Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Toutes les publications (229)

Trier par

Madiba est rentré chez lui(1)

A 95 ans (1918-2013) le premier Président noir d’Afrique du Sud de1994 à 1998 (2), Prix Nobel de la paix en 1993, l’icône de la lutte acharnée contre le régime d’Apartheid(3), a quitté définitivement son domicile de Johannesburg, pour rentrer chez lui. Les Sud-Africains pleurent la mort de leur père qui a lutté dur, pour changer leur vie en abolissant l’esclavage et l'apartheid.

Les drapeaux sont en berne  dans de  nombreux pays. Sa disparition a provoqué, un flot de messages de condoléance et de compassion de la part des grands noms de ce monde et des témoignages de respect de partout ont salué la mémoire du disparu.

Un autre premier président noir a déclaré, depuis la Maison Blanche : "Grâce à sa farouche dignité et à sa volonté inébranlable de sacrifier sa propre liberté pour la liberté des autres, il a transformé l'Afrique du Sud et nous a tous émus". Barack Obama a ordonné, à son tour, la mise en berne des drapeaux américains et ce jusqu'au lundi soir.

S.M. le Roi Mohamed VI dans un message de condoléances adressé au Président de l’Afrique du Sud, a indiquer  que «Feu le Président Mandela a su, avec sagesse et perspicacité, porter haut les valeurs universelles de liberté, de justice, de paix et de tolérance. Il a su, avec force et détermination, faire valoir ses idéaux et sa position intangible en faveur de la préservation de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale de l'ensemble des États frères africains ».

Pour Mandela, « l’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres – qualités à la portée de toutes les âmes – sont les véritables fondations de notre vie spirituelle.
Mais cette réussite-là, expliquait-il, n’est pas accessible sans un travail d’introspection véritable et une connaissance de ses forces et de ses faiblesses. »

L’histoire gardera le nom de Nelson Mandela, parmi les baobabs de ce monde, les grands sages de ces derniers siècles, tels : Mahatma Gandhi,  Martin Luther King, Dalaï Lama, et d’autres encore avec lesquels il partageait le même rêve : «  Mon idéal le plus cher a été celui d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales. J’espère vivre assez longtemps pour l’atteindre. Mais si cela est nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

Je retiens l’une de ses réflexions que je ressors aujourd’hui :

« L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde. »

Qu’il repose en paix

_________________________________

(1) En Zoulou quand quelqu'un meurt et qui est très âgé, les gens disent qu'il est rentré chez lui.

(2)  Mandela n’a pas brigué un autre mandat présidentiel  et a cédé la place à Tambo Mbéki.

(3) Mandela a passé 27 ans et demi de sa vie dans les geôles du régime de l’apartheid.

 

Lire la suite...

Une île... un écueil ou une idylle.

12272982692?profile=original

Orgue océanes frangés d'écume, Chantal Roussel (2013)

Devant la puissance et la poésie de cette peinture, véritable tableau symphonique, j'ai d'abord pensé à la "Grotte de Fingal" de Mendelssohn, à ces orgues basaltiques de l'île de Staffa constamment battus par la mer. Vision romantique traitée en nocturne, un noir basalte d'une force tellurique, éclat de lune, mystère sélénitique, et la mer, mouvante et éternelle.

12272983293?profile=original"Grotte de Fingal" par Claude Hugard de La Tour (1816-1885)

dans le grand escalier de l'école des Mines de Paris.

Et est apparue comme une évidence cette autre île...

http://youtu.be/ad3H9E0MNEo

 Île

Il est une île

Où on ne devrait jamais être

Entourée par la mer tentaculaire

Entre les vagues lasses et languissantes

Là où tout est libre

Je veux être là

Pour le reste de ma vie

Là, sur l'île

Le soleil brille éternellement

La lune renvoie la nuit noire

Je sais qu'elle attend

Je sais qu'il y a là un endroit pour moi

Je veux être là

Pour le reste de ma vie

Doux bruit du vent du large

Descendu de travers les arbres

Mais loin des larmes portées par la brise

Je vais suivre les gouttes de pluie

Car le soleil et les sourires m'attendent

Je veux être là

Pour le reste de ma vie

Traduction-adaptation Michel Lansardière, de :

"Island" (Relf/McCarty) par le groupe Renaissance, 1970 (Jim Relf, chant, guitare, harmonica ; Jim McCarty, percussions, chant ; John Hawken, piano, clavecin ; Louis Cennamo, basse ; Jane Relf, chant, percussions) :

There is an island

Where it should never be

Surrounded by suburban sea

And through the tired and hopeless waves

To where it's free

I want to be there

For the rest of my time

There is an island

The sun is always bright

The moon sends the darkness away in the night

I now that it's waiting

I know there's a place ready for me

I want to be there

For the rest of my time

Warm sounds of windsongs

Come down through the trees

But far away tears are borne on the breeze

I'll follow the raindrops

Cause sunshine and smiles are waiting for me

I want to be there

For the rest of my time


Un partenariat
Arts
 
12272797098?profile=original

Lettres

Lire la suite...

Bonjour, Je ne vous demande pas d'y croire mais de lire tout simplement les écrits qui vont suivre avec bienveillance et discernement. Eventuellement, exprimer votre  opinion si tel est votre désir. Merci.

Toute enfant déjà, il m'est arrivé d'avoir ainsi d'étranges manifestations . En bref, j'en citerai deux parmi d'autres qui m'ont spécialement marquée.

J'étais en septième primaire après avoir sauté d'une classe. L'inspecteur était venu nous rendre visite.

Lorsqu'il est entré, je me trouvais face au tableau noir. Je venais d'y être envoyée pour résoudre un problème de fraction assez complexe.

Les mathématiques me passionnaient. J'adorais tout simplement.

Comme toujours lors de ces visites impromptues, l'institutrice s'est mise à rougir et je sentais bien qu'elle n'était pas vraiment à l'aise. Plutôt "dans ses petits souliers" . C'était une enseignante très exigeante, honnête, juste, le tout allié à une très forte autorité. Dans sa classe, personne n'osait lui tenir tête.

Il n'empêche, je sentais sa peur. A l'époque, c'était ainsi : tout fonctionnait dans la crainte de l'autorité.

Je suis entrée dans ce problème avec une facilité désarmante, tout en suivant les réactions de mon institutrice. Il me semblait qu'un lien invisible nous unissait : j'avais l'impression bizarre qu'elle me dictait la marche à suivre, tout en me laissant libre de mes recherches et interprétations de celles-ci. Nous nous parlions de regard à regard. Très détendues toutes les deux après les premières tensions.

Mon cerveau était léger et transparent : une bulle dans l'espace.

L'affaire a été menée avec dextérité et sans aucune faille ni hésitation jusqu'à la solution finale : un magnifique sans faute.

L'inspecteur, très satisfait, s'est tourné vers l'institutrice :"Bravo, Mademoiselle, c'est parfait. C'est la meilleure classe jamais visitée de toute ma carrière".

Et Mademoiselle de rougir, rougir rougir .... Il est vrai qu'elle rougissait facilement et, parfois de colère aussi.

Dans ces instants houleux, la classe apeurée, se tenait coite et nous n'avions nullement envie de nous montrer de vilaines petites pestes. Et puis, nous l'aimions. Pourquoi ? parce qu'elle était  tout bonnement "juste". Un belle réputation, pas vrai ?

Le second épisode, parmi quelques autres, se situe lors de la dernière visite de mon père lorsqu'il rentrait du Fort de Breendonk à l'époque de son rappel sous les drapeaux en 1940.

Je vivais chez mes Grands-Parents paternels car ma mère travaillait pour nouer les deux bouts .... de ficelle des paies d'ouvrières à  cette époque. La cohabitation ne comportait que des avantages et ma grand-mère était adorable et, surtout aimante.

C'était pendant les vacances de Pâques 1940, peu avant la déclaration de guerre. Comme d'habitude, je jouais passionnément avec les petites copines de notre rue.

