Le Bal de l’Ecole des Textiles se déroulait tous les ans à la mi-novembre. C’était un bal réputé. Les étudiants, de futurs ingénieurs y invitaient leur amie ou celle dont ils souhaitaient qu’elle le devienne. Parfois ces jeunes filles étaient accompagnées par leur mère qui était censée leur servir de chaperon.
Cela peut faire rire aujourd’hui. On imagine mal les jeunes filles assistant au Bal de Médecine ou à celui de Polytechnique être accompagnées de leur mère. Elles sont largement à même de choisir leur futur mari elles mêmes. A cette époque, si on y mettait plus d’hypocrisie, le but était finalement le même.
Les jeunes filles revêtaient des toilettes qui mettaient leur silhouette en valeur. Quant à leurs mères, elles aussi revêtaient des toilettes qui les mettaient en valeur même si le but poursuivi n’était pas le même.
Ce soir-là, Pierre avait invité Henriette dont il avait fait la connaissance peu de temps auparavant. Personne n’aurait juré que c’est lui qui l’avait draguée. On racontait que c’étaient les jeunes filles qui draguaient les jeunes gens. On disait même que pour ce qui est d’Henriette, c’est elle qui aurait dit de Pierre en le désignant à sa mère : c’est celui-là qu’il me faut.
Sa mère était une femme divorcée depuis plus de cinq ans, âgée de quarante deux ans dont Pierre n’aurait pas imaginé avant de la voir qu’elle fut si séduisante. On eut dit deux sœurs dont il était difficile de dire qui en était l’ainée.
Béatrice était en effet une très jolie femme à la silhouette sexuelle triomphante que de nombreux étudiants invitèrent à danser. Elle semblait y prendre beaucoup de plaisir. Se pommettes étaient roses sans que l’alcool y fut pour rien, et ses yeux brillaient comme si l’alcool en avait en avait avivé la brillance. Elle a les yeux qui disent : oui ; pensait Pierre légèrement ému.
Il avait retenu une table au bord de la piste. Béatrice s’était laissée tomber sur l’une des chaises. Elle avait vidé son verre d’un trait et regardait Pierre qui faisait danser Henriette.
Le rythme des danses se modifiait au fur et à mesure que la soirée s’avançait. Pierre venait de ramener Henriette et il s’apprêtait à s’asseoir. Un slow, une danse langoureuse, commençait.
- Vous ne m’avez pas fait danser une seule fois, Pierre. Allons, venez.
Elle se pencha vers sa fille.
- Vous permettez que je vous l’emprunte ?
Il s’était levé. Les seins de Béatrice étaient durs, elle pressait sa poitrine contre celle de Pierre, la tête penchée sur son épaule. Il sentait l’odeur de son parfum. Son sexe, malgré lui, s’était dressé. Il se recula. C’est elle qui se resserra contre lui.
- Vous êtes toujours comme ça, Pierre. Ou c’est moi qui vous fais cet effet ?
Elle avait les lèvres contre son oreille.
- Vous êtes un garçon intéressant, Pierre. J’aimerais mieux vous connaître.
Ils dansaient au milieu de la piste sans beaucoup bouger parmi d’autres danseurs qui se mouvaient à peine, eux aussi. La lumière au-dessus de la piste était pratiquement éteinte. Ils étaient, le temps de la danse, sur une autre planète.
-Vous connaissez le café de la Gare. Je vous y attendrai demain à trois heures.
Le slow était sur le point de s’achever. Ils s’étaient délacés. Elle murmura en souriant :
- Ne te préoccupe de rien, j’aurai réservé la chambre.
Il lui tint le bras tandis qu’ils se dirigeaient vers leur table. C’est avec Henriette qu’il dansa la danse suivante tandis que Béatrice s’excusait auprès d’un jeune homme qui lui demandait : on danse ? Elle était fatiguée et se servait d’une serviette comme s’il s’agissait d’un éventail.
Durant leurs fiançailles, il rencontra Béatrice à plusieurs reprises au café de la gare. C’était un bâtiment réparti en deux ailes séparées par un couloir d’accueil. Au bout du couloir, à proximité du comptoir, se trouvait d’un côté une porte vitrée ouverte sur une brasserie, et de l’autre l’entrée de l’hôtel et de l’ascenseur qui menait aux étages.
