Blotti au creux des draps
Le temps d’un rêve
Il s'en va
Habiter sa vie à lui,
Etendu au soleil
Il sommeille, non, il veille
Le chant d’une abeille
Le froissement d'une fleur
Il s’en va
Sur des sentes invisibles.
De ses voyages secrets
Il revient
Ombre souple
Silencieuse
Sur le ciel pâle,
Chaleur entre mes bras
Qui me berce et m’endort
Enfin,
Moi qui comptais
Les heures lentes de la nuit.
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Je pense à un ami qui ne peut pas m’entendre.
Il ne commentera jamais plus mes propos.
Je sais qu’il eût aimé, condamné au repos,
Que je lui parle encore, m’acharnant à prétendre.
Il vivait à Lyon, je ne l’ai jamais vu
Mais nous entretenions d'agréables échanges.
La vie nous fait parfois des surprises étranges,
Nous offre des amis touchants et imprévus.
Or tout est éphémère, les bienfaits et les torts.
La vie reprend ses dons, soudain brusque et cruelle.
La mémoire apparait comme force réelle
Triomphant par instants des effets de la mort.
Je pense que je parle à mon ami défunt.
J’avais écrit sur lui, un poème en hommage.
Il nous fut enlevé sans le moindre présage,
Existe en ses récits imprégnés de parfums.
Tu fais partie de mon histoire
Tu es partie dans un soupir.
C'est le chaos dans ma mémoire
Où bouillonnent tant de souvenirs...
Tu étais si chère à mon cœur
Bien qu'éloignée depuis longtemps!
Oui, tu étais ma grande sœur
Nous avions les même parents...
Après la guerre tu nous quittas
Pour vivre loin le fil des jours...
L'homme de tes rêves était là-bas...
Californie et bel amour!
Tu fus heureuse et si comblée
Alors, on a vécu sans toi.
De rares visites en tant d'années
Nous mettaient le cœur en émoi!
Quand la mort te prit ton amour
Tu choisis de rester là-bas
Car y sont lumineux les jours
Dans ce pays où ton cœur bat!
Tu y reposes à ses côtés
Dans une pelouse en plein soleil...
J'y ai mis tes fleurs préférées
Mais sans toi plus rien n'est pareil!
Tu fais partie de mon histoire
Tu es partie dans un soupir...
C'est le chaos dans ma mémoire
Où bouillonnent tant de souvenirs...
J.G.
"Jaurès, l'homme, le penseur, le socialiste" est une oeuvre de Charles Rappoport .
Première édition : éditions l'Émancipatrice, Paris, 1915; dernière édition : (préface de Claudie Weill ; postface et annotations de Daniel Lindenberg), Éditions Anthropos, 1984
A qui, dans les jeunes générations surtout, le nom de ce contemporain de Marx dit-il encore quelque chose? Il n'y a pourtant que cent ans qu'il est mort, mais s'il eut une légende elle fut plutôt malveillante, son personnage pittoresque et ce nom même se prêtant aux traits faciles des caricaturistes et des échotiers.
Charles Rappoport eut ceci de commun avec Souvarine, qui s'acharna contre lui, d'être l'un des deux fondateurs russes du Parti communiste français et un antistalinien irréductible. De plus, il rejetta la primauté de Moscou. Ce qui ne lui rendit pas la vie facile chez les siens: on l'isola, et même on l'affama - littéralement, - sans oser l'exclure. C'est lui qui s'en ira.
Propagandiste et pédagogue du marxisme, il se déclarait "marxiste en action", mais entendit être un marxiste critique. Critique en particulier des marxistes. Ce n'est pas pour rien qu'il rappella le mot de Marx, interrogé sur ce qu'on fait - déjà - de sa pensée: "Tout ce que je sais, c'est que je ne suis pas marxiste."
L'affaire Dreyfus l'avait étroitement lié à Jaurès, d'une amitié qui n'ira pas sans orages ni ruptures.
Dans son livre, il a oublié leurs divergences et ses propres violences verbales.
C'est la biographie de Jaurès à la fois la plus vraie et la plus chaleureuse, généreuse. On aurait pu craindre aussi quelque aridité ou abstraction idéologique: c'est la vie même. Et regardée avec toute l'objectivité possible, et une belle humilité: "Je me suis borné au rôle modeste de secrétaire des pensées de Jaurès et des événements qui les ont provoquées." Aucune contestation, aucun rappel de ses propres positions. Pour la seconde édition, neuf ans plus tard, il précisera: "Il s'agissait de faire connaître Jaurès et non de le combattre." Il a rempli ce difficile dessein avec une rare conscience et beaucoup de coeur.
Un "Jaurès par lui-même": à travers ses discours, ses interventions, ses articles, ses textes de toutes sortes, sa vie, Jaurès parle, et c'est bien une voix vivante qu'on entend. Mais Rappoport la situe remarquablement dans un contexte historique et politique qu'il éclaire. Le lecteur d'aujourd'hui apprendra beaucoup avec lui, et cette histoire d'un homme et d'un temps est rendue elle-même plus vivante par la présence de son témoin.
Une histoire exhaustive: la biographie proprement dite, de l'enfance à l'assassinat; mais la vie d'un Jaurès n'est pas séparable de son action et de sa pensée. De celles-ci, tous les grands aspects sont examinés, ordonnés, mis en lumière: politique générale, politique internationale, qui ne peuvent être que socialistes, et sa conception du socialisme,
Pardessus tout: sa passion de la paix. Une passion au sens fort, puisqu'il la paiera de sa vie. Parce qu'on refusa, où l'on fut incapable, de le voir tel qu'il était. Le livre fait justice de la figure défigurée de Jaurès. Il montre que nul n'a été plus véritablement patriote que lui - ce que même Péguy n'a pas vu: de sa prise de position dans l'affaire Dreyfus (contre le refus des socialistes de s'en mêler) à ses vues sur "la nation armée". Armée aussi longtemps qu'elle serait menacée.
A la même hauteur, une autre passion: celle de la vérité; elle le tient au-dessus des partis, à commencer, si elle l'exige, par le sien. On songe à Goethe: "Poésie et Vérité" pour Jaurès, c'était tout un. C'est, en lui, le philosophe qui écrit: "La poésie, c'est-à-dire la vérité."
Le jeune lecteur d'à présent se dira peut-être: belle histoire, mais histoire ancienne. Jusqu'à ce qu'il lise, par exemple, au chapitre de l'unité d'action: "La formation d'une majorité de gauche, si timide qu'elle soit, soutenant avec constance un gouvernement de gauche, si hésitant ou insuffisant qu'il soit, est d'une importance extrême." Prévoyant les conséquences d'une guerre européenne, il en désigne le "profiteur": les Etats- Unis, qui "jetteront plus loin leurs filets sur le monde". Le même lecteur apprendra sans doute l'existence d'une grande crise américaine au début du siècle (on en parle beaucoup moins que de celle de 1929), avec ses autres lourdes conséquences pour l'Europe.
Quant au sentiment national, il faut y insister, il est des plus vifs chez Jaurès, qui d'ailleurs connaissait le sens et le poids des mots, et que "international" implique et présuppose l'existence des nations. Mais ni lui, ni sans doute personne, n'imaginait que l'"international" pourrait servir de levier à l'hégémonie tentaculaire d'une nation. Pour conclure sur la réalité chez Jaurès d'un sens national peu traitable, la moindre des surprises ne sera pas de trouver, au coeur d'une éloquence fameuse, un mot purement gaullien: "Il n'appartient à personne de disposer de la France." Et un autre, qui en devient piquant parce qu'il est identique dans les termes et dans l'ironie: "Je leur souhaite beaucoup de plaisir!"
Avec une nécessaire insistance, Rappoport s'attacha à expliquer, justifier et même magnifier l'idéalisme de Jaurès, chaque fois qu'il le rencontre; et d'abord - c'est au sujet de l'enseignement - sur "l'interprétation idéaliste du monde". "Voilà, dit Rappoport, le grand mot libérateur lâché." Est-ce parce qu'il est libérateur qu'il n'est pas supportable aux automates à la langue de bois? Jaurès a soutenu que cette "interprétation idéaliste" était compatible avec la conception matérialiste de l'histoire. Selon lui, Marx - qu'il lisait dans le texte - ne "réduit pas tout phénomène de conscience à de simples groupements de molécules matérielles". De même, Jaurès, s'il "accepte" l'économicisme de Marx, ne s'en contente ni ne s'y limite. Il revient sur sa conviction qu'il n'y a pas une "cloison" entre "la conception matérialiste et la conception idéaliste", mais qu'"elles doivent se pénétrer l'une l'autre". Le malentendu - soigneusement entretenu, car il se dissiperait de lui-même - tient à ce qu'il y a deux idéalismes: celui qui néglige ou nie le réel et l'existence même du monde, et celui qui croit que le monde est mené par les idées. Jaurès, dit Rappoport, était de "ces grands idéalistes-là qui soumettent la réalité à l'idée".
Cette force d'embrassement intellectuel est nourrie par la conviction profonde, constante, pathétique, que doit s'instaurer une synthèse, une "conciliation fondamentale, universelle". On la retrouve chez Jaurès historien, qui ne craint pas de déclarer: "Notre interprétation de l'histoire sera à la fois matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet." C'est que, pour lui, tout ce qui est de l'homme doit servir à l'homme.
Son seul tort est dans l'optimisme d'une nature trop généreuse: il a cru que sa réalité était là, à portée de la main. Et pourtant c'est lui qui avait donné une leçon peu commune à propos de la Révolution française et des retours qu'elle provoqua, qu'il juge inévitables, en quelque sorte naturels. Car la France "a été condamnée (le mot est dur) à une révolution extrême sans avoir été préparée". Une révolution doit être longuement préparée, et non pas précipitée sur un peuple qui n'est, lui, nullement préparé à la recevoir. Il n'aurait pas manqué de le penser s'il avait vécu trois années de plus.
C'est Rappoport qui se montre, à sa dernière page, prophète sans savoir à quel point: "Le socialisme sera empreint de cet idéalisme révolutionnaire de Jaurès ou il ne sera pas. La terrible crise actuelle du socialisme international provient de ce fait que, oublieux de sa glorieuse tradition et de ses promesses, il s'est effacé, par endroits, devant la barbarie de la force brutale, de la force impérialiste."
Cela est écrit en 1915. Un an après la mort de Jaurès, deux ans avant l'avènement de Lénine, sept ans avant celui de Staline.
Un autre jour à vivre bien,
Sans aucun souci, elle pense.
Le repos est sa récompense;
Elle n'a plus envie de rien.
Elle repousse les efforts
Et se convainc que rien ne presse,
Manque d'intérêt ou paresse.
Elle sait ce que veut son corps.
Contente d'elle, assurément,
Sereine, en un complet silence,
Elle songe à son existence.
Elle a vécu intensément.
Par habitude, elle s'écoute,
Souvent, met en mots ses émois.
Aussi sensible qu'autre fois,
Elle accueille à présent le doute.
Mais alors qu'elle s'ensoleille,
Lui revient un couplet d'enfant.
Elle rit se le rappelant.
Elle est devenue cette vieille.
31 juillet 2014
Lorsqu’Hélène est morte, j’avais cinquante ans à peine. L’âge où on s’interroge quant à sa vie et quant à son avenir. Souvent trop tard pour changer quoi que ce soit. Changer, oui. Mais sans bouleverser ce à quoi on est habitué.
C’est une boutade que mon ami Robert répétait souvent. Changer de femme, c’est changer de vie. C’est parfois la transformer de fond en comble sans devoir changer de voiture.
J’avais toujours rêvé de faire ma compagne de Julie mais c’est Robert qu’elle avait épousé et moi dont elle avait fait son témoin de mariage. J’ai parfois eu le sentiment qu’elle aurait accepté que je devienne son amant. Mais Robert était mon ami. Plus tard, elle m’a dit qu’elle n’avait pas compris. Elle m’a demandé si je ne l’avais pas trouvée assez belle, ce jour-là ?
Les hommes souvent, après quelques années de mariage, rêvent de femmes différentes selon les différentes saisons de la vie ou de la journée. C’est surtout vrai durant la nuit lorsque, en caressant leur femme, ils évoquent celles qui figurent en couverture des magazines. Ou la femme d’un ami.
Autant que les hommes, les femmes ont leurs rêves. Un certain nombre d’entre-elles, si pas toutes. Elles rêvent d’hommes qui combleront leurs pulsions sexuelles. Et de celui qui à leur seule vue contribuera à améliorer leur image sociale. Ce sont rarement les mêmes. Les premiers sont jeunes en général. Et vigoureux.
Aux yeux de Julie, moi j’étais différent. Nous nous connaissions depuis si longtemps que ce n’était pas tromper son mari que de le faire avec moi. J’étais une sorte de double imparfait de Robert. S’il devait mourir avant elle, il aurait été heureux que je lui succède dans le lit de sa femme. Certaines nuits, je pataugeais dans ces idées saugrenues. Finalement sait-on ce qui est saugrenu ou non ?
Hélène, un matin, ne s’est pas réveillée. Durant la nuit son cœur s’était arrêté de battre. Le jour même Robert avait un accident de voiture qui le tuait sur le coup. Etrange coïncidence ! A se demander si les morts ne se donnent pas d’étranges rendez-vous.
Aux funérailles d’Hélène, j’ai reçu les condoléances de Julie qui m’a serré contre elle pour m’embrasser. Le lendemain c’est elle qui recevait les miennes et me serrait à nouveau contre son corps. Elle s’était parfumée un peu plus fort que la veille.
Trois jours plus tard, nous avons passé la nuit ensemble chez moi dans ce qui avait été notre lit à Hélène et à moi. Julie disait qu’elle était angoissée dans le sien. C’était la première fois qu’elle dormait seule. Elle a posé la main sur mon sexe.
Le sentiment amoureux, celui qu’on ne s’explique pas, a ressurgi au moment où elle m’a dit :
- Merci, c’était bon, tu sais.