Lors des précédentes visites de mon père, je l'embrassais gentiment et puis ....vite vite je continuais de jouer, un peu indifférente envers lui qui devait certainement en souffrir. Nous avions l'habitude des séparations puisque j'habitais chez mes grands-parents et  rejoignais mes parents une fois par semaine, le samedi,  lorsqu'ils n'étaient pas encore séparés par les bruits de bottes.

Et cette unique fois, je ne sais pourquoi j'ai abandonné mes jeux sous le regard ahuris des copines, pour le suivre.

La gare se trouvait assez loin et il fallait traverser le lieu dénommé "Le Pont Blanc" qui enjambait le chemin de fer. 

Je l'ai suivi jusqu'à l'entrée du pont, main  dans la main et je sentais la puissance d 'Amour qui nous unissait : comme une onde de bien-être, elle nous traversait.

En le quittant, je l'ai suivi du regard jusqu'à ce qu'il s'estompe sur la route au loin. Avec, dans le coeur, l'absolue certitude que je ne verrai plus.

Vous penserez sans doute :"Normal ... puisqu'il y avait des bruits de guerre".

Pas si normal que çà pourtant. A  l'entrée du pont, il y avait un talus et, de ce petit promontoire, l'on voyait la France dans le lointain horizon. Je me suis tournée vers elle, avec une impression fugitive : celle d'un salut qui nous viendrait de là.

Nous avons été séparés durant cinq longues années. Mon Père s'est retrouvé pratiquement le seul Belge au milieu d'un camp de prisonniers français qui l'ont beaucoup aidé, moralement et matériellement. Lors de son retour, et par une étrange coïncidence, nous nous sommes retrouvés sur ce même pont.

Je ne l'avais pas reconnu dans cet homme chauve,vieux et fatigué, engoncé dans un uniforme sale, déguenillé.

C'est le papa de l'une de mes amies avec qui nous comptions nous rendre au cinéma qui a crié : "Mais c'est ...( les nom et prénom de mon Père)".

C'était lui en effet. Hélas pour moi, il était devenu un étranger malgré quelques photos envoyées  et l'échange de lettres que je possède toujours.

Après .... la situation a été un rien embrouillée : grands-parents, famille en effervescence, retour au village où l'accueil a été des plus chaleureux avec banderoles de bienvenue et décoration de la maison.

A demain, la suite .... mais vous pouvez, déjà, vous exprimer. Merci par avance.

 Rolande Quivron dont les textes sont déposés et enregistrés.

 

Lire la suite...

Béatrice.

Béatrice

J’avais dix-neuf ans à cette époque. J’étais étudiant en sciences économiques. Durant l’année scolaire j’occupais ce qu’on appelle un kot à proximité de l’université. Une chambre pourvue d’une douche et d’une kitchenette. Le week-end, je rentrais chez mes parents.

J’avais une amie, étudiante elle aussi, Henriette Leroux avec laquelle le samedi soir j’allais au cinéma ou dans une boite aux environs de la ville. On y dansait parfois jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Mes parents n’y voyaient pas d’inconvénients, Henriette leur était sympathique. Je suppose que du coté des parents d’Henriette, leur sentiment était le même à mon égard.

J’ai revu des photos de nous deux à cet âge. J’étais maigre mais bien proportionné, le visage creusé, des yeux noirs au regard profond. Henriette était mince mais la poitrine saillait en dessous d’un pull étroit. Elle avait un visage frais, plaisant, un peu candide comme on l’a souvent à cet âge.

Béatrice disait qu’à l’âge de sa fille, elle lui ressemblait. Elle me laissait entendre, sans doute, qu’Henriette ressemblerait un jour à sa mère. Quel est le jeune homme ardent qui ne l’aurait pas espéré ? Béatrice était séduisante. Aujourd’hui, on dirait qu’elle était sexy.

Les parents d’Henriette avaient une maison à la côte, elle était située dans les dunes. Debout devant la maison on voyait la ligne d’horizon à plusieurs kilomètres de distance.

Elle était entourée d’un jardin et d’un terrain herbeux qui avait près d’un hectare. Devant il y avait les dunes, derrière l’orée d’un bois. Isolée, on y était au bout du monde.      

C’était en juillet. Béatrice m’avait invité à passer quinze jours avec sa fille et elle.

- Vous aimez la côte, Pierre ? Bien sûr, ce n’est pas directement la plage mais on n’en est pas loin.

Le père d’Henriette n’y venait que le week-end. Durant la semaine, il restait à Bruxelles pour travailler. Il était un des agents commerciaux d’une firme qui distribuait des produits destinés à la construction de bâtiments. Les administrations  publiques constituaient le plus gros de sa clientèle. Il n’y avait pas un soir où il ne traitait pas un fonctionnaire important dans un des restaurants les plus réputés de la ville. Il rentrait chez lui mort de fatigue et s’endormait sur le champ. Plus tard, disait-il en riant, lorsqu’ils seraient riches, Béatrice et lui feraient la grasse matinée tous les jours. Et si ce n’était pas la grasse matinée, ils resteraient au lit tout de même. Même à la côte, il se couchait tôt. Il disait pour s’excuser :

- J’ai de la peine à récupérer.

- Tu es en vacances.

- C’est vrai.

Mais il ne changeait pas sa façon d’agir.

C’était un été particulièrement chaud. Il fallait, disait-on, remonter à de nombreuses années en arrière pour retrouver un été aussi torride.

Nous mangions dans le jardin vêtus aussi légèrement que possible. La plupart du temps je ne portais que mon slip tandis que les deux femmes restaient en maillot toute la journée. Chacun de nous disparaissait tour à tour et revenait les cheveux mouillés. Il venait de prendre une douche.

- Si nous étions nos ancêtres des premiers âges, nous pourrions nous promener tout nu.

Bien sûr, ce n’était qu’une plaisanterie. Mais le bas de mon ventre s’était enflammé, les yeux tournés vers Béatrice que je regardais soudain comme si elle était nue. Elle détourna la tête.

Au bout de quelques jours, tous les trois nous avions la couleur du bronze et l’habitude de nous voir pratiquement nus. Je pouvais regarder Béatrice sans réagir comme je le faisais les premiers jours. C’est la nuit, étendu sur mon lit, que je pensais à elle. Est-ce qu’elle dormait nue, elle aussi ?      

Un jour qu’elle nous avait laissé pour aller prendre sa douche je me suis rendu dans ma chambre pour y prendre je ne sais plus quoi. En revenant je suis passé devant la salle bain. La porte était ouverte. Machinalement j’ai tourné la tête. Béatrice était en train de prendre sa douche. Elle n’avait pas tiré le rideau. J’étais cloué au sol. Ruisselante, les cheveux brillants, les seins bronzés mais plus clairs autour des aréoles, elle était la femme comme l’imaginent, je suppose, les peintres et les jeunes gens.

La chaleur m’était montée au visage. Je ne pouvais détacher le regard du triangle noir de sa toison. Elle me regardait, elle aussi, les yeux  effarés. Elle ne faisait aucun geste pour se dissimuler ne serait-ce que pour tirer le rideau. Je me suis repris et je suis retourné au jardin. Henriette était étendue sur son drap de bain. Je me suis étendu sur le mien. Lorsque Béatrice est revenue, j’ai fait semblant de sommeiller.

J’ignore ce que j’aurais fait pour la couvrir, c’est le mot qui m’était venu à l’esprit, mais j’avais envie d’elle comme je n’avais jamais eu envie de qui que ce soit d’autre. Je haïssais son mari. J’aimais Béatrice passionnément.

