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Au puits de la tendresse

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Bordeaux, Tabeau de Claude Monet

 

Pour nous convaincre qu’elles furent,

Nous captons des joies éphémères,

Savoureuses, émouvantes, sûres,

Bien différentes des chimères.

 

Quand notre mémoire nous offre

Des souvenirs inattendus,

Une photo sortie d’un coffre,

Lui rend tout ce qu’elle a perdu.

Quand s'impose la nostalgie,

Ne ressentant plus l'allégresse,

On va chercher la poésie,

Gardée au puits de la tendresse.

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Petit bonhomme JGobert

J’aime la Mer du Nord, les marées basses et les marées hautes, les immenses plages de sable fin, les coquillages et le vent qui fouette les visages. J’aime courir le long de l’eau et voir les pêcheurs de crevettes tirer, avec leurs chevaux, les grands filets.

J’accompagne mon ami, un jeune garçon qui passe quelques jours de vacances en compagnie d’adultes de sa famille. Ils se sont installés dans un petit appartement avec vue sur la mer. Ce n’est pas le luxe mais c‘est correct. J’ai droit à une confortable carpette près de l’entrée et un grand bol d’eau et de croquettes.

Les jeux et les sorties à la plage font parties des joies des vacances et pourtant, à l’insu de tous, le drame se noue. Mon ami a disparu un moment .  Quand il revient, il s’accroche à moi et blême, les larmes jaillissent et les questions pleuvent. Je frémis. Je n’ai pas de réponses pour le moment. Moi-même, je suis hébété de la situation et je le suis dans ce long dédale d’incompréhension, d’interrogation,  de laideur.

Mon ami n’a pas compris que tous les adultes ne sont pas gentils. Que certains sont investis de sentiments que la morale réprouve. Des gestes pressants et dissimulés qui deviennent vite insupportables. Je suis abattu de voir ces adultes sévir de la sorte.

Sans le concevoir, j’ai déjà vécu ce silence et je n’ai pas réagi à ses plaintes. Depuis, mes nuits sont devenues un enfer. Je l’entends parfois pleurer inconsolable.

Ce silence qui garde l’horrible secret, qui rend coupable, complice de cette infamie, que les autres adultes n’entendent pas ou ne veulent pas entendre et qui reste à jamais graver sur un enfant sali, profané.

Je ne suis que son petit compagnon et dans mes rêves les plus fous, j’aimerai me changer en bête féroce et avoir la force de les écarter de lui, d’arrêter ce mal qui se transforme en souffrance. Voir sa désespérance chaque jour et n’avoir pas le moyen de lui redonner son sourire d’innocence, d’enfance perdue. Le prendre, l’emmener loin de ces gens et me battre avec lui pour survivre, pour oublier.

Mon petit bonhomme vague l’âme triste, les mains dans les poches et je ne peux par moment lire ses pensées. Il me regarde résigné comme on peut l’être à son âge. Il ne peut se résoudre à raconter qu’il s’est fait prendre à un jeu d’adulte alors qu’il doit hurler, crier, dénoncer, accuser enfin.

Je ne suis pas le meilleur compagnon du monde. Je suis le reflet du silence et j’ai beau aboyer, hurler à la mort, personne ne m’écoute. Devant ce malheur, nous sommes tous les deux impuissants à nous faire entendre.

Consterné, je reste blotti à ses pieds et partage avec lui cette infamie le cœur blessé. 

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Hymne au soleil

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Champs de tulipes et moulin
de Claude Moulin
Reproduction autorisée

Il envahit la nacre de lumière aveuglante.
Il inonde de joie l'immensité des cieux.
De ces fous qu'il enivre, il fait baisser les yeux.
Dans l'éblouissement conduit les âmes errantes.

Il inonde de joie l'immensité des cieux.
Il ôte des coeurs lourds l'angoisse exténuante,
Dans l'éblouissement conduit les âmes errantes.
Il rend impondérables les penseurs soucieux.

Il ôte des coeurs lourds l'angoisse exténuante.
Il se révèle un dieu ardent et généreux.
Il rend impondérables les penseurs soucieux.
Il mène en un ailleurs de grâces rayonnantes.

Il se révèle un dieu ardent et généreux,
Prodiguant l'énergie puissamment agissante.
Il mène en un ailleurs de grâces rayonnantes,
Féerie de couleurs et décors fabuleux.

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Mouvance

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Village Normandie de Claude Moulin

Reproduction autorisée

Aux nuages, je dis, ce jour :
Vous comblez mon coeur d'allégresse !

Venus d'un ailleurs fabuleux,
Ils envahissaient le ciel bleu.
Ils y flottaient sans turbulence,
Isolés et dans le silence.


Quand le soleil les prit pour cibles,
Soudain un courant les poussant,
Ils s'unirent en continents.

Je suivais ces métamorphoses,
Quand je vis, au dessus d'un toit,
Dans un îlot, danser ma joie.

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Le mangeur de blanc

 

Mangeur de blanc. Je n’ai jamais su ce que cela signifiait précisément mais à travers la vitrine de « chez Marcel », le samedi soir, nous répétions dès que nous l’apercevions: voilà le cocu. Tout le monde peut être cocu mais lui c’était le cocu content. C’est peut-être la raison pour laquelle un d’entre nous l’avait qualifié de mangeur de blanc. Et nous éclations de rire.

Marcel nous servait une autre tournée, c’était à mon tour de payer.

C’était un homme sympathique. Grand, maigre, il avait les traits creusés d’un homme atteint d’anémie. Son regard respirait la bonté. Ses yeux si je peux me permettre cette image avaient l’air de vous tendre la main.  Je n’osais pas exprimer cette impression à haute voix parce que mes copains se seraient moqués de moi.

Joueurs de hockey, maniant le stick comme si c’était pour nous creuser un chemin parmi des adversaires déterminés à nous arrêter à n’importe quel prix, nous étions des hommes qui n’avions que faire de sensiblerie. Des yeux qui respirent la bonté, c’était une image ‘cucul la praline’, je n’ai pas besoin de traduire.

C’était le genre d’homme dont je me disais aussi à voir les cernes qui soulignaient ses yeux que ses nuits devaient être chaudes. Sa femme était séduisante. Raison de plus pour la surveiller.

Son nom était Edouard Belhomme, cela ne s’invente pas. Sa femme et lui tenaient le magasin de lingerie situé rue Royale. A chaque fois que nous passions devant le magasin, nous regardions à travers la vitrine pour voir la belle Cécile. L’un de nous avait dit un soir que nous étions chez Marcel, nous y étions pratiquement tous les soirs, est-ce que les clientes qui essayent des soutiens ou des culottes sortent de la cabine presque toute nue pour choisir un soutien ou une culotte d’une couleur différente ? Nous éclations de rire à cette idée. Marcel servait une autre tournée, c’était celle de Robert, notre goal, le fils du vitrier de la rue Notre-Dame.

Nous avions tous plus ou moins vingt ans à cette époque. Les Belhomme devaient en avoir entre quarante et cinquante.  Robert prétendait qu’une femme dans la quarantaine avait forcément acquis une maturité tant physique que spirituelle qu’aucune jeune femme ne pouvait égaler. Il avait connu, bibliquement connu, la voisine du magasin de son père, la mère d’un gamin de dix ans et il en avait conservé un souvenir inoubliable. A seize ans, disait-il, cela marque. Les jeunes filles que nous fréquentions, ajoutait-il, reconnaissaient en lui un expert, il le disait en toute modestie.

Personne parmi nous ne contredisait les propos de Robert, c’était le plus fort d’entre nous, mais chacun de nous savait à quel point il était vantard. Durant les matchs c’était pareil. Il allait d’un côté du goal à l’autre, le visage recouvert d’un masque protecteur en treillis pour effrayer nos adversaires. Nous perdions à chaque fois mais Robert affirmait que nous manquions de punch.

Cécile Belhomme plaisait beaucoup au jeune homme que j’étais. Je ne comprenais pas son mari. Si elle avait été ma femme, elle n’aurait pas eu à chercher ailleurs. Pauvre cocu !

Ils étaient mariés depuis près de quinze ans. Edouard avait hérité du magasin de ses parents à la suite d’un accident qui leur avait couté la vie. A partir d’un magasin vieillot, Cécile avait su construire une affaire bien achalandée dont ils vivaient largement tous les deux. Leur seule frustration, c’est qu’ils n’avaient pas eu d’enfant.

Edouard était le fils d’un commerçant établi, Cécile, en l’épousant, avait gravi un échelon de l’échelle sociale. En province cela compte. Elle n’était que la fille d’un contremaître de l’usine métallurgique du bas de la ville. De l’usine dont le fils du propriétaire avait été le condisciple d’Edouard si bien que depuis leur mariage il faisait partie des relations du couple Belhomme. Il appelait Cécile par son prénom et Cécile lui disait Pierre.

Edouard était très amoureux de sa femme. Qu’elle plaise à d’autres ne le gênait pas. Au contraire. Son amour pour Cécile n’en était que plus grand. Même ses amis, plutôt que d’en être jaloux, il les aimait davantage de la désirer. N’était-il pas le seul à pouvoir mettre cette jolie femme dans son lit ?

Malheureusement, Edouard était cliniquement impuissant. Durant les premières années de leur mariage, cela ne l’empêchait pas de désirer Cécile et d’en jouir lorsqu’elle était nue. Quant à Cécile, elle avait fini par apaiser elle même les pulsions de son corps tant son mari était maladroit.

Malgré cette morsure qu’ils éprouvaient chaque nuit tous les deux, elle l’aimait profondément. Mais aucun d’entre eux ne trouvait les mots pour les confier à l’autre.  Qui sait ce qui lie deux êtres dont la relation ne répond pas à une logique qui, seule, paraît naturelle aux yeux de la plupart.

Lorsqu’elle l’avait épousé, elle s’était réjouie d’être enfin chez elle. Combien d’autres jeunes filles s’étaient-elles mariées pour cette seule raison. Il était séduisant à sa manière. Grand et maigre, un peu vouté comme le sont souvent les hommes grands et maigres, il avait les yeux d’un bleu transparent. Il ne cessait jamais de lui sourire.

Il l’avait rencontrée un soir dans une discothèque. Parmi d’autres filles, il n’avait plus regardé qu’elle. Peut-être qu’ils avaient bu un peu trop ? En sortant, il lui avait entouré les épaules. Il avait dit comme dans un roman de gare :

- Epousez-moi.

- Ce soir ?

- Non, demain.

Il l’avait ramenée, et le lendemain il s’était rendu chez elle. Il avait dit au père de Cécile qu’il voulait épouser sa fille, est-ce que son père serait d’accord ?