Et des gestes qu’elle a évoqués en me mordant le lobe de l’oreille. Je l’aimais, je le savais.
Durant quelques jours, nous avons pris des précautions afin de ne pas susciter des propos vulgaires chez nos voisins. Elle rentrait chez elle dès la fin de l’après-midi mais revenait à la nuit tombée. J’avoue que cela augmentait notre excitation réciproque.
- Tu as pensé à moi en m’attendant ?
Puis elle est restée et nous avons vécu comme un couple établi.
Nous nous sommes mariés six mois plus tard.
A plusieurs reprises depuis, j’ai comparé Julie à Hélène. Une nuit, alors qu’elle s’était étendue sur moi, j’ai dit :
- Arrête Hélène.
Julie à éclaté de rire.
- Elle te faisait ça, Hélène ?
Elle m’avait caressé et j’avais réagi sans ardeur. Nous étions mariés depuis trois mois.
C’est à cette époque qu’elle a commencé à manifester une fringale d’achats. Elle avait de nombreuses courses à faire. Elle n’avait rien à se mettre, disait-elle. Elle s’absentait pour un après-midi entier et je constatais que j’en étais soulagé. C’était sûr désormais, j’avais eu tort d’épouser Julie. Même si elle était moins assoiffée de sexe qu’elle ne l’était à la mort de Robert.
Un jour, je l’ai suivie. Elle est entrée dans un hôtel et quelques minutes plus tard Gérard, un ami commun à Robert et à moi, la suivait. Trois heures se sont passées. Elle en sortit et Gérard sortait à son tour.
C’est la vie.
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Arbre - Maison - Jardin - Nature - Ciel !
Marbre - Greffon - Gratin - Aventure - Pastel ?
Macabre - Jargon - Bassin - Confiture - Eternel...
Palabres - Plastron - Levain - Bavure - Carrousel.
Candélabre -Abandon - Alexandrin - Flétrissures - Mortels !?...
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Aaahh !... Les mots... Que de mots ! De jolis mots !
Encore et encore... Enfouis sous une couverture cartonnée,
Consignés par centaines de folios. Reliés. Numérotés...
A l'abri dans un gros volume.
Oublié...
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C'était un vague soir d'automne.
Sur les boulevards, personne.
Et moi, seule au huitième
Assise sous ma tabatière,
La lampe et son rond de lumière
Sur le cahier ouvert m'éblouissant les yeux.
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Depuis des années, (des dizaines d'années), traînait, esseulé,
Sur une tablette dans l'angle obscur d'un grenier envahi de poussières,
Un dictionnaire...
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Conservant, taiseux, nuits et journées,
Dans la pénombre de la soupente, sous sa couverture bistrée,
Ses lignes de vocables reliés contre son dos enluminé et toilé.
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Pas un doigt n'avait effleuré, fût-ce du bout de l'ongle,
Depuis très longtemps, sa tranche dorée.
Pas une main, flâneuse, flatteuse, n'était venue, du revers,
Effleurer le volume épais de trois mille sept cent vingt neuf pages
Pourtant assidûment consultées, naguère...
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Ces feuillets veloutés et soyeux n'avaient plus connu d'index curieux,
Affairé, les explorant; avide, les tournant d'un froissement délicieux;
Cherchant le substantif adéquat; son orthographe; ses synonymes.
Tout ses jours et ses nuits avaient goût amer d'une vie homonyme,
Ignoré des scribes et conteurs il restait là, reclus, muselé, retenu;
Traînant parmi les bibelots et babioles ménagères mises au rebut,
Comme fondu de désespoir sur son bancal dressoir rongé de vers;
Où posé par distraction il se tenait en équilibre et un peu de travers.
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Sa vie de glossaire depuis alors s'étiolait, perdant toute essence;
Les milliers de mots qui le définissaient n'avaient plus existence,
Et s'évaporaient. Dans le vide. N'ayant plus rôle ni fonction ni sens.
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Chaque matin, quand dans le clair-obscur sous la charpente,
Par la vitre mate des pluies récentes immiscées aux fientes
Et aux mousses de cornières exhalant senteur désagréable,
La lumière du jour scindait la foule de particules impalpables,
Traversant ces résidus de riens de son mince rayon de clarté,
Les activant en une muette course-poursuite sans les heurter,
Lui, rêvait, à de meilleurs temps où son pauvre exil se romprait.
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Rarement, pour ne pas dire jamais car cela n'est point vrai;
Rarement la porte rabattante ouvrant aux escaliers se levait;
Rarement l'ampoule suspendue au fil gris et grêle descendant
Du faîte obscur comme surgissant du néant soudain s'allumait;
Rarement, pour ne pas dire jamais, quelqu'un, enfin, paraissait.
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Lors de ces pingres visites son cœur de dictionnaire, ému, s'activait.
Cognait. Anxieux... Impatient de pouvoir de sous sa liseuse cartonnée,
Libérer les mots pour en faire des phrases et dire de lui ce qu'il en est.
Mais pas un ne parvenait à sortir pour développer, expliquer, partager,
Ce qu'avait de désespérant, d'affolant, son statut de lexique claustré
N'ayant place ni utilité; voué à l'abandon en un mutisme solitaire, forcé,
Lui qui de tant de verbes, d'adjectifs et d'articles pouvait se réclamer.
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En ces rares occasions où le battant s'ouvrait d'un geste nerveux,
Laissant passage à l'un ou l'une, venu, au hasard, errer en ces lieux
Reprenant espérance, se voulant convaincant, victorieux, il s'égosillait :
- “Hé ! Pssst ! Par ici ! Hé ! Regardez moi ! Me voilà ! Je suis là...
- "Abandonné depuis toutes ces années, aphone.
- "Ici ne vient jamais personne...
- "Hé ! Ne partez pas déjà ! Je suis là, plus loin, oui, voilà, vous y êtes...
- "Tournez vous, je suis posé de guingois sur la sellette...
- "Mais non, mais non, pas par là-bas, vous vous éloignez !
- "Venez ! C'est par ici ! En fin de soupente. Allons, faites un effort !
- "Peut-être pourrais-je vous servir ? Vous être utile encore ?
- "Vous satisfaire de mes vocables ? Vous renseigner ? Vous inspirer ?”
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Mais sa peine, tant éperdue que perdue se perdait en silence qui pas même ne retentit,
Car ses monologue et cris n'étaient qu'exclamations muettes se déroulant en son esprit.
Lexical.
Et entre ses pages...
Que pour les entendre il eût fallu feuilleter.
En se tournant vers lui.
En consultant son langage.
Mais de tout ces temps écoulés depuis déjà, est-il jamais passé, son message ?
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Il n'y comptait pas.
Car jamais.
Car si las...
Et n'avait nul repère pour archiver les instants s'évadant,
A chaque fois où l'unique ampoule à nouveau s’éteignant,
Le silence sous la charpente se rétablissait pour longtemps.
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Alors il pleurait... Et d'entre ces milliers de feuillets,
Les uns les autres serrés dans leur monologue muet,
S'échappait en un flot continu, rythmé, cadencé,
En un sanglot d'amertume et de chagrins mêlés,
Un long et lent discours de larmes. Versifiées...