J’ai quitté la côte deux jours plus tard. La veille, Henriette avait pris la voiture pour se rendre à Ostende. Elle avait, disait-elle, des achats importants à faire. J’étais resté dans ma chambre pour réfléchir. J’en étais convaincu, je ne pouvais plus rester. Durant le déjeuner que nous avions pris à trois comme d’habitude, Béatrice nous avait parlé de ce qu’elle avait envie de faire durant ces chaleurs mais elle évitait de me regarder. Cependant à chaque fois que ses yeux me croisaient, j’avais le sentiment qu’elle jouait la comédie. Ni ses gestes ni sa voix ne ressemblaient à ce qu’ils étaient auparavant. On eu dit la façon de se tenir ou de jouer d’un comédien débutant ou médiocre.

Lorsqu’Henriette est partie, je suis monté dans ma chambre. Béatrice s’était étendue sur son drap de bain pour exposer son dos au soleil. Elle avait dénoué les liens de son soutien afin de ne pas avoir le dos marqué.

Je suis descendu. J’étais debout auprès d’elle.

- Je vais rentrer demain, Béatrice. Je crois que c’est mieux.

- Demain. Mais pourquoi ?

Elle s’était tournée vers moi. Elle n’avait pas songé à se couvrir les seins.

Je me suis laissé tomber sur les genoux.

- J’ai trop envie de vous Béatrice.

- Ce n’est pas raisonnable, Pierre.

Je me suis allongé sur elle, j’ai introduit ma langue entre ses lèvres. C’est elle qui m’a serré sur sa poitrine.

Lorsqu’Henriette est rentrée, j’avais mis un t-shirt au dessus d’un short en coton, et j’aidais Béatrice à mettre la table. Elle avait change de maillot et enfilé une chemisette dont elle avait glissé les pans dans son slip.  Elle avait le regard brûlant mais les traits apaisés.

- Il a fait chaud, aujourd’hui.    

- Vous aurez du beau temps jusqu’à la fin du mois vraisemblablement. Dommage pour moi, il faut que je rentre demain.

Henriette était surprise.

- Pourquoi, tu n’es pas bien avec nous ?

- Je lui ai dit qu’il pouvait rester.

J’ai dit que mes parents avaient appelé. Henriette ne voyait pas le rapport, dit-elle.

Le lendemain, elle m’a conduit à la gare. Elle m’a demandé si j’avais eu des mots avec sa mère, nous nous sommes embrassés, elle se serrait fort contre moi.

- C’est à cause de ma mère que tu pars.

J’ai secoué la tête sans rien dire.

- Ne pars pas. Retournons à la villa tous les deux.

Elle avait mis ses lèvres sur ma bouche. Nous sommes remontés en voiture et nous avons repris le chemin des dunes. Béatrice a semblé heureuse de me revoir. Elle a abandonné son livre et est venue m’embrasser sur les joues.

- Vous avez bien fait. Je me suis demandé ce qui ne vous avait pas plu.

Je ne pensais pas qu’elle faisait allusion à ce qui s’était passé entre nous mais j’avais envie de la prendre entre les bras. Je suis monté dans ma chambre pour me mettre en maillot.

Le soir nous avons bu davantage que nous le faisions généralement les autres soirs. Henriette était particulièrement agitée. Elle s’asseyait sur mes genoux, puis elle embrassait sa mère sur le nez.

- Elle est folle. Ma fille est folle.

Il faisait noir lorsque nous sommes montés nous coucher. La chambre de Béatrice, la chambre conjugale, se trouvait en face des escaliers. Celle d’Henriette, à droite, se trouvait au fond du couloir. La mienne, à gauche, directement après la salle de bain. J’entendais couler la douche à chaque fois que quelqu'un s’en servait. Je n’étais pas encore endormi. La douche a coulé, j’ai entendu des pas qui se dirigeaient vers ma chambre. Je devinais que c’était Henriette. Elle s’est glissée dans mon lit, elle a posé la main sur mon sexe, et elle a chuchoté :

- Pourquoi, es-tu parti ?

C’était Béatrice.

 

Lire la suite...

Chant de Weyla et autres poèmes, de Eduard Mörike, traduit de l'allemand et présenté par Jean-Yves Masson, éditions La différence, collection Orphée dirigée par Claude Michel Cluny

"Mörike n'a jamais pu envisager de vivre longtemps loin de cette Souabe à laquelle il appartient par toutes les fibres de son être.[...] L'expérience des voyages ne lui est certes pas étrangère, mais ceux que ses poèmes nous racontent sont surtout des excursions à pied - de ces moments où la pensée vagabonde au rythme de la marche et qui ressemblent à de brûlants retours vers un Eden toujours déjà perdu.[...] Le plus important était pour moi de faire voir à quel point ce grand poète du secret était aussi un poète de la fantaisie, au sens étymologique du terme que l'allemand Phantasie, à la graphie plus proche du grec, conserve mieux que notre mot français : un poète de l'imagination.C'est cette faculté créatrice qui gouverne toute son oeuvre.[...] Tel est Mörike, poète du secret : le prince caché d'un royaume où n'entrent que ceux qui ont gardé l'esprit d'enfance." Jean-Yves Masson (présentation et traduction de Chant de Weyla et autres poèmes")

Lire la suite...
administrateur théâtres

12272976692?profile=original12272977453?profile=original12272979888?profile=original12272980084?profile=originalLe  nouveau Musée de Bruxelles :  le « Musée Le Fin-de-Siècle Museum »

Après l'inauguration en 2009 du « Musée Magritte»,  dont les recettes témoignent de l’excellente santé touristique, voici  enfin inauguré depuis le 6 décembre 213, le « Musée Le Fin-de-Siècle Museum ».

Il fait partie des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB).   Il a pris ses quartiers dans les salles de l'ancien Musée d'Art moderne qui n'avaient plus été rénové depuis 1989 et fut  fermé depuis février 2011. De nombreuses plaintes se sont succédées, estimant que Bruxelles, capitale de l’Europe, se devait de  posséder un musée d’Art moderne digne de ce nom.

12272978275?profile=originalCONSTANT MONTALD, Nymphes dansant, v. 1898, huile et détrempe sur toile.

 Enfin !  Plus de 400 œuvres allant de 1865 (date de la fondation du  cercle artistique la Société libre des Beaux-Arts) à 1914  sont désormais exposées sur quatre niveaux et  un espace de 4.500 mètres carrés. Nous  ne possédons pas comme en France  la verrière lumineuse  d’une  gare d’Orsay pour accueillir les merveilles de nos années 1900 mais vous viendrez  néanmoins admirer des  artistes comme Maurice Maeterlinck, Emile Verhaeren, James Ensor, Fernand Khnopff et son célèbre tableau énigmatique « Les caresses », Léon Spilliaert, Victor Horta, Octave Maus, Henri Van de Velde, Maurice Kufferath, Guillaume Lekeu... Vous découvrirez les instants fugitifs et grandioses des marines de Louis Artan.  De belles  confluences se retrouvent avec des œuvres d’artistes étrangers tels que  Paul Gauguin, Auguste Rodin, Georges Seurat ou Pierre Bonnard.

12272980893?profile=originalPierre Bonnard : « Nu à contre-jour », ca. 1908

Cette  nouvelle institution culturelle belge met en évidence une  Belgique des plus rayonnantes sur le plan culturel à cette brillante époque et se veut très éclectique. Une des  salles est aussi  prévue pour des expositions  temporaires. Cette salle accueille dès aujourd’hui la dernière (26e) exposition à ouvrir ses portes  dans le cadre d’Europalia. Une exposition consacrée à  des photographes d’époque qui ont rapporté vers l’Occident les premières photos du Taj Mahal et de la vie quotidienne en Inde  en 1900.

Une section entière de cette entité muséale est consacrée à 230 œuvres Art-déco issues de la collection cédée par la famille Gillion Crowet  qui seront exposées en permanence dans ce nouveau musée : vaisselle, mobilier, vases d’une incomparable beauté. Cet ancien ensemble privé regroupe plus de 100 verreries (Gallé, Decorchemont, Daum, Val Saint-Lambert), des pièces d’orfèvreries (Wolfers), de mobilier (Majorelle, Gallé et Horta) et de nombreux tableaux (Khnopff, Mellery, Carlos Schwabe, Mossa et Delville). Un don d'un million d'euros a permis de dessiner l'architecture de la salle et la collection est estimée à 20 millions d'euros. Une salle entière est consacrée à James Ensor. Une autre à Spilliaert.

