-il, faire l’amour jusqu’au delà de quatre vingt ans.

Cette situation, qui m’arrangeait je l’avoue, durait depuis quelques temps. Nous passions la nuit ensemble.  

- Tu te souviens de George?, me dit-elle un jour.

Il était avec André, Michel et Louis, un des garçons avec lesquels, adolescente, elle sortait, heureuse, au centre d’une cour attentive à lui plaire. On lui avait dit, c’est André qui le lui avait dit, que George était devenu dépressif depuis que sa femme l’avait abandonné parce qu’elle ne supportait plus sa propension à toujours s’attendre au pire.  

Isabelle s’attendrissait en songeant à celui qui avait été le plus timide des garçons, le plus reconnaissant lorsqu’elle lui souriait, celui qui était le plus prévenant, toujours disposé à aider un ami. Elle se souvenait de cette anecdote qu’il avait lui-même racontée en se moquant de lui-même: il avait un jour servi d’alibi à un de ses amis qui trompait sa femme, et qui avait séduit celle que lui, George, aimait sans oser le lui dire.

- On était en pleine tragédie.

Isabelle avait haussé les épaules.

- Eh bien moi, j’ai envie de le revoir. Peut-être qu’il a besoin qu’on lui tende la main. Je sais ce que c’est: un être qu’on laisse.

Cette compassion qu’elle se découvrait pour George allait de pair avec un certain détachement à mon égard. Pendant deux mois elle ne m’avait plus donné de ses nouvelles. Lorsque je téléphonais, c’est son répondeur qui me demandait de laisser mes coordonnées mais elle ne rappelait pas.

J’éprouvais une sensation bizarre. Je ne voulais pas croire que c’était parce que les récits d’Isabelle me manquaient, et cette simplicité avec laquelle elle se mettait au lit, nue, après s’être lavée en me parlant depuis la salle de bain.

Peu de temps plus tard, j’ai appris par des amis qui nous étaient communs que George allait beaucoup mieux. Isabelle et lui se voyaient régulièrement, ils avaient pris une semaine de vacances ensemble dans un appartement qu’il possédait à la côte.

Il avait repris goût aux affaires, et Isabelle l’aidait de son mieux. Sans trop le montrer, les hommes, m’avait-elle dit un jour, n’aiment pas ça.

On disait, ce sont ces mêmes amis communs qui le disaient, qu’ils envisageaient de se marier dès que leurs problèmes de divorce seraient réglés.

Je n’ai plus revu Isabelle. Peut être est-ce moi qui aurais dû l’épouser ?

 

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Une histoire banale

 

 

J’avais cinquante ans à peine. L’âge où on s’interroge quant à sa vie et quant à son avenir. Souvent trop tard pour changer quoi que ce soit. Changer, oui. Mais sans bouleverser ce à quoi on est habitué.

C’est une boutade que mon ami Robert répétait souvent.  Pour changer de vie il suffit de changer de femme. C’est parfois la transformer de fond en comble sans devoir changer de voiture.

J’avais toujours rêvé de faire ma compagne de Julie mais c’est Robert qu’elle avait épousé et moi dont elle avait fait son témoin de mariage. J’ai parfois eu le sentiment qu’elle aurait accepté que je devienne son amant. Mais Robert était mon ami. Plus tard,  elle m’a dit qu’elle n’avait pas compris. Elle m’a demandé si je ne l’avais pas trouvée assez belle ? 

Les hommes, à la cinquantaine, rêvent de vie différente.  C’est surtout vrai durant la nuit lorsque, en caressant leur femme, ils évoquent celles qui figurent en couverture des magazines. Ou la femme d’un ami.

Autant que les hommes, les femmes ont leurs rêves.  Elles rêvent d’hommes qui combleront leurs désirs et leurs pulsions sexuelles. Ou de celui qui contribuera à améliorer leur image sociale. Ce sont rarement les mêmes. Les premiers sont jeunes en général. Et vigoureux.

Un matin, Hélène, la femme que j’avais épousée ne s’est pas réveillée. Durant la nuit son cœur s’était arrêté de battre. Le jour même, Robert avait eu un accident de voiture qui le tuait sur le coup. Curieuse coïncidence ! A se demander si les morts ne se donnent pas d’étranges rendez-vous.

Aux  funérailles d’Hélène, j’ai reçu les condoléances de Julie qui m’a serré contre elle pour m’embrasser. Le lendemain c’est elle qui recevait les miennes et me serrait à nouveau contre son corps. Elle s’était parfumée un peu plus que la veille.

Trois jours plus tard, nous avons passé la nuit ensemble chez moi dans ce qui avait été notre lit à Hélène et à moi. Julie disait qu’elle était angoissée dans le sien. Elle a posé la main sur mon sexe. L’amour, celui qu’on ne s’explique pas, a ressurgi au moment où elle m’a dit :

- Merci, c’était bon, tu sais.  

Durant quelques jours, nous avons pris des précautions afin de ne pas susciter des propos vulgaires chez nos voisins. Elle rentrait chez elle dès la fin de l’après-midi mais revenait à la nuit tombée. J’avoue que cela augmentait notre excitation réciproque.

- Tu as pensé à moi en m’attendant ?

Puis elle est restée et nous avons vécu ensemble comme un couple établi. Elle avait vendu son appartement après avoir récupéré quelques meubles auxquels elle tenait. Leur lit en particulier.

- Tu comprends, il me rappelle des souvenirs.

J’ai pensé à Hélène qui lors de notre nuit de noces avait éteint la lumière. C’est dans le noir que je lui avais ôté sa chemise de nuit.

Une nuit, alors que Julie s’était étendue sur moi, j’ai dit :

- Arrête Hélène.

Julie à éclaté de rire.

- Elle te faisait ça, Hélène ?

Elle m’a caressé et j’ai réagi sans ardeur. Nous étions unis depuis trois mois.

C’est à cette époque qu’elle a commencé à manifester une fringale d’achats. Elle avait de nombreuses courses à faire. Elle n’avait rien à se mettre, disait-elle. Elle s’absentait pour une après-midi entière,  et je constatais que j’en étais soulagé.

Même si elle était moins assoiffée de sexe qu’elle ne l’avait été à la mort de Robert et des premiers jours de notre vie en commun, elle avait des besoins routiniers qui devenaient fatigants. A un certain âge, les nuits sont surtout faites pour dormir.

Un jour, je l’ai suivie. Elle est entrée dans un hôtel et quelques minutes plus tard Gérard, un ami commun à Robert et à moi, y entrait à son tour. Trois heures se sont passées.

J’ai compris pourquoi elle n’exigeait plus de moi des relations sexuelles quotidiennes. Un soir, elle m’avait dit au moment où je lui saisissais les seins :

- Pas ce soir, j’ai la migraine.

Je me suis demandé quelle était l’attitude que se devait d’avoir un mari. Exiger de son épouse une fidélité absolue ou si l’amour qu’il prétendait lui porter était sincère se réjouir des plaisirs qu’elle avait la chance d’éprouver grâce à lui ou grâce à un autre ?

La cinquantaine ? C’est comme si une autre vie commençait.

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Ambassadeur de mon inconscient, l'ombre séculaire
de ta main entrouvre l'arcane de ton noble velours
pour y déposer la lumière de ton amour
afin que mon âme l'abrite telle une sentinelle du matin.
À l'heure où fomentent les forces obscures,
les aines et les passions, ton fuseau dévide en mon esprit
le fil de tes vœux divins pour me consoler
avant qu'ils ne deviennent linceul sur mes lèvres froides.
Éther luminifère, quintessence de la sphère de l'univers,
abolit le temps de l'invisible, aide-moi à te retrouver
dans les heures qui m'oublient, que ton immuable
éternité muette, pose la Paix
sur mes paupières éteintes.

Nom d'auteur Sonia Gallet
recueil © 2014.

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De l'importance des statistiques

Propos

Quand on consulte des statistiques, on peut être étonné, déçu ou rassuré.

Les éditeurs y ont recours. Ils font des sondages pour savoir ce que veulent lire les acheteurs.

Ils tiennent pour certain que les poètes actuels seraient pu lus. Ils n'en rendront aucun célèbre.

Les administrateurs de sites web accueillent des auteurs qui désirent se faire connaître et qui leur confient leurs écrits. Ils enregistrent les lectures et publient journellement des statistiques.

Il apparaît évident que les poètes qui émeuvent, qui apportent du plaisir ou incitent à méditer, touchent un grand nombre de visiteurs.

Un grand nombre c'est quoi? J'en donne un exemple ci-dessous.

Site Amicalien. com

Auteur: Suzanne Walther-Siksou

 

Le titre du poème                               La date de publication                             le nombre de lectures

Alain et moi                                           12 mai 2014                                                      652

Une invitation de V Hugo                         20 mai 2014                                                      658

Au ralenti dans le silence                        24 mai 2014                                                      641

L'implacable fatalité                                25 mai 2014                                                       611

Mon nouveau choix                                 26 mai 2014                                                       557

 

Ce résultat peut paraître étonnant, il est réconfortant. La poésie a peut-être, de plus en plus,un rôle apaisant à jouer.

20 juin 2014

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Le destin ne frappe pas à la porte

 

Soliloque

Un homme averti en vaut deux.

Il évite un choix dangereux.

Le hasard agit par surprise.

Sur lui, ne donne aucune prise.

Quand quelqu'un frappe à notre porte,

C'est un message qu'il apporte.

Il vient parfois nous avertir

Que mieux vaudrait ne pas sortir.

Le sort, de chaque vivant, fait

Que subsiste ou bien se défait

Ce qu'il construit, jamais sans peine.

Le favorise ou non la Veine.

Or le Destin n'avertit guère.

Il laisse l'espérance faire.

On aimerait certes savoir.

Ce serait un malin pouvoir.

20 juin 2014

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Balbutiements,

 

Je suis à la recherche du mot,

qui "dirait tout",

comme le fut mon premier regard,

bouleversé,

 sur vous posé ;

cet essentiel de moi à vous,

cette étrangeté de moi, échappée.

Je suis à la recherche du mot,

qui "dirait tout",

comme le fut ce premier mot,

 tracé, tout vert, vaste à l'instar d'une mer,

sur mon cahier si neuf, hélas margé  ;

cet essentiel de moi à vous,

cette liberté enfantine,

féminine devenue,

entière et nue.

Je suis à la recherche du mot,

qui "dirait tout",

cet autre alphabet,

nulle part appris ;

don du ciel,

dans l'entre-deux errant,

jusqu'à ce que mes yeux,

ma bouche, enfin mon être tout entier,

lui tracent un chemin bleu.

Ce mot qui "dirait tout",

en moi je le sens croître,

pour épouser le vôtre,

qui n'ose se montrer,

par crainte de déplaire,

de tout briser que sais-je ?

 

 

.

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Le temps toujours

Le temps 
toujours
tient parole
toujours
rature 
ensable 
chaque coulée 
d’encre où perle 
un peu de sang
de bave 
fusion précipitée 
depuis la nuit 
charriée 
en longs silences
blessés et clairs 
à fendre
lèvres
muqueuses
muselées

© Claude Miseur - 2014 

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Une vie de trop

 

 

Mon nom est Samuel Braunberger, je suis juif. C’est mon père qui me l’a dit lorsque je suis revenu de l’école, j’avais huit ans, et que je lui ai raconté qu’un de mes condisciples m’avait jeté à la figure : sale juif !

Dans l’immeuble où nous habitions, nous occupions  deux pièces. Il y avait la cuisine, et puis une autre pièce qui était la chambre à coucher de mes parents. Moi, je m’en souviens, je dormais dans un lit cage que ma mère refermait le matin. Les lavatorys, comme on disait, se trouvaient au bout du couloir et servaient à tous les habitants de l’étage.

Il n’y avait que des émigrés dans cet immeuble. L’entrée conduisait à une cour intérieure où s’élevaient trois autres pâtés de maison. Une fontaine au milieu de la cour permettait aux femmes de laver leur linge. Je ne sais pas si les adultes se connaissaient parce qu’ils étaient nombreux. Certains d’entre eux, on ne les voyait jamais, d’autres travaillaient le dimanche. Les enfants, eux se connaissaient fort bien. Parce qu’ils jouaient  entre eux, parce qu’ils fréquentaient la même école, ou tout simplement parce que pour une raison ou une autre, ils avaient eu l’occasion de se croiser. Et il y a des signes qui identifient les enfants aux yeux des autres enfants sans qu’il faille connaître leurs noms.

L’un est l’occupant du troisième, côté cour, l’autre, et ce n’est pas une marque de mépris, est le fils de l’ivrogne qui claque les portes quand il rentre le soir, un autre encore ou une autre, le fils ou la fille d’une dame qui se refuse à parler aux occupants de l’immeuble, et qui prétend qu’elle est originaire de Varsovie. Comment faire autrement dans des immeubles de ce genre ?

En face de l’immeuble, il y avait une petite épicerie où les habitants de l’immeuble se fournissaient en sucre, en lait, en pommes de terre, en fromage frais, en cornichons salés, en matzos et en pain. Je me rappelle cette épicerie parce que je me souviens de la fille de l’épicière. Nous devons être nombreux à nous en souvenir, elle alimentait nos rêves d’enfants. Mais je ne me souviens plus de son nom.

Le dimanche après-midi était consacré à des jeux de rue, ballon ou autre. Puis, jusqu’à ce que nos parents nous appellent pour souper, notre cercle d’amis se réduisait à mesure que le temps passait alors même que nous discutions de choses qui devaient être importantes, si j’en juge à l’excitation que ça nous procurait. Il y avait là Frédéric qui, je l’ai appris bien plus tard, est devenu danseur mondain, sa compagne et lui avaient gagné des concours. Il y avait souvent le jeune Nichkiki, c’est ainsi que nous l’appelions, qui mangeait des vers de terre ou des morceaux d’étrons secs, et qui est devenu un éminent professeur de linguistique. Et il y avait celui que nous appelions Jo-le-sot parce qu’il était toujours le dernier de la classe. C’est lui qui a épousé, m’a-t-on dit, la fille de l’épicière dont je ne me souviens plus du nom.

Un jour, mes parents ont décidé que nous allions déménager. Pas pour un autre quartier mais pour une autre ville.

- Il faut nous intégrer à la population de ce pays. Ici, nous ne quittons pas le nôtre.

En Pologne, mon père était cordonnier, il fabriquait des chaussures pour de petits industriels. C’était, d’après lui, un très bon ouvrier, consciencieux et rapide, que les industriels s’arrachaient. Il gagnait très bien sa vie et quand il s’est marié, il n’a eu besoin de l’aide de personne pour s’installer. D’ailleurs, tant du côté des siens que du côté de sa fiancée, ils n’étaient riches ni les uns ni les autres.

J’avais onze ans quand mes parents ont effectivement déménagé. C’était une période étrange pour le gamin que j’étais. Sur les vitrines de l’Innovation et du Bon Marché, il y avait des affiches aux couleurs nationales qui proclamaient : achetez belge. Et ces images que je revois s’entrechoquent avec d’autres où je vois mon père embrasser un ami dans le couloir de l’immeuble, un ami qui lui dit : demain, je rejoins les brigades. Ou d’autres encore où j’écoute la radio et je répète ce que j’entends « nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried ».