Il y avait longtemps que les fiançailles commençaient autrement. C’était probablement ce style, elle le trouvait distingué, qui l’avait émue. Jamais il ne s’était permis les gestes osés auxquels elle s’attendait inconsciemment. Il l’aimait pour elle-même, avait-elle pensé. Elle était vierge lorsqu’ils s’étaient mariés. Lui aussi.

Un jour qu’il s’était absenté pour se faire couper les cheveux, en rentrant plus tôt que prévu il avait vu que le représentant d’un fournisseur sortait du magasin après l’heure de fermeture. Et Cécile, les cheveux mal repeignés, le corsage mal refermé, le saluait de la main. Elle avait le visage en paix, pensa Edouard. En paix, c’est le mot qui s’était imposé à lui tandis qu’il la regardait, dissimulé derrière une camionnette rangée le long du trottoir d’en face.

Il rebroussa chemin. Il avait la gorge sèche. Il poussa la porte du café de Marcel où comme tous les soirs nous bavardions entre nous. Marcel venait de servir une tournée de bière. C’était celle d’Oscar qui faisait des études universitaires. Il voulait devenir médecin ou

 à défaut vétérinaire, c’était un bon métier disait son père. Oscar se voyait plutôt psychologue, il prétendait qu’il était doué pour juger du comportement des hommes et des femmes.

- Dommage que tu ne le sois pas sur le terrain. En face des joueurs du camp adverse. Nous ne serions pas dans le bas du classement.

La venue d’Edouard Belhomme nous avait surpris. Il s’était assis à une table proche  du comptoir. Il nous avait fait un signe de la tête.

-Ce sont des joueurs de hockey ? Je les ai déjà vus. Ils jouent sur le terrain contigu à celui du Tennis Club.

Il dit à Marcel de nous offrir un verre.

- J’aime les jeunes gens. Ils me rappellent mon jeune temps.

- Hip, hip, hip, hourrah !

Nous avons levé nos verres à sa santé.

Décidément, c’était un brave type.  

Nous le savions que ceux qui étaient cocus étaient toujours les derniers informés. Sa femme, il suffisait de la regarder pour comprendre qu’une aussi jolie femme ne pouvait que susciter le désir. Et souhaiter donner et prendre du plaisir. Il n’y a pas de justice en amour. Chacun doit veiller sur son bien. Les amis ne sont pas assez courageux pour révéler à un ami que sa femme le trompe. Qu’elle n’est qu’une putain qui trahit son serment. C’est que probablement, leur morale était assez élastique, ou bien c’est qu’ils étaient sur les rangs. 

Il est sorti du café, et il est rentré chez lui. Cécile l’attendait dans la cuisine.

- Il y avait du monde chez le coiffeur. J’ai du attendre.

Ils ont dîné, et ils sont montés se coucher. La télévision, ils ne la regardaient qu’en mangeant, à l’heure des informations. C’était toujours le même spectacle : des morts nombreux à l’étranger. Si le nombre de morts était réduit, un crime par exemple, c’est qu’il s’était produit près de chez nous. Le journal en donnerait davantage de détails. Le lendemain certes, mais on pouvait s’y attarder plus longtemps. Ou attendre le crime suivant.

Depuis plus de dix ans, Edouard ne touchait plus sa femme que très rarement. Il avait consulté un sexologue à l’étranger. L’incapacité d’avoir une érection, comme s’il n’était doté que du sexe d’un bébé, n’était qu’un de ses problèmes. Depuis plus de dix ans, il ne désirait sa femme qu’après un exercice mental laborieux. La caresser ne servait à rien. Au contraire. Certaines caresses le heurtaient. Elles lui paraissaient répugnantes, proches du viol. Même si Cécile se serait prêtée à tout pour le satisfaire.

Ils n’étaient heureux ni l’un ni l’autre mais ils s’aimaient. C’est quoi l’amour, pensait-il ?

Une fin d’après-midi, peu de temps avant l’heure de fermeture du magasin, il vit à travers la vitrine de l’étalage que le représentant d’une firme de soutien-gorge exposait encore sa collection à Cécile. Elle l’écoutait, le regard absent, les joues rouges. Elle avait une main sur la poitrine.

Edouard fit demi-tour. Il ne revint qu’une heure plus tard. Cécile ne lui demanda pas ce qu’il avait fait. Ils bavardèrent assez longtemps après avoir dîné, cela ne leur était plus arrivé depuis longtemps.

 Depuis, il s’efforça d’être absent de chez lui lorsque devait se présenter un représentant. Soit en prolongeant le temps qu’il consacrait à des activités extérieures, soit en allant boire un verre chez Marcel.

Lorsque ceux qu’il nommait les jeunes y  jouaient aux cartes, il regardait par-dessus l’épaule de l’un ou de l’autre.

Si l’un des joueurs levait un regard interrogateur vers lui, il tendait la main dans un geste de refus.

- Les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Il offrait une tournée.

Nous nous étions habitués à lui. Il nous était de plus en plus sympathique et, de plus en plus, nous le plaignions. Robert était le plus véhément. Un jour, il avait tenté de séduire Cécile. Entré au magasin, il s’était fait montrer de petites culottes qu’il destinait à sa petite amie, avait-il dit.

- Vous ne voulez pas les essayer pour que je puisse juger ?

Il nous avait raconté qu’elle avait fait « sa fière », et qu’il était sorti.

- Pauvre type. Si j’avais voulu. Je trouve que c’est un scandale. Des femmes comme elles…

Oscar partageait son avis.

Le couple Belhomme était devenu l’objet de la plupart de nos conversations. Nous étions en plein drame et il ne s’agissait pas de télévision. Ni même de quoi faire la une de la page régionale du quotidien. Quoique, disait Oscar. Il s’agit de la dignité d’un homme, d’un homme que nous avions adopté.

-Il faudrait le lui dire, ça ferait un déclic.

- Il faudrait le lui montrer, là, ça ferait un déclic.

- Je vois déjà sa tête. Sa tête à elle.

- Avec son amant. En petite tenue, tous les deux.

- En petite tenue ? Pas de tenue du tout, oui.

Nous avons ri, et nous avons fait signe à Marcel.

- Encore une.

Le quatrième d’entre nous, celui qui sur le terrain était censé marquer les buts, c’était Jean Brillet, le fils du commissaire. C’est lui qui apporta le revolver.

- On ôtera les balles, hein ! C’est juste pour faire peur.

- On en laissera une. La roulette russe.

C’est moi qui l’avais dit. Je l’avais déjà répété à Oscar qui était mon ami: la vie, c’est une comédie. Mais, je raconte trop vite.

C’est le vendredi qu’elle recevait son amant. Vers sept heures. Edouard quittait le magasin à six heures vingt, il arrivait chez Marcel à six heures et demie et ne rentrait chez lui que vers huit heures. Il disait en faisant un signe à Marcel :

- En fin de semaine, il faut bien se défouler du stress de la semaine.

Du stress, si tu veux en avoir, rentre plutôt chez toi; pensions-nous. Nous avions découvert à cinq minutes près le jour et l’heure où la Cécile s’envoyait en l’air. Chaque jour de la semaine dès l’après-midi, l’un de nous venait chez Marcel et surveillait le magasin. Nous en parlions dès que nous étions réunis avant d’entamer notre partie de cartes. C’est ainsi qu’au bout de trois mois, nous connaissions tout des plaisirs de la dame. Et du malheur de notre ami.

Il faut croire que de la voir heureuse même si c’était un autre qui la comblait le rendait heureux. Quant à  Cécile, elle aimait Edouard à la manière dont on aime un frère. Bien plus encore, elle se serait tuée pour lui. Cette partie obscure de leur union était un ciment bien plus fort que les déclarations les plus emphatiques.    

C’était le jour et l’heure où Cécile cédait à son amant. Edouard était parmi nous. Chacun de nous, tour à tour, lui avait offert à boire sous différents prétextes

- Tu ne peux pas nous refuser ça.

Les yeux troublés, il était passablement ivre.

Je pensais comme mes copains qu’il fallait frapper un grand coup. Foutre aux deux amants qui ridiculisaient notre ami, et le symbole de l’amour, la frousse de leur vie.  

C’est Oscar qui s’écria :

- On te ramène.

- Non, pas encore. Je veux rester.

Oscar et moi, nous lui avons fait traverser la rue en lui tenant les bras. Les deux autres de nos amis nous regardaient à travers la vitrine, un verre de bière à la main. C’est moi qui ai ouvert la porte du magasin. Oscar a poussé Edouard.

Je ne sais plus qui, d’Oscar ou de moi, lui a glissé le revolver dans la main en disant :

- Sois un homme, Edouard.

J’ai refermé la porte derrière lui. Nous sommes restés sur le trottoir. Nous avons entendu le coup de feu. Nous sommes retournés chez Marcel.

Une heure plus tard, nous avons appris qu’Edouard avait glissé le canon du revolver dans sa bouche.

 

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Une famille honorable

 Les Bertrand étaient une famille qui exploitait une entreprise spécialisée dans la vente de semences. Henri Bertrand en était le propriétaire. Il était le mari de Fernande qui  s’occupait du ménage. Julien, son fils, avait fait des études agronomiques et le secondait. Et il y avait Cécile, la jeune épouse de Julien. Ils étaient mariés depuis un an à peine.  

Les Bertrand occupaient à la lisière de la ville une maison spacieuse dont la pièce du rez-de-chaussée servait à la fois de hall d’entrée et de salle à manger. Située près de la cuisine, c’était une pièce large et longue dont une partie était destinée aux repas autour d’une grande table de couvent et une autre qui était vouée au repos ou aux conversations intimes devant l’âtre haut de plus d’un mètre. Un large escalier de bois, à droite, menait à une mezzanine sur laquelle s’ouvraient quatre chambres destinées aux enfants. Au fond du hall, derrière une lourde porte, se trouvait la chambre  d’Henri et de son épouse.

Lorsqu’il avait modifié  la maison héritée de ses parents, Henri avait songé qu’il serait un jour un patriarche entouré de fils, de leurs épouses, et de leurs enfants. C’est ainsi que se créent les dynasties. Des voisins l’avaient surnommée : le château. Il n’en était pas heurté. Au contraire.

L’histoire avait commencé à la mort de Fernande. Agée de cinquante huit ans, Fernande avait succombé à un arrêt du cœur. Henri en avait soixante. C’était un bel homme haut d’un mètre quatre-vingt au torse puissant, au visage régulier. Seul le nez légèrement tordu à la suite d’une intervention médicale durant l’adolescence attirait le regard, on eut dit le nez d’un boxeur.

Lorsque Fernande vivait encore et qu’ils étaient à table tous les quatre, Henri regardait souvent Cécile. Fernande faisait semblant de ne rien remarquer, elle savait que son mari était sensible à la beauté des femmes.

