Recréation ou récréation ? A la veille de la date anniversaire du centenaire de la fin de la première guerre mondiale, nous avons eu le plaisir de retrouver dans un cadre prestigieux et solennel, un univers musical où règnent véritablement la paix, le rêve et la quête de sens. Une pause salutaire au cœur de l’esthétique, puisque l’on dit que la beauté sauvera le monde ! Tout est dit dans les quatre dernières phrases du « Chant des Esprits des Eaux » poème de Goethe mis en musique par Franz Schubert :
Seele des Menschen,
Wie gleichst du dem Wasser !
Schicksal des Menschen,
Wie gleichst du dem Wind !
Âme de l’homme,
Comme tu ressembles à l’eau !
Destin de l’homme,
Comme tu ressembles au vent !
…une œuvre quintessence de musique romantique, qui clôturait ce splendide concert.
Raphaël Fey, violoncelliste et chef d’orchestre, est au pupitre. Il est lauréat des Conservatoires Royaux de Musique de Bruxelles, de la Hochschule für Musik «Felix Mendelssohn-Bartholdy» de Leipzig et de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Il a participé récemment à plusieurs retransmissions de concerts pour les radios Musiq 3 et Klara. Avec l’orchestre « Les Métamorphoses » qu’il a créé avec Camille Feye, il vient d’enregistrer un cd consacré à Haydn, Lipatti et Mozart le label EPR avec le pianiste Julien Libeer. Il est également diplômé en Histoire de la Musique. Son dernier projet de recherche a débouché sur ce concert exceptionnel et la recréation du « Requiem » de François-Auguste Gevaert (1853) dont on a pu découvrir pour la première fois la version originale avec l’Ensemble Vocal de Bruxelles, dirigé par Philippe Fernandez Cruz. Un ensemble dont on avait déjà pu apprécier la magnifique prestation lors des journées de Singing Brussels le 6 mai dernier à Bozar. Avec l’Ensemble ‘Les Basses de Bruxelles’, cela se passait à la Chapelle Royale Protestante de Bruxelles le 10 novembre 2018. Et comme il est bon et agréable de découvrir des chefs d’œuvre inconnus de notre patrimoine artistique belge!
Composé en 1853, le Requiem (Missa Solemnis pro defunctis) s’inscrit dans la tradition des Messes des morts écrites par de nombreux compositeurs européens depuis la Renaissance. Contrairement à Mozart, Michael Haydn, Gossec ou encore Berlioz, Gevaert choisit d’écrire pour un choeur d’hommes, un quintette de cuivres et un ensemble de violoncelles et de contrebasses. Par son écriture orientée vers les graves, cette œuvre annonce le célèbre Requiem que Gabriel Fauré composera quelques années plus tard.
L’ensemble vocal masculin en deux rangs encerclant les cordes, violoncelles et contrebasse et le quintette de cuivres placé dans la galerie supérieure formaient une trinité musicale exaltante où circulaient librement toutes les énergies de la polyphonie, favorisant au mieux le sentiment d’élévation. Tout au cours de l’écoute on retrouve de riches consonances inscrites dans nos souvenirs, que ce soient vers les belles sonorités vibrantes des polyphonies corses, oui les chants grégoriens ou le patrimoine orthodoxe slave. Le Kyrie est empreint de voix caressantes et éthérées. L’orchestre souligne à peine des voix a capella d’une grande pureté. Le Dies Irae bascule dans le vrombissement des violoncelles, les cuivres sont au balcon, ponctuant le texte de façon majestueuse. Quand les solistes sont à l’œuvre, ce sont des gouttes d’or des cuivres qui semblent fondre dans le texte. Cuivres cordes et voix se joignent dans les scintillements et la sérénité dont on se sent au fur et à mesure rassasié. . Domine Jesu Christe libera nos in obscurum projette de magnifiques couleurs. Le Sanctus, radieux, avec les cuivres seuls est une progression crescendo majestueuse qui tient de l’ivresse. Et le subtil Pie Jesu Domine dona eis requiem est un élixir de douceur. Les cordes deviennent quasi inaudibles, flotte, juste, la voix humaine. L’Agnus dei est l’affaire de tutti, un andante sous le poids des péchés du monde, il resplendit de cette Beauté qui sauvera le monde… Et le Lux aeternam parachève en forme une berceuse pleine d’humanité. From womb to tomb… we are but frail humans seeking Light!
Dans un cadre d’humilité extraordinaire, véritables caresses de l’âme, les harmonies contrastent d’intensité, traduisent les souffrances humaines, et se greffent avec confiance lumineuse et grave sur la miséricorde divine. Le texte religieux est interprété avec vénération dans une atmosphère chargée de respect profond et de mystère. Pour d’aucuns, cette partition aux grandes qualités esthétiques conduit vers la véritable rencontre de notre être profond ou avec « l’être de la vie plus large ».
Il faut savoir que François-Auguste Gevaert avait une réelle vénération pour Bach et Haendel et portait en lui une vie spirituelle intense. Deux figures musicales auxquelles il a tenu à rendre un hommage particulier lors de la création de la salle du Conservatoire de Bruxelles, un salle qui devait attirer les plus grands musiciens du monde pour servir d’exemple aux élèves du Conservatoire.
A l’ouverture du programme on a pu entendre une pièce très intéressante écrite en néerlandais : De Nornen (Les Parques) de Gevaert qui met en scène le fil de la vie et réveille les bruissement de l’âme, et en deuxième partie du programme, la première des Quatre petites prières de Saint François d’Assise de Poulenc dédiée à la Vierge Marie, ainsi que le Concerto pour violoncelle de Schumann avec Justus Grimm, musicien de chambre passionné, en soliste, pour conclure enfin sur le sublime Chant des Esprits sur les Eaux de Schubert… redonné avec grâce en bis très émouvant et infiniment intériorisé.
Programme :
François-Auguste Gevaert : De Nornen (Les Parques) / Requiem (1853)
pause
Robert Schumann : Concerto pour violoncelle en la mineur op.129 (1850) version de Richard Klemm / soliste: Justus Grimm, violoncelle
Francis Poulenc : Les quatre petites prières de Saint François d’Assise, pour choeur d’hommes
Franz Schubert : Der Gesang der Geister über den Wassern/ Le Chant des Esprits sur les Eaux (1821) pour choeur d’hommes à huit voix
https://www.concertschola.be/concerts/2018-11-10
Commentaires