J’ignore comment et pourquoi, mes parents ont débarqué à Tournai. Le calme peut-être ou le fleuve qui traverse la ville de part en part. Le magnétisme de la ville,- je sais, c’est un mot qui fait rire ceux qui passent à Tournai sans y rester.- avait agi sur eux si bien que c’est là qu’ils avaient décidé de s’installer. Et à l’instar de tous les Tournaisiens que j’ai connus, ils trouvaient la ville triste à en mourir mais ils ne l’auraient quittée pour rien au monde. Enfin, j’exagère peut-être un peu.

Avant d’habiter à Tournai, nous avons habité à Frameries, à proximité de Mons. Je me souviens qu’ils y avaient ouvert un café, et c’est ma mère qui servait les clients, lesquels souvent l’invitaient à boire avec eux. Moi, mes parents m’avaient inscrit au patronage de la commune. Le dimanche, le curé de la paroisse projetait des films dans la salle paroissiale.

Après la séance, j’achetais un gros sachet de frites dorées, surmontées d’un morceau de boudin noir, une grosse cuillérée de moutarde ou de piccalilli en supplément. Les enfants ont l’œil plus exercé qu’on ne le croit, j’avais remarqué que le marchand de frites qui, de la main droite versait les frites dans un énorme sachet, de la main gauche enserrait le bas du sachet, le poing fermé. Il le remplissait de manière spectaculaire mais avec moins de frites que les clients ne l’imaginaient.

Un jour, nous n’étions pas installés depuis longtemps, ils décidèrent de déménager une fois de plus. Pourquoi à Tournai ? Pourquoi pas. Ils y  ouvrirent un magasin de chaussures à l’enseigne : « chez Samy », ce n’était pas le nom le plus judicieux mais à cette époque, c’était avant la guerre, le pire n’était pas encore sûr. Sur les rayonnages, il y avait plus de boites vides que de boites pleines. Après tout, on fait avec l’argent qu’on a, et il suffisait de ne pas ouvrir une boite vide devant un client.

A l’école communale qui se trouvait à proximité de notre domicile, j’avais intégré la sixième primaire. L’école se nommait Ecole de la Justice, et je me demandais quel rapport il y avait entre une école communale et la Justice. Je trouvais le rapprochement très heureux. Mais, et c’était tout bête, c’est parce qu’elle se situait rue de la Justice, et à proximité d’un bâtiment imposant qui était le Palais de Justice. Dommage, il y avait de quoi faire rêver l’enfant que j’étais.

Très vite, je me suis montré bon élève, bon camarade, soucieux de plaire. Un peu blagueur peut-être. S’il n’y avait eu un gaillard costaud qui n’avait peur de personne, et qui s’était institué mon ami et mon garde du corps, je crois bien que durant les récréations j’aurais eu quelques ennuis avec certains de mes condisciples. Mais ce n’étaient que des histoires de gosses, pas davantage, qui ne nous empêchaient pas de sortir ensemble.

Parfois, avec un peu de chance, un copain qui portait des culottes de golf qu’il laissait trainer jusqu’à terre, m’emmenait avec lui pour aller voir les filles à l’heure de la sortie des classes chez les Ursulines. Du doigt, il me montrait sa copine qui faisait semblant de ne pas le voir.

L’année suivante j’avais douze ans, j’entrais en secondaire, nous étions en 1939, à la veille de la guerre, et au retour de l’exode le pays avait été envahi. Mes parents ne parlaient pas souvent de la guerre. Pas devant moi, en tout cas. Ou alors, c’est moi qui déjà commençais à enterrer au plus profond de ma mémoire des images que je voudrai oublier quelques années plus tard.

En fait, peut-être faut-il en sourire, il y avait deux guerres qui se déroulaient en même temps. Une guerre que les allemands menaient contre un certain nombre de pays, qui suscitaient de l’indignation, un esprit de résistance ou, au contraire, de la complaisance. Ou simplement de l’indifférence parce qu’on ne savait pas encore qui gagnerait cette guerre.

Et il y avait une guerre qui se menait contre les juifs sans leur laisser le choix d’y être favorables ou non, ou de souhaiter ou non la victoire de l’adversaire. A y bien réfléchir, c’était le comble du mépris. Et l’isolement des juifs, leur séparation d’avec leurs concitoyens, c’était leur tendre un miroir et leur dire : regardez, vous n’êtes rien. A partir de là, les allemands pouvaient tout exiger d’eux.

En 1942, les juifs avaient été avertis par des représentants officiels de la communauté juive, qu’ils devaient se présenter dans un centre d’accueil pour y être déportés. Et de nombreux juifs se présentèrent et furent déportés. Après tout, cette convocation, c’était un ordre. Est-ce qu’on se dérobe devant un ordre quand on est un citoyen soucieux de la légalité et de son devoir?

Je suppose que mon père ne l’était pas et qu’il avait pensé qu’il était temps de se prendre en mains. Avec l’appui d’amis qui nous avaient fourni de fausses pièces d’identités, ma mère s’appelait Cécile Vander, mon père Léon Berger et moi je me prénommais Pierre, nous sommes partis vers la France Libre ou la France non-occupée ou, pour le dire simplement, au-delà de la ligne de démarcation qui coupait pour un temps la France en deux.

Si désormais je savais que j’étais juif, je devais faire comme si je ne l’étais pas, mes parents me le répétaient souvent. C’est à cette époque que j’ai appris à me taire et à me méfier de tout. Et si le fils du boulanger du village où nous étions réfugiés m’accusait de manger le pain des français, ce n’était pas parce que j’étais juif mais parce que j’étais étranger. J’étais heureux de pouvoir ainsi me confondre avec le reste de la population.

C’est bon de ressembler à un groupe, si possible au groupe le plus puissant. Le nombre, c’est le visage de la vérité, non ? Plus il est élevé, plus elle est ressemblante. Comment savoir à quel groupe on appartient ? C’est simple : se fier aux critères.

Mon père a été arrêté en 1941 à la suite de l’exécution d’un collaborateur, un notaire dont les allemands avaient fait le bourgmestre de la ville.  Les allemands ont arrêté des francs-maçons, des notables connus pour leurs sentiments antiallemands et le seul juif dont ils disposaient. Ils les ont pris en otages, et fourrés à la citadelle de Namur. Ils étaient vingt.

La reine est intervenue en leur faveur, et le général Von Falkenhausen lui a promis de faire un geste. Deux mois plus tard les vingt otages ont été libérés. Mon père comme les autres. Il avait été pris comme otage en tant que juif. Il a été libéré en tant qu’otage bien que juif. En tant que juif, on l’arrêtera quand ce sera le moment d’arrêter les juifs. C’est pour cela qu’il a décidé de cesser d’être juif.

Lorsque le pays a été libéré, nous sommes revenus chez nous. Un ami me l’a rappelé quelques années plus tard : je me dérobais devant des condisciples qui me disaient combien ils étaient heureux de me  revoir mais qui n’osaient pas me demander d’où nous revenions, vivants. A croire que je voulais dissimuler cet épisode de ma vie. A croire que j’en étais honteux.

Je suis retourné à l’école mais les cours me paraissaient insignifiants, et un an plus tard, je les abandonnais. C’était vraiment trop bête ce qu’on nous enseignait, l’histoire telle que les livres la décrivaient, et cette morale qui disait ce qu’il fallait considérer comme bien et ce qui était mal. Ils n’avaient donc rien appris, ou alors c’est qu’il ne s’était rien passé.

C’était le moment où revenaient des camps de concentration des milliers de survivants. Mais ils avaient été des millions à y mourir, des juifs pour la plupart. Les actualités cinématographiques montraient des choses horribles. Est-ce qu’on pourrait un jour les oublier ? Aujourd’hui je pense que oui. Aujourd’hui, de toute manière, la plupart d’entre eux seraient morts. Mais, de toute évidence, je ne suis pas parvenu à les oublier. Vous vous souvenez du visage de ce jeune garçon, presqu’un enfant, la casquette enfoncée sur le front, ses yeux surtout qui vous interrogent encore aujourd’hui, vous vous souvenez ?