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C'était un vague soir d'automne
Sur les boulevards, personne
Et moi seule au huitième
Assise sous ma tabatière
La lampe et son rond de lumière
Sur le cahier s'élargissant,
Me levant, pressée soudain, les emportant.
Ils me suivirent, clairs, éphémères,
Se mouvant, des ombres esquissant...
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Le long du chemin jusqu'à l'échelle au bout d'un interminable couloir
Que je gravis, silencieuse car seule comme coutume de matin à soir,
Puis soulevant la lourde trappe, passant, tête première, dans le grenier,
J'allumais l'ampoule pour y mieux voir un fatras de lézardes du passé,
De souvenirs froissés. Fanés... Et un guéridon vieillot, tristement penché,
Sur lequel, en porte-à-faux, tel un antique écrin rescapé d'un sinistre,
Ou un coffret égaré... Ou un volume épais aux allures d'ancien registre.
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Ereinté d'attente il s'était assoupi,
Recroquevillé sur ses pages. D'ennui.
Quand subitement, la lumière jaillit !
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Une incursion de plus sans dessein ni effet
Sur son sort de lexique solitaire. Condamné.
Ou l'occasion d'enfin partir. D'ici. S'enfuir.
S'éclipser. S'échapper. Briser l'enfermement.
Faire l'impasse sur son sinistre bannissement.
Trompant son chagrin il se berçait de baratins.
Se racontait des évasions. Réinventait son destin.
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Car voici qu'une nouvelle fois, comme de nulle part surgie,
Née d'un miraculeux espoir, jaillissant d'entre les oublis,
Une forme longiligne sur les murs de briques et de crépis
Se dirigeait, courbée sous la potence, résolument vers lui.
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De surprise il s'arrêta, net, de penser. Stupéfait.
Ceci n'étant pas possible... Cela ne se pouvait !
Pour sûr, pris de soliloques, voilà qu'il fantasmait...
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Mais la forme s'approchait. Se précisait. Se penchait
Et d'un geste précis, d'une main décidée, le soulevait
De sur la sellette où toutes ces années il croupissait.
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Une main s'emparait de lui, comme jadis, le faisait vibrer.
Une main le prenait. L'enveloppait. Et daignait le manipuler.
Sous le coup de ce bonheur brutal, inattendu, il faillit crier.
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Une main sans impatience ni brutalité s'intéressait à lui;
Une main respectueuse et déférente s'informait de lui.
Une main lui semblait-il, au toucher chagrin; en détresse;
Une main vibrante de solitude et empreinte de tristesse.
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Curieux, et à la fois inquiet, il se tenait coi.
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Lorsque sa couverture en un crissement attestant des années,
S'ouvrait au frontispice;
Que l'index pointait la dédicace manuscrite autrefois déposée,
Tracées à l'encre d'Or;
Puis descendait plus loin, plus bas dans la page encore,
Pour enfin s'arrêter, figé, comme interdit, hypnotisé...
Le malheureux dictionnaire, désespéré, se mit à trembler.
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Que se passait-il ? Que signifiait ce recul ?
En quoi aurait-il déplu ? Pourquoi ce scrupule ?
Que signifait cet étonnement ? Cette indécision ?
En quoi consistait ce revirement ? Cette hésitation ?
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Sans doute n'était-il pas l'objet que l'on recherchait...
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Mais il n'eût loisir d'échafauder de sombres désespoirs;
Ni ne connut la peur de se retrouver sur son dressoir;
Ni ne se vit dupé d'un canular; ni victime d'une erreur
Ne fut renvoyé d'un geste moins soigneux que tout à l'heure.
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Car la main l'emportat dans un sursaut vif. Et adroit.
Il vit s'éteindre la lampe. Entendit se fermer la trappe.
Suivit les marches raides de l'escalier menant vers le bas
Sans savoir ni pressentir la nature du fatum qui le happe.
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Et d'aboutir sur une table en un vague soir d'automne
Sous une tabatière dans une étroite chambre de bonne
Surplombant des boulevards où ne circulait personne...
(Au mitan d'un rond de lumière, au huitième, dans les combles.)
Où il fut épousseté sagement avant qu'une plume ardente, d'un trait,
Sans attendre, d'une écriture penchée, ciselée de pleins et de déliés,
Chargée d'encre noire, sur la page de garde, s'appliquait à calligraphier :
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“Octobre 1999”
Juste sous la mention :
“Octobre 1899 pour la présente édition.”
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C'est de la sorte que lui fut annoncé son centenaire
Qu'il avait passé pour moitié de sa vie de dictionnaire
A se morfondre, baillôné, dans un silencieux grenier.
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Alors il riait... Et d'entre ces milliers de feuillets,
Les uns les autres serrés dans leur monologue muet,
S'échappait en un flot continu, rythmé, cadencé,
En un éclatement de joie et de bonheur mêlés,
Un long et lent discours de charmes. Versifiés...
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MandraGaure – Tongrinne – Première Version (même titre) datée d'Août 2000 – Initialement écrit à l'occasion et à l'attention de la fête du Village – Déclamé en la salle communale par l'auteur – Présenté ultérieurement en classes primaires de Sombreffe, Tongrinne, Gembloux, Gentinne, Chastre et à l'occasion du Salon du livre 2001 de Ligny.
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Retravaillé entièrement ce jour, 30 juillet 2014, à Marchienne-au-Pont.
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(Dédicacé à Quivron Rolande pour l'incroyable vigueur qu'elle m'apporte et pour sa contribution à l'apaisement des doutes qu'elle parvient, lentement, à faire taire en moi...
Et à son fils aussi, lequel, (elle me l'a appris), me fait l'honneur de venir me lire. Merci.)
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Illustration : Jan Vermeulen "Livres et Instruments de Musique" - Beaux-Arts Nantes
Source : "du côté de chez grillon du foyer"
"Homo viator" est un recueil d'articles et de conférences publié en 1945 par l'écrivain et philosophe français Gabriel Marcel (1889-1973). Cet ouvrage groupe plusieurs textes importants: "Moi et autrui", "Le mystère familial", "Obéissance et fidélité", "L'être et le néant", etc. "Etre, c'est être en route". L'image du chemin revient sans cesse dans les écrits du philosophe. La réflexion suit la cadence de la marche, connaît la halte, mais non l'arrêt; elle ne construit pas d'abri permanent. Car la philosophie est quête inlassable, aventure, cheminement. L'homme est un être itinérant. Le temps est la forme de son épreuve. La foi répète l'expérience de l'existence. Elle est une marche, un exode. Mais cette marche a un terme, et elle le sait: par-delà l'issue apparente, la mort, un débouché invisible, l' éternité. Nous sommes des pèlerins, non des vagabonds ou des nomades. L' espérance s'oppose à l'ordre du désir et de l' espoir. Sorte de "mémoire du futur", elle affirme résolument un au-delà dont elle repère et précise déjà dans l'obscurité les signes irréfutables. Sa formule développée, c'est "J'espère en Toi pour nous", c'est-à-dire pour la communauté vivante que nous formons. Si la condition même d'une métaphysique de l' espérance est de ne se traduire qu'en termes précaires et toujours renouvelés, l'hymne à l' espérance est par contre l'intarissable source de l' orphisme que Gabriel Marcel évoque. Comme Socrate achève le "Phèdre" par la prière au dieu Pan, ainsi le philosophe et son lecteur se tournent vers un ange tutélaire. Ce n'est plus la philosophie qui parle, c'est le chant qui jaillit; ce n'est plus la réflexion, c'est le murmure de l' invocation. Voici en effet quelle est la conclusion d' "Homo viator": "Esprit de métamorphose! Quand nous tenterons d'effacer la frontière de nuées qui nous sépare de l'autre royaume, guide notre geste novice! Et lorsque sonnera l'heure prescrite, éveille en nous l'humeur allègre du routier qui boucle son sac tandis que derrière la vitre embuée se poursuit l'éclosion indistincte de l'aurore".
Un concert tout simplement fabuleux, dans l’écrin de la salle Argentine du Château du Lac, sous les auspices du 16ème festival de Musica Mundi. Tout avait commencé cette année avec Boris Giltburg premier prix du Concours Reine Élisabeth 2013 (26/7), puis Maxim Vengerov et Itamar Golan (19/7), ensuite le Quatuor Szymanowski (22/7) et le Stotijn Trio (23/7) et encore le pianiste Alexander Gavrylyuk (27/7) lors du concert de clôture de cette prestigieuse Académie. Pour rien au monde on n’aurait voulu manquer une telle rencontre avec la fine fleur musicale rassemblée chaque année sous la houlette de Hagit Kerbel pendant le stage d’été de Musica Mundi. Pas moins de 69 jeunes talents de 9 à 18 ans, venant d’une trentaine de pays et d’origines sociales très diverses, se sont produits ce soir-là dans une merveilleuse communion d’esprit, partageant avec effusion leur idéal de beauté et de paix au terme de deux semaines de travail assidu avec les plus grands artistes en résidence.
Avant de les accueillir pour le stage, Hagit et Léonid Kerbel ont dû procéder à une sélection des stagiaires - tâche parfois très difficile - sur base de plus de 250 vidéos reçues. Ces jeunes ont reçu ensuite le programme à préparer avant leur arrivée en Belgique puis ont travaillé sans relâche pour aboutir à cette soirée fabuleuse, sans aucun autre équivalent. La plupart boursiers, ces jeunes très prometteurs ont été logés à l’hôtel Lido à titre gracieux. En effet John Martin est depuis le début très impliqué dans le projet, comme tant d’autres aimables mécènes. On parle aussi de faire aboutir un autre rêve : la création d’une école primaire et secondaire internationale centrée sur l’apprentissage de la musique… Quelle leçon d’humanité en ces temps troublés de l’année 2014!
Un cadran de douze fleurons de la musique classique, a choyé nos oreilles. Comme douze heures précieuses égrenées dès 19 heures et jusqu’aux aux alentours de minuit. Le programme éclectique balançait entre les concerts de rêve: Astor Piazzolla (1921 -1992), extraits des «Quatre Saisons de Buenos Aires» ; Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Concerto en si bémol majeur pour harpe et orchestre HWV 294 ; Antonio Vivaldi (1678-1741), Concerto RV531 en sol mineur pour deux violoncelles et orchestre ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756 -1791), Concertone en ut majeur, K.190/186E pour 2 violons et orchestre ; Astor Piazzolla (1921 -1992), Histoire du Tango (Night Club), arrangement pour ensemble de clarinettes ; Johannes Brahms (1833-1897), Scherzo de la FAE Sonata ; David Popper (1843-1913), Requiem, op.66 pour 3 violoncelles et orchestre ; Aram Ilitch Khatchatourian (1903-1978), Adagio du ballet Spartacus (Suite n ° 2) ; Max Bruch (1838 -1920), Concerto pour deux pianos et orchestre, op. 88a ; Claude Debussy (1862-1918), Rhapsodie pour saxophone alto et orchestre L. 98 ; George Gershwin (1898 -1937), Rhapsody in Blue ; and last but not least : Alexandre Borodine (1833-1887), Les Danses polovtsiennes de l’Opéra Prince Igor! Jamais sur une soirée il nous a été donné de faire une telle promenade musicale, dans le temps et dans l’espace sans se déplacer et restant assis sur une chaise dorée!
Plusieurs jours après cette soirée hors du commun on se souvient encore. On se souvient de Catherine Michel, une des meilleurs harpistes du monde qui avec Léonid Kerbel à la baguette effeuillait l’or d’Haendel. On se souvient de Richard (Allemagne), Yan et Mariamma, tout juste 12 ans baignant dans le bonheur de se produire devant un public conquis par Vivaldi.
Les 15 ans ne sont pas en reste.Le prodigieux Natan (Israël) et l’exquise Roberta (Allemagne) pour qui la précision et la pureté de sons mozartiens n’ont plus de secrets, échangent des sourires ravis puisés au cœur de l’émotion musicale. Avec la pianiste Maria Tarasewicz (Pologne/ Ukraine) qui joue les berceuses voici une trilogie de bonheur musical applaudie avec fracas. Les violons font éclore leurs rêves dans un monde mû par l’harmonie, malgré la grande complexité de motifs. C’est le mariage réussi de l’intellect et du cœur.
L’ensemble de clarinettes est saisissant de beauté. Jorge Levin emmène Nicolas, Pongwisit, Alina, Iseliana, Kevin et Carmen dans une chevauchée brillante et il y a le sourire joyeux de la jeune musicienne en robe de soie bleu ciel, signée Vélasquez ?
Il y a une résidente fidèle du stage, Kristina Georgieva (Bulgarie 13 ans), chaque fois ovationnée par le public, cette fois en duo avec Alexander Zakharov au violon (Russie, 14 ans). Qui ne serait transporté par leur supplément d’âme qui plonge au cœur de l’identité slave ? Elle joue les yeux fermés, tout à tour avec l’énergie d’un geyser musical et la flamboyance du plus pur romantisme. Le jeune homme qui l’accompagne assure avec la plus grande maîtrise.
Le Requiem de Popper est un bain de douceur. Micha, Liav et Thapelo sont au diapason et tous les trois portés par un souffle puissant. Thapelo étire des soupirs qui vous plongent dans un océan de compassion pour le monde… Liav et Micha ajoutent dans leur interprétation le lien joyeux qui les unit dans une amitié palpable. L’unisson vibrant de la fin lent à souhait débouche sur un véritable état de grâce.
La deuxième partie de la soirée est encore plus extraordinaire. On a demandé de ne pas applaudir les huit pianistes extraordinaires qui se relayent entre les quatre mouvements du concerto de Max Bruch pour deux pianos. Un nouveau duo pour chaque mouvement!
