Toile de Schmidt
Propos à mon petit fils
On ne sait rien du peintre Schmidt. Ses toiles et ses aquarelles, depuis peu, se vendent aux enchères, ce que récemment, j'ai appris.
Ce peintre était connu , fort admiré des journalistes, au temps de ses expositions. Il est mort démuni de tout, isolé dans un hôpital, or nul ne sait ni où ni quand, mais cela n'a pas d'importance.
Je ne dirai pas son vrai nom ni ne montrerai son visage, moi qui vécus près de lui douze ans, jusqu'au moment de mon départ, forcée de demeurer ailleurs. Il cachait le beu de ses yeux étant sensible à la lumière.
Comme il aimait me voir heureuse, il peignait pour moi très souvent. Ne pouvant pas s'offrir un cadre il donnait une oeuvre en paiement.
Je n'écrirai pas son histoire; il me l'a contée sans tristesse, avec nostalgie seulement, de l'humour et de la sagesse. Quand il devint artiste- peintre, il prit le nom de son ami tué bien jeune à ses côtés.
Trois verres de vin l'enivraient, il pouvait se mettre en colère alors il n'était plus le même, se mettait à maudire certains.
Il se répétait bien souvent s'amusant de la même histoire. Un homme saoul rentre chez lui, ne peut pas faire tourner sa clé. Un policier passe. Intrigué, lui demande s'il est chez lui et il aide à ouvrir sa porte. Voyez, dit alors le soûlard, voici mon lit et là ma femme! Qui est l'homme demande l'agent? L'autre étonné répond: C'est moi! Sa liesse à imaginer la scène était chaque fois contagieuse.
Je me souviens fidèlement de ses propos qui étaient sages. En sa présence, moi si bavarde, je me taisais. Je l'écoutais. Il disait: devenir artiste ne s'apprend certainement pas. Lui, avait fréquenté les musées. Surtout appris à regarder.
Il parlait du respect filial dans le pays où il grandit.
Il me trouvait trop confiante: ouvre les yeux et méfie-toi! Sa mise en garde m'amusait, j'étais demeurée innocente.
Il ne voulait pas que je pleure, il m'ôtait des mains un oignon. Il se nourrissait d'oeufs bouillis. Ne venait jamais sans gâteaux auxquels il donnait d'autres noms: les boucles de Schiller, les oreilles de Prussiens..
Il était certes déphasé. N'étant pas de langue française, il avait des tournures à lui: il disait: je suis en défaut. Lors, il ne pouvait pas comprendre qu'après le déjeuner, je parte en lui disant: il faut que j'aille car j'ai besoin de travailler. Vivre privé de liberté, lui semblait chose pitoyable.
Un photographe de talent reproduisait tous ses tableaux, avec son autorisation, pour illustrer diverses cartes. J'ai malheureusement perdu celles auxquelles je tenais le plus.
Il peignit de moi un portrait, sur bois, en se fiant à sa mémoire. Or ma joie n'y est pas présente.
J'ai fait don à mes deux enfants des oeuvres qu'il m'avait offertes à l'exception de quelques toiles me causant plaisir et émois et ausi d'une miniature.
29 juillet 2014
Commentaires
Belle évocation. Belle découverte.