S’bah El Kheir Âalikoum (Bonjour) mes ami(e)s ! N’harkoum Mabrouk (Agréable journée) ! Le mélodieux clapotis des eaux de nos fontaines s’ajoutent à la déferlante des flots du Chélif[1] et jouent sur un air de « Lasnamia[2] » et à l’unisson la « Symphonie de L'Eau » de Serge Lancen (1922-2005) qu’il a composé en 1984. Et à y prêter l’oreille on n’entend aussi la chorale des «Enfantastiques » qui chante : « C'est de l'eau - La planète bleue, oh que c'est beau. C'est de l'eau.» Bien entendu, une aussi belle alchimie est l’œuvre de mon amie et consœur Jacqueline Brenot qui a chroniqué mon livre à la rubrique « Culture » de l’hebdomadaire le Chélif : « Alger la Mystique » (Ziyarat autour de nos fontaines) publié aux éditions Tafat et Aframed (2018). Lisez l’article ou plutôt cette fiche d’appréciation de lecture qu’elle a tissée de ses mains de fée « Pénélope ». Mieux, et dans son bouillon de culture, elle en a plus d’une opinion littéraire la bien nommée Jacqueline Brenot qui chronique de sa plume d’ambassadrice auprès de l’Hexagone (France) la littérature qui s’écrit ici chez-nous. C’est là, la noblesse de sa démarche, de ses écrits qui consistent à présenter les œuvres d’autrices et d’auteurs algériens en guise de lettre de créances qu’elle présente au-delà de la frontières à l’aide de son « Trait d’Union » qui rapproche les amoureux du livre des deux rives Sud-Nord. Et ça ! Le Chélif (journal) s’avère cette idéale passerelle pour que les auteurs d’ici et de là bas puissent échanger loin des clichés et des idées reçues. Donc, autant applaudir cette tisseuse de mots à qui l’on doit d’être lu par autrui. Et rien que pour ça, notre consœur doit bénéficier de toutes les attentions, notamment en logistique pour y acheminer ses œuvres en partages à Paris où elle est sollicité, par les deux communautés qui désire en savoir plus sur nous. L’appel sera-t-il entendu par l’autorité en charge de la culture et des arts? En attendant, lisez l’hebdomadaire « Le Chélif » n° 414 du 17 au 23 novembre 2021.Bonne lecture et agréable lecture. Alger, le 20 Novembre 2021.
♣
Alger la mystique – Ziyarate autour des fontaines
- Quand l'eau rythmait la vie de la cité –
Publié dans l’hebdomadaire Le Chélif n° « Le Chélif » n° 414 du 17 au 23 novembre 2021
Par Jacqueline Brenot
Derrière certaines démarches littéraires, il existe un désir de restituer la beauté et la poésie de lieux légendaires malmenés par le temps, les catastrophes naturelles, les guerres et l’oubli. Celle de Nourreddine Louhal propose d’ouvrir large le regard et la réflexion sur les sources de vie et d’histoires de la Casbah à travers ses fontaines, celles d’Alger et de sa banlieue.
L’eau source de vie livre des secrets comme des contes populaires, mais surtout des témoignages historiques incontournables sur l’art de vivre qui y présidait. Cette mise à l’honneur de l’«or bleu » de l’Algérie n’a pas fini d’interroger le passé au profit du présent.
En feuilletant l’ouvrage illustré de photos en noir et blanc et d’une multitude de références, de récits associés qui illustrent la centaine de fontaines d’origine, remises à l’honneur, on suppose une imposante recherche d’archives et un souci du détail. Après un « préambule » sur la mémoire collective et le « prélude sur les aqueducs et fontaines d’Alger », l’auteur déroule sur sept chapitres fort documentés un tapis rouge à ces puits de vie indispensables à la vieille cité et à ses artisans.