Le plateau déborde de musiciens. On y a ajouté cette année la participation de 21 étudiants du Royal College of Music de Londres : vents et cuivres. Le feu d’artifice musical couve et s’enfle avec les deux rhapsodies. Celle de Debussy avec le jeune saxophoniste Matvey Sherling (Russie, 14 ans), un musicien exceptionnel et celle de Gershwin avec - Alexandre Gravrylyuk au clavier – un artiste hautement renommé dont on vante la virtuosité confondante, la profonde musicalité, l’intuition, l’intelligence et la finesse aristocratique. Le bouquet explose littéralement avec Les danses Polovstiennes de Borodine sous une pluie de paillettes, d’applaudissements et de vivats qui inonde la salle Argentine. Hagit Kerbel - she is the glamourous master of ceremony - et Leonid son mari, l’infatigable Maestro, ami et professeur, sont sûrement, tout comme le public, transportés de bonheur.
Footnote : "Not many things in this world can unite people – no form of diplomacy could ever do that. I think that music comes the furthest in revealing that perhaps on a deeper level we are all quite similar: when the audience reacts in one wave of emotion that to me is the most incredible and inspiring thing." Alexander Gavrylyuk
" C’est de là que je vous écris, ma porte grande ouverte, au bon soleil. Un joli bois de pins tout étincelant de lumière dégringole devant moi jusqu’au bas de la côte. À l’horizon, les Alpilles découpent leurs crêtes fines… Pas de bruit… À peine, de loin en loin, un son de fifre, un courlis dans les lavandes, un grelot de mules sur la route… Tout ce beau paysage provençal ne vit que par la lumière. ..."
Extrait de "Installation", premier chapitre des " Lettres de mon moulin" de Alphonse Daudet.
Liliane Magotte "Le moulin de Daudet" à Fontvieille, aquarelle 35x28
Papier Arches Torchon 300gr
Juillet 2014
Fontvieille - Le moulin d'Alphonse Daudet
Pastels Rembrandt sur papier Canson Mi-Teintes blanc
230 x 410 mm
Septembre 2012
Me voilà captive,
de tes longs yeux émeraude,
maquillés, raffinés et pensifs,
de ton p'tit cœur félin,
tambourinant en toi,
de ta silhouette velours,
chaude, étendue sous la tonnelle verte.
Me voilà captive,
entre tes pattes douces, joueuses,
blondes, pas sérieuses,
de ta majesté naturelle,
dressée là, à l'instar d'un soleil,
de ta condescendance,
emprunte d'humanité.
Me voilà conquise,
toute entière, émue,
par toi mon chat,
écarquillant tes yeux,
une fois de plus s'étonnant,
d'une giboulée claire,
contre la baie vitrée chantante !
!
Il chemine à la lisière du vide, confiant du moment présent
Elle a tissé ses fils de soie ... Le vent à tout emporté
Se dire à tout instant , que ce qui arrive épure la vie et la renouvelle
C'est la vie qui va ...sous la pluie
Un Tableau du peintre W-Schmidt
À quoi pense cet homme à l'allure de prophète
Qui sans doute ressent une angoisse secrète?
Ce juif marocain qui paraît émouvant
Vit pourtant dans un lieu lumineux, envoûtant
Un tableau du peintre W-Schmidt
Un don de magicien pour mon anniversaire.
Je reste médusée dans le ravissement
Toile de Schmidt
Propos à mon petit fils
On ne sait rien du peintre Schmidt. Ses toiles et ses aquarelles, depuis peu, se vendent aux enchères, ce que récemment, j'ai appris.
Ce peintre était connu , fort admiré des journalistes, au temps de ses expositions. Il est mort démuni de tout, isolé dans un hôpital, or nul ne sait ni où ni quand, mais cela n'a pas d'importance.
Je ne dirai pas son vrai nom ni ne montrerai son visage, moi qui vécus près de lui douze ans, jusqu'au moment de mon départ, forcée de demeurer ailleurs. Il cachait le beu de ses yeux étant sensible à la lumière.
Comme il aimait me voir heureuse, il peignait pour moi très souvent. Ne pouvant pas s'offrir un cadre il donnait une oeuvre en paiement.
Je n'écrirai pas son histoire; il me l'a contée sans tristesse, avec nostalgie seulement, de l'humour et de la sagesse. Quand il devint artiste- peintre, il prit le nom de son ami tué bien jeune à ses côtés.
Trois verres de vin l'enivraient, il pouvait se mettre en colère alors il n'était plus le même, se mettait à maudire certains.
Il se répétait bien souvent s'amusant de la même histoire. Un homme saoul rentre chez lui, ne peut pas faire tourner sa clé. Un policier passe. Intrigué, lui demande s'il est chez lui et il aide à ouvrir sa porte. Voyez, dit alors le soûlard, voici mon lit et là ma femme! Qui est l'homme demande l'agent? L'autre étonné répond: C'est moi! Sa liesse à imaginer la scène était chaque fois contagieuse.
Je me souviens fidèlement de ses propos qui étaient sages. En sa présence, moi si bavarde, je me taisais. Je l'écoutais. Il disait: devenir artiste ne s'apprend certainement pas. Lui, avait fréquenté les musées. Surtout appris à regarder.
Il parlait du respect filial dans le pays où il grandit.
Il me trouvait trop confiante: ouvre les yeux et méfie-toi! Sa mise en garde m'amusait, j'étais demeurée innocente.
Il ne voulait pas que je pleure, il m'ôtait des mains un oignon. Il se nourrissait d'oeufs bouillis. Ne venait jamais sans gâteaux auxquels il donnait d'autres noms: les boucles de Schiller, les oreilles de Prussiens..
Il était certes déphasé. N'étant pas de langue française, il avait des tournures à lui: il disait: je suis en défaut. Lors, il ne pouvait pas comprendre qu'après le déjeuner, je parte en lui disant: il faut que j'aille car j'ai besoin de travailler. Vivre privé de liberté, lui semblait chose pitoyable.
Un photographe de talent reproduisait tous ses tableaux, avec son autorisation, pour illustrer diverses cartes. J'ai malheureusement perdu celles auxquelles je tenais le plus.
Il peignit de moi un portrait, sur bois, en se fiant à sa mémoire. Or ma joie n'y est pas présente.
J'ai fait don à mes deux enfants des oeuvres qu'il m'avait offertes à l'exception de quelques toiles me causant plaisir et émois et ausi d'une miniature.
29 juillet 2014
J'ai le grand bonheur de vous informer que ma nouvelle "La symphonie inachevée" est publiée dans la Revue générale n° 7/8!!!
Les Bertrand étaient une famille qui exploitait une entreprise spécialisée dans la vente de semences. Henri Bertrand en était le propriétaire. Il était le mari de Fernande qui s’occupait du ménage. Julien, son fils, avait fait des études agronomiques et le secondait. Et il y avait Cécile, la jeune épouse de Julien. Ils étaient mariés depuis un an à peine.
