Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

La cinquantaine

 

 

 

C’est quoi, la vie ? Je venais d’avoir cinquante ans. Cet âge sinistre qui remet votre vie en question.

A ma mère, lorsque j’avais quinze ans, à la moindre dispute  je criais : je n’ai pas demandé de vivre. Un jour, exaspéré par l’amour qu’elle me portait, j’ai saisi un couteau qui se trouvait à ma portée, et j’ai cloué ma main sur la table. C’est moi qui me suis évanoui lorsque le sang a giclé.

Julie venait d’avoir cinquante ans, elle aussi. Bernard, son mari, avait proposé que l’on fête les deux anniversaires le même jour.

Bernard, Julie, Thérèse ma femme et moi, nous nous connaissions  depuis notre jeunesse. Pour dire la vérité, Bernard ou moi aurait pu épouser soit Julie soit  Thérèse et quant à elles, elles auraient pu épouser Bernard ou moi sans voir de différence notable. Même durant la nuit.

Je suppose que durant la nuit les hommes, les femmes aussi, se conduisent au lit comme la plupart des couples. Les différences de comportement tiennent du fantasme d’époux fidèles.

Tous les quatre, nous avions tout pour être heureux.

Jeune, du temps que j’étais à l’école secondaire, je rêvais de devenir comédien. A la campagne ou au milieu de la forêt, je lançais à haute voix, les yeux levés vers le ciel des tirades apprises par cœur. Je ne rêvais pas d’un auditoire. Au contraire il m’effrayait, je rêvais de jouer la comédie.

Aujourd’hui, je regrettais de n’avoir pas persisté dans ce qui était peut être une vocation. De ces vocations qui sortent les êtres humains de ces vies qui s’achèvent avant même d’avoir commencé. J’avais décidé de partir.        

 - Je vais partir Julie.

Je savais que Bernard ne serait rentré que le lendemain. A Thérèse j’avais dit que je ne rentrerais que le soir. Je voulais demander à Julie de partir avec moi. Si elle s’y refusait, je ne sais pas ce que je souhaitais en réalité, je partirais seul, le soir même.

J’avais fait le plein d’essence et emporté quelques vêtements dans une mallette.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? Partir. Pour de vrai ?

- Je ne supporte plus cette vie.

Elle s’était levée. Jamais, elle ne m’avait paru aussi séduisante.

- Et moi ? Tu m’abandonnes ?

Je l’ai serrée contre moi. J’ai cherché sa bouche qu’elle détournait tandis qu’elle poussait son ventre contre le mien. C’est elle qui a dit :

- J’ai envie de toi, Pierre.

Elle m’a entrainé vers leur chambre. C’est elle qui m’a déshabillé, et tout le temps que nous étions corps contre corps, elle ne me parlait pas. Comme si elle faisait l’amour toute seule.

- Tu m’aimes Julie, dis-moi que tu m’aimes ?

-  Ne me quitte pas, Pierre. Ne me quitte pas.

Les sens apaisés, j’ai compris qu’elle ne quitterait ni Bernard ni le confort qu’il lui apportait. Si je voulais changer de vie, je devais me décider sans attendre et partir seul.

Lorsque je l’ai laissée après un maigre baiser, j’ai quitté la ville pour ne plus y revenir. Jamais, je n’avais ressenti une telle ivresse.

 J’ai pris l’avion pour les Etats-Unis. J’y suis resté près de trois ans. Je les ai sillonnés de long en large. Puis j’ai eu peur. Entre la ville de mon enfance et moi, il y avait une sorte d’osmose. Entre l’Amérique et moi, il n’y avait rien.

A Houston, une ville sans trottoirs, un ami que je m’étais fait m’a conseillé de louer une salle et d’annoncer dans la presse qu’un acteur français y lirait des extraits de théâtre. Le soir de la représentation j’ai vomi dans ma chambre et j’ai pleuré comme un enfant.

J’ai regardé la paume de ma main gauche. La trace du coup de couteau que je m’étais donné y avait tracé une ligne de vie de plus. J’ai décidé de rentrer. Cinquante ans, c’est trop tard pour recommencer.  

Peu de choses avaient changé dans cette ville qui était la mienne. Bernard et Julie avaient quitté la ville et s’étaient séparés.

Le magasin qui avait été le mien était toujours là. J’ai vu Thérèse qui se trouvait dans le bureau de bois vitré que mes parents avaient construit pour surveiller le personnel. Elle rangeait des papiers.

En sortant du cabinet, elle m’a vu à travers la vitrine.

Nous étions immobiles tous les deux. J’ai souri et je suis entré dans le magasin.

- Tu es revenu. Tu as l’air fatigué.

-  Le trajet est long.

Elle a souri.

- Monte te reposer avant de dîner. Je vais dire à Daniel de fermer le magasin sans moi.

Dans la salle à manger, la table était mise pour deux. J’ai supposé que le second convive auprès de Thérèse était Daniel  à présent.  Lorsque que Thérèse est arrivée, elle a remplacé le second couvert par un autre.

- Tu ne m’as pas embrassée ? J’ai tellement changé ?

Elle n’avait pas tellement changé. Seules les hanches s’étaient épaissies mais la rendaient plus désirable.

Les choses, je le voyais, rentraient dans l’ordre.

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

  • en effet. .Bonne soirée. 

  • Un épisode de vie comme en connaissent pas mal de couples de cet âge.

    Superbement décrit comme à l'accoutumée. Sans pathos, mais comme vient la vie.

    A cinquante ans, j'ai trouvé belle la vie. Comme quoi !

    J'ose espérer que vous aussi, malgré cette nouvelle. Mais sans doute avez-vous l'art de prendre d'autres identités malgré l'utilisation du "Je".

    Bonne soirée. Rolande.

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles