Un plat silence s'abat sur la vallée,
Dans un brouillard lourd quelques feuilles y dansent.
Subtile la bise sur elles se penche,
Et comme une emprise les tord éplorées.
Il venait d' Afrique, hier, brûlant comme le feu,
Portant le désert en ses bras, son sable chaud ;
Voilà qu'il se fâche et reprend son propos
Et avec la glace épand le fiel des cieux.
Le vent est un danseur rusé des tropiques
Il est comme l'amour et tourne sans cesse ;
Des lourds étés aux automnes pathétiques
Aux hivers penseurs sa ronde ne cesse.
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Littérature, théâtre, valeurs, classique, roman épistolaire, désir, jalousie, confessions, psychologie, amour, 21e siècle, passion, coup de foudre, abandon, femme, paix, dignité…
« 24 HEURES DE LA VIE D’UNE FEMME SENSIBLE » d’Eva BYELE
« Je vous aime, mon ami, plus que l’on n’a jamais aimé ; mais il ne se passe pas une minute de ma vie sans qu’une secrète anxiété ne se mêle à l’enchantement de ma passion. » Voilà ce qu’écrit, dans un fatal mécanisme de jalousie, ajouté à la tendance qu’ont beaucoup de femmes à attiser le malheur, à le projeter dans des mots qui finalement signent leur arrêt de mort, Constance de Salm (1767-1845), femme libre du XVIIIe siècle. Elle écrit anonymement en 1824 un roman épistolaire bouleversant et lucide qui inspirera les « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » de Stefan Zweig en 1927.
L’écriture comme manière d’être au monde. A son tour, la jeune écrivaine Eva Byele, en 24 lettres numérotées, décide de faire le tour de l’horloge des sentiments avec sa propre sensibilité du 21esiècle. Les « 24 heures de la vie d’une femme sensible » d'Eva Beyele se déclinent en vaillants battements de cœur, se lisent et s’écoutent comme une calligraphie de la passion. Ira-t-on vers une catharsis ? Chaque lettre contient un chapelet de paragraphes qui pourraient vivre tout seul, comme autant de bouteilles à la mer. Comme dans l’œuvre de Jane Austern, les concepts de Sense and Sensibility se livrent un duel poignant et romantique. La sentimentalité détruira-t-elle la dame comme ce fut le cas de madame Bovary? La dame artiste finira-t-elle enfermée comme Camille Claudel ?
Ou assistera-t-on à l’avènement d’une femme cultivée et intelligente de cœur et d’esprit, émergeant de sa passion, renouvelée, solidifiée, resplendissante? L’écriture aborde avec grande pudeur mais combien de justesse, les errances intimes de cette jeune épouse artiste, livrée aux exigences domestiques d’un milieu bourgeois où elle vit, emprisonnée dans un carcan cotonneux et insipide, en plein dans les années folles. Son mariage érodé la suffoque, l’insensibilité du mari l’a poussée à l’incartade adultère. Le mari est devenu un mur de silences. Soit dit en passant: « La société n’a pas appris aux hommes à parler, c’est pour cela qu’ils condamnent les femmes au silence ». Scripsit. Elle se le dit, l’écrit, le lit avec effroi et se rebelle par l’écriture que le milieu où elle vit, condamne.
Le mari prend ombrage des livres qui sont son refuge, Le voilà jaloux et de la plume, et de l’écriture. Le terrain est libre pour Octavio, le compositeur qui la ravit et lui ravit les sens avec son espièglerie d’enfant. Le rire lui revient. La sensualité se savoure comme si on relisait les voluptés de Christine de Pizan… Voici le baiser brûlant, la fougue, l’extase, l’éphémère, et l’immortel. « Le relent de la fenêtre sur l’impossible ». On pense aux rêves de Jacques Brel... au baiser d'Alain Souchon. Comme cela est vivement tourné!
Quelle chute inattendue, quel parcours initiatique vers la paix intérieure, quelle éclosion à ce qu’elle « est », quelle hauteur soudaine vis-à-vis de ce qu’elle « hait ». Le bonheur, elle le découvre, est « en soi ». Donc, jamais elle ne retombera en « esclavage ». Voici un avènement pur et dur de femme du 21e siècle, droite, sûre d’elle mais dénuée du moindre orgueil. No Pride, no Prejudice. La romancière féministe anglaise Jane Austern, doit se réjouir, de l’autre côté du miroir. Voici, grâce au verbe, l’existence versus les silences qui tuent.
Comme cela est vivement joué! Dans une mise-en scène fourmillant de détails intéressants, jusqu’à la couleur de l’encrier. Du vieux Rouen? Le texte est incomparablement habité par celle qui l’a écrit. La partition musicale, signée Louis Raveton, souligne le propos par ses clair-obscurs, ou ses mouvements haletants dignes des meilleurs suspenses. Celle-ci rejoint le moindre frisson de l’âme, chaque révolte, chaque poison combattu avec opiniâtreté, chaque aveuglement …dissipé par la beauté des mots sur la page.
Voici d'ailleurs le "credo" de l'artiste: "Ce seule en scène est l’occasion de proclamer, à nouveau, l’importance de l’écriture pour les femmes ; véritable lieu de liberté qui leur permet d’avoir accès à elles-mêmes, à leurs pensées, leurs sentiments ainsi que de rêver, de se rêver et de rêver leur vie.
Comme l’écriture est performative, la femme qui crée acquiert le pouvoir de devenir autre et de choisir sa vie, devenant par là-même un modèle de liberté et d’émancipation.
Par l’acte même d’écrire, la femme s’affirme comme sujet et non plus comme objet. C’est comme si elle déclarait : «J’écris donc je suis».
Dans un monde où l’on cherche continuellement à réduire la place des femmes, l’écriture, la création – au-delà de l’acte de subversion – sont un premier pas vers la libération.
Puissent le livre de la pièce et ce seule en scène être lus, entendus ; puissent les mots écrits et prononcés résonner en chaque être afin de trouver le chemin du cœur et de l’esprit."
Cette pièce, présentée au théâtre de la Clarencière ces jours derniers, a été jouée à Barcelone, à l’Ateneu del Raval, du 10 au 13 mai 2018, au Festival d’Avignon, au Théâtre Littéraire Le Verbe fou, du 6 au 29 juillet 2018 et à Montpellier, au Théâtre du Carré Rondelet du 14 au 16 septembre 2018.
"24 heures de la vie d'une femme sensible"
Texte, mise en scène et interprétation : Eva Byele
Assistante à la mise en scène : Marion Peltier
Création musique : Louis Raveton
Télécharger le dossier de presse
Les jeudi 15, vendredi 16 et samedi 17 novembre 2018 à 20h30 https://www.laclarenciere.be/
Rai de lumière dissipé.
Ce qui ne nous appartient plus,
Que nous n'avons pas possédé ;
Si peu, de paille le fétu :
Rai de lumière dissipé.
Nous serions faits, pour construire
Jusqu'à l'illusoire, tenus ;
Quand le temps vient tout détruire,
Déliquescent, sans retenue.
Même les saisons futures
Adhèrent à cette cécité,
Venant en réduire la lecture :
Au-delà tout va s'écrouler.
Grands rêves et espérances,
En quête d'authenticité,
reprennent leur transhumance,
Y glaneraient leurs Vérités.
Alors, les possibles épuisés,
ils s'inclinent devant des fleurs :
Ces reines de toute beauté
Qui apaisent l'esprit, le cœur.
Ce qui ne nous appartient plus,
Que nous n'avons pas possédé ;
Si peu :de paille le fétu,
Rai de lumière dissipé.
Pierre WATTEBLED- le 20 novembre 2018.
La Thébaïde est considérée comme une oeuvre de jeunesse, mais la beauté et la force des vers de Racine sont déjà là. Le sous-titre de cette tragédie, "Les frères ennemis", désigne Etéocle et Polynice, qui se battent pour le trône de Thèbes sous le regard éploré de leur mère Jocaste. Antigone n'occupe pas le premier plan, mais n'en demeure pas moins un personnage marquant. Quand les vertus de la réconciliation sont ...bafouées. Présenté au Théâtre des Martyrs.
Première pièce de Jean Racine représentée et publiée en 1664, il a alors 24 ans et marche contre la guerre. Dans son introduction, Racine écrit : « La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante. En effet, il n’y paraît presque pas un acteur qui ne meure à la fin. Mais aussi c’est la Thébaïde, c’est-à-dire le sujet le plus tragique de l’antiquité. »
Il explique aussi que l’amour, qui d’ordinaire prend tant de place dans les tragédies, n’en a que très peu dans la sienne et touche plutôt des personnages secondaires. Ce qui l’occupe c’est bien la haine viscérale profonde que se vouent les deux frères ennemis, Etéocle et Polynice condamnés par un destin implacable, à s'entre-tuer.
« De tous les criminels, vous serez les plus grands –Silence– »
ÉTÉOCLE, roi de Thèbes.
POLYNICE, frère d’Étéocle.
JOCASTE, mère de ces deux princes et d’Antigone.
ANTIGONE, sœur d’Étéocle et de Polynice.
CRÉON, oncle des princes et de la princesse.
HÉMON, fils de Créon, amant d’Antigone.
OLYMPE, confidente de Jocaste.
ATTALE, confident de Créon.
UN SOLDAT de l’armée de Polynice.
Gardes.
La scène est à Thèbes, dans une salle du palais royal.
Cédric Dorier, le metteur en scène ne ménage pas son public. Point de toges antiques, de gracieuses couronnes, de colonnades dorées par le soleil au milieu de champs couvert de coquelicots rappelant pourtant le sang des Atrides sous l’immensité bleue d’un ciel d’Attique… Non, nous sommes conviés aux premières loges d’un huis-clos dont les couleurs glauques sont habitées par l’esprit de 1984, Ninety-eighty Four, la tragédie humaine la plus noire que l’on puisse lire, inventée par George Orwell en 1948. Et dont, jour après jour nous voyons les sombres prédictions se réaliser. Tout autour de ce QG militaire, où règne encore le bon sens de la très attachante Jocaste, on perçoit les bruits du monde dominés par la guerre. A chaque ligne du texte, Jocaste, aidée d’Antigone se dépense corps et âme pour sauver la paix avec une volonté farouche et un instinct de vie incandescent. Saurons-nous écouter ses prières et ses imprécations ? Le texte est envoûtant. Le rythme en alexandrins est un berceau où le verbe fait tout pour sauver du glissement vers les Enfers. Le verbe peut-il sauver ? Les mots feront-ils la différence ? Les femmes, en évoquant l’amour et l’innocence, réussiront-elles à inverser le sort, à juguler la trinité de mal représentée pat Créon, Etéocle et Polynice, tous habités par la haine et la vengeance?
Le duo des frères ennemis est incarné par Romain Mathelart et Cédric Cerbara qui jouent la mise à mort comme des gladiateurs de théâtre romain, tant dans le verbe et le discours que dans l’affrontement physique. Une scène totalement inoubliable, surtout pour le public scolaire invité. Julie Lenain, en Antigone, Sylvie Perederejew en Olympe, complètent agréablement le trio du Bien et de la lumière.
Jocaste (IV,3)
« Ne vous lassez-vous point de cette affreuse guerre ?
Voulez-vous sans pitié désoler cette terre ?
Détruire cet empire afin de le gagner ?
Est-ce donc sur des morts que vous voulez régner ? »
La soif de puissance de Créon, doublée d’immense fourberie et de manipulation machiavélique est chez Racine effrénée et absolument abominable. Elle dénonce le totalitarisme rampant de nos sociétés. Brillant comédien, Stéphane Ledune met la puissance d’évocation à son comble. L’orgueil du personnage est un sommet rarement atteint. Même au bord de son dernier geste fatal, Créon menace encore! Que n’écoutons-nous la sagesse grecque antique, pour qui l’hubris est la pire des choses aux yeux des Dieux. Cette mise en scène fait penser que notre monde en serait peut-être à Minuit moins deux minutes sur l’horloge de la fin du monde. En effet, depuis le 25 janvier 2018, l’horloge affiche minuit moins deux minutes (23 h 58) en raison de l’« incapacité des dirigeants mondiaux à faire face aux menaces imminentes d’une guerre nucléaire et du changement climatique ». Si Cédric Dorier voulait par sa mise en scène, dépeindre un enchaînement apocalyptique de rebondissements tous plus destructeurs les uns que les autres, il y parvient pleinement.
Non seulement le texte est porteur – bien que souvent, hélas peu audible, passé le troisième rang, et …qu’entendre, au fond de la salle ? – mais la modernité, les jeux de lumière, de musique et l’appropriation chorégraphique de l’espace se font de manière magistrale pour épouser le propos de manière organique.
Dommage tout de même, que l’on n’ait pas pu disposer, comme à l’opéra, d’un dispositif défilant le texte. Cela aurait particulièrement aidé les jours où, Hélène Theunissen que l’on adore, jouait en dépit d’une laryngite aiguë. Il est apparu, néanmoins qu’elle n’était pas la seule à capter le dépit, le désespoir ou la colère dans le registre des murmures les plus inaudibles… Ceux-ci font sans doute partie d’un parti pris esthétique et émotionnel très conscient du metteur en scène, mais que l’on a du mal à admettre quand on a résolument pris rendez-vous avec la si belle langue d’un auteur du 17e siècle, surtout lorsqu’il s’agit de chants si désespérés et si beaux!. Ou bien, faut-il avoir relu la pièce avant la représentation ?
Mais, grâce aux vertus cathartiques de la tragédie, il est certain que l’ on est amené, une fois le rideau tombé à questionner notre monde et à repousser ses pulsions mortifères par la raison et le questionnement lucide. Une production brillante et ...désespérante à la fois.
MISE EN SCÈNE
Cédric Dorier
COPRODUCTION Les Célébrants (Lausanne, Suisse), Théâtre en Liberté
JEU Cédric Cerbara, Stéphane Ledune, Julie Lenain, Romain Mathelart, Sylvie Perederejew, Hélène Theunissen, Laurent Tisseyre, Aurélien Vandenbeyvanghe
Photos : Isabelle De Beir
Grande salle
08.11 > 30.11.18
INFOS & RÉSERVATIONS
02 223 32 08 - http://theatre-martyrs.be/
Je souhaite aborder l’écriture de Bashung d’un point de vue stylistique, en cherchant à dégager ce qui s’écarte de l’usage traditionnel de la langue pour en faire une œuvre d’art à part entière et analyser ce qui fait la spécificité de sa prose et l’organise en une sorte de signature. Quand je parle de l’écriture de Bashung c’est par facilité étant entendu qu’il a collaboré avec divers auteurs tels que Fauque, Bergman ou Gainsbourg.
Il y a, chez Bashung, une tentation, une fascination pour le double. Son langage, n’est jamais saisi dans une unicité, une précision; tout est toujours flou, glissant, redoublé profondément ambivalent. L’écriture donne en permanence l’impression de se dérober, on croit l’avoir saisie mais déjà elle se dérobe, le sens sur lequel on croyait pouvoir s’appuyer cède sous la pression de la forme dans laquelle il s’insère. Le texte se déploie dans plusieurs directions, dans plusieurs dimensions simultanées qui ne se font jamais entendre simultanément. L’auditeur est toujours maintenu dans une sorte d’incertitude quant à la compréhension du texte. Cette incertitude procède du fait que Bashung fait souvent coexister, au sein d’un énoncé unique, deux espaces de significations distincts, qui la plupart du temps entrent en conflit. De ce conflit naît la dimension poétique. Pour cela, je m’intéresserai à deux manières spécifiques, deux figures récurrentes dans son écriture qui permettent de provoquer cette situation de conflit.
La première est celle du double tangible : le miroir ou l’écho, dont la présence jalonne le texte. Aucun terme, aucun syntagme n’existe chez Bashung de manière autonome, tous viennent s’inscrire dans un plus vaste réseau, phonique et sémantique, qui structure le texte, lui donne cohérence et couleur. Certaines chansons possèdent ainsi des « clés de lectures », des thèmes et parfois même des mots qui sont des sortes de dénominateur commun à l’ensemble du texte, des nœuds dont découle l’ensemble des autres termes.
La seconde figure, plus insaisissable, fonctionne davantage par surgissement : c’est le double absent, fantomatique, le possible de la langue jamais complètement actualisé, mais dont on ne peut remettre en cause la présence souterraine. Cette figure, qui s’applique notamment de manière récurrente aux locutions, donne une véritable épaisseur au texte de Bashung. Avec la première figure nous sommes dans un rapport d’horizontalité du texte à son double. Avec la deuxième, on entre dans un rapport de verticalité. Ce sont ces différentes modalités d’existence du texte que je vais essayer d’analyser à l’aide de certains exemples.
Concernant le premier type de figure, je distinguerai différentes formes de sa présence au texte : la saturation (allitérations, paronomases), la récurrence (notamment par le biais d’allophones et le renvoi direct (jeux de mots, calembours).