Les Bertrand occupaient à la lisière de la ville une maison spacieuse dont la pièce du rez-de-chaussée servait à la fois de hall d’entrée et de salle à manger. Située près de la cuisine, c’était une pièce large et longue dont une partie était destinée aux repas autour d’une grande table de couvent et une autre qui était vouée au repos ou aux conversations intimes devant l’âtre haut de plus d’un mètre. Un large escalier de bois, à droite, menait à une mezzanine sur laquelle s’ouvraient quatre chambres destinées aux enfants. Au fond du hall, derrière une lourde porte, se trouvait la chambre d’Henri et de son épouse.
Lorsqu’il avait modifié la maison héritée de ses parents, Henri avait songé qu’il serait un jour un patriarche entouré de fils, de leurs épouses, et de leurs enfants. C’est ainsi que se créent les dynasties. Des voisins l’avaient surnommée : le château. Il n’en était pas heurté. Au contraire.
L’histoire avait commencé à la mort de Fernande. Agée de cinquante huit ans, Fernande avait succombé à un arrêt du cœur. Henri en avait soixante. C’était un bel homme haut d’un mètre quatre-vingt au torse puissant, au visage régulier. Seul le nez légèrement tordu à la suite d’une intervention médicale durant l’adolescence attirait le regard, on eut dit le nez d’un boxeur.
Lorsque Fernande vivait encore et qu’ils étaient à table tous les quatre, Henri regardait souvent Cécile. Fernande faisait semblant de ne rien remarquer, elle savait que son mari était sensible à la beauté des femmes.
Cécile avait conscience de la manière dont son beau-père, au même titre que la plupart des hommes qui fréquentaient les Bertrand, la regardait. Ils regardaient sa poitrine et ses hanches. Il se dégageait d’elle une séduction singulière dont finalement, pensait-elle, seul Julien son mari se souciait trop peu.
Quant à Cécile, le regard des hommes la troublait. Sous le regard qui la déshabillait et qu’ils accompagnaient d’un sourire faussement amical, elle imaginait ce à quoi ils pensaient. Ce qui la troublait, c’est que ça lui était agréable. Quand elle se déplaçait, la raideur qu’elle manifestait, elle le savait, attirait plus encore le regard sur ses hanches. C’était comme une caresse continue dont elle aurait voulu transmettre la chaleur à Julien. Hélas, elle ne provoquait chez lui que des élans rapides qui la laissaient sur sa faim.
- Vous prendrez la chambre du bas.
Après la mort de Fernande, Henri avait réfléchi. A quoi bon conserver la grande chambre et ce lit tellement large qu’un couple pouvait y dormir sans risque de se toucher par inadvertance.
- Et toi ?
Julien avait répondu sans beaucoup de conviction. Il n’imaginait pas que son père puisse avoir une autre compagne dans l’avenir. Dès lors, il pensait que c’était à lui qu’incombait désormais la responsabilité de la famille, et que la chambre du bas en était le symbole. Chaque chose a sa place toute désignée. Les choses de la vie, elles aussi, se déroulent selon un certain ordre.
Ils étaient accoudés à table. Cécile dit :
- Vous serez mieux dans la grande chambre.
Henri pensait en la regardant : dans le grand lit.
Au bout d’un moment, Henri se leva pour se rendre au café où il avait repris ses habitudes de jeune homme. Durant ce temps ses enfants auraient le loisir de déménager de chambre.
Lorsqu’ Henri rentra, un peu ivre, il ferma doucement la porte d’entrée pour éviter de les réveiller. Il était content de ne rien entendre. C’est qu’il ne se passait rien, se dit-il. Si ça avait été moi, il se serait passé quelque chose.
Ils lui avaient aménagé la première des quatre chambres, celle qui se trouvait en face de l’escalier, celle qui eut été celle de son premier petit fils. Il se serait appelé Henri. Comme lui et son père. Un prénom de famille en quelque sorte.
Cécile avait posé un vase garni de fleurs sur la table où il allait déposer son portefeuille et sa montre. Peut être d’autres objets qu’un homme sort de sa poche avant d’ôter son pantalon.
C’était l’été. Un été exceptionnellement chaud comme il ne s’en produit qu’un petit nombre durant un siècle. Henri n’était pas superstitieux mais peut être que c’était un signe en effet.
Il éprouva une curieuse sensation en descendant, le lendemain matin. Est-ce qu’il était chez lui ? Peut être avait-il eu tort. Julien et Cécile étaient en train de déjeuner mais son assiette était à sa place habituelle.
Chacun d’eux portait une tenue légère. A travers la blouse de Cécile, on devinait les seins. Fernande aurait exigé une blouse moins transparente. Elle aurait dit :
- Ce n’est pas vous que les clients viennent voir.
Ce n’est pas sûr, pensait Henri. Julien aurait dit ce qu’aurait dit sa mère. Il le pensait vraisemblablement mais il n’osait pas le dire.
Ce jour là, Julien devait se rendre à une Foire agricole, on y présentait de nouvelles semences.
- Je reviendrai demain dans l’après-midi.
- Je croyais que tu reviendrais ce soir ?
Pendant que Cécile débarrassait la table, Julien était entré dans la grande chambre pour faire sa valise. Il aimait cette chambre qui désormais était la sienne. Elle était le centre de la vie de cette famille dont il était l’avenir. Son père avait raison : une dynastie se crée et se perpétue dans la tête de ses membres.
Henri était sorti. Il regardait le ciel. Temps d’orage ? Il aimait cette sensation dont la chaleur était la cause. Cette mollesse dans les muscles. Le temps des heures a des durées qui varient selon le climat, c’était une réflexion idiote quand on l’exprime mais elle était juste, pensait-il.
Il s’étendrait cette nuit, les jambes écartées, et dormirait tout nu. Et Cécile. Dormirait-elle toute nue ?
Il entendit la voiture de Julien qui partait. Il devait avoir chaud lui aussi. Il lui fit un signe de la main. Cécile revenait du garage, c’est là qu’elle avait embrassé Julien. Elle avait besoin de toucher ceux qu’elle aimait. Elle s’était serrée contre Julien.
- Reviens vite.
La chaleur l’accablait. Elle avait une conscience presque physique du regard d’Henri sur ses hanches. Sans raison, avant de rentrer, elle resta un moment immobile sur le seuil. Après le déjeuner Henri avait dit qu’il avait des courses à faire en ville.
- Vous reviendrez pour le dîner ?
- Oui. Fais quelque chose de léger.
Elle dit qu’elle ferait une salade.
- Tu as raison. Par ce temps une salade conviendra parfaitement.
Ce n’étaient que des banalités. Est-ce qu’il est nécessaire de parler simplement parce qu’on a peur de se taire ? On en dit peut être davantage encore.
Il ne revint que dans la soirée. Cécile l’avait attendu et ils dînèrent sans dire un mot sinon :
- merci, vous en voulez encore, père ?
Il avait toujours trouvé ce mot ridicule dans la bouche de Cécile.
Il n’était pas son père.
- Je vais me coucher, je ne sais pas pourquoi mais je suis fatiguée, ce soir.
Elle se leva et, sans desservir, elle se dirigea vers la grande chambre, celle qu’Henri avait occupée si longtemps. Elle avait rabattu la porte mais elle ne l’avait pas fermée. Il avait suffi à Henri de la pousser pour entrer.