Loin des poncifs sur cet héritage millénaire aride de documents, et dont le parc des fontaines varie « de 100 à 150 » suivant les experts et les époques, avant la conquête française, cette étude sur cette manne ancestrale de l’eau s’appuie également sur des souvenirs d’enfance et des témoignages croisés. L’intérêt de la recherche réside dans cette diversité d’apports entre documents savants des « voyageurs-diplomates » du 17ème siècle, inventaires effectués au cours du Consulat français au 18ème, puis ceux de « la conquête » et autres découvertes singulières sur le terrain.
Difficile d’évoquer chacune des fontaines de cet ouvrage, tant elles furent nombreuses, différentes d’aspect et d’origine, pour lesquelles les habitants marquaient une halte pour se rafraîchir ou faire leurs ablutions. Cependant dans ce chapelet d’anciennes constructions « algéro-mauresques » de la Casbah, pour beaucoup taries ou murées, et dont il ne subsiste que cinq, dont Aïn Sidi-Ramdane contre la mosquée du même nom et Aïn Sidi-M’hamed Chérif. Certaines persistent dans le souvenir, « auréolées de carreaux de faïence » comme les deux célèbres du mausolée du saint Sidi Abderrahmane Ethâalibi et de sa petite-fille L’alla Aïcha, ou celle privée de la « Bab Eddar de l’Ila Khedaouedj El Aamia, ou encore la fontaine du marché du vendredi « Aïn Souk El-Djemâa ».
L’auteur choisit parfois des envolées poétiques pour rappeler le patrimoine fluvial de « la belle El Djazaïr » sous « la gérance de la cité durant le 18ème siècle ». Dans l’apport extérieur déterminant, l’arrivée de « l’élite des migrants » morisques, « médecins, hommes d’art et de lettres », et « artisans-fontainiers » spécialistes en captage de l’eau, expulsés d’Espagne par les monarques catholiques, bénéficia à la ville. Parmi les initiatives des dirigeants qui se succédèrent, celles du Bey Hassan Pacha ou Hassan Barberousse qui obtint « le portefeuille pour l’édification d’aqueducs… canalisations et fontaines ».
Parmi les sources citées, celle de Sidi Yacoub El Cordobi, au lieu-dit de la « Colline du savon », refuge des migrants d’Andalousie qui alimentait des fontaines d’El Djazaïr. Déjà au 10ème siècle, la beauté de la ville blanche et de ses fontaines est mentionnée par un chroniqueur arabe. Parmi les fontaines rendues célèbres par leurs visiteurs figurent celle de Sidi M’hamed Chérif auprès de laquelle écrivains et artistes venaient s’asseoir au début de 1900, de plus ses eaux avaient la réputation d’apporter la « baraka ».
Chaque fontaine, même oubliée ou murée est répertoriée, accompagnée de précisions sur son lieu d’origine, souvent au cœur de la médina, « l’âme de la Casbah ». Dans cette impressionnante liste, citons la fontaine de Bir Chebana près de laquelle fut dressé le décor du film de 1937 de « Pépé le Moko » avec l’acteur français Jean Gabin. Ou encore, dans un autre registre célèbre, la fontaine Sidi Abellah qui « a bercé de ses clapotis » les deux princesses, N’Fissa et Fatma, filles de Hassan Pacha. Sans oublier l’eau digestive de l’Aïn El Aateuch, la fontaine de la soif.
L’auteur rappelle aussi certaines démolitions dûes à « la folie du génie militaire français », comme celle de l’aïn El Hamra, en 1863. Cette « excursion » littéraire ne peut omettre le rôle de ceux qui ont participé à la préservation de ces lieux, depuis celui du « guerraba », l’« apaiseur » de soif, ou le « bsikri », le porteur d’eau, immortalisé par le peintre Lazerges, aux souverains: Dey Hussein, dernier dey d’Alger, surnommé le « généreux fontainier », et Baba Ali Neskis pour la fontaine du Hamma près de la villa Abd El Tif.
De nombreuses pistes sur le réseau hydraulique préexistant, mais aussi d’anciens métiers disparus, dont ceux de parfumeurs, sont abordés à travers ce panorama culturel. Ces fontaines ont participé à la renommée de la Casbah et d’Alger depuis des siècles, mais les guerres n’ont pas épargnées ces points d’ancrage social.