Je commencerai par traiter les échos qui sont les moins riches d’un point de vue poétique : les jeux de mots. En effet, les tensions qu’ils instaurent entre les mots sont davantage de l’ordre de l’amusement que de l’incongruité Nous en citerons quelques uns des plus fameux, tels que « Guru, tu es mon führer de vivre » (Source : Guru), « tu m’as conquis j’t’adore » (S.O.S Amor), « helvète underground » (Helvète Underground), ou encore « Robinson Crusoë n’a plus un vendredi libre » (id.). Au-delà des réflexions que peut engager ce dernier exemple sur la question de l’esclavage et sur le mythe du Bon sauvage, on admettra que l’on se situe plus du côté de la blague de potache que de la véritable trouvaille poétique. La plupart de ces jeux de mots ressortent davantage du calembour, l’amorce étant d’ordre sonore – chanson oblige (à l’exception ici de l’exemple de Robinson, où le jeu de mot portant sur « vendredi » repose sur un second sens possible pour un terme utilisé – ici nom propre/nom commun. On notera deux choses concernant cette propension au jeu de mot : la première est qu’elle peut déborder le cadre de la chanson pour s’étendre au cadre para-textuel de l’album : ainsi du live enregistrée lors de la tournée de l’album Novice : Tour Novice, ou de certains titres de chansons : Camping Jazz … La seconde, d’ordre génétique, est que cette figure relativement peu productive d’un point de vue poétique semble caractériser une période précise de l’écriture de Bashung quand il travaillait avec le parolier Bergman. Cette relation textuelle me semble assez pauvre du fait de son caractère particulièrement tranché : soit on comprend l’astuce, soit on ne la comprend pas ; soit l’on possède la référence, soit on ne la possède pas. Son ressort réside tout entier dans notre capacité de compréhension et notre vivacité d’esprit. Mais, une fois élucidé, le jeu de mots n’offre plus aucune difficulté ; il se donne tout entier ou ne se donne pas. Il ne possède pas cette propriété de résistance qui fonde l’image poétique : une association dont la compréhension justement résiste, une association qui ne se départit jamais totalement de son caractère étrange et pour laquelle demeure toujours une forme d’incertitude. L’image poétique fuit l’évidence. L’écho qui s’instaure entre les deux pôles du jeu de mots ne provoque jamais que la satisfaction de l’esprit et constitue en ce sens le « degré zéro » des figures du miroir, ou de l’écho.
Un degré supplémentaire est franchi avec l’usage d’une figure que semble particulièrement affectionner Bashung, à savoir l’ allophone : « texte transcrit en d’autres mots. On a remplacé des mots par des homophones qui semblent conférer au texte un sens nouveau »
Exemple particulièrement probant cet extrait de 2043 : « Ses congénères crient au génie », où on est forcé d’entendre, ou croire entendre, dans la phrase initiale, la présence, seconde, du mot « cryogénie ». On peut également penser à certains titres : « Est-ce aimer ? », « Que n’ai-je ». Ce procédé, dans certains cas, peut produire des équivoques intéressantes -renvois troubles, miroirs troublés : ainsi, le début de Volutes ne se laisse pas aisément démêler : « Vos luttes partent en fumée / vos luttes font des nuées / des nuées de scrupules », que l’on peut tout à fait entendre, titre du morceau à l’appui : « Volutes partent en fumées / […] font des nuées / dénuées de scrupules ». L’allophone est ici pour Bashung un moyen de brouiller les pistes, de scinder l’idée que l’on croit saisir, et son propre reflet (les mêmes sons pouvant produire deux phrases distinctes, le trouble étant renforcé par le champ lexical vaporeux qui caractérise tout le texte, et dont la dimension proprement insaisissable convient bien à cette entrée en matière). On voit donc bien qu’avec cette figure, il réintroduit ce principe de résistance, cette dimension d’incertitude. Si l’on file la métaphore du miroir, le reflet du texte premier ne diffère plus simplement parce qu’il est maquillé, mais bien parce qu’il commence à introduire la possibilité d’un Autre ; c’est le principe d’identité du texte à lui-même qui est remis en cause par l’allophone, où l’on croit entendre ce qui s’avère être différent. Ce que l’on croyait avoir identifié comme l’image première n’en est en fait que le reflet, qui nous échappe. Il n’y a plus coïncidence, mais une première forme, infime, de décalage. Le texte, doucement, s’ébranle.
Enfin, l’image d’un mot peut se diffracter jusqu’à saturer le texte de sa présence, par le biais notamment de deux figures particulières : l’allitération et la paronomase. Nombreux en effet sont les textes de Bashung reposant sur un nombre restreint de phonèmes, et semblant même parfois entièrement procéder de variations appliquées à ces (ou ce) phonèmes. Le principe de « retour permanent » qui caractérise la rime (certains schémas de phonèmes terminaux se répondent de manière réglée) s’étend alors à l’ensemble du texte ; par la systématisation de ce principe, on entre alors dans une forme de saturation, de « galerie des glaces » renvoyant indéfiniment la même image de manière déformée. Ainsi du [an] (ou [am]) d’Un âne plane (titre programmatique) qui contamine en quelque sorte le reste du texte, dans lequel on retrouve des mots tels que « Notre Dame », « clame », « fane », « anatomies », « pavane », « courtisane », « anoblit », « condamne », « émanent », etc. Ou bien du [z] d’Osez Joséphine, que l’on retrouve de manière particulièrement éloquente dans la phrase « user l’usurier / soyez ma muse », ou ailleurs (« plus rien n’s’oppose », et jusque dans certaines liaisons « ils font des envieux », étendant ce principe de contamination au-delà du mot seul, mais bien dans la structure même de la phrase – les mots entre eux produisent le son premier.) La paronomase également peut produire cette sensation d’enfermement entre certains sons récurrents, au nombre restreint. « A moi s’agrippent des grappes […] » (Noir de monde), « les cymbales les symboles » (Happe), « j’ai pas compté j’escomptais » (Malaxe), « à quoi s’adonne la madone » (L’Irréel), « j’ai fait l’amour/j’ai fait le mort » (La Nuit je mens), « en Écosse des gosses précoces » (Que n’ai-je), pouvant aller jusqu’à l’homophonie, sorte de « paronomase absolue » : « en Écosse des gosses écossent » (id.), « me lancent/des dagues et des lances » (Volutes). Mais dès lors, c’est l’infime variation dans la répétition du même, qui importe : ainsi, dans une phrase telle que « effet de serre/ma vie sous verre/s’avère ébréchée » (Dehors), c’est le terme « ébréchée », qui concentre toute notre attention par sa situation en fin de phrase et qui produit cette cassure que le reste de la phrase prépare: la surenchère, l’enfermement dans quelques sons particuliers favorise l’écart, la disjonction : tout terme ne présentant pas le même caractère d’identité constitue nécessairement un relief à notre écoute ; le fait que ce terme, ici, soit « ébréchée » est d’autant plus éloquent, dans la mesure où c’est lui qui vient écorcher la structure close de la phrase, et vient forcer notre écoute. Dans le miroir, l’image de cette phrase est à la fois une ressemblance, une forte identité, en même temps qu’une fêlure. Il revient donc à la langue elle-même de faire vaciller sa propre image, de mettre en place les conditions de sa propre remise en cause, de sa propre contestation – le surgissement de ses failles. Cet univers cohérent de répétition du même, ce principe d’identité qui structure et organise de nombreux textes de Bashung, ne vaut que pour et par les nuances, les exceptions et variations qu’il met à jour, dont il permet l’épanouissement. La récurrence d’une figure n’a d’intérêt que dans les moments où elle fait défaut – dans l’espace intime de ses lacunes. C’est ainsi que je voudrais concevoir l’intérêt des différentes figures « du miroir » : dans leur opacité bien plus que dans leur transparence. Il est vrai que ces divers phénomènes d’échos participent d’une cohérence du texte, qu’ils lui permettent de prétendre à une forme d’unité, de couleur qui lui soit propre. Mais les espaces cohérents peuvent également s’appréhender par leurs marges, car c’est ainsi, par l’écart, que l’on peut espérer accéder à cette étrange résistance du poétique dont je parlais plus haut.
Après avoir fait état des principaux moyens dont use Bashung pour donner à ses textes une apparence de stabilité , je voudrais analyser un autre type de figure, qui joue bien moins sur la mise en relation des différents éléments explicites d’un texte, que sur le recours à un éventuel implicite du langage. Alors que nous venons de voir comment d’éléments en présence pouvait naître une lacune, j’aimerais désormais montrer comment est-ce que Bashung parvient à donner une forme de présence à ce que la langue, d’une certaine manière, dissimule.