Je suis devenu journaliste presque par hasard pour un de ces journaux qui s’étaient créés dès la fin de la guerre. Je signais mes articles, des interviews littéraires ou des actualités locales du nom de Pierre Berger, et quand il ne s’agissait que de quelques lignes ou d’une information anodine, des seules initiales : P.B. Je reconnais que la discrétion des initiales, tout compte fait, me plaisait davantage que l’exposé de mon nom, même si ce dernier en dissimulait déjà un autre. A croire que je ne voulais pas exister en tant que moi-même.

Je sais combien la formule paraît absurde mais ne décrit-elle pas une des motivations du comédien autant que son exhibitionnisme? Que veut-il cacher lui aussi ? Et pourquoi pas d’autres parmi nous qui sont censés n’avoir rien à cacher, et que leur masque dissimulera jusqu’au dernier de leurs jours.

Je me disais qu’il fallait avancer dans la vie sans heurter personne, de manière si discrète qu’on en devenait transparent. Etre un homme ordinaire parmi des gens ordinaires. Libre à certains, à leur risques et périls, de se mettre en avant, d’ambitionner une place en pleine lumière.

Moi, je le savais, je n’étais vivant que par hasard alors qu’ils étaient si nombreux ceux qui ne l’étaient plus et l’auraient mérité davantage que moi. Des savants, des écrivains, des peintres, qu’importe le talent…des individus qui avaient quelqu’un à chérir. Ou que quelqu’un chérissait.

Je me suis marié avec une jeune femme non juive au désespoir de mes parents, de celui de ma mère surtout. « Souviens- toi, Sammy, durant la guerre, des femmes ont dénoncé leur mari pour n’être pas assimilées à des juifs auprès des autorités allemandes », me disait-elle. Que ne ferait-on pas si votre vie est en danger ? J’en ai beaucoup voulu à ma mère. Et moi, est-ce que j’avais réellement envie d’être assimilé à ces juifs tels que les représentaient les non-juifs ?  Etre de ce peuple dont l’histoire baignait dans le sang ? Non, je l’avoue, je ne voulais pas être un élu parmi ce peuple d’élus, ce coupable idéal et universel que l’on sacrifie à chaque grande fête de l’Histoire humaine.

Je n’ai jamais connu mes grands-parents. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Lorsque j’avais quatre ans, ma mère est retournée en Pologne pour revoir ses parents. Ils voulaient voir leur petit fils. Ma grand-mère maternelle avait épousé un fermier en seconde noces. Ils vivaient tous les deux dans un village proche de la ville où je suis né. J’ai le vague souvenir d’une dame qui portait un chignon à plusieurs étages et qui s’était affolée parce que, les mains nues, j’avais retiré du four un gâteau brûlant.

Du côté paternel, je me souviens d’un visage souriant, la moustache fournie comme celle d’un paysan auvergnat. J’étais fier de lui ! Il parait que mon arrière grand-père du côté maternel, le père de la personne au gros chignon, était relieur de livres et passait aux yeux des membres de la communauté de son village pour un érudit, un sage, une sorte de rabbin. Je dis : il paraît, mais peut-être est-ce moi qui l’ai imaginé.

Dans un mondé féru de généalogie, où on descend de quelqu’un, où on vient de quelque part, c’est étrange de n’avoir pour famille que son père et sa mère. Je n’ai jamais dis de quelqu’un:« c’est mon cousin ou c’est ma cousine, et j’étais amoureux d’elle quand j’avais douze ans, ou c’est mon oncle et c’était un type bizarre ou un comique ».

Le journal pour lequel je travaillais a cessé de paraître quelques années plus tard, mais par l’entremise d’un ami j’avais trouvé un poste dans un journal plus important. Je n’y signais pas d’article, j’étais employé au secrétariat de la rédaction, un poste sans éclat mais qui demandait peu d’attention, peu d’initiative, simplement le respect du rédacteur. Ne pas voir mon nom au bas d’un texte ne me frustrait pas, ce nom qui n’était pas le mien mais qui existait davantage que le vrai.

Tout le monde m’appelait Pierre ou Monsieur Berger. Même hors du journal, c’était Pierre ou Monsieur Berger, au point que face à une instance administrative ou à la Banque ou lorsqu’il fallait décliner mon identité conformément à celle qui figurait sur des documents officiels, il m’arrivait d’hésiter. Nos amis disaient les Berger, et ma femme rectifiait au début. Mais c’était plus ridicule encore, et ça paraissait affecté. « Qu’est-ce qu’un nom ? » avait dit un personnage de théâtre. Entre nous, bien sûr, elle continuait de m’appeler: Sammy ou Sam.

Somme toute, nous vivions dans deux mondes que seule la texture d’un nom séparait. Ou alors c’est moi qui voyais ou imaginais une différence là où il n’y en avait pas.

Nous étions mariés depuis près de vingt ans quand les prémices du cancer se sont manifestés. Nous n’avions pas d’enfants. J’étais d’une génération où l’on associait souvent guerre, mort et enfants. Ce sont toujours les jeunes qui meurent à la guerre. Les vieux en général, et les généraux, si je peux me permettre cette plaisanterie plus qu’éculée, je sais, meurent dans leur lit. Les jeunes craignent moins la mort. Parce que ce qu’on craint, et les plus âgés le savent, ce n’est pas cet accident aussi absurde que celui de la naissance, mais c’est de ne plus vivre.  Parce-que chaque jour qui passe dépose des images. Les souvenirs, bons ou mauvais, prouvent que vous avez existé.

Les jeunes ont moins de souvenirs que leurs aînés, mais ils sont convaincus qu’ils sont la substance d’un grand dessein. Au contraire de leurs aînés moins assurés de l’être, ils savent qu’ils ne peuvent pas mourir avant que ce dessein ne se réalise. Voilà pourquoi, non seulement ils craignent moins de mourir mais ils imaginent qu’ils ne peuvent pas mourir.

Même sous  les  bombardements, couché à plat ventre sur le sol, je levais les yeux vers le ciel, et une curieuse exaltation soulevait ma poitrine. Je ne pouvais pas mourir. La preuve, c’est que j’avais survécu durant de nombreuses années et que je vivais encore. Hélène, elle, n’était pas immortelle et, proche de la mort, elle n’avait été animée d’aucune exaltation particulière.

Jusque là, je ne savais pas à quel point j’aimais ma femme. Le soir de notre mariage, comme des esprits forts, nous nous étions juré de nous aimer le plus longtemps possible, qui peut prévoir l’avenir? Pour Hélène, j’avais été celui qu’elle aura aimé jusqu’au dernier de ses jours.

Lorsque ma mère est morte, c’était à peine quelques mois avant la mort d’Hélène, je n’ai pas éprouvé cette sensation de vide que je ressentais désormais. Peut-être parce qu’il est naturel que les plus âgés meurent avant les plus jeunes et contribuent ainsi à un juste équilibre des générations. Quand c’est le contraire qui se produit, l’équilibre en est bouleversé, et on aboutit à une civilisation de vieillards sans beauté, sans énergie et sans courage. Et qui craint l’avenir.

Mon père, lui, est mort quelques mois après la mort d’Hélène. Il ignorait la mort d’Hélène. Je ne le lui avais pas dit parce qu’il n’avait plus sa tête à lui, comme on dit.

