Le grand Meaulnes (1913) est un livre de maturité pour la correction du style, la progression du mystère, la rigueur extrême de la composition: rien ici, n'est superflu; mais aussi, livre plein des rêves de la jeunesse, de son désir impatient du bonheur absolu, de son besoin inlassable de mystique et d' irréalité.
Dans l'univers le plus mobile, le plus calme, un petit village, une petite école du pays de Sologne, le rêve vient s'insérer tout à coup dans le quotidien. Augustin Meaulnes, le héros, est à la fois l'instrument et le possédé du merveilleux: son arrivée dans la petite école, son intimité avec le narrateur, brisent autour de celui-ci le cercle des accoutumances: "Quelqu'un, écrit le narrateur, est venu qui m'a enlevé à tous ces plaisirs d'enfant paisible. Quelqu'un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel... Quelqu'un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes..." Mais le "grand Meaulnes", jeune paysan du Cher, est lui-même le prisonnier d'un monde mystérieux: c'est sans le vouloir, une nuit, au hasard d'un accident de route, qu'il a goûté à l'enivrante saveur du Pays perdu. Egaré dans le coin le plus désolé de la Sologne un soir d'escapade, il pénètre dans un château mi-réel, mi-féerique, royaume d' enfants, de forains, de comédiens, d'étranges paysannes en costumes de fête... Augustin Meaulnes, émerveillé, apprend qu'on va célébrer les noces du jeune châtelain et d'une mystérieuse jeune fille de Bourges, que personne n'a vue. Mais la jeune fiancée n'arrive pas. Elle ne viendra pas. Frantz de Galais, le fiancé, est désespéré. La noce s'achève avant de commencer. Il faut rentrer au village et à l'école: mais le grand Meaulnes est ravi par la vision d'une jeune dame magnifique, entrevue dans un salon, et qu'il a suivie dans une promenade en barque. Avant de la quitter, il lui dit son nom, et elle, le sien: elle est Yvonne de Galais, la soeur de Frantz. Meaulnes retourne dans son village, mais il est désormais l'être d'un autre monde, qui apporte "autre chose", la fraîcheur, l'indéfinissable. Ses anciens camarades le sentent bien, qui s'éloignent maintenant de lui, excepté le narrateur, son confident de classe, qui brûle de l'accompagner un soir dans le château des rêves. Meaulnes ne vit que pour revoir la jeune fille; mais au retour comme à l'aller de son voyage, il s'est perdu et ne sait plus trouver la route. Un jour, arrive à l'école un nouvel élève, bohémien étrange qui tente de ravir à Meaulnes le plan qu'il a commencé de dresser, d'après ses souvenirs, de la région mystérieuse. Mais le bohémien, ôtant plus tard le bandeau qui lui couvrait le front, se fait reconnaître pour le jeune Frantz de Galais: avant de disparaître, il confie à Meaulnes que sa soeur est à Paris, lui donne une adresse et lui fait jurer, ainsi qu'à son compagnon, de se tenir prêts à le secourir s'il les appelle un jour. Meaulnes part pour Paris, mais il n'envoie au narrateur que des lettres désespérées. Son ancien compagnon, au hasard d'une promenade, retrouve le chemin du mystérieux château et cette demoiselle de Galais que Meaulnes alla un jour chercher à Paris. La jeune fille s'émeut au nom de Meaulnes. Les adolescents se marient. Mais, le soir des noces, on entend un cri que seuls connaissent Meaulnes et le narrateur: c'est Frantz qui revient dire son désespoir et demander à Meaulnes de chercher avec lui à travers le monde la fiancée perdue jadis. Le lendemain, le grand Meaulnes a disparu et Yvonne, sa femme meurt quelques mois après. Plus tard, le narrateur, devenu instituteur, découvre parmi de vieux cahiers d'élèves le journal intime du grand Meaulnes arrivé à Paris, cherchant en vain Yvonne, celui-ci a rencontré la fiancée de Frantz. Ils se sont aimés et la jeune fille, comme signe de tendresse, lui a donné la dernière lettre qu'elle possédait du jeune noble. Meaulnes s'aperçoit avec horreur que son amour est impossible, et il rejette Valentine. Comment aurait-il pu, après cette aventure, consentir au bonheur alors qu'il avait entendu l'appel de Frantz? Il devra d'abord réunir les deux fiancés. Quand il aura réussi et qu'il rentrera au pays, sa femme sera morte et il s'en ira, Dieu sait où? avec la petite fille qu'elle lui a laissé.
L'intrigue, assez compliquée, surtout vers la fin du livre, a un sens tout symbolique: c'est l'art particulier d'Alain Fournier que de savoir ainsi unir la richesse et la précision des détails à la féerie de l'atmosphère. On ne doit pas chercher ici une analyse de caractère: il s'agit moins d'ailleurs d'un roman que d'un long poème qui veut faire partager au lecteur un certain état d'âme. Le symbole est assez transparent: il existe un point de félicité qui, une fois atteint, ne le sera plus jamais. Le grand Meaulnes est poursuivi par le rêve d'un bonheur qui le rend désormais inapte à tous les autres. L'absolu de son désir fait de lui un séparé, incapable de trouver la paix et le consentement dans un être fini. Tout le livre est ainsi dans le continuel contraste entre cette rêverie infinie, dont les deux personnages principaux sont prisonniers, et l' affection, la simplicité, le réalisme avec lesquels Alain Fournier peint les circonstances physiques et psychologiques autour d'eux. Les jeunes gens, les êtres ardents et déchirés d'un impossible désir, ne se lasseront jamais sans doute de lire et d'aimer "Le grand Meaulnes". L'influence que ce roman a exercée sur la littérature française contemporaine est considérable et nombreuses sont les oeuvres, dont l'inquiète et douloureuse aventure de la jeunesse forme la trame même du récit, qui ont emprunté au Grand Meulnes cette atmosphère de rêve ou s'en sont souvenues.