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Nicéphore Niepce invente la photographie en 1826, sur base de nombreuses recherches qui se font parallèlement sur les propriétés photosensibles de différentes matières, dont principalement l’argent.
La première photo de l’histoire, du moins la première photo permanente, qui ne s’efface pas au fil du temps, date de cette année. Elle a été faite au moyen d’une plaque d’étain enduite de bitume de Judée. Le bitume est sensible à la lumière, il s’oxyde, et les parties non oxydées sont alors solubles dans l’essence de lavande. La prise de vue a duré 8 heures, ce qui explique que les murs de gauche et de droite du bâtiment photographié sont également éclairés.
La photo a été laissée à Londres par Niepce, chez son hôte le botaniste Francis Bauer qui l’a soigneusement étiquetée et conservée. On la croyait perdue depuis 1898, mais elle a été retrouvée par l’historien de la photographie Helmut Gernsheim en 1952. Elle se trouve depuis à l’université d’Austin (Texas).
Louis Jacques Mandé Daguerrre et Nicéphore Niepce se sont associés, mais la recherche est principalement effectuée par Niepce, qui meurt en 1833. Daguerre continue les recherches avec le neveu de Niepce, et finit par mettre au point son procédé, le daguerréotype, en 1839. Il s’agit d’une plaque de cuivre enduite d’argent, exposée à la lumière puis développées dans des vapeurs de mercure. On obtient ainsi une image unique d’une grande précision, qui sera souvent rehaussée de couleurs par la suite. Le gouvernement achète le brevet contre une pension à vie pour Daguerre et Niepce, et Arago “donne la photographie au monde” lors d’une séance solennelle de l’Académie des Sciences en août 1839. La même année, l’Anglais Henri Fox Talbot avait mis au point son procédé négatif-positif sur papier, qui permettait donc des tirages multiples, mais donnait une image moins nette et moins nuancée que le daguerréotype. Le temps de pose d’un daguerréotype est au départ de 15 à 20 minutes, mais sera rapidement ramené à quelques secondes, ce qui explique sont essor rapide : en 1847, moins de dix ans plus tard, on vendra à Paris 2.000 appareils et près de 500.000 plaques pour daguerréotypes, en 1853 il y aura 10.000 daguerréotypistes en Amérique, et la photographie sera enseignée à l’Université de Londres dès 1856.
L’évolution la plus importante qui suit est due à l’Anglais Frederick Scott Archer en 1851. Apprenti orfèvre à ses débuts, il fait principalement des portraits sculptés et s’aide de photographies de ses modèles. Il met au point le procédé au collodion humide qui donne un négatif sur verre de très grande qualité et qui sera utilisé pratiquement jusqu’à la fin du siècle malgré la complication de son utilisation. Il faut en effet préparer la solution de collodion, l’étendre sur une plaque de verre, sensibiliser la plaque dans un bain de nitrate d’argent, puis faire la prise de vue et ensuite la développer avec de l’acide gallique ou du sulfate de fer, puis la fixer au thiosulfate de sodium ou au cyanure de potassium, le tout dans un délai de 15 à 30 minutes selon les conditions ambiantes de température et d’humidité. En effet, un fois sèche, la plaque n’est plus sensible à la lumière.
Le matériel à cette époque est lourd et encombrant, les photographes doivent préparer le plus souvent leurs plaques et leurs papiers eux-mêmes au fur et à mesure des besoins. C’est donc un passe-temps, ou une profession, qui n’est pas accessible au commun des mortels. Les photographes de l’époque sont le plus souvent aisés, sinon fortunés, et ont une bonne connaissance de la chimie.
La guerre de Crimée
En 1854, les Russes passent le Danube et entrent dans l’empire ottoman. Sous un prétexte religieux, une querelle sur la garde des lieux saints de Palestine entre moines franciscains et prêtres orthodoxes, ils veulent en réalité contrôler les détroits du Bosphore et des Dardanelles, ce qui leur ouvrirait ainsi le passage vers la Méditerranée. L’Angleterre et la France volent au secours de la Turquie, leur alliée, pour les mêmes raisons. Le gouvernement britannique souhaite envoyer une mission photographique avec ses soldats, mais les officiers qui doivent s’en charger, trop mal et trop rapidement formés, échouent et le ministère fait appel à la Royal Photographic Society, fondée à Londres en 1853 par Roger Fenton, un photographe déjà très connu, qui a notamment été envoyé en Russie pour photographier la construction d’un pont sur le Dniepr.