Mon père m’avait raconté la fin heureuse d’un de ses amis. Agé de plus de quatre-vingt ans, il marchait à la  rencontre des trams en levant sa canne. Il criait : ce tram est à moi, de quel droit vous en servez-vous ? Des agents de police l’ont entouré, il a été placé dans un asile, et il est mort persuadé qu’il était à la tête d’une flottille de tramways. Pourquoi pas ?

Tout compte fait, durant cette année là, j’ai beaucoup côtoyé la mort, la mort des autres. Je me retrouvais pour la première fois seul comptable de ma vie. C’était une période curieuse. J’avais l’impression de voir un film à l’envers. Un de ces vieux films d’actualités où les personnages passent leur temps à courir. Les gestes saccadés, ils s’inscrivent définitivement dans l’histoire. Hitler, Staline, Daladier, Chamberlain ! Ils étaient les protagonistes d’une histoire des hommes que je n’ai connue qu’après la guerre. Tout semblait caricatural, mais les morts, de plus en plus nombreux, ne se relevaient pas.

Je me suis souvent demandé à quoi on pouvait reconnaître qu’une guerre allait survenir. Pas de ces petites guerres qui depuis un certain nombre d’années éclatent à différents endroits de la planète, non ! Une guerre sérieuse avec des ennemis suffisamment proches pour qu’ils puissent se réconcilier rapidement et que les survivants puissent se demander pourquoi leurs proches se sont fait tuer. Ce sont des guerres normales dont on enseigne la stratégie dans toutes les bonnes écoles militaires, sans se préoccuper de la nationalité de l’auteur qu’on étudie.

Pour les juifs, ça n’avait pas été pareil. Eux qui étaient habitués à ce qu’on les persécute à chaque éruption d’acné sur le visage de la communauté dans laquelle ils se trouvaient, durant les guerres de plus grande ampleur, ils étaient assimilés d’office à ces communautés. Il arrivait que durant certains assauts un juif tuât un juif porteur d’un uniforme différent du sien. Il en était profondément désolé bien sûr mais c’était le prix à payer pour continuer d’être le semblable de ses semblables.

Mais durant cette guerre-là qu’on appelle encore la dernière guerre, il n’y avait pas de bons ou de mauvais juifs. Tous, ils étaient mauvais, tous, il fallait les éliminer. Durant cette guerre-là, certains n’ont pas eu droit à la mort à laquelle ils étaient destinés ni à l’endroit où leurs proches pourraient se recueillir sur leur tombe. Honnêtement, aujourd’hui que tant d’années ont passé, je peux le dire, ce n’était pas juste.

Et moi ? Il faut bien le reconnaitre, j’ai joui d’un bonus par rapport à ceux qui avaient mon âge. Ceux qui comme tant d’autres avaient la vocation d’être heureux et qui sont morts. Et tout ça parce que ils étaient juifs. Mais c’est quoi un juif ? Je pensais qu’il était bien tard pour en débattre.

Un jour qu’il y avait une commémoration à Auschwitz, j’ai accompagné les organisateurs. Vers la fin de l’après-midi, je me suis rendu dans la baraque la plus éloignée, j’ai attendu que tout le monde ait quitté le camp, je me suis étendu sur un des châlits et j’ai pensé que c’était peut-être ma place que je retrouvais. Peut-être que c’est ce qu’ils veulent, ceux qui me regardent comme si je n’étais pas tout-à-fait des leurs, comme si cependant, ils attendent de moi que je leur dise quelque chose que nous ne comprenons ni les uns ni les autres mais qui est important.

 

 

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Aquarelle sous les pentes des volcans.

Décidément, cela « bouge » beaucoup ici !

Si ce n’est le séisme que nous avons laissé à Lima et sa région (voir le journal d’hier ci-dessous), nous avons eu le plaisir de faire connaissance avec un certain nombre de volcans assez impressionnants, dont deux en activité (le dernier est entré en éruption depuis 3 jours seulement), les gens d’ici paraissant habitués à leur présence comme s’il s’agissait de vieux copains capables de grosses colères.

Il n’empêche, malgré des trajets dantesques et un manque de temps récurent, nous arrivons à dessiner et à peindre dans l’esprit si particulier des carnets de voyage de « niveau 3 », qui fait que si on n’est pas assez autonome et extrêmement rapide, on n’arrive pas à saisir les étonnantes choses et gens rencontrés sur le chemin, et on se couche plutôt frustrés en plus d’être fatigués !

Heureusement, on arrive toujours à se rattraper, et si on ne peut pas, restent les photos pour terminer au retour, solution à adopter en dernier recours, tant que les souvenirs sont encore très vivace.

Il n’empêche, pour l’instant on essaie de s’adapter à la raréfaction de l’air dans l’altiplano, les natifs de la région paraissant plus à l’aise que nous pour ne pas s’essouffler au-dessus de 4000 m d’altitude, et même si ce n’est que de l’aquarelle, l’exercice de la chose dans les montagnes Incas n’est pas encore parfaitement assimilé…

12273016884?profile=originalC'est le journal du jour où nous avons quitté la capitale : panique à Lima et Callao, séisme important, etc.

12273016274?profile=originalAquarelle à Arequipa, sous les pentes du volcan Misti (on en voit les pentes à gauche à contre-jour)...

12273017660?profile=originalDouble page de Rose-Marie en cours de réalisation : paysage au loin vu du même endroit.

12273017879?profile=originalC'est le Ubinas (vu ici de l'Altiplano), qui est entré en éruption depuis quinze jours...

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Après un calvaire

 

 

Méditation

Si l'on aperçoit la misère,

On évite de l'aborder,

On s'en écarte sans tarder,

Pensant ne rien pouvoir y faire.

La misère physique extrême,

Cause d'innombrables décès.

Elle a certes bien d'autres effets,

Torture les êtres qui s'aiment.

On pense, à tort, qu'un tel calvaire

N'affecte pas les gens bien nés.

Ils nous paraissent épargnés

De manquer de biens nécessaires.

Les artistes, à leur départ,

Ont peu de ressources, sans doute.

Or peuvent-ils mourir en route,

Privés de tout par le hasard?

Cela maintes fois arriva
Certains, affamés, mendièrent.

Monet, subissant la misère,

Pour manger, lui aussi quêta.

Le destin, qui crée l'éphémère,

Peut tout changer étonnamment,

Rendre fructueux le talent.

Qu'advient-il d'un ancien calvaire?

19 juin 2014

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La mort de mon père

 

Mon père est mort sans savoir que ma femme était morte depuis plus de six mois et que les nouvelles que je lui donnais à son sujet étaient fausses. Lorsqu'il croisait l'infirmière dans le salon, il me disait:

- Durant quelques minutes, je ne l'ai pas reconnue.

- Elle a changé, comme nous tous. C'est l'âge.

- C'est l'âge, oui.

Il retournait se mettre au lit. L'infirmière pouvait faire sa toilette et lui donner ses médicaments. La plupart ne servaient à rien mais durant des années il avait eu chez lui sur une console devant le poste de télévision, une grande  variété de flacons dont il avalait le contenu, liquides ou pilules, dans un ordre déterminé et selon un horaire précis. Si l'infirmière avait cessé de lui en donner, il en aurait été profondément perturbé.

Il n’avait plus pour longtemps à vivre, le médecin me l'avait laissé entendre

Il avait commencé à déraisonner d'une manière étrange mais est-ce qu'il en est qui ne le sont pas? Une nuit, il avait ouvert la fenêtre de sa chambre et il avait crié qu'il ne se rendrait pas.

- Vous ne m’aurez pas. Jamais.

Je me suis souvent demandé quels étaient les monstres qui encombraient sa mémoire. C'est un de ses voisins qui m'avait téléphoné le lendemain matin. J'ai persuadé mon père de venir vivre chez moi. Après quelques jours il a retrouvé sa sérénité et j'ai eu le sentiment qu'il était heureux.

