Dès les premières mesures, le chef d’orchestre Paolo Arrivabeni - une première pour le maestro- convoque l’atmosphère. On sait que ce sera musicalement superbe. Intensité dramatique croissante : les contours angoissants de la sinistre prison emplissent l’imaginaire engouffré dans les replis de la musique et accroché à l’ombre portée des barreaux sur le rideau. Où se trouve donc le prisonnier enfermé pour dissidence?
C’est alors qu’une très instinctive Cinzia Forte donne vie à la jeune Marzelline, la fille du geôlier de la prison d’état et ne se laisse pas faire par Jaquino (Yuri Gorodetski) qui a décidé de l’épouser, per amore o per forza ! Heureusement que le père a du bon sens et ne veut pas livrer sa fille au premier venu ! « Quand on n’a pas d’or on ne peut pas être heureux ! » Morale bourgeoise ? Mais là n’est pas le propos !
Fidelio, le seul et pour cela très unique opéra de Beethoven, raconte le sauvetage du prisonnier politique Florestan par son épouse Léonore. Léonore habillée en garçon, Fidelio, obtient un emploi avec le directeur de la prison, Rocco. Elle persuade Rocco de laisser les prisonniers respirer au grand jour quelques moments, en espérant que cela offrira à Florestan une petite chance d'évasion. Mais à son insu, le gouverneur tyrannique Don Pizzaro prévoit de le tuer puisque Rocco s’y refuse ( « Das Leben nehmen ist nicht meine Pflicht »), afin de ne pas être découvert et confondu par les autorités pour ses agissements. Léonore fera tout, y compris creuser de ses mains la tombe de son mari pour lui venir en aide et lui faire retrouver la liberté.
La dualité obscurité / lumière oriente le texte, la musique, les voix et la mise-en scène. A chaque niveau on perçoit une nette (r)évolution de l’une vers l’autre. A tout moment l’auguste épouse est une femme debout qui se bat impitoyablement contre la dictature, l’oppression et la haine. Le ton se situe entre le conte fées et un jeu qui rappelle Bertold Brecht. La musique oscille dans le premier acte entre des réminiscences lumineuses d’Haydn ou de Mozart, tandis que dans la deuxième partie les couleurs complexes et sombres du romantisme se développent et parallèlement, l’idéalisme humaniste de Beethoven. Cette musique exemplaire devient exemple de moralité. Une moralité constamment rappelée par un Rocco diablement humain et sympathique. Lui et sa fille ne vivent-ils pas dans une prison, la condition humaine? Une superbe voix de baryton: Franz Hawlata. Osmin dans « L’enlèvement au sérail » dernièrement sur la même scène et L’esprit du lac dans « Rusalka ».
Dans son air sublime, Léonore, la merveilleuse soprano américaine Jennifer Wilson,"l'une des plus grandes sopranos dramatiques du monde", s’exclame en deux montées l’une chromatique et l’autre diatonique sur le si aigu pour cueillir le mot magique « ERREICHEN ». Oui, elle entrevoit l’issue heureuse de son entreprise ! Trois cors, symboles de l’espoir, l’accompagnent et annoncent la promesse de la victoire. Dans le récitatif qui précède, l’orchestre et les timbales ont annoncé le danger qui guette le prisonnier et donnent à entendre son cœur qui bat. « Fidelio, ich habe Mut ! » L’amour peut supporter les pires souffrances. Le dictateur a beau mugir avec extase ses envies de vengeance meurtrières : « Triumph, Der Sieg ist mein ! » C’est bien la lumière et l’amour qui seront victorieux. Don Pizzaro est interprété avec énormément de conviction par Thomas Gazheli.
La scène où les prisonniers retrouvent l’air et la lumière est particulièrement bouleversante : « O Welche Lust in freien Luft den Atem zu nehmen ! » Fidelio en pleure. Alors que les chuchotements des prisonniers (« Sprecht leiser ! ») annoncent déjà leur adieu à la chaude lumière. Une splendide chorégraphie de Marcel Seminara. Les gardes mettent en joue les prisonniers.
Au deuxième acte, la sombre introduction avec cuivres lugubres et timbales fatidiques laisse filtrer un bruissement de flûtes et l’espoir renaît. La voix solitaire du prisonnier fuse : « O grauenvolle Stille ! O schwere Prüfung , doch gerecht ist Gottes Wille ! » Zoran Todorovich a la voix de ténor idéale pour ce rôle, glissant légèrement entre les ombres de la souffrance et la lumière. Il se soumet aux desseins de Dieu, bercé par les violons ; il a dit la vérité et le cachot est sa récompense. De sa voix claire et souple « Gott ! Welch Dunkel hier ! » Florestan chante tour à tour sa souffrance et son espoir en la liberté. Il a soudain perçu une lueur féerique et senti la voix de sa femme? Magie musicale et affective s’emmêlent, on est en plein conte de fées ! Les voilà qui chantent à trois l’espoir radieux retrouvé ! Léonore a offert du pain au prisonnier qui ne l’a pas encore reconnue sous son lourd manteau. Lorsque Pizarro descend pour le tuer, Léonore dévoile son identité de femme, s’interpose et le menace de son pistolet.
Le bon ministre Don Fernando (Laurent Kubla) est arrivé, Pizzaro emmené par des gardes. C’est Leonore qui libèrera son mari des entraves. « O Gott, welch ein Augenblick ! » « Liebend ist es mir gelungen, dich aus Ketten zu befrei´n». La lumière emplit l’espace et inonde le plateau qui avait pris l’apparence d’un pénitencier moderne. Dans le final resplendissant qui s’apparente à la thématique de l’Hymne à la joie - long moment inoubliable - toutes les femmes suivent l’exemple de Léonore et enlèvent les fers des pieds de leur mari, les jetant avec dégoût au bord de la scène. On est très loin de la moralité bourgeoise! Il s'agit plutôt d'une morale héroïque. On ressort du spectacle, l’amour de la liberté fiché dans le cœur. On a entendu un émouvant manifeste pour l’amour conjugal, dans sa profondeur et sa vérité, l’accomplissement du devoir moral et l’affranchissement de toute dictature.
Fidelio
- Direction musicale : Paolo Arrivabeni
- Mise en scène : Mario Martone
- Chef des Chœurs : Marcel Seminara
- Artistes : Jennifer Wilson, Zoran Todorovich, Franz Hawlata, Cinzia Forte, Yuri Gorodetski, Thomas Gazheli, Laurent Kubla
- Du vendredi, 31/01/2014 au mardi, 11/02/2014
- http://www.operaliege.be/fr/activites/operas/fidelio
- Opéra Royal de Wallonie
Place de l'Opéra
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