Grâce à l’opiniâtreté et au talent de l’auteur dans cette recherche, la fontaine devient ici un personnage majeur aux multiples visages de la métropole urbaine qui s’est imposée des siècles durant dans la vie des habitants. Disgraciée par le temps, les circonstances et les gens qui n’ont pas toujours pris soin d’elle, sa disparition progressive nous affecte et suscite le désir d’une ultime sauvegarde.
Cette recherche invite aussi à s’interroger sur les causes de l’abandon progressif de ce précieux patrimoine.
Indépendamment de la symbolique de l’eau et des fontaines, le fil rouge de cet ouvrage reste la volonté de partager la connaissance du patrimoine hydraulique de la Casbah et d’Alger, à portée de puits délaissé, bouché par certains propriétaires au détriment du collectif.
En sauvant de l’oubli et de l’indifférence ces lieux vitaux, Nourreddine Louhal fait émerger les richesses de la vieille ville abîmée, brisée par le temps et la négligence collective, par l’égoïsme de propriétaires qui se sont attribués des points d’eau. Cette mine d’informations suscite l’envie de découvrir et de sauvegarder le réseau de ces sources, témoins d’une époque révolue où les souverains d’avant la colonisation ont apporté un soin particulier.
Le choix formel simple de présentation est inversement proportionnel à la richesse de l’enquête menée sur deux ans. Pas de grands formats de photos qui écrasent et dispersent le discours. La quête de l’historien s’exprime en filigrane derrière chaque commentaire, avec parfois regret et amertume devant tant de trésors oubliés ou brisés et la volonté d’« une sauvegarde d’un patrimoine hydraulique ancestral » suivant l’auteur-chercheur. Ses récits rapportés rendent les fontaines aussi éternelles que l’eau dispensée, même si elles n’ont pu échapper à la disgrâce de la rue et des autorités locales. Oasis culturel ancré dans l’une des plus célèbres médinas, classée site historique au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1992 et secteur sauvegardé en 2003, elle interroge l’Histoire et ceux qui ont négligé sa protection.
La culture de ces édifices participe d’un savoir millénaire autour de l’eau. Faute de monument et de transmission, la chaîne de cette connaissance est rompue. A ce point de réflexion sur cette « ziyarate » de ces puits de source, il est juste de rappeler l’expression mystique de la Nature à travers l’eau protectrice synonyme de Vie. Du même coup, le devoir de sa préservation et de bienfait s’impose dans la continuité, au bénéfice du plus grand nombre. L’analyse qui découle de cette imposante recherche nous ramène à l’essentiel: la sauvegarde de l’eau, qui nous sauve et nous garde.
Souhaitons une large audience à cet ouvrage, afin que des initiatives de rénovation puissent encore sauver quelques uns de ces lieux au profit de la vie d’un quartier, à la vie tout court, face aux menaces d’accélération des changements climatiques.
Alger la mystique – Ziyarate autour des fontaines
Nourredine Louhal
Coédition de Tafat et Aframed - 2018
Bio de Nourreddine Louhal: originaire d’Azeffoun, né en 1955 à la Casbah. Ancien cadre chargé d’études hydrauliques, journaliste, et écrivain, auteur de « Chroniques algéroises la Casbah éd, A.N.E.P 2011 », « Les jeux de notre enfance éd, A.N.E.P 2013», « Alger la blanche (Contes, légendes et boqalat) éd, Tafat/Aframed 2016».
[1] C’est le plus important fleuve d'Algérie. Long de 733 km, au nord-ouest de l'Algérie, il prend sa source dans l'Atlas saharien et a son embouchure dans la Mer Méditerranée, près de Mostaganem.
[2] Genre musical de l’Ouest d’Algérie qui est tiré de la Ville d’El-Asnam (ex-Orléans-ville) coloniale devenu Chlef depuis le tremblement de terre du 10 octobre 1980.