A midi nous nous attablions dans la cuisine pour manger. Souvent, lorsqu'il était en face moi, il me regardait attentivement et il secouait la tête.

- Quel âge as-tu? Laisse-moi deviner. Tu as déjà quarante ans. Est-ce que Thérèse va venir nous rejoindre ?

- J'ai cinquante cinq ans, papa. Thérèse n'est pas là.

La scène se répétait régulièrement mais je m'efforçais de ne pas m'énerver. Ensuite, c'était pareil à chaque fois, il me racontait en détail des évènements survenus durant sa jeunesse en accordant autant d'importance à des vétilles qu'à des incidents qui avaient marqué sa vie. Tous les vieillards atteints de la même affection agissent ainsi, m'a-t-on dit. C'est le début de la sénilité. Est-ce que moi aussi je finirai comme lui?

Parfois en revanche il me faisait des reproches avec animosité. Il me reprochait d'avoir été un mauvais fils, de ne l'avoir jamais aimé. Je lui répondais avec véhémence jusqu'à ce que je me souvienne qu'il était malade.

- Oui papa, tu as raison.

Thérèse était morte depuis six mois. Je le lui avais annoncé par téléphone le jour de son décès et il avait pleuré. A l'époque, il était encore chez lui et je lui téléphonais tous les jours.

Mon père était veuf depuis vingt ans. Il vivait seul. J'étais sa principale distraction. J'ai compris que sa santé mentale se dégradait lorsqu'il m'avait demandé des nouvelles de Thérèse quelques jours après que je lui avais annoncé qu'elle était morte. A chaque fois que je l'appelais, il me disait:

- Oui, je me souviens bien d'elle. Comment va-t-elle?

Si bien que je répondais qu'elle allait bien.

- Comme d'habitude.

Et il arrivait que je lui donne des détails quant à ce qu'elle avait fait ou ce qu'elle avait dit. Il m'arrivait de penser que ce n'était pas seulement à lui que je m'adressais. Je n'inventais pas ce que je lui disais. Les faits que je lui relatais, et à moi aussi par conséquent, étaient réels. Ils s'étaient produits lorsqu'elle vivait encore.

Lorsque le voisin de mon père m'a appelé pour me dire que mon père perdait la raison, j'en ai été heureux. Chez moi désormais chacun d'entre nous poursuivait le monologue qui lui tenait à cœur sans que l'autre n'en soit surpris. Il parlait de lui et de sa femme. Il la dépeignait avec amour. Il répétait qu'elle était belle. Ou bien il m'interrogeait sur Thérèse et Thérèse avait la vie que je lui inventais au travers de mes réponses. Etait-ce de l'invention ?

Thérèse était née le 14 septembre. Le jour de son anniversaire, j’ai débouché une bouteille de champagne et j'ai demandé à mon père s'il voulait que je l'aide à se lever. Son regard était plus vif qu'à l'habitude.

- Est-ce que Thérèse est là?

- Thérèse est morte, papa. 

Mon père dépérissait. Je ne sais pas si j'appréhendais sa mort ou si je la souhaitais. Je ne comprenais pas qu'un vieillard puisse vivre plus longtemps qu'un être jeune qui est censé avoir une longue vie devant lui pour accomplir, plus tard sans doute, ce qu'il n'avait pas eu le temps d'accomplir durant sa jeunesse. En réalité, je lui reprochais la mort de Thérèse qu'il aurait pu échanger contre la sienne.

- Thérèse est morte, papa. Tu entends, elle est morte.

 J'ai répété:

- Elle est morte, morte.

J'ai dû le faire entrer à l'hôpital où il attendrait sans souffrir la fin qui était proche. Il disposait d'une chambre pour lui seul et une infirmière le veillait constamment. C'était une jeune femme attentive et d'une santé triomphante.

Ce soir-là le médecin m'avait fait savoir que mon père ne passerait probablement pas la nuit et j'ai décidé de veiller à ses côtés. Je lui serrais le poignet pour lui transmettre les flux de ma propre vie. J'avais la sensation qu'il en avait conscience.

- C'est la fin.

L'infirmière était penchée au dessus de lui. A travers sa blouse de nylon je distinguais son corps. Je ne sais pas si c'était l'atmosphère de cette chambre, la lumière mate qui venait du mur et marquait d'ombres nos visages, l'odeur de désinfectant et la présence de ce cadavre qui avait été mon père mais je voyais sa lourde poitrine à peine dissimulée par un mince soutien, ses cuisses pleines et serrées et j'avais envie de la toucher. Elle m'a regardé un moment, peut-être qu'elle attendait quelque chose, j'ai pensé à Thérèse puis elle s'est écartée en disant:

-Il est mort.

 

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DISPONIBLE?

Pour tous les coups de langueur

Qui creusent bien la peine

Sur un radeau craneur

Ignorer sa déveine...

Disponible!

Pour sentir sur la peau

La corrosion du sel

En se jetant à l'eau

Y savourer le ciel...

Disponible!

Avec ce cœur béant

Si fatigué de battre

Et cet amour géant

Où l'on voudrait s'ébattre...

Disponible!

Serons dans pas longtemps

Rien d'autre qu'un soupir

Emporté par le vent

Alors quand même sourire...

Disponible!

Et si s'écoulent des pleurs

Ne pas sentir de honte

En avouant sa peur

Des jours où rien ne compte...

Disponible!

Pour enfin s'en aller

Au-delà des frontières

Au creux du bel été

Ignorant ses misères...

Disponible?

J.G.

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Le meilleur des mondes de Huxley

12273014885?profile=originalCe roman publié en 1932 demeure certainement l'oeuvre la plus populaire de l'écrivain anglais Aldous Huxley (1894-1963). Il s'agit d'une utopie futuriste et pessimiste, qui évoque en l'an 2500 un monde uni gouverné par une oligarchie. Dieu devenu Notre Ford auquel on voue un culte puisque le monde est voué à la surproduction, à la surpopulation et à la surconsommation. La technique règne pour assurer la réalisation de la devise de l' Etat: "Communauté, Identité, Stabilité", toutes les ressources de la science sont mises en oeuvre. La génétique a progressé au point d'assurer la reproduction des citoyens dans des éprouvettes où chaque classe sociale est ainsi pré-conditionnée à son rôle futur. Une différence d'oxygénation produit des types Alpha, Béta, Gamma, etc. Jusqu'au Semi-avortons et avortons du prolétariat voués aux tâches répugnantes. Le processus de Bokanovsky permettant d'obtenir soixante jumeaux d'un même oeuf, les esclaves sont des sortes de robots mais n'ont pas conscience de leur esclavage. Le conditionnement du premier âge suscite l'horreur du beau et du gratuit, l'hypnodémie apprend à chacun le bonheur attaché à sa place dans la hiérarchie et tout le monde nage dans la joie. En cas de défaillance euphorique le "soma" est d'ailleurs à portée de la main. Les loisirs sont meublés par des voyages, des cérémonies religieuses et érotiques entre personnes stérilisées et stimulées au besoin par des pilules. La mort est remplacée par une vieillesse galopante et l' euthanasie suivie d'incinération. La littérature, la religion traditionnelle, la famille ont disparu tandis que parler d' amour ou de parents est de la dernière indécence. Tandis que le directeur-dictateur Mustapha Menier veille sur le Bonheur de Tous, la logique impeccable de cette vie absurde se détraque. Un peu de l'alcool réservé aux Gammas n'a-t-il pas été versé par erreur dans l'éprouvette d'un Alpha Plus? Bernard Marx,  ingénieur en hypnodémie, se révèle curieusement anormal: gêné par ses inférieurs, pris de désirs amoureux et de pudeurs étranges, il se pose des problèmes que le soma ne résout pas plus que la belle Lenina. On l'exile dans une île lointaine, en l'occurrence une réserve de "Primitifs" du Nouveau-Monde. Il en ramènera "un bon sauvage" qui distrait un instant la foule civilisée avant de connaître une fin désespérée et tragique. John Le Sauvage, c'est l'homme de notre siècle qui a lu Shakespeare, a des sentiments non conditionnés et connaît la souffrance. Devant le spectacle du bonheur imposé il choisit le mysticisme et la mort.