 Le caractère pluridisciplinaire est évident. C’est ce qui attire  en particulier le visiteur étranger.  La Monnaie a prêté des enregistrements et des maquettes sur l’opéra de l’époque. Le musée du Cinquantenaire prête une partie de sa collection de photographies anciennes. La Bibliothèque Royale expose de précieux documents littéraires. La Cinematek projette de petits films du début du 20e siècle. Des écrans tactiles permettent d’explorer des édifices Art-Nouveau caractéristiques de la Fin-de-Siècle dont la bourgeoisie florissante de l’époque s’enorgueillit et se passionne.

12272977488?profile=originalEugène LAERMANS (1864 - 1940), Les émigrants, 1894, Huile sur toile, 150 x 211

De l’impressionnisme au  réalisme social de Constantin Meunier et d’Eugène Laermans ou de Léon Frédéric, au post-impressionnisme, partout souffle l’esprit d’avant-garde de l’époque. Tandis que l’onirisme des  nymphes gracieuses du peintre symboliste  Constant Montald  fait rêver et songer à ce que peut être un âge d’or. « Age éblouissant mêlant décadence et espoir, splendeur et mélancolie, l’art «fin-de-siècle» rassemble un grand nombre de chefs-d'œuvre de la création belge et européenne entre 1880 et 1914, dans les différentes disciplines artistiques (la peinture, l’architecture, la photographie, les arts décoratifs, la littérature, l’opéra et la musique). » L’objectif  a été  de redéployer les collections fédérales en unités muséales précise Michel Draguet, directeur général des Musées Royaux des Beaux-Arts et de présenter Bruxelles au visiteur  comme le carrefour  de l’effervescence créative  de l’Europe. Le salon des XX (1883-1894) et La Libre esthétique (1894-1914) des courants particulièrement ouverts sur les artistes étrangers.

12272978071?profile=original

Fernand KHNOPFF (1858 - 1921), Des caresses, 1896, Huile sur toile, 50.5 x151

La réorganisation des collections publiques se poursuivra avec l'inauguration en 2016 d'un nouveau musée consacré aux œuvres postérieures à 1914, a assuré Michel Draguet. Cela étant, de nombreuses instances culturelles continuent à  déplorer le manque de moyens financiers et humains  mis à la disposition des musées pour entretenir les trésors inestimables  que recèlent leurs caves, où la conservation même des œuvres devient un sérieux problème. Les infrastructures ouvertes au public sont elles aussi menacées par la vétusté  … ou les  infiltrations d’eau. On est encore sous le coup de la fermeture de la splendide exposition L'HERITAGE de Rogier van der Weyden  qu’il a fallu fermer précipitamment  après quelques semaines à peine  d’ouverture,  pour cause d’insalubrité pour les œuvres exposées.  L'œuvre d'une vie de deux chercheuses émérites, le Dr Véronique Bücken et le Dr Griet Steyaert.   Hélas, on ne peut imputer ces situations dramatiques  qu’à  à la  complexité  du système de gestion mais surtout à  un manque chronique d’intérêt de la part des instances politiques.  

 12272979296?profile=original

Paul Gauguin, Le calvaire breton, Le Christ vert, 1889

Huile sur toile, 92 x 73,5 cm © MRBAB, SABAM 2011, [Photo d'art Speltdoorn & Fils]

 

http://www.fine-arts-museum.be/fr/les-musees/musee-fin-de-siecle-museum

Musée Fin-de-Siècle Museum

rue de la Régence, 3
1000 Bruxelles
+32 (0)2 508 32 11
http://www.fin-de-siecle-museum.be
info@fine-arts-museum.be
Itinéraire

http://visitbrussels.be/bitc/static/front/img/db/ContentArticle_408/img_6882.pdf

 

Lire la suite...

Une fugue nocturne

 

Quand je ne peux pas m'endormir,

J'appelle à moi mes souvenirs.

Ma mémoire, toujours fidèle,

M'offre une fugue virtuelle.

En pleine nuit, les yeux fermés,

J'atterris en un lieu aimé.

Lors, tout s'éclaire, émoi suprême!

Ma chambre est demeurée la même.

Je la regarde et m'attendris.

Dans mon miroir, je me souris.

Aussitôt, un autre visage

Se colle au mien. La tendre image!

Nous restons, tous deux sans bouger.

Ni lui, ni moi, n'avons changé.

Je m'immerge dans cette grâce,

Surgie du temps et de l'espace.

Je me sens heureuse, à l'écoute.

C'est le bruit des vagues sans doute.

Nous sommes mi nus sur la plage.

J'y ramasse des coquillages.


6 décembre 2013

Lire la suite...

Un suicide ordinaire


Lorsqu’Hélène est morte, il avait dit à René de qu’il ne souhaitait pas que ses amis assistent aux funérailles. Ni recevoir de lettres de condoléances. A l’exception de l’un d’entre eux, Gilbert, dont la femme était morte d’un cancer quinze jours auparavant, et incinérée deux jours plus tard. Ce matin là, Pierre avait eu le sentiment d’assister à la répétition générale d’une pièce dans laquelle il ne tarderait pas à jouer un rôle. Il avait pleuré.

Depuis, il avait appris que trois mois plus tard Gilbert avait épousé sa secrétaire. Elle était sa maitresse depuis longtemps.

La cérémonie d’incinération fut courte. Debout, seul dans le funérarium, Pierre fixait le cercueil qui s’engouffrait dans une bouche de flammes aux sons d’une marche funèbre. Cette fois, il avait les yeux secs.

- Vous voulez assister à la dispersion des cendres ?  

Une heure plus tard, le desservant  lui avait remis un galet qu’il ajouta à leur anneau de mariage, à un collier d’ambre qu’elle aimait, et au morceau de pièce d’identité qui lui avait été remis la veille. Il voulait les conserver pour que, au delà du souvenir, il puisse rester une trace matérielle de leur union.  

Revenu chez lui, il s’était étendu tout habillé sur le lit. Il voulait mourir. Il y avait dans l’armoire à pharmacie un grand nombre de médicaments sous forme de pastilles à avaler. En avaler une poignée d’un seul coup, lui avait-on dit un jour, pouvait assommer un bœuf. Mais tuer un homme ?

Il était resté trois jours dans cette position larvaire sans se laver, sans se raser, sans se peigner. Au bout de trois jours, il avait ressenti un élancement à l’estomac mais ce n’était pas le symptôme de la mort, c’était celui de la faim. 

Il avait pris dans le frigo un morceau de pain, il l’avait décongelé, et il l’avait mangé. Puis il s’était levé, il avait pris un bain, il s’était rasé soigneusement, et il était allé au supermarché pour acheter de quoi se nourrir.

Il avait aussi acheté un livre donc le titre était explicite : suicide, mode d’emploi, d’un certain Gillon. Vous avaliez un tube complet de barbituriques, et il était probable que vous ne vous réveilliez plus. C’est le mot « probable » qui l’avait arrêté.

Il le constatait, il est plus simple de mourir à la suite d’une maladie incurable ou lors d’un grave accident.  Alors même que vous est laissé le choix du moment et de l’environnement, mourir de sa propre main était singulièrement difficile. Bien plus qu’on ne l’imagine dans les ténèbres de sa détresse.

Une autoroute passait à proximité de la maison sous le viaduc qu’il empruntait depuis des années. Juste après un virage en épingle à cheveux assez mal conçu à son sentiment. Il le répétait souvent, il fallait faire attention, et ne pas rouler trop vite. Un moment d’inattention, une vitesse excessive, et vous pouviez franchir d’un bond le monticule sous lequel se trouvait le viaduc. Et vous retrouver sur l’autoroute, mais en quel état !

