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Dialogue sur l'amitié

De l’amitié: dialogue entre Nietzsche et Montaigne

J’ai rêvé d’une rencontre quelque part hors du temps, entre la Saxe et le Périgord, entre le 16è et le 19è siècle…, entre Friedrich Nietzsche et Michel Eyquem, seigneur de Montaigne;;;

Montaigne- Ce qui m’emplirait de plaisir, c’est de goûter un verre de vin rouge délicat et de belle couleur; non, donnez m’en une pleine carafe, « je me défens de la tempérance comme j’ai fait autrefois de la volupté. Elle me tire trop en arrière, et jusqu’à la stupidité ». Monsieur N, m’accompagnerez-vous ?

Nietzsche- Non merci, pas de ces sortes de drogues, « agents de la corruption », pour moi, je veux juste un grand verre d’eau pure. Vous vouliez me voir, mon cher, c’est bien parce que c’est vous, que j’ai accepté de renoncer un moment à ma solitude… C’est pour parler de philosophie je suppose ?
…Ah, de l’amitié ? Et bien, d’accord parlons-en, parler beaucoup est un bon moyen de se dissimuler…

M- Je vous dirai d’abord que par amitié, je ne parle pas de toutes ces accointances et familiarités ordinaires qu’on noue suivant les circonstances, mais j’entends par ce mot le mélange de deux âmes pour n’en former plus qu’une…

N- Permettez, je vous interromps tout de suite. La camaraderie, d’accord, cela existe, mais la véritable amitié ! !?

M- Il est vrai que c’est la chose la plus rare à trouver au monde, mais j’ai eu le bonheur dans ma vie de connaître cette sorte d’union divine. Une bien belle amitié, ayant si tard commencé et qui n’a pu durer bien longtemps. Je pleure encore la perte de cet ami ; depuis sa mort il me semble n’exister plus qu’à demi.

N- Moi aussi j’ai cru connaître cela un moment, avec un grand compositeur pour qui j’ai éprouvé une vénération dévorante lorsque j’étais jeune homme. Il était l’homme selon mon cœur… Mais j’ai été cruellement déçu, je me suis rendu compte qu’il ne s’intéressait qu’à ce qui pouvait le servir dans son œuvre et ce que je prenais pour une profonde amitié s’est rompu, nous sommes devenus étrangers l’un à l’autre, « tels deux vaisseaux dont chacun a son but et sa route tracée ». J’en ressens encore une telle souffrance que depuis j’ai préféré m’éloigner des hommes.

M-Je crois vous comprendre. Une amitié doit être réciproque et elle doit aussi être tout à fait désintéressée. Dans l’amitié, il ne peut y avoir d’affaires ou de commerce sauf d’elle-même…Entre de vrais amis, il faut ignorer l’envie, ce tombeau des sentiments, ainsi que bannir les mots que sont obligations, prière ou reconnaissance…

N-Ah oui, j’ajoute qu’« une âme délicate est gênée de savoir qu’on lui doit des remerciements, une âme grossière, de savoir qu’elle en doit »…

M- Et pour moi une amitié n’est vraiment parfaite et complète que lorsqu’entre les deux amis tout est commun, souhaits, pensées, jugements,…

N- Ah non là je vous arrête ! Si on veut un ami, il faut pouvoir s’y opposer, respecter l’ennemi jusque dans son ami ! On n’est au plus près de son cœur que si on lui résiste et il n’est pas d’amitié qui dure sans de grandes exigences! Il ne faut pas non plus vouloir partager avec lui tous ses tourments ! L’ami pour moi doit pouvoir deviner et se taire !

M- Mon Dieu ! Calmez-vous mon ami, pourquoi s’emporter, ne soyez pas si chagrin, on ne peut en effet être d’accord sur tout, n’est-ce pas?
Et puis il y a les femmes, Ah ah ! Que pensez-vous des amitiés avec les femmes ?

N- Diable ! Les femmes ! Il y a dans toute femme « un esclave et un tyran cachés », elles ne sont pas capables d’amitié et même en amour, elles prétendent faire « tous les sacrifices et rien à part cela n’a plus de valeur » pour elles !

M- Ah ah ! Je vous suis un peu sur ce sujet, les relations avec les femmes sont difficiles à classer. L’affection qui nous lie à elles a un caractère si ondoyant, brûlant, un feu de fièvre … Leur inconstance, leurs excès…

N-Oui, oui ! « Ne vaut-il pas mieux tomber entre les mains d’un assassin que dans les rêves d’une femme en chaleur ? »

M-Pour moi je vous avoue que leur commerce charmant m’est très agréable et même, étant d’un naturel bouillant, je le recherche. Mais, être amoureux de sa femme est un supplice autant qu’un péril !

*
Je laisse à nos deux compagnons la responsabilité de leurs errements sur les femmes…

Mais j’acquiesce assez à leur vision de l’amitié.
Une amitié parfaite, pour moi c’est une relation faite de partage, de confiance réciproque et de complicité. Une consanguinité d’esprit qui unit. La joie prodigieuse de savoir simplement que l’autre existe.
Aimer vraiment, c’est aussi préférer l’autre. Cela implique, quoi qu’il advienne, une part d’acceptation, de retrait de soi. Raréfier son être, tout en continuant d’exister pour l’autre et sans jamais renoncer complètement à sa propre liberté.

Martine ROUHART

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Apollinaire, le guetteur mélancolique

12272938256?profile=originalIl s'agit d'un recueil poétique de Guillaume Apollinaire, pseudonyme de Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky (1880-1918), publié à Paris chez Gallimard en 1952.

 

Tout comme le recueil intitulé Il y a (Paris, Albert Messein, 1925), le Guetteur mélancolique est composé de poèmes soit inédits, soit éparpillés dans diverses revues. Dans sa Préface, André Salmon en explique ainsi le titre: «Les éditeurs ont adopté celui qui s'inspire d'un distique du temps de la guerre: le Guetteur mélancolique. [...] On estimera qu'un tel choix plairait au Mal-Aimé, au songeur de Landor Road, à celui qui guettait dimanche sur le pont Mirabeau, au fier garçon vêtu de bleu, [...] guettant au ciel de ces fusées dont les pauvres soldats transformeraient l'armature en belles et misérables bagues, si souvent gage de l'impossible espéré. Que ne guettait-il pas?»

 

Les éditeurs (Bernard Peissonnier et Robert Mallet) ont classé les poèmes en plusieurs groupes. Après un poème de trois vers contenant l'expression qui donne son titre au recueil, vient la première section, «Stavelot» (1899) qui comprend seize textes, essentiellement écrits pendant les trois mois d'été qu'Apollinaire passa dans les Ardennes belges. La plupart des neuf poèmes rassemblés dans la deuxième partie, «Rhénanes» (1901-1902), avaient été publiés en revue par l'auteur. Les «Poèmes à Yvonne» (1903) se composent de cinq pièces extraites du «Journal» que tenait à cette époque Apollinaire: elles sont adressées à une voisine de palier dont les charmes avaient séduit le poète et leurs accents rappellent parfois ceux des Poèmes à Lou. La dernière section, «Poèmes divers» (1900-1917) regroupe, sans souci de cohésion manifeste, quarante-trois poèmes.

 

Certes, la mélancolie est un trait dominant des poèmes, qu'il s'agisse de textes personnels _ «Je suis un roi qui n'est pas sûr d'avoir du pain / Sans pleurer j'ai vu fuir mes rêves en déroute» ("O mon coeur j'ai connu la triste et belle joie") _ ou de poèmes dont le lyrisme s'inscrit dans une atmosphère et une forme qui rappellent plutôt le conte ou la ballade ("la Clef"). Cette mélancolie, placée sous le signe du tragique _ «Comme un guetteur mélancolique / J'observe la nuit et la mort» ("Et toi mon coeur pourquoi bas-tu?") _, n'est toutefois ni monotone ni complaisante car le poète «guetteur», toujours en éveil, sait la tenir à distance et la transcender par les jeux et la magie poétiques.

 

Ainsi, l'expression d'une douleur peut être ludique, la tristesse se mêlant à l'humour, au sourire _ «Et je me deux / D'être tout seul» ("Il me revient quelquefois") _, la méditation grave et «lugubre» à la facétie et à la fantaisie graphique (voir le poème intitulé "69 6666... 6 9..."). Apollinaire n'hésite pas à dédramatiser et à désacraliser la littérature: «Mais en fait d'littérature / Il n'y en a pas plus qu'au / Congo que dans la nature / Qu'à la cascade de Coco» ("le Cercle «la fougère»").

 

Écrits sur une longue durée, les poèmes du Guetteur mélancolique reflètent moins une évolution que la richesse de la poésie d'Apollinaire. Originales et variées, son inspiration et sa facture sont toujours reconnaissables et pourtant toujours diverses.

 

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administrateur théâtres

APPEL A PROJETS / CONCOURS MEDIATINE

Prix MEDIATINE 2011

Appel à projets: CONCOURS

PRIX MEDIATINE 2011
Concours – Appel aux talents

Délai : le 10 janvier 2011

Le Prix Médiatine s’adresse à des artistes de 18 à 40 ans, quels que soient leur parcours artistique et leur technique. Reflet de la recherche plastique contemporaine, ce concours fait appel aux jeunes plasticiens souhaitant dynamiser la création actuelle et confronter leur réflexion au regard d’un jury professionnel.

Quatre prix d’une valeur globale de 7.500 EUR récompenseront les lauréats, dont les œuvres seront exposées, ainsi que celles des artistes sélectionnés, lors d’une exposition à La Médiatine qui aura lieu du 18 février au 20 mars 2011.

Le règlement ainsi que le bulletin d’inscription peuvent vous être envoyés par Wolu-Culture sur simple demande au 02/ 761 60 15 ou encore via mediatine@gmail.com

http://www.wolubilis.be/prix_mediatine10_FR.pdf

Bulletin d’inscription à renvoyer avant le 10 janvier 2011.

Le Prix Médiatine a plus de 20 ans et vous fait à nouveau découvrir les artistes contemporains des plus sensibles, des plus prospectifs, des plus engagés et des plus novateurs. Leur regard n'a rien pour déplaire car, au-delà de l'inspiration qui les pousse dans leurs créations, ils révèlent les convulsions du monde. Interpellés par leurs manières de voir, qui nous sont peut-être étrangères, ils questionnent et interrogent. Aujourd'hui, le Prix Médiatine a acquis une place de choix dans le paysage artistique et vous fait découvrir les œuvres d'artistes inscrits dans leur temps. Aucun thème n'est imposé et toutes les disciplines artistiques y sont représentées.



Les oeuvres devront être déposées le 13 janvier entre 10 et 20h à la
Médiatine, Chaussée de Stockel à 1200 Bruxelles.

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Les Testaments Villon

C'est sous les deux titres de "Petit testament" et Grand testament" qu'a été longtemps connue la presque totalité des poésies de François Villon (1431-1463?); on réserve maintenant habituellement le nom de "Testament" au "Grand testament" et on désigne le "Petit testament" par son titre véritable: le "Lais" (ou Legs). Mais alors que le "Lais", qui est bien dans son intention et dans sa forme un véritable testament en vers, est un poème homogène, il n'en est pas de même du "Testament", où le mot même de testament est entendu dans un sens beaucoup plus large, puisqu'au milieu des legs proprements dits, Villon introduit librement un certain nombres de ballades, bien antérieures pour la plupart à la composition du "Testament" lui-même. Ce n'est donc plus ici seulement l'héritage matériel de Villon que nous trouvons, mais son héritage spirituel: c'est un testament poétique. Il semble d'ailleurs que Villon ait conçu le "Testament" comme un choix de ses exercices, c'est vraisemblablement le recueil qu'il entendait léguer à la postérité.

Il est nécessaire de replacer le "Lais" et le "Testament" dans la vie de Villon; rappelons en quelques mots ce que nous en savons, c'est bien peu de choses. François de Montcorbier ou des Loges est né à Paris en 1431, d'une mère illettrée et d'un père probablement artisan, qui mourut lorsque l'enfant était encore très jeune. Recueilli et élevé par maître Guillaume de Villon (dont il prit le nom), professeur de Décret et chanoine, il fait ses études en Sorbonne et y est reçu en 1452, licencié et maître-ès-arts. Muni de son diplôme et protégé par son père adoptif, Villon pouvait donc enseigner et recevoir des bénéfices. Une malencontreuse affaire l'oriente dans une autre voie: en 1455, au cours d'une rixe à propos d'une femme, il tue un prêtre, Philippe Sermoise et doit s'enfuir. L'année suivante, il obtient des lettres de rémission et regagne Paris, pas pour longtemps il est vrai: compromis dans le cambriolage du collège de Navarre, il doit se cacher à nouveau. C'est au moment de quitter Paris pour un temps indéterminé qu'il aurait composé le "Lais" ou "Petit testament". Il est très probable qu'avant cette date (1456 ou 1457), Villon avait déjà écrit un certain nombre de poésies, sa maîtrise en témoigne; il se peut même qu'il ait composé, au temps de sa vie d'écolier, ce "Roman du Pet-au-Diable", récit d'une équipée burlesque, dont il parle dans le "Testament". Il est possible aussi que nous connaissions ses anciens poèmes, sous la forme de quelques-unes des ballades qu'il inséra dans le "Testament".

Le "Lais" ou "Petit testament" est un poème de quarante strophes, chacune des strophes est composée de huit octosyllabes. Au début du poème, Villon annonce son départ pour Angers; il ne sait quand il reviendra, il nous en donne les raisons: "Puis qu'el ne me veut impartir -Sa grace, il me convient partir". Et en effet, le prétexte qu'il nous donne de son éloignement, c'est la froideur de sa maîtresse; il sait qu'un autre a pris sa place: "Autre que moy est en quelcongn" (c'est-à-dire en quenouille, donc proche de la belle); il ne lui reste qu'un remède: "Si n'y voy secours que fouïr, car "par elle, meurs les membres sains; -Au fort, je suis amant martir-Du nombre des amoureux saints". Nous savons qu'en fait, cette belle n'est qu'un prétexte et que ce que fuit Villon en 1456, ce ne sont pas tant des yeux cruels, que la maréchaussée. Comme il n'est pas certain de revenir, il lègue aux siens tout ce qui lui appartient (et ne lui appartient pas). Cette suite de legs est pour nous fort obscure. Villon fait ici allusion à des personnages, à des détails de la vie parisienne qui naturellement nous échappent. Pierre Champion, grand connaisseur du XVe siècle français, s'est efforcé de les tirer au clair dans son livre: "François Villon, sa vie et son temps" (2 vol., Paris 1913). A Guillaume de Villon, son père adoptif, il lègue son "bruit", c'est-à-dire sa renommée; à celle qui l'a "si durement chassié", son "cuer enchassié", -Palle, piteux, mort et transy"; à divers personnages, il donne des objets lui appartenant, mais qu'il a laissés en gage ou encore des enseignes célèbres du quartier: à Jean Trouvé, boucher, le "Mouton", le "Boeuf couronné", la "Vache"; au chevalier du guet, le "Heaume"; aux archers de la nuit, la "Lanterne"; à maître Jacques Régnier une enseigne de cabaret, la "Pomme de Pin"; il laisse de l'argent "a trois petits enfants tous nus", "povres orphelins impourveus, -Tous deschaussiez, tous desvetus -Et denuez comme le ver", afin qu'ils "soient pourveus -Au moins pour passer cest yver"; puis, ces trois enfants, il les nomme, ce sont trois abominables usuriers et il ajoute: "Ilz mengeront maint bon morceau, -Les enfans quand je seray vieulx!" Suit une cascade de legs plus fantaisistes les uns que les quatres et tous inspirés par un esprit violemment satirique: des oies grasses et des "chaperon de haulte graisse" à des moines, des bulles aux curés de Paris, pour leur permettre de quêter au nom du Pape et de vendre des indulgences. Le "Lais" est donc une plaisanterie et pour nous elle a perdu beaucoup de son sel, puisque nous ne connaissons pas les personnages à qui Villon laisse ses biens. Rien de bien profond dans ce poème qui, sous le mode humoristique, s'apparente à la vieille formule du "Congé", illustré autrefois par Jean Bodel et Adam de la Halle, reprise sous la forme plus moderne du "Testament" par Jean de Meun et Jean de Régnier. La dernière strophe, cependant, où Villon esquisse devant le lecteur sa silhouette, est d'un autre ton et annonce déjà l'esprit du "Grand testament": "Fait au temps de ladite date-Par le bien renommé Villon, -Qui ne menjue figue ne date. -Sec et noir comme escouvillon,- Il n'a tente ne pavillon -Qu'il n'ait laissé à ses amis, -Et n'a mais qu'ung peu de billon -Qui sera tantost à fin mis". Au milieu de toutes ces fantaisies, voilà un portrait réaliste qui doit être ressemblant. Tel devait bien être Villon, quand il quittait Paris en 1546 pour échapper aux poursuites qu'avaient provoquées ses récidives.

Nous ne savons pas grand'chose de la vie de Villon pendant les années 1546-1461, c'est-à-dire entre les deux dates de composition du "Lais" et du "Testament". Il semble qu'il ait parcouru la province, se faisant héberger ici ou là, comme à Chevreuse où il fut l'hôte d'une abbesse de fort mauvaise réputation, ou à Blois chez Charles d'Orléans qui le protégea (de cette époque, doivent être datées l' "Epître à Marie d'Orléans", la fille de Charles qui venait de naître, et certainement la "ballade de concours" qui commence par les vers: "Je meurs de seuf auprès de la fontaine, -Chaut comme feu, et tremble à dent"). Apparemment, Villon se serait rendu ensuite en Berry, à Moulins, auprès de Jean II de Bourbon, et peut-être en Dauphiné. Toujours est-il que quand on retrouve sa trace, il est de nouveau en prison à Orléans (1460). Libéré par l'entrée du duc, son protecteur, dans cette ville, il est encore, l'année suivante, dans les cachots de l'évêque Thibault d'Auxigny, cette fois à Meung-sur-Loire. L'entrée du nouveau roi Louis XI le délivre. Il semble qu'ensuite Villon se cache dans les environs de Paris. C'est à cette époque qu'il rédige le "Testament". Bien que le "Testament" soit conçu dans un cadre analogue à celui du "Lais", sa composition est beaucoup plus complexe, puisque Villon y incorpore plusieurs ballades, probablement choisies dans sa production antérieure; mais surtout l'esprit qui l'anime a beaucoup changé depuis cette amusante plaisanterie qu'est le "Lais". Ici,la bouffonnerie se mêle à la gravité, l'émotion à la raillerie, la tristesse à la débauche. Au cours de ces six ans, Villon est allé de misère en misère, cette existence lui devient insupportable, il sent qu'avec l'âge il va falloir qu'il change s'il ne veut pas que l'autorité mette un terme, cette fois définitif, à ses aventures. Il est las, et il commence à craindre; il a peur de la mort, il a peur de la damnation éternelle. Ses regrets sont sentis, il voit trop bien maintenant où le mène sa vie de vagabond. Il espère s'amender et faire une bonne fin. Il a manqué de chance, il n'est peut-être pas trop tard. Aussi bien ne peut-on douter de sa sincérité quand il commence par ces mots: "En l'an de mon trentiesme aage, -Que toutes mes hontes j'eus beues, -Ne du tout foi, ne du tout sage, -Non obstant maintes peines eues". Aussitôt après, c'est au responsable des peines qu'il vient d'endurer que s'en prend le poète, à Thibault d'Auxigny, l'évêque d'Orléans (vers 8 et 48); viennent ensuite trois strophes où Villon appelle la bénédiction de Dieu sur "Loys", le bon roi de France", qui l'a tiré du cachot (vers 48 à 72). Enfin commence le "Testament" proprement dit: d'abord l'évocation de sa vie errante, la confession de ses péchés: "Je suis pécheur, je le scay bien; -Pourtant ne veult pas Dieu ma mort, -Mais convertisse et vive en bien"; néanmoins les fautes qu'il a commises, il n'en porte pas l'entière responsabilité, il a été la victime de sa mauvaise fortune (vers 72 à 128). Pour illustrer cette affirmation, Villon tire de Valère-Maxime ("Valère...-Qui fut nommé le Grant, à Romme") l'histoire de Diomédès, qui , comparaissant devant Alexandre le Grand pour ses crimes, s'excusa sur sa mauvaise fortune et s'attira cette généreuse réponse: "Ta fortune je te mueray, -Mauvaise en bonne!" Ce bonheur n'est pas survenu à Villon; aussi a-y-il été un objet entre les mains de Nécessité qui "fait gens mesprendre, -Et faim saillir le loup du bois" (vers 128 à 168). Ce sont ensuite les regrets sur le temps de sa jeunesse, cette jeunesse qui "soudainement s'en est vollée", jeunesse qu'il a toute consacrée à aimer; l'envie d'ailleurs ne lui en est pas passée, mais les forces lui manquent: "Bien est verté que j'ay aimé -Et aimeroie voulentiers: -Mais triste cuer, ventre affamé -Qui n'est rassasié au tiers -M'oste des amoureux sentiers"; "Hé! Dieu, se j'eusse estudié -Ou temps de ma jeunesse folle, -Et a bonnes moeurs dédié, -J'eusse maison et couche molie. -Mais quoi? je fuyoie l'escolle. Comme fait le mauvais enfant. -En escripvant ceste parolle, -A peu que le cuer ne me fend". Qu'est-il advenu de ses sompagnons d'autrefois: "Et les aultres sont devenus, -Dieu mercy! grands seigneurs et maistres; -Les autres mendient tout nus -Et pain ne voient qu'aux fenestres: -Les autres sont entrez en cloistres". Lui, né pauvre, est resté pauvre et il le sera jusqu'à la fin de ses jours. Qu'importe d'ailleurs puisque tous, "povres et riches, -Sages et folz, prestres et lais, -Nobles, villains, larges et chiches, -...Mort saisit sans exception". Cette "danse des morts" s'achève sur l'évocation des ravages qu'elle fait: "La mort le fait frémir, pallir, -le nez courber, les vaines tendre, -le col enfler, la chair mollir, -Joinctes et nerfs croistre et estendre" (vers 168 à 328). C'est sur ce thème de la jeunesse qui passe, de la vieillesse qui déforme les corps, de la mort qui les pourrit, que brodent les six ballades qui suivent: "Ballade des dames du temps jadis", "Ballade des seigneurs du temps jadis", "Ballade en vieil langage françoys", "Les regrets de la belle heulmière", "La belle heulmière aux filles de joie", enfin la "Double ballade".

La plupart de ces ballades sont conçues selon la forme classique: trois strophes de huit octosyllabes, dont le dernier vers forme refrain, et un quatrain qui sert d'envoi. Nulle monotonie toutefois, le ton se renouvelle avec le sujet et la vigueur des images, la parfaite concision font de chacune une manière de petit chef-d'oeuvre. La "Ballade des dames du temps jadis", avec son refrain: "Mais où sont les neiges d'antan", par sa gracieuse mélancolie, est une des plus justement célèbres. Ce n'est pas des âmes que Villon ici se préoccupe, mais des corps qui pourissent en terre, quelle qu'ait été la beauté de ces dames en leur temps, quelle que soit leur renommée auprès de la postérité. Bien inférieure par l'émotion qui l'inspire, la "Ballade des seigneurs du temps jadis" nous donne la leçon des deux poèmes: "D'en plus parler je me désiste: -le monde n'est qu'abusion- il n'est qui contre mort résiste -Nul qui treuve provision... Dans la "Ballade en vieil langage françoys", Villon, voulant évoquer les fastes des grands du passé, ne trouve rien de mieux que d'employer le langage qu'on parlait de leur temps, le français du XIIIe siècle. Ce petit pastiche est une véritable réussite; le langage archaïque convient particulièrement bien à l'évocation de ces "sains apostolles" (papes), de "ly Dauphin, ly preux, ly senez". Cette ballade, qui a pour refrain "Autant en emporte ly vens", introduit d'ailleurs dans cette danse des morts une nouvelle idée: on ne peut évoquer ces temps passés qu'en usant d'une langue, elle-même, morte. Les vers 413 à 453 contiennent une nouvelle méditation sur l'issue fatale de la vie; non seulement il faut mourir et pourrir en terre, mais en son vieil âge, l'être se décrépit, devient de son vivant une ruine, et Villon en arrive à "ces povre fameletes -Qui vieilles sont et n'on quoy", témoin cette "belle heaulmière qu'il a rendue à tout jamais célèbre. C'est la vieille elle-même qui se lamente: "Ha! vieillesse félonne et fliere, -Pourquoi m'as si tost abatue?"; que n'a-t-elle mieux profité de son temps et exercé cette "haulte franchise -Que beaulté m'avoit ordonné -Sur clers, marchans et gens d'Eglise". Ce n'est certes pas par vertu qu'elle a repoussé leurs avances et leurs présents: c'est pour "l'amour d'un garçon rusé, -Auquel j'en feiz grande largesse", "or ne me faisoit que rudesse, -Et ne m'aimoit que pour le mien (que pour mes biens)", Il est mort l'infidèle, et la voilà "vieille, cheunue". En termes d'une crudité qui n'exclut pas la grâce, elle évoque: "Ces gentes espaulles menues- Petiz tetins, hanches charnues... -Ces larges rains, ce sadinet-Assis sur grosses dermes cuisses,- Dedens son petit jardinet". Que lui reste-t-il maintenant: "Oreilles pendantes, moussues, -Mamelles, quoy? toutes retraites; -Telles sont les hanches que les testes (tetins); -Du sadinet, fy! Quant des cuisses, -Cuisses ne sont plus, mais cuissetes -grivelées comme saulcisses". Quelle émotion poignante quand le poète évoque pour finir l'image si frappante de ces "povres vieilles sotes -Assises bas, a croupetons, -Tout en ung tas comme pelotes, -A petit feu de chenevotes -Tost allumées, tost estaintes". Dans ce poème, Villon abandonne la forme traditionnelle de la ballade, à laquelle il revient dans le poème suivant: la "Belle heaulmière" se compose de dix storphes de huit octosyllabes sans refrain, ni envoi. La ballade suivante, intitulée: "La belle heulmière aux filles de joie", est un avertissement tragique qui s'adresse personnellement à ces petites ouvrières, "la belle gantière", "Blanche la savetière", "la gente saulcière", "Guillemete la tapisciere", qui font commerce de leurs charmes. Si elles ne veulent pas en venir là où en est leur aînée, n'ayant plus rien, "ne que monnoye qu'on decrie", qu'elles n'épargnent pas les hommes, qu'elles leur fassent rendre gorge avant qu'il soit trop tard. Villon précise bien qu'il ne fait que rapporter les propos de la vieille, mais quelle leçon en devons-nous tirer, nous autres hommes, sinon qu'il faut se méfier de l' amour, et c'est le thème de la "Double ballade" qui montre que c'est l' amour qui a perdu les grands héros de l' antiquité: Salomon qui "en ydolatria", Samson qui "en perdit ses lunettes", car "Folles amours font les gens bestes", donc "bien est heureux qui riens n'y a!" (qui ne s'en mêle pas). C'est pourquoi Villon regrette de s'être laissé asservir par celle qu'il aimait et qui ne l'aimait pas. Et il énumère les pitoyables aventures où celle-ci l'a entraîné; puis il évoque le "Lais" qu'il fit "à son partement...l'an cinquante six, -Qu'aucuns,sans mon consentement, -Voulurent nommer Testament". Nous avons donc la preuve que, dès 1461, le "Lais" avait déjà circulé et qu'il était déjà appelé, mais non de l'aveu de son auteur, le "Testament". Enfin, au vers 795, Villon en vient à son véritable "Testament", qu'il commence dans les formes requises: "Ou nom de Dieu, -Pere éternel, -Et du Filz que vierge parit, -Dieu au Pere coeternel, -Ensemble et le Saint Eesperit, -Qui sauva ce qu' Adam perit -Et du pery pare les cieulx". Tous les hommes, s'ils n'étaient rachetés, seraient "en dampnee pedicion", sauf, sans doute, les patriarches et les prophètes, "car selon am conception, -Oncques n'eurent grand chault aux fesses" (c'est-à-dire ne brûlèrent pas en Enfer). Puis commencent les legs: "Premier, je donne ma povre âme -A la benoiste Trinité, Et la commande à Nostre Dame", "Item, mon corps j'ordonne et laisse, -A nostre grand mere la terre; -Les vers s'y trouveront grant gresse, -Trop luy a fait faim dure guerre"; à son "plus que pere, -Maistre Guillaume de Villon", il laisse sa "librairie"; -Et le Rommant du Pet au Diable", qu'il composé en sa jeunesse. A sa mère, il fait don, "pour saluer nostre Maistresse" de la "Ballade pour prier Nostre Dame". Cette ballade, composée en trois strophes de dix décasyllabes terminées chacune par le refrain "En ceste foy je vueil vivre et mourir", et d'un envoi de six vers dont les premières lettres forment le nom de Villon, est fort célèbre: en son style volontairement archaïque et parlé, elle exprime une foi sincère, une inébranlable confiance en la Vierge et une humilité chrétienne, qui furent sans doute bien les sentiments de la mère de Villon, mais qu'il partagea assurément, car Villon n'a jamais perdu de vue l' innocence de son enfance: un abri contre les duretés de la vie, contre les malhonnêtetés et contre les crimes, c'est ce que demeure pour lui, malgré ses irrévérences, l' Eglise. Puis à celle qu'il aima en vain, il dédie une ballade, la "Ballade à s'amye", non sans avertir que ce n'est pas tant pour elle, à qui il ne doit rien, qu'il l'écrit que pour l' Amour. Ici, Villon revient presque à la forme classique de la ballade: trois strophes de huit décasyllabes, terminées par un refrain et un envoi de quatre vers. C'est une suite d' imprécations pleines de fiel: elle aussi vieillira: "Vieil seray; vous laide, sans couleur..." "Un temps viendra qui fera dessechier, etc.". A maistre Ythier Marchant, il donne un petit "Lay", en forme de Rondeau: "Mort, j'appelle de ta rigueur". C'est à ceux avec qui il a eu maille à partir, lieutenants criminels, sergents, juges et autres gens de justice, qu'il pense ensuite pour leur faire des legs ironiques: muys de vin d'Aunis, talmouse (mot qui signifiait pâtisserie, mais qui, ici, correspond à "tarte" au sens figuré de langage populaire), enfin toutes sortes de biens imaginaires. C'est une joyeuse cascade de présents à double sens, de sous-entendus érotiques, Villon mêle plaisamment à tous ces gendarmes les voleurs de sa connaissance, tel ce Jehan le Lou, "homme de bien et bon marchant". Et l'on retrouve ici, dans ce pittoresque et volontaire désordre, bien des personnages qui avaient déjà fait l'objet de legs dans le premier "Testament": tels les "trois enfans, petits enfans tous nus", dont il a appris avec grande joie qu'ils "sont creuz et deviennent en aage". A maistre Jehan Cotart, qui fut son "procureur en court d'Eglise", il lègue une "ballade en oraison". Il feint d'attirer sur cet incorrigible buveur les bénédictions de tous ceux qui sont devenus célèbres par leur ivrognerie. Villon n'a garde d'oublier les clercs, qui sont particulièrement bien traités: aux frères mendiants, il promet une oie grasse, à charge pour eux d'en distribuer les os aux malades des hôpitaux.

Suit la venimeuse "Ballade à Robert d'Estouville", prévôt de Paris qui y est comparé à un épervier. Dans une autre ballade, en termes mi-culinaires, mi-alchimiques, il donné une recette pour "frire les langues envieuses". Puis, dans un pittoresque défilé, il passe en revue les aspects de la vie du temps et c'est la ballade intitulée "Les contrediz de Franc Gontier", qui nous peint en parallèle la vie quiète et voluptueuse d'un "gras chanoine" et la vie fruste, mais libre, de Franc Gontier le paysan; le refrain de la ballade en donne la moralité: "Il n'est tresor que de vivre à son aise". Voici les Parisiennes: "Ballade des femmes de Paris", qui se conclut par les mots: "Il n'est de bon bec que de Paris". Ces Parisiennes ne sont pas seulement les "filles de bien", -Qui ont peres meres et antes", à qui Villon ne laisse rien, mais aussi surtout les "povres filles" de joie qu'il n'a que trop bien connues, et surtout cette "Grosse Margot" à qui il dédie une ballade, fort paillarde, où il évoque leur cohabitation ("En ce bordeau ou tenons notre état"). Il ne donne rien aux "Enfans Trouvez" (c'est-à-dire à l' asile de ce nom qui recueillait les enfants abandonnés), mais bien aux "Enfans Perdus", à qui, sous forme de ballade, il donne "une belle leçon" tirée de sa propre expérience: qu'ils se tiennent tranquilles s'ils ne veulent avoir le même sort que quelques-uns de ses bons amis qui finirent à la potence, car "jamais mal acquet ne prouffite". Le ton s'amplifie dans la seconde ballade écrite sur le même thème: "La ballade de bonne doctrine", adressée aux faux-monnayeurs, "pipeurs, larrons", à qui Villon mêle plaisamment les "porteurs de bulles", autrement dit les moines qui vendent des indulgences. A quoi bon dérober de l'argent avec tant de risque, quel profit en tireront-ils, puisque tout ira "aux tavernes et aux filles". Puis, dans une envolée lyrique qui n'est pas sans rappeler la fameuse "Ballade des pendus", il évoque leur fin, "les corps pourris..., les os déclinez en poudre". Voici les dispositions qu'il prend pour sa tombe, elles sont de la plus haute fantaisie, à l'exception de l'épitaphe qui est un portrait sur lequel Villon s'apitoye un moment: "Cy gist et dort en ce soillier, -Qu'Amours occist de son raillon, -Ung povre petit escollier,- Qui fust nommé François Villon. -Oncques de terre n'eut sillon...N'eut oncques brain de percil... Rigueur le transmit en exil -Et luy frappa au cul la pelle, -Non obstant qu'il dit: J'en appelle!... Repos éternel donne a cil". Puis c'est l'ordonnancement des funérailles. Villon de nouveau s'amuse, en prévoyant ce qu'on donnera aux sonneurs qui tireront les cloches pour son enterrement, ces sonneurs ne seront autres que quatre des plus riches bourgeois de Paris. Mais avant de mourir, il faut qu'il se réconcilie avec tous et c'est la "Ballade de mercy". Aux moines, aux grandins, aux filles, aux bateleurs, il accorde son pardon, à tous "sinon aux traîtres cheiens matins", à ceux qui l'ont persécuté ("qu'on leur froisse les quinze costes -De gros mailletz, fors et massis,-De plombees et telz pelotes"). Une ultime ballade appelle tout le monde à sa pompe funèbre: "Venez à son enterrement", -Quand vous orrez le carillon, -Vestus rouges com vermillon, -Car en amours mourut martir". Qu'on sache qu'au "departir": -Ung trait brut de vin morillon, -Quant de ce monde voulut partir".

Ainsi se clôt cette macabre farce où Villon, avant de se réfugier dans le silence et disparaître, liquide toutes ses haines plus malicieuses que vraiment méchantes), tous ses regrets, toutes ses peurs. Tout ici, en effet, se trouve rassemblé: les gros mots, les plaisanteries obscènes, irrespectueuses, et parfois la plus vive, la plus sincère émotion. L'un contrebalance l'autre, en un savant mélange non seulement de sentiments, mais de formes poétiques. Aussi, bien que le "Testament" compte plus de 2000 vers, on n'éprouve nulle lassitude à sa lecture, l'intérêt repart sur une vive image, sur l'expression vraie et poignante d'une émotion, ou sur quelque grosse plaisanterie. L'évocation de la vie du XVe siècle, de la vie des petites gens de Paris est si parlante, la peinture des sentiments si directe que la poésie qui en résulte, entoure le lecteur, le pénètre. Sur un thème usé, et même rebattu, Villon innove constamment.

Il n'est pas, bien entendu, le premier poète personnel de la littérature française, comme on l'a dit trop souvent, mais il est de loin le plus simplement pathétique. Sans doute son existence de mauvais garçon partagé entre les désirs et la peur de la mort est-elle pour quelque chose dans ce culte que n'a presque pas cessé de lui rendre la postérité; mais cette vie, c'est justement par sa poésie qu'on la connaît, car c'est l'homme Villon tout entier qui y apparaît. Peu de poètes du moyen âge, sauf Rutebeuf, ont mis tant de leur vie dans leur oeuvre, à tel point que l'une et l'autre se confondent. La poésie ici atteint à la confession poignante et c'est ce qui lui donne cette allure si moderne, malgré le caractère souvent archaïque de la langue. On ne saurait trop souligner, en contre partie, l'extraordinaire habileté du poète, son admirable métier. Si Villon renouvelle l'expression et, à l'intérieur des cadres de la poésie de son temps, fait oeuvre nouvelle, c'est qu'il sait voir, qu'il sait écouter. sa langue, c'est la langue parlée du temps, celle des gens qu'il nous montre, bourgeois et ribaudes, manants, clercs et juges. Il sait rendre leur langage, leurs intonations, leurs tics verbaux, il imite la langue du palais, celle de Sorbonne et celle des mauvais lieux. Il y a chez lui un tel souci d'adapter l'expression au sujet ou à celui qu'il fait parler que, pour faire un legs à un Poitevin, il parle le patois du cru, qu'évoquant les chevaliers du passé, il le fait en leur langue. Il ne recule ni devant la trivialité, ni devant l' archaïsme quand ils sont nécessaires: la belle heaulmière emploie le langage gaillard des femmes de son état, et la mère de Villon prie comme une pauvre femme du peuple. Il y a là un souci très nouveau, qu'on retrouvera plus tard, mais avec des résultats parfois délirants, par exemple dans Rabelais.

Après le "Testament", Villon se tait. Nous n'avons plus guère de lui, qui soit postérieur à 1461, que l' Epitaphe Villon", plus connue sous le titre de "Ballades des pendus". Nous savons cependant qu'après le "Testament", Villon ne s'est pas rangé: incarcéré pour complicité dans une rixe, rue Saint-Jacques, il est soumis à la question par l'eau, puis condamné à être "pendu et étranglé". C'est donc vraiment au pied de la potence qu'il compose la "Ballade des Pendus", qui est du début de 1463. cependant Villon fait appel et le Parlement change sa peine en dix ans de bannissement de la ville, prévôté et vicomté de Paris, "eu regard à la mauvaise vie du dit Villon". De ce temps qu'il passa entre la vie et la mort, nous sont parvenus, outre la ballade citée, la "Quatrin que feist Villon quand il fu jugé à mourir", dit son éditeur, Clément Marot ("Je suis Françoys, dont il me moise, -Né de Paris emprès Pontoise, -Et de la corde d'une toise -Sçaura mon col que mon cil poise"), la "Requête au Parlement", enfin la "Ballade de l'Appel". A partir des premiers jours de 1463, nous ne savons plus rien de Villon, même pas la date de sa mort. S'est-il réfugié auprès d'un de ses protecteurs? Nous savons qu'ils étaient puissants, puisque nous connaissons deux d'entre eux qui furent de très hauts seigneurs, Charles d'Orléans et Jean II, duc de Bourbon; et qu'il fallaient qu'ils le soient, en effet, pour tirer si souvent d'affaire ce récidiviste éhonté? A-t-il fait retraite quelque part? Nous n'en savons rien et les érudits se sont jusqu'à présent penchés en vain sur cette disparition si brusque et si définitive. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que Villon avait tout intérêt à ne plus faire parler de lui et qu'il semble probable qu'il était mort, lorsque parut la première édition imprimée de ses oeuvres en 1489.

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Lettre du voyant et Rimbaud Mania

« Lettre du voyant » est la lettre célèbre du poète Arthur Rimbaud (1854-1891), qu'il adressa le 15 mai 1871 à son ami Demeny, et dans laquelle il expose sa conception de la poésie et son intention de se faire "voyant" (d'où le titre donné par les commentateurs à cette Lettre, publiée par Paterne Berrichon dans la "NRF" en octobre 1912). On la considère à juste titre comme la plus importante des lettres de Rimbaud qui nous aient été conservées: elle dépasse en effet le cadre de l'oeuvre rimbaldienne et marque une sorte de révolution de la poésie, le point de départ des aspirations poétiques modenres, une nouvelle conception de la création artistique.

On peut penser aussi qu'elle marquait un aboutissement et résumait, de façon explicite, un long travail de libération et de lucidité, amorcé à la fin du XVIIIe siècle et poursuivi par les romantiques et les néo-romantiques. Plus particulièrement, elle annonce et éclaire "Le bateau ivre", composé en septembre 1871, avant le départ de Rimbaud pour Paris, les "Illuminations", "Une saison en enfer" et nombre de ses poèmes. De retour à Charleville après une troisième fugue, Rimbaud adressait le 13 mai 1871, à son ancien professeur Izembard, une lettre qui renfermait déjà les termes et les thèmes développés dans sa lettre du 15 à Demeny. Dans cette dernière, après avoir soumis à l'appréciation de son ami un de ses derniers poèmes, -Chant de guerre parisien", Rimbaud annonce: "Voici de la prose sur l'avenir de la poésie". Toute poésie antique, dit-il, aboutit à la poésie grecque. De la Grèce au mouvement romantique, c'est le règne des lettrés et des versificateurs, "avachissements et gloire d'innombrables générations idiotes"; et il condamne, hormis Racine, un jeu "qui a duré deux mille ans". Quant aux romantiques, il souligne e que leurs oeuvres comportent d'involontaire et d'imparfait. Pour lui, "JE est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident: j'assiste à l'éclosion de ma pensée: je la regarde, je l'écoute... La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière: il cherche son âme, il l'inspecte, la tente, l'apprend. Dès qu'il le sait, il doit la cultiver! Cela semble simple... Mais il s'agit de se faire l' âme monstrueuse... Le Poète se fait "voyant" par un long, immense et raisonné "dérèglement de tous les sens". Le poète atteint ainsi à l' "inconnu" et s'il risque sa raison dans cette quête, il aura du moins ses visions: "Qu'il crève dans son bondissement... viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé!". En cet endroit, après avoir intercalé un autre poème, -"Mes petites amoureuses", - Rimbaud reprend sa conception prométhéenne du poète voleur de feu, résolu à rapporter de "là-bas" des inventions inouïes, avec ou sans formes. Il s'agit de trouver un langage, une sorte de langage universel dont il annonce l'avènement: "Cette langue sera de l' âme pour l' âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant". En fait, on décèle ici l'intention de Rimbaud de dépasser la contradiction, pour atteindre à leur source et restituer la matérialité vivante, conciliser les élans dionysiaques et la lucidité critique, retrouver la connaissance et la liberté naturelles, la source originelle de création. "Toujours pleins du "Nombre" et de "L' Harmonie", ces poèmes seront faits pour rester... La Poésie ne rythmera plus l' action; elle "sera en avant". La Poésie devient ainsi pensée en acte, volonté de connaissance, une conquête, avec tout ce que cela exige de luttes, de dangers, de courage, d'efforts de science et d'organisation: le Poète, homme seul, se sacrifie à l'avenir de la connaissance. A l'instar du Christ, héros individuel, le Poète rachète consciemment l' ignorance du monde de son temps, en acceptant sa vocation avec ce qu'elle implique d'extraordinaire, de "monstrueux", de rejet des lois communes. Cette attitude va tourmenter Rimbaud pendant encore quelques années. Après avoir exprimé une idée qu'il reprendra dans "Une saison en enfer" sous d'autres formes la liberté de la femme ("Quand elle vivra par elle et pour elle... elle sera poète aussi"), il revient au présent, définissant le but de la poésie contemporaine, quête de nouvelles idées et de nouvelles formes. Avec une étonnante perspicacité et une pénétrante intelligence critique, en quelques lignes, il classe les poètes de son temps, reconnaissant à Hugo une authenticité de visionnaire dans ses derniers poèmes, dénonçant impitoyablement Musset en qui il voit l'antithèse de la poésie de l'avenir; mais c'est Baudelaire qu'il sacre "voyant", roi des poètes, "un vrai Dieu", non sans quelques réserves sur les formes de son art ("Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles"). Il énumère ensuite ironiquement une série de poètes Parnassiens que l'avenir devait condamner effectivement à l'insignifiance ou à l'oubli: deux seuls voyants, pour lui, dans cette nouvelle école, Albert Mérat et Paul Verlaine, qu'il allait onnaître quelques mois plus tard, à Paris. Ainsi, dit-il, à Demeny, je travaille à me rendre "voyant". Et la lettre s'achève sur un dernier poème: "Accroupissements", -raillant les faux penseurs. Avec cette lettre, qui révèle l'étonnante lucidité de ce poète de dix-sept ans, Rimbaud dépassait son époque, non seulement dans le domaine esthétique, mais dans celui de la pensée, en cherchant à redonner à la poésie, son unité et sa réalité d'acte essentiel, de connaissance immédiate, à travers l'expérience des formes et des sensations. Au regard de ces quelques pages, lourdes de signification, les autres lettres de Rimbaud, adressées pour la plupart à sa famille, nont d'intérêt que biographique: le caractère marquant de cette abondante correspondance est, après 1875, une différence totale de ton, essentiellement neutre, et l'abandon de tout question d'intérêt littéraire; elle ne peut cependant être dissociée de l'oeuvre, brève mais fulgurante, dont elle constitue en quelque sorte l'envers et le contrepoint dans la mesure où le comportement de l'homme se trouvait déjà impliqué dans celui de l' adolescent.


Rimbaud Mania

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Georges Rodenbach (1855-1898) est l'un des membres les plus originaux d'un mouvement symboliste qui a su garder son autonomie par rapport à l'école française. Venu à Paris en 1876, il reste cependant le poète de Bruges où il est né. Dans les recueils de vers Jeunesse blanche (1886), Le Règne du silence (1891), Les Vies encloses (1896) apparaît la nostalgie de sa province. Absente, elle devient le reflet du monde : les béguinages et les canaux de la Venise du Nord vont servir de relais entre un symbolisme étayé sur des sensations visuelles et une rêverie qui reste au contact de la réalité. On découvre là le secret d'une poétique des correspondances que Rodenbach a poussée plus loin que la plupart des symbolistes : à partir d'un objet, d'un paysage (ici Bruges), le poète peut évoquer ses impressions sensibles, en général impressions visuelles et auditives mêlées, et ainsi se pose l'existence d'un sujet, le je du poète. Dans ce système d'oscillations, dans ce jeu des correspondances, le monde intérieur et la réalité vont se fondre en une sorte de rêverie mystique où l'on ne saura plus distinguer l'émoi du poète et celui de l'objet. Alors qu'en général ce procédé restait discret, sa mise en évidence et son exploitation systématique, ainsi que la rigueur de la prosodie de Rodenbach, contribuent parfois à rendre ses vers un peu affectés. Cependant, l'évocation de la Flandre mystérieuse, des petits bourgs endormis du Nord reste encore très séduisante aujourd'hui. Le fantastique qui se dégage de toute la poésie de Rodenbach serait peut-être plus original, si précisément le recours incessant à des procédés de technique poétique ne le rattachait pas toujours à la vie intérieure du poète. Mais il s'agit là de la question de la sincérité que pose toute la poésie symboliste. Rodenbach écrivit encore quelques romans, Bruges la Morte (1892), Le Carillonneur (1895), sur les mêmes thèmes, en demi-teintes, du silence et de l'obscurité.

 

 

Le roman de Bruges-la-morte (1892)

 

Dans le Règne du silence (1891), Rodenbach évoquait déjà les secrètes relations de Bruges et de son âme: "_ ville, toi ma soeur à qui je suis pareil [...] Moi dont la vie aussi n'est qu'un grand canal mort." Un an plus tard il revient sur le sujet, faisant de la Ville le "personnage essentiel" d'un roman qui lui emprunte son titre: Bruges, ville-décor mais surtout, par-delà les descriptions, ville-état d'âme "orientant une action".

 

Après avoir perdu sa jeune épouse, Hugues Viane est venu se fixer à Bruges dont l'atmosphère de ville morte et mélancolique correspondait à son humeur chagrine. Depuis cinq années, il vit seul avec Barbe, une vieille servante dévote, vouant un culte quasi mystique aux souvenirs de la défunte - en particulier à sa blonde chevelure qu'il a mise sous verre. Un soir, au sortir de l'église Notre-Dame où il a médité sur l'union des âmes, un visage l'arrête, qu'il suit, croyant y reconnaître les traits de la morte. Une semaine plus tard, hypnotisé par le retour de l'apparition, il entre mécaniquement dans un théâtre à sa suite, l'y perd, la cherche en vain dans la salle et la retrouve sur la scène. Elle est danseuse et s'appelle Jane Scott. Peu à peu les analogies se précisent: le visage, les cheveux, les yeux, la voix, tout lui rappelle sa femme. Hugues installe Jane à l'orée de la ville, se rend chez elle tous les soirs, vit avec elle ce qu'il considère comme la poursuite de son amour marital. Mais à trop forcer les analogies, les dissemblances apparaissent bien vite: Jane le choque par sa vulgarité, se moque de lui, le trompe, menace de le quitter. Hugues cherche à s'éloigner de sa maîtresse pour ne pas hypothéquer ses retrouvailles chrétiennes avec la morte dans l'au-delà. Mais il est envoûté et Jane en profite pour tenter de capter son héritage. Profitant de la procession du Saint-Sang, elle se fait inviter pour la première fois chez Viane - provoquant la démission de Barbe, que servir "une pareille femme" eût mise en état de péché mortel. Après une anodine dispute, tandis que Viane s'abîme dans une prière, Jane profane les souvenirs de la morte, joue avec la tresse de cheveux que Viane, fou de rage, lui serre autour du cou comme une corde. Et Jane, morte, devient "le fantôme de la morte ancienne".

 

Certes la quête d'un double de la femme aimée n'est pas nouvelle - Nerval n'a-t-il pas construit "Sylvie" (voir les Filles du Feu) autour de l'hypothétique "aimer une religieuse sous la forme d'une actrice... et si c'était la même!"? - non plus que le récit d'une passion-culte d'outre-tombe - Villiers l'a conté dans "Véra" (voir Contes cruels). Mais Rodenbach, en superposant les deux thèmes, conduit Hugues Viane là même où le héros nervalien s'était arrêté, c'est-à-dire à la "conclusion" d'un "drame" que la comédienne Aurélie lui refusait: alors que le promeneur du Valois "reprenait pied sur le réel" pour échapper à la folie, l'amoureux de Bruges "perd la tête" (chap. 15) et s'abandonne au meurtre. Bruges-la-Morte est donc bien le récit d'un fait divers criminel, ainsi qu'une tradition critique se plaît à le souligner. Mais, outre qu'un tel jugement pourrait s'appliquer à nombre de textes, depuis le Rouge et le Noir jusqu'à Madame Bovary, il ne rend pas compte de l'extraordinaire agencement de cette "étude passionnelle" (Avertissement).