Tous les personnages de Huxley se heurtent-ils donc au monde sans faille de la médiocrité standardisée et n'y a-t-il aucune issue dans l' utopie de Ford? Apparemment pas. Marx, qui voudrait aimer, et Helmoltz, l' ingénieur en mécanique émotionnelle qui voudrait être écrivain sont exilés. John se suicide. Vingt ans avant la bombe atomique l'auteur dépasse, dans un style qui rappelle Voltaire et Anatole France les critiques que J.B. Priestley adressait à une Angleterre américanisée dans "English Journey". Au-delà du "1984" d' Orwell, il nous transporte dans un univers dont la vérité prémonitoire donne encore le frisson.

De nos jours l'évolution des Etats-Unis et la mise au point des techniques décrites dans "Le meilleur des mondes" rendent celui-ci moins invraisemblable, mais on vit en 1932 dans cette utopie de science-fiction une brillante invention teintée de pornographie plus que cet assemblage d' intelligence et de culture qui devinait les formes de notre futur. Le livre laisse pourtant une impression d'inachevé, de déséquilibre malgré le brio de sa critique; l' anarchie qu'il préconise n'est pas révolutionnaire, elle préconise une réforme des âmes plus que des structures et des institutions. Les solutions se perdent dans un mysticisme décevant. Dans la préface qu'il écrivit en 1946 pour "Le meilleur des mondes" dont un million d'exemplaires étaient alors vendus, Huxley ne préconise pas d'autres antidotes au "monde meilleur" que "la conquête de la liberté dans une non-violence stoïque" et "la décentralisation de la science appliquée et son utilisation, non comme une fin vers laquelle les hommes deviennent des moyens, mais comme le moyen de produire une race d'individus libres".

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administrateur théâtres

12273029281?profile=original12273030058?profile=original                             Surprise : grande réunion de famille à Lille le week-end dernier et plus de 15.000 visiteurs...

 

Quelle fête pour ses cent ans !  La  nouvelle édition du Lille pianos(s) festival fêtait ce  14 juin 2014 l’anniversaire d’une grande dame, Gisèle Casadesus, comédienne décorée  de prestigieuses  distinctions honorifiques qui, le matin  même du festival, recevait  la médaille d’or de la ville de Lille, capitale européenne en 2004. Elle est aussi la mère de quatre enfants. Son fils aîné est le chef d’Orchestre Jean-Claude Casadesus, nommé en 1976 directeur de l'Orchestre National de Lille (ONL) auquel il a consacré jusqu’à maintenant  l'essentiel de sa vie. 12273031692?profile=originalCette élégante dame a été suivie avec admiration à chaque étape du festival et  applaudie avec ferveur par une salle comble avec le bis offert par son fils - un vibrant Happy Birthday - lors du concert de 18 h le samedi 14 après la splendide et tragique interprétation par Abdel Rahman El Bacha de Gaspard de la nuit et  du  Concerto pour la main gauche de Ravel! Elle vient de publier ses souvenirs dans un livre intitulé « Cent ans c'est passé si vite ». « Revisitant les événements d’un siècle, des deux guerres mondiales aux nombreux bouleversements de société, cet abécédaire personnel raconte la comédie humaine et les coulisses de la scène, comme le destin d’une grande famille d’artistes. Sans jamais se départir d’un humour subtil, Gisèle Casadesus y dévoile son amour de la vie et de la famille, sa foi profonde et sa curiosité insatiable du monde. » Cheers!

 

Il faut rassurer les routards de la musique, la salle de concerts de l’Orchestre National de Lille, Le Nouveau Siècle, a ré-ouvert ses portes début janvier 2013, ayant été  intégralement rénovée afin d’offrir à son public une acoustique d’excellence internationale et une réverbération de qualité exceptionnelle.

 L’Orchestre national de Lille proposait cette année en commémoration de la Première Guerre Mondiale, un festival développant le thème de la "musique et guerre(s)". C’était l’occasion pour les visiteurs  d’aller écouter des œuvres  de compositeurs marqués par la guerre. Ainsi plusieurs concertos  écrits pour la main gauche pour le mécène Paul Wittgenstein, pianiste autrichien qui perdit son bras droit lors de la Première Guerre, ont été joués de manière particulièrement bouleversante. En plus du concerto pour la main gauche de Ravel, nous avons entendu deux œuvres fortes et expressives, les lumineuses  « Diversions » de Benjamin Britten  lors du concert d’ouverture et  celui de  l’américain Korngold lors du concert de clôture sous les doigts de Nicolas Stavy, chaque fois  sous la direction éclairée du très fédérateur chef américain Paul Polivnick. Le Concerto pour piano de Viktor Ullmann (mort gazé le 18 octobre 1944 à Auschwitz-Birkenau) joué  par une sulfureuse Nathalia Romanenko « con fuoco » 12273030858?profile=originalet l'opéra pour enfants Brundibar de Hans Krasa  ont rejoint comme bien d'autre pièces évoquant le même thème tragique. 

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Et tout au long du festival des œuvres phares du répertoire pianistique de Debussy, Prokofiev, Rachmaninov, Chopin, Beethoven, Bach... soulignent bien  la diversité du répertoire pianistique  programmé lors de ce festival.  Plus de 60 artistes dont 45 pianistes dans 13 lieux ces 13, 14 et 15 juin 2014 ont donc enthousiasmé un public  conquis qui eut bien du mal à choisir entre les pianos, concertos et artistes de renom comme Abdel Rahman El Bacha, on ne présente plus.   Entre autres : Marie Vermeulin jouait Aaron Copland et Olivier Messiaen, Jean-Philippe Collard Chopin, Florent Boffard combinait les grammaires musicales de Bach et Schönberg et l’ardent François-Frédéric Guy revisitait Le Livre 2 des  Préludes de Debussy et la Sonate opus 111 de  Beethoven.

On gardera du  magnifique récital de ce Frédéric Guy le souvenir phosphorescent de ses fées, d’Ondine fragile et exaltée et de  son feu d’artifice  ainsi que celui de son regard transfiguré par l’émotion et concentré à l’extrême dans la sonate de Beethoven avec des jeux de clairs obscurs extraordinaires d’humilité. Voilà un homme qui construit des digues pour cultiver la musique. Chaque note semble être recueillie comme une eau précieuse, avec une reconnaissance infinie, comme si derrière il y avait une présence infinie. Le temps et ralenti et savouré, la salle est complètement absorbée et entraînée dans l’amplification progressive du dernier mouvement.  

 

Dans un tout autre registre, très ludique et populaire, voici un festival d’improvisation  et un  pari réussi pour l’aventure de la Battle musique sans battle-dress en 12 rounds  des pianistes Auxane Cartigny et Simon Fache où des milliers d’internautes commentaient en direct le concert à coup de tweets.  Amusez-vous : on peut revoir la performance en streaming sur www.onlille-playagain.org. 

