Salué comme un poète majeur de sa génération, notamment pour « le Cercle inquiet » (1973), Werner Lambersy (Belgique, né en 1941), hanté par la quête de soi et le rapport amoureux, renouvelle dans son recueil poétique « Maîtres et maisons de thé » son inspiration à partir d'une évocation très personnelle de la cérémonie japonaise du thé, le chanoyu.
Le recueil s'ouvre par deux poèmes dont le contenu paraît en flagrante contradiction avec le titre: "Il n'y a pas de maison[s] de thé" et "Les maîtres ne règnent sur rien". Le sens de cette apparente contradiction nous sera progressivement révélé par l'ensemble de poèmes en prose qui forme le coeur de l'oeuvre, poèmes sans liens formels entre eux, dépourvus de ponctuation, comme des pièces taillées à vif dans le Livre de l'Éternité: certains commencent par une parenthèse, d'autres par une proposition relative: «Où le portique serait écartement de jambes / écartèlement (le saut la nage l'amour ou la caresse) ouverture des bras...» D'une grande densité, ils sont répartis en quatre groupes dont deux postiches: page blanche avec citation énigmatique («le Portique», «l'Antichambre»), les deux autres («l'Allée», «la Chambre») formant le corps du texte. Parties faussement postiches d'ailleurs puisqu'il nous est dit que le portique est «transgression, passage, entrée» et l'antichambre, «rêve de la réalité, préparation», tandis que la chambre est «réalité du rêve, la rencontre». Nous comprenons peu à peu que l'architecture de la maison de thé et le cérémonial qui s'y déroule ne sont que la trame-prétexte d'une croisée des chemins où se rencontrent toutes les quêtes de l'absolu: l'initiation, l'amour, la poésie. Il n'y a pas de maître parce qu'il se confond avec l'invité, et il y en a autant que de maisons: celle de l'impulsion poétique (le maître apparent est le langage, le maître réel le silence), celle du vide dont le maître est la solitude, etc. Le recueil se termine par quelques poèmes au graphisme évoquant des nénuphars savamment dispersés sur un étang et magnifiant les thèmes centraux: «et c'est entre nous / le thé / le bol et l'eau / où nous trempons les lèvres / comme si c'était un temple / qu'on ne pénètre / qu'en laissant l'autre pénétrer.»
Ni régionaliste ni «belge», Werner Lambersy tend à l'universalité, et comme toute grande poésie, la sienne entretient avec le mode initiatique des rapports étroits, sur lesquels on peut gloser à l'infini. Mais il serait faux de limiter l'oeuvre à cette relation: elle est surtout prise de conscience que la cérémonie du thé est transposable dans le registre amoureux. La véritable rupture par rapport aux recueils précédents réside dans un mode d'écriture que l'on a qualifié par l'expression peu heureuse de «langage opaque». En réalité, dans une tradition mallarméenne, l'auteur utilise des blancs qui ponctuent le déroulement des images: «je t'aime et le vent est comme une main creuse autour de la maison de thé le vent est dur qui soutient le vol qui repousse dans l'arbre l'orgasme des feuilles...» Beaucoup plus forts que les silences en musique, ces blancs empêchent le lecteur d'en rester à la recherche routinière du sens et l'obligent à s'arrêter sur le mot pour en découvrir les virtualités, la polyvalence. On ne saurait cependant réduire à un système l'art d'un poète qui sait à la perfection «user des mots», de leur assemblage et de leur «au-delà».
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