Certains textes reposent sur des « mots-fantômes », des sortes de dénominateurs communs à l’ensemble des autres termes, autour duquel ils tournent, sans jamais sembler le saisir, sans jamais l’énoncer, des clés de lecture restant dissimulées, informulées. Ces présences fantomatiques peuvent être d’ordre sémantique, avec le développement d’un champ lexical particulier, ou phonique, rejoignant ainsi le principe allitératif.. Pour les constructions d’ordre sémantique, on peut penser à 2043 et Angora, qui s’organisent respectivement autour de la notion d’hiver (et ce qu’elle implique de froid et de rigueur : « elle hiberne », « l’ont refroidie », « crient au génie », et de maladie respiratoire (voir notamment le refrain. Dans la mesure où elle est couplée au champ lexical de la moisson – « faucher les blés », « manier la fourche », « […] qu’on a semée », « n’a pas pris ». Dans une perspective plus large, on peut constater qu’un album tel que Fantaisie Militaire semble s’organiser autour de l’idée de Nature. Ainsi, on peut lire dans la grande majorité des chansons des allusions à la nature en tant qu’elle renvoie à une forme d’état premier, ou de monde parallèle au nôtre mais qui conserve tout de même une certaine porosité.: les grands espaces (« montagnes », « plaines », « abysses », « forêt vierge », « l’océan » ), le monde minéral (« extrait de roche », « falaise », « éboulis »), aquatique (« cité lacustre », « geyser », « l’eau du nénuphar », « jailliront les cascades », « les eaux troubles », « les pluies acides »), végétal (« la lande », « les herbes folles », « valériane », « orchidées », « laurier » « nos lianes infinies », « le dernier coquelicot », « les sapins », « la mandragore »), animal (« le lièvre court la hase » « au gardon à la tanche », « terrier ») le cycle cosmique (« la saison », « aux équinoxes », « mes éclipses », « la Grande Ourse »), etc., comme si l’album dans son ensemble était parcouru par cette idée de Nature, et les rapports que l’homme peut entretenir avec elle.
https://www.youtube.com/watch?v=I65xH9-bWRU
On peut également retrouver ce principe de mot-fantôme qui viendrait hanter les souterrains d’un texte dans une dimension d’ordre plus phonique. L’exemple le plus significatif d’un tel procédé nous est offert avec la chanson Elvire, dont le titre semble déterminer, parcourir l’ensemble du texte ; autrement dit, le texte paraît s’attacher à n’exprimer aucun terme qui ne rompe le lien phonique avec le prénom qui le fonde. On trouve ainsi des mots tels que « rêveries véritables », « éprouve », « logiciel », « en exil j’excelle/aux barres parallèles », « enjoliveurs », « crécelle », etc. Tout le texte paraît donc n’exprimer, en filigrane, que la présence absolue, totalisante, de cette Elvire. La question à cet endroit pourrait être de connaître la différence que j’opère entre l’exemple d’Elvire, et le principe de l’allitération : c’est qu’ici, la récurrence des mêmes phonèmes ne relève pas d’une volonté arbitraire d’établir des échos entre certains mots, mais bien de rendre phoniquement la permanence de la figure féminine, qui s’épanouit de manière souterraine , et qui vient d’une certaine manière véroler le texte dans son ensemble. Autrement dit, l’obsession du narrateur pour cette Elvire peut se lire dans le processus de contamination qui se met en place sur l’ensemble du texte. Même lorsqu’elle n’est pas nommée, on ne peut s’empêcher « d’entendre » sa présence. Je dirai qu’elle hante la chanson.
Un autre procédé que semble affectionner Bashung est celui qu’emploie Michel Leiris dans son Glossaire et qui consiste à remettre en cause l’arbitraire du signe linguistique, en donnant à un mot une définition qui semble procéder du signifiant plus que du signifié. C’est le mot dans toute sa matérialité qui commande la définition (ainsi, on peut trouver à « Botanique : ta beauté panique »). Si Leiris pousse l’habileté à conserver une cohérence d’ordre sémantique au sein du jeu sur les signifiants (« centaure : sans mors son torse se tord »), Bashung reprend le procédé en le simplifiant quelque peu. On peut donc trouver trace, dans son écriture, de certaines de ces définitions obliques : Ombres chinoises : « les ombres s’échinent à me chercher des noises » (J’passe pour une caravane), Vercors : « voleur d’amphores au fond des criques » (La Nuit je mens), ou encore Sonotone : « les sonates de l’automne » (La Ficelle). De cette manière, et pour reprendre l’expression de Leiris, on « entend ce que les mots disent ». Ils sortent de leur simple transitivité, s’imbriquent à la façon de poupées gigognes, et croyant en trouver un, on tombe sur les autres. Il établit ainsi entre eux des correspondances insoupçonnées et inédites, qui nous poussent à entendre au plus près la texture du mot, et exploite de cette façon sa faculté à « faire image ». Il met à jour les réseaux qui parcourent la langue et qui souvent nous échappent, dans l’habitude que nous sommes à ne plus considérer le langage pour ce qu’il est, mais pour ce à quoi il nous sert
Cette remotivation de la langue trouve son accomplissement le plus radical dans le traitement que fait Bashung des locutions et autres expressions figées, qui surabondent dans le cours de son écriture. Je ne me lancerai pas dans un compte-rendu exhaustif de chacun des cas particulier de ce procédé, dans la mesure où il pourrait constituer à lui seul un article conséquent, mais je tâcherai de dégager les principes de sa mise en place, et ce que cela engage dans notre rapport au texte – et, partant, au langage. La locution, explique Le Grand Robert, est un « groupe de mots (syntagme ou phrase), fixé par la tradition ». Elle se caractérise également par le caractère « intangible » et « stable » de sa forme. On pourra également ajouter qu’elle constitue, par le fait même de son intangibilité, la modalité d’expression favorite de l’ensemble des opinions reçues sans discussion, comme une évidence naturelle, dans une civilisation donnée. ». Il s’agit donc en un certain sens d’un matériau verbal – et poétique – plutôt vil. Or la prose de Bashung regorge véritablement de ces locutions, expressions figées, tics de langage : « avoir les mains sales » (Station Service), « pleuvoir des cordes » (Rognons 1515), « sans crier gare » (id.) , « sur le bout des doigts » (Mes bras), « faire une fleur » (J’ai longtemps contemplé), « se perdre en […] » (Kalabougie), « fausser compagnie » (Fantaisie militaire), « le plus clair de mon temps » (J’passe pour une caravane), « la caravane passe » (id.), « partir en fumée » (Volutes), « être noir de monde » (Noir de monde), etc. Ce qui importe désormais est de saisir le traitement qu’il impose à ces locutions, ou autrement la manière dont il arrive à se sortir des sables mouvants de la langue, comme est-ce qu’il parvient in fine à la mettre en branle. Il procède pour cela de trois manières différentes : soit par un jeu sur le contexte dans lequel il insère la locutions ; soit par un jeu sur les termes immédiatement présents dans l’environnement de la locution, d’un point de vue strictement syntaxique : quels sont les mots qui bornent, encadrent la locution, qui se situent dans son entourage immédiat ?) ; soit, empruntant à l’attitude surréaliste, par défigement de l’expression. Je ne retiendrai qu’un exemple pour chacun des types de traitement.