Fenton est volontaire. Il obtient un financement conjoint de la Couronne, du Ministère de la Guerre et d’un éditeur. Il fait construire un chariot laboratoire, engage un assistant et un cuisinier, et charge 37 malles de matériel. Arrivé en février 1855 en Crimée, il y restera jusqu’à la fin du mois de juin et prendra 363 photos. Il est obligé de travailler très tôt, au lever du jour, car la température trop élevée fait bouillir ses bains, d’une part, et que, d’autre part, son chariot inquiète les Russes et devient la cible de l’artillerie.
Il est ainsi le premier reporter de guerre de l’histoire de la photographie. Soit volonté de propagande, soit conception victorienne de ce qui peut ou ne peut pas être montré aux femmes et aux enfants, il ne fera que des photos assez “innocentes” des troupes, de leur campement, des officiers... il ne faut pas démoraliser le pays. Il évitera de montrer les victimes qui meurent par centaines des suites de leurs blessures ou de maladie (lui-même contractera le choléra, ce qui précipitera son retour). De retour en Angleterre il est célèbre, ses photos sont publiées sous forme d’albums (de tirages originaux) ou reproduites par des gravures sur bois dans la presse. Il est reçut par la reine Victoria qui lui accorde d’apparaître couché en sa présence compte tenu de son affaiblissement provoqué par sa maladie.
La fin de la campagne sera photographiée par Felice Beato et James Robertson, photographes associés qui ont leur studio à Constantinople. Beato, par la suite, accompagnera l’armée britannique en Chine lors de la deuxième Guerre de l’Opium.
Le Grand Tour
Il y a, avant 1885, 250 photographes qui visitent ou travaillent au Moyen-Orient qui est un lieu de destination privilégié par les touristes fortunés d’alors. C’est l’époque où quelqu’un de la bonne société, principalement anglaise mais aussi allemande, et qui en avait les moyens, se devait de faire le “grand tour”, c’est-à-dire un voyage qui le menait de Paris à Rome et la Sicile, puis en Grèce et au Liban, en Syrie, en Palestine, en Egypte, selon l’état de sa fortune et son temps disponible, partout où il y a “quelque chose à voir”.
Tous ne sont pas photographes, loin s’en faut, et donc ils achètent sur place des albums souvenirs. Il y a ainsi de grands studios qui envoient sur le terrain des photographes pour enrichir leur collection de négatifs afin de proposer le choix le plus large possible aux clients potentiels. On peut citer les studios de J. Pascal Sebah et des frères Abdullah à Constantinople ou de Bonfils à Beyrouth qui connaîtront une grande prospérité et deviendront de véritables entreprises internationales.
Francis Frith est un de ces photographes particulièrement doués qui ont travaillé dans ces régions. Anglais, il fait rapidement fortune et se retire des affaires à 34 ans après avoir vendu ses entreprises. Il achète un bateau à vapeur et plusieurs tonnes de matériel, dont une chambre 40x50, une 20x25 et un appareil stéréoscopique, puis embarque pour le Moyen-Orient. Il voyage pendant deux ans en Egypte, Syrie et Palestine, revient en Angleterre avec 450 photos, édite un livre de tirages originaux qui connaît un réel succès puis repart à deux reprises et édite en tout 9 albums de photos de ses voyages. Il crée ainsi progressivement une entreprise prospère qui possédera finalement un million de photographies réalisées, sûrement avec l’aide d’autres photographes dont on a oublié les noms, à travers l’Europe et la Grande-Bretagne en plus de ses photos du Moyen-Orient.
D’autres photographes entreprenants enregistreront des images qui nous révèlent ce que fut le monde en ces temps qui nous paraissent lointains. Ainsi, Désiré Charnay, maître d’école français parti à la Nouvelle-Orléans qui revient en France pour apprendre la photographie et qui obtient un financement de la part du Ministère de l’instruction publique pour faire un voyage d’exploration dans le Yucatan où il ira photographier les principaux monument précolombiens connus à cette époque, ou les frères Bisson qui tentent l’ascension du mont Blanc avec une équipe de 25 porteurs et réalisent ainsi les premières photos de la Mer de Glace et du sommet en un temps où l’alpinisme est loin de connaître les développements que l’on lui sait maintenant.
D’autres restent dans le confort de leur studio et se consacrent au portrait ou à la photo d’art, comme Henry Peach Robinson, qui combine plusieurs négatifs pour créer des scènes de genre, bien dans l’esprit de son temps, ou Julia Margaret Cameron dont les portraits gardent encore de nos jours tout leur impact, de même que ceux du grand Nadar ou d’Etienne Carjat. Certains enfin, comme Muybridge, se tournent vers une application scientifique de la photographie.
