L’Héritage de Rogier van der Weyden. La peinture à Bruxelles de 1450 à 1520 (12.10.2013 > 26.01.2014)
Atelier de Rogier van der Weyden : « La Déploration devant le tombeau ouvert ». Firenze, Gallerie degli Uffizi
Deux commissaires très complices, le Dr Véronique Bücken ( chef de la section Peinture ancienne aux musées des Beaux-Arts de Bruxelles) et le Dr Griet Steyaert (collaborateur scientifique) se sont épaulées avec grand enthousiasme pour faire partager au public leur impressionnant travail de recherche, débuté il y a quatre ans à propos des « Petits maîtres bruxellois » du dernier quart du XVIe siècle bourguignon.
Griet Steyaert est docteur en histoire de l’art, spécialiste des « suiveurs » de Rogier van der Weyden, et auteur d’une thèse consacrée au Maître de la légende de sainte Catherine. Egalement restauratrice, elle est particulièrement qualifiée pour l’étude technique des peintures. Elle vient d’achever la restauration du Triptyque des sept sacrements de Rogier van der Weyden, conservé au Musée royal des beaux-arts d'Anvers. Véronique Bücken signe quant à elle, le somptueux catalogue de l’exposition qui s’est ouverte récemment aux musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Magnifiquement illustré, il réunit à la fois la beauté, l’exigence des qualités scientifiques et l’art de la transmission de notre patrimoine artistique.
Maître de l'Adoration du Prado : « La Présentation au Temple ». Washington, National Gallery of Art
Rogier van der Weyden est né à Tournai, commune autonome dépendant du roi de France vers 1399/1400 sous le nom de Roger de la Pasture. Son père, Henri de la Pasture, est coutelier. Il fit partie de ce que l'on a appelé l'«école des primitifs flamands» une appellation née au XIXème siècle pour désigner les peintres flamands qui se spécialisèrent dans les scènes religieuses et les portraits de bourgeois du XVème siècle. Ces peintres innovaient des techniques de peinture à l'huile offrant une grande richesse de tons et des effets de lumière et de transparence. La technique complexe des glacis mêle des huiles aux pigments et vise à la conservation d’un objet peint. Après une sous-couche opaque, on pose sur le tableau la peinture en couches successives très fines et translucides, du plus clair au plus foncé, qui permettent de fondre subtilement les tons entre eux et de leur conférer une luminosité et un éclat particulier. Le tableau en vient à rayonner de l’intérieur. Ce qui est justement le propos des peintres de cette époque et de cette région : créer à la faveur de l’œuvre, un climat de dialogue avec la lumière divine. Roger de la Pasture fut vraisemblablement élève du Maître de Flémalle et ses premières œuvres montrent l'influence de Jan van Eyck.
Rogier van der Weyden, Portrait d'Antoine de Bourgogne 1430 – 1504, Huile sur chêne, 38,4 x 28 x 0,4 cm @ MRBAB/ KMSKB
Il fut nommé peintre officiel de la ville de Bruxelles, ville natale de sa femme où il s’installa avec ses enfants et prit le nom de Rogier van der Weyden (ce nom figure dans un acte notarié). A cette époque, Bruxelles était en plein essor. Les ducs de Bourgogne, grands protecteurs des arts, avaient choisi le palais du Coudenberg comme résidence favorite. Celle-ci était entourée des hôtels des hauts dignitaires de la cour et des familles nobles comme les Nassau ou les Ravenstein. Affilié à la guilde bruxelloise des peintres, Rogier van der Weyden connaît vite une grande réussite. Son atelier était une véritable entreprise située dans le quartier des orfèvres (le site actuel de la Bibliothèque Royale) et il acquiert une réputation internationale. Il reçoit d’importantes commandes d’Espagne et d’Italie, sans dédaigner pour autant les travaux de polychromie ou mise en couleur de divers objets ou pièces de menuiserie. En dehors de tableaux et retables, nombre de modèles pour des ateliers de sculpture, de vitraux ou de tapisseries étaient aussi fabriqués dans l’atelier. Le maître mène une vie bourgeoise très active. Il est réputé pour son altruisme et son intégrité : c’est lui que l’on choisissait comme arbitre quand un conflit s’élevait entre un peintre et un de ses clients. Son atelier est riche de nombreux collaborateurs anonymes. En effet les peintres ne signaient pas leurs œuvres et leur nom changeait souvent en fonction de leur lieu de résidence, à l’instar de leur maître.
L’exposition met en scène une douzaine de peintres très productifs ou d’ateliers actifs à Bruxelles, les« suiveurs » de Rogier van der Weyden mort en 1464. L'historien d'art M. J. Friedländer, (Die Altniederländische Malerei, t. II : Rogier Van der Weyden und der Meister von Flémalle, Berlin, 1924) considérait ces artistes comme mineurs et tributaires de l’art de van der Weyden, et ne recherchait pas quels étaient leurs apports et en quoi ils étaient novateurs. A l’époque, ces tableaux anonymes furent classés et regroupés par affinités stylistiques. Chaque groupe fut attribué à un « Maître », nommé conventionnellement d’après un des tableaux du groupe (Maître de la Légende de sainte Catherine, Maître de la Légende de sainte Barbe, Maître de la Légende de la Madeleine), d’après une série de tableaux (Maître de la Vie de Joseph) ou une caractéristique esthétique (Maître au Feuillage brodé, Maître à la vue de Sainte-Gudule).