https://www.youtube.com/watch?v=U-tJQgsZp20
Concernant la relation au contexte général de la chanson, sa concrétisation la plus éloquente est celle que l’on peut trouver dans le texte de Station service, extrait de l’album Roulette russe: « Aujourd’hui j’ai plus les mains sales». Cette phrase, qui intervient à de nombreuses reprises dans le texte, subit l’action rétroactive du contexte de deux manières distinctes mais non contradictoires : en effet, le morceau dépeint, d’une part, la mort d’un « vice-président du conseil […] à l’arrière de sa DS », et de billet de « 100.000 lires » que l’on tend en faisant « promett[re] de n’jamais rien dire ». Ce genre d’affaire justifie pleinement qu’en « lâch[ant] son job », on n’ait plus les mains sales, et la conscience tranquille. « Avoir les mains sales » aurait donc bien ici le sens (figuré) qu’on lui connaît, celui de se compromettre dans d’obscures affaires. Mais (et c’est le deuxième sens possible de l’expression), l’action se passe, ainsi que le titre l’indique, dans une « station service ».On peut donc recevoir l’expression « avoir les mains sales » au sens propre , dans la bouche de celui qui en arrêtant son « job » n’a plus, enfin, à se soucier de l’état de ses mains. Partant de là, l’habileté de Bashung réside dans le fait qu’il fasse converger les deux sens (propre et figuré) sur la même expression, sans qu’ils n’entrent jamais en conflit, et sans que l’on soit jamais capable de décider lequel des deux il nous faut retenir : on ne peut jamais trancher quant à l’orientation qu’il nous faut donner à cette phrase. La seule chose dont nous puissions être sûr, c’est que par la mise en place d’un contexte spécifique appliqué à une expression particulière ou, inversement, par le choix d’une locution spécifique dans un contexte particulier, il nous pousse à reconsidérer cette dernière dans toute son épaisseur. Il nous oblige, par une subtile mise en contexte, à repenser l’origine de l’expression. Nous sommes forcés de nous confronter à la dualité principielle de toute locution mais que l’usage nous fait perdre de vue. En ce qui concerne le rapport au co-texte, on peut distinguer deux façons de procéder, toutes deux s’appuyant sur un usage particulier du lexique : par analogie, ou par antagonisme. Par analogie, j’entends que l’on trouve parfois dans l’environnement immédiat de la locution certains termes ressortissant du même champ lexical qu’elle, et que de cette proximité naît la figure. Ainsi pour la phrase suivante : « Je me tue à te dire / qu’on ne va pas mourir » (Mes bras) : la présence du verbe « mourir » fait immédiatement écho au verbe « tuer » (champ lexical de la violence et de la mise à mort), que pourtant l’usage nous à appris à ne plus entendre pour lui-même lorsqu’il s’inscrit dans la locution « se tuer à dire (qqch – à qqun -) » C’est la co-présence des deux termes qui nous pousse à revenir sur la locution et qui nous permet d’entendre, ici, la violence sur laquelle elle se fonde. « Je meurs pour te dire qu’on ne mourra pas ». A noter également que ce type de pratique est valable dans le cas d’expressions telles qu’ « un train s’en va sans crier gare », « il pleut des cordes sur ma guitare » (Rognons 1515), etc.). Mais cette prise de conscience peut également passer par le recours à deux termes antagonistes : « se perdre en retrouvailles » (Kalabougie) (ou encore « le plus clair de mon temps dans la chambre noire » (J’passe pour une caravane) : c’est donc ici le fait de rapprocher l’idée de « perte » et celle de «retrouvailles» qui fait sens. Le phénomène majeur qu’entraîne ce jeu sur le co-texte, est qu’il nous pousse à reconsidérer la locution dans toute sa matérialité ou dans toute sa texture. Bashung confronte d’une certaine manière l’espace figé de la locution, et l’espace dynamique de la phrase. L’auditeur bâtit le sens de manière progressive, et c’est cette entreprise de dévoilement qui le conduit à reconsidérer la locution, une fois opérée la compréhension du syntagme dans son ensemble. La présence du co-texte provoque en quelque sorte le vacillement de la locution, par un mouvement de va-et-vient permanent sur l’axe syntagmatique, d’un espace à l’autre. Même s’il ne s’agit pas d’un « défigement » en règle , cela participe tout de même d’une forme « d’ébranlement » de la locution. Le terme d’ « expression figée » signifie bien que le récepteur identifie le syntagme comme un bloc, dont les différentes composantes restent inconsidérées pour ce qu’elles sont. En rétablissant des liens de type lexical, Bashung rend perceptible un ou plusieurs éléments en particulier de la locution et lui rend son particularisme. De cette manière, il nous fait entendre les « rouages »de la langue.
Enfin, la troisième manière d’exploiter ces « phénomènes linguistiques » particuliers que sont les locutions, est le « défigement » de certaines « expressions figées » tel que le pratiquait les surréalistes, c’est-à-dire par l’intervention directe sur la configuration interne de l’expression : ainsi Madame ne rêve pas à des « foudres de guerres », mais bien « de foudres et de guerres » (Madame Rêve). De la même manière, ça n’est plus « la caravane qui passe », mais bien « Je [qui] passe pour une caravane ». L’expression est donc mise à nue, en une sorte de dissection, puis « remontée », de sorte qu’elle nous apparaisse comme neuve ou du moins, inouïe.
Par tous ces procédés, A.Bashung participe d’une remise en cause de la transitivité de la locution : on ne glisse plus sur elle comme sur ce bloc syntaxique que l’usage nous a appris à ne plus considérer pour lui-même, mais pour ce à quoi il renvoie : on est forcé de l’appréhender de manière individuelle. L’informulé remonte à la surface, se fait véritablement entendre. Bashung débarrasse la locution de son surpoids doxal, et elle devient ainsi, par son incongruïté et son intransitivité fraîchement acquise, un matériau à fort potentiel poétique.
Je voudrais pour finir évoquer deux procédés qui, s’ils ne rentrent pas pleinement dans les catégories factices forgées par mes soins, n’en demeurent pas moins des « points de surgissement » du sous-texte, des voies d’accès aux galeries qui parcourent les textes de Bashung. Le premier de ces procédés est un hybride entre ce que j’ai pu dire sur le principe de l’allophone et le jeu sur le co-texte : citons ainsi, pour illustrer cette catégorie, des phrases telles que « les délices qu’on ampute pour l’amour du connasse », ou « tu sauras où l’acheter le courage », ou encore « et que ne durent que les moments doux ». Cette figure se déploie en deux temps : d’abord Bashung sélectionne un terme, que l’on peut croire neutre mais qui en réalité contient en son sein la possibilité d’une seconde lecture ; puis il lui accole un second terme qui, par affinité sémantique, actualise en quelque sorte la seconde lecture possible du premier. Par exemple, il ne vient pas spontanément à l’idée d’entendre « lâcheté » où l’on nous dit « l’acheter ». Mais par l’association du mot « courage », son exact antonyme, cette métamorphose devient immédiate et évidente. Ainsi, chacune de ces phrases peut s’entendre « en plusieurs dimensions ».
Enfin, la dernière figure que j’aimerais citer simplement pour mention est celle de la syllepse, qui présente le double avantage de constituer un point de basculement du texte et un point de vacillement dans notre compréhension. C’est une figure qui met en déroute tant le texte que l’auditeur ; le texte hésite, et l’on hésite avec lui. Ainsi : « […] un concours de circonstance qu’aurait engendré ce paysage désolé/de n’être pas resté ». Le basculement s’opère ici au niveau du mot « désolé », qui s’accompagne en plus dans la chanson d’une pause dans la scansion. (On notera que l’expression « un paysage désolé » peut constituer également une forme d’expression figée – au moins dans un certain type de littérature.) Ce terme, sur lequel s’opère la jonction de deux sens, propre et figuré, les unit, et fait résonner la solitude de l’un dans l’embarras de l’autre. Dire le plus de choses avec le moins de moyens, voilà ce qui pourrait constituer une sorte de programme esthétique pour Bashung.
Voilà donc dans les grandes lignes ce que j’aurais eu envie de dire quant à l’écriture d’Alain Bashung, à ce que je pense être son fonctionnement, ses mécanismes, ses spécificités. Ce que je me suis efforcé de faire était de cerner les modalités d’existence du langage chez Bashung, ses différentes organisations, sa structure. Et de cette structure, le concept qu’il me semble falloir retenir est cette idée de densité, de permanence des images et de leur intégration en un plus vaste réseau. La langue d’Alain Bashung est une langue qui me paraît trouée en même temps qu’elle est stratifiée, où les différentes lectures possibles se déposent en une multitude de couches. Voilà ce que nous pourrions identifier comme le système poétique propre à Alain Bashung. Il faudrait aussi analyser d’éventuelles failles dans le système.
Comme dans le sublime Samuel Hall, de Fantaisie Militaire. Tout y semble d’un absolu premier degré : absences d’images, de figures de style, de sous-texte, pauvreté du lexique, élocution hachée . Tout est fait pour que, à l’instar du héros, ce texte se marginalise du reste de la production de Bashung. Et c’est finalement dans cette perspective macrostructurelle que s’accomplit sa beauté, et qui en fait un alien dans l’œuvre du maître et incarne la trace insurpassable de l’Autre.
L'hiver est à la porte
Et le ciel d'un bleu dur
Si les feuilles sont mortes
les couleurs sont... d'or pur!
La pelouse s'est couverte
D'une cape changeante...
La rouille sur mousse verte
Douce caresse, mouvante.
Sur le banc qui verdit
deux écureuils grignotent
Et les yeux éblouis
A la beauté clignotent...