Cécile avait conscience de la manière dont son beau-père, au même titre que la plupart des hommes qui fréquentaient les Bertrand, la regardait. Ils regardaient sa poitrine et ses hanches. Il se dégageait d’elle une séduction singulière dont finalement, pensait-elle, seul Julien son mari se souciait trop peu.

Quant à Cécile, le regard des hommes la troublait. Sous le regard qui la déshabillait et qu’ils accompagnaient d’un sourire faussement amical, elle imaginait ce à quoi ils pensaient. Ce qui la troublait, c’est que ça lui était agréable. Quand elle se déplaçait, la raideur qu’elle manifestait, elle le savait, attirait plus encore le regard sur ses hanches. C’était comme une caresse continue dont elle aurait voulu transmettre la chaleur à Julien. Hélas, elle ne provoquait chez lui que des élans rapides qui la laissaient sur sa faim.

- Vous prendrez la chambre du bas.

Après la mort de Fernande, Henri avait réfléchi. A quoi bon conserver la grande chambre et ce lit tellement large qu’un couple pouvait y dormir sans risque de se toucher par inadvertance.

- Et toi ?

Julien avait répondu sans beaucoup de conviction. Il n’imaginait pas que son père puisse avoir une autre compagne dans l’avenir. Dès lors, il pensait que c’était à lui qu’incombait désormais la responsabilité de la famille, et que la chambre du bas en était le symbole. Chaque chose a sa place toute désignée. Les choses de la vie, elles aussi, se déroulent selon un certain ordre.

Ils étaient accoudés à table.  Cécile dit :

- Vous serez mieux dans la grande chambre.

Henri pensait en la regardant : dans le grand lit.

Au bout d’un moment, Henri se leva pour se rendre au café où il avait repris ses habitudes de jeune homme. Durant ce temps ses enfants auraient le loisir de déménager de chambre.

Lorsqu’ Henri rentra, un peu ivre, il ferma doucement la porte d’entrée pour éviter de les réveiller. Il était content de ne rien entendre. C’est qu’il ne se passait rien, se dit-il. Si ça avait été moi, il se serait passé quelque chose.

Ils lui avaient aménagé la première des quatre chambres, celle qui se trouvait en face de l’escalier, celle qui eut été celle de son premier petit fils. Il se serait appelé Henri. Comme lui et son père. Un prénom de famille en quelque sorte.

Cécile avait posé un vase garni de fleurs sur la table où il allait déposer son portefeuille et sa montre. Peut être d’autres objets qu’un homme sort de sa poche avant d’ôter son pantalon.     

C’était l’été. Un été exceptionnellement chaud comme il ne s’en produit qu’un petit nombre durant un siècle. Henri n’était pas superstitieux  mais peut être que c’était un signe en effet.

Il éprouva une curieuse sensation en descendant, le lendemain matin. Est-ce qu’il était chez lui ? Peut être avait-il eu tort. Julien et Cécile étaient en train de déjeuner mais son assiette était à sa place habituelle.

Chacun d’eux portait une tenue légère. A travers la blouse de Cécile, on devinait les seins. Fernande aurait exigé une blouse moins transparente. Elle aurait dit :

- Ce n’est pas vous que les clients viennent voir.

Ce n’est pas sûr, pensait Henri. Julien aurait dit ce qu’aurait dit sa mère. Il le pensait vraisemblablement mais il n’osait pas le dire.

Ce jour là, Julien devait se rendre à une Foire agricole, on y présentait de nouvelles semences.

- Je reviendrai demain dans l’après-midi.

- Je croyais que tu reviendrais ce soir ?

Pendant que Cécile débarrassait la table, Julien était entré dans la  grande chambre pour faire sa valise. Il aimait cette chambre qui désormais était la sienne. Elle était le centre de la vie de cette famille dont il était l’avenir. Son père avait raison : une dynastie se crée et se perpétue dans la tête de ses membres.       

Henri était sorti. Il regardait le ciel. Temps d’orage ? Il aimait cette sensation dont la chaleur était la cause. Cette mollesse dans les muscles. Le temps des heures a des durées qui varient selon le climat, c’était une réflexion idiote quand on l’exprime mais elle était juste, pensait-il.

Il s’étendrait cette nuit, les jambes écartées, et dormirait tout nu. Et Cécile. Dormirait-elle toute nue ?

Il entendit la voiture de Julien qui partait. Il devait avoir chaud lui aussi. Il lui fit un signe de la main. Cécile revenait du garage, c’est là qu’elle avait embrassé Julien. Elle avait besoin de toucher ceux qu’elle aimait. Elle s’était serrée contre Julien.

- Reviens vite.

La chaleur l’accablait. Elle avait une conscience presque physique du regard d’Henri sur ses hanches. Sans raison, avant de rentrer, elle resta un moment immobile sur le seuil. Après le déjeuner Henri avait dit qu’il avait des courses à faire en ville.

- Vous reviendrez pour le dîner ?

- Oui. Fais quelque chose de léger.

Elle dit qu’elle ferait une salade.

- Tu as raison. Par ce temps une salade conviendra parfaitement.

Ce n’étaient que des banalités. Est-ce qu’il est nécessaire de parler simplement parce qu’on a peur de se taire ? On en dit peut être davantage encore.

Il ne revint que dans la soirée. Cécile l’avait attendu et ils dînèrent sans dire un mot sinon :

- merci, vous en voulez encore, père ?

Il avait toujours trouvé ce mot ridicule dans la bouche de Cécile.

Il n’était pas son père.

- Je vais me coucher, je ne sais pas pourquoi mais je suis fatiguée, ce soir.

Elle se leva et, sans desservir, elle se dirigea vers la grande chambre, celle qu’Henri avait occupée si longtemps. Elle avait rabattu la porte mais elle ne l’avait pas fermée. Il avait suffi à Henri de la pousser pour entrer.

Quelques jours plus tard, un matin, deux gendarmes frappèrent à la porte. En quittant le café, on supposa qu’il avait trop  bu, Henri s’était encastré dans un arbre. Il était mort sur le coup.

 

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Bonheur,

Bonheur,

Chorégraphie de fleurs,

d'arborescences,

divine et silencieuse,

confondue au bleu, au vert,

de la terre toute entière,

équilibre parfait ;

velour de fond,

faisant naître dans mes yeux,

à tout le reste insoumis,

un pétillement, un chant !

Ballet phosphorescent,

nocturne et chaud,

d'une infinité d'ailes,

papillonnantes et bleues,

aérantes pour mes yeux,

déboussolés et nus,

clos depuis trop longtemps ;

chagrin de vous.

ça et là,

les fleurs, les arbres,

avec grâce et générosité,

miment, la symphonie d'un Grand,

dans le ciel se taisant ;

juste un immense murmure,

orchestré par la nature ;

Mon bonheur est si fort,

qu'il me semble,

en être devenue une note !

Bonheur absolu.

 

 

 

 

 

 

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Souvenirs d'un vieillard

 

Se souvenir, c’est une activité de vieillard.

J’imagine que c’est pour prouver qu’ils ont vécu que les plus âgés d’entre nous sont incités à se souvenir. J’ai connu une femme qui les relatait avec beaucoup de précision, et qui les datait dans l’ordre duquel les faits évoqués s’étaient déroulés.

Ils étaient si nombreux et si détaillés qu’on pouvait croire qu’elle avait vécu deux fois. Ou alors c’est que certains d’entre eux, elle les avait vécus en même temps.

Et moi ? N’ais-je connu que des choses agréables ? C’est impossible, je le sais. Mais les choses qui ne l’étaient pas je n’ai jamais désespéré ni de les surmonter ni d’en connaitre d’autres plus heureuses. Ou alors c’est que j’ai beaucoup oublié.

Parfois je me pose la question : et si je suis heureux tout simplement parce que j’existe ? Pourtant ce n’est pas vivre que de seulement exister. La plupart des penseurs le prétendent depuis la plus lointaine antiquité. Ce qui m’a toujours surpris, c’est que leur visage exprime de la tristesse.

Les souvenirs sont souvent identiques chez la plupart d’entre nous. C’est affaire d’imagination je suppose ou d’obsession.

Les miens évoquent toujours les femmes que j’ai aimées ou celles qui m’ont aimé. J’ai de la chance, j’ai toujours été aimé des femmes.

La première dont je me souvienne était la fille du docteur Adam dont le domicile se trouvait en face du nôtre. Nous nous connaissions depuis l’âge de douze ans mais notre premier baiser nous l’avons échangé à l’âge de seize ans dans le parc qui se trouve à côté de la gare des chemins de fer. C’est là que se rejoignaient les jeunes gens. Les sentiers y étaient étroits et sinueux. Peu de temps plus tard nous avons cessé d’être amoureux l’un de l’autre. Je voulais la caresser mais j’avais peur des aspects obscènes de l’amour Finalement, elle aurait probablement été heureuse si j’avais eu le courage de la bousculer comme j’avais deviné que le faisaient certains couples dissimulés dans les broussailles. Trop respecter une femme, je le sais aujourd’hui, c’est la décevoir.  

Un autre souvenir date de plus tard. Une jeune espagnole m’avait entraînée le long du fleuve et elle avait glissé la main dans mon pantalon. Hélas, j’avais joui presque tout de suite de sorte que depuis elle sortait avec le fils du marchand de meuble, une sorte de rustre qui se vantait de ses conquêtes.

La seule femme à laquelle je n’associe pas les gestes de l’amour physique, c’est ma femme. L’épouse avec laquelle j’ai vécu plus de vingt ans avant qu’elle ne meure.

Puis, j’ai rencontré cette amie qui relate aujourd’hui  ses souvenirs si méticuleusement. Ils sont tous attachés aux amours qu’elle a connus. Je me demande si elle leur attribue des notes ou des points ?

Souvent les vieillards trient les photos qu’ils avaient entassées sans beaucoup d’ordre dans des boites à chaussures.

Cette amie était à cette époque une femme à qui les jeux du sexe étaient nécessaires. Question de culture, disait-elle.

Nous avons comparé nos souvenirs.

C’est drôle, elle et moi n’avions que deux souvenirs en commun. Le premier datait des premiers jours de notre rencontre. Le second de la dernière nuit. Je m’en souviens parfaitement, au petit déjeuner elle a tenu à me beurrer mes tartines.

Le temps a fait son œuvre comme on dit. Ou l’âge.

 C’est quoi les souvenirs d’un vieillard ? Je le saurai un jour, je suppose.

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Un amour d'occasion.



Lorsqu’elle est venue chez moi, elle savait que nous ferions l’amour ce jour-là. C’était un dimanche après-midi. Elle est revenue le lendemain et depuis nous avions pris l’habitude de nous retrouver tous les lundis.
Au début de ce qui allait devenir notre liaison je ne l’attendais pas à proprement parler. Je savais seulement qu’elle viendrait. Parfois à trois heures, parfois plus tard, selon un emploi du temps qu’elle répartissait minutieusement avant de quitter son domicile.
Quant à moi, sa venue faisait partie des évènements ordinaires qui faisaient la substance de ma vie quotidienne d’alors. A cette époque, ma femme était morte depuis près d’un an, tous les évènements avaient la même coloration, celle de certains films muets à la technique imparfaite où toutes les images se suivent sans que l’une plus que l’autre ne retienne l’attention.
Avant de venir elle téléphonait. Elle disait :
- C’est moi. Tu es libre ? Je serai chez toi dans un quart d’heure.
J’étais toujours libre. Et elle était toujours chez moi un quart d’heure plus tard.
Nous nous mettions au lit dès qu’elle arrivait. Ensuite je me rhabillais rapidement tandis qu’elle se rendait dans la salle de bain.
- Tu ne m’as jamais demandé si je me sentais bien, m’a-t-elle demandé un jour. C’est comme si tu faisais l’amour tout seul.
Elle avait raison. J’apaisais une soudaine tension de mon corps mais j’aurais pu tout aussi bien m’en passer. Ou le faire avec une autre. Avec elle, c’est vrai, c’était mieux : je ne sortais pas de chez moi, je ne sortais pas de moi-même.
Un jour, son mari lui avait téléphoné, elle ne savait d’où, et ce détail l’avait longtemps préoccupé comme s’il pouvait expliquer quelque chose de plus, il lui avait dit : je pars, et elle avait compris aussitôt qu’il se séparait d’elle. Peut-être que l’intuition féminine, c’est de s’attendre toujours au pire ?
C’était une jolie femme riante et sensuelle, elle aimait plaire et elle excitait les regards et les corps. Peut-être que le regard des hommes lui donnait le sentiment d’exister ?
A partir de ce jour-là cependant ses joues si pleines et si lisses se creusèrent. Regarde, disait-elle, j’ai des rides là. Elle montrait de petites striures à chaque extrémité de sa bouche. Elle souriait et elle les frottait lentement comme pour les effacer.
Elle aurait dû rester, ce soir-là. Lorsqu’elle est partie je me suis senti seul pour la première fois, et sur le lit encore défait c’est son odeur que j’ai cherché. Pour en retenir la chaleur, j’ai posé la main sur l’endroit que son corps avait occupé.
- Tu m’aimes ?
Lorsqu’elle m’a posé la question je suis resté silencieux. Je ne savais pas ce qu’il fallait répondre, je suppose que c’est parce-que je ne l’aimais pas d’amour. Mais est-ce qu’on sait ce que c’est que l’amour ?
J’aimais sa présence, je lui étais reconnaissant d’être auprès de moi mais je ne m’étais jamais demandé si je faisais partie de sa vie et de sa mémoire. Je pensais que j’étais le prolongement de sa main nocturne et de son sexe : une caresse plus puissante qui dessinait son corps, lui donnait son volume et, par la grâce d’une fabuleuse maternité, le faisait accoucher de lui-même à chaque fois que nous faisions l’amour.
Désormais, elle venait aussi le dimanche et elle restait de plus en plus tard. Avant de venir, elle me téléphonait pour me dire qu’elle avait pu se libérer ou, quand elle ne venait pas, pour me dire qu’elle n’avait pas pu le faire. Le soir, elle téléphonait pour dire qu’elle était bien rentrée ou pour savoir ce que j’avais fait de ce dimanche sans elle ?
Je répondais : rien, parce qu’il ne se passait rien lorsqu’elle ne venait pas.
Les autres jours de la semaine, ceux où elle ne venait pas, elle téléphonait aussi. Parfois le soir, parfois déjà à midi. Il se passait toujours quelque chose qu’elle devait me raconter sans attendre. Par l’intermédiaire du téléphone je partageais sa vie. Je le dis avec une sorte de dérision mais désormais tous les jours de la semaine portaient son nom.
Nous nous retrouvions presque tous les jours. Sous n’importe quel prétexte, je me rendais chez elle. A l’exception du lundi et du dimanche où c’est elle, toujours, qui venait chez moi.
Généralement, j’arrivais vers midi, elle avait préparé de quoi déjeuner et nous mangions ensemble.
Nous parlions de choses et d’autres, de ce qui se passait en ville, de ce que l’un ou l’autre avait fait ou avait dit, en somme de ces banalités qu’engendre la vie de la plupart des couples. A la fin du repas, elle rangeait la vaisselle et, en se tournant vers moi, elle disait :
- Tu viens !
Je la suivais en lui tenant la main ou en posant la mienne sur sa hanche. La chambre se trouvait à l’étage. Après avoir soulevé le couvre-lit, elle allait se déshabiller dans la salle de bain pendant que je disposais soigneusement mes vêtements sur un siège. Puis je m’étendais sur le lit.
Quelques instants plus tard, elle apparaissait nue, une serviette à la main, et sans dire un mot elle se glissait sous les draps. Nous faisions l’amour avec ardeur mais sans émotion.
J’éprouvais le sentiment d’être l’objet d’une étrange distorsion du temps. La semaine se divisait, et ma vie avec elle, en deux parties distinctes. L’une m’intégrait peu à peu, ordinaire et paisible, dans sa vie quotidienne mais je me demandais en la quittant si je l’aimais d’amour; l’autre dans l’isolement de ma maison se déployait dans la fièvre et le malaise
Nous restions au lit de plus en plus longtemps. Même après nous être aimés nous attendions à nouveau cette faim qui venait de nos ventres, et s’il nous arrivait de nous lever, nous nous couvrions à peine; nos corps, comme s’ils étaient devenus notre sexe commun étaient l’objet douloureux de notre attente. Et la nuit, après son départ, j’avais envie d’elle encore. Mais je me demandais toujours si je l’aimais d’amour ?
Ce qu’elle a qualifié plus tard de notre liaison durait depuis près de six mois. Un jour elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle ne savait pas à quelle heure elle viendrait, et qu’il se pouvait qu’elle ne vienne pas du tout.
- Tu n’auras qu’à téléphoner.
Elle ne savait pas, a-t-elle dit, si elle pourrait me téléphoner pour me dire s’il fallait que je l’attende ou non. J’ai répondu que ça n’avait pas d’importance, que nous nous verrions le lendemain, mais ma voix s’était faite véhémente et je répétais qu’on pouvait toujours trouver le temps de téléphoner.
- Je te dis que je ne sais pas si je pourrai le faire. D’ailleurs, je t’en ai parlé.
- Mais pourquoi ?
Il me semblait soudain que cette question était la question capitale de ma vie.
- Pourquoi ? Pourquoi ?
J’étais sûr qu’elle hésitait et que si j’insistais, elle ne pourrait pas résister.
- En tout cas, je t’attendrai.
Je l’ai attendue comme je l’attendais tous les lundis. Mais je savais qu’elle ne viendrait pas. J’étais accoudé à la table de la cuisine, la porte du bureau était ouverte, c’est là que se trouve le téléphone.
En réalité, je ne m’attendais pas à ce qu’il sonne et j’aurais pu tout aussi bien fermer la porte mais ce soir-là il était une partie de moi-même, et il m’était aussi nécessaire que chacun de mes membres pour m’aider à résister à cette étrange sensation que j’avais de ne plus exister.
De quoi donc m’avait-t-elle parlé à quoi je n’avais pas prêté suffisamment d’attention? Pourtant, elle me racontait tout dans les moindres détails. Même si son récit n’avait jamais de continuité apparente, souvent en l’écoutant j’avais l’impression de l’avoir accompagnée toute la journée jusqu’au moment où elle sonnait à ma porte.
Je ne parvenais pas à m’en souvenir. Pourtant, je le vois bien aujourd’hui, tout était important de ce qu’elle me disait. Elle a dû me dire, mais je ne l’avais pas entendue, que l’incohérence est l’ordre de la vie.

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La meilleure façon d'agir

Propos

 

Dans de nombreuses circonstances, on ne sait pas comment agir.

Faut-il parler ou mieux, se taire? Poser un geste ou ne rien faire?

Survient un deuil, je suis muette, je privilégie le silence.

 

Douze années de barreau m'ont rendue méfiante et certainement très prudente. Je me tiens sur mes gardes or demeure coléreuse.

Quand il faudrait bien réfléchir, parfois on n'en a pas le temps.

 

Répliquer véhémentement ne m'apaise que rarement. Après une grosse colère, je demeure songeuse, inactive, et pour un temps sans appétit. Quelle est donc la façon d'agir qui aurait été la meilleure?

Ce jour, je suis à méditer. Faut-il recourir au mépris quand on s'est senti agressé? Cette option veut que l'on soit sage et sachant relativiser.

 

J'ai pour voisin un jeune couple absolument désagréable, et bien souvent insupportable.

Devrais-je endurer l'irrespect?

 

J'en arrive à la conclusion que la colère nuit à celui qui l'accueille. Se sachant fragile, on devrait s'empresser de changer de lieu. La nature resplendissante permet à l'esprit au repos, deprendre le temps qu'il faut pour chercher intelligemment.

 

Dans le silence et l'harmonie la tendresse refait son nid.

16 juin 2014

 

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Au-delà de l'écume blanche de ton royaume,
mes yeux se nourrissent de reflets flavescents fugaces
où l'ombre de ma poésie suspendue au voile
de mes larmes s'étire du fond des ondes.
Sur la toile de mon jardin de rêve, les mots s'accrochent
en note de cristal et se délaient lentement sur le filament
laiteux de ce paradis perdu où je me laisse fondre.
Ô monde nitide, alors que mon corps s'alanguit,
que mes pupilles se dilatent, que ma bouche respire
les teintes cinabrines du désir, dans le diptyque
de mes chimères, ton tableau de volupté
comble le vide de mes entrailles
avant que je ne défaille.

Nom d'auteur Sonia Gallet
recueil © 2014.

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La mort d'Adrienne

    

Quand commence-t-on à mourir? Cela dépend. Il y en a qui meurent plusieurs fois avant de mourir pour de vrai. Naturellement, ce n'est pas bien.  Il devrait y avoir un signe.

Adrienne haussa les épaules. De plus en plus souvent, elle se faisait des réflexions saugrenues.