Maître de l'Adoration du Prado : « Nativité ». Birmingham Museums & Art Gallery
La recherche : grâce aux techniques modernes d’investigation, par exemple l’étude au microscope ou en réflectographie infrarouge, on peut distinguer plusieurs intervenants ou « mains » au sein de chaque groupe. L’observation minutieuse des œuvres permet d’authentifier le label « Made in Brussels » par la présence d’édifices tels que la cathédrale Saints Michel et Gudule, la cathédrale du Sablon, la Porte de Hal… L’étude des cadres d’origine des menuisiers bruxellois et de leurs estampilles aide à l’identification, ainsi que la présence d’une inscription au bas d’un manteau, ou l’identité des commanditaires.
Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique possèdent un important groupe de tableaux et certaines œuvres clés pour cette période. L’exposition rassemble en outre des prêts de différents musées d’Europe et des Etats Unis ainsi que de collections privées. Il faut souligner la générosité du Musée de Melbourne qui a envoyé le Triptyque des Miracles du Christ, une œuvre majeure pour le XVe siècle bruxellois. Le transport a nécessité de grandes précautions vu la fragilité extrême des œuvres. Ci-dessous : Rogier van der Weyden : Pièta
Ci-dessus : le triptyque de Melbourne (entre 1491 et 1495, trois maîtres différents)
En se promenant dans l’exposition on est d’abord touché par une scénographie à la fois paisible et luxueuse : les murs sont dans les tons bleus du manteau de la Vierge. Chaque peinture a une histoire à raconter à propos de la vie quotidienne des gens du 15e siècle. Les peintres de cette époque épiaient la vie sous tous ses aspects. Ils se plaisaient à représenter l’homme dans son milieu, dans les champs, dans les rues, dans son intérieur bourgeois. Pris par une frénésie de l’observation du réel, le peintre se passionne pour la précision et la finesse des paysages, le rendu des costumes, des étoffes des dentelles et des brocarts, l’éclat des bijoux, le luxe de la vaisselle et du mobilier, qu’ils s’évertuent à rendre en couleurs éblouissantes. Des rouges profonds, des verts olive lumineux, des coloris chauds et radieux qui donnent aux matières précieuses, pierres ou métaux, l’illusion du réel. L’art du peintre est issu d’un art de vivre d’une société florissante dont les peintres sont possédés par la passion de recréer sous leur pinceau un monde aimé et admiré. Un monde où la spiritualité occupe une dimension importante. Les tableaux sont souvent instruments de prière et médium pour la communion avec le divin. Les visages, si expressifs qu’ils soient, reflètent la piété tendre pour le divin Créateur et la compassion pour les souffrances du Christ. Un Christ infiniment proche de l’humain.
http://www.fine-arts-museum.be/fr/expositions/l-heritage-de-rogier-van-der-weyden
NB. Pour les enfants, Educateam propose un feuillet didactique et créatif qui emmènera petits et grands sur la piste des personnages légendaires et réels. Vive l’aventure au Moyen-Âge! www.extra-edu.be
Commentaires
SOOOOO SAD!
hélas, trois fois hélas:
Fermeture définitive de l'exposition 'L'Héritage de Rogier van der Weyden'
Contrairement à notre communiqué antérieur et à ce qui nous avait été assuré, l’étanchéité du toit du bâtiment qui abrite l’exposition ne peut pas être garantie pour le moment. Pour prévenir tout problème éventuel, les Musées ont décidé de fermer définitivement l’exposition et ce, en respect du principe de précaution.
Soyez assurés que cette décision difficile et douloureuse pour notre institution est dictée par un souci de conservation préventive pour ce patrimoine exceptionnel et que le maximum est fait par l’ensemble de nos équipes pour assurer une gestion optimale de la situation.
Fermeture temporaire et préventive de l’exposition « The Heritage of Rogier van der Weyden »
© MRBAB, photo : J. Geleyns
atmosphère...
Très beau commentaire sur ce peintre du 15è siècle, avec des détails fort passionnant.
belle exposition rétrospective !! a voir aussi sur tv chaine historique l'émission "PALETTES" ou tous nos prédécesseurs sont décortiqués et toute l'histoire du tableau retracée !!!
Voilà un grand peintre qui est toujours d'actualité par sa chaleur humaine et la profondeur de ses sujets!
Tant de fois je me suis arrêté aux hospices de Beaune pour y admirer son merveilleux retable du Jugement dernier. Alors en cette veille des morts "Sous cette pierre, Rogier, tu reposes sans vie, toi dont le pinceau excellait à reproduire la nature. Bruxelles pleure ta mort, elle craint de ne plus revoir d'artistes aussi habiles. L'art gémit aussi, privé d'un grand maître que nul n'a égalé." Et Bruxelles se souvient.
Triptique Sforza, atelier Rogier van der Weyden, vers1458