Il ne faut pas trop trainer lorsqu’on à l’intention de se suicider. C’était la faute à Julie s’il n’avait pas mis son projet à exécution.

Julie était une de leurs amies. Elle avait perdu son mari, un charmant garçon, lors d’un accident de chemin de fer. Il y avait eu trois morts, la presse n’en avait pas fait sa première page parce que c’était au moment des élections présidentielles américaines, mais l’un d’eux était Albert, son mari.

Elle avait téléphoné le lendemain de l’incinération d’Hélène. Elle avait dit qu’elle avait compris, Pierre ne savait pas encore ce qu’elle avait compris, mais elle souhaitait le voir. Il ne pouvait pas le lui refuser.

Julie était de ces femmes que leur mari comblait  souvent, c’était criant, mais moins souvent qu’au temps de leurs premières années de mariage. Elle l’avait confié à son amie Hélène.

Pierre avait souvent pensé à Julie lorsque sa femme était vivante. Depuis qu’elle était morte, il avait cessé d’y penser. C’est Julie qui s’était rappelée à lui

L’idée de son suicide se ramena quelques jours plus tard à une idée dont on débat avec sa conscience mais sans s’efforcer de la matérialiser. Et dont très vite, on ne débat plus : la vie continue.

Ce livre qu’il avait laissé ouvert à la page qui recommandait d’avaler un tube de barbiturique, il l’avait fermé et  rangé dans un tiroir. Ce virage à proximité de la maison dont le dessin lui semblait aussi tranchant et dangereux qu’une lame, il suffisait de faire preuve d’un peu de prudence avant de l’aborder. D’ailleurs, il l’empruntait depuis plus de dix ans, quelque soit l’état de la route, et sans y penser.

Suicide ? Il fallait être stoïque et courageux. Accepter sans fléchir le sort que le sort vous réserve. Vivre, soit.

Le soir même, après le coup de téléphone de Julie, il avait pris un bain, il s’était légèrement parfumé, il avait mis une tenue dont il savait qu’elle l’avantageait. Il s’était offert un double whisky pour se donner un coup de fouet. La nuit était tombée lorsqu’il était monté en voiture et s’était rué sur la route, la tête en feu.

Une heure plus tard, il était dans le lit de Julie. Peut être n’y a-t-il pas de justice immanente ? Dieu doit détourner la tête.

C’est en rentrant chez lui aux premières lueurs de l’aube qu’il avait manqué le virage, et qu’il s’était écrasé sur l’autoroute.

 

Lire la suite...

12272976479?profile=original"Les épreuves su sentiment" est un recueil de nouvelles de François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud (1718-1805), publiées à Paris chez divers éditeurs de 1764 à 1780.

Elles paraissent d'abord séparément; leur vogue encourage l'auteur à choisir un nouveau mode de publication, la «collection», à partir de 1772. Ainsi les Épreuves comprennent-elles cinq tomes, soit vingt-cinq histoires rééditées en France jusqu'en 1815, dans le cadre des Oeuvres de Baculard. Il connaît un large succès avec cette série, dont l'Année littéraire fait régulièrement un compte rendu élogieux. Dans le clan de Fréron, Baculard devient le conteur moral idéal. Son public s'étend des boutiques au Trianon.

Nous proposons ici une typologie des schémas narratifs utilisés dans les Épreuves, en sept cycles. Dans celui de la séduction, une jeune fille, souvent campagnarde, succombe au charme d'un noble dont la promesse de mariage est remise en question par la corruption ou les autorités («Fanni», t. I; «Clary», I; «Julie», I; «Rosalie», III). Dans le cycle des rivales, la séduction passe par un combat: deux soeurs («Lucie et Mélanie», I), deux amies («Sélincourt», II) se disputent le coeur d'un homme. Le cycle de la mésalliance rassemble des couples formés contre la volonté de leurs parents («Anne Bell», II; «Makin», IV; «Amélie», IV; «Daminville», V). La puissance de l'amour tient à son ambiguïté (quatrième cycle): il dégénère en jalousie («Nancy», I; «Adelson et Salvini», II; «Ermance», IV), ou se sublime en sacrifice et en bravoure («Batilde», I; «Sargines», II). Cinq nouvelles illustrent la vision que Baculard a de la société. Il oppose la corruption urbaine à la pureté rustique (ou la richesse à la pauvreté): deux héroïnes incarnent ces deux pôles dans «Pauline et Suzette» (V). Le héros de «Bazile» (III) en choisit un, alors que celui de «Lorezzo» (III) dépasse leur opposition, comme le couple d'«Henriette et Charlot» (V). Dans «Germeuil» (V), un père de famille échappe in extremis à l'enfer urbain. Le sixième cycle célèbre un personnage singulier, le bienfaiteur. Le modèle de Pygmalion est fatal dans «Liebman» (III); l'Anglais généreux de «Sidney et Volsan» (II) apporte la prospérité et l'harmonie; un jeune homme dévoué rétablit avec éclat l'honneur de son ami juge («Zénothémis», III). Le cycle du bâtard fait du paria un héros: soldat courageux, il retrouve son père dans «Valmiers» (V) et «D'Almanzi» (IV).


Avec les Épreuves du sentiment, Baculard a trouvé sa voie. Le récit court est dans son oeuvre la forme phare. Il avoue, dans le «Discours préliminaire» des Épreuves, que ses récits ne sont que des «bagatelles», mais il assure que cette légèreté est un appât. Au moyen d'images touchantes, l'auteur fascine le public à des fins morales. Il cultive ce «germe précieux qu'a mis en nous la Sagesse suprême»: la sensibilité. Il place ses textes sous le patronage de Térence («Homo sum...») et de Fénelon (Télémaque). La réussite de son projet tient à une dynamique dramatique. Shakespeare est son modèle théâtral de prédilection: Othello hante les jaloux des Épreuves; dans «Adelson et Salvini», la représentation de Roméo et Juliette prend la dimension d'un psychodrame. Le modèle de l'écriture dramatique est surtout sensible dans la force du dialogue. La sensibilité se donne en spectacle au fil de discours altérés par l'émotion: l'auteur pratique le style «haletant»; la parole bouleversée s'abolit dans le cri, le soupir, les larmes. Celles-ci coulent en abondance dans les Épreuves, baignent les êtres, les régénèrent; ils acquièrent par elles le langage sublime des âmes sensibles, source de plaisir au-delà de toutes les douleurs qu'ils sont appelés à subir. L'émotion spectaculaire atteint son sommet, lorsque le pathos confine au pathologique: femmes et hommes s'évanouissent, sombrent dans la léthargie, la maladie, la folie.

 

Mais l'excès pathétique sert la modération idéologique: Baculard propose de résoudre des situations critiques par le biais d'une religion de bienfaisance, culte d'un Dieu indulgent, servie par des prêtres qui apportent aux malheureux éprouvés une aide morale et matérielle. Ils représentent le dernier bastion de la vertu, dans une société où l'on ne sert qu'un maître, l'argent. L'économie baculardienne fonctionne au rythme des dons, car l'argent pourrit, si on l'entasse. Il entretient la corruption ambiante, symbolisée par le «bel esprit». L'excessif raffinement et l'essor de la philosophie voisinent en effet, selon Baculard, avec un reste de barbarie, tel que le préjugé qui marginalise encore les bâtards, dans la société contemporaine. La sensibilité, elle, peut assouplir l'ordre social; elle entre dans la promotion d'un bonheur bourgeois dont les Épreuves sont le vecteur. Son art de la conciliation a fait de Baculard un vulgarisateur idéal pour la masse des lecteurs qu'il fallait initier aux métamorphoses idéologiques de leur siècle.

Lire la suite...

Un week-end à Barcelone.

Un week-end à Barcelone.

