“La ménagerie de verre”: oeuvre forte! A l’affiche au Public!
L’œuvre expiatoire de Tennessee Williams? Son mea-culpa pour son propre parcours? Un appel vibrant à la compassion? L’amour-haine du rêve américain? Mais qui ne choisirait pas l’amour?
Laura, c’est le personnage principal, malgré l’omniprésence de sa mère. Elle est une bouleversée. Bouleversante. “Les bouleversées se reconnaissent de loin. A leur démarche un peu aérienne, un peu en déséquilibre. Il y a aussi en elles comme une urgence, un état d’urgence permanent qui les fait asseoir au bord des chaises, en bordure des lieux, comme s’il fallait courir très vite. Comme si un état d’alerte permanent les habitait.
La gestuelle est toujours gracieuse. Le temps jadis, celui de la jeune fille en fleurs continue comme un halo flou, à ourler de toutes parts la silhouette. On les reconnait aussi à cette façon de garder la main sur le cœur. Une main seulement. Mais qui semble le tenir. Qui semble prendre appui aussi. Et puis elles ont ce regard qui fixe quelque chose ou quelqu’un qui n’est pas dans le champs de vision. ” La comédienne force le public, par son jeu admirable et son honnêteté, à regarder l’Autre en face, les yeux dans les yeux, sans détourner le regard. C’est ainsi que joue Sarah Lefèvre.
La mise en scène de Thibaut Nève donne une somptueuse amplification au texte. Elle mêle les éclats de verre et les éclats de voix, l’angoisse économique et le monde du rêve. Le plateau est le lieu où se tressent l’amour et la haine, où se dresse une figure maternelle omnipotente et possessive et à la fois complètement fragile et désemparée. Elle incarne une tyrannie de castratrice géante dont les pieds sont d’argile et les lunettes faites de l’écume des jours. Sa fille, Laura est totalement investie par le pathétique de la situation et livre une interprétation d’une justesse extraordinaire. Tout comme le fils Tom, incarné par un impétueux William Clobus parfait dans son rôle, qui est déchiré entre son jeune rêve d’aventures et ses obligations familiales alimentaires et Jim, le sauveur, ou pas, pareillement vrai-semblant! Du cinéma, craquant de charme traduisant le rêve américain bon teint dans un emballage franco-français Beverly Hills High ! …Irrésistible. Non il n’est pas un jeune loup aux dents longues! Il y croit! Et la jeune-fille, malgré sa déception sentimentale, se métamorphose bel et bien! Il est tout-à-fait dans la ligne du personnage de Brandon au grand cœur: “Would have, could have, should have… “ De quoi plaire aux ados d’alors! C’est Louis Sylvestrie.
Du très grand théâtre intemporel. La mise en scène aurait pu verser dans le monde de Dorothea Lange. Mais ce n’est pas le cas. La mère courage est une femme d’action et de verbe, saisissante d’énergie et de colère. Nommons la : Patricia Ide.
https://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=556&type=1
LA MÉNAGERIE DE VERRE
De Tennessee Williams. Traduction : Isabelle Famchon.
Mise en scène : Thibaut Nève Avec : William Clobus, Patricia Ide, Sarah Lefèvre et Louis Sylvestrie
DU 07/11/18 AU 31/12/18
Commentaires
La liste de mes envies... Passer l'an neuf au théâtre: https://www.lesoir.be/195575/article/2018-12-14/les-spectacles-qui-...
Une critique de Stéphanie Bocart.
Un appartement modeste, avec son phonographe posé sur le manteau de cheminée, son petit salon et son escalier de secours qui donne sur les gratte-ciel de Saint-Louis. Nous sommes en 1937, dans le Missouri (sud des États-Unis). Amanda Wingfield (Patricia Ide) y vit avec ses deux enfants, Tom (William Clobus) et Laura (Sarah Lefèvre). Comme pour se rappeler la source de leurs difficultés, trône, en grand, le portrait d’un homme : le mari, le père, “un employé du téléphone, amoureux des longues distances”, qui les a abandonnés. Alors, depuis, c’est la galère pour joindre les deux bouts.
Si Tennessee Williams a écrit La ménagerie de verre en 1944, sa pièce demeure plus que jamais d’actualité : comment survivre quand on est un parent seul, sans emploi, avec deux jeunes adultes sous son toit ?
Servi par un texte brillant et limpide (traduit par Isabelle Famchon), Thibaut Nève propose avec tact et justesse une mise en scène entre ombre et lumière, désespoir et rêve, nostalgie du passé et espoir d’un avenir meilleur, gravité et humour, réalité et insouciance, solitude et amour. L’élégante scénographie signée Vincent Bresmal permet au spectateur de ressentir la détresse profonde de cette famille ordinaire qui, sur fond des prémices de la Seconde Guerre mondiale, cherche par tous les moyens à échapper à son quotidien de misère.
Il y a d’abord la mère, Amanda, nostalgique du passé sudiste et angoissée à l’idée que son fils Tom, sur qui elle a “tout misé”, ne flanche et ne s’engage sur les traces de son père. Tom, lui, employé à la fabrique de chaussures pour 65 $ par mois, noie tous les soirs son ennui “au cinéma” et ne rêve que de quitter son “trou à rat”. Quant à sa sœur, Laura, jeune infirme et d’une timidité maladive, elle vit recluse dans l’appartement à écouter des disques et collectionner des bouts de verre pour constituer sa “ménagerie de verre”. Désespérée de ne pas voir un avenir se dessiner pour sa fille, Amanda se met en tête de lui dénicher un galant. Arrive Jim O’Connor (Louis Sylvestrie), jeune homme à l’esprit visionnaire et décomplexé…
À l’heure des gilets jaunes, ce portrait de famille fait d’autant plus sens et ne peut qu’inciter à prendre conscience que la précarité peut, à tout moment, frapper à toutes les portes.
Bruxelles, Le Public, jusqu’au 31 décembre. Infos et rés. : 0800.944.44. - www.theatrelepublic.be