 

Car le bref roman de Rodenbach procède par tout un jeu de répétitions et d'échos qui, peu à peu, enferment le héros dans un labyrinthe qu'il a lui-même construit à force de traquer ressemblances et analogies. "+ l'épouse morte devait correspondre une ville morte" (chap. 2): ainsi Bruges est-elle devenue le premier double de la défunte, épouse de pierre et d'eau qui prolonge par son atmosphère mystique ("la Ville a surtout un visage de croyante", souligne le narrateur au chap. 11) le deuil empreint de religiosité du veuf (significativement, la chronologie du récit est rythmée par les fêtes religieuses). Puis la rencontre avec Jane est venue troubler cette harmonie métaphysique: avec elle le physique passe au premier plan, introduisant le péché dans l'existence de Viane (et à Jane est associé un champ sémantique hautement symbolique: elle joue dans Robert le Diable, sa voix est qualifiée de "diabolique", etc.). Dès lors, la Ville, abandonnée et délaissée comme une épouse trompée, n'aura de cesse de se venger: après les on-dit réprobateurs puis moqueurs (chap. 5) et les mises en garde du béguinage (chap. 8), ce sont les tours "qui prennent en dérision son misérable amour" (chap. 10), puis les cloches qui "le violent et le violentent pour [le] lui ôter" (chap. 11). Veuf de sa femme et de sa ville, Hugues connaît alors la souffrance. Mais celle-ci procède moins d'un sentiment de culpabilité (évacuée au nom de l'analogie: "il croirait reposséder l'autre [sa femme] en possédant celle-ci [Jane]") que d'un effondrement de son propre mode de pensée: ce qui s'écroule, c'est le mythe de l'identique sur lequel toute sa vie était construite. Dès lors, l'écart entre la morte angélisée et la vivante progressivement satanisée ne cessera de croître, minant Viane de l'intérieur en transformant sa certitude "d'une ressemblance qui allait jusqu'à l'identité" (chap. 2) en "une figure de sexe et de mensonge" (chap. 11). Parcours où le réel s'impose tragiquement au rebours d'un touchant mensonge entretenu comme une vérité: d'où la place du fantastique dans le texte, décalé dans son objet (ce qui suscite l'hésitation de Viane, ce n'est pas la réalité du phénomène qu'il vit mais celle de son amour pour Jane) et dans le temps (il croît jusqu'à la crise finale au lieu de se résorber au fil des chapitres). Oui, comme le disait Mallarmé à Rodenbach en sa prose particulière, Bruges-la-Morte est bien une "histoire humaine si savante"!

 

 

 

Le carillonneur (1897)

 

Dans ce roman symboliste, Joris Bourluut, jeune architecte épris de sa ville de Bruges et déjà connu comme artiste restaurateur des plus anciennes maisons de la ville, pourra désormais, ayant gagné le concours de "carillonneur", passer de longues heures dans le beffroi à contempler les cloches aux mille voix: c'est là tout son bonheur. Joris fréquente chez un vieil antiquaire, Van Hulle, qui vit avec ses deux filles, Barbe et Godelieve. Autant l'une est acariâtre et tyrannique - dans ses veines, coule encore le sang espagnol - , autant la seconde est clame et silencieuse, une vraie Flamande. Godelieve a aimé Joris, mais pour ne pas abandonner son père qui ne peut vivre sans elle, elle renonce à son amour. De son côté, Joris, obsédé par les représentations érotiques qui ornent la grande cloche du beffroi, sent naître en lui une passion sensuelle pour Barbe qu'il épousera; mais le caractère violent de la jeune femme et ses crises nerveuses le rendent malheureux. Après la mort de Van Hulle, Godelieve vient habiter chez sa soeur; c'est alors la naissance de l'amour entre le beau-frère et la belle-soeur. Mais ce qui n'était au début que silence et secrète communauté d'âmes, devient rapidement passion et don total. Joris et Godelieve, dans un élan mystique, échangent devant Dieu des serments nuptiaux, et pendant un court moment jouissent d'un oubli heureux. Mais Barbe revenue à Bruges après une absence , le remords et la terreur religieuse s'emparent de Godelieve: elle quitte son amant et se retire dans un couvent. Seul de nouveau, Joris cherche un réconfort dans une activité plus intense. Hostile à ceux qui veulent, comme autrefois, rattacher Bruges à la mer, il entend lui donner un nouvel essor en conservant intacts sa physionomie ancienne et ses oeuvres d'art. Mais ses projets échouent et il est obligé d'abandonner son poste de restaurateur. Rien ne lui a réussi et, au cours de méditations solitaires dans le beffroi, lorsqu'il comprend que son malheur fut d'avoir préféré une femme à la Bruges de ses rêves, il se pend à l'intérieur de la grande cloche; celle-ci l'engloutira comme "un muet et ténébreux abîme". Avec "Bruges la morte" et ses vers du "Règne du silence", ce roman est une fidèle représentation de l'art de Rodenbach: art qui dérive du symbolisme français et se complaît à des raffinements et à une préciosité typiques de la fin du siècle dernier.

 

 

La poésie: Les vies encloses (1896)

 

Émule de Léon Dierx, "le maître, l'ami", à qui il rend hommage à maintes reprises, à qui il doit peut-être sa froideur, sa solennité et sa rigueur dans la construction du poème et du recueil, Rodenbach comme Émile Verhaeren, son condisciple chez les jésuites gantois, ou plus tard Maurice Maeterlinck, est un Flamand écrivant en langue française une poésie d'inspiration symboliste aux accents décadents. A la méditation mallarméenne, l'auteur de Bruges-la-Morte (1892) marie les notes brumeuses que lui inspirent les paysages de sa patrie d'origine, où les beffrois se reflètent dans les canaux, au milieu des cygnes voguant dans une lumière incertaine, où la vie demeure confinée à l'intérieur de hautes demeures, derrière des vitres aux rideaux de tulle (voir le Miroir du ciel natal, 1898).

 

Une paroi - un miroir, une vitre, l'oeil... - oppose deux espaces: le dedans et le dehors de l'aquarium ("Aquarium mental"), les deux faces de la main ("les Lignes de la main"), le couchant et la chambre ("le Soir dans les vitres"), la chambre du malade alité et la ville environnante ("les Malades aux fenêtres"). Les relations entre ces deux espaces peuvent être conflictuelles ("le Soir [...]"), contradictoires ("les Lignes [...]"), sentimentales ("Aquarium mental"), harmonieuses ("les Malades [...]"). Le retour à la santé s'accompagne de l'"Émoi de peu à peu recommencer à vivre" ("les Malades"). Mais pour quelle vie? L'amour ("le Voyage dans les yeux") et le voyage ("la Tentation des nuages") sont condamnés: la convalescence ne mène qu'à soi: la clôture est assumée, et le sujet se tourne vers les vies multiples qui sont en lui ("l'âme sous-marine").

 

Rodenbach partage avec les poètes décadents le goût de la langueur et de la mélancolie. Claustration rime avec protection, maladie avec perceptions nouvelles ou accrues. Le crépuscule n'a plus rien d'angoissant: il rend le sujet conscient de l'absence de toute réalité et érige le moi en divinité. La mort, en sa lenteur, est source de jouissance: "le Soir dans les vitres" s'achève sur l'image d'une église, espace d'ombre envahi d'odeurs d'encens maladives qui mènent à la volupté.

 

En dépit des apparences, Rodenbach n'est pas un poète de la surface. Il redoute et désire à la fois non pas tant la vitre que l'agonie solaire et spatiale qui s'y joue. Il se montre, en fait, singulièrement attentif aux souffles du vent, dangereux ennemi du calme nécessaire à la purification de l'"Aquarium mental". Toute surface, lisse, appelle ainsi la plaie, la blessure, la déchirure, le pli, qui ouvrira sur une profondeur trouble, insondable - l'infini sinon turbulent, du moins troublant. L'écriture restitue cet "étrange" retournement, par une métaphore géographique qui dote la main ("les Signes") ou l'oeil ("le Voyage") d'une spatialité invitant au départ et au franchissement de l'horizon. Le corps est univers, ou, du fait de la contiguïté, échange avec la ville de ses qualités. La béance possède donc des vertus bénéfiques: elle libère de la finitude et du quotidien, elle ouvre sur l'atopique et l'atemporel - l'essence, le divin. Cette dialectique, qu'on a tant recherchée chez Mallarmé, est très présente dans "les Malades aux fenêtres": "La maladie étant un état sublimé, / Un avatar obscur où le mieux a germé."

 

Tout le corps pense, tout le corps se spiritualise, tout le corps se souvient: de l'histoire d'un être, ses désirs, ses hantises, ses angoisses; rien ne meurt. Le corps, tel l'oeil qui thésaurise les images du monde, a une densité qui bat en brèche l'illusion d'une mémoire blanche et vierge: l'affirmation très moderne d'un inconscient, la métaphore du somnambule, la profondeur trouble de l'âme, qui exige une grande lucidité (voir, par exemple, la fascination pour l'enfant devenant femme) sont autant d'éléments qui tirent cette oeuvre vers notre siècle.

 

La récurrence des métaphores et des comparaisons - cygnes, cors, bijoux, palais, voyage: bref, tout le bagage symboliste - donne au recueil son équilibre. Au gré de l'écriture, un comparé devient un comparant: l'aquarium est âme, l'âme est aquarium. Simple jeu et pur artifice? Il faut voir là un effet du symbolisme même, parfois si pesamment utilisé qu'il en devient accablant pour le lecteur désireux de trouver des poèmes plus suggestifs (voir les lourdes transitions: "ainsi, telle mon âme", ou les laborieuses coordinations: "or, c'est pourquoi", plus propres à la démonstration qu'à l'émotion). Tout est symbole en cet univers: la tristesse est dans l'âme, elle est dans la ville. Une mystérieuse harmonie unit l'âme, le corps, le lieu, au fil d'alexandrins rigides d'où toute effusion semble absente. A cet égard, le recueil suivant, le Miroir du ciel natal, en s'abandonnant au vers libre, affranchira un peu le sentiment du carcan où il est enfermé.

 

 

Le théâtre : Le voile (1897)

 

Dans le premier recueil de poèmes qu'il consentit à avouer, la Jeunesse blanche (1886), Rodenbach gardait, dans la facture de ses vers, de fortes résonances baudelairiennes. Son expansion lyrique se découvrait aussi de secrètes correspondances avec l'âme de sa terre natale: la Flandre. Les recueils qui suivirent, en particulier le Règne du silence (1891) et le Voyage dans les yeux (1893), fragment des Vies encloses qui paraîtront en 1896, révélèrent ainsi cet accord entre l'inspiration d'un poète et un pays mélancolique et mystérieux. Toutefois c'est dans un roman, Bruges-la-Morte (1892), qui devait assurer définitivement sa notoriété, qu'il trouva les mots les plus justes pour traduire ces harmonies intimes qui lient indéfectiblement une écriture poétique à une ville et à un terroir. Dans le Voile, celui que son ami Mallarmé appelait un "sensationniste" chercha ainsi à rendre l'atmosphère claustrale de ces maisons flamandes dont les fenêtres ouvrent sur des ciels de cendre et dont la vie de solitude et d'ennui se rythme aux tintements des cloches qui invitent, malgré tout, à lever les regards.

 

Porté par Alexandre Dumas fils à la Comédie-Française, le Voile, qui fut joué avec le Bandeau de Psyché de Louis Marsolleau et les Romanesques d'Edmond Rostand, remporta un vif succès. Rodenbach avait méticuleusement veillé jusqu'aux plus petits détails de la mise en scène et choisi lui-même les acteurs: Marguerite Moreno et Paul Mounet, qui surent donner à cette pièce son climat d'inquiète sérénité.

 

La scène se passe à Bruges dans la maison d'une vieille dame à l'agonie. Depuis de longs jours et de longues nuits, une jeune béguine, du nom de soeur Gudule, veille la moribonde. Jean, le neveu de la malade, qui dans ce foyer partage quotidiennement ses repas avec soeur Gudule, sent naître pour elle une attirance confuse qu'il ne parvient à cacher ni à lui-même, ni à Barbe la servante, ni au docteur qui s'en moque gentiment. En fait, l'idée fixe de Jean est de contempler la chevelure de la religieuse, chevelure que, selon les prescriptions, elle tient précautionneusement cachée sous sa cornette. Ce soir-là, il lui demande la faveur de connaître au moins la couleur de ses cheveux. Elle refuse. La même nuit, un grand cri réveille toute la maisonnée: l'ange de la mort emporte la vieille dame. Soeur Gudule se précipite alors vers la moribonde et apparaît à Jean dans tout l'éclat de sa chevelure. Dès cet instant, son amour, qui avait été sur le point de se déclarer, meurt d'un coup puisqu'il n'est plus entouré de mystère. C'est presque sur le ton de l'indifférence polie qu'il dira alors adieu à soeur Gudule qui, après le décès, quitte définitivement la maison.

 

Rodenbach, qui n'en était pas tout à fait son premier essai dramatique (il avait déjà écrit des piécettes: le Pour et le Contre, 1876; et avec Max Waller, la Petite Veuve, 1884), excelle dans cette pièce, comme ailleurs dans son oeuvre, à déceler la fêlure des âmes et à en effleurer les bords douloureux. En développant avec délicatesse l'image de la chevelure cachée, il s'accorde à la vision symboliste d'un monde rêvé animé de secrètes et mystérieuses harmonies: "Je n'aimais que ce dont mon rêve la parait", dit Jean à la scène finale. La poésie, à la versification chantournée mais fluide, sert au mieux cette suite d'instants fugitifs saisis dans leur fragilité et leur ténuité, alors que le décor et les mots suggèrent une Bruges où "l'eau sans but" des canaux est parcourue d'insaisissables reflets.

 

On retrouve à l'identique ces impressions fugaces et cette inspiration ondoyante dans les nouvelles du Musée des béguines (1894) et dans les poèmes qui suivirent, en particulier ceux du Miroir du ciel natal (1898).

 

Extrait du Testament des Siècles de Robert Paul

 

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Il s'agit d'un traité de Christine de Pisan ou Pizan (vers 1364-vers 1431), composé en 1405.

 

Écrit au lendemain du débat sur le Roman de la Rose, au cours duquel Christine prenait parti contre Jean de Meung, le Livre de la Cité des dames obéit au double modèle de la Cité de Dieu de saint Augustin  et des ouvrages historiques ou dévots qui exaltent des figures et des hauts faits du passé (les Miracles de Notre-Dame, la Légende dorée, Faits des Romains), surtout le De mulieribus claris et le Décaméron de Boccace auquel elle se réfère plusieurs fois.

 

Choquée et peinée par les discours misogynes qui fusent de tous côtés, dont le dernier en date, les Lamentations de Matheolus, lui semble particulièrement odieux, Christine bâtit sa cité idéale comme une place forte destinée à protéger les femmes méritantes d'injustes attaques et à combattre l'ignorance qui sous-tend de tels propos. Comme dans d'autres ouvrages, elle met sa fiction sous le signe de l'allégorie et la situe dans le cadre d'une vision, établissant de la sorte entre la réalité et le monument littéraire qu'elle érige, un lien symbolique propre à la révélation de vérités essentielles. Son traité se veut ainsi moins polémique que didactique et moral.

 

Christine à son pupitre se sent découragée par le mépris des lettrés envers les femmes. Elle maudit sa nature féminine, lorsque, dans une grande clarté, lui apparaissent trois dames de noble maintien: ce sont Raison, Droiture et Justice qui lui reprochent son abattement et l'engagent avec leur aide à bâtir une cité pour les «femmes illustres de bonne renommée»: avec sa plume, Christine dressera une citadelle plus résistante que les cités terrestres. En discutant sur les intentions des penseurs antiques puis sur les vices attribués aux femmes, elle jette les fondations puis place les pierres les unes sur les autres, c'est-à-dire accumule les portraits de femmes remarquables. L'ouvrage comprend trois parties, chacune dominée par une des figures allégoriques. La première traite avec Raison des femmes et de la politique, passant en revue reines, guerrières et chefs d'État, évoquant des femmes savantes et celles qui furent à l'origine d'inventions: l'écriture syllabique, le tissage, l'éloquence. Raison conclut à l'égalité des sexes devant Dieu. Droiture prend ensuite la parole pour bâtir les édifices de la ville: ils seront faits des prophétesses, des épouses fidèles et vertueuses, des femmes qui sauvèrent leurs pays... Droiture réfute, preuves à l'appui, les accusations portées contre les épouses, contre la lâcheté et la pusillanimité des femmes, leur prétendue infidélité ou leur excessive coquetterie. Christine s'adresse à toutes femmes mortes et vivantes et aux princesses. Justice alors s'avance pour introduire la première entre toutes: la Vierge Marie. Suivent de nombreuses saintes femmes et martyres. Christine accueille avec joie les dames, leur demandant de rester vertueuses et dignes de leur cité, fermes face aux discours séducteurs et perfides des hommes.

 

Christine trouvera les matériaux de sa cité au «champ des lettres», où il lui faudra creuser avec «la pioche de son intelligence», maçonner avec «la truelle de sa plume». C'est précisément la nature purement verbale de l'édifice qui le rend invincible et éternel: Christine proclame ainsi sa foi _ humaniste _ en la force du discours et de la culture. Métaphore explicite de l'écriture, son ouvrage se meut tout entier dans l'univers des livres: issu de ses réactions de lectrice, il est sa réponse à d'autres livres, ceux qui l'enserrent dans son cabinet de travail comme elle le rappelle dans son prologue: «Selon mon habitude [...] j'étais un jour assise dans mon étude, tout entourée de livres traitant des sujets les plus divers.» Christine met ainsi en scène sa propre figure d'écrivain(e) et parle de son rapport à la création comme d'un travail de construction dont la mémoire littéraire constitue la pulsion première et le coeur: «C'était une fontaine qui sourdait: un grand nombre d'auteurs me remontaient en mémoire.»

 

Désireuse de donner aux femmes la mémoire de leur propre histoire, Christine convoque tous les discours _ allégorique, mythique, historique _, rassemblant dans l'espace de sa cité déesses païennes et saintes martyres, princesses légendaires et historiques, antiques et modernes, voire contemporaines: Isabeau de Bavière, Jeanne de Berry, Valentine Visconti. C'est, en effet, en effaçant les particularités des lieux et des époques, en gommant la distance historique ou légendaire, en ignorant délibérément les zones d'ombre, qu'elle va droit à l'essentiel, transcende l'anecdote, et atteint l'universel et l'éternel. Son histoire des femmes est surtout un monument à leur gloire. Son style répond à son projet. Ne gardant que les éléments principaux des récits qu'elle compile, ne s'attachant qu'aux traits pertinents qui servent son idée, elle rédige une suite de panégyriques et de portraits idéaux. Elle trace des épures où l'évolution du personnage, les événements disparaissent au profit de caractères moraux, stables et figés. Chaque femme devient le modèle de telle ou telle vertu: ainsi la figure de Sémiramis _ qui constitue la première pierre _, reine de Babylone, pourtant incestueuse, acquiert une cohérence et une noblesse sans défaut. Christine refuse toute description inutile, tout détail pittoresque qui disperserait l'attention, nuirait à l'unité du portrait et à son exemplarité. Seules les discussions qu'elle a avec ses protectrices aèrent l'exposé, soulèvent des interrogations aussitôt réduites par une argumentation sans réplique.

 

Au-delà d'accents étonnamment modernes (affirmation de l'intelligence des filles et de leur droit à l'instruction, dénonciation du viol, scandale des mariages mal assortis...), Christine achoppe sur l'impossibilité de dépasser le modèle masculin. Pour s'en sortir les femmes doivent se viriliser! Ne changea-t-on pas le nom de la reine de Carthage Elissa «pour l'appeler Didon, l'équivalent du latin virago, c'est-à-dire "celle qui a le courage et la résolution d'un homme"?» Aussi les murs d'enceinte sont-ils faits des reines guerrières, veuves (thème récurrent chez l'auteur en rapport avec sa situation), ou sans hommes comme les Amazones. État ou choix toujours pleinement justifié, qui métamorphose la femme en homme (voir la Mutation de Fortune).

 

Mais plus profondément _ et en cela sa plume est plus audacieuse et polémique qu'il ne paraît _, Christine opère un retournement du discours clérical: sans la femme, sous son double visage d'Eve et de Marie, l'Homme n'aurait pas accédé au royaume de Dieu, car «jamais l'humanité n'aurait été réunie à la divinité si Eve n'avait pas péché». La femme prend donc rang parmi les interlocuteurs privilégiés de Dieu et de longues pages sont consacrées aux sibylles «qui connaissent la pensée de Dieu». Mère de l'humanité, elle est alors naturellement à l'origine des inventions essentielles qui ont permis l'essor de la civilisation: l'alphabet, l'agriculture, le tissage.... Voulue par Dieu, l'excellence des femmes sert à sa gloire. Aussi leurs calomniateurs s'opposent-ils à la volonté et au message divins... Mais aussi, dans cette cité, érigée sur les figures païennes, pénètre en maîtresse la Vierge Marie suivie des saintes femmes, car tel est le modèle ultime que Christine propose à ses soeurs et qui annonce le ton du Livre des Trois Vertus: vivre selon les préceptes de la morale et de l'Évangile, voilà la clé de la force des femmes.

 

Quelques mois plus tard, Christine reçoit une nouvelle visite des trois allégories qui lui demandent de compléter sa Cité par un Trésor, c'est-à-dire un traité d'éducation et de savoir-vivre, véritable guide de morale et de prudence mondaine, à l'usage des femmes désireuses de «pénétrer dans la cité» et à celui des «rebelles». Rempli de conseils pratiques et de préceptes moraux, ce Livre des Trois Vertus s'adresse directement aux femmes et passe en revue les différents «estats», des princesses aux femmes les plus humbles et même aux prostituées invitées à réformer leur vie.

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L’ENFANTEMENT DES POSSIBLES

Du 22-02 au 11-03-12, se tient à l’Espace Art Gallery une exposition intitulée « Les artistes de le Ligue des Insuffisants Rénaux ».

Organisée par M. Philippe Vroye, membre du Conseil d’Administration de la Ligue et lui-même artiste et patient, cette exposition présente une somme d’œuvres principalement réalisées par des créateurs aux talents divers, atteints de pathologies rénales ou ayant un lien avec le milieu médical.


Parmi ceux-ci, il convient de signaler trois personnalités fort intéressantes.


Madame Marianne Modave nous présente un ensemble de quatre tableaux chacun représentant le visage d’un personnage hindou.

L’artiste affirme qu’il n’y a pas de plus belles couleurs qu’en Inde, pays qu’elle connaît bien pour l’avoir sillonné souvent. Elle entretient avec la culture hindoue un rapport particulier.

En effet, l’approche qu’elle en retient résulte d’une émotion particulière, aux antipodes d’un orientalisme « classique ». Chez elle, tout est étude chromatique. Et son chromatisme est déjà particulier dans son traitement, en ce sens qu’il s’agit de quatre études représentant quatre faciès noirs, se détachant sur un fond sombre.

Marianne Modave nous offre les images parlantes d’un dialogue à la fois intérieur et gestuel. Un jeu de mains fort expressif soutient les tableaux n° 11 (50 x 50 cm) et n° 12 (50 x 50 cm)  représentant à la fois une femme et un homme. La femme serre un tissus blanc entre les mains tandis que l’homme, à l’intérieur de l’autre tableau, semble lui répondre en tendant les siennes vers le visiteur. Les visages contiennent une immense expressivité, à la fois dans le factuel comme dans l’intime. Une richesse intérieure les habite. Une richesse que l’on ne peut traduire qu’en interrogeant sa propre humanité. Dans l’œuvre de Marianne Modave l’expression se traduit tant dans l’expression saisissante que dans la pensée méditative. Les tableaux n° 13 (50 x 50 cm) et n° 14 intitulé « THEKKADY ET ALLEPEY » (50 x 70 cm) nous offrent chacun un visage féminin, les yeux clos par le silence de l’introspection. Le personnage de « THEKKADY ET ALLEPEY » est placé devant un miroir. L’effet est saisissant : le personnage et son reflet. Du fait que ce dernier se détache sur un fond sombre, en modifiant la restitution des couleurs (vivantes pour la femme se regardant, ternes, presque mortes en ce qui concerne son reflet) cela confère l’illusion qu’il y a en réalité deux personnages. Mais parler d’ « illusion » est-ce vraiment correct ? Ne serait-il pas plus juste de parler de « maya » (expression hindoue incorrectement traduite dans l’esprit occidental par « illusion »). La femme et son reflet existent tous deux. L’un est consubstantiel de l’autre. L’un porte l’autre dans l’enfantement de l’œuvre.

Marianne Modave qui est infirmière de profession a fréquenté l’Académie des Beaux-Arts de Namur. Sa technique est principalement basée sur l’aquarelle. Elle utilise, dans un premier temps, le pastel sec sur papier aquarelle de 300 grammes pouvant recevoir de l’eau, qu’elle mouille par la suite dans le but de fixer les pigments. Cette alchimie chromatique permet de mettre en exergue des oppositions saisissantes par une belle et intelligente utilisation des contrastes (filets de tissus pendant sur la main de la femme du tableau n° 11, dessins sur le châle du personnage (n° 12) réalisé par une trame en tissus posée à même la toile, créant ainsi un superbe jeu de pointillés, à la fois saillants et discrets.

L’œuvre de Marianne Modave témoigne d’une expérience humaine très forte qui se traduit par le plus beau des vestiges en perpétuel devenir : celui du visage humain. 

Quelques oeuvres de Marianne Modave 

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L’œuvre picturale de Madame Fabienne Christyn se traduit principalement par la représentation, ou plus exactement, par la mise en scène du personnage du Fou.

Le « Fou » nous renvoie à une multitude de souvenirs et concepts. La fable nous revient en mémoire ainsi que l’épopée chevaleresque ou le roman picaresque qui nous montrent le Fou du Roy qui par son ironie brave le pouvoir.

Le Fou c’est aussi celui qui brave la fadeur du temps en faisant fi de la mort.

Le Fou c’est en quelque sorte l’âme du cirque.

Mais le Fou c’est également celui qui par sa témérité imbécilité et dangereuse déclenche une catastrophe nucléaire ou écologique en défiant l’intelligence.

Cette conception du Fou est à la base du discours philosophique de l’artiste.

Mais il s’agit ici d’un Fou sans identité propre (si l’on peut dire) puisque tout en lui se résume à une frêle silhouette de rouge vêtue. Son visage est inexistant et se fond dans le décor. Néanmoins, il existe en tant que conception d’un monde qui traverse le temps dans un labyrinthe absurde qui nous ramène à la condition humaine.

Fabienne Christyn insiste pour que non pas le « visiteur » mais bien le « téléspectateur » entre dans la folie de son monde. Il y a donc une dimension, si l’on veut, « ludique » en ce sens que le Fou en représentation se meut à l’intérieur d’un spectacle qui, en quelque sorte, n’est pas sans rappeler la Commedia dell’Arte dans un univers moderne. Car il y a dans ses compositions un goût bien certain pour la mise en scène. Le Fou jongle avec des quilles (« JONGLE DE QUILLES » - 50 x 60 cm), marche le long d’un damier sur lequel sont posées des sabliers exprimant l’absurdité de l’existence dans le temps passant « LE TEMPS FUIT SANS RETOUR «    (80 x 80 cm).

Le Fou c’est aussi l’univers du cirque. Fabienne Christyn avoue avoir été fascinée dans le passé par la venue du « Cirque Plume », un cirque français qui lui a distillé la magie des jongleurs et des baladins.

L’univers dans lequel évolue le Fou est essentiellement géométrique. La sphère, le cube, le polygone sont les ingrédients de ce théâtre de l’absurde.

L’artiste qui est également sculpteur et céramiste s’exprime par la peinture à l’huile.

Elle a fréquenté l’Académie des Beaux-Arts de Namur.


Quelques oeuvres de Fabienne Christyn

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Le Bleu…le grand Bleu !  Tel est l’univers de  Madame Anny Van Gorp. Nous sommes dans les fonds marins. L’artiste nous offre des variations symphoniques sur la note bleue, rehaussée d’éclairs de lumière comme pour signifier la présence chaleureuse d’un soleil ou pour accentuer l’abîme d’un vertige. Le bleu dans tous ses états. Inutile d’insister sur le fait que c’est sa couleur préférée ! Anny Van Gorp éprouve un grand amour pour l’eau. Elle dépeint l’univers marin tant dans le calme « ANGELUS » (70 x 60 cm) qu’en pleine révolution « OCEAN » ( 50 x 50 cm)  « QUO VADIS « (70 x 70 cm).

Mais est-ce encore l’océan que cet univers azur ? La mise en matière d’un état d’âme prend souvent l’image des éléments transcendés. Ce qui nous donne l’opportunité de nous interroger sur le sens de l’image en ce qu’elle a (ou n’a pas) de « figuratif ». Si par ce terme l’on entend la présence de la « figure humaine », on peut gloser à l’infini car la « figure humaine »  se retrouve dans les méandres les plus inexplorés de l’abstraction. Ce Bleu que Anny Van Gorp décline sur la toile est semblable à une Terra Incognita au centre de laquelle se trame l’Etre créant aux limites de ses forces.

L’artiste avoue sa profonde admiration pour le peintre chinois Zao Wou-Ki. L’œuvre de ce dernier lui a inspiré cet univers chromatique à dominante bleue. Néanmoins, Anny Van Gorp se distingue de Zao Wou-Ki en ce sens que ses compositions exposées à l’Espace Art Gallery sont plus épurées que celles de l’artiste chinois, ces dernières étant globalement plus chargées dans leur graphisme.

A la question perfide : « que voudriez-vous que le visiteur retienne de votre œuvre ? » Anny Van Gorp répond qu’elle aimerait qu’il se sente libre de déployer son imaginaire au fil de cette eau bleue aux humeurs changeantes. 

L’artiste a fréquenté l’Académie de Braine-l’Alleud.


Quelques oeuvres de Anny Van Gorp 


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Le vernissage de cette exposition a eu lieu le mercredi 22-02. L’Espace Art Gallery était bondé.

 Il a fallu se frayer un chemin entre les visiteurs pour essayer d’entrer en contact avec les œuvres et les artistes. Heureusement, l’atmosphère était bercée par les vibrations magiques de la charmante et talentueuse harpiste bretonne Françoise Marquet qui nous a offert un florilège d’airs celtiques et du Moyen-Age tout droit sortis de la forêt de Brocéliande. Sa prestation a largement contribué à la réussite du vernissage dont le but, rappelons-le, est celui d’encourager l’effort créatif des différents artistes appartenant à la Ligue des Insuffisants Rénaux dont la vie n’est pas toujours aisée suite aux séquelles de leurs pathologies. Néanmoins, cette exposition prouve que malgré les épreuves qu’ils traversent, la puissance de la création l’emporte sur tout le reste, leur assurant la voie dans l’enfantement des possibles.

Françoise Marquet
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 François L. Speranza.


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Du 30 – 09 – au 16 – 10 -16, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles), a le plaisir de vous présenter une exposition dédiée à l’œuvre du peintre belge, Monsieur MARC BREES, intitulée FLORILEGES SURREALISTES.
MARC BREES nous démontre, par son œuvre, que le surréalisme peut se décliner de multiples façons tout en conservant la magie des éclairages ainsi que les éléments fondateurs dans ce domaine pictural, tels que le bleu magrittien du ciel, ex. LES PARADIS PERDUS (80 x 100 cm – huile sur toile),

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le chapeau melon du VESTIAIRE IMAGINAIRE (50 x 60 cm – huile sur toile),

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le côté épuré de l’espace au centre duquel se distingue le sujet de C’EST ASSEZ, CETACE (60 x 60 cm – huile sur toile)

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ainsi que sur l’essence même du surréalisme dans l’expression de sa sacralité : ESPECES EN VOIE DE DISPARITION (50 x 60 cm – huile sur toile).

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L’artiste nous redonne également la preuve que cette écriture peut réinterpréter les classiques de l’histoire de l’Art, comme il le démontre dans LA MORT DU DOGE (162 x 97 cm – huile sur toile). 

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Comme toute forme d’art, le surréalisme (qu’il soit pictural, cinématographique ou littéraire) procède par signes ou plus exactement, par la mise en signes à l’intérieur de l’espace, laquelle dialogue avec le visiteur par la présence provocatrice de chaque élément l’interpellant directement.
LES PARADIS PERDUS (cité plus haut) 12273187088?profile=original nous montre, au centre de la composition, juché sur un socle, le personnage biblique d’Eve, prise à l’instant où elle est encore en accord avec l’injonction de Dieu de ne point manger du fruit défendu. Ce fruit, que l’on traduit depuis maintenant des siècles par « pomme », est représenté dans un registre inférieur, reposant sur le chapiteau d’une colonne antique. Remarquons que la pomme vient d’être à peine entamée. Derrière Eve, un diptyque séparé par l’arbre de la Connaissance resplendit au cœur d’une végétation luxuriante. L’ensemble de la composition repose sur un sol en damier lequel commence déjà à se désagréger, à l’avant-plan. Ce qui conduit notre regard vers la droite de la toile, sur laquelle se profile la même scène dans une répétition du récit où la mort se manifeste par l’apparition d’une Eve en décomposition, répondant à l’arbre de la Connaissance réduit à l’état de squelette. Cette scène symbolise la chute d’Eve, chassée de l’Eden. Oui mais…et Adam dans tout ça ?
Eve n’était pas goinfre au point d’engloutir la pomme toute seule ! Dirigeons à présent notre regard sur la partie gauche de la toile.
Une scène à l’aspect assez hermétique nous interroge sur l’exégèse totale du tableau. L’on y voit, pendant sur un petit bout de bois taillé en pointe, un lambeau de tissu famélique. Le visiteur peut passer cent fois devant ce détail sans qu’il ait la moindre idée quant à sa signification. L’interprétation de l’artiste est la suivante : le morceau de tissu est en fait le fragment d’une burqa, symbole de la soumission de la Femme par un islamisme intolérant. Dès lors, la présence de la seule Eve se justifie par une apologie de la Femme en souffrance. Le titre de l’œuvre LES PARADIS PERDUS dépasse le récit biblique. Par l’actualité de son contexte politique, l’artiste détourne l’histoire vétérotestamentaire, laquelle par le fait même de la présence d’Adam, permet au couple primordial (même maudit) d’entrer dans l’Histoire, en donnant un futur au genre humain par le biais de la désobéissance originelle. En d’autres termes, d’une histoire finalement positive, l’artiste donne au récit une finalité tragique. La présence de la pomme, à peine croquée et qui déjà commence à s’oxyder (au centre de la composition), laisse entrevoir la possibilité d’une issue mortifère. Néanmoins, l’élément surréaliste reprend le dessus en enveloppant la scène du bleu tributaire de Magritte que nous évoquions plus haut. D’un point de vue strictement sémantique, le véritable sujet de la composition n’est pas l’Eve trônant sur son socle mais bien le personnage squelettique à la droite de l’image, violé et ostracisé par un univers machiste et rétrograde.

LE VESTIAIRE IMAGINAIRE (cité plus haut)12273187289?profile=original joue avec la suspension des éléments picturaux dans l’espace, offrant à l’image une grande légèreté narrative. Compris entre deux zones rouge-clair (en haut et en bas de la toile), un porte-manteau fait office de vestiaire sur lequel pendent les mythes de Tintin et des thèmes de Magritte, en un seul tracé évocateur. Trois chapeaux melons reposent sur une surface plane, au bas de laquelle sont suspendues trois cannes. En partant de la gauche, nous remarquons que le premier couvre-chef appartient à un certain Dupond (avec un « d »), que le second est au nom de Dupont (avec un « t ») tandis que le nom du propriétaire du troisième chapeau melon n’est (en apparence) pas mentionné. Dupond est associé au chiffre 07 et Dupont au chiffre 77. Le troisième chapeau, apparemment sans propriétaire, est associé au chiffre 67. Mais voilà que les choses se précisent quant à son identité puisqu’une pomme s’affiche sur sa droite. Sous le couvre-chef de Dupond apparait le monogramme « R » tandis que sous celui de Dupont se trouve un second monogramme : « G ». Pour les « tintinophiles », abonnés jadis au « Journal de Tintin », l’énigme se précise, en ce sens que l’addition de tous ces signes indique que l’âge des lecteurs du journal est compris entre « 7 et 77 ans ». Que les monogrammes « R » et « G » cachent le pseudonyme d’Hergé (Georges Remi à l’état civil). Mais….tonnerre de Brest ! Que vient faire le chiffre 67 dans tout cela ? Et cette pomme ? Ne perdons pas de vue que nous avons trois chapeaux melons, alignés l’un à côté de l’autre…que le chapeau melon est l’élément distinctif des détectives Dupond et Dupont. Mais aussi celui d’un certain Magritte, associé à cet autre élément qu’est la pomme (LE FILS DE L’HOMME - 1964) Dès lors, l’énigme trouve sa réponse. Quant au chiffre 67, il correspond à la date du décès de René Magritte, survenu le 15 août 1967. Sous le chapeau de ce dernier, pend une canne couleur bleu-ciel, la couleur du surréalisme. Les deux autres cannes sont, évidemment, indissociables des deux détectives.

C’EST ASSEZ, CETACE (cité plus haut), 12273187685?profile=originalest sans doute la toile qui répond le plus à l’esthétique magrittienne. De la surface épurée (évoquée plus haut), se dégage le sujet dont nous n’apercevons que la partie visible (la queue de la baleine) s’apprêtant à plonger à travers un rideau rouge-vif, rappelant la scène d’un théâtre. La mer est réduite à l’état d’écume. A l’avant-plan, un harpon. Il s’agit, de par le sujet comme de par le titre, d’une œuvre de dénonciation de la chasse aux cétacés. Remarquons l’excellent effet visuel obtenu par le mariage chromatique du bleu-gris de la baleine et du rouge (en dégradés) du rideau ainsi que par celui de l’arrière-plan, séparé par le blanc immaculé de l’arc en plein cintre. L’écume de l’océan qui se retire ainsi que le brun du planché, évoquant non pas la douceur du sable mais bien une matérialisation de la dureté, à l’avant-plan, ainsi que la symbolique du rideau sanglant (la baleine se vidant de sa consistance), termine notre prise de conscience du signe.

ESPECE EN VOIE DE DISPARITION (cité plus haut)12273188256?profile=original est une œuvre répondant à une sémantique entremêlant histoire universelle et souvenir personnel dont il ne reste plus que l’empreinte. Il s’agit de l’évocation du net recul du catholicisme au sein de la société. Cela se perçoit par l’absence de la croix dont nous ne voyons plus que l’empreinte à partir d’un cadre dont le verre a été brisé (ce qui sanctionne un état de révolte). Réduite à l’état de squelette, la grenouille de bénitier bondit vers le visiteur. L’image pieuse qui rappelle la récompense distribuée jadis aux élèves des écoles catholiques ainsi que le rameau d’olivier, sur la droite de la toile, évoquant une paix qui tarde à arriver.

Le surréalisme, à l’instar de bien d’autres styles parcourant l’histoire de l’Art, a fait souvent des incursions dans d’autres époques.
En l’occurrence, LA MORT DU DOGE (cité plus haut)12273188461?profile=original fait référence à LA LECON D’ANATOMIE DU DOCTEUR TULP de Rembrandt (1632).

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Tout dans cette œuvre respire la mort. Les personnages, bien qu’humains, n’ont pas de visages. Ceux-ci sont remplacés soit par des masques, en ce qui concerne les médecins. Tandis que les élèves, assistant à l’origine à la leçon d’anatomie, ont des têtes de rapaces. Le visage du Doge, mort, est enveloppé d’un foulard opaque (lequel, stylistiquement considéré, n’est pas sans rappeler LES AMANTS de René Magritte (1928), dont le visage est recouvert d’un même foulard dont la forme évoque celle porté par le Doge). Ce qui à l’origine, était une pince à extraire les viscères, devient une tige se terminant par une main en réduction, faisant un geste de bénédiction. Elle est posée sur la robe rouge du Doge ornée du Lion de Saint Marc. Sur la droite, quatre colonnettes de marbre blanc reposent contre le mur. Deux d’entre elles se terminent également par des têtes de rapaces. Pour accentuer le côté masqué des personnages, la tête des assistants en forme d’oiseaux de proie, repose sur une fraise d’un blanc immaculé, laquelle contraste violemment avec la couleur terne de leurs manteaux (brun en dégradés et noir), tout en accentuant leur aspect féroce. Le masque des médecins, lequel n’est pas un masque protecteur contre les miasmes mais bien un masque de carnaval (nous sommes à Venise…), couvre toute la surface supposée du visage et se distingue nettement du vêtement noir. Il ne s’agit pas simplement de la création d’une œuvre sur une autre mais bien de la réinterprétation d’une œuvre déterminée en termes culturels et politiques, participant d’une approche à la fois contemporaine et personnelle. Dans ce cas-ci, l’interprétation relève d’une attitude de défi par rapport au pouvoir politique (illustrée par le Doge). Le médecin atteste de sa mort comme d’une délivrance. A y regarder de près, l’interprétation de l’artiste ne varie guère de celle de Rembrandt, puisque ce dernier avait conçu le tableau comme un manifeste en faveur de l’autopsie, condamnée par les autorités religieuses. Toutes deux sont des œuvres de contestation.
Il est impossible de ne pas s’incliner devant la maestria de MARC BREES, à la vue de cette interprétation picturale!
Les perspectives avec l’œuvre de Rembrandt ont été restituées ainsi que le flou duquel surgit le brun de l’arrière-plan avec ses éléments à peines perceptibles. La position des neuf personnages ainsi que le jeu des mains (sortant des vêtements) est identique.
La dynamique formée par les cinq personnages à la droite du médecin (à gauche pour le visiteur), formant un mouvement rotatif a été respectée. Enfin, le raccourci du corps du Doge, conçu presque de trois-quarts pour que celui-ci « entre » dans l’espace, ne laisse aucun doute sur la virtuosité de l’artiste. Dans l’œuvre originale, le corps est nu et presque translucide. Le médecin lui ouvre le bras gauche duquel surgissent les muscles et les veines. Ici, la pince se terminant par une main en miniature est posée sur la robe rouge du Doge, à hauteur du ventre, surplombant la tête du Lion de Saint Marc, c'est-à-dire, la tête pensante du pouvoir politique.
Vous serez surpris d’apprendre que MARC BREES est un autodidacte. Mais, à la différence de certains autodidactes qui commencent tard, l’artiste a débuté son chemin dans la magie de la peinture vers les dix ans. Son premier choc pictural fut Chagall et bien sûr, Bosch. Du côté maternel, l’artiste provient d’une famille de musiciens. De ce fait, il est extrêmement sensible à la musique et cela se perçoit dans la mise en scène de ses couleurs, lesquelles ne se livrent jamais à outrance mais respectent l’harmonie chromatique qui sied au surréalisme. Inutile de préciser qu’il adore Magritte et qu’à ses dires, il s’est toujours senti « surréaliste ». Il se définit également comme une espèce de « touche à tout », ce qui lui a permis d’évoluer comme Directeur du marketing et de la communication au sein d’une entreprise. Cette expérience se retrouve, notamment, dans l’arrière-plan d’ESPECE EN VOIE DE DISPARITION, conçu pour évoquer la brillance du papier peint couleur or.
MARC BREES est habité par l’innocence du surréalisme. Il l’exprime comme il respire, sans fards ni maniérismes, en trempant sa pensée dans un vocabulaire plastique personnel, se perdant dans son univers, oubliant, l’espace d’un trait que l’on est volontairement surréaliste !

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

 

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Marc Brees et François Speranza  interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(29 septembre 2016 photo Robert Paul)

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Exposition Marc Brees à l'Espace Art Gallery en septembre 2016 - Photo Espace Art Gallery

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Du 25 janvier au 30 septembre 2013


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Il s’agit d’une exposition unique, offrant une réflexion sur le décès, la croyance en l'au-delà, la vie et la mort. Un voyage initiatique en trois étapes.


La Mort dans tous ses états (rez-de chaussée)

 

Présente au public une série d'objets issus de collections publiques et privées, illustrant le souci des vivants pour les morts, offrant une réflexion sur la mort, la croyance en l'au-delà, la mémoire, le deuil, au travers de ses représentations artistiques, symboliques et épigraphiques. De la stèle médiévale de « Dame Rébecca » à celle d'Henriette Sasserath-Wolff (Namur), des textiles exceptionnels de l'Alsace et du Maroc aux objets de la vie quotidienne, cet ensemble cohérent illustre le respect constant de la personne disparue. Quelques stèles anciennes en provenance de la Lorraine Belge, de l'Ile de France, de la Moselle française, du Pays Basque et du Grand-Duché de Luxembourg seront présentées en exclusivité au public. Cette première section sera rehaussée de cartes postales anciennes, issues de la prestigieuse collection Gérard Silvain.

 

Round the world (1er étage)

 

Entraîne le visiteur dans une balade virtuelle grâce aux surprenants clichés de l'écrivain-artiste André Chabot, co-fondateur de « La mémoire métropolitaine » (Paris). Cette collection nous donne à voir l'incroyable diversité de styles funéraires au niveau mondial. Le caractère insolite et documentaire des monuments présentés et mis en valeur par la scénographie de Christian Israel constitue une première dans le genre.

 

La vie après la mort (2e étage)

 

Fait la part belle aux jeunes générations qui ont rejoint l'Aktion Sühnezeichen Friedensdienste et le Musée Juif de Belgique (MJB) dans le projet de restauration du patrimoine funéraire de France, de Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg. Cette section propose une remontée dans le temps, du XVIIe au XIXe siècles, d'Arlon à Bayonne, en passant par Clausen (GDL), la Ferté-Sous-Jouarre (F), Vantoux (F), Boulay (F), Créhange, en compagnie de deux scientifiques du MJB qui ont initié près de 150 jeunes volontaires européens à la restauration d'un cimetière juif ancien.

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(Photo : © collection Gérard Silvain)

 

« La Maison des vivants », du 25 janvier au 30 septembre 2013, au Musée Juif de Belgique, 21 rue des Minimes à 1000

Bruxelles. Ouvert du mardi au dimanche de 10h00 à 17h00. Nocturne sur demande.

Renseignements : tél. 02.500.88.35

Commissaire de l’exposition :
Philippe Pierret, Conservateur au MJB.

Durant toute la durée de l’exposition (janvier-septembre), des activités connexes seront organisées, parmi lesquelles des ateliers pédagogiques, des tables rondes, des nocturnes, un colloque.


A voir pendant l’exposition Beth-Ha Haïm "Maison de Vivants "Les Rituels funéraires du Judaïsme, le film de Olivier Hottois.

En voici quelques extraits:

 

 

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Biographie de Max Elskamp (1862-1931)

Robert Paul a dédié ce réseau Arts et Lettres à Max Elskamp.

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D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau

Suit une brève biographie d'Elskamp.


Max Elskamp est né le 5 mai 1862 à Anvers, non loin de l'église Saint-Paul. A cette époque, la ville possédait encore toute sa noblesse flamande, marchande et maritime. Les anciens quartiers, aux ruelles étroites et, tour à tour, grouillantes et silencieuses, firent sur l'enfant une impression profonde. Toute son oeuvre sera pénétrée de l'odeur sauvage du fleuve, où de grands coups de vent jetaient la senteur du goudron et des cargaisons, et les notes rauques des sirènes. Ses yeux s'étaient ouverts sur les bassins aux mâtures nombreuses, les écluses, les embarcadères et leurs pilotis, les magasins d'épices rares et exotiques, les marins aux parlers rudes et divers, les allées et venues des débardeurs et des filles, les voiliers aux noms touchants et magnifiques et les petites gens du quartier. Tout enfant encore, Max Elskamp suivra ses parents dans une maison neuve, au boulevard Léopold, dans un quartier neuf, lui aussi, et patricie, comme on disait alors. Mais ce vaste et magnifique hôtel, où pourtant devait s'écouler sa vie, occupera moins sa pensée que le décor de ses premières années. Jeune garçon, il était invinciblement attiré par le port et y passait toutes ses heures de liberté.

Son père avait été banquier; artiste de goût, il menait son fils au Musée et lui montrait une admirable collection de primitifs. Sa mère, rêveuse et mystique, atteinte d'une maladie mystérieuse, lui apprenait à éviter de faire souffrir. C'est d'elle qu'il tint en horreur, qu'il gardera toute sa vie, de la force brutale, son attention aux choses les plus humbles, sa curiosité de leur sens caché, et une sensibilité très subtile et très discrète, une sensibilité de solitaire. Max Elskamp doit à son père le sens de la beauté des images, de la ligne et de la couleur, et une dignité de grand seigneur timide. L'hérédité nordique, du côté paternel, s'alliait en lui à l'hérédité française et wallonne que lui avait transmise sa mère. Les vacances d'été dans la campagne wallonne au sein d'une famille joyeuse alternaient pour lui avec le séjour rêveur et solitaire, près du grand port flamand.

Elskamp fit quelques voyages. Il connut le métier des marins et des bateliers. Il s'intéressa à tous les anciens artisanats aux traditions séculaires. Le nom des objets et des outils, leur forme parfaite par l'usage, les gestes et les tableaux et les chansons de l'humble vie populaire, il recueillit tout dans sa mémoire et dans son coeur. Il reçut ainsi la leçon de l'apparence et de la vie profonde des choses, et l'intuition prolongeait l'étude.

Comme tant de fils de famille riche, à l'époque, il fit des études de droit. Mais il ne s'intéressa guère au barreau et le quitta après très peu de temps. Il éprouva un grand et pur amour pour une jeune fille qu'un autre épousa et emmena en Egypte. Il ne se consola jamais de l'avoir perdue. Ce furent des années vraiment désolées. Il se rapprochera davantage de son père et ce fut entre eux une admirable amitié. Sa mère mourut, puis, tragiquement, sa soeur. Lorsqu'en 1911, son père mourut, il sembla qu'il n'avait plus qu'à songer à la mort. Lui-même était malade et croyait qu'il ne guérirait plus.

Il avait écrit des poèmes qui furent publiés d'abord en plaquettes et en livres de haut luxe. Il en surveillait attentivement la typographie. Il les agrémentait de gravures qu'il taillait dans le bois selon les modes des anciens imagiers. Ils furent réunis en un volume qui parut au Mercure de France en 1898, sous le titre de "La Louange de la Vie" (Brève présentation suivra) . Ce volume comprend "Dominical", Salutations dont d'angéliques", "En symbole vers l'apostolat", Six Chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre" (Texte intégral suivra). La même année parut encore un recueil: "Enluminures" (Brève présentationsuivra).

Le poète se tut alors. Il s'était épris de folklore et rassemblait d'importantes collections. Les instruments qui ont servi à étudier les astres ou à mesurer le temps l'intéressaient particulièrement: horloges, gnomons, sextants, astrolabes, etc. Il s'en procura de toutes provenances, fit à leur propos des calculs et des études. Il semblait s'être fait dans sa solitude une manière de quiétude: ce n'était peut-être qu'une forme du renoncement. Quelque chose d'obscur le détournait de la littérature. On put croire alors que l'oeuvre du poète était terminée. Il se livrait à des recherches de technique et de science.

Ce fut la guerre de 1914, et l'exode vers la Hollande des civils qui voulaient éviter les horreurs de l'occupation allemande. Max Elskamp s'en fut par les routes à Berg-op-Zoom. Il y mena la vie misérable des réfugiés en exil. Sa dépression morale fut extrême et sa faiblesse inquiétante. En 1915, Henry van de Velde (voir le très précieux hommage qu'il rendit au poète), son plus ancien et son plus fidèle ami, parvint à le décider à rentrer à Anvers. Max y retrouvera sa maison abandonnée et le silence qu'il aimait. Il reprit ses occupations coutumières. Il se remit à la recherche et à l'étude des témoins émouvants de la vie populaire. Les souvenirs, belles images, occupaient de leur douceur ou de leur peine ses insomnies. Il se remit à graver le bois et à écrire des poèmes. La guerre prit fin. Ses journées se suivaient dans leur régularité et leur monotonie: mêmes occupations, entretiens avec quelques intimes, promenades avec la même amie, son "Accoutumée", comme il disait.

Après la période de la prostration, du silence et de l'exil - c'est ainsi qu'il la désignait lui- même - vint une période de production intense, de 1920 à 1924. Un premier recueil: "Sous les tentes de l'exode" (1921) (Brève présentation suivra), nous apporte le témoignage d'une sensibilité émue par les événements. Puis ce furent les "Chansons désabusées" (Brève présentation suivra) et "Maya" (Brève présentation suivra), --- (Texte intégralsuivra) où revivaient ses souvenirs d'amour et les anciens thèmes de sa rêverie (1922). En 1923, les "Délectations moroses" nous rappellent ses hantises et sa longue peine. "La Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégralsuivra) évoque de la façon la plus émouvante ce qu'il a le plus profondément aimé: les siens et le vieux quartier de ses premières années. En 1923 encore, "Les Sept Notre-Dame des plus beaux Métiers", le plus bel album de ses oeuvres xylographiques. En 1924, les deux derniers recueils qui parurent sous son contrôle: "Aegri Somnia" (Brève présentationsuivra) et "Remembrances".

Mais la maladie était venue, l'affreuse maladie et des obsessions terribles. La cloison s'était rompue entre l'univers et la vie intérieure. On a parlé de démence, d'accès de fureur et d'heures de dépression. Le poète est mort le 10 décembre 1931.

Il laissait quelques recueils de poèmes inédits. On en a publié la partie la plus importante et sans doute la plus belle: "Les Fleurs vertes", "Les Joies blondes", deux recueils qui parurent en 1934. Mais d'autres recueils demeurent inédits, dont il faut convenir qu'ils présentent des répétitions, des incohérences ou des traces de défaillance.

Familier de toutes les images chrétiennes, Max Elskamp ne fut pas catholique. "Religion vague et invoulue, dit-il, car je ne crois pas." Mais s'il fuyait les dogmes, il était pourtant "l'être le plus religieux" (Jean de Bosschère nous l'assure). Sa piété pour les choses et pour les hommes simples qui révèlent, sans le savoir, par des signes, ce qu'il y a d'essentiel en eux, suit des routes pour ainsi dire franciscaines et le mène à la mystique populaire. Dans l'évocation des croyances et des rites, "résonne la hantise mystique". Sa curiosité et le besoin de pénétrer plus profondément dans la compréhension de l'être et de sa solitude le conduiront à une sorte de bouddhisme qui n'était pas le bouddhisme et où il alliait deux sensibilités, la flamande qu'il s'était formée dans la solitude, et la chinoise qu'il avait rêvée; mystique de douceur, de silence et de paix. Mais sa pensée ne put s'y arrêter. Il était obsédé par des spéculations dont on ne trouve l'expression que dans sa correspondance. Il poursuivait, dans son absolu, le mystère de l'Etre, de l'Unité, du Temps et de l'Eternité. Ses dernières années lui apportèrent une douloureuse féerie pleine de persécutions, qui n'étaient pas toutes imaginaires.

Il vivait au plus haut de sa vaste et belle demeure, remplie de curiosités et d'oeuvres d'art. La chambre qu'il habitait était, tour à tour, la cellule monastique d'un fervent lecteur de l'"Imitation de Jésus-Christ", et l'atelier d'un artiste féru de la scrupuleuse perfection de l'artisan des anciens métiers. Sorte de moine laïc, préoccupé d'astronomie et de pensées secrètes. De là-haut, comme d'une tour, dans sa rêverie, ses confusions et ses clartés, "il était l'homme le plus vivant d'Anvers,, il était l'âme même d'Anvers, son honneur et sa légende". Il fuyait le contact des négociants et des grands armateurs. Solitaire et comme regardant au plus profond de soi-même, c'était la ville en lui en tout ce qu'elle a de durable et de meilleur, dans les joies et les douleurs, dans les prières et les chansons du peuple.

Cette vie d'Anvers, il nous la lègue dans son oeuvre, comme il fait revivre le quartier où il passa son enfance. "La rue Saint-Paul où je suis né, rue de consulats, maritime, joignant l'Escaut. Notre maison se trouvait pour ainsi dire enclavée dans l'église Saint-Paul, et mon enfance s'est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée, chef-d'oeuvre d'un sacristain en délire, où l'on voyait, entre les barres de fer, Christ au tombeau et dans de grandes et terribles flammes rouges, brûler sans fin les âmes du Purgatoire. En août passaient chez nous les baleines, les géants des Ommegancks flamands; et les hivers, si près du fleuve, les nuits d'hiver surtout étaient affreuses et trop emplies de bruit du vent, des glaces et de la marée. . ." Toute la vie véritable de sa vieille ville flamande, nous la retrouvons partout dans ses livres, mêlée à sa pensée, et site de ses souvenirs, particulièrement dans sa "Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégral suivra) --- (Brève présentation suivra), où il nous a parlé de lui et des siens de la façon la plus émouvante.
Les premiers recueils de Max Elskamp, réunis dans "La louange de la vie" en 1898, nous le révèlent tel qu'il ne cessera d'être. Les thèmes de ses chants - il en parlait comme de l'"enfantin missel de notre Passion selon la vie" - s'ordonnent en suites régulièrement organisées. Déjà sa manière est fixée. Elle peut sembler d'un ton si préconçu qu'on a voulu y déceler de l'artifice. Il s'était choisi un style très consciemment personnel. Evitant à la fois les épanchements et l'accent "pleurard", comme il disait, il était parvenu à ralentir le débit et à concentrer les images. Il ne tarda pas à s'aperçevoir que ce ton et son rythme correspondaient à ceux des anciennes chansons flamandes Sa langue, une langue bien personnelle, faite d'ellipses et de tours syntaxiques inusités, création unique dans nos lettres, donnait l'impression d'archaïsme et s'adaptait merveilleusement à la nature de son inspiration. On a dit qu'il avait emprunté aux symbolistes, à Verlaine et à Mallarmé. Mais il suffit de lire une seule de ses strophes, un de ses couplets, pour découvrir ce que sa manière et son rythme ont de personnel. La langue des symbolistes, qui, chez d'autres, paraît une affectation et une préciosité vaines, est, chez lui, non un balbutiement ni un ornement, mais la forme même de la sensibilité. "Langue prodigieuse, dit Jean Cassou, faite d'appositions, de participes adjectivés, d'ablatifs absolus, de substantifs sans articles, langage tout naturellement synthétique, c'est-à-dire en contradiction complète avec le génie français, mais qui impose à notre raison sa densité paradoxale, son chant en sourdine, ses basses tenues, sa douce et lente marche d'orgue. Il ne s'agit point ici de disposer un discours, mais de juxtaposer en les retenant gauchement, par le moyen le plus immédiat, des images modestes et touchantes." Max Elskamp, craignait qu'on lui en fût grief; il disait, dans un moment de découragement: "J'écris trop au Nord". Et il marquait par là ce qu'il y a d'étrange dans sa manière, et aussi d'archaïque, souvenir des vieilles chansons populaires. Rien ne pouvait mieux convenir qu'elle à une pensée qui n'a rien d'actuel et dont on peut dire qu'elle vit hors du temps, dans un décor que les âges passés lui ont transmis.

Gens des vieux métiers et des corporations, dans des ruelles de béguinage, que longent derrière leur murs clos des jardins bien ordonnés. Joie quotidienne et gestes réguliers. Heures prévues comme à l'office et dont chacune a sa couleur et son objet. Saisons alternées. Passages des barques et lumières des jardins, prières devant chaque Madone, au coin des rues. Telles sont les visions du poète. Mais dans ces visions qu'il transcrit en bon imagier qui connaît les choses, sans déformer leur réalité, se trouve une réalité seconde, "celle du rêve et de l'absolu". De la réalité familière toujours vivante, il s'évade dans un monde à son image, mais où les choses cachées ont une vie claire, un monde où tout est de l'âme, où tout chante des paroles humaines, très simples et très chargées. Flandre est parée de ses plus belles saisons, de ses plus belles couleurs. Les anges et la Vierge y vivent, comme ils vivaient voisins des bonnes gens de jadis. Le paysage est un signe, un miroir intérieur où se reflète le coeur du poète. Il semble s'en tenir à ce qu'il voit; mais l'attention de son coeur - sa tendresse - est si grande que tout s'en trouve magnifié. Humblement, il nous propose ses "Enluminures", comme s'il copiait les apparences. Or, mystiquement, ce sont des présences qu'il évoque devant nous, par la force de son amour. Mystique, sans doute il l'est, bien qu'il n'adhère à aucune croyance. Mais il a l'amour de cette évidence qu'est pour lui la vision. C'est une foi encore, personnelle et secrète et qui le remplira de plus en plus de souffrance que de joie. Il souffre amèrement de souvenirs anciens. Il souffre aussi d'une douloureuse peine métaphysique. Mais il souffre seul, lui, le doux qui a horreur de la force, le pacifique qui craint de blesser les fleurs ou les objets, le disciple de l'Ecclésiaste qui mesure la vanité des choses et de nos souffrances mêmes, et qui n'arrive pas à se résigner, lui le bouddhiste pour qui toute vie est sacrée. Ses peines et ses pensées sont encloses dans ses belles images, avec une tendre discrétions.

Les chansons se succèdent évoquant tous les aspects d'une pensée qui se replie sur les images familières et sur les anciennes affections. Ce seront encore les "Chansons désabusées", "Maya", "Aegir somnia", "Les Délectations moroses". Mais depuis l'exil et "Les Tentes de l'Exode", il y a dans plus d'un poème quelque chose de moins indirect. Le lien demeure entre les faits particuliers de la vie et le chant qui en procède. L'aveu est plus nettement circonstancié. L'oeuvre en conserve quelque chose de tremblant et de plus fiévreux. Un accent nouveau se mêle à l'ancienne diction. Ce sont toujours des chansons "d'une perfection villonesque". Le tour populaire et la fraîcheur n'en sont pas feints, - car le poète est toute sincérité. Mais ce ne sont plus seulement ces petits airs comme on s'en chante pour bercer, pour calmer sa peine d'être un homme. Le poète est toujours possédé par sa volonté d'art. Son style et sa langue, comme ses rythmes familiers, lui sont si habituels que, souvent, le vers s'assouplit, se précipite. La pensée profonde qui "accompagne presque tous ses chants", les déborde constamment. La douleur, celle de la dureté de sa vie comme celle des souvenirs qui le harcèlent, lui est insupportable. Le destin est trop lours pour qu'on l'accepte sans percevoir l'effort. Il est altéré de perfection, et il n'y a plus de commune mesure entre la pensée, toute métaphysique, et les chansons. Le rêve même est trop pénible. Et celui qui avait prêché la paix et la joie et l'amour, défaille. Il lui arrive d'essayer de se distraire en décrivant des objets ou des estampes. Ses poèmes "ne sont jamais des peintures futiles". (Jean de Bosschère nous le signale utilement). Ces poèmes sont "des signes". Max Elskamp semble se hâter de tout dire pour pouvoir enfin se taire lorsqu'il éprouvera le besoin de crier sa plainte. Cette discrétion est bien aussi d'un homme de chez nous. Il peut se faire que nous l'ignorions, car il n'est pas fréquent que ces poètes profonds et renfermés écrivent ou parlent: contemplatifs, leur poésie est en eux et on a de la peine à la deviner, car elle se nourrit de solitude et de silence.

 

D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau

Et voir encore ici: Max Elskamp et le presse privée en Belgique (documents issus de ma collection privée)


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IN MEMORIAM
In La Chanson de la Rue Saint-Paul de Max Elskamp (1922)


A MON PERE

Mon Père Louis, Jean, François,
Avec vos prénoms de navires,
Mon Père mien, mon Père à moi,
Et dont les yeux couleur de myrrhe,

Disaient une âme vraie et sûre,
En sa douceur et sa bonté,
Où s'avérait noble droiture,
En qui luisait comme un été,

Mon Père avec qui j'ai vécu
Et dans une ferveur amie,
Depuis l'enfance où j'étais nu,
Jusqu'en la vieillesse où je suis.
Mon Père, amour m'était en vous,
Que j'ai gardé toute ma vie,
Ainsi qu'une lumière luie
En moi, et qui vous disait tout;

Mon père qui étiez ma foi
Toute de clarté souriante,
Dont la parole m'était loi
Consentie par mon âme aimante,

Mon Père doux à mes erreurs,
Et qui me pardonniez mes fautes,
Aux jours où trop souvent mon coeur
De sagesse n'était plus l'hôte,

Mon Père ainsi je vous ai su
Dans les heures comme elles viennent
Du ciel ou d'enfer descendues,
Apportant la joie ou la peine.
Or paix et qui était en vous
En l'amour du monde et des choses,
Alors que mon coeur un peu fou
Les voyait eux, parfois moins roses,

C'était vous lors qui m'apportiez
Foi en eux qui n'était en moi,
Lorsque si doux vous souriiez
A mes craintes ou de mon émoi,

Et vous étiez alors mon Dieu,
Et qui me donniez en silence,
Et rien que par votre présence
Espoir en le bonheur qu'on veut,

Pour mieux accepter en l'attente
L'instant qui est, le jour qui vient,
Et sans doute les démente
Croire aux joies dans les lendemains.
O mon Père, vous qui m'aimiez
Autant que je vous ai aimé,
Mon Père vous et qui saviez
Ce que je pensais ou rêvais,

Un jour où j'avais cru trouver
Celle qui eut orné ma vie,
A qui je m'étais tout donné,
Mais qui las! Ne m'a pas suivi,

Alors et comme je pleurais,
C'est vous si doux qui m'avez dit:
Rien n'est perdu et tout renaît
Il est plus haut des paradis,

Et c'est l'épreuve pour ta chair
Sans plus mais d'âme un autre jour,
Tu trouveras le vrai amour
Eternel comme est la lumière,

Et pars et va sur les navires
Pour oublier ici ta peine,
Puisque c'est ce que tu désires,
Et bien que ce soit chose vaine,

Va, mon fils, je suis avec toi,
Tu ne seras seul sous les voiles,
Va, pars et surtout garde foi,
Dans la vie et dans ton étoile.
Or des jours alors ont passé
De nuit, de brume ou d'or vêtus,
Et puis des mois et des années
Qu'ensemble nous avons vécus

Mon Père et moi d'heures sincères,
Où nous était de tous les jours
La vie ou douce, ou bien amère,
Ainsi qu'elle est tour à tour,
Et puis en un matin d'avril
Les anges noirs eux, sont venus,
Et comme il tombait du grésil
Sur les arbres encore nus,

C'est vous mon Père bien aimé,
Qui m'avez dit adieu tout bas,
Vos yeux dans les miens comme entrés
Qui êtes mort entre mes bras.

 


A MA MERE

O Claire, Suzanne, Adolphine,
Ma Mère, qui m'étiez divine,

Comme les Maries, et qu'enfant,
J'adorais dès le matin blanc

Qui se levait là, près de l'eau,
Dans l'embrun gris monté des flots,

Du fleuve qui chantait matines
A voix de cloches dans la bruine;

O ma Mère, avec vos yeux bleux,
Que je regardais comme cieux,

Penchés sur moi tout de tendresse,
Et vos mains elles, de caresses,

Lorsqu'en vos bras vous me portiez
Et si douce me souriiez,

Pour me donner comme allégresse
Du jour venu qui se levait,

Et puis après qui me baigniez
Nu, mais alors un peu revêche,

Dans un bassin blanc et d'eau fraîche,
Aux aubes d'hiver ou d'été.

O ma Mère qui m'étiez douce
Comme votre robe de soie,

Et qui me semblait telle mousse
Lorsque je la touchais des doigts,

Ma Mère, avec aux mains vos bagues
Que je croyais des cerceaux d'or,

Lors en mes rêves d'enfant, vagues,
Mais dont il me souvient encor;

O ma Mère aussi qui chantiez,
Parfois lorsqu'à tort j'avais peine,

Des complaintes qui les faisaient
De mes chagrins choses sereines,

Et qui d'amour me les donniez
Alors que pour rien, je pleurais.

O ma Mère, dans mon enfance,
J'étais en vous, et vous en moi,

Et vous étiez dans ma croyance
Comme les Saintes que l'on voit,

Peintes dans les livres de foi
Que je feuilletais sans science,

M'arrêtant aux anges en ailes
A l'Agneau du Verbe couché,

Et à des paradis vermeils
Où les âmes montaient dorées,

Et vous m'étiez la Sainte-Claire,
Et dont on m'avait lu le nom,

Qui portait de lumière
Un nimbe peint autour du front.
Mais temps qui va et jours qui passent,
Alors, ma Mère, j'ai grandi,

Et vous m'avez été l'amie
Aux heures où j'avais l'âme lasse,

Ainsi que parfois dans la vie
Il en est d'avoir trop rêvé

Et sur la voie qu'on a suivie
De s'être souvent trompé,

Et vous m'avez lors consolé
Des mauvais jours dont j'étais l'hôte,

Et vous m'avez aussi pardonné
Parfois encore aussi mes fautes,

Ma Mère, qui lisiez en moi,
Ce que je pensais sans le dire,

Et saviez ma peine ou ma joie
Et me l'avériez d'un sourire.
O Claire, Suzanne, Adolphine,
O ma Mère, des Ecaussines,

A présent si loin qui dormez,
Vous souvient-il des jours d'été,

Là-bas en Août, quand nous allions,
Pour les visiter nos parents

Dans leur château de Belle-Tête,
Bâti en pierres de chez vous,

Et qui alors nous faisaient fête
A vous, leur fille, ainsi qu'à nous,

En cette douce Wallonie
D'étés clairs là-bas, en Hainaut,

Où nous entendions d'harmonie,
Comme une voix venue d'en haut,

Le bruit des ciseaux sur les pierres
Et qui chantaient sous les marteaux,

Comme cloches sonnant dans l'air
Ou mer au loin montant ses eaux,

Tandis que comme des éclairs
Passaient les trains sous les ormeaux.

O ma Mère des Ecaussines,
C'est votre sang qui parle en moi,

Et mon âme qui se confine
En Vous, et d'amour, et de foi,

Car vous m'étiez comme Marie,
Bien que je ne sois pas Jésus,

Et lorsque vous êtes partie,
J'ai su que j'avais tout perdu.

In Max Elskamp in La Chanson de la Rue Saint-Paul de Max Elskamp (1922)

 

Max Elskamp sur le réseau

 

 

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            VARIATIONS SUR LE BESTIAIRE : L’ŒUVRE DE ROBERT KETELSLEGERS

Du 10-01 au 28-01-18, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles) ouvre l’année nouvelle en vous proposant l’œuvre carrément époustouflante du peintre belge, Monsieur ROBERT KETELSLEGERS, qui ne manquera pas de faire chavirer vos idées sur la peinture! L’exposition s’intitule TOUTE LA VERITE, CELLE DE L’IMPOSTURE.

Parmi les thématiques qui parcourent l’Histoire de l’Art, ROBERT KETELSLEGERS renoue avec le dialogue unissant l’intimité abyssale de l’Homme avec le royaume dit « animal » que l’Occident a souvent regardé avec condescendance.

L’artiste nous convie à une interprétation contemporaine de la notion du « bestiaire ». En quoi ce bestiaire est-il « contemporain » ? Principalement par les sujets qu’il aborde, lesquels sont essentiellement historiques et politiques. Ceci dit, le bestiaire, étant une extension supplémentaire du théâtre de mœurs  dans la tradition littéraire, il ne pouvait qu’aborder des sujets « contemporains » à toutes les époques. Esope, en l’an 600 avant J.C. dénonçait les tares de son temps. Au 13ème siècle, « Le Roman de Renart » visait l’exemple moral à travers la satyre. Modernisant Esope, reprenant des récits régionaux et s’inspirant des intrigues de son temps, La Fontaine, au 17ème siècle portait au pinacle le bestiaire littéraire, laissant la voie libre à Perrault dans le développement du conte de fées, en tant que genre indépendant.

Concernant les arts plastiques, les choses deviennent explicites. L’image exprime l’hybridisme primordial associant plastiquement l’Homme à l’animal dans un même et unique concept : celui d’un mariage mystique à l’intérieur de l’arène cosmique. Depuis la Préhistoire cette fusion, d’abord concrétisée dans la chasse voyant la suprématie de l’Homme sur l’animal dans le but d’une cohésion sociale centrée à la fois sur l’économie et sur la relation magico-religieuse, s’est progressivement transformée en un rapport mystique, principalement souligné dans les sociétés polythéistes. Pensons à l’Egypte où le dieu Horus était représenté par un corps d’homme surmonté d’une tête de faucon. Pensons également à la Grèce et à ses centaures. Avec le christianisme survient la dichotomie drastique entre l’Homme (créé à l’image de Dieu) et l’animal qui lui est subordonné.

Il n’est plus question d’une quelconque fusion mystique. Du moins, en ce qui concerne les arts plastiques. Car en matière littéraire, l’Occident chrétien entretient le bestiaire mais essentiellement dans la sphère du récit fantastique avec à la clé une finalité morale. Nous avons cité, plus haut, « Le Roman de Renart ». Et cela n’a rien de gratuit, puisqu’il se termine sur une issue morale à destination du peuple.

Si nous faisons exception de l’œuvre surréaliste d’André Masson et de son bestiaire magnifique aux accents fantastiques, ce genre dans l’art contemporain se révèle plutôt timide. Il s’agit surtout d’hybridisme associant des corps d’animaux de diverses origines.

Comment définir le bestiaire de ROBERT KETELSLEGERS? Il s’agit, avant tout, d’un hybridisme, associant l’homme et la bête s’ébauchant sur le modèle de la figure filiforme de conception « aristocratique » par son attitude assez « pincée ». L’artiste aborde, notamment, des sujets qui ont parsemé l’histoire du 20ème siècle, tels que l’attitude du pape Pie XII face à la Shoah. L’avènement du nazisme. Le fascisme italien ou la conférence de Yalta.

Une codification sémantique définit le sujet : le visage (la gueule) du personnage demeure souvent impassible. Il s’agit d’un félin (le guépard) ou d’un rapace (le faucon). Parfois le personnage prend l’aspect d’un pélican. L’immobilité dans l’action en train de s’accomplir est un leitmotiv de l’artiste, en ce sens que nous nous trouvons face à une sorte de photogramme tiré d’un film. Il ne tient qu’au visiteur de pousser sur le bouton de son imaginaire pour que le film redémarre. Seul le décorum replaçant le personnage dans le temps confère l’identité historique à la scène. Le titre joue également un rôle analogue.

Qui se souvient, d’emblée, que JOSSIF DOUGACHVILI (125 x 205 cm-huile sur toile)

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était le véritable nom de Staline (l’acier, en russe) ? Et pour bien insister sur l’identité du personnage, l’artiste lui applique une série d’attributs, tels que la célèbre moustache en pointe, la pipe et l’uniforme blanc qui le distingue du groupe d’officiers qui l’entourent.

Le bras tendu vers l’avant du personnage central de AIELI, AIELO, AIELA (125 x 205 cm-huile sur toile),

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la svastika nazie ainsi que l’uniforme SS donnent le ton de cette peinture.

FIAT VOLUNTAS DEI (QUE LA VOLONTE DE DIEU SOIT FAITE) (124 x 204 cm-huile sur toile) 

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s’afficherait presque comme une parodie si l’on excepte l’issue tragique de la Shoah. Le pontife se présente avec une tête de rapace. Assis sur son trône, entouré de ses Gardes Suisses, il bénit. Tandis qu’à l’arrière-plan se profile l’entrée d’Auschwitz-Birkenau. Quel est le véritable sujet de ce tableau ? Observons que le Pape aussi bien que les Gardes Suisses détournent leur regard de la finalité de leur acte. Aucun des personnages ne s’adresse visuellement au visiteur, c'est-à-dire au regard qui personnifie leur conscience. Ceci est dû au fait que l’artiste n’aime pas trop le regard de face. Il préfère le regard en biais, bien plus chargé de mystère. De vérité cachée. Le sujet est le refus de la responsabilité historique.

YALTA (CHURCHILL, ROOSEVELT, STALINE) (104 x 154 cm-huile sur toile)

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montre trois fauves : Churchill, fumant son cigare, Roosevelt, plutôt apathique et Staline. La direction des visages est fort emblématique. Roosevelt est le seul à regarder droit devant lui. Tandis que Churchill et Staline fixent leur regard vers la droite (par rapport au visiteur). Même si l’artiste n’a jamais songé à cette éventualité politique, le fait que Churchill et Staline regardent vers la droite, pourrait symboliser géographiquement que ceux-ci regardent vers l’Est. Et nous savons tous ce qu’il adviendra de la partition des Balkans à partir de Yalta. Néanmoins, rappelons que cette pensée n’a jamais traversé l’esprit de l’artiste. Si l’humour est sa signature, une autre constante régit son œuvre, à savoir un jeu de mains savamment conçu de style expressionniste. Un symbolisme prophétique parsème cette œuvre : Roosevelt, le regard hagard, laisse pendre ses mains vers le bas : la mort est proche. Staline a les mains croisées : signe de satisfaction. Churchill pose sa main (tenant un cigare) sur son béret : signe d’égale satisfaction. Notons qu’en matière d’humour, le personnage de Churchill a été servi : fumeur invétéré, cigare au bec, il tient un deuxième cigare allumé à la main.

Outre l’humour, une autre constante régit son œuvre, à savoir un jeu des mains, savamment conçu, de style expressionniste ainsi que le jeu des regards fuyants.

Les quatre personnages entourant Staline, à l’avant-plan de JOSSIF DOUGACHVILI (cité plus haut), présentent leurs doigts en éventail.

Leurs mains sont croisées, déployant leurs doigts. Il s’agit, comme spécifié plus haut, de mains « expressionnistes », donnant vie aux personnages.

Ce jeu de mains croisées s’explique à la fois par leur position ainsi que par leur coloris. En réalité, cette œuvre représente Staline au centre d’une cohorte de généraux qu’il a fait exécuter. Les mains des généraux ont une couleur cadavérique. Leurs yeux sont clos. Seul Staline fixe le visiteur dans l’attitude photographique de la pose. L’arrière-plan est composé d’un mur blanc-cassé, presque diaphane, sur lequel sont gravés les noms de ses victimes. L’artiste en a profité pour placer sa signature à leur côté.

Tandis que le prénom et le patronyme de Staline se distinguent en lettres rouges-sang, juste en dessous de la faucille et du marteau.

Nous retrouvons ce même je de mains dans AIELI, AIELO, AIELA (cité plus haut). A partir du centre, tous les personnages provenant de la gauche de l’image écartent leurs doigts en éventail. Leurs mains sont énormes, à un point tel qu’elles semblent démesurées par rapport aux fusils qu’elles tiennent. Y a-t-il la volonté de renouer avec l’Expressionnisme, considéré comme « art dégénéré » par ces mêmes nazis que l’artiste caricature?

L’artiste répond à cette question par la négative. Il ne se considère pas comme un peintre purement « expressionniste ». Ce style fait simplement partie de son écriture sans pour autant la déterminer. Pour la première fois, le peintre montre les félins (à la gueule assez terne) grimaçant, montrant non pas des crocs de carnassiers mais bien des dents humaines. Il ne s’agit pas de félins déguisés en nazis mais bien d’hommes que la bestialité a rendus fauves. Comme pour YALTA (cité plus haut), humour et tragédie se côtoient. Au fur et à mesure que le regard s’affine, l’on remarque que la ligne d’équilibre exprimée par les jambes tendues se termine par la pointe des bottes touchant le postérieur du soldat de devant : un coup de pied aux fesses pour stimuler la marche! Le personnage central s’apprête à freiner la marche du soldat qui le précède pour lui botter les fesses à son tour. On avance à grands coups de pieds comme pour encourager la fuite en avant. Et c’est précisément ce qu’il s’est passé après 1941 (Stalingrad), lorsque le régime nazi comprit que la guerre était perdue. Pour signifier le mouvement, la parade débute par la gauche et l’on voit tendre vers l’avant la jambe d’un soldat dont nous n’apercevons pas encore la silhouette. Graphiquement parlant, la conception des soldats portant le fusil est très intéressante. D’aucuns pourraient évoquer le bande dessinée. Vrai d’un côté, faux de l’autre.

Une cassure rythmique s’amorce dans l’occultation de l’épaule droite du personnage. Partant de la paume de la main, le fusil s’élance avant d’être arrêté par la cingle reliant les deux extrémités du casque pour réapparaitre sous la forme pointue de la baïonnette, reprenant ainsi le rythme interrompu. La diagonale formée par le bras du personnage central prolongée par l’épée, s’oppose à la raideur de la droite exécutée par le bras tendu. Le tout assure un équilibre total. Rien de tout cela ne se retrouve dans la bande dessinée à proprement parler.

Par ces observations remarquons également que l’œuvre de ce peintre est avant tout celle d’un architecte! Nous l’observons encore par la conception des vêtements laquelle met en exergue un engouement affirmé pour le cubisme.

La robe du Pie XII de FIAT VOLUNTAS DEI (cité plus haut) est constituée d’une suite de triangles séparée par une file de boutons formant une ligne médiane. Le col des Gardes Suisses est constitué d’un losange coupé en son milieu. Dans YALTA, l’artiste reprend la même conception cubiste définissant les vêtements des trois personnages. Celui de Churchill est assurément le plus saillant parce que le plus travaillé, devant faire office de « fourrure » au « vieux lion » comme on le surnommait. Sa tête est d’ailleurs celle d’un lion. Deux parallélépipèdes constituent les pantalons de Roosevelt et de Churchill. Bien sûr, la bande dessinée n’est pas étrangère dans la conception des personnages mais elle n’est présente que dans l’idée.

Un jeu de mains, aussi intéressant que les précédents (mains jointes en prière), se retrouve dans LA TOUTE DERNIERE CENE (104 x 153 cm-huile sur toile).

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A l’instar de FIAT VOLUNTAS DEI, les disciples entourant le Christ évitent de regarder en direction du visiteur. Comme pour insister sur ce détail, l’artiste donne au Christ un double regard en lui conférant deux paires d’yeux. L’humour dénote le personnage de Judas, à l’avant-plan, tenant un cigare. Celui-ci rit et, une fois encore, l’artiste l’affuble de dents humaines. Tragédie et humour ne font qu’un : outre le cigare que fume Judas, le vin porte l’appellation d’origine contrôlée « Noces de Cana ». Dans les assiettes, des crabes tournent leurs pinces en direction du visiteur.

IL DUCE HA SEMPRE RAGIONE (LE DUCE A TOUJOURS RAISON) (105 x 125cm-huile sur toile)

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est en réalité un autoportrait de Benito Mussolini (à droite) affublé de son alter ego (à gauche) présenté sous les traits d’une marionnette surgie d’un recoin de l’arrière-plan. Pour la deuxième fois, concernant cette exposition, le visage (la gueule) du félin prend une expression caractéristique : celle de Mussolini haranguant la foule exprimant ses mimiques suscitant le rire. Il est intéressant de constater que l’artiste accorde deux expressions caractéristiques opposées à des personnages s’inscrivant dans une même séquence historique : des dents prêtes à mordre, signifiant la haine pour ce qui concerne le nazisme et l’expression carrément imbécile s’agissant du fascisme. Tous deux symbolisant une même finalité tragique. Et nous avons là toute la dialectique de l’artiste : la tragédie servie dans un esprit carnavalesque. 

ROBERT KETELSLEGERS qui a une formation académique, ayant fréquenté l’Institut supérieur des Beaux-Arts Saint Luc de Liège, possède une technique à l’huile remarquable dans le résultat qu’elle engendre. Le visiteur a devant lui l’espace ouvert d’une surface entièrement « lisse », en ce sens que très peu de matière est utilisée, l’artiste frottant et grattant au maximum la surface pour éliminer le moindre résidu. Néanmoins, la finesse du trait assurant la formation du volume, la matérialité du sujet transparait par delà la toile. Le résultat est saisissant!

La matière est là sans la moindre trace de couteau ou de spatule. La matière, absente dans sa consistance, apparait dans ce qu’elle suggère, sa matérialité.

En règle générale, et ce pour mieux faire ressortir la scène ainsi que l’ampleur de la tragédie, les arrière-plans sont de couleur gris-blanc.

Détail singulier : la signature de l’artiste est posée presque toujours vers le haut de la toile. Dans LA TOUTE DERNIERE CENE, elle est carrément comprise à l’intérieur de l’auréole entourant le Christ.

En dernière analyse, ces variations sur le bestiaire indiquent que la philosophie couronnant l’œuvre plastique de l’artiste demeure la même par rapport à celle du passé concernant le domaine littéraire. La forme et le fond sont invariables. Ils partagent la satyre comme dénominateur commun. Mais dans ce domaine, le peintre va plus loin.

VERITE et IMPOSTURE (la trame de l’exposition) sont deux vérités opposées parce qu’elles participent de deux réalités opposées : celles de l’engagement et de la trahison au sens le plus large. Avec, néanmoins, cette différence notable, à savoir que l’artiste dénonce. Il ne moralise pas. D’ailleurs, la conception esthétique de sa peinture empêche la moindre moralisation.

Par ce côté « carnavalesque » que nous évoquions plus haut, l’artiste se moque des bourreaux. Il dénonce l’absurdité cruelle d’un siècle laquelle, ne l’oublions jamais, peut parfaitement se répéter. 

ROBERT KETELSLEGERS est un « cynique » dans le sens grec du terme. En exagérant la sémantique d’un langage (plastique, historique et politique) en perte d’humanité, il en décrypte l’absurdité avec une totale indépendance d’esprit.  

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable


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A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza


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L'artiste et François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
R. P.

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Il s’agit d’un drame en cinq actes et en prose de Maurice Maeterlinck, publié à 30 exemplaires à Gand chez Louis Van Melle en 1889; réédition à Bruxelles chez Paul Lacomblez en 1890.

La Princesse Maleine est la première pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck, parue la même année que son recueil de poésie Serres chaudes. Elle fut saluée par un article dithyrambique d'Octave Mirbeau dans le Figaro du 24 août 1890: "Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck [...]. Je sais seulement qu'aucun homme n'est plus inconnu que lui et je sais aussi qu'il a fait un chef-d'oeuvre [...]. M. Maurice Maeterlinck nous a donné l'oeuvre la plus géniale de ce temps [...] et oserais-je le dire? supérieure en beauté à ce qu'il y a de plus beau dans Shakespeare." Le "Shakespeare belge" était né, et Maeterlinck évoquera plus tard la surprise et la gêne que suscita cet article dont les effets furent immédiats dans les milieux bourgeois de Gand. Paul Fort, fondateur du Théâtre-Mixte, devenu en 1890 le théâtre d'Art, cherchait des textes originaux et une orientation neuve: il s'adressa à Maurice Maeterlinck pour obtenir la Princesse Maleine. C'est finalement à Antoine, qui ne jouera jamais la pièce, que Maeterlinck la céda.

Dans le château du vieux roi Marcellus, on fête les fiançailles de sa fille, Maleine, avec le prince Hjalmar. Dehors veillent deux officiers du roi, lorsqu'une comète apparaît, semblant "verser du sang sur le château [...]. On dit que ces étoiles à longue chevelure annoncent la mort des princesses". Soudain, les vitres éclatent; cris et tumultes précédent la sortie du vieux roi Hjalmar, père du prince, qui insulte Marcellus: "Je vous laisse votre Maleine avec sa face verte et ses cils blancs." Le château est incendié, Marcellus est mort, et Maleine a disparu. On la croit morte. Le prince Hjalmar se fiance à Uglyane, fille de la reine Anne dont le vieux Hjalmar est très amoureux et totalement dépendant (Acte I). Maleine, réfugiée avec sa nourrice dans une tour, traverse une vaste forêt sombre dans l'espoir de rejoindre Yselmonde, le château d'Hjalmar où, se faisant passer pour une suivante, elle reconquiert le coeur du prince: "On dirait que mes yeux se sont ouverts ce soir" (Acte II). La reine Anne, feignant d'accepter l'idée d'une union entre Hjalmar et Maleine, entoure d'attentions la jeune princesse malade. Maleine, pâle et très faible, est atteinte d'une mystérieuse langueur, due, pense-t-on, à l'air des marais qui entourent le château. Le pressentiment d'une fin tragique se confirme lorsque le médecin révèle qu'Anne lui a demandé du poison. La machination devient évidente: "Elle travaille comme une taupe à je ne sais quoi; elle a excité mon pauvre père contre Marcellus et elle a déchaîné cette guerre; il y a quelque chose là-dessous!", disait déjà Hjalmar à l'acte I (Acte III). Autour d'elle, Anne devine les soupçons et craint que le vieux roi, par faiblesse, ne l'abandonne, l'entraînant de force avec elle: "Mon Dieu... Elle me conduit comme un pauvre épagneul; elle va m'entraîner dans une forêt de crimes, et les flammes de l'enfer sont au bout de ma route." Anne pénètre dans la chambre de Maleine par une nuit "aussi noire qu'un étang" et étrangle la princesse (Acte IV). L'orage éclate. Dehors les paysans sont assemblés et voient entrer dans le port un navire de guerre noir: "C'est le jugement dernier", dit un vieillard. Lorsque le vieux roi Hjalmar, devenu fou, dénonce le crime, son fils poignarde Anne avant de se donner la mort (Acte V).

La Princesse Maleine baigne dans un climat d'angoisse. La présence du surnaturel (château étrange, lumière insolite conférant aux objets et aux êtres une image irréelle), les correspondances tissées entre les personnages et la nature suggèrent le mystère et la tragédie.

La fatalité gouverne un univers où des êtres passifs et dépourvus de toute volonté se laissent guider par un destin qu'ils pressentent mais qu'ils ne tentent jamais de détourner. Cette impression générale de malaise est accentuée par des dialogues inachevés, hachés et laconiques dont les répliques, toujours très brèves, sont autant de paroles suspendues, suggérant le trouble des personnages. Le traitement de la fatalité dans la Princesse Maleine a souvent été comparé à celui de Macbeth - que Maeterlinck traduisit en 1909. Dans les deux pièces se retrouvent, entre autres, le personnage de la reine sensuelle, cruelle et meurtrière, et du vieux roi qui sombre dans la folie. La reine Anne, figure dominante du drame, incarne les puissances démoniaques. Intrigante et ambitieuse, le mobile profond de ses actes n'est autre que le plaisir du mal, une force secrète qui la guide mais qu'elle ne domine pas. Face à elle un vieux roi faible, complice épouvanté du drame qui se tisse sous ses yeux, et deux fiancés perdus dans les brumes de l'angoisse et du mystère, victimes d'une machination dont l'étau se resserre peu à peu autour d'eux (voir Pelléas et Mélisande).

Dès sa première pièce, comme on le voit, Maeterlinck a su mettre en oeuvre les principes fondamentaux de sa dramaturgie: le recours au silence et ces personnages "somnambules, un peu sourds, constamment arrachés à un songe pénible, [dont] le manque de promptitude tient intimement à leur psychologie et à l'idée un peu hagarde qu'ils se font de l'univers", comme il l'écrivit lui-même dans la Préface à l'édition complète de son théâtre.

Extrait du Testament des siècles de Robert Paul

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1. La guerre et ses lendemains Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique. C’est le début de cinq années d’occupation, plus dures encore qu’en 14-18, au cours desquelles la résistance s’affirme courageusement, tandis que rexistes et nationalistes flamands du VNV se livrent à la collaboration. Après le débarquement de Normandie, l’offensive Von Rundstedt dans les Ardennes et la victoire définitive sur l’Allemagne nazie, le problème du retour de Léopold III en Belgique divise le pays : c’est la question royale, marquée par une série de graves violences principalement dans les provinces de Liège et du Hainaut, et qui se dénoue par l’intronisation de Baudouin Ier. Durant les années 50, l’évolution économique et politique du pays peut se ramener à quelques faits saillants : reconstruction et relance de l’économie avec le soutien du Plan Marshall ; association de la Belgique à de grands consortiums internationaux (ONU en 1946, Benelux en 1947, OTAN en 1949, CECA en 1954, Euratom en 1957) ; conflits croissants entre les deux communautés linguistiques du pays, mais aussi entre unitaires et fédéralistes ; nouvelle guerre scolaire, ponctuée par la loi « Collard » (1955) et le Pacte scolaire (1959), entre catholiques et socialistes. Sur le plan culturel et intellectuel, il faut noter que, durant de longues années, le choc de la guerre paraît curieusement amorti. Certes, les tendances révolutionnaires de l’entre-deux-guerres (surréalisme compris) semblent complètement oubliées, l’américanophilie s’installe : l’heure n’est plus au pro-communisme ni même à une réflexion ou à une littérature « engagées ». Mais, comme beaucoup d’autres pays, la Belgique semble vouloir oublier au plus vite les affres de 40-45, et se soucier prioritairement de retrouver le bien-être matériel, en renouant avec des valeurs morales jugées « éternelles » -et dont on discerne mal la collusion avec la montée du fascisme dans les années 30 (respect de l’autorité, des valeurs bourgeoises comme la famille et la patrie, éducation paternaliste et puritaine, etc.) Il faudra attendre la révélation très progressive de l’horreur concentrationnaire, et une lente prise de conscience idéologique, pour que, à retardement, ce consensus avoue ses premières fissures (ainsi pourrait-on interpréter la révolte étudiante de mai 1968). Entre-temps, ni les intellectuels, ni les écrivains, ni les artisans n’entament de réflexion sur le sens profond de leur activité. Durant cette période, et sauf de minces exceptions, il n’y a pas d’avant-garde en Belgique, pas de contestation de l’ordre établi, de querelle d’école –pas même de roman existentialiste. C’est le règne d’un « bon ton » plus ou moins consentant. 2. Le « grand possible » Durant l’occupation, les circonstances font de la lecture un loisir privilégié. Mais, la frontière avec la France étant fermée, et la censure allemande veillant, la création littéraire est amenée à se réfugier dans trois genres très « détachés » de la réalité contemporaine –lesquels d’ailleurs poursuivent leur essor après la Libération : le récit fantastique, les histoires policières, la poésie non-engagée. Ce n’est pas que dans ces œuvres l’angoisse née de la guerre ne transparaisse nullement, mais elle s’y exprime toujours d’une manière indirecte, méconnaissable. Témoin le rêle de la peur et de l’horreur dans les contes fantastiques, celui de la violence ou de la mort dans le roman policier, etc. En 1941 paraît « Sortilèges » de Michel De Ghelderode, recueil de « contes crépusculaires » qu’on a rapprochés des sombres fictions d’Edgar Poe. Dans chacune de ces histoires en effet, on assiste à la progressive et inéluctable montée de l’angoisse, qui se matérialise autour du narrateur en un décor oppressant : seul un événement imprévu, ou un violent effort de la volonté lui permet finalement de s’en délivrer, et de retrouver l’apaisement. Le plus célèbre « fantastiqueur » belge reste Jean Ray, dont les meilleurs récits paraissent eux aussi en pleine guerre : « Le Grand Nocturne » (1942), « Les Cercles de l’Epouvante » (1943), « Malpertuis » (1943), sans compter « La Cité de l’indicible peur » (1943) et bien d’autres. certes, cette œuvre abondante a de nombreuses faiblesses, sacrifiant souvent à la redite et à la facilité. Certes, elle n’hésite pas à recourir à l’arsenal le plus éprouvé (et le plus disparate) des récits d’horreur : vampires, fantômes, créatures monstrueuses, diable en personne, phénomènes surnaturels de toutes sortes, situations angoissantes jusqu’au paroxysme. Il n’en reste pas moins que, évitant le vieux piège de l’explication rationnelle finale, et laissant habilement sans visage précis les êtres de l’ « autre monde », Ray nous livre des histoires douées d’un réel pouvoir d’envoûtement, parmi lesquelles émerge son seul roman : « Malpertuis ». A la même veine appartiennent les recueils de Thomas Owen, tels « Les chemins étranges » (1943), « La cave aux crapauds » (1945), « Cérémonial nocturne ». Mais ils se caractérisent par une absence quasi complète d’exotisme : les événements et créatures étranges apparaissent sur fond de banalité, le contraste accentuant l’impression d’épouvante. Tout autre est l’œuvre de Marcel Thiry. Son insolite est plus ample, plus raffiné, plus méditatif. L’auteur est hanté par la fatalité du vieillissement, de la jeunesse qui disparaît irrémédiablement, par le motif de la femme aimée qui a disparu et qu’il s’agit de retrouver. Dans « Echec au temps » (1945), qui relève d’une science-fiction « douve », un quatuor de jeunes gens tente de modifier rétroactivement l’issue de la Bataille de Waterloo : entreprise chimérique, mais combien symptomatique, qui vise à renverser l’immémoriale tyrannie du temps et de la mort. Ce me^me récit revient, sous des aspects divers, dans les sept contes intitulés « Nouvelles du grand possible » (1960), et dont le plus remarquable est « Le concerto pour Anne Queur » : fable émouvante et inquiétante, où un peuple d’immortels finit par disparaître dans le suicide collectif. Aux côtés de Marcel Thiry, citons « Nouvelles réalités fantastiques » de Franz Hellens (1941), auteur lui aussi d’excellentes nouvelles dans ce genre littéraire dangereux (précisons que plusieurs de ses recueils n’appartiennent pas à la période 1940-1960 : « Réalités fantastiques » date de 1923, « Herbes méchantes » de 1964, « Le dernier jour du monde » de 1967). Par contre, on s’étonnera peut-être de voir figurer ici « Octobre long dimanche », de Guy Vaes (196). Et pourtant, ce roman hors du commun manifeste une vive expérience de l’étrangeté. Bizarrement passif, Laurent se laisse successivement couper de toutes ses attaches sociales : emplois, amis et amies. Il semble accepter sans remords ni acrimonie cette lente déperdition, jusqu’à se retrouver jardinier d’un domaine dont il aurait dû hériter : inquiétant cheminement d’un être qui, tout en continuant de vivre, est en train de « quitter » ce monde. 3. Le roman policier Il est généralement admis que le récit policier est une « invention américaine » (pensons à Edgar Poe, à Raymond Chandler, à Dasihell Hammet), popularisé dans la France d’avant-guerre par des collections comme « Le Masque » ou « L’Empreinte ». Sous l’occupation, Stanislas-André Steeman –déjà célèbre en France, et qui vient de publier son fameux roman d’énigme « L’assassin habite au 21 » (1939) –lance une collection intitulée « Le Jury », rapidement auréolée d’un succès flatteur . Le créateur du commissaire Wens devient alors une sorte de gloire nationale, et il est vrai que plusieurs de ses œuvres témoignent d’un métier très sûr : « Légitime défense » (1942), « Haute tension » (1953), « Six hommes à tuer » (1956), etc. En tout une quarantaine de volumes, qui dénotent une grande virtuosité dans la technique narrative, mais aussi d’une verve et d’un humour qui les mettent aux antipodes des Simenon. Plusieurs auteurs mineurs se sont consacrés au policier : Max Servais, Louis-Thomas Jurdant, etc. Une place spéciale doit être réservée à deux spécialistes du fantastique : Jean Ray, avec sa longue série des « Aventures d’Harry Dickson », « le Sherlock Holmes américain » ; et Thomas Owen, auteur d’ « Hôtel meublé » (1943), des « Invités de huit heures » (1945), du « Portrait d’une dame de qualité » (1946). Nous voici à l’écrivain belge le plus célèbre au monde : Georges Simenon. Quant la guerre commence, il a déjà, comme Steeman, publié bon nombre de titres qui l’ont fait connaître d’un large public. En 1940 paraît « Le bourgmestre de Furnes », l’un de ses meilleurs romans, de la veine de ceux qui ont valu à Simenon la réputation non d’un auteur de policiers, mais de romans psychologiques. Citons encore, à titre d’échantillons, « L’horloger d’Everton » (qui date de la période « américaine », soit 1945-1955), des enquêtes du commissaire Maigret. Tous les livres de Simenon, à des titres divers, sont des oeuvres d’atmosphère. Elles relèvent d’une sorte de « néo-naturalisme », dans la mesure où les personnages semblent fréquemment menés par une fatalité incontournable, et leur comportement comme pré-déterminé par le lieu dont ils sont issus. Mais leur intérêt provient surtout d’une écriture parfaitement adaptée à l’imaginaire du récit, de l’absence d’importunes « explications » psychologiques, de motifs obsédants comme le regard, l’attente, le silence. 4. La poésie à l’honneur On l’a dit, la période voit s’épanouir d’autre part une poésie souvent d’excellente qualité, bien qu’elle ne soit révolutionnaire ni dans ses thèmes ni dans son langage. Soulignons à cet égard, le dynamisme précieux d’éditeurs comme Georges Houyoux, André de Rache, Pierre Seghers ou Henri Fagne, qui permettent à de nombreux jeunes poètes de se faire connaître. Sans oublier des « relais aussi utiles que les Midis de la Poésie à Bruxelles, les Biennales de Knokke, « Le Journal des Poètes », etc. Parmi les meilleurs recueils qui voient le jour dans les années 50, citons « Le voleur de feu », de Robert Goffin (1905), à la tonalité quelquefois proche d’un Cendrars. Citons surtout ceux qui figurent longtemps, Henri Michaux mis à part, considérés comme les deux meilleurs poètes belges de langue française : Norge et Marcel Thiry. Le premier publie « Les râpes » en 1949, « Les oignons » et « Le gros gibier » en 1953, « La langue verte » en 1954. Son œuvre se caractérise par une sorte de sagesse bonhomme mêlée de sensualité, mais aussi par un ton savoureux qui rappelle fréquemment les adages et chansons populaires. Sorte de fabuliste moderne, mais sans emphase ni sermon, Norge pourchasse l’hypocrisie et la prétention, sensible seulement à ce que la vie a de plus vrai. Atmosphère toute différente dans les recueils de Marcel Thiry, par exemple dans « Usine à penser des choses tristes » (1957), à la coloration toute nostalgique. Et c’est parfois suprême ou bien l’avant-suprême Que nous verrons jaunir un été sursitaire. Voici l’aster avant-suprême ou bien suprême ; Le signe violet se lève sur Cythère. Il serait injuste, enfin, d’oublier « La marche forcée » de Liliane Wouters (1954), « Magie familière », de Roger Goossens (1956), ou encore « Géologie », d’Henry Bauchau (1958). Sans apporter à l’art poétique de profond renouvellement, de tels recueils, avec leurs indéniables qualités, sont bien représentatifs de l’esthétique dominante de cette époque, où le sentiment d’insatisfaction forme pierre angulaire. 5. Le règne des éditeurs parisiens Sous ce titre un peu provoquant, il s’agit de caractériser un phénomène typique de l’après-guerre : l’édition littéraire belge devenue quasi inexistante, bon nombre de manuscrits (sinon d’écrivains) prennent la route de la France. La production romanesque de l’époque –c’est elle que nous visons ici, en exceptant le fantastique et le policier- est dominée par l’analyse psychologique et les problèmes moraux. Pour le reste, elle présente guère d’unité, et se constitue plutôt d’œuvres à chaque fois singulières, dont plusieurs sont d’ailleurs d’authentiques réussites. Ainsi en va-t-il pour « Blessures », de Paul Willems (1945), où sur fond de village campines, la pure et frêle Suzanne succombe sous la méchanceté d’un entourage trop dur pour elle. Pour « Le Rempart des Béguines », de Françoise Mallet-Joris (1951), histoire de l’amitié tendrement immorale entre Hélène adolescente et Tamara, la maîtresse de son père. Pour « Léon Morin, prêtre », que Béatrice Beck publie en 1952, montrant la nécessaire soumission du désir aux interdits moraux. C’est la même année que paraît « Notre ombre nous précède », d’Albert Ayguesparse, peinture terrienne qui renoue habilement avec le roman de mœurs. En 1953 sort de presse « Thomas Quercyé, de Stanislas d’Outremont : malgré son pathétique, l’héroïsme un peu artificiel du personnage central fait du roman une œuvre de morale autant que de fiction. « Les mémoires d’Elseneur », de Franz Hellens (1954) constituent peut-être son roman le plus riche et le plus fort. Composé de trois parties dont les rapports sont en partie énigmatiques, il raconte l’itinéraire inquiétant de Théophile, enfant criminel, puis navigateur de l’étrange, et enfin ascète qui renonce au monde. Dans cette terrible épopée, où passe le souffle de la tragédie antique, les pulsions oedipiennes le disputent à la recherche de l’absolu et de l’apaisement définitif –que le héros finit par trouver dans un mystérieux paysage de neige. Il faut mentionner le merveilleux « Tempo di Roma », d’Alexis Curvers (1957). Le jeune Jimmy, épris de la jolie Geronima, ne s’est pas aperçu avant la mort de Sir Craven qu’il en était aussi aimé : l’intrigue serait mince si elle n’était étroitement associée à la « présence » et au charme de Rome, dont les couleurs, les odeurs, la lumière sont rendues avec une finesse rarement atteinte. Quant à « Saint-Germain ou la négociation », de Francis Walder (1958), il rapporte les discussions historiques entre calvinistes et catholiques, au 16e siècle ; mais il s’attache surtout à une étude psychologique raffinée des interlocuteurs, et aux dédales les plus subtils de l’argumentation diplomatique. 6. La « Belgique sauvage » Quelques rares isolés se tiennent à l’écart de l’académisme officiel et des cercles feutrés qui caractérisent l’époque : souvent des survivants de l’aventure surréaliste ( dossier surréalisme suivra), ou de jeunes créateurs qui en ont été directement marqués. Véritables marginaux de la littérature, ils poursuivent opiniâtrement leur tâche anticonformiste, le plus souvent sans grande notoriété, tâchant de maintenir la fragile flamme de la contestation des valeurs établies. En 1947, un groupe « surréaliste-révolutionnaire » apparaît en Belgique. Christian Dotremont est parmi ses fondateurs et bientôt, sous son impulsion, voit le jour fin 1948 le groupe « Cobra », qui s’illustre surtout dans le domaine des arts plastiques, et s’écarte d’ailleurs radicalement du surréalisme. Il se rend célèbre notamment par des « peintures-mots », dont les nombreux « logogrammes » de Dotremont. En 1952, André Blavier crée à Verviers la revue « Temps mêlés ». L’année suivante, c’est « Phantomas », dont l’animateur principal est Théodore Koenig. Le n° 11 (décembre 1971) comportera un important supplément intitulé « La Belgique sauvage », sorte de panorama de tout ce qui, dans l’après-guerre, s’érige en refus de la culture officielle : ainsi la revue « Daily-Bûl », fondée en 1957 par André Balthazar. Pour diverses, persévérantes et désintéressées qu’elles oient, il faut reconnaître que les initiatives de ce genre ne donnent pas lieu à des œuvres importantes. Elles sont dominées de très loin par le personnage d’Henri Michaux qui, vivant en reclus, publie dans ces années certains de ses plus beaux textes, aux titres significatifs : « L’espace de dedans » (1944), « Ailleurs » (1948), « Face aux verrous » (1954), « L’infini turbulent » (1957). Admiré de beaucoup, Michaux n’est imité par personne ; et s’il est considéré avec René Char et Francis Ponge comme l’un des plus grands « poètes » français, c’est en solitaire qu’il poursuit son parcours exigeant. D’une étonnante lucidité, il évite avec une sûreté miraculeuse tous les pièges habituels de la littérature et de la pensée, en explorant jusqu’à l’extrême limite du possible les pouvoirs et les frontières de l’esprit humain, fût-ce dans l’expérience de la drogue. Moins ésotériques sont les œuvres de Louis Scutenaire (« Les degrés », 1945 ; « Les vacances d’un enfant », 1947) ; de Christian Dotremont (« La pierre et l’oreillers », 1955) ; d’Achille Chavée (« Entre puce et tigre », 1955), etc. Elles ont, entre autres, l’intérêt de préserver un « contre-pouvoir » dans la sage Belgique littéraire de l’époque. Histoire de la littérature belge I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé II. 1880-1914 : Un bref âge d’or. III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire V. 1960-1985 : Entre hier et demain
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QUAND SURREALISME ET HUMANISME EXPRIMENT L’ŒUVRE D’ALVARO MEJIAS