Au chaud derrière la vitre
Âme et sens apaisés
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Au bonheur d'exister!
J.G.
Ce soir
j’irai à la lisière
des bois
dans la lumière nue
de la lune
ramasser
un peu de l’or
éparpillé
par les arbres
je ferai briller
notre nuit
de restes de soleil
Martine Rouhart
Recréation ou récréation ? A la veille de la date anniversaire du centenaire de la fin de la première guerre mondiale, nous avons eu le plaisir de retrouver dans un cadre prestigieux et solennel, un univers musical où règnent véritablement la paix, le rêve et la quête de sens. Une pause salutaire au cœur de l’esthétique, puisque l’on dit que la beauté sauvera le monde ! Tout est dit dans les quatre dernières phrases du « Chant des Esprits des Eaux » poème de Goethe mis en musique par Franz Schubert :
Seele des Menschen,
Wie gleichst du dem Wasser !
Schicksal des Menschen,
Wie gleichst du dem Wind !
Âme de l’homme,
Comme tu ressembles à l’eau !
Destin de l’homme,
Comme tu ressembles au vent !
…une œuvre quintessence de musique romantique, qui clôturait ce splendide concert.
Raphaël Fey, violoncelliste et chef d’orchestre, est au pupitre. Il est lauréat des Conservatoires Royaux de Musique de Bruxelles, de la Hochschule für Musik «Felix Mendelssohn-Bartholdy» de Leipzig et de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Il a participé récemment à plusieurs retransmissions de concerts pour les radios Musiq 3 et Klara. Avec l’orchestre « Les Métamorphoses » qu’il a créé avec Camille Feye, il vient d’enregistrer un cd consacré à Haydn, Lipatti et Mozart le label EPR avec le pianiste Julien Libeer. Il est également diplômé en Histoire de la Musique. Son dernier projet de recherche a débouché sur ce concert exceptionnel et la recréation du « Requiem » de François-Auguste Gevaert (1853) dont on a pu découvrir pour la première fois la version originale avec l’Ensemble Vocal de Bruxelles, dirigé par Philippe Fernandez Cruz. Un ensemble dont on avait déjà pu apprécier la magnifique prestation lors des journées de Singing Brussels le 6 mai dernier à Bozar. Avec l’Ensemble ‘Les Basses de Bruxelles’, cela se passait à la Chapelle Royale Protestante de Bruxelles le 10 novembre 2018. Et comme il est bon et agréable de découvrir des chefs d’œuvre inconnus de notre patrimoine artistique belge!
Composé en 1853, le Requiem (Missa Solemnis pro defunctis) s’inscrit dans la tradition des Messes des morts écrites par de nombreux compositeurs européens depuis la Renaissance. Contrairement à Mozart, Michael Haydn, Gossec ou encore Berlioz, Gevaert choisit d’écrire pour un choeur d’hommes, un quintette de cuivres et un ensemble de violoncelles et de contrebasses. Par son écriture orientée vers les graves, cette œuvre annonce le célèbre Requiem que Gabriel Fauré composera quelques années plus tard.
L’ensemble vocal masculin en deux rangs encerclant les cordes, violoncelles et contrebasse et le quintette de cuivres placé dans la galerie supérieure formaient une trinité musicale exaltante où circulaient librement toutes les énergies de la polyphonie, favorisant au mieux le sentiment d’élévation. Tout au cours de l’écoute on retrouve de riches consonances inscrites dans nos souvenirs, que ce soient vers les belles sonorités vibrantes des polyphonies corses, oui les chants grégoriens ou le patrimoine orthodoxe slave. Le Kyrie est empreint de voix caressantes et éthérées. L’orchestre souligne à peine des voix a capella d’une grande pureté. Le Dies Irae bascule dans le vrombissement des violoncelles, les cuivres sont au balcon, ponctuant le texte de façon majestueuse. Quand les solistes sont à l’œuvre, ce sont des gouttes d’or des cuivres qui semblent fondre dans le texte. Cuivres cordes et voix se joignent dans les scintillements et la sérénité dont on se sent au fur et à mesure rassasié. . Domine Jesu Christe libera nos in obscurum projette de magnifiques couleurs. Le Sanctus, radieux, avec les cuivres seuls est une progression crescendo majestueuse qui tient de l’ivresse. Et le subtil Pie Jesu Domine dona eis requiem est un élixir de douceur. Les cordes deviennent quasi inaudibles, flotte, juste, la voix humaine. L’Agnus dei est l’affaire de tutti, un andante sous le poids des péchés du monde, il resplendit de cette Beauté qui sauvera le monde… Et le Lux aeternam parachève en forme une berceuse pleine d’humanité. From womb to tomb… we are but frail humans seeking Light!
Dans un cadre d’humilité extraordinaire, véritables caresses de l’âme, les harmonies contrastent d’intensité, traduisent les souffrances humaines, et se greffent avec confiance lumineuse et grave sur la miséricorde divine. Le texte religieux est interprété avec vénération dans une atmosphère chargée de respect profond et de mystère. Pour d’aucuns, cette partition aux grandes qualités esthétiques conduit vers la véritable rencontre de notre être profond ou avec « l’être de la vie plus large ».
Il faut savoir que François-Auguste Gevaert avait une réelle vénération pour Bach et Haendel et portait en lui une vie spirituelle intense. Deux figures musicales auxquelles il a tenu à rendre un hommage particulier lors de la création de la salle du Conservatoire de Bruxelles, un salle qui devait attirer les plus grands musiciens du monde pour servir d’exemple aux élèves du Conservatoire.
A l’ouverture du programme on a pu entendre une pièce très intéressante écrite en néerlandais : De Nornen (Les Parques) de Gevaert qui met en scène le fil de la vie et réveille les bruissement de l’âme, et en deuxième partie du programme, la première des Quatre petites prières de Saint François d’Assise de Poulenc dédiée à la Vierge Marie, ainsi que le Concerto pour violoncelle de Schumann avec Justus Grimm, musicien de chambre passionné, en soliste, pour conclure enfin sur le sublime Chant des Esprits sur les Eaux de Schubert… redonné avec grâce en bis très émouvant et infiniment intériorisé.
Programme :
François-Auguste Gevaert : De Nornen (Les Parques) / Requiem (1853)
pause
Robert Schumann : Concerto pour violoncelle en la mineur op.129 (1850) version de Richard Klemm / soliste: Justus Grimm, violoncelle
Francis Poulenc : Les quatre petites prières de Saint François d’Assise, pour choeur d’hommes
Franz Schubert : Der Gesang der Geister über den Wassern/ Le Chant des Esprits sur les Eaux (1821) pour choeur d’hommes à huit voix
En refermant le livre de Jean-Jacques Nanot « Comment, je suis devenu le fils d’Henri Nanot », je n’avais qu’une idée en tête, celle de hurler sur la place publique que rien ne peut justifier que l’on refuse d’entendre les appels du fils d’Henri Nanot.
Si j’en crois les écris de Jean-Jacques Nanot (et rien ne m’autorise à remettre ces derniers en question) il est temps de débattre si oui ou non Henry Nanot mérite la réhabilitation.
Le silence en réponse aux appels, sollicitations et pétitions ne fait qu’accentuer l’impression d’injustice. Pourquoi personne ne réplique aux cris désespérés de Jean-Jacques Nanot ainsi que de tous les poètes, écrivains, sympathisants qui l’entourent ? S’agit-il d’indifférence ou d’une malsaine volonté d’étouffer l’histoire par peur, peut-être, que des mains que l’on croyait si blanches se dévoilent couvertes par la honte des éclaboussures indélébiles?
Il n’est certainement pas de mon ressort ni de ma volonté de remettre en cause le système judiciaire Français. Je n’ai pas non plus l’habitude de passer sous silence ce qui ressemble à l’une des plus grandes injustices mises en œuvre par un pays qui porte dans sa constitution trois mots très simples par la prononciation, mais qui résonnent grâce aux valeurs de la démocratie. S’il fallait les prononcer pour mémoire je vous les offrirais avec honneur ; liberté, égalité, fraternité.
Écrivons le sans faux semblant, je n’ai pas en ma possession toutes les pièces du puzzle ni l’intelligence rhétorique de ce que l’état pourrait mettre en exergue comme étant un secret indispensable à son bon fonctionnement. Je ne puis me targuer du titre de juriste ni même de spécialiste en droit ou en investigation. Je ne suis rien et ce rien, justement, frissonne devant ce qui ressemble à l’arrogance d’un homme assoiffé de pouvoir qui abusera de son vivant de son privilège et sa fonction pour éliminer un poète à la plume trop acerbe.