 

C’était à Barcelone, Franco était mort. C’est le roi Juan-Carlos qui était en titre le maître du pays depuis qu’il s’était présenté au parlement en disant que le  chef des armées, c’était lui, et que le temps de la dictature, c’était f-i-n-i, fini. Je ne me souviens plus des mots qu’il avait réellement prononcés mais le sens en était celui que je dis,  Esteban me l’a confirmé vingt ans plus tard.

Je retournais assez souvent à Barcelone sans le dire à Esteban. Pour les miens, j’inventais un motif d’affaires. C’était une sorte de respiration dont j’avais le sentiment qu’il m’était nécessaire pour continuer de vivre.

Barcelone est une ville que j’aime pour cet étrange destin que les Barcelonnais ont en commun : les admirateurs de la Sacra Famiglia qui sont persuadés que le travail interrompu y reprendra un jour. Ceux qui disent qu’ils ne sont pas espagnols mais catalans.

- Nous n’avons rien contre les espagnols, nous sommes différents, c’est tout.

Ceux qui ne veulent connaitre de Barcelone que la partie de la ville qui monte et rejoint Montjuich.

- Miro, vous connaissez ?

Ceux qui vont et viennent sur les Ramblas et qui disent que Barcelone, ce sont les Ramblas. L’écrivain Valdez Montalban qui prétend s’y connaitre mieux en cuisine qu’en littérature. Et combien d’autres encore…

 C’est vrai qu’ils sont différents du reste des Espagnols.  Ils disent qu’ils ne sont pas de cette Espagne d’on  ne sait pas très bien si c’est un pays européen ou une partie égarée du continent africain.

Avant de mieux les connaitre, je craignais que de s’opposer à leur dires quels qu’ils soient, mêmes les plus anodins, leur feraient jeter ce masque d’honorabilité qu’ils arboraient pour sortir un couteau. Tuer par orgueil ne constitue pas un meurtre à leurs yeux. Vive la muerte a dit un général de Franco avant de tirer sur les républicains.

Je le répète. J’aime Barcelone même si je n’aime pas les grands boulevards tracés au cordeau qui aboutissent au Barca d’un côté et au Grands Magasins de l’autre. En revanche, moi qui descend toujours à l’hôtel Colon et qui en serai vraisemblablement le dernier client avant qu’il ne soit transformé, je n’y vais pas pour sa proximité avec la Cathédrale mais pour sa proximité avec les ruelles étroites où se trouvent les bars à filles.

Esteban l’avait dit :

- Je me demande si au fond de nous-mêmes nous ne regrettons pas Don Quichotte prêt à mourir pour ses idées.

- Ne me dis pas qu’il vous arrive de regretter le temps de la guerre civile ?

Pour des idées ? Ou pour jouer avec vos vies ?

- Vive la Muerte est une formule qui nous définit bien.

La première fois que je suis venu à Barcelone, c’était clandestinement. Dans un sac de toile, parmi des

vêtements  roulés en boule, se trouvaient cinq pistolets

destinés  à cinq jeunes partisans qui étaient décidés à se battre contre les franquistes, les armes à la main.

L’un d’eux, un futur médecin au visage aigu, aux yeux et aux cheveux  noirs m’avait proposé de les prendre à l’endroit qu’il m’avait désigné et à les apporter à un lieu proche la frontière qui sépare l’Espagne de la France. Là quelqu’un les prendrait en charge pour traverser la frontière. Ce futur médecin, c’était Esteban. Le temps et le hasard avaient fait de nous des amis ‘ à la vie à la mort ’.

J’avais accompagné le passeur. C’est moi qui avais apporté les armes à Esteban et ses amis. Ils étaient cinq. Quatre garçons et Juanita.

C’est durant cette nuit là que l’Espagne de Franco venait de basculer. Personne ne s’intéressa au jeune adolescent qui venait d’être privé d’un acte d’héroïsme auquel il avait rêvé toute la nuit.

Aujourd’hui, vingt ans plus tard, je ne sais pas pourquoi mais je voulais revoir Juanita qui m’avait ramené chez elle cette nuit-là. Cette nuit qui avait été une césure dans ma vie. Est-ce d’ailleurs de moi dont je parle aujourd’hui ? Nous nous étions aimés longtemps. Dieu sait ce que nous voulions oublier. Elle savait, peut-être qu’elle ne voulait pas le savoir, que j’avais une épouse qui n’avait pensé qu’à moi cette nuit là.      

Juanita a été surprise de me revoir. Elle était professeur d’architecture, m’a-t-elle dit. Elle avait un compagnon qui avait dû s’absenter.

- Vous voulez faire sa connaissance ? Vous pouvez dîner avec nous. Oui, je me souviens. C’était une époque étrange.

Je suis rentré à l’hôtel qui m’a paru soudain plus vieillot. Le lendemain, j’ai repris l’avion pour  rentrer. Je n’ai jamais plus mis les pieds à Barcelone.

 

 

 

Lire la suite...

Sous les caresses de la pluie

 

 

 

 

Les baisers de la pluie, délicates caresses;

Haut perché sur un fil, un oiseau les reçoit.

Ses plumes imbibées semblent faites de soie.

Il s’expose, ravi, à l’humide tendresse.

  

Haut perché sur un fil, un oiseau les reçoit,

Se secoue vivement et me semble en liesse.

Il s’expose, ravi, à l’humide tendresse,

Je l’observe, amusée, partageant son émoi.

 

Se secoue vivement et me semble en liesse.

Peut-être dérangé lorsqu’il m’aperçoit.

Je l’observe, amusée, partageant son émoi,

Sans trop réaliser mon indélicatesse.

Peut-être dérangé lorsqu’il m’aperçoit,

Il s’envole soudain à très grande vitesse.

Sans trop réaliser mon indélicatesse,

Je le vois disparaître au-dessus de mon toit.


20 août 2006

 

 

 

Lire la suite...

La passion de vivre

Dancing Jews / Z Stryjenska.jpg (25869 octets)

Chacun n'a ici-bas qu'un permis provisoire
D'y séjourner un temps. Il a loisir de croire
Qu'il restera vivant. En ce, il n'a pas tort;
Rien de grand ne se crée, en pensant à la mort.

Les jeunes tiennent pour certain, et c'est normal,
Que les êtres âgés, quand ils se portent mal,
Quitteront sans tarder le monde des mortels,
Et devraient, le sachant, changer leur rituel.

Le destin chaque jour agit en surprenant.
Il enlève la vie à de nombreux enfants,
Tandis que des vieillards, qui leur survivent, pleurent
Mais savourent les plaisirs jusqu'à leur dernière heure.

Certainement sereins, des sages ont écrit
Qu'il faut continuer, lorsque le sort meurtrit,
À rester en éveil, contemplant la beauté.
La nature a le don d'éblouir, d'exalter.

Connaissant bien les hommes, effrayés par la mort.
Dont le désir de vivre est toujours le plus fort.
La Fontaine a laissé sur ces faits une fable,
Rapportant les propos d'un vieillard fort aimable.

13/03/2004

Inspiré de la fable «Le Vieillard et les trois jeunes Hommes»

Lire la suite...

Un poème que des notes portent

 

 

Des notes me venant en don,

J’y grefferais un beau poème.

Il deviendrait une chanson.

Le répandrait le vent qui sème.

J’y grefferais un beau poème,

Mes vers transcendés par des sons.

Le répandrait le vent qui sème,

Les notes engendrent des frissons.

Mes vers transcendés par des sons.

Ce sont les mots simples que j'aime

Les notes engendrent des frissons,

Une grâce, souvent extrême.

Ce sont les mots simples que j'aime.

Voudrais en faire des chansons.

Une grâce, souvent extrême,

Se crée à l'écoute de sons.

3/10/2005

Lire la suite...

Histoire d'un révolutionnaire.

 Une histoire de révolutionnaire.

 

 

J’étais en train de lire quand j’ai entendu la sonnerie de la porte d’entrée. Je n’attendais personne. Nous étions en Septembre, il commençait à faire noir.