Parfois cependant, il s'agissait de choses sérieuses. Qui nierait que de se préoccuper de sa notice nécrologique ne soit pas sérieux? Certes, si vous mourrez longtemps après  ceux des membres de votre génération, il risque de ne plus rester grand monde à qui votre nom dira quelque chose. D'autant que, et c'est un fait qu'on pourrait  qualifier de "société", les jeunes ne s'intéressent que très peu à la page nécrologique des journaux. Ni aux vieillards. Les  jeunes prétendent que les vieux sentent ‘le vieux’.  

Ils se ruent directement sur la page sportive.

Quant aux journaux, ils ne s'intéressent à la nécrologie que par cupidité. Ils la relèguent à la fin du journal, avant l'article qui relate la victoire d'un club de football. A la page nécrologique, on pleure ou, en tout cas, on compatit. A la page suivante, on se réjouit. C'est indécent.

La notice nécrologique a autant d'intérêt que le défunt lui-même. C'est le seul texte, si on le rédige soi-même, où on peut dire de soi tout le bien qu'on en pense. Discrètement, bien sûr. Il y des règles à observer. Un vocabulaire spécifique qu'on intègre à force d'en lire. Ce qui est drôle, quand on doit la rédiger soi-même, - imaginons qu'on est le seul survivant de la famille et qu'on refuse qu'un étranger en soit le rédacteur,- c'est qu'il faut penser à la date du décès qui doit figurer après que la date de la naissance a été précisée.

Adrienne Lenormand a l'honneur de vous annoncer le décès d'Adrienne Lenormand, dite Didi, née le 13/01/… à Farnière, décédée le…? Le lieu du décès, soit, on peut l'indiquer par avance, Adrienne qui peine à se déplacer dans son appartement risque peu de mourir ailleurs.

Quant à la date du décès, elle sait que c'est un faux problème. Elle sait que la notice sera rédigée par la préposée aux Pompes Funèbres qui connaitra fort bien la date du décès de sa cliente.

Pour Adrienne, c'est ainsi qu'elle se prénommait, la notice n'avait de sens que parce qu'elle l'obligeait à se souvenir. Se souvenir, c'était vivre une seconde fois et parfois, c'était vivre mieux que la première fois. De penser qu'elle pourrait souligner Adrienne Lenormand, dite " Didi " lui était particulièrement agréable. Didi, exprimait la partie la plus intime, la plus excitante de sa vie.

C'était d'abord l'amour que lui portaient les siens,  c'était ses amours de femme, c'était penser à ses amants. A ceux qu'elle avait eus dans son lit ou dans le leur. A ceux qu'elle regrettait de n'avoir pu les y mettre.

Ces souvenirs-là étaient les plus douloureux à évoquer.  On connait le scénario, on imagine les gestes, les mots, les sentiments, mais il y manque le sceau de l'authenticité.

L'appartement d'Adrienne était situé avenue Lebeau, au troisième étage d'une ancienne maison de maître. Trente ans plutôt, c'était ce que les agences immobilières définissaient " maison de standing ". Une concierge nettoyait les communs.

Aujourd'hui la conciergerie servait de remise à vélo pour les locataires du second étage, et de réserve pour le propriétaire du quatrième gauche. Il y entreposait des meubles dont, depuis quatre ans, il avait l'intention de se défaire au plus vite.

L'appartement, pour une personne seule, était grand. Trop peut être. Il était rempli de meubles dont chacun rappelait un évènement particulier ou un cohabitant différent. Adrienne avait été la compagne de deux veufs successifs dont elle aurait pu être la veuve si elle les avait épousés. Pour le reste, de leur vivant, elle avait connu d'autres hommes mais il ne s'agissait que d'amants passagers.

La femme d'ouvrage venait trois après-midi par semaine. Deux auraient suffi, Adrienne ne salissait pas beaucoup. Mais la troisième lui fournissait l'interlocutrice dont elle avait parfois besoin. Un visage qui secouait la tête pour approuver ou une voix qu'on devinait pleine d'intérêt.

- Non, c'est vrai, madame !

Le jour de son anniversaire, Adrienne eut soudain envie de retrouver  les noms de ceux qui l'avaient connue.

Elle prit le répertoire téléphonique, petit cimetière de cuir, où elle avait au fil du temps consigné des noms et des adresses. Ou, au contraire,  biffé le nom de ceux qui n'étaient plus. Parfois elle avait hésité. Était-il mort ou vivant ? Fallait-il raturer son nom ou pas encore ? Du coup, des gens décédés continuaient de vivre. Dans le répertoire d'Adrienne.

Adrienne avait été belle. Didi, de plus, avait eu du sex-appeal. Quand elle riait, même en toute innocence, les hommes auprès d'elles, l'auraient prise dans les bras. Mais cela ne se faisait plus depuis qu'ils étaient censés être des gens civilisés. Désormais, hormis dans les rêves érotiques, pour prendre une femme dans les bras, il y fallait une autorisation.

- Je regrette, il n'y a personne de ce nom ici. Quel numéro demandez-vous?

Deux fois, elle eut une réponse identique. Après s'être fait une tasse de café, elle décida de recommencer. Au téléphone, une voix avait une résonnance que n'avaient pas les voix intérieures. Il fallait s’obstiner.

Bingo. Quelqu’un l’avait reconnue dès les premiers mots.

- Je ne me trompe pas. Vous êtes Didi ? 

- Oui Jean. J'ai eu soudain envie d'avoir de vos nouvelles.

- Vous n'avez pas changé.

Il parlait sans doute de la voix d'Adrienne. Jean était veuf, il le dit dès le début de leur conversation. Il était heureux qu'elle l'ait appelé. Il n'avait plus beaucoup de rapport avec ses contemporains. Il leur aurait presque reproché d'être morts sans se soucier de lui.

Désormais quelqu’un se souciait d’Adrienne.

Chaque semaine, il posait la même question.

- Et vous Adrienne? Vous allez bien ?

Est-ce qu'il n'avait pas été son amant? Pourquoi disait-il : vous?  Elle eut un moment de réflexion. Bien sûr que Jean avait été son amant. Un amant passionné.

Durant les quinze jours de leur liaison, ils se parlèrent peu mais ils firent l'amour tous les jours. Parfois plusieurs fois par jour. Il n'était jamais repu. Ils le faisaient par téléphone lorsqu'il se trouvait à l'étranger.

Ils jouissaient en même temps. Le téléphone peut être un aphrodisiaque, Adrienne se souvenait de l'appel d'un amant, des mots de tendresse échangés, pendant qu'un autre se servait d'elle.

Jean était trop amoureux. C'est la raison pour laquelle elle avait rompu. Elle n'avait songé qu'à l'équilibre mental de Jean. Parfois, c'est lui porter beaucoup d'affection que de vouloir faire un ami de son amant. Hélas, peu d'hommes le comprennent.

- Tu vis seule?

- Oui.

- Tout à fait seule?

- Une femme de ménage vient trois fois par semaine. Elle fait mes courses.

La voix de Jean s'était faite plus ferme.

- Je viendrai te voir dès que je le pourrai. Pour le moment, j'ai quelques ennuis de santé. Je peux, dis?

- Oui.

- Je vais raccrocher. Ton numéro de téléphone n'a pas changé ?

Il toussait, et il avait raccroché.

Elle aurait raccroché elle-même. C'était trop d'émotions à la fois.

Le lendemain, il était quatre heures à peu près, elle était assise auprès du téléphone. Puisque c'est elle qui l'avait appelé la veille, elle pouvait très bien le faire aujourd'hui. Certaines timidités, certaines pudeurs, n'entrainent que des regrets. Elle résista à la tentation. Quand le téléphone sonna, ce fut une explosion de joie dans sa poitrine. Elle avait quinze ans, pas davantage, lorsqu'elle ressentit pour la première fois ce qu'elle ressentait avec tant de vigueur.

- C'est toi, Didi ?

Qui d'autre. Les hommes sont des enfants.

- Tu es sortie, aujourd'hui?

Ensuite il lui demanda si sa femme de ménage était venue. Ils parlèrent un peu de la pluie puis, avant de raccrocher,

- J'ai beaucoup pensé à toi, tu sais. Je t'appellerai demain. Ca ne te dérange pas, au moins.

Il y eut un silence. Aucun d'entre eux ne savait s'il devait attendre que l'autre raccrochât le premier. Ce fut Didi. Privilège de femme.

A quatre heures pile, le lendemain, le téléphone sonna. Durant trois semaines, à quatre heures, le téléphone sonnait. Une fois seulement, Adrienne qui venait de la salle de bains en trainant les pieds parut agacée. Mais quand elle saisit le cornet, l'agacement avait disparu.

- J'étais dans la cuisine.

-Tu te souviens de Bernard? J'ai retrouvé sa photo.

Un autre jour, il lui demanda ce qu'elle avait mangé. Elle le lui dit;  C'est elle qui raconta que deux ans auparavant, elle avait forcé Pierre à entreprendre une croisière sur le Nil.

- Ce devait être merveilleux. Vous avez vu les pyramides?

Pierre ne s'en était pas remis, un virus probablement. Il mourut deux mois plus tard.

Un autre jour encore, Jean évoqua le caractère amoureux de leur relation de jadis.

- Tu te souviens?

Elle se souvenait mais pas de lui seul. Ses amis, ses amants formaient une galerie d'hommes souriants à qui elle portait de la reconnaissance. Ils lui avaient fait la joie de l'aimer. Mais Jean avait le mérite de vivre, et de lui téléphoner tous les jours. Et d'occuper ses pensées durant le reste du jour.

- Tu es bête, se dit-elle. Tu ne vas pas me dire que tu deviens amoureuse de Jean dont tu ne sais même pas à quoi il ressemble.

Elle devenait amoureuse de Jean. Elle ne savait pas si elle souhaitait qu'il vienne la voir ou non. Voir la vieille femme au visage fripé qu'elle était devenue? Son corps déformé.

Si ce n'était pas de l'amour, qu'est-ce que c'était?  Son cerveau avait conservé toute sa vivacité. Et cette impatience qui la poussait à vouloir tout, tout de suite. Didi était là à nouveau.

Ce fut ainsi durant trois semaines. Ils parlaient de tout et de rien comme on dit. Plutôt de rien mais ce rien avait de l'importance même s'ils ne se souvenaient plus une heure plus tard de ce qu'ils s’étaient dits.

Lorsqu’ à quatre heures ce jour-là il n'y eut pas d'appel téléphonique, elle vérifia la tonalité de l'appareil. Le téléphone fonctionnait normalement. Jean était en retard.

Il n'y avait pas de raison de s'inquiéter et de l'appeler. Ni plus tard dans la soirée. S'il ne téléphonait pas, c'est qu'il y avait une raison qu'il lui expliquerait le lendemain.

Le lendemain il n'y eut pas d'appel non plus. Ni le surlendemain. Ce qu'on ignore n'est pas certain, pensa-t-elle. Adrienne avait grignoté, elle n'avait pas faim. Elle alla se coucher avant la fin de l'émission qu'elle suivait tous les soirs à la télévision. Cela avait été une triste journée. Il n'avait pas cessé de pleuvoir. On comprend qu'il y a des jours où on n'a pas envie de se lever. C'est ça: vieillir?

Il n'y eut personne à ses funérailles. A l'exception de sa femme de ménage. Il n'y eut pas d'annonce à la page nécrologique du journal. Elle avait omis de le demander lorsqu'elle avait choisi sa maison de pompes funèbres.

 

 

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12273023252?profile=originalMaja y torero, 1838.

Joaquin Dominguez Bécquer.

Séville as-tu du coeur ?

Je vous le prouverai sur l'heure.

On peut bien sûr estimer ce mouvement comme un avatar, un crépuscule, une queue de comète. Costumbrismo post-romantique.

Ces peintres comme des suiveurs, des faiseurs, des petits maîtres. Costumbristas.

Peut-être...

Mais, mieux que des peintres de genre, mineurs, ils reflètent un caractère. Enlevé, bouillant, brillant, andalou.

Après le siècle d'or de la peinture espagnole au XVIIe siècle et l'Ecole de Séville (cf "Luz andaluz 1."), faisons un saut dans le temps pour traiter du romantisme andalou avec la peinture andalouse du dix-neuvième siècle.

Curieusement, bien que non Andalou, Mariano Fortuny Marsal (1838-1874) peut être considéré comme le plus célèbre représentant du romantisme andalou. Maître du style "précieux", précis comme un miniaturiste, sa touche de lumière met en relief le miroitement d'un bijou, le chatoiement d'une étoffe, la moindre arabesque d'un élément architectural. Un grand souci du détail qui collait au goût de l'époque, un style, un genre qui lui valurent un succès international.

Citons aussi Antonio Muñoz Degrain (1840-1924), "le chantre de Grenade". José Garcia Ramos (1852-1912), considéré comme l'archétype du caractère andalou. Manuel Cabral Bejaramo (1814-1884), paysagiste délicat, ou Gonzalo Bilbao ((1860-1938), au style marqué par l'impressionnisme.
Mais concentrons-nous maintenant sur la découverte des styles romantique, "précieux" et "fin-de-siècle", que l'on qualifie aussi parfois de costumbrismo, spécifiques à l'Andalousie.

Et Séville, son foyer, son épicentre, son coeur battant.

Deux purs romantiques d'abord, José et Joaquin Dominguez Bécquer :

José Dominguez Bécquer (1805-1841) et sa "Giralda", très inspirée du peintre anglais David Roberts.

12273023294?profile=originalLa Giralda, vista desde la calle Placentines, 1836.

José Dominguez Bécquer.

Joaquin Dominguez Bécquer (1817-1879), frère du précédent, peintre au trait précis et exceptionnel coloriste.

12273023068?profile=originalCita de paseo, 1841.

Joaquin Dominguez Bécquer.

Si on ajoute que Valeriano Dominguez Bécquer (1833-1870), leur neveu, fut aussi un grand peintre costumbrista, et qu'un autre de leurs frères (ils furent huit), Gustavo Adolfo (1836-1870), fut poète et écrivain, jugé comme le fondateur du lyrisme espagnol moderne et inspira le grand compositeur Albéniz, on peut bien parler d'une famille de génies.

Mais poursuivons notre tour d'horizon avec :

Angel Maria Cortellini Hernandez (1819-1887), et cette scène de taverne.

12273023899?profile=originalNo mas vino, 1847.

Angel Maria Cortellini Hernandez.

Ou Rafael Benjumea (1825-1887)), pour une danse dans une auberge.

12273024858?profile=originalBaile en una venta, 1850.

Rafael Benjumea.

Et pour terminer, une singularité :

Alfred Dehodencq (1822-1882), un peintre français, mais oui, un "orientaliste" qui influença Renoir, pas moins !

12273024666?profile=originalUna confradia pasando por la calle Génova, Sevilla, 1851.

Alfred Dehodencq.

Alors tremblez, faites pénitence, car ce n'est pas fini !...

Michel Lansardière (texte et photos).

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Une histoire juive

 

Je me souviens que lorsque mon père, que Dieu ait son âme, rencontrait un juif, il lui posait la question « d’où vient un juif ? ». Peut-être qu’il voulait dire « comment va un juif ? ». Je ne connais pas le yiddish, peut être que je déforme ce qu’il disait.

Et moi, d’où est-ce que je viens ? C’est une longue histoire qui comme beaucoup d’histoires juives, commence en Pologne.

Radomsko se situe, un peu à gauche, à environ quinze kilomètres de Czestochowa. Benjamin Warchawski y était propriétaire d’une ferme, il possédait trois vaches et une douzaine de poules, il ne manquait ni d’œufs ni de lait. De profession, si on peut dire, il était prêteur. Banquier? Non hélas! Il ne prêtait que de petites sommes, sans garantie, à des gens qui pour une raison ou une autre, un mariage par exemple ou des funérailles, on sait que l’un ou l’autre coûte cher et qu’on ne peut pas toujours reporter l’évènement, il prêtait donc à des gens qui en avaient besoin. Usurier? C’est vrai qu’il ne prêtait qu’à des taux importants. Mais où était le bénéfice puisqu’il ne recouvrait jamais le moindre centime de l’argent qu’il prêtait.

Son coffre était bourré de créances de sorte qu’il vivait dans la crainte de ce qu’un des habitants du village, un de ses voisins,  ne mette le feu à la ferme pour effacer d’un seul coup ses dettes et celles de nombreux concitoyens de Benjamin. Ils ne seraient pas nombreux, il le savait aussi, ce n’était pas un homme qui se faisait beaucoup d’illusions sur la grandeur d’âme de ses frères humains, pour se passer les seaux d’eau destinés à éteindre l’incendie.

Tu vois, pensait-il, toi, tu leur prêtes de l’argent qu’ils n’ont pas l’intention de te rendre, et eux ils t’enverraient volontiers au diable. Par contre, ils saluent très bas le boucher, membre influent de la communauté, dont ils ne savent pas que c’est lui qui avance à l’usurier Warchawski  l’argent que celui-ci leur prête. Ce boucher, mais qui le leur dirait, qui ne comprend pas la faiblesse de Benjamin envers ses débiteurs. Ou alors, qu’il inscrive les sommes prêtées sous la rubrique  « œuvres de bienfaisance », disait-il avec ironie. Les hommes de justice, ça existe, non ? Et les règles doivent être respectées si on souhaite que la paix règne entre les hommes.

Benjamin, lui, ne faisait pas partie du comité de bienfaisance. Il n’était pas un notable au même titre que le boucher, le marchand de tissus, ou le meunier. Si les notables néanmoins le respectaient mais pas d’avantage que l’instituteur, c’est parce- qu’il savait écrire et qu’il y a des circonstances où un écrit est aussi important que la confiance procurée par une solennelle poignée de mains. En outre, il était discret et il ne demandait jamais rien à personne. Si bien que personne dans le village n’avait jamais dû lui refuser quelque chose, c’était un honnête homme.

Au plan matrimonial, il n’y avait rien à en dire non plus. Il en était à son second mariage parce que sa première épouse était morte peu après la naissance de leur fille. Sa première épouse et lui avaient vécu d’une façon très honorable et économe, on peut même dire qu’ils vivaient de rien. Les plus pauvres du village, aidés par la charité des gens biens de la communauté, mangeaient mieux qu’eux.

Il disait à sa femme: pense, ma petite colombe, les sacrifices que nous faisons aujourd’hui que nous sommes jeunes et en bonne santé, nous en retirerons les bénéfices quand nous seront vieux. Malheureusement, sa première épouse n’eut jamais la possibilité de juger si son raisonnement était juste ou non, elle mourût trop tôt.

En secondes noces,  il avait épousé une jeune veuve qui lui donna une fille, elle aussi. Comme il craignait d’être incapable de procréer des garçons et que l’éducation des enfants coûte cher avant qu’ils ne soient en mesure de rembourser, ils décidèrent de s’en tenir à ces deux filles. Par contre, si le bon dieu voulait bien qu’elles soient belles, le montant de la dot serait négociable. En fait, il avait raison. On racontait même- ce sont les temps modernes, paraît-il- que des jeunes gens se mariaient par amour.

Sa seconde épouse, elle se prénommait Fêla, était issue d’un bourg proche du village. Elle était la fille unique d’un relieur de livres aux doigts d’or dont la clientèle allait des membres de la synagogue aux autorités civiles de sa région, tant son talent était reconnu. De plus, il passait pour une sorte de sage que tout naturellement, tout le monde appelait : rabbi. Il ne disait jamais grand-chose mais il écoutait avec tant d’intérêt tandis que ses doigts lissaient la couverture d’un livre, que ses interlocuteurs, au bout d’un moment, avaient le sentiment d’avoir reçu une solution à leur problème.

Un jour, aux approches de Noël, un charroi considérable s’est arrêté à la porte de rabbi Jung. C’était le comte Potocki en personne qui venait lui demander son avis quant à un livre ancien qu’il se proposait d’offrir à l’Université de Cracovie. Personne n’a jamais su ce que le comte et le rabbi s’étaient dit mais l’entretien avait duré plus de trois heures, et le village entier s’était interrogé de nombreux jours. Est-ce qu’il faut trois heures pour parler d’un livre ? Quoique il en soit, les rues étaient restées illuminées jusque tard dans la nuit. On eut dit un tableau de Chagall, oui Monsieur !

Fêla était ma grand-mère maternelle, et la fille sans dot qu’elle eut de Benjamin Warschawski, Sarah, était ma mère. Il nous aurait été difficile de nier notre état de juif selon les critères allemands, trois générations. Il nous désignait autant que d’autres qui ne se posaient pas la question éminemment théologique quant à savoir qui a le droit de se dire juif, pour porter, durant la dernière guerre, l’étoile jaune bien en vue sur la poitrine, et du côté du cœur. Pourquoi du côté du cœur ?  Personne ne me l’avait expliqué mais j’avais dû faire comme si je le savais ou que d’autres plus savants le savaient et que c’était bien suffisant.

Et mon père, direz-vous ? Tout le monde a un père, personne ne peut le nier. Et il avait un père lui aussi, qui était mon grand-père à moi, tandis que le père de son père était son grand-père à lui, et ainsi de grand-père à grand-père, je m’arrête là pour ne pas compliquer les choses, on pourrait retracer toute l’histoire de ma famille jusqu’à celui qui, sur le Mont de Sion paraît-il, a transmis les Tables de la Loi au chef du peuple élu.

C’est sûr que s’il les avait transmises directement à son peuple, chacun de ses membres se les serait arrachées en pensant qu’elles devaient avoir de la valeur, plus en tout cas qu’elles n’en avaient en réalité.

Le nom de mon grand père était Salomon. Je connais son visage parce que j’ai longtemps conservé dans mon portefeuille une photo de lui. A l’époque de la photo, il était âgé, à vue de nez, si on peut parler de nez devant un juif, de soixante ans. Le visage rougeaud, une grosse moustache déjà blanche, barrait son visage. Mon père m’avait dit un jour que mon grand-père portait une casquette de cuir, chaussait des bottes de feutre comme la plupart des paysans du voisinage, et qu’il vendait, sur sa charrette à bras, des légumes et des fruits. Le commerce, pensait-il probablement, était la façon la plus certaine de s’enrichir, au moins de nourrir sa famille, hors le vol ou la loterie.

Il fréquentait la synagogue le samedi comme tout bon juif à l’époque mais pas plus souvent, c’était un libre penseur. Quant à son frère, l’oncle de mon père, il avait quitté la maison, s’était fâché avec sa mère pour pouvoir épouser la femme qu’il aimait. Ce qui n’était pas un crime, c’est vrai, mais cette femme, ma grand-mère se refusait de prononcer son nom, cette femme n’était pas juive. C’est dire que si on excepte ma grand-mère et son chignon, le milieu dans lequel mon père s’était développé n’était pas très orthodoxe. Et qu’il ne fallait pas s’étonner dès lors s’il portait une casquette de jeune voyou, et s’il n’allait pas à la synagogue du tout.

En 1917, il avait vingt-deux ans. C’était un homme de taille moyenne, à la corpulence maigre, au visage émacié. Les yeux profondément enfoncés dans les orbites donnaient à son regard une sévérité qu’il ne recherchait pas, mais par un phénomène assez courant, ceux qui l’écoutaient en le regardant étaient sensibles à ses arguments. Ils lui faisaient confiance malgré son jeune âge. Membre du syndicat des cordonniers, il intervenait si souvent en séance qu’on le considérait comme un de ses dirigeants. De plus, comme si l’activité syndicale ne lui suffisait pas, il s’était affilié au parti communiste. C’est dire, je le dis avec ironie, qu’il avait tout pour plaire à la communauté juive de Czestochowa qui ne manquait pas de partis politiques au point que chacun de ses membres pouvait, j’exagère un peu, se prétendre un leader politique et justifier aux yeux d’une femme pleine d’admiration ses absences du foyer.

1917, en Russie, après les sept jours qui ébranlèrent le monde, un groupe d’hommes probablement surpris de sa victoire avait pris le pouvoir, et prétendait le changer. Mon père, dans la mesure de ses moyens, voulait y contribuer.

C’est ce qu’ils faisaient à quelques-uns dans une arrière-salle de café où se tenaient les réunions syndicales et les meetings des autres partis juifs. Et parmi ces quelques uns, c’était prévisible, l’un d’eux était un indicateur de police.

Le pauvre devait enjoliver ses comptes-rendus pour mériter son salaire parce que les jeunes révolutionnaires dont mon père faisait partie ne risquaient pas de renverser le pouvoir. Comme on dit, les paroles s’envolent.

Et puis, après une certaine heure, qu’il pleuve ou qu’il vente, mon père prenait congé de tout le monde pour se rendre, devinez où ? Vous avez gagné. A Radomsko pour embrasser sa future fiancée.

Elle était belle, ma mère. Elle avait la taille de mon père, elle se tenait droite, la poitrine en avant. Elle avait des yeux noirs bordés de longs cils rehaussés de mascara, une bouche pulpeuse qu’elle soulignait de rouge, et elle portait des bottes qui n’étaient pas des bottes de paysan. Chemisier masculin et jupe qui s’arrêtait en-dessous du genou comme c’était la mode à Varsovie, elle devait plaire davantage qu’il n’est permis à une jeune fille de bonne famille dans une petite ville de province.

Elle avait été séduite par ce garçon qui parlait d’égal à égal avec des notables plus âgés que lui, et qui faisait quinze kilomètres à pieds, plus tard à vélo, pour venir lui parler de tout et de rien, au début en tout cas, et pour l’emmener danser lorsque Benjamin Warshawski y consentit. Rabbi Cohen consulté par Benjamin avait estimé que ce garçon de la ville, s’il ne faisait pas un bon juif dans le sens où l’entendaient certains, ferait probablement un bon époux. Hosannah ! Ils se marièrent le 15 novembre 1925.

Il est de tradition chez les juifs de donner au premier fils d’un couple le nom de son grand-père, s’il est mort, pour perpétuer sa mémoire. C’est la raison pour laquelle je m’appelle Salomon. En effet, Benjamin était le nom de mon grand-père maternel. Salomon, était celui de mon grand-père paternel, l’homme qui portait des bottes de paysan, une casquette de cuir que j’imagine, il n’ôtait que pour dormir, tant elle était enfoncée sur le front, et dont le visage tout ridé était barré d’une grosse moustache qu’il lissait soigneusement. Ma grand-mère maternelle, Léa, devait apprécier les hommes à l’aspect viril.

Salomon était marchand forain. Avec sa charrette à bras, il sillonnait les marchés de la ville pour vendre des légumes qu’il allait chercher la veille chez des fermiers de la campagne environnante. Et, chez chacun d’eux, c’était la coutume, il vidait un verre de vodka. Pas étonnant qu’il eut le nez si rouge. Ma grand-mère Léa l’avait épousé parce qu’il était bel homme vraisemblablement mais aussi parce que sa situation professionnelle en faisait un commerçant dont les affaires, en prospérant, pouvaient les aider à gravir les échelons de l’échelle sociale, et devenir des notables dont la place est réservée à la synagogue où elle se rendait régulièrement. Salomon aussi s’y rendait, mais aux grandes fêtes seulement.

Le frère de Salomon, l’oncle de mon père, Alexandre, n’y allait pas du tout.

Mon grand-père ne ressemblait pas au juif tel que certains l’imaginent. Il ressemblait aux hommes du voisinage avec lesquels il avait joué au ballon dans la rue lorsqu’il était enfant, et avec lesquels il recommençait de le faire après que, c’étaient des choses qui arrivaient, après qu’un accès de folie soudain avait dressé les goys contre les juifs de certains quartiers. Il fallait les excuser, c’était des polonais ! Mais il était fondamentalement juif. De ces juifs qui ne se posent pas de questions de nature métaphysique qui en auraient fait des rabbins ou des déracinés.

Alexandre, lui, ne frayait pas avec ses voisins polonais. Il ne frayait pas non plus avec les juifs de son quartier. Vêtu comme un bourgeois de Varsovie, tout ce qu’il gagnait était consacré à sa garde-robe. Il portait la cravate et le chapeau de feutre, et plutôt qu’une canadienne matelassée, il était vêtu d’un pardessus droit de couleur marine. Un vrai bourgeois. Plus encore : un de ces aristocrates polonais qui s’expriment en français et baisent la main des dames. Il paraît, mais personne ne parlait plus de lui après qu’il ait quitté la maison, il paraît qu’il était devenu courtier en assurances à Varsovie, et qu’il faisait des affaires jusqu’en Russie.

Mon grand père et lui s’étaient rencontrés à de nombreuses reprises, à l’insu de leurs parents. Alexandre voulait avoir des nouvelles de sa famille. Elles étaient mauvaises, sa mère qui ne supportait pas qu’on prononçât son nom, se dépérissait de ne plus le voir. Et plus encore après qu’un ami bien intentionné lui ait raconté qu’il avait épousé une jeune femme qui n’était pas juive. Et qu’ils avaient un fils. Un fils, vous entendez !

Qui devait-elle chérir le plus, la mère de mon grand père, son petit fils Louis, mon père, ou le fils de son fils Alexandre ? Il n’y a que dans les mélos du 19eme siècle, et dans l’Ancien Testament que le fils prodigue revient au chevet de sa mère à l’heure où elle s’éteint. Imaginez la joie qui illumine son visage, ce visage qui, un instant plus tard, sera son visa lorsqu’elle rencontrera le Très Haut ! La grand-mère de mon père n’a jamais revu Alexandre ni Bogdan, son petit-fils, qui à l’âge de trente ans, poursuivait déjà ce qui était censé devenir une belle carrière au sein de l’épiscopat polonais. Je dois être un des rares juifs dont la famille aurait pu s’honorer à la fois d’un rabbin et d’un futur archevêque.

Bogdan, je l’ai revu longtemps après la guerre. Il avait abandonné l’Eglise et, devenu médecin radiologue, il participait à Bruxelles à un colloque de radiologistes. C’était du temps où la Pologne était encore communiste. Aujourd’hui on peut le dire, il s’était arrangé pour emmener sa femme et son fils Martin parce qu’il avait l’intention de demander l’asile en Belgique, et de ne plus retourner en Pologne.

C’est à l’hôpital, mon père y séjournait parce qu’il avait un cancer, qu’il avait appris avec surprise qu’un des malades portait le même nom que le sien.

Mon père, lorsqu’il s’était présenté à lui, avait posé la question :

- Docteur, vous dites que votre père était de Czestochowa, dites-moi la vérité, vous êtes juif ? Quel est le nom de votre père ?

- Alexandre. Mais je ne suis pas juif.

- Alexandre, c’est le nom de mon oncle, c’est mon père qui me l’a dit. Vous êtes sûr que vous n’êtes pas juif ?

Pour en revenir à mon père, c’était arrivé quelques années après qu’il se soit marié. En 1927, un des membres du groupe dont il faisait partie, un indicateur de la police, avait été retrouvé pratiquement mort tant il avait été battu. Les soupçons tombèrent tout naturellement sur mon père et un de ses proches.

Un de ses amis d’enfance qui était devenu inspecteur de police, vint l’avertir.

- On sait bien que ce n’est pas toi. Mais tu ennuies beaucoup de gens, Louis. Si j’étais toi, je ne dormirais plus ici ce soir. Pareil pour ton copain.

Il haussa les épaules.

- Le monde est grand, Louis.

Le soir même, Louis prenait le train qui à travers l’Allemagne le conduirait en France, le pays des Droits de l’homme et de la Révolution tandis que son ami Léon prenait celui de la Russie des Soviets. Personne de sa famille n’eut jamais plus de nouvelles de Léon.

Mon père avait une sœur cadette, elle se nommait Ida. Il lui dit :

- En attendant qu’elle me rejoigne, prends soin de ma femme et de mon fils. Je les ferai venir dès que je pourrai.