Du 23-02 au 26-03-17, l’ESPACE ART GALLERY (Rue lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles) a le plaisir de vous présenter une exposition consacrée au peintre surréaliste vénézuélien, Monsieur ALVARO MEJIAS intitulée LA INMORTALIDAD DEL CANGREJO (L’IMMORTALITE DU CRABE).

Dans l’évangile de l’Histoire de l’Art, le surréalisme prend naissance au début du 20ème siècle. En 1917, Guillaume Apollinaire, voulant accéder à la perception de l’invisible, invente dans une lettre adressée à l’écrivain et critique littéraire belge Paul Dermée, le mot « surréalisme » pour effacer définitivement l’expression « surnaturalisme », à connotation trop philosophique. Cela valait pour la littérature mais la peinture et plus tard le cinéma n’allaient pas être en reste. Poursuite de la lutte ou renaissance d’un concept ? Force est de constater que le surréalisme n’est pas, comme le prédisaient d’aucuns, mort et enterré. Que du contraire, il s’adapte, s’enserre et se faufile dans les arcanes les plus glissantes de notre société pour augmenter les possibilités d’un art que l’on constatera être encore plus ancien que ce qu’une certaine critique a essayé, jusqu’à il ya peu, de nous faire croire.

S’il est indéniable de considérer ALVARO MEJIAS comme un peintre surréaliste, il faut admettre aussi qu’il participe à redonner au surréalisme ses lettres de noblesse en le replaçant dans une continuité historique, tant pour ce qui concerne l’Histoire de l’Art que pour l’Histoire de la pensée humaine. Par son œuvre, les deux disciplines se trouvent parfaitement imbriquées et repositionnées au sein de la quête séculaire de l’humain.

Bien des critiques ont considéré la peinture mésoaméricaine contemporaine comme une forme de baroquisme sympathique alors que celle-ci se présentait déjà comme du surréalisme au sens étymologique du terme.

Avec ALVARO MEJIAS, nous retournons aux sources du surréalisme originel : celui du mythe que les cultures mésoaméricaines ont exploré dans une iconographie à l’intérieur de laquelle lignes et couleurs explorent une essence onirique. Le surréalisme présenté comme « cultivé » reprit sans le savoir, après la Première Guerre Mondiale, une démarche onirique analogue (peuplée de rêves et cauchemars), dont la spécificité fut d’être ancrée au sein d’une bourgeoisie à prédominance catholique, ankylosée dans une frustration consommée, ayant perdu tout rapport avec la sacralité de la situation inconsciente du moment, jugée « sans intérêt » (réfléchissant ainsi la suprématie d’une philosophie matérialiste et mortifère) qu’il fallait reléguer aux oubliettes du refoulé, lesquelles nous ramènent à notre vulnérabilité face à l’indicible de l’instant pulsionnel, vécu jusqu’à ses dernières limites.

Le surréalisme que nous offre l’artiste plonge ses racines dans le mythe, à la fois culturel et personnel. Mais, à y regarder de près, le mythe, n’est-il pas lui-même l’expression première du « surréalisme », par la tragédie qu’il exprime de façon poétique?

Par « tragédie », nous entendons l’œuvre prise comme source de méditation et d’enseignement, c'est-à-dire, au sens grec du terme. 

En quoi, d’un point de vue technique, le surréalisme de l’artiste se définit-il ? Il se définit, en premier, par la puissance de ses couleurs qui lui assurent sa lumière. Par « puissance », nous voulons mettre en exergue la façon dont les couleurs (tendres dans l’ensemble mais efficaces dans la lumière qu’elles créent) projettent le sujet vers le regard du visiteur. A partir d’une note dominante (jaune, bleu, vert…) utilisée comme fond chromatique, toute la palette sert, en quelque sorte, de propulseur au sujet destiné à être capté par l’œil.

D’un point de vue mythologique, ce qu’il y a sur la toile, témoigne de la présence envahissante des dieux et des déesses, prenant l’expression de formes que seule la part mythique de nous-mêmes, c'est-à-dire, la part liée à notre essence, peut interpréter et prolonger.

Le grand sens de la technique de l’artiste se développe tant dans les grandes toiles que dans les petites. La caractéristique de ces petits formats est définie par une sorte de déploiement de la forme, un peu comme le dépliage de celle-ci. Ils se définissent par plusieurs zones à l’intérieur desquelles elle s’exprime dans une myriade de détails : OTRO MUNDO (UN AUTRE MONDE) (40 x 40 cm-huile sur toile),

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la particularité de l’écriture de l’artiste se définit dans le fait qu’elle aborde la forme de telle façon que, de par son traitement, elle effleure à plusieurs reprises une abstraction pour ainsi dire, « contrôlée ». Nous l’observons à la vue de ces vibrations presque « musicales » s’échappant de cette série de courbes et d’entrelacs, chromatiquement concentrés à l’intérieur d’une dominante rouge, de laquelle apparaissent des notes vertes (au centre) et mauves (vers le bas).

Ces couleurs, vives à l’origine, mais réduites à leur expression la plus tendre, mettent en  relief la forme dans toute la plénitude de son essence. Peu importe qu’elle soit connue ou non, l’essentiel c’est qu’elle réponde aux exigences de l’espace, conçu comme aire de jeu sur laquelle elle s’étale. Car, au-delà de cet onirisme, il y a une discipline de la forme et de la couleur : tout est agencé pour qu’aucun élément ne sorte de la zone qui lui a été assignée et dans laquelle il évolue. Cela est vrai au point que la peinture recouvrant l’espace ne déborde jamais du cadre.

Cela prouve la fascination de l’artiste pour la peinture aztèque où les œuvres sont spatialement conçues de la même façon.

Cela dit, y a-t-il un ordre manifestement préétabli dans les compositions de l’artiste ? Il n’y en a pas, en ce sens qu’il ne sait jamais de quelle façon se terminera la toile qu’il conçoit.

Concernant les grands formats, l’écriture picturale reste la même, en ce sens que, comme pour les petites compositions, tout se développe à partir d’une couleur dominante. RECORDANDO MI INFANCIA (ME SOUVENANT DE MON ENFANCE) (100 x 81 cm-huile sur toile),

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la couleur dominante est le vert en dégradés à partir de laquelle se bâtit l’image. Le titre est évocateur car le « me souvenant » implique la démarche cérébrale de se souvenir laquelle se conjugue avec l’action du visiteur de regarder. Il s’agit là de deux actes à portée réflexive, mettant en scène l’artiste et le visiteur dans l’accomplissement d’un même acte : la création et le prolongement de celle-ci par le biais de l’imaginaire du regardant. Nous avons ici une adéquation presque physique entre l’artiste et le visiteur, reliés par le dénominateur commun qu’est l’enfant (c'est-à-dire l’artiste), campé à la gauche de la toile, dont le rendu est imprécis. S’il est imprécis, ce n’est que volontairement. Car, le souvenir, procédant de la mémoire, demande à l’instar de la vision une sorte de « mise à feu » pour arriver à préciser les contours du passé. L’enfant est encore flou. Seul le regard du visiteur peut lui donner une consistance charnelle. A droite de la toile

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se trouve la mère de l’artiste dont les traits du visage sont précisés de façon réaliste, offrant à la conception physique de l’enfant, le contrepoint d’un rêve « éveillé ». Au centre de la composition, faisant partie du corps de l’oiseau en passe de prendre son envol, nous avons une image riche d’enseignement, à savoir la spirale.

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Celle-ci est un symbole à portée universelle représentant le temps. Néanmoins, dans la culture aztèque, elle bénéficiait d’une iconographie hiéroglyphique se rapportant à l’Histoire et à son évolution sous l’aspect du calendrier. Le temps, dans la culture aztèque, ne se concevait pas de façon linéaire comme en Occident mais bien de façon circulaire : chaque cercle (cycle) se terminait par sa fermeture. De ce même cercle (terminé) en naissait un autre, lequel, bien sûr, s’achevait de la même façon.

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Néanmoins, que ce soit sur base d’un cercle ou d’une droite (imaginaire), l’iconographie du temps supposait une évolution, c'est-à-dire, qu’elle portait vers le haut.

Il y a dans cette œuvre une opposition vitale entre réalité « onirique » et réalité « physique » : l’enfant « onirique » opposé à sa mère « physique ». L’évanescence du  flou opposé à la matérialité organique existant par elle-même. Observez la position des mains de la mère : elle pose sa main droite, au-dessus de la spirale, caressant le dos de l’oiseau sur le point de s’envoler. Sa main gauche tient quelque chose de sphérique semblable à un fruit. Cela forme un mouvement insolite dans le jeu des mains animant pour ainsi dire l’existence de l’oiseau.

Dans le bas du tableau, nous remarquons ce qui pourrait évoquer un jeu par la présence de ce qui ressemble à des fléchettes, placé à côté de ce qui serait une balle.

L’œuvre est structurée comme suit :

1)    Les teintes rouge et rose dominent l’avant-plan, mettant en relief ce qui pourrait être la balle et les fléchettes, symbolisant l’aire du jeu

2)    le vert est la couleur du souvenir avec l’enfant et la mère en guise de référents cognitifs

3)    le bleu évoque le ciel vers lequel l’oiseau prend son envol

L’écriture surréaliste de l’artiste s’affirme tant dans les sujets que dans les titres. Jetons encore un regard sur les œuvres de petit format : ORIGEN DESCONOCIDO (ORIGINE INCONNUE) (40 x 40 cm-huile sur toile),

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est une toile qui offre un florilège de possibilités interprétatives du point de vue pictural. Il représente un ensemble iconographique composé de formes hétéroclites. Certaines sont connues telles que les poissons et les algues, d’autres participent plus d’une forme personnelle d’abstraction lyrique. Le tout étant relié par un chromatisme de fond à dominante verte. Mais voilà que sur la gauche du motif central, apparaît vers le haut à droite du motif, une paire d’yeux fixant le visiteur. L’ensemble de la composition traduit une atmosphère résolument aquatique. Cela peut sembler incroyable, néanmoins, lorsque l’on demande à l’artiste la raison pour laquelle il a intitulé ce tableau ORIGINE INCONNUE, il avoue le plus calmement possible, qu’il n’en sait rien et que cela lui est venu comme ça ! Ce titre, associé au sujet, n’est pas sans évoquer l’origine du vivant. Traduit sur le plan pictural, cette œuvre reprend les possibilités et les objectifs de l’artiste : passer un jour du figuratif à l’abstrait de façon progressive. Sommes-nous donc en train d’assister à une mutation lente de l’écriture picturale de l’artiste ? Possible. Mais cette écriture devra tenir compte du symbolisme latent qui l’articule. A titre d’exemple, le motif principal du tableau cité est basé sur le module ovale, évoquant l’œuf.

Mais ce module ovale est aussi celui de la cellule microscopique et du spermatozoïde à l’origine de la vie. Car il s’agit d’une réminiscence de la vie et par conséquent, de ses origines. Nous comprenons à présent que l’art d’ALVARO MEJIAS est, en réalité, un surréalisme symboliste. Et le génie (le mot n’est pas trop fort !) de l’artiste réside dans le fait qu’à aucun moment vous ne pouvez dresser une dichotomie ressentie entre ces deux styles. L’un soutient l’autre dans la construction d’un même édifice.

Et peut-être même que l’un ne peut se passer de l’autre car les croyances, les mythes, le cosmos…participent d’un même sacré, indistinctement surréaliste et symboliste. A sa façon, le symbolisme les a traduits, en Occident, par des images reprenant le personnage de la Femme en tant que Muse procédant de la déesse antique. Le surréalisme, lui, les a explorés en leur donnant une connotation ouvertement psychanalytique et libertaire.  

L’artiste a vécu la trop rare fortune d’avoir eu son père comme professeur de peinture. Celui-ci est lui-même un peintre symboliste. De ce dernier, il a hérité sa technique, à savoir le frotti au chiffon : comme il ne débute jamais une peinture au pinceau, l’artiste utilise le chiffon qu’il imbibe d’huile de lin et qu’il frotte sur la surface de la toile, jusqu’à ce que l’embryon d’une forme, lentement, n’apparaisse. A ce stade, il reprend la toile par une seconde couche d’huile et la termine au pinceau en la peaufinant, lui donnant ainsi une réalité.

Chaque toile est pour lui une œuvre unique. En aucun cas il ne peut la reproduire telle quelle. L’importance qu’il accorde à la couleur ne diminue en rien celle qu’il donne à la forme. Bien qu’il habite la France depuis des années, l’artiste n’en demeure pas moins vénézuélien, amateur des « murales » de Rivera ancrés dans le Réalisme Socialiste des années ’30. Mais il est aussi et surtout païen, récipiendaire d’une culture millénaire tout empreinte de mysticisme et de sacralité. Le titre même de son exposition, L’IMMORTALITE DU CRABE, nous ramène au dépassement de la mort ainsi qu’à la créature aquatique procédant de la vie, dont l’origine est inconnue et sacrée. Car le crabe fascine ne fût-ce que par son aspect tentaculaire : aire de tous les sortilèges. Dans le Tarot divinatoire, il symbolise, par sa carapace protectrice, l’image de la maternité en tant que gestation en cours dont le biotope est l’eau, c'est-à-dire, évoluant dans la fertilisation du vivant. Le crabe, pris dans l’imaginaire universel ne peut être qu’une forme particulière de l’expression vivante de la mythologie personnelle.   

Par la portée universelle de son œuvre, ALVARO MEJIAS prouve au Monde qu’avant d’être un style, le surréalisme, plongeant ses racines dans les arcanes de l’Etre, est avant tout un humanisme.

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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François Speranza et Alvaro Mejias: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(8 février 2016 photo Jerry Delfosse)

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                                                                     Signature de Alvaro Mejias

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Exposition  Alvaro Mejias, à l'Espace Art Gallery en février 2016 - Photo Espace Art Gallery

Allongeaille de Robert Paul: Quelques oeuvres de l'artiste:


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Ouvrons une porte...

12272955287?profile=originalL'Asie on le sait est de plus en plus active en matière d'art, et si la Chine tient le devant de la scène, le Vietnam n'est pas en reste, loin s'en faut.

Une vitalité que l'on retrouve aussi bien dans l'art traditionnel, de la laque, de la soie, de la céramique... que dans la peinture contemporaine de chevalet ou dans la sculpture.

Au Vietnam cependant la peinture fut longtemps considérée  comme une activité mineure, un art purement décoratif. L'influx fut donné par Victor Tardieu (1870-1937) et la fondation en 1925 de l'Ecole des Beaux-Arts d'Indochine qui forma de jeunes artistes jusqu'en 1945.

12272954886?profile=originalPeintures d'élèves de l'Ecole des Beaux-Arts d'Hanoï :

Le repas de Nguyen Phan Chanh (peinture sur soie ; en haut) ; Portrait de Mlle Phong de Mai Trung Thu (1930 ; en bas à gauche) ; Portrait de ma mère de Nguyen Nam Son (à droite).

Tardieu, homme ouvert et intelligent, dont l'ambition était "d'aider les artistes et les artisans annamites à retrouver le sens profond, l'inspiration fondamentale de leur propre tradition et qu'il fallait pour cela mettre sous les yeux des élèves le plus grand nombre possible de spécimens de l'art annamite ancien. Pourtant, ce retour en arrière ne peut devenir fécond que s'il sert de point de départ à des recherches nouvelles, à une évolution correspondant aux exigences du temps présent. Il s'agit, en un mot, de réaliser une évolution moderne dans le prolongement d'un art traditionnel."

12272956056?profile=originalEcole de Hanoï,

peinture (ainsi que la première et la suivante) exposée dans la maison-musée du 87 de la rue Ma May (cette "maison-tube" traditionnelle de la fin du XIXe siècle a été restaurée avec le soutien de la ville de Toulouse).

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Puis vint la période du réalisme socialiste, un art officiel, idéal et héroïque, mais sans personnalité.

Enfin, dès 1975, libérée, d'une sensibilité propre, toute orientale, et de sa confrontation avec le style occidental, est née une véritable "école vietnamienne", une peinture apaisée, sensuelle, colorée et expressive.

12272956298?profile=originalPeintures de l'école vietnamienne (Huê).

12272957460?profile=originalSi vous le voulez bien nous poursuivrons ce petit voyage initiatique...

Michel Lansardière (texte et photos).

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Paul Valéry: La jeune Parque

12273110488?profile=original"La jeune parque" est un poème de Paul Valéry (1871-1945), publié à Paris chez Gallimard en 1917.

 

De la publication de cet ouvrage date la véritable notoriété de Valéry: "Son obscurité me mit en lumière: ni l'une ni l'autre n'étaient des effets de ma volonté. Mais ceci n'alla pas sans m'induire, ou me séduire à me dissiper régulièrement dans le monde."

 

La Jeune Parque est le monologue d'une jeune femme qui vient de s'éveiller au bord de la mer, sous un ciel étoilé. Elle est en proie à une douleur indéterminée, réelle ou onirique, qu'elle attribue à la morsure d'un serpent. Le reptile est tenu à l'écart par la conscience vigile, réfractaire à ses tentations. Mais la morsure répand un feu ardent laissant croire à la mort prochaine du MOI. S'ensuit une méditation sur le "goût de périr" et la force du désir amoureux. La prochaine venue du printemps ne laisse le choix qu'entre la mort et l'assouvissement d'un désir ravivé. Toute une nuit, la conscience, avide de pureté, lutte et se métamorphose. Au lever du jour, le combat intérieur se dénoue par la mort d'un "monstre de candeur" et par la renaissance d'une "vierge de sang" qui opte finalement pour l'accord avec le monde.

 

Le travail sur l'Album de vers anciens avait redonné le goût de la poésie à Valéry qui désirait étoffer d'une quarantaine de vers ce recueil, à ses yeux trop mince. "Pour me contraindre à travailler, j'imaginai de leur imposer les règles les plus strictes de la poétique dite classique": vers réguliers, césurés, sans enjambements ni rimes faibles. Au prix d'un travail ardu de plus de quatre ans - destiné en partie à tenir à l'écart les angoisses de la guerre -, il obtient un ouvrage dix fois plus long (plus de cinq cents alexandrins) et "cent fois plus difficile à lire qu'il n'eût convenu". Cette obscurité, Valéry la conçoit comme se situant à l'intersection de la difficulté de son propos et du grand nombre de contraintes qu'il s'était imposées. Le résultat est néanmoins, toujours selon lui, un texte "trop dense", dont la versification est "le véritable sujet et le véritable sens", et qui requiert du lecteur une attention extrême.

 

Pourtant s'il subsiste des obscurités de détail, une lecture attentive permet de suivre aisément le mouvement de la méditation, "mouvement du sang" selon Alain. "Le sujet véritable du poème est la peinture d'une suite de substitutions psychologiques et, en somme, le changement d'une conscience pendant la durée d'une nuit", écrit Valéry. Cette "fête de l'Intellect" devait s'intituler "Psyché", titre que Valéry refuse finalement d'emprunter à Pierre Louÿs qui l'avait déjà choisi pour une de ses oeuvres. Le drame de "la conscience consciente" qui s'y joue est celui de cette "sombre soif de la limpidité", menacée par l'irruption de l'amour. Toute la complexité humaine est révélée dans cette dualité inextricable: la vierge "à soi-même enlacée" est "d'intelligence" avec les périls qui la menacent. Face à cette aliénation par le désir naissant, la volonté toute pure veut résister par son immense et narcissique "orgueil" à la dépossession de soi; mais la descente au royaume des morts où le sommeil l'avait conduite s'achève dans l'allégresse d'une renaissance à contrecoeur ("malgré moi-même").

 

Le monologue de la jeune Parque, en cette nuit décisive où elle passe de l'enfance à l'âge adulte, constitue un véritable drame intérieur. "Ma lassitude est parfois un théâtre", s'écrie la jeune femme au début de sa longue prise de parole. Et, en effet, son déchirement prend souvent la forme d'une prise à partie (exclamations, invocations, apostrophes) de ces divers interlocuteurs que sont les divinités, la nature et surtout cette autre elle-même qu'elle ignorait: "Dieux! Dans ma lourde plaie une secrète soeur/ Brûle, qui se préfère à l'extrême attentive." Si la jeune femme est progressivement guidée vers une alternative tragique ("Lumière!... Ou toi, la Mort! Mais le plus prompt me prenne!..."), au dénouement il n'y a plus qu'une "victime inachevée". "Conduite, offerte et consumée", la jeune Parque semble une héroïne racinienne menée au sacrifice, et miraculeusement épargnée par la promesse d'une vie nouvelle.

 

Ce drame tout intérieur nécessitait l'invention d'un langage nouveau, qui rapprochât l'art du poète de celui du musicien. "La Jeune Parque fut une recherche, littéralement indéfinie, de ce qu'on pourrait tenter en poésie qui fût analogue à ce qu'on nomme "modulation" en musique" écrit Valéry dans les Mémoires d'un poète. Les nombreux changements de ton, ainsi que le choix d'un vocabulaire tantôt abstrait tantôt concret ("Viens mon sang, viens rougir la pâle circonstance") étayent cette affirmation. La charpente du poème est édifiée par les images récurrentes et les métaphores filées: la larme coulant sur la joue, le serpent tentateur, les diamants des étoiles, le fil des Parques ou d'Ariane ("Du noir retour reprends le fil visqueux", le "fil dont la finesse aveuglément suivie / Jusque sur cette rive a ramené ta vie"). La métaphore marine est poursuivie jusque dans les ondes des cheveux de la jeune fille; l'or y est relayé par le soleil d'Apollon tandis que l'ombre froide ("Glisse, barque funèbre") n'est que l'autre face de la brûlure infernale du désir.

 

En réponse à une lettre de Gide, Valéry écrit qu'il a trouvé "après coup, dans le poème fini, quelque air d'autobiographie - intellectuelle s'entend." Alain est plus sensible à son aspect de poème épique: "C'est dans les astres [que la jeune Parque] s'interroge." Récitatif ou tragédie de l'esprit, échappant à toute définition, cette "oeuvre inactuelle" reste ce que Paul Valéry avait désiré en faire dans les circonstances difficiles de la Première Guerre mondiale: "Un petit tombeau sans date - sur les bords menaçants de l'océan du Charabia."

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Téléchargez le  Texte complet de La jeune Parque de Paul Valéry

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"L'avenir arrivera-t-il?" dans Les Misérables de Hugo

12272745453?profile=original« Les misérables, Oeuvre immense de Victor Hugo, joyau du patrimoine littéraire national, riche en figures assimilées par notre imaginaire ou notre langue, ce roman touffu mais d'une lecture aisée, populaire mais déroutant, est une somme hugolienne: commencé en 1845 sous le titre les Misères - mais sans doute rêvé dès 1828 -, interrompu par les événements de 1848, il est repris en 1860 pendant l'exil. Objet de scandale, il connut dès sa parution un énorme succès, qui ne s'est jamais démenti depuis, entretenu par le cinéma et même, récemment, la comédie musicale.

 

 

Première partie. «Fantine». Jean Valjean, un ancien forçat condamné en 1796, trouve asile, après avoir été libéré du bagne et avoir longtemps erré, chez Mgr Myriel, évêque de Digne. Il se laisse tenter par les couverts d'argent du prélat et déguerpit à l'aube. Des gendarmes le capturent, mais l'évêque témoigne en sa faveur et le sauve. Bouleversé, Jean Valjean cède à une dernière tentation en détroussant un petit Savoyard puis devient honnête homme (livres I-III). En 1817 à Paris, Fantine a été séduite par un étudiant puis abandonnée avec sa petite Cosette, qu'elle a confiée à un couple de sordides aubergistes de Montfermeil, les Thénardier. Elle est contrainte de se prostituer.

Arrêtée à Montreuil-sur-Mer et interrogée par le policier Javert, elle est relâchée sur l'intervention du maire de la ville, le populaire M. Madeleine, directeur d'une fabrique. Il la recueille. Pendant ce temps, un certain Champmathieu, que l'on croit être Jean Valjean, est jugé à Arras. Après un douloureux débat, M. Madeleine, qui, comme le soupçonnait Javert, n'est autre que l'ancien forçat, se fait reconnaître en plein tribunal. Après avoir promis à Fantine agonisante de veiller sur Cosette, il s'échappe (IV-VIII).

 

Deuxième partie. «Cosette». A la bataille de Waterloo, longuement décrite, Thénardier avait détroussé le colonel baron Pontmercy, tout en lui portant secours. Nous sommes en 1823. Jean Valjean a été repris et renvoyé au bagne; il s'évade de nouveau; on le croit noyé. Ayant caché sa fortune près de l'auberge des Thénardier, il délivre Cosette de cet enfer (livres I-III). Après avoir vécu dans une masure à Paris, ils sont pourchassés par la police et ne trouvent le salut qu'en franchissant le mur du couvent du Petit Picpus. Jean Valjean se fait passer pour le frère du jardinier, M. Fauchelevent, qu'il avait secouru à Montreuil (IV-VIII).

 

Troisième partie. «Marius». Apparaissent trois nouveaux personnages. Gavroche, fils de Thénardier, incarne le gamin de Paris; M. Gillenormand est le grand bourgeois voltairien, grand-père antibonapartiste de Marius Pontmercy, fils du colonel de Waterloo. Marius rejoint un groupe d'étudiants républicains, dont le bel et inflexible Enjolras. Marius a retrouvé son père qui, sur son lit de mort, lui fait jurer de récompenser Thénardier. Marius veut poursuivre son idéal et rompt avec son grand-père (livres I-V). Thénardier vit maintenant dans les bas-fonds parisiens, où un certain M. Leblanc et sa fille exercent la charité. Thénardier l'attire dans un guet-apens, mais Marius, leur voisin de chambre, appelle la police. Javert arrête les bandits, mais M. Leblanc, nouvelle incarnation de Jean Valjean, disparaît (VI-VIII).

 

Quatrième partie. «L'Idylle rue Plumet et l'Épopée rue Saint-Denis». En 1832, Jean Valjean habite, avec Cosette, rue Plumet; Thénardier est en prison; sa fille Éponine, amoureuse de Marius, aide pourtant le jeune homme à retrouver la trace d'une jeune fille rencontrée au Luxembourg. Il s'agit de Cosette, dont Marius croit qu'un certain M. Fauchelevent est le père. Marius demande à son grand-père l'autorisation d'épouser la jeune fille, et ne reçoit que sarcasmes. Thénardier s'évade grâce à l'involontaire complicité de Gavroche. Jean Valjean, inquiet, change de domicile (livres I-VI). A l'occasion des funérailles du général Lamarque, en juin, Enjolras, Gavroche, Marius (désespéré depuis la disparition de Cosette), et Jean Valjean, (désespéré par l'amour que Cosette porte au jeune homme), se retrouvent sur une barricade près de la rue Saint-Denis (VII-XV).

 

Cinquième partie. «Jean Valjean». Soulevé, le peuple de Paris est symbolisé par les combattants de la barricade. Jean Valjean s'est vu confier la garde de l'inspecteur Javert, arrêté par les insurgés. Il feint de l'exécuter mais le libère, puis sauve Marius blessé en passant par les égouts, «intestin du Léviathan». Gavroche et Enjolras ainsi que tous les héros de la barricade sont tués. Sous terre, Jean Valjean rencontre Thénardier, qui se cache aussi. Il peut ramener Marius à son grand-père. Les vieillards s'inclinent devant l'amour des jeunes gens, alors que Javert, qui ne peut supporter la générosité de Jean Valjean, se jette dans la Seine (livres I-V). Le bonheur est entaché des soupçons que nourrit Marius à l'égard de son beau-père, qui s'enferme dans la solitude. Jean Valjean finit par avouer à Marius qu'il n'est pas le père de Cosette. Ils tombent d'accord pour que Jean Valjean espace ses visites. Mais Marius apprend toute la vérité sur l'ancien bagnard. Il se rend avec Cosette chez Jean Valjean. Ils le trouvent agonisant, et il meurt dans leurs bras, réconcilié et sanctifié (VI-IX).

 

Achevé aux quatre cinquièmes en février 1848, le roman est celui d'un académicien pair de France.

Hugo entreprend de dénoncer les injustices, amplifiant ainsi les accents du Dernier Jour d'un condamné et de Claude Gueux. Dans l'exil, le texte devient le grand oeuvre d'un prophète républicain, superbe sur son rocher, face à Dieu et à l'Océan.

Évident en apparence, le sujet du livre se révèle fort complexe. Si Hugo définit le mot «misérables» - «Il y a un point où les infortunés et les infâmes se mêlent et se confondent dans un seul mot, les misérables; de qui est-ce la faute?» (III, VIII, 5) -, il entend surtout nommer l'innommable - d'où un long développement sur l'argot, «langue des ténébreux» (IV, VII) -, dire l'indicible et l'inacceptable. «Chose sans nom», la misère est interdite de parole par les classes dominantes et les bien-pensants. S'explique peut-être ainsi le changement de titre: des Misères aux Misérables, le roman passe de l'abstraction à l'incarnation dans des personnages et des lieux; de l'usine aux quartiers lépreux, des bas-fonds à la sinistre auberge des Thénardier. Se renforce aussi la nécessité de donner la parole aux faibles, aux exploités, aux exclus. L'argot intervient alors comme révélateur. La langue populaire, telle qu'un Gavroche la parle, déplace la charge poétique de l'écriture vers les marginaux, les humiliés et les offensés.

 

On ne saurait pourtant réduire les Misérables à cet aspect, si essentiel soit-il. Car le roman se situe dans une béance véritable de l'Histoire, creusée depuis 1815. Les individus y sont condamnés à vivre l'avortement d'un progrès annoncé, promis; mais la société, déshumanisée, s'acharne à fabriquer des malheureux, vite poussés au crime et réprimés par les chiens de garde d'une police à l'image de l'implacable Javert. Or si la révolution échoue sur les barricades, des signes disent cependant l'inéluctable changement. «L'Année 1817» (I, III) vaut comme repère pour mesurer l'évolution, et chaque personnage est pris dans l'Histoire, qui le détermine, depuis l'Ancien Régime voltairien pour Gillenormand jusqu'à Waterloo, épisode qui fixera le destin de Thénardier et de Marius. 1832 marque donc une nouvelle étape, et prouve la nécessité d'une révolution qui mobiliserait le peuple, ici absent, laissant petits bourgeois idéalistes et étudiants généreux seuls face à la répression.

 

«L'avenir arrivera-t-il?» (IV, VII, 4): angoissante question qui installe le «je» hugolien au centre de la fiction. Dépassant la fonction de narrateur, abandonnant la posture lyrique, il se fait témoin, intégrant bien des «choses vues» au tissu fictionnel, tout en maintenant la distance entre les personnages et le lecteur. Le célèbre chapitre «Une tempête sous un crâne» (I, VII, 3 ), l'illustre exemplairement: le dialogue intérieur pose tragiquement et dramatise les questions de l'identité, du destin, du moi, du devoir.

 

Le roman articule donc dans une vaste métaphore l'individu et la société, excédant ainsi les limites du discours social - et non «socialiste», le livre ne mettant guère en scène des gens du peuple tels que le travailleur, le paysan ou l'ouvrier -, que celui-ci se fonde sur l'économie, le réformisme ou le paternalisme; de même se trouve dépassé le discours moral traditionnel, englué dans la problématique du mal. Le moi se trouve placé devant ses désirs, avoués ou inconscients, ses pulsions de mort ou son instinct de conservation. Son parcours est une succession de morts symboliques et de renaissances, dont le faux enterrement permettant à Jean Valjean de sortir du couvent et d'y rentrer ou la traversée des égouts constituent les étapes les plus remarquables.

 

Roman social qui transcenderait les procédés et les faiblesses des Mystères de Paris d'Eugène Sue? Roman historique de type nouveau? Histoire mêlée au drame? Miroir du genre humain? Toutes ces qualifications conviendraient sans difficulté aux Misérables, réceptacle de toutes les formes romanesques et de tous les langages. La structure mélodramatique donne son ossature à ce texte polymorphe. Réduit à un canevas simple, il s'agit de l'odyssée et du calvaire d'un homme rejeté par la société, montant de sacrifice en sacrifice vers une mort salvatrice et une suprême épreuve, la perte d'une fille adoptive qui a été son seul amour. Sur cette trame, Hugo multiplie les digressions, technique abondamment utilisée dans Notre-Dame de Paris, ici systématisée, s'étendant du chapitre («Histoire d'un progrès dans les verroteries noires», I, V, 1), au livre entier (deux sont consacrés au couvent, lieu et institution, II, VI et VII). Outre sa fonction didactique, cette technique permet au romancier d'accumuler prises de positions («Parenthèse» sur les couvents, II, VIII), tableaux historiques («Waterloo», II, I), sociologiques («Patron-Minette», III, VII) ou géographico-philosophiques («l'Intestin du Léviathan», V, II), visions prophétiques à partir d'événements ou de personnages («les Amis de l'A B C», III, IV). Elle ralentit aussi le déroulement du temps romanesque et produit un effet d'élargissement du champ fictionnel au siècle tout entier.

 

Formellement, les Misérables ne peuvent se ramener à la formule du feuilleton: la construction se développe par élévation et élargissement. Elle repose aussi sur les contrastes et les échos: évêque et policier; bagne et couvent; Waterloo et barricade; sauvetage de Cosette et de Marius. On ne saurait énumérer tous ces rapports et ces réseaux, formant un système dynamisé par le travail de la métaphore. Ainsi une architecture s'élabore, reléguant le récit proprement dit, sinon au second plan, du moins derrière la dimension poétique, métaphysique et religieuse.

 

Le roman accomplit la rédemption individuelle de Jean Valjean, voeu initial de Mgr Myriel. Une conscience s'éveille et accède à l'humanité, de même que se profile la naissance du Peuple à venir.

Une double épopée se déroule donc: celle d'une âme en voie de purification; celle d'une collectivité future, qu'annonce la barricade de 1832, échec plein de promesses. D'autres accomplissements se réalisent: l'expérience de l'héroïsme, fût-il suicidaire, transforme le jeune homme en adulte généreux; Cosette devient une bonne bourgeoise, «rachetant» sa mère contrainte à la prostitution, alors qu'Éponine se sacrifie pour Marius; Jean Valjean se sublime dans son rôle de père et meurt en «vieillard vierge».

 

Sans doute la dimension la plus forte du roman réside-t-elle dans la place faite à l'amour, tout entier pris sous la trouble lumière du désir incestueux, de la passion exclusive, sublimée ou non: Grantaire pour Enjolras, Éponine pour Marius, Marius pour Cosette (fussent-ils temporairement menacés par le mariage bourgeois), ou l'horrible ménage Thénardier. Misère suprême dans cet assemblage de malheurs, l'amour absolu est le plus souvent non partagé, l'Autre se dérobant pour un autre objet. Mais revanche de l'âme, l'amour compense cependant la dégradation des êtres, qui ne possèdent rien d'autre que leur passion: ainsi d'Éponine. A moins qu'ils ne chantent, ultime plaisir, dernier défi jeté à la face de la société: voyez Gavroche. La fin du texte signifie plus que la mort du héros. Sur sa tombe restée anonyme achève de s'effacer le quatrain d'amour dédié à son «ange». Seule l'inhumaine grandeur de sa sainteté a équilibré, l'espace de la fiction, la misère des hommes. Valjean disparu, la misère demeure, béante. Le roman ne peut s'achever qu'ailleurs, dans une histoire autre, reportée dans un avenir prophétique, temps d'une autre littérature, celle de l'humanité enfin advenue. Les Misérables sont bien un roman des limites de l'écriture romanesque, de l'Histoire et de l'homme.

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                     FLORENCE PENET OU LA COULEUR FAUVE DES REVES

 

Du 21-05 au 08-06-14, se tient à l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles) une exposition consacrée à l’œuvre de Madame FLORENCE PENET, intitulée ENTRE REVES ET REALITE. Il s’agit d’une jeune peintre Française dont la sensibilité se marie à l’onirisme par une sémantique dictée par la couleur.

A l’instar du « Voyage en Italie », à la Renaissance et de celui en Orient, au 19ème siècle, l’Imaginaire est-il devenu, aujourd’hui, l’étape majeure de l’exploration créatrice ? Un imaginaire servant d’humus à un état d’Etre que FLORENCE PENET qualifie de « rêve ». La particularité de cette exposition réside dans un fait révélé de façon extrêmement discrète, susceptible néanmoins d’en dire très long au sujet de l’artiste, à savoir l’adéquation existante entre les titres et les œuvres qu’ils mettent en exergue. D’emblée dans l’intitulé de l’exposition, l’artiste donne un pluriel au mot « rêve », tandis que le mot « réalité » demeure au singulier. Est-ce à dire qu’il n’y a qu’une seule réalité dans l’univers de l’artiste ? Le terme « rêve » est fort approprié  car tout dans son œuvre se définit à partir, non pas d’un brouillard, mais bien d’une perception « brouillée », offrant une image qui ne serait pas « mise au point ». Le visiteur doit lui-même « régler » sa focale oculaire pour la rendre perceptible. Mais faut-il réellement mettre ces images « au point » ? Ne sont-elles pas assez vivantes, oniriques et réelles en leur état ? Leur « réalité » est faite de suggestions et la sensibilité du visiteur fait le reste en leur conférant une histoire, voire une fonction qui la raccroche à quelque chose de connu. L’évocation de tout ce que nous portons en nous saute aux yeux du visiteur dans toute la gamme des tonalités. L’artiste ne se cantonne pas dans la monochromie. Les couleurs qu’elle utilise varient du rouge vif : FAUVES (80 x 80 cm – huile),

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INCANDESCENCE (80 x 80 cm – huile sur toile)

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au bleu en différentes tonalités : DREAMING (73 x 92 cm – huile sur toile),

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en passant par le jaune, le blanc : PARFUM D’ORIENT II (50 x 65 cm – huile sur toile)

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et le vert en dégradés : MYSTIQUE (73 x 92 cm – huile sur toile).

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A cette vision brouillée s’ajoute, d’un point de vue conceptuel, un déphasage prémédité en ce qui concerne la mise en perspective d’une idée d’architecture planifiée dans ce que l’artiste nomme les « carrés déstructurés ».

Il s’agit d’une conception architecturale augmentant la perception d’un déséquilibre contrôlé pour mieux égarer le regard du visiteur, à l’instar de PARFUM D’ORIENT II et III (déjà mentionnés). Ces « carrés déstructurés » trouvent leur origine dans INCANDESCENCE (également mentionné), à peine perceptibles dans l’effervescence de la dominante rouge. Ces carrés servent de structure de départ pour débuter la construction picturale. Ils contribuent à donner également un côté « vieilli » (comme elle l’avoue) à la toile. Ce côté « vieilli » est intéressant car il renforce la dimension onirique de l’intemporel.

L’œuvre de FLORENCE PENET se singularise par une abstraction toute personnelle. Les teintes usitées conduisent vers un lyrisme où l’émotion se scande en motifs chromatiques à un point tel que l’on pourrait presque parler  de couleurs musicales, tellement les images sont évocatrices d’atmosphères et de sons. 

Néanmoins, dans toute création, il y a (souvent) un titre. Et ce titre fait partie intégrante de l’œuvre. Comme nous l’avons noté plus haut, il l’accompagne et dans bien des cas lui confère un sens. Concernant cette artiste, les titres deviennent des invocations.

PARFUM D’ORIENT  II (avec ses senteurs arabesques), DREAMING (évoquant une mise en scène de l’onirique -  déjà mentionnés), PORTE DE NACRE (54 x 73 cm – huile sur toile –

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où la note blanche, presque diaphane, règne en maîtresse), mettent en quelque sorte, le visiteur « sur la piste ». Bien sûr, les émotions exprimées sur la toile appartiennent à la créatrice, celle-ci insiste sur le fait que le regardant voit dans ses œuvres ce qu’il veut bien y voir. Mais le fait de les intituler avec une telle précision interprétative fait que celui qui les regarde se reconnait, indépendamment de sa volonté, dans le voyage initiatique de l’artiste. 

DREAMING offre une subtilité complémentaire concernant le titre : il est écrit au present continous de la grammaire anglaise, ce qui laisse penser que l’image ne s’arrête pas à sa seule existence : elle se poursuit à la fois par sa présence mais aussi dans le rêve du visiteur. Elle se poursuit même au-delà de toute reconnaissance, par le simple fait qu’elle a été peinte. 

FLORENCE PENET se laisse guider par la conception de couleurs « improbables » comme elle aime à le dire, pour atteindre l’harmonie.

Ce flamboyant dégradé de vert nous offrant une image paradisiaque de la vision dont l’artiste se fait du MYSTIQUE (73 x 92 cm – huile sur toile),

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plaide pour cette « improbabilité ». Une fois encore, il y a adéquation entre l’œuvre représentée et le titre qui la définit dans un imaginaire commun unissant le peintre et le spectateur.

Cette œuvre constitue à elle seule un tour de force : l’utilisation du bronze dans la partie supérieure droite obscurcit l’espace pictural à bon escient pour se répandre dans la partie inférieure droite. Le centre de la toile est irradié par le doré jusqu’à descendre vers la partie inférieure gauche. L’espace restant constitue une expérience à la fois alchimique et spirituelle dans la création d’un ensemble de dégradés de vert. Il fallait pour ce faire doser adéquatement le doré pour que le contraste avec l’ensemble chromatique aboutisse vers l’harmonie, en évitant les effets disgracieux dû au choc incontrôlé des couleurs. Remarquons l’absence de couteau pour travailler la matière : tout est lisse comme la surface d’un lac.

Ce qui contraste radicalement avec DREAMING dont la matière épaisse domine à proprement parler l’ensemble de la composition.

Il y a, outre la symbolique des couleurs, une véritable mystique de ceux-ci.

Le doré, la note jaune portée à son extrême symbolisant déjà le besoin d’amour et de chaleur humaine, transpose ici la fascination pour l’Orient mystique dans une approche participative de l’âme.

Le rouge fauve d’INCANDESCENCE nous dévoile la passion. Le bleu de DREAMING est une métaphore de l’eau conduisant au bout du rêve, lequel n’est pas encore le réveil mais l’état onirique porté à sa plénitude.

Autodidacte et fière de l’être, FLORENCE PENET peint par passion. Ayant une formation juridique, la peinture n’est pas qu’un simple « à-côté » mais bien une activité qui absorbe actuellement la totalité de son temps.

Elle a toujours baigné dans un univers où l’Art bénéficie d’une importance majeure. Sa mère a fréquenté les Beaux Arts. Ce qui, même autodidacte, lui a assuré une formation sérieuse.

Elle travaille essentiellement à l’huile. Après avoir réalisé beaucoup de glacis au niveau du fond, elle multiplie les couches en leur assurant les mêmes teintes dans le but de leur conférer une harmonie.

Elle utilise très peu le couteau. Concernant la conception de la matière, elle utilise parfois de la poudre de marbre comme pour les légers dégradés clairs de DREAMING se mêlant au bleu.

Ayant commencé par l’abstrait, elle s’est dirigée vers un univers qui fait appel à la concrétude du connu comme dans la savante utilisation du bleu rappelant un état entre le ciel et la mer.

Aucune préméditation ne l’anime. Une fois devant sa toile, elle se laisse guider par cette force qu’interprète l’instrument de la couleur. Le rêve n’est pas préconçu. Il s’agit d’un art brut, non pas dans le sens où l’entendait Dubuffet (un art conçu par un autodidacte privé de contexte culturel) mais bien dans le sens qu’il n’a subi aucune gestation intellectuelle. Comme le disait si justement Pier Paolo Pasolini : « Pourquoi peindre une image qui s’est déjà matérialisée dans le rêve ? N’existe-t-elle pas déjà ? ».   

Il n’y a plus aujourd’hui aucune ligne de démarcation entre l’abstrait et le figuratif dans le parcours de l’artiste. Et ses couleurs « improbables » rendent notre perception d’une fluidité certaine car si les rêves sont multiples, la réalité, seule et rigide, mais déformée par la force de la couleur, les transcende tous et les rend « matériels » sur la scène de la toile.

Tout dans l’œuvre de FLORENCE PENET se mélange dans la pâte de l’émotion.

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Collection "Belles signatures" (© 2014, Robert Paul)

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement.

 

A voir: 

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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Florence Penet et François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles (21 mai 2014).

(Photo Robert Paul)

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