C’était un hôtel très pratique pour des aventures clandestines. Un couple, chacun d’entre eux séparément, pouvait se rendre à la brasserie sous l’œil indifférent d’un passant et se retrouver dans une chambre réservée.
A chaque fois, Béatrice s’y trouvait la première, nue à l’exception de sa culotte, étendue sur le lit. C’est Pierre qui lui ôtait la culotte, premier geste d’un rituel érotique qu’ils avaient éprouvé tous les deux. Les fantasmes de chacun d’entre eux se fondaient dans un fantasme commun qui exacerbait leur sensualité partagée.
Béatrice éprouvait un sentiment étrange, mélange de culpabilité et de jouissance. Le bonheur parce que c’est elle que Pierre caressait en haletant, culpabilité parce qu’elle était la rivale triomphante de sa fille et la maitresse de son fiancé. D’ailleurs c’est souvent d’Henriette qu’ils parlaient en se rhabillant.
- Tu as déjà couché avec Henriette ?
- Non.
C’était vrai. Alors qu’Henriette lui avait fait des invites très précises, il s’était contenté de l’embrasser et de la caresser superficiellement. Il lui disait, il savait que c’était ridicule :
- Plus tard. Je veux que ce soit le triomphe de notre nuit de noces.
Il aurait eu le sentiment de la tromper s’il avait couché avec elle alors qu’il couchait avec sa mère. Béatrice lui donnait raison. Bien sûr cela ne pouvait pas durer.
- Tu la regretteras, notre aventure ? Elle devra bientôt cesser.
Ce fut leurs dernières étreintes, de celles qui, parait-il, sont les plus passionnées.
Pierre épousa Henriette un mois plus tard. Ce fut une belle cérémonie. Un mariage digne de gens honorables. Béatrice avait bien fait les choses, sans lésiner ni sur la robe d’Henriette ni sur la qualité du traiteur. C’est elle aussi qui leur fit cadeau de leur voyage de noces, une semaine à Agadir, au club Med.
Après en avoir parlé avec les jeunes mariés, elle fit transformer la maison qu’ils avaient achetée, son mari et elle, avant qu’ils ne se séparent. Elle conserva le rez-de-chaussée, et fit aménager les deux autres étages en un duplex très confortable.
Elle se dit qu’elle devait commencer à songer à une vie de retraitée. Elle le pensait en se moquant d’elle-même. Il y avait eu un avant Pierre, rien n’empêchait qu’il y eut un après Pierre.
La maison était suffisamment grande pour y recevoir qui on voulait chez soi sans que les autres habitants en fussent informés. C’est ce qui arriva quelques fois.
De son côté, le couple formé par Henriette et son mari semblait tout à fait conforme à ce que doit être un couple de jeunes mariés. Sinon que Pierre était trop sensible au charme d’autres femmes, des amies d’Henriette ou des collègues de travail, durant la pause du déjeuner.
Béatrice en avait eu connaissance. Elle en souffrait pour sa fille. Ce sont des choses qu’il faut taire si on veut préserver l’union de ceux qui vous sont proches.
Pierre était devenu le directeur technique d’une filature. Henriette était devenue la secrétaire personnelle d’un dirigeant d’entreprise. Leur carrière à tous les deux s’annonçait sous les meilleurs auspices. De plus, deux enfants, un garçon d’abord puis une fille, le choix d’un roi somme toute, et ce serait la touche finale d’un mariage heureux.
Un jour Henriette annonça à son mari qu’elle allait s’absenter durant deux jours. Elle devait accompagner son patron à Londres.
Pierre lui dit de ne pas s’inquiéter.
- Ne t’en fais pas, je me débrouillerai.
Le soir Pierre dînerait chez Béatrice. Elle l’avait invité parce qu’Henriette le lui avait demandé. Henriette éprouvait du remord à abandonner son mari pour toute une soirée et pour la nuit. Béatrice lui préparerait un bon repas. Puis ils pourraient regarder la télévision ensemble.
- Il y a un beau film.
Après le repas, Pierre et Béatrice s’installèrent devant le poste de télévision sur ce canapé dans lequel elle s’asseyait, les jambes repliées, les soirs où elle était seule. C’était une série sans trop d’intérêt mais ni Pierre ni Béatrice n’y portaient d’attention. Béatrice avait croisé les jambes et Pierre ne pouvait s’empêcher de regarder ses cuisses. Il lui entoura le cou et porta la main à son ventre. Ils finirent la nuit dans le lit de Béatrice.