Le mari d’Ida rêvait d’émigrer en Argentine. Elle aussi, du coup, rêvait de l’Amérique. C’est drôle, on dirait que tous les juifs, de gré ou de force, ne peuvent pas rester en place, ils rêvent toujours d’émigrer quelque part. Joseph, son mari, avait un oncle qui avait émigré de nombreuses années auparavant. En Pologne, il était tailleur et travaillait pour un entrepreneur de vêtements féminins. Aux Etats-Unis, il était devenu au bout d’un certain nombre d’années costumier de théâtre. On avait dit à Joseph que son oncle avait toujours été une sorte d’artiste. N’empêche, désormais il était un pur américain au même titre que des millions d’américains qui avaient émigré avant lui.

Joseph, c’est de l’Argentine qu’il rêvait, il y faisait toujours beau temps. Argentine, Etats-Unis, c’est toujours l’Amérique, non ? En tout cas, c’était loin de la Pologne, et des fièvres antisémites, ça c’est sûr. Mais les rêves ne se réalisent pas aussi rapidement qu’on le souhaiterait. Serait-ce encore des rêves, sinon ? Tout au plus des projets comme on s’en propose tous les jours que Dieu fait.

Alors qu’ils étaient mentalement préparés à partir, ils en avaient parlé à tous les membres de la famille au point que lorsqu’on parlait d’eux, on disait : « les américains », et qu’on s’adressait à eux comme à des experts dès il s’agissait de parler du continent éclairé par la Statue de la Liberté, Ida était tombée enceinte. Le départ naturellement fût reporté.

Elle eut une fille, Rachel, dont Joseph devint littéralement fou d’amour. Il n’aurait pas osé affronter les rigueurs de l’émigration avec ce bébé. Il fallait d’abord gagner de l’argent en suffisance pour payer un voyage convenable et, au début, faire face à des frais d’installation dont un homme seul peut se passer mais pas le père d’une petite fille. Bah, se disait Joseph, qu’est-ce que c’est que quelques années au début d’une longue vie. Dans sa famille on vivait vieux.

Tout compte fait, pensa mon père, je n’ai pas de chance, ceux qui veulent partir le feront tôt ou tard mais moi qui veux rester, je dois partir, peut-être pour toujours.

C’était une époque singulière. Déjà en 1933, et plus encore quelques années plus tard, les gens étaient inquiets, les juifs en particulier. Heureusement, disaient parfois les juifs de gauche, sans beaucoup de conviction, et les optimistes de nature, souvent c’était les mêmes, que l’Union Soviétique est notre voisine. Jamais, elle ne laisserait Hitler prendre une place trop importante en Europe. Sans parler de la France dont l’amour pour la Pologne remontait à Marie Walewska. D’ailleurs, tous les gens cultivés le répétaient, tout homme a deux patries : la sienne et la France. Fermez les bans.

Peut-être eût-il mieux valu qu’ils partent tous. Imaginez qu’un tapis volant les eût emmenés tous à la fois. Ou qu’ils fussent nés ailleurs. Beaucoup de juifs sont nés ailleurs qu’en Pologne, où est le mal ? Partir ? Partir où, et pourquoi ? Il eut fallu que le Très Haut leur eût susurré quelque secret à l’oreille. Ou que les juifs fussent aussi méfiants, aussi intelligents que leur réputation le proclamait. Et tout abandonner ? C’est facile pour des gens riches de tout abandonner, mais quand on n’a pas grand-chose, on y tient. Tout le monde sait ça.

Et puis, à l’étranger, comment étaient les gens ? Il est parfois difficile de  recevoir des étrangers chez soi, alors chez eux, pensez donc !

Plus jamais, nous n’avons eu de leurs nouvelles. Leurs cendres devaient s’être répandues sur les campagnes autour d’Auschwitz.

J’ai appris, il n’y a pas si longtemps, que d’autres personnes portent le même nom que le mien. Et qu’elles ne sont pas juives. Est-ce que par hasard, l’oncle de mon père, celui qui avait quitté le toit paternel pour épouser une non-juive aurait eu des descendants ? Qui ignorent qu’en réalité ils sont juifs ?

Ou, au contraire, est-ce nous qui ne sommes juifs que parce que un de nos ancêtres, le maudit !, tombé amoureux d’une Rebecca, s’est converti au judaïsme sans se soucier de ses descendants ?

 

 

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Carte postale pour vous, depuis le Pérou.

Après Lima (rassurez-vous, nous en étions déjà à plus de 600 km au moment du tremblement de terre dont on n'a pas dit un mot en Europe), nous voici bien au sud sur la Route des Incas, à plus de 1000 km cette fois...

Cette route suit la mythique Panaméricaine, qui longe du nord au sud le Pacifique depuis les confins de l'Alaska, jusqu'à la terre de feu.

Au Pérou, rares sont les voitures qui y circulent (sinon près des villes), mais nombreux sont les camions et les bus, puisque le réseau ferré est quasi inexistant sur les immenses distances à parcourir, au pied des Andes parfois toutes proches.

Nombreuses tombes et édifices religieux sur les bas-côtés dédiés aux accidentés de la route où les collisions et sorties de chaussée sont effroyables et extrêmement fréquentes, (nous en croisons beaucoup, notre chauffeur très expérimenté nous a déjà sauvé de deux, dont une évitée par miracle : celle de deux camions roulant de front, l'un doublant l'autre à fond de train, fonçant sur nous en descente dans des virages sans visibilité, comme si la vie ne pesait pas lourd ici, ...nous avons pu nous garer sur le bas-côté in-extrémis pour les laisser passer au bord d'un ravin vertigineux).

Distances désertiques, minérales, à travers des paysages sauvages, parfois lunaires, splendides, toujours grandioses, un autre monde que nous ne pouvons imaginer même dans nos plus vastes paysages alpins.

C'est par cet impressionnant et fabuleux itinéraire que commence notre voyage, la route légendaire (souvent sans parapet) des intrépides camionneurs d'Amérique du Sud aux véhicules colossaux, itinéraire d'où nous vous envoyons notre première carte postale du stage carnet de voyage sur la route des Incas.

Je voudrais dire que si ce type de stage n'était qu'un simple stage de formation ou d'application des carnets de voyages, ce serait déjà bien. Mais je souhaite que ce soit quelque chose de plus : une expérience de vie hors du commun, une aventure individuelle et de groupe, artistique, créative, humaine, fraternelle, authentique, loin des poncifs habituels, dans laquelle chacune, chacun, puisse réaliser un véritable rêve !

Nombreuses sont avec ces premiers temps forts les pages déjà très réussies, mais de cela nous en reparlerons bientôt, dès que j'aurai plus de temps pour en photographier d'autres extraits et vous mettre en ligne les billets correspondants, ce qui n'est pas toujours bien évident depuis les villages de la côte Pacifique d'Ica...

12273021267?profile=originalVoyez-vous les camions, tout petits en haut de la falaise plongeant vers le Pacifique ? ...Notre route ici.

12273021658?profile=originalAlice ne dessine pas le camion passant devant elle, mais des maisons colorées et les gens qui y vivent... Le "carnet de voyage" est une immersion à la fois active, créative, participative, au cœur du vivant !

12273021671?profile=originalCatherine et Rose-Marie ont quant à elles découvert le plus extraordinaire des touk-touks, son propriétaire étonné et admiratif observe l'évolution des dessins !

12273022097?profile=originalLe début du dessin de Catherine.

12273021499?profile=originalQuant à moi, je vous donne déjà une idée de la suite du voyage...

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C'est Modeste que je dessine, elle tisse un motif traditionnel de l'altiplano, en laine d'alpaga, et est originaire du village de Paucartambo...

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administrateur partenariats

Discours d'inauguration de l'exposition, expliquant les différentes facettes de l'événement

ainsi que la démarche poursuivie dans le partage et la mise en valeur des talents.

 Quelques photos des salles et des rencontres !

12273014273?profile=original12273014457?profile=original12273015071?profile=originalLe partenariat avec Sandra Dulier

12273015662?profile=originalLes partenariats avec Sandra Dulier pour "Quintessence de la légèreté"

et Joelle Diehl pour "L'arbre de vie"

nous ne les verrons plus.

12273015884?profile=originalLe partenariat " L'hiver" avec Rebecca Terniak.

12273016901?profile=originalLe partenariat "Luminescence" avec Khadija Elhamrani.

12273017854?profile=originalLes aquarelles réalisée avec mes amies Adyne Gohy et Jacqueline Nanson,

le groupe des peintres en plein air de Wallonie.

12273017893?profile=originalLes aquarelles inspirées des photos de Christian Michaux.

12273018671?profile=originalChristian Michaux et moi-même.

12273018875?profile=original12273019875?profile=original

12273020073?profile=originalMon neveu Alexandre ayant écrit son premier recueil de poèmes inspirés.

12273020671?profile=original

 

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La forte tête

C’est une forte tête.
Un têtu entêté
Qui tempête à tue-tête,
Ne fait que rouspéter.

Une tête de lard,
Un râleur, un soudard,
Un rustre qui s’exclame
Au nez des jolies dames.

Un homme sans façon
Qui lève les jupons
Oui Monsieur ! Bien tranquille,
Au milieu de la ville.

C’est un goujat perdu
Qui n’a pas de famille,
Pas de parents connus,
Un coureur de guenilles.

Un être au regard louche,
A l’habit farfelu,
Qui porte des babouches,
Parle seul dans la rue.

Qui plus est, c’est un sot.
Un voleur de gros mots,
Une sacrée fripouille,
Qui sur les murs gribouille.

Moi même je l’ai vu.
Enfin, presque aperçu.
Pensez que je l’évite,
Pourtant certains l’invitent.

Si, si, je vous le dis !
Grand bien vous en confonde.
Il parait... Dans le monde...
On le dit érudit.

Au bras d’une marquise,
Et semble-t-il exquise,
Il était mercredi
Au bal de la mairie.


C’est que les temps sont fous,
Si maintenant chez nous,
L’on convie à la fête,
Un Poète

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Pays d'enfance,

 

 

Un jardin,

sur une ombre blanche s'écrit,

irrésistiblement, sans bruit ;

juste un souffle du ciel.

Ma tête est ciel,

mon corps s'emplit,

tour à tour,

 d'orage ou de sérénité ;

ondée ou clarté,

 habite mon regard infini ;

ce monde en moi,

à la fois miniature et immense,

là, devant mes yeux,

à la terre toute entière,

adresse la plus majestueuse

des révérences,

en entonnant un chant,

par l'encre bleue nourri !

Réminiscence,

de mon enfance,

 l'alliance fidèlement portée ;

fraicheur et transparence,

d'une légère robe blanche,

sous les arbres séchant,

embaumant le soleil,

dans un pays si bleu,

celui de mes sept ans !

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