Quelques jours plus tard, un matin, deux gendarmes frappèrent à la porte. En quittant le café, on supposa qu’il avait trop bu, Henri s’était encastré dans un arbre. Il était mort sur le coup.
Café noir en main, assise dans son canapé, Miya se réapproprie cet endroit qui lui était si familier. Depuis son retour, tout a pris une autre dimension et son esprit n’arrête pas de refaire le script de cette aventure ratée et de la journée de départ.
Sa rencontre avec cet étudiant a changé sa vie. Elle est tombée amoureuse de lui éperdument et a voulu le suivre dans son pays. Aujourd’hui, elle se retrouve démunie d’une part de son existence qu’elle a laissée là-bas, incompréhension, tristes souvenirs, pleurs et larmes.
Tout a été tellement vite. Partie, après les études, avec ce garçon qu’elle avait rencontré et épousé, la vie devait être merveilleuse. Les préparatifs du mariage et du départ ont pris tout son temps et rempli son cœur d’images merveilleuses, idylliques. Ses parents hébétés ne comprenaient pas. La jeunesse rend les choses faciles et belles. Elle dissimule les ombres celées. Miya sait qu’elle part loin de sa famille et dans un pays qui n’a pas la même culture mais l’amour rend téméraire, aveugle parfois. Et puis, elle ne part pas seule mais avec ce gentil garçon un peu plus âgé et qui peut la défendre contre le monde. Il l’aime.
Sa famille l’a mise en garde, lui a présenté ses craintes, les déboires qu’elle rencontrera sans que Miya ne les écoute. Son désir est de partir avec ce beau jeune homme aux cheveux noirs et de réussir sa vie avec lui dans ce pays lointain.
Après avoir descendu en voiture toutes les régions qui les séparent de ce continent, l’arrivée est fêtée comme il se doit. La famille de son mari les accueille avec beaucoup de gentillesse, d’étonnement et de réticence. Les parents attendaient le retour d’un fils diplômé, pas celui d’un jeune marié sans leur consentement.
L’installation du couple se fait dans la belle famille et l’intimité n’est pas de mise dans les quelques pièces qui servent de demeure. Miya est forcée d’accepter beaucoup de contrariétés, de déconvenues. En quelques jours, le beau rêve s’étiole déjà de contraintes insensées et reste la vie difficile d’une personne qui n’a pas été préparée à cette aventure loin des siens. Les rares moments qu’elle passe avec son mari sont consacrés à revendiquer ça et encore cela. Au bout de quelques semaines, elle le trouve lointain comme s’il ne comprenait plus ce qu’elle dit. Ses beaux yeux noirs sont maintenant éteints à ses suppliques et la regardent incrédules.
Un matin, sans prévenir, il part faire son devoir à l’armée.
Seule, elle s’accroche désespérément à cette vie qu’elle veut avec lui et comprend très vite que sa place n’est pas ici. Elle décide de partir en ville, trouve une chambre et s’y installe comme une paria. Le propriétaire ne voyant pas d’un bon œil l’installation d’une femme seule dans cette pièce. Une fois établie, les larmes envahissent son visage et elle reste des heures à pleurer sans consolation. Son cœur, malmené, espère encore.
Cette fois, d’autres problèmes font face et Miya doit trouver un travail rapidement pour subvenir à ses besoins. Son époux, fâché, ne veut pas l’aider. Sa place est dans la famille pas en ville. Miya trouve un petit travail qui lui permet de survivre.
Afin d’apaiser les foudres de son époux, elle reprend plusieurs fois le chemin de la maison familiale. L’accueil, froid, glacial, n’arrange rien. Sa vie d’européenne est rejetée et sa place d’épouse se cantonne à la cuisine.
Après un jour ou deux, Miya retourne en ville avec la ferme intention de ne plus jamais mettre les pieds dans cette maison. Quelques mois plus tard, son époux consent enfin que Miya habite dans cette chambre faite de tristesse, de misère et à sa première permission, il vient la rejoindre.
Pour Miya, l’espoir reprend une place de choix dans sa vie future, ce sont les plus beaux jours de sa vie. Au petit jour, ils partent se promener, enlacés, au bord de l’eau et font de grandes promenades les yeux dans les yeux. Le décor est séduisant. Les projets reviennent et se projettent devant eux avec simplicité. Oui, tout est possible. Ils vont enfin vivre leur vie ensemble.
Dés le service militaire terminé, il travaillera et prendra un appartement plus spacieux. Elle cherchera un autre boulot et la vie commencera, rêvée. Ces quelques jours sont exceptionnels et un matin il part rejoindre son bataillon.
Les mois passent et arrive le jour où son époux est démobilisé et rentre chez lui. Pas chez elle, il se réinstalle dans la maison familiale et lui enjoint de venir le rejoindre. Miya ne comprend pas son attitude. Elle est stupéfaite d’apprendre que son mari exige son retour dans cette demeure.
Elle refuse et reste esseulée dans sa pièce en ville. Elle décide de rentrer chez elle en Europe.
Son mari, plus convaincant qu’à l’habitude lui promet que dés qu’il a du travail, il prend un appartement avec elle. Mais que pour l’instant, il ne peut la laisser seule en ville. Miya abdique et suit son mari. Elle se réinstalle chez ses beaux-parents et se sent prisonnière pour la première fois. Sans sa chambre en ville, son petit travail, elle perd son peu d’indépendance et sa fierté.
Son mari trouve vite du travail dans une autre région. Son diplôme très apprécié lui procure un bon job et il s’installe seul…laissant Miya chez ses parents. Elle l’appelle, exige des explications, demande à ce qu’il rentre pour lui parler. Il lui répond qu’il n’a plus confiance en elle et qu’elle doit rester chez ses parents pour ne pas faire de bêtises.
Miya est sidérée de cette réponse et reste clouée sur place. Ce mari qui, depuis son mariage la fait patienter, attendre des jours meilleurs n’a pour toute répartie à ses demandes que cette réponse inconcevable. Cette fois, c’en est trop, elle partira. Elle y mettra le temps mais elle partira.
Miya trouve dans le village une dame qui veut bien l’aider. Celle-ci a un neveu en ville qu’elle voit régulièrement et qui accepte de recevoir le courrier de Miya. Miya écrit à ses parents sa déconvenue, raconte ses désillusions. De lettre en lettre, elle réussit à réunir la somme nécessaire pour prendre un billet d’avion. Les parents de Miya lui envoient un nouveau passeport pour remplacer celui que son mari lui a pris.
Le jour dit, le neveu de sa voisine vient la chercher discrètement. Elle embarque à l’aéroport et rentre chez elle. Son retour est néanmoins la preuve d’un grand échec. Assisse sur son canapé, une tasse de café en main, les souvenirs de ce bel amour sont toujours présents. Elle voulait qu’il comprenne et accepte de changer, d’exister comme ils vivaient ensembles en Europe. Les cicatrices seront longues à disparaître. L’amour ne résout pas tout.
Il est venu la chercher plusieurs fois sans succès. Miya n’est jamais repartie avec lui.
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