Louis Lumière et la couleur
Louis Lumière est né en 1864 d’un père peintre d’enseignes devenu photographe par la suite. Travaillant au départ comme daguerréotypiste, le père a suivi l’évolution technique du métier et a utilisé le collodion humide puis les plaques sèches au gélatino-bromure. Les fils Lumière ont vite été mis à contribution pour préparer les plaques et, à l’âge de 15 ans, Louis, qui n’est pas satisfait de la qualité des plaques Monckhoven qu’ils utilisent, met au point ses propres négatifs au gélatino-bromure que le père utilise pour ses travaux. Ses confrères sont impressionnés par la qualité des photos obtenues et c’est ainsi que commence la fabrication pour la vente des négatifs Lumière. Le succès vient assez rapidement et l’on passe vite de l’artisanat à l’industrie. En 1885, six ans plus tard donc, 300 ouvriers travaillent dans l’entreprise qui produit 50.000 plaques et 4.000 mètres de papier sensibles par jour. L’usine utilise un wagon de verre chaque jour, elle est devenue la première entreprise de produits photographiques d’Europe. Le père Lumière, gestionnaire fantaisiste, a abandonné à ses fils la direction de l’entreprise et se consacre à la peinture.
À la fin du siècle, les recherches sur la photographie en couleurs en sont encore aux premiers balbutiements, Charles Cros et Louis Ducos du Hauron ont mis au point le procédé trichrome qui démontre la possibilité de capter les couleurs d’un sujet mais n’est quasi pas utilisable hors des conditions d’un laboratoire de recherche. Louis veut simplifier le procédé et le rendre accessible au plus grand nombre. En 1904, après 7 années de recherches, il publie enfin un compte rendu sur le procédé qu’il a mis au point. Voici la description abrégée qu’il en donne :
“Si l’on dispose à la surface d’une plaque de verre et sous forme d’une couche unique, mince, un ensemble d’éléments microscopiques, transparents et colorés en rouge-orangé, vert et violet, on peut constater, si les spectres d’absorption de ces éléments et si ces éléments sont en proportions convenables, que la couche ainsi obtenue, examinée par transparence, ne semble pas colorée, cette couche absorbant seulement une fraction de la lumière transmise. Les rayons lumineux traversant les écrans élémentaires orangés, verts et violets reconstitueront, en effet, la lumière blanche, si la somme des surfaces élémentaires pour chaque couleur et l’intensité de la coloration des éléments constitutifs se trouve établie dans des proportions relatives bien déterminées.
Cette couche mince trichrome ainsi formée est ensuite recouverte d’une émulsion sensible panchromatique. Si l’on soumet alors la plaque préparée de la sorte à l’action d’une image colorée, en prenant la précaution de l’exposer par le dos, les rayons lumineux traversent les écrans élémentaires et subissent, suivant leur couleur et suivant les écrans qu’ils rencontrent, une absorption variable. On a ainsi réalisé une sélection qui porte sur des éléments microscopiques et qui permet d’obtenir, après développement et fixage, des images colorées dont les tonalités sont complémentaires de celles de l’original...”
La couche mince en question est constituée de grains de fécule de pomme de terre de 15 millièmes de millimètres et laminées sur la plaque de verre à une pression de 7.000 kg par centimètre carré. Louis Lumière a non seulement conçu le principe de l’Autochrome (c’est le nom qu’il donnera au procédé) mais également conçu et construit tout le matériel nécessaire à sa fabrication. La plaque Autochrome est une diapositive sur verre qui se projette ou s’observe par transparence. Le succès est immédiat et la réussite commerciale viendra rapidement. En 1913 l’usine produit chaque jour 6.000 plaques Autochrome au format 9x12. Par la suite, la fécule de pomme de terre sera remplacée par de la levure de bière, dont les grains plus fins permettront un format plus petit et une plus grande sensibilité, le verre sera remplacé par un support souple récemment découvert, et le procédé sera également appliqué au film de cinéma.
On peut voir à Boulogne-Billancourt, près de Paris, des expositions consacrées à la plus grande collection d’autochromes existant (72.000) au Musée Albert Kahn, un banquier mécène qui envoya des photographes et des cinéastes dans le monde entier entre 1908 et 1929, chargés de constituer ce qu’il appela Les archives de la planète.
Présentation au Photo club de Mons le jeudi 5 mars 2009.