L’étendard de la manipulation porte atteinte à l’état lorsqu’il a pour toute motivation le mirage de l’ambition. Non, il m’est impossible de me taire, le faire serait ce que les anciens nommaient, la résignation, une forme de collaboration à la destruction d’un monde, d’une civilisation pour laquelle je ne puis que me battre par les seules armes en ma possession ; la plume et l’encre de mes espoirs.
Si j’osais paraphraser Zola j’écrirais : « J’accuse ». Mais peut-on accuser sans preuve ? Des preuves il en existe, du moins des éléments suffisamment troublants qui engrainent la suspicion là ou la justice devrait apporter sérénité.
Pourquoi ? Pourquoi ce silence assourdissant devant les suppliques d’une famille à qui l'on a volé l’honneur ? Pourquoi ne pas apporter l’ombre d’une réponse malgré les années écoulées ? La honte n’est jamais d’écouter, de remettre en question son jugement à la lumière d’éléments nouveaux non, la honte est de refuser la réhabilitation d’un paysan poète qui s’est battu pour la liberté. Pourquoi ? Parce que le verbe lui était nécessaire au même titre que « la vérité ».
Henri Nanot s’est retrouvé damné par ceux qui n’avaient rien compris à ce que le mot égalité signifie en son entier. Si j’en crois les documents que l’on m’a montrés, Henri Nanot sera sacrifié pour que fleurissent la félonie, l’ambition sans limites, l’orgueil machiavélique d’un homme qui n’a pu supporter le verbe d’un poète engagé.
Dreyfus s’est vu brisé par le comportement de quelques-uns et malheureusement, Nanot prendra sa suite, emprisonné, bafoué, humilié jusqu’à périr par la main de ses bourreaux.
Torturé il l’a été, lui l’ancien résistant, battu comme un chien puis, enfermé, caché aux yeux du monde pour arriver à prouver que la folie est sa compagne et qu’il faut pour cette raison l’abrutir jusqu’à l’aboutissement : la mort sous la torture.
Ses accusateurs ont prétendu qu’il aurait posé une bombe et ce motif ne trouvera de preuve, au contraire, les témoignages sont contradictoires et les rapports semblent apporter plus de suspicions sur la neutralité des enquêteurs en lieu et place de sérénité. Trop de zones d’ombres, trop de contradictions pour ne pas s’interroger sur les prétextes de son arrestation. Coupable ou innocent ? Seule la justice a le pouvoir de répondre légalement à cette question, mais, pour ce faire, elle se doit de rouvrir un dossier qui agonise sous la poussière des doutes.
Justice, je crie ton nom, je le crie parce qu’il est nécessaire à la survie de la démocratie. Certes, nous ne sommes que des humains et par cette faiblesse, sujet à l’erreur. N’y a-t-il plus crédible que d’oser se remettre en question sous la lumière de l’Histoire ? Faut-il que Nanot devienne un martyre pour que l’on écoute enfin la voix de son fils ? Alors il est temps, car martyr, Henry Nanot l’est déjà aux yeux d’un nombre de plus en plus croissant. Faudra-t-il attendre la fureur d’un fleuve qui s’emporte sous l’effet d’une crue ? Si le but est de faire oublier Henri Nanot par lassitude, je crains que l’on se trompe, la vérité attend son heure, la vérité s’appelle patience.
Justice, je crie ton nom, je le crie parce que crois encore à la beauté de nos démocraties. Justice j’ai foi en toi et pour cette raison, l’humanité a besoin que tu t’éveilles. Justice, ne vois-tu pas ces visages qui te regardent ? Ne vois tu pas qu’ils attendent non pas de l’humanité, ce n’est pas ton rôle, mais d’offrir la possibilité de réhabiliter un homme à la lumière des éléments que porte son fils, Jean-Jacques Nanot, et qui n’apporte pour toute réponse que des interrogations. L’honneur mérite que l’on s’arrête. L’honneur qui touche les puissants ou le plus insignifiant des êtres ne peut être méprisé même si l’on ne parle ni d’homme de pouvoir ni d’homme possédant fortune, car s’il en était autrement qui pourrait prétendre au bien-fondé de nos institutions ?
La requête de Jean-Jacques Nanot me semble fondée. Il ne demande pas grand-chose en comparaison des années volées à son père, que l’on réhabilite la victime au vue des éléments qui sont en sa possession. Que l’on rouvre le dossier pour qu’enfin la lumière soit faite sans qu’aucune ombre ne vienne fausser les jugements et qu’enfin une âme retrouve sa liberté apaisée par la reconnaissance des hommes et le pardon légitime de sa nation.
Dans le salon d’une gloriette,
Se trouve assis, dans un vieux fauteuil,
Un fantoche, nez en trompette.
Agréable, il fait bon accueil.
Ses oreilles, de beauté elfiques,
Étirent son doux sourire,
D’esprit des airs bénéfiques,
Jouet parfait, né pour conduire.
Fardé gracieux des ballets d’antan,
Poudre de rose, ses joues rayonnent,
Sur sa tête, un bonnet amusant,
Et par-dessus, une couronne.
De grands yeux bleus, cernés de lumière,
Comme un ruisseau, couché au soleil,
Depuis son lit, de nobles pierres,
Il est roitelet, sans nul autre pareil.
De son sceptre rempli de joyaux,
Des salves de lueurs vermeilles,
Jouent du clinquant des strass royaux,
De ses rubans, couleur groseille.
Ses longs bas blancs, ses chaussons pointus,
Rythment le pas de ses chimères,
Sur les traînées d’un cirrus de glace vêtu,
Pose ses empreintes éphémères.
Avec ses sujets, conciliabule,
Puis grelotte de la gaîté des ors,
Il s’esclaffe, tintinnabule,
Les timbres mêlés de ses grelots d’or.
Las, assoupi dans le sommeil des rêves,
Fredaine aux vents des amours badinées,
Tout n’est qu’illusion, attrape-rêves,
Aux portails des futurs passés de nos poupées.
Claudine QUERTINMONT D’ANDERLUES.
“La ménagerie de verre”: oeuvre forte! A l’affiche au Public!
L’œuvre expiatoire de Tennessee Williams? Son mea-culpa pour son propre parcours? Un appel vibrant à la compassion? L’amour-haine du rêve américain? Mais qui ne choisirait pas l’amour?
Laura, c’est le personnage principal, malgré l’omniprésence de sa mère. Elle est une bouleversée. Bouleversante. “Les bouleversées se reconnaissent de loin. A leur démarche un peu aérienne, un peu en déséquilibre. Il y a aussi en elles comme une urgence, un état d’urgence permanent qui les fait asseoir au bord des chaises, en bordure des lieux, comme s’il fallait courir très vite. Comme si un état d’alerte permanent les habitait.
La gestuelle est toujours gracieuse. Le temps jadis, celui de la jeune fille en fleurs continue comme un halo flou, à ourler de toutes parts la silhouette. On les reconnait aussi à cette façon de garder la main sur le cœur. Une main seulement. Mais qui semble le tenir. Qui semble prendre appui aussi. Et puis elles ont ce regard qui fixe quelque chose ou quelqu’un qui n’est pas dans le champs de vision. ” La comédienne force le public, par son jeu admirable et son honnêteté, à regarder l’Autre en face, les yeux dans les yeux, sans détourner le regard. C’est ainsi que joue Sarah Lefèvre.
La mise en scène de Thibaut Nève donne une somptueuse amplification au texte. Elle mêle les éclats de verre et les éclats de voix, l’angoisse économique et le monde du rêve. Le plateau est le lieu où se tressent l’amour et la haine, où se dresse une figure maternelle omnipotente et possessive et à la fois complètement fragile et désemparée. Elle incarne une tyrannie de castratrice géante dont les pieds sont d’argile et les lunettes faites de l’écume des jours. Sa fille, Laura est totalement investie par le pathétique de la situation et livre une interprétation d’une justesse extraordinaire. Tout comme le fils Tom, incarné par un impétueux William Clobus parfait dans son rôle, qui est déchiré entre son jeune rêve d’aventures et ses obligations familiales alimentaires et Jim, le sauveur, ou pas, pareillement vrai-semblant! Du cinéma, craquant de charme traduisant le rêve américain bon teint dans un emballage franco-français Beverly Hills High ! …Irrésistible. Non il n’est pas un jeune loup aux dents longues! Il y croit! Et la jeune-fille, malgré sa déception sentimentale, se métamorphose bel et bien! Il est tout-à-fait dans la ligne du personnage de Brandon au grand cœur: “Would have, could have, should have… “ De quoi plaire aux ados d’alors! C’est Louis Sylvestrie.