- Henri !

- Je peux entrer ?

- Tu es seul ?

Je l’ai fait entrer. Il a ôté son imper, il donnait l’impression de ne pas savoir ce qu’il devait en faire. Je le lui ai pris. J’étais indécis. Je suppose que moi aussi, je donnais l’impression de ne pas savoir ce qu’il fallait en faire. J’ai eu un moment le sentiment qu’il allait le reprendre. Je l’ai poussé vers un fauteuil du salon.

Lorsque j’ai connu Henri, j’avais quinze ans. Peut-être moins. Je ne m’en souviens pas exactement. C’est vrai que ça n’a pas d’importance. Mais ce sont souvent des détails de cette nature qu’on cherche à préciser au moment des funérailles d’un ami.

Par contre, je me souviens avec netteté du jour où nous avions été au casino de Trouville. Henri avait misé cent francs à la roulette. Le numéro était sorti mais le croupier avait repoussé toutes les plaques vers un autre joueur, un habitué sans doute, qui lui avait souri. Henri n’avait pas osé dire que deux des plaques étaient les siennes. Moi non plus, je n’avais rien dit. On est bête, parfois, à vingt ans.

C’est la mère de sa fiancée qui m’avait invité dans leur maison de vacances. Elle était d’origine anglaise, et elle avait conservé cet accent dont elle pensait qu’aux yeux des français, il avait un caractère aristocratique.

- Nous sommes ravis, Pierre, de vous avoir à notre table.

Elle me vouvoyait alors qu’elle m’avait connu jeune adolescent ami de sa fille Simone et de celui qui allait devenir son gendre, un étudiant doué et  brillant.  

C’est Simone qui me l’avait raconté. Un jour, lors d’une manifestation comme il y en avait de nombreuses en France en 1968, il était à côté d’un garçon qui avait jeté un pavé sur la tête du policier étendu devant eux.

-Arrêtes, arrêtes. Tu vas le tuer, avait crié Henri.

Le garçon était hors de lui. Il avait repris le pavé, et l’avait asséné sur le visage du policier. Quand  les autres CRS les avaient entourés, l’un d’eux, leur chef, avait crié :

- Qui a frappé ? C’est toi ?

Le garçon avait secoué la tête. Il était transi de peur.

- C’est toi ?

Henri avait tendu le doigt. Le garçon s’était mis à pleurer.

- Je ne voulais pas, je ne voulais pas.

Plus tard, Henri apprit qu’il s’agissait d’un jeune métallo qui croyait que la révolution avait éclaté. Il était allé au bout de ses convictions. CRS-S.S. avait-il crié.

Simone enseignait l’anglais. Henri avait son diplôme de philo-lettres. Il balançait entre une carrière de chercheur dont il disait en riant : chercheur de quoi, ou un travail de traducteur plus proche de ses goûts. Il soulignait, sans rire cette fois, que ça l’obligerait à mettre les mains dans le cambouis des tâches terre à terre.

Il n’y avait plus de vingt ans que la guerre s’était achevée, et dans l’esprit de beaucoup de jeunes, il était temps qu’on transformât le monde. Derrière le Parti Communiste, le Parti de la classe ouvrière, le Parti des Fusillés.

C’est à la fête de l’Huma qu’il avait demandé sa carte du Parti. Le stand était tenu par des jeunes gens. L’un d’eux lui avait crié:

- Salut, camarade.

Henri avait compris qu’il se trouvait parmi les siens.

- Salut, camarade.

Le jeune homme qui l’avait accueilli se nommait Simon Deltenre. Il lui avait demandé son nom et son adresse.

- Tu feras partie de la section Est. La cellule Bergère, c’est la mienne aussi. Ta carte te sera remise par le camarade Chauffier. Tu devras lui payer ta cotisation. Tu es étudiant ? Il n’y a pas de honte, camarade.

Mais Henri avait rougi. Ce sont les travailleurs qui sont les bâtisseurs du Futur. C’est drôle, même le discours oral avait ses majuscules.

Après s’être mariés, Henri et Simone avaient loué un petit appartement dans le neuvième arrondissement. Deux pièces et une cuisine, côté cour. Lui ne voulait pas attendre, il voulait travailler comme un prolétaire. C’était aussi l’époque des prêtres-ouvriers. Il n’y avait que les ouvriers de chez Renault qui se plaignaient de leur condition sociale.

Un grossiste en textiles cherchait un chauffeur pour effectuer ses livraisons, ce n’était pas mal payé, Henri fut engagé dès la première entrevue avec son futur patron. Il présente bien, pensa le patron, on dirait un étudiant des grandes écoles.

J’ai ouvert la bouteille de whisky.

- Tu es sûr que je ne te dérange pas ?

- Bien sûr que non ! Tu aurais du me prévenir. Et Simone ?

- Elle est à Paris. Je reviens d’Espagne.

- D’Espagne ? Je croyais que les démocrates boycottaient l’Espagne de Franco ?

- Toujours aussi moqueur. Je suis content de te revoir, Pierre. Bien que les circonstances ne soient pas les meilleurs pour des retrouvailles. Hélène n’est pas là ?

- Elle est chez sa mère jusqu’à demain.

 - Je peux dormir ici ?

Il y avait près de six ans que nous nous étions revus. Le jour de mon mariage. Simone et lui étaient venus de Paris sur une moto dotée d’un side-car. Tous les deux avaient enfilé un blouson de cuir. Ils avaient sur la tête une casquette comme en portaient les aviateurs durant la guerre.

On se voyait peu mais on se téléphonait souvent. Ils ne parlaient que de théâtre ou d’événements qui se déroulaient soit en France soit aux Etats-Unis. Parfois, en Union Soviétique.

En France, ils étaient de nature sociale. Aux Etats-Unis, il s’agissait de politique impériale, et de la pire espèce. Quant à l’Union soviétique, les questions essentielles touchaient à la culture. Hors du Parti, le Parti c’était le parti communiste, rien de notable n’avait d’existence digne d’être commentée.

D’après ce que j’ai compris par après, en sortant d’une réunion de cellule, il s’était trouvé face à Juan Moralès, le fils d’un de ces républicains espagnols qui avaient rejoint la France à l’avènement de Franco. Juan avait été son condisciple à Philo-Lettres. Le hasard sans doute, ils ne s’étaient plus rencontrés depuis la sortie de la Fac. Juan et lui avaient été de bons amis qui pouvaient parler des heures durant de politique et de philosophie.

- Nous avons besoin de toi, Henri.

- Nous ?

Ils s’étaient attablés à la terrasse d’une brasserie du Boulevard Montmartre.

- Tu veux nous aider, Henri ?

Le cœur d’Henri s’était mis à battre plus vite. Un seul instant avait suffi pour que la vie de Juan, une vie secrète, il l’avait deviné, celle d’un militant, prenne un relief aussi marquant que celui des personnages de l’ombre qui naissent lors des bouleversements de l’histoire.

On était en 1975. Franco était fort malade. Certains disaient qu’il était aux portes de la mort, d’autres disaient qu’il était déjà mort mais que la nouvelle, pour des raisons de haute politique,  était dissimulée au peuple espagnol.

Il y avait comme une césure dans le cours de l’Histoire. Rien ne bougeait. Même le parti communiste, le fer de lance de la lutte, se taisait.

Juan et ses camarades refusaient d’être nés trop tard. Quelques années plus tôt, ils auraient porté l’uniforme républicain. Certains ne s’en tireraient pas à si bon compte. Ils paieraient.

Tout le monde le sait. L’Histoire, c’est aussi l’histoire de chacun d’entre nous. Il y a deux histoires, aussi séparées l’une de l’autre que le sont les planètes: celle de ceux qui traversent leur existence sans savoir qu’ils en sont les maîtres mais qui l’ignorent ou qui veulent l’ignorer, celle de ceux qui se l’approprient tant qu’ils en ont la force.