 

Un parcours trop rapide  de découverte du Vieux Lille nous  a menés le  samedi matin à notre premier rendez-vous dès 10 h avec le très intéressant récital commenté de Florent Boffard  au Conservatoire de Lille, 12273029856?profile=original 12273029483?profile=originalenchaîné aussitôt après avec « les sonates de guerre » du pianiste ukrainien,  Igor

Tchetuev au  Théâtre du Nord.  Ce dernier nous a interprété la Sonate n°12 « Marche

funèbre » de  Beethoven, la Barcarolle en fa dièse majeur de  Chopin et la Sonate n°9 de 

Prokofiev que l’on dirait du cru du pianiste tant elle est convainquante et richement élaborée.  Là

aussi l’émotion  est forte et la qualité musicale hors pair au rendez-vous. 12273030083?profile=original

Sandwich en main, les mélophiles se seront précipités à partir de midi pour entendre les cartes blanches de jeunes pianistes à la gare Saint-Sauveur à moins qu’ils n’aient préféré les Archives Départementales inaugurées la veille.  Au Nouveau Siècle,  c’est le  spectacle jeune public (Brundibar) qui a battu son plein dans l’auditorium après la  très émouvante conférence sur  «  La musique contre la barbarie » de  Marek Halter à la salle Québec consacrée à Terezin le  camp "modèle" organisé par les nazis afin de tromper les observateurs de la croix Rouge et dont les occupants furent envoyés à Auschwitz  à l’arrivée des gardes rouges. 12273030458?profile=original On se souvient tout à coup avec effroi de la pièce de l’auteur espagnol Juan Mayorga  Himmelweg ou le chemin du ciel, du nom que l'on donnait aux rampes menant des trains aux fours crématoires. Marek Halter  est l’auteur de « La mémoire d’Abraham » (Laffont) un livre qui retrace l’histoire de sa famille et celle d’un peuple débutant en l’an 70 jusqu’à nos jours… Il n’a pas manqué d’évoquer lors de sa conférence le récent massacre du Musée Juif à Bruxelles.

12273030483?profile=original

Le dimanche matin a rassemblé une foule heureuse de parents et d’enfants amoureux de Pierre et le loup, un Prokofiev  revisité par The Amazing Keystone Big Band avec  Denis

Podalydès et Leslie Menu, les récitants enjoués. 12273029701?profile=original

...Imaginez l’oiseau en flûte traversière et trompette avec sourdine, le canard en saxo-soprano, le chat en saxo ténor, le grand-père en saxo baryton, le loup en trombones et tuba. Pierre est à la fois claviers, basse et guitare et les chasseurs,  l’orchestre Big Band. Ah on oubliait les fusils, la batterie bien sûr ! Orchestre et public scandent régulièrement avec les mains. Atmosphère de liesse.  C’est brillant, chaleureux, pulpeux et triomphant. Le canard encore vivant dans le ventre du loup glousse dans une lumière jaune citron. Et la foule quitte le grand auditorium à regret.  12273030690?profile=original

 

 Après la performance de François-Frédéric Guy  en tout début d’après-midi, à l’heure de la sieste dominicale, c’est la vibrante passion incantatoire du pianiste français originaire de La Martinique Wilhem Latchoumia qui a réveillé les esprits dans la salle Québec.12273030285?profile=original Son programme  caressant et drôle consacré à Debussy, Monpou, Satie et De Falla a subjugué les auditeurs. Souplesse et générosité. Des doigts impressionnants d’élasticité et de puissance. Un géant qui tour à tour titille les touches d’ivoire suggérant des traces ondoyantes de lumière ou leur livre une implacable bataille de frappe décidée. Le De Falla est une pièce pleine de blessures vives que le pianiste s’empresse de panser. Il joue à l’urgentiste et réveillerait des morts puis propose comme bis « La poupée de biscuit » rythmée et changeante de Villa Lobos.   On le retrouvera bientôt à Bruxelles lors du festival Musiq 3 où il a concocté un programme empreint de spiritualité avec Liszt, Bartók et Ligeti (Flagey, Studio 1 vendredi 27-06, 22h).

Soulignons ici la remarquable organisation sans fausses notes  de ce festival qui ne devient jamais un marathon épuisant mais une partie de plaisir aérée, où l’on a le temps d’applaudir et d’ovationner les artistes qui prennent le temps d’offrir de beaux bis très appréciés. On ne vit pas sous la crainte de se voir refuser l’entrée au concert suivant… Un livret-programme très détaillé et facile à consulter et le déroulement logistique impeccable du festival  –  as smooth as silk – contribuent au bonheur des visiteurs.  

 Le récital de Cyprien Katsaris dans le grand auditorium  a été un autre point fort du festival par son originalité et sa densité. Au cours de son voyage insolite dans le temps, il allie le brio pianistique à l’élégance et au souci de la transmission.  Lui aussi bientôt à Bruxelles…. Son coup d’envoi est une série de thèmes classiques dans la tradition de l’improvisation chère à Liszt ou à Chopin dans les concerts de salon.  Pour suivre : le Klavierstück n°2 de Schubert, l’une de ses pièces favorites. On balance entre nostalgie et vie vécue en accéléré… pour se retrouver à Thalès, dans l’antiquité grecque devant l’épitaphe de Dame Euterpe où se trouve gravée la plus ancienne mélodie occidentale … qu’il relie au premier prélude de JS Bach. L’être est musique rappelle-t-il, et la musique est une multiplicité d’inspirations de la Muse. Il la relie à la théorie des pythagoriciens qui considèrent que chaque corps céleste émet un son et l’ensemble constitue l’harmonie des sphères. Nous voilà projetés dans l’univers. La sublime berceuse de Chopin jouée peu avant sa mort est relayée par une pièce de Max Reger « Träume am Kamin » constituée elle aussi d’une basse obstinée et d’arabesques à la main droite d’une rare sérénité pour le contexte guerrier de l’époque… « Lament » de Frank Bridge complète l’image de l’impuissance civile en temps de guerre… Il s’agit d’une pièce dédiée à une petite fille, Catherine, qui voyageait sur le Lusitania torpillé  le 7 mai 1915… Poignant dans sa simplicité!  Puis voici St-Saëns avec « La Française » et  le prélude n°12 de Vierne : « Seul ». La finale de ce magnifique récital où chacun se trouve engagé dans un climat d’écoute attentive est son arrangement remarquable pour piano seul du dernier mouvement de l’Empereur de Beethoven. C’est un message d’optimisme qui transparaît, celui-ci peut sauver le monde. Il faut cueillir les petits bonheurs et les moments de grâce où l’harmonie existe et vibre, appelant l’homme à retrouver le divin en lui.

12273032293?profile=originalLa soirée de clôture voit Le Nouveau Siècle bondé,  pour se laisser guider une fois encore par  Paul Polvnick  pour découvrir  le robuste Concerto pour piano de Korngold  avec un

Nicolas Stavy passionnel et héroïque, ahurissant de bravoure 12273033866?profile=original...et vivre la magie du  Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov sous les doigts très inspirés

d’Andrei Korobeinikov au piano  avec  à nouveau   le mythique démiurge Jean-Claude

Casadesus à la direction. Cohésion, élégance, raffinement, précision. Et de toutes parts :  une  générosité parfaite pour célébrer le  langage commun à tous les peuples. 

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Les photos officielles

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administrateur partenariats

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Chers amis,

Nous avons le plaisir de vous inviter à nous rejoindre

ce mardi 24 juin dès 11h

pour une séance de peinture en plein air

en région verviétoise.

Nous peindrons l'eau et ses reflets

au Barrage de la Borchêne, près du lac de la Gileppe.

Nous nous donnons rendez-vous au barrage de la Gileppe,

devant la tour panoramique à 11 heures.

Prévoir un casse-croûte et des vêtements appropriés,

un grand parapluie car nous sommes en Belgique ( eh oui !!!)

et sa bonne humeur.

La durée du travail est libre, la technique aussi,

et toutes les suggestions sont les bienvenues.

Si vous êtes intéressé(e)s, faites-le nous savoir ici

et je vous donnerai de plus amples détails.

Au plaisir de vous rencontrer !

Liliane

Sarah, une jeune adepte , septembre 2013.

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