Du très grand théâtre intemporel. La mise en scène aurait pu verser dans le monde de Dorothea Lange. Mais ce n’est pas le cas. La mère courage est une femme d’action et de verbe, saisissante d’énergie et de colère. Nommons la : Patricia Ide.
https://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=556&type=1
LA MÉNAGERIE DE VERRE
De Tennessee Williams. Traduction : Isabelle Famchon.
Mise en scène : Thibaut Nève Avec : William Clobus, Patricia Ide, Sarah Lefèvre et Louis Sylvestrie
DU 07/11/18 AU 31/12/18
Je perçois la tendresse comme une écharpe douce
Qui réchauffe la peau et la tristesse repousse
Un cadeau de la vie, ô combien apprécié...
Une pause bénie, comme un rêve éveillé!
Pour mieux s'en imprégner fermons donc les paupières
et l'esprit étonné, savourons le mystère
Bercés de sa promesse et quand le soir s'endort...
Dans la nuit étoilée, emporter ce trésor...
J.G.
DERNIERE LIGNE DROITE
avant la publication de l'album photo
"Etienne DRIOTON et l'Egypte"
Parcours d'un éminent égyptologue passionné de photographie.
L'ouvrage devrait être en librairie dès janvier 2019.
264 clichés retracent en images le parcours de l'éminent savant depuis son premier voyage en Egypte en 1924, jusqu'à son retour en France en 1952. Médamoud, Tôd, les découvertes des tombes royales de Tanis sont autant de points forts qui ponctuent cet ouvrage. Il parcourait les sites archéologiques, recevait les plus hautes personnalités en sa qualité de Directeur général du Service des antiquités d'Egypte. Il s'intéressait aussi à son environnement, à la vie quotidienne des habitants des bords du Nil, fixant sur ses clichés portraits d'ouvriers, d'enfants, de fellahs, paysages ou travaux agricoles. Fenêtre ouverte sur le passé cet album nous emmène à la suite d'Etienne Drioton vers ce pays qu'il aimait tant...
Rappel : une exposition aura lieu à Montgeron du 12 janvier au 2 février 2019. "Des pyramides à Montgeron, Etienne DRIOTON, un égyptologue au fil du Nil"
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Je veux
Voir tes songes taciturnes
Et mes solitudes nocturnes
En symbiose grimper
L’arbre tentaculaire
Des vertus édéniques
Voir tes tendres soupirs
Emailler mon clair crépuscule
Voir les lumières de ma passion
Enflammer l’air que tu respires
Et voir jaillir de tes bras
L’appel au nirvana...
Qu’est-ce qui lui a pris ? C’est à approximativement ce que fut le fond de ma pensée en découvrant le livre admirablement écrit par « Catherine Blanjean ».
Honnêtement, je dois bien avouer que j’ai laissé trainer ce livre plus que de raison. Pourquoi ? Peut-être qu’il fallait trouver l’instant approprié afin d’écouter les mots vibrer tel qu’ils le méritent. C’est le metteur en scène et comédien Benoit Postic qui m’en avait parlé.
Le téléphone qui vous réveille et à peine le temps de décrocher que ce dernier me lance sans préhanbule: Ce livre, tu verras, c’est tout simplement génial ! Je me méfie de ce genre d’appel téléphonique. Les amis, on essaye de ne pas les blesser, mais s’il fallait les écouter on ne parlerait plus que des copains et good bye la déontologie. Pourtant ce Benoit ne me téléphone pas souvent et j’aurais dû l’écouter au lieu de me voiler d’un orgueil déplacé. Il avait raison, ce livre mérite d’être auréolé en première place dans les vitrines de toutes les librairies de la francophonie.
Afin de ne pas dévoyer la qualité du sujet, je me permettrai de vous retranscrire quelques mots de la préface (interdite) rédigée par Liao Yiwu, prix de la paix des libraires allemands en 2012.
« À ma connaissance, vous vous trouvez en face du premier livre jamais écrit au sujet de Liu Xia sur cette terre…
…Catherine Blanjean, qui appartient à la fois au monde du théâtre et de la musique, est parvenue, grâce à son instinct, à ressentir la situation de Liu Xia . »
Mais qui est Liu Xia ? Elle serait peut-être femme anonyme ou encore, si ses œuvres avaient eu la chance d’être remarquées, poétesse à renom ou peut-être photographe incontournable. Mais le destin de Liu Xia ne rejoindra la lumière qu’à travers le regard de ses geôliers. Assignée à résidence, soumise à contrôle policier, elle sera condamnée pour avoir proposé de représenter son mari, « Liu Xiaobo » pour la remise du prix Nobel de la paix en 2010.
Catherine Blanjean, l’une des pierres angulaires du centre Culturel « La ferme de la Dîme » situé au cœur de la campagne Wallonne (Wasseiges) nous offre par cet ouvrage la force que peut apporter une plume au service de la compréhension. Catherine, en apprenant le sort réservé à Liu Xia se met à lui écrire. Catherine n’est pas dupe, elle sait que ses lettres n’arriveront probablement jamais à destination et pourtant… Avec détermination l’auteure tente de comprendre comment une femme peut tenir dans les conditions de semi-détention, une quarantaine que peut d’entre nous serait capable d’endurer. Comment comprendre les liens indestructibles qui lient les époux grâce à la force d’un amour inconditionnel ?
Ainsi, portée par la volonté de cerner ce couple hors du commun, Catherine a mené son enquête auprès des rares personnes capables d’évoquer Liu Xia.
Le livre aurait pu n’être qu’une banale narration, c’est ce que je craignais. Il n’en est rien. Par la simplicité des mots, l’auteure nous offre un témoignage poignant, une sorte de photographie d’une époque, la nôtre, dans laquelle les dés jouent avec les destinées.
J’aime le regard que porte Catherine Blanjean sur la Chine et son régime. Comme le révèle admirablement le quatrième de couverture, « Il en ressort le portrait bouleversant d’une femme interdite »
J’avais envie d’écrire qu’il serait faux de croire que l’ouvrage serait un plaidoyer à charge d’une société souvent méconnue par nos coutumes occidentales. J’aurais ajouté, à tors, qu’il y a une forme de neutralité portée grâce ou à cause de la narration de l’auteure. Ce ne serait pas honnête, car même si certaines questions pourraient nous le faire croire, il n’en reste pas moins que l’auteure hurle en lieu et place d’une autre femme. J’en ai la tête qui résonne et qui le fait en harmonie sans ignorer que contre la loi du plus fort on ne peut rien, bien que ? Nos plumes et nos voix sont quelquefois assourdissantes pour ceux qui se veulent furtifs aux yeux du monde. Se faufiler en toute discrétion pour assouvir sa soif de pouvoir en aliénant l’individu pour le bien du plus grand nombre. Quelle superbe contradiction quand on sait que le pouvoir n’est partagé que par une minorité qui a toutes les raisons de faire taire les voix discordantes mêmes si, et surtout si, elles sont porteuses de vérité.
Mais s’il n’y avait que le fond, le lecteur se lasserait peut-être. Soulignons la qualité d’écriture, la fluidité des mots. Une sorte de petit ruisseau qui fait voguer le verbe au rythme des approches de l’autre.
Oui Catherine Blanjean j’ai aimé votre ouvrage. Je l’ai aimé pour de nombreuses raisons. Oserais-je ajouter que vos lettres adressées à votre correspondante ressemblent à s’y méprendre à des lettres d’amour ? Me tromperais-je vraiment ?
Rendez-vous est pris, je me rendrai à Wasseiges pour y rencontrer l’auteure. Je ne manquerai pas de saluer la scène de ce théâtre dans lequel il semblerait que le destin me réserve d’agréables surprises. Comme le veut la tradition, je vous réserverai la suite.
Sous le ciel fatigué
de tous les matins
du monde
il y aura toujours
heureusement
l’eau transparente
et vive
des poèmes
Martine Rouhart
Une vie c'est long... c'est court!
C'est juste un petit détour...
Et le hasard s'amuse
Il use et il abuse...
De nos désirs intenses
De nos chagrins immenses...
Il n'en a rien à faire
Il ne cherche pas à plaire
Car il n'est que lui-même...
Le sourire ou la peine
Pour lui c'est bien pareil
A nous d'être en éveil!
Une vie c'est long... c'est court
Au gré de nos amours...
J.G.