Henri, soudain, se rendait compte qu’il n’attendait qu’un signe. Dieu ou le destin, ce n’étaient que des mots pour justifier une soif inexplicable de vivre autrement ou autre chose.

Juan faisait partie d’un groupe de jeunes révolutionnaires, des élèves de l’école d’architecture de Barcelone, qui voulaient contribuer à la fin du régime avant que la monarchie ne remplace la dictature. Seuls des coups de feu pouvaient attester de leur existence.

Juan avait acheté des armes, des pistolets, dans une maison située en banlieue parisienne qui alimentait en armes ceux qui en avait besoin pourvu que ce soit contre argent comptant.

- J’ai payé, j’ai mis les armes en lieu sûr. Mais j’ai le sentiment d’être surveillé, Henri. Ces armes sont dans un sac de sport, à la consigne. Il faut les acheminer à la frontière. Quelqu’un t’attendra à Perpignan.

Juan n’avait pas demandé à Henri s’il était d’accord. Peut être qu’il l’avait deviné en le regardant. Peut être que Henri était d’accord avant même que la question ne lui ait été posée. Qui sait ce qui motive les gens au delà des apparences. Qu’il s’agisse de vie ou de mort.

- Je dois m’absenter pour quelques jours.

Simone avait compris qu’il s’agissait de quelque chose d’important. Cette nuit là, ils s’aimèrent avec la gravité qui accompagne les gestes qui comptent. Dont le souvenir, un jour, aura l’éclat du diamant.

A Perpignan, Henri était attendu. Par un jeune inconnu et par Juan qui souriait. Il y a, paraît-il des poignées de main qui valent de grands discours. Henri avait les larmes aux yeux.

Il avait eu peur durant tout le voyage. Il avait fait semblant de ne pas regarder le sac qu’il avait hissé sur le filet, en face de lui. Son regard l’y ramenait constamment.

- Ne dis rien, Juan. Ce n’était pas grand-chose.

Je veux vous accompagner.

- Il faudra traverser la montagne à pieds.

Ils traversèrent la frontière à la hauteur de Figueras dès l’aube. Le soir, ils étaient à Barcelone.

La suite de son aventure espagnole, je l’ai appris une autre fois. Il m’avait téléphoné avant de venir. Non pas de Paris comme il eut été naturel mais de Bruxelles où il était déjà.

- Hélène est là ?

- Pas de chance, Henri. A croire qu’elle te fuit, elle est chaque fois chez sa mère quand tu es à Bruxelles. Tu dors chez nous, je suppose.

Henri m’inquiétait sans que je puisse en donner la raison. C’est moi et moi seul qu’il voulait rencontrer. Il était à peine assis qu’il parlait.

Cette fois là, il se rendait à Barcelone sans raison impérieuse. C’est l’atmosphère de cette ville qui lui était utile.

- Non. Pas utile. Nécessaire, Pierre. On dirait que la vie s’y est arrêtée. Hors du temps, et en même temps…

La première fois, ils s’étaient retrouvés, Juan, son ami et lui dans un petit appartement situé entre la Cathédrale et les Ramblas. Ils étaient six. Cinq garçons et Manuela.  Ils regardèrent les armes et Victor, le plus jeune d’entre eux, fit semblant de viser une statuette qui se trouvait sur la cheminée comme il l’avait vu faire dans des films policiers.

- Dès demain, nous devrons décider de la cible.

Ferdinand, c’est lui qui les recevait, avait sorti d’une armoire la bouteille de Xérès, et rempli les verres. Puis, chacun prit congé. Henri avait accompagné Manuela chez elle.  

 Deux fois, il était revenu chez Ferdinand. Non plus pour y apporter des armes mais pour participer à l’élaboration de l’Histoire. Franco, disait-on, était entre la vie et la mort. La nuit, il la passait chez Manuela.

Manuela se voulait une passionaria qui vouait sa vie à la classe ouvrière. L’image de la révolution. Elle faisait l’amour avec passion.

C’est le jeune Victor qui bouleversa tous leurs plans. Il n’avait pas pu attendre. Il avait tiré sur un garde-civil sans l’atteindre, et il s’était fait arrêter. Une histoire lamentable et banale qui le mena en prison non pas comme un révolutionnaire mais comme un délinquant ordinaire. Franco venait de mourir officiellement, l’Histoire de l’Espagne se remettait en route.

Par prudence, le groupe s’était dissous et leurs membres s’étaient dispersés. Manuela avait quitté Barcelone. Henri n’avait pas cherché à la retrouver.

Un an plus tard, il avait revu Juan qui s’efforçait d’être engagé comme fonctionnaire à la  municipalité. Il avait des qualités de leader et saurait diriger un service sans difficulté.

Tout en parlant, nous avions vidé quelques verres de whiskys.

- Je vais préparer ton lit.

- Merci, Pierre. Pas ce soir.

Je n’ai plus revu Henri. Beaucoup plus tard, Henri était mort, Simone, au téléphone, avait évoqué ce qu’elle appelait sa période espagnole.   

Dans la cellule Bergère, sa cellule, les problèmes évoqués ne changeaient pas souvent. Les élections municipales, les manifs, les instructions du Parti. Henri n’y prenait plus la parole que rarement. Simone l’accompagnait mais ils ne s’asseyaient pas côte à côte. Dans la cellule, ils étaient des membres de la cellule avant d’être mari et femme.

Henri ne travaillait plus comme chauffeur. Un membre de la Fédération lui avait proposé de seconder le dirigeant d’une entreprise du Parti.

Elle importait des appareils photographiques d’Union Soviétique. Il en devint le dirigeant.

A plusieurs reprises, il s’était rendu à Moscou. Un haut fonctionnaire du ministère avec lequel il lui arrivait de dîner, lui avait dit un soir :

- Tu ne feras pas une belle carrière, Henri. Tu feras une grande carrière. Tu as l’étoffe d’un chef.

Henri avait levé son verre de vodka. Il n’éprouvait pas de joie particulière. Il se souvenait du jeune homme qu’un simple carte, à la fête de l’Huma, en 1970, avait projeté dans la vie.

Il faut bien vieillir

 

Lire la suite...

l'automne selon Pouchkine

 

Extrait de Eugène Onéguine – POUCHKINE

« déjà le ciel annonçait l'automne », traduction I Tourgueniev et L Viardot

Уж небо óсенью дышало,
Уж реже сóлнышко блистало,
Корóче становился день,
Лесóв таинственная сень
С печальным шумóм обнажалась,
Ложился на поля туман,
Гусей крикливый караван
Тянулся к югу: приближалась
Довóльно скучная пора;

Стоял ноябрь уж у двора.

Déjà le ciel annonçait l’automne,

Le soleil brillait moins fréquemment ;

le jour s’accourcissait ;

la mystérieuse toiture des bois se dépouillait avec un bruit lugubre ;

des brouillards se roulaient sur les champs ;

les caravanes d’oies criardes se dirigeaient vers le sud ;

la plus triste époque de l’année s’approchait :

novembre était sur le seuil de la porte.



Ouj niébo oscéniou dychala,

ouj riéjié solnychko blisstala,

karotchié stanavilçia dièn,

liéçov tainistviénnaia cièn

c piétchalnim choumom abnajalass,

lajilçia na palia touman,

gouçeï kriklivyï karavan

tianoulçia k'yogou: priblijalass

davolna skoutchnaïa para;

ctaial naiabr ouj ou dvara.

Déjà dans les nuages on respirait l'automne,

déjà le soleil brillait moins,

les jours devenaient plus courts,

les frondaisons mystérieuses des forêts

s'étaient dénudées avec un triste bruit,

 

sur les champs s'étendait la brume,

la caravane crialliante des oies

allait s'éteignant vers le Sud:

s'approchait une assez ennuyeuse période ;

novembre se tenait devant la porte.

Lire la suite...
RSS
M'envoyer un mail lorsqu'il y a de nouveaux éléments –

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles