En deux langues, la littérature canadienne exprime l'âme d'un peuple. Les textes français antérieurs à 1760 sont pour l'essentiel des récits de voyage et constituent une «prélittérature». Ce n'est qu'après les guerres de la conquête que les Canadiens français, coupés de leurs élites, obligés de s'adapter pour ne pas périr, doivent se défendre par la parole ou l'écrit. Journalistes et orateurs parlementaires produisent une littérature de combat.
Au siècle dernier, la poésie se cantonne soit dans l'exaltation de la patrie, soit dans des imitations de la poésie française. Les premiers romans, idylliques et moralisateurs, empruntent souvent la forme de Mémoires ou de récits épistolaires. Leur documentation réduite, leur partialité et leur absence de méthode font des diverses «histoires du Canada» plutôt de simples chroniques. Le mouvement des idées est dominé par un nationalisme revendicateur, qui se traduit surtout par des efforts pour le maintien de la langue française. Cependant, plusieurs essayistes sont des critiques lucides et acerbes de la société bourgeoise du XIXe siècle.
Depuis dix ans à peine, il existe un ensemble d'études qui permet une analyse systématique de la littérature canadienne-anglaise. Elles semblent dominées par le souci de considérer cette jeune littérature, non plus selon les normes d'une esthétique traditionnelle, mais en fonction de son apport original à la culture nationale. On cherche donc moins à comparer les oeuvres indigènes avec les chefs-d'oeuvre de la littérature anglaise ou américaine qu'à suivre la marche d'une expérience spécifiquement canadienne.
La vie musicale canadienne est celle d'un pays-continent. Seuls les moyens modernes de communication ont pu le ramener à une échelle humaine. La musique y connaît un nouvel essor grâce à des échanges artistiques de plus en plus intenses entre les provinces.
L'histoire des arts plastiques au Canada comprend plusieurs étapes. D'abord l'Église favorise la sculpture et l'architecture. On rencontre ensuite une «époque» du portrait qui durera jusqu'à la fin du XIXe siècle. Les artistes d'origine britannique seront surtout des peintres paysagistes. Depuis le milieu du XXe siècle, on assiste à un surprenant renouveau dans tous les domaines des arts plastiques.
1. Littérature de langue française
La poésie
Au moment où, en France, le romantisme subit un net déclin, il connaît, sur l'autre rive de l'Atlantique, une étrange survie, avec un retard d'au moins une génération. Le chef du mouvement est Octave Crémazie (1827-1879), qui traduit la voix de son peuple à l'aube de sa renaissance, se faisant l'interprète de ses regrets, de ses espoirs, de sa nostalgie des couleurs françaises. Il s'émeut des moeurs rudimentaires des paysans et affirme son attachement aux valeurs religieuses. Plus prolifique, Louis Fréchette (1839-1908) a voulu, avec La Légende d'un peuple, doter ses compatriotes d'une épopée faisant revivre les nobles gestes et les hautes figures des ancêtres. William Chapman (Feuilles d'érable, Fleurs de givre) est porté à la grandiloquence; Pamphile Lemay (Les Gouttelettes) est un poète spontané et mélancolique, Alfred Garneau, un artiste raffiné, Nérée Beauchemin (Floraisons matutinales, Patrie intime), un parfait artisan du vers.
Avec le siècle naît un courant nouveau. Des poètes d'une culture plus vivante, d'un goût plus affiné, se refusent à chanter les gloires gémelles de Dieu et de la patrie. Ils ont découvert d'autres sources d'inspiration et entendent accueillir l'humain, tout l'humain. Ils rêvent d'une forme plus souple, recherchent des innovations stylistiques, imaginent ce qu'ils n'ont pu expérimenter.
Le chef de cette pléiade est, sans aucun doute, Émile Nelligan (1879-1941). Dès l'enfance, il s'enfonce dans une tristesse morbide, et la pensée de la mort hante ses poèmes. Inlassablement il répète son désenchantement, son refus désespéré de la vie. Rompant avec les thèmes du terroir, Nelligan libère la poésie canadienne et lui ouvre la voie du XXe siècle. Il se tait avant d'atteindre vingtans.
Albert Lozeau (1878-1924) est lui aussi un homme blessé et, de sa résignation, naît un art intimiste. La nature l'émeut, qu'il ne connaît que par l'imagination, et la «bonne souffrance» acquiert dans ses vers la voix feutrée de l'apaisement. Dans le même groupe on rencontre: Gonzalve Désaulniers (Les Bois qui chantent), un humaniste serein, une sensibilité lamartinienne; Jean Charbonneau (Les Blessures, Sur la borne pensive) qui, par le moyen d'obscurs symboles, reprend les grands mythes religieux et métaphysiques; Charles Gill, chez qui le clinquant dépare une oeuvre épique dont l'ambition, du reste, dépasse son talent; Blanche LamontagneBeauregard, d'une inspiration exclusivement régionaliste, Englebert Gallèze (La Claire Fontaine), dont le rythme enjoué s'associe à une émotion discrète; Lucien Rainier (Avec ma vie), poète du recueillement et de la méditation mystique; Albert Ferland enfin.
Paul Morin (1889-1963) s'affirme le poète exotique par excellence. Dans Le Paon d'émail et Poèmes de cendre et d'or, il traduit l'éblouissement d'un jeune homme raffiné, livré aux multiples ivresses des dépaysements, amoureux des rythmes et des formes, épris du chatoiement des syllabes, jouant d'une rare virtuosité verbale. Également maître du rythme mais plus sincère, René Chopin (1885-1953) ne s'éloigne pas de son pays, et son exotisme sera d'ordre moral. Poète de la nature (Le Coeur en exil, Dominantes), il l'interprète plus qu'il ne la décrit; son talent se fonde sur une sensibilité intense, mal adaptée au quotidien. Robert Choquette, né en 1905, a séduit ses contemporains par le romantisme juvénile d'À travers les vents; par la suite, les vers nobles et un peu froids de Suite marine ont paru correspondre à un exercice, grandiose certes, mais dénué de nécessité profonde. Alfred Desrochers (À l'ombre de l'Orford) est un poète viril, peintre réaliste de la nature, au demeurant, soucieux de la forme. Le premier tiers de notre siècle compte encore: Simone Routier, Rosaire Dion-Lévesque, Cécile Chabot, Josette Bernier, Medjé Vézina.
L'époque contemporaine marque le début d'une ère nouvelle: la naissance d'une poésie authentique, où il ne s'agit plus d'imiter ou de versifier, mais d'atteindre à l'expression originale de sentiments et d'expériences personnels. L'oeuvre poétique d'Alain Grandbois (Les Îles de la nuit, Rivages de l'homme, L'Étoile pourpre) est l'écho de son aventure humaine. Cette poésie ample et frémissante exprime un rêve lucide. Elle joue avec les mots comme avec des objets précieux; mais cette danse devant l'arche dissimule mal une inquiétude jamais apaisée. Grandbois reprend les thèmes universels, le désir, l'amour, la nostalgie, insistant sur le rendez-vous inévitable avec la mort. Pour Saint-Denys Garneau (1912-1943), l'art constitue une activité spirituelle, il ne le conçoit que dans un climat de pureté. Regards et jeux dans l'espace laisse transparaître intacte, une âme d'enfant. Il rejette les mètres traditionnels et recourt aux mots humbles, les disposant en un ordre imprévu qui suscite une émotion étrangère aux engouements passagers.
Après avoir fait ses gammes (Les Songes en équilibre), Anne Hébert atteint, dans Le Tombeau des rois, à une haute et exigeante poésie, dépouillée de tout élément adventice, et formule les interrogations les plus profondes. Elle possède un sens aigu de l'incommunicabilité avec autrui. Rina Lasnier (Le Chant de la montée, Escales, Présence de l'absence, Les Gisants, L'Arbre blanc) a progressivement rendu son inspiration plus hermétique. La femme s'enfonce dans la solitude et murmure des confidences voilées, d'une mélancolie résignée. Ses nombreux recueils frappent par la justesse de l'expression, son intransigeante sobriété, le refus de toute complaisance; ils sont le témoignage d'une expérience spirituelle poursuivie sans la moindre tricherie.
François Hertel excelle aux acrobaties de la pensée et de la phrase. Dans Mes Naufrages, il traduit son désarroi et le tohu-bohu d'une existence tourmentée, à la recherche d'un port d'attache. Parmi les principaux poètes contemporains, on rencontre Roger Brien, fougueux partisan de l'alexandrin, Gilles Hénault, inventif et fervent, Jean-Guy Pilon, Pierre Trottier, Roland Giguère, Fernand Dumont, Maurice Beaulieu, Gatien Lapointe, Paul-Marie Lapointe, Fernand Ouellette, Luc Perrier...
Le roman
Le roman fait son entrée dans la littérature canadienne avec l'oeuvre d'un vieillard cultivé, Philippe Aubert de Gaspé (Les Anciens Canadiens): il se penche sur le passé franco-canadien. Antoine Gérin-Lajoie (Jean Rivard), journaliste-juriste, également épris du passé national, se fait l'avocat de la colonisation et du retour à la terre. Célibataire sensible et mélancolique, Laure Conan (Angéline de Montbrun) est la première à tenter de démêler, bien que naïvement, l'écheveau des problèmes psychologiques.
Pendant le premier tiers du XXe siècle, les écrivains canadiens-français ne possèdent pas un métier assez solide pour s'attaquer à la tâche de construction concertée qu'exige le roman. Ils se bornent à raconter de petites histoires sans conséquence; la puissance créatrice leur fait défaut pour camper des personnages vivants engagés dans des situations concrètes. Ils souffrent également de timidité. Souvent découragés d'avance par la comparaison avec les oeuvres françaises, ils ne paraissent pas convaincus que des êtres de chair et de sang soient susceptibles, au Québec aussi bien qu'ailleurs, de retenir l'attention du lecteur. Ces rares romanciers hésitent à aborder l'univers complexe des agglomérations urbaines et se rabattent, non sans une arrière-pensée d'édification, sur les milieux ruraux toujours artificiellement idéalisés. D'où de nombreuses oeuvres qui se répètent les unes les autres, assurant la survie de légendes déjà fort éloignées de la réalité. C'est notamment le cas d'Adjutor Rivard (Chez nous, Chez nos gens) et de Marie Victorin (Récits laurentiens, Croquis laurentiens).
Léo-Paul Desrosiers (1896-1967) emprunte à l'histoire un cadre, des personnages, des situations, il imagine une intrigue fictive dans un décor vrai. C'est le cas de Nord-Sud, des Engagés du grand portage, où revivent les voyageurs des pays d'en haut, des Opiniâtres. Sa réussite la plus éclatante, dans une veine spiritualiste, demeure L'Ampoule d'or, poème en prose. Robert de Roquebrune (1889-1978), cultive, lui aussi, l'évocation historique, comme le manifestent Les Habits rouges, qui se rapportent à la rébellion de 1837, La Seigneuresse et surtout Testament de mon enfance, témoignage attachant sur un type de civilisation locale disparue au début de ce siècle. Plus affranchi des conventions et des préjugés, Jean-Charles Harvey (1891-1967) vise à combattre le conformisme et la médiocrité par la satire, le fantastique ou le pamphlet (Les Demi-Civilisés, Les Paradis de sable). Claude-Henri Grignon (1894-1976) est l'homme d'un seul roman, Un homme et son péché, peinture âpre de l'avarice paysanne; il a créé un type, Séraphin Poudrier, devenu l'Harpagon ou le père Grandet du pays laurentien. Avant tout poète et critique, Louis Dantin (1865-1945) a laissé un roman posthume et à demi autobiographique, Les Enfances de Fanny, un ouvrage plein d'une douloureuse présence humaine. Mentionnons également Harry Bernard (Les jours sont longs) et Rex Desmarchais (La Chesnaie).
C'est pendant la Seconde Guerre mondiale que s'opère un puissant renouveau romanesque. Toutefois, quelques années plus tôt, Philippe Panneton (1895-1960) s'était imposé par un réalisme lucide; dans Trente Arpents et Le Poids du jour, l'auteur ignore ses états d'âme, et son intelligence du coeur humain anime une oeuvre attentive aux problèmes sociaux; il est plus architecte que musicien. Bien différent s'affirme Félix-Antoine Savard (1895-1982), un maître de l'incantation verbale; Menaud, maître draveur et surtout La Minuit sont pleins d'un lyrisme cosmique; dans un climat d'exaltation intense, ses personnages représentent plutôt des allégories, des types que des individus concrets.
Germaine Guèvremont (1900-1968) a porté le roman paysan à un rare degré d'excellence; Le Survenant et Marie-Didace demeurent des réussites exceptionnelles. L'auteur possède un sens aigu de l'observation; elle regarde ses personnages colorés et truculents d'un oeil précis et d'un coeur indulgent, non sans une malice amusée. Avec Bonheur d'occasion, Gabrielle Roy (1909-1983) a banni toute préoccupation édifiante; le récit se rapproche parfois du document, mais évite la sécheresse, grâce à la tendresse dont l'auteur ne cesse d'entourer ses créatures. La petite Poule d'eau, éclairée d'un humour discret, souligne le monotone écoulement des ans, accordé au rythme des saisons et des événements familiers. On retrouve les mêmes qualités d'émotion intime dans Rue Deschambault, avec une pointe de détresse pitoyable dans Alexandre Chênevert. Romancier populiste, Roger Lemelin, né en 1919, est un conteur joyeux et inventif plus qu'un styliste raffiné. Au pied de la pente douce et La Famille Plouffe bouillonnent de vitalité, les cocasseries et les incongruités de l'existence quotidienne s'y déroulent à une allure endiablée. En revanche, plus ambitieux, Pierre le Magnifique est alourdi d'une idéologie peu convaincante.
Robert Charbonneau (1911-1967) a ouvert la voie au roman d'analyse psychologique. Dans Ils posséderont la terre et Fontile, Les Désirs et les jours et Aucune Créature, les mêmes personnages se retrouvent, intensifiant l'unité d'atmosphère. C'est le procès de l'homme moderne, souvent mystérieux à soi-même, qui s'instruit devant nous, et cet homme demeure la proie d'une inquiétude spirituelle qui inspire toutes ses démarches. C'est cette tension permanente qui entretient un climat dramatique exceptionnel. Dans une veine très voisine, occupent une place importante André Giroux (Au-delà des visages, Le gouffre a toujours soif) et Robert Elie (La Fin des songes, Il suffit d'un jour), deux romanciers qui scrutent avec perspicacité les replis les plus secrets de l'âme humaine. Même pénétration psychologique chez André Langevin, né en 1927, qui garde le silence après avoir publié trois romans remarquables: Évadé de la nuit, Poussière sur la ville, Le Temps des hommes. Par son intensité, par sa puissance de création, par son acuité introspective, Langevin est le premier romancier de sa génération. Le plus fécond, c'est Yves Thériault (1916-1983). D'une oeuvre abondante, variée, inégale, on retiendra Aaron, Agaguk et Ashini, où sont successivement étudiés les problèmes actuels des juifs, des Esquimaux et des Indiens au Canada.
Dans les oeuvres de Claire Martin: Avec ou sans amour, Soux-Amer, Quand j'aurai payé ton visage, on perçoit une forme séduisante de sensibilité lucide. Rien ne lui est étranger des intermittences du coeur, qu'elle transcrit avec un détachement mêlé de complicité; des hommes et des femmes se cherchent, s'égarent dans les sentiers confus des amours difficiles. Dans une tonalité en grisaille, Jean Filiatrault publie des romans audacieux par leurs thèmes et leurs situations (Terres stériles, Chaînes, Le Refuge impossible, L'argent est odeur de nuit). Il s'attaque avec virulence aux problèmes sexuels et met en scène des cas limites, qu'il traite dans un style frémissant et dépouillé.
Marie-Claire Blais (Tête blanche, La Belle Bête, Une saison dans la vie d'Emmanuel) nous plonge dans un monde noir, sans espoir de rédemption. Les êtres se déplacent dans un univers irréel, plongé dans une atmosphère sulfureuse. Ce fantastique morbide atteint à une poésie sauvage et désolée; dans ce climat asphyxiant, la liberté cède la place à un fatalisme implacable. Jacques Ferron est un maître conteur qui met en scène des gens simples et frustes. Avec Le Libraire, Gérard Bessette a signé un roman satirique d'une vérité implacable. Les lettres canadiennes peuvent beaucoup espérer de Jean Simard, ironiste racé et souriant, de Jacques Godbout, Diane Giguère, Paule Saint-Onge, Jean Basile, Hubert Aquin, Claude Jasmin, Gilles Marcotte, Réjean Ducharme, auteur de L'Avalée des avalés, Le Nez qui voque, L'Océantume.
L'histoire
À un groupe humain abandonné de la métropole, soumis à des vainqueurs restés hostiles, éprouvant le sentiment encore vague de former une entité homogène, il faut un grand courage pour entreprendre le bilan lucide de ce qu'il a accompli. Peuple conquis ou cédé, peuple sans histoire. Blessés dans leur fierté nationale, des historiens surgissent, décidés à relever le défi. Ils le font avec des moyens limités; ils n'ont accès qu'à des archives incomplètes et mal inventoriées, il leur faut éviter les interprétations hâtives ou abusives, se garder surtout d'une conception polémique de l'histoire. Les plus anciens d'entre eux n'y parviennent pas toujours.
L'Histoire du Canada de François-Xavier Garneau (1809-1866) n'est pas un pamphlet, mais un récit fidèle des faits. Il parvient à reconstituer le passé de façon cohérente. Promis à une rapide caducité, cet ouvrage se lit encore, un siècle plus tard, avec intérêt et profit; la science contemporaine a confirmé plusieurs de ses intuitions. Nourri des classiques, Garneau écrit la langue correcte de son temps, plus ferme qu'élégante, moins nerveuse que précise.
Moins bien charpentée, l'Histoire du Canada d'Antoine Ferland (1805-1865) s'en tient au régime français et n'esquisse aucun système philosophique ou historique. Si elle manque souvent d'attrait et de verve, elle s'impose par sa méthode scientifique, par l'exploitation d'archives inédites, par l'abondance des détails.
Connu surtout comme animateur de la vie littéraire, Henri-Raymond Casgrain (1831-1904) a publié des Biographies canadiennes, des ouvrages sur l'Acadie et des études consacrées à Montcalm et Lévis.
De l'oeuvre considérable de Lionel Groulx (1878-1967), il restera L'Enseignement français au Canada, lumineux exposé d'une lente montée vers la culture, et, plus sûrement encore, les quatre volumes de l'Histoire du Canada, synthèse de ses recherches où l'érudition se présente sereine et claire. Convaincu que l'histoire est maîtresse de vie et d'action, il s'attache à dégager l'âme canadienne-française, autonome avant la cession du pays, et devenue plus jalouse de son originalité au cours de sa résistance opiniâtre à l'anglicisation. S'il lui arrive de porter des jugements sévères sur les Anglais, il n'épargne guère ses compatriotes. Méthode historique d'une probité rigoureuse et puissance rayonnante d'un verbe conquérant caractérisent cette grande oeuvre. Grâce à Groulx, la doctrine nationaliste n'est plus étroit repli sur soi-même mais expansion généreuse aux dimensions de l'humain.
Après deux biographies, Jean Talon intendant de la Nouvelle-France et Le Marquis de Montcalm, Thomas Chapais (1859-1946) a donné son Cours d'histoire du Canada, qui s'étend de 1760 à la Confédération de 1867. Il est porté à la grandiloquence et envisage les événements dans une perspective trop officielle. Archiviste de profession, Gustave Lanctôt, né en 1883, a publié des ouvrages estimables: L'Administration de la NouvelleFrance, Filles de joie ou filles du roi, Faussaires et faussetés en histoire canadienne. Plus récemment, il a fait paraître une Histoire du Canada, limitée au régime français.
Guy Frégault (1918-1977) est un historien aussi savant qu'artiste. On lui doit des ouvrages sans doute définitifs: Iberville le conquérant, La Civilisation de la Nouvelle-France, François Bigot, Le Grand Marquis, La Guerre de la conquête. Jean Bruchési (1901-1979) s'est affirmé comme un vulgarisateur élégant et concis, Robert Rumilly (1897-1983) comme un chroniqueur intarissable (Histoire de la province de Québec, en une quarantaine de volumes), Marcel Trudel comme un érudit solide et minutieux, Michel Brunet comme un historien polémiste.
Le mouvement des idées
Comme journaliste et comme sociologue, Étienne Parent (1801-1874) tente de raison garder dans le tumulte des passions et de bousculer les routines pour imaginer l'avenir. Journaliste de combat, il prêche la modération, défend les droits imprescriptibles de ses compatriotes. Il élargit peu à peu son horizon et aborde les problèmes d'un ordre plus général. Il est le premier à deviner l'importance croissante des sciences sociales et économiques.
La littérature d'idées à la fin du XIXe siècle est animée par des écrivains conscients de leurs faiblesses et de leurs déficiences, inquiets de voir s'étioler la langue française au Canada. Ils protestent contre les outrances, contre les anglicismes et les solécismes, les exagérations néo-romantiques devenues presque une tradition dans les lettres. Ils s'élèvent contre la partialité des critiques contemporains; ils sont les premiers vrais critiques littéraires. Avides de pureté et de vérité, ils sont aussi des chroniqueurs agréables et ont su fixer en des tableaux attachants le charme un peu désuet d'une période révolue. Ce sont les écrivains les plus dégagés de tout conformisme, leur verve les préserve de toute raideur solennelle. Mentionnons Arthur Buies (1840-1901), pamphlétaire fiévreux, d'un entrain endiablé, esprit progressiste; Faucher de Saint-Maurice (1844-1897), grand voyageur; Hector Fabre (1834-1910), critique littéraire perspicace; Oscar Dunn (1845-1885), défenseur du français et des humanités classiques; Jules-Paul Tardivel (1851-1905), journaliste qui a l'âme d'un apôtre et professe un ultramontanisme intransigeant.
Journaliste, tribun, homme politique, Henri Bourassa (1868-1952) domine de haut un demi-siècle de la vie canadienne. Par le discours et par l'éditorial, il agit avec plus de force parfois que de finesse. Sa rigueur discursive reste inégalée; s'il lui arrive de s'appuyer sur des prémisses discutables, le raisonnement n'offre aucune faille. Plus nuancé, nature anxieuse, d'une ironie ravageuse, Jules Fournier (1884-1918) dénonce les travers de ses compatriotes et ne tolère que la perfection dans tous les domaines. Ses critiques littéraires sont d'une justesse féroce. Olivar Asselin (1874-1937) poursuit, dans la presse, une oeuvre analogue, avec une dialectique rageuse et efficace, sans oublier ses foucades et ses mots méchants.
Édouard Montpetit (1881-1954) marque une étape dans l'évolution du Canada français. Son action est féconde, dans sa discrète ténacité. Ennemi du médiocre et du banal, il prêche à ses compatriotes le culte de la supériorité. Homme de vaste culture, il s'initie à toutes les formes du savoir; à l'époque de la spécialisation, il reste le type de l'humaniste. On lui doit notamment: Pour une doctrine, Les Cordons de la bourse, Sous le signe de l'or, La Conquête économique, D'azur à trois lys d'or, et surtout trois volumes de souvenirs: Vers la vie, Vous avez la parole, Aller et retour.
Le théâtre
Le théâtre canadien-français compte peu d'oeuvres pouvant prétendre à quelque longévité. Parmi les auteurs dramatiques, les uns cherchent à élaborer un théâtre littéraire, plus soucieux de la forme que de l'action: Paul Toupin (Brutus, Le Mensonge, Chacun son amour), Éloi de Grandmont; les autres exploitent avec talent la veine populaire: Gratien Gélinas (Tit-Coq, Bousille et les justes, Hier les enfants dansaient), le prolifique Marcel Dubé (Zone, Le Temps des lilas, Un simple soldat, Florence, Les Beaux Dimanches). À mi-chemin entre ces deux pôles, Françoise Loranger aborde des thèmes psychologiques et Jacques Ferron invente des farces fantaisistes et ironiques.
2. Littérature de langue anglaise
Écrits des explorateurs
À la fois histoire et littérature, les rapports des marins et explorateurs des XVIe et XVIIe siècles constituent les premières oeuvres. Les impressions des narrateurs sont variées. Le Français Cartier décrit la côte du Labrador comme «la terre que Dieu donna à Caïn». À l'opposé, on possède les rapports enthousiastes, destinés aux futurs colons, tel celui où Robert Haydon, en 1628, déclare les hivers de Terre-Neuve «courts, sains et constamment dégagés et non épais, malsains et "traînassants" comme ils le sont en Angleterre». C'étaient de simples relations des faits, dépourvues de tout souci stylistique. Cette sobriété et ce goût du concret caractériseront longtemps les écrivains canadiens de langue anglaise.
Évitant les régions françaises le long du Saint-Laurent, les navigateurs anglais s'intéressèrent au nord et au nord-ouest du pays. À partir du XVIIe siècle, leurs noms -Hudson, James, Baffin, Frobisher - vont illustrer toute la carte de l'Arctique canadien. Leurs journaux de bord ainsi que les journaux plus détaillés tenus au XVIIIe siècle par les grands explorateurs qui parcourent les terres à l'ouest de la baie d'Hudson -Hearne, Henry, Mackenzie et Thompson -constituent la seule vraie épopée de la littérature canadienne-anglaise. Leurs écrits donnent la première image de l'immensité du pays, de ses indigènes, de la beauté grandiose et redoutable de ses sites, et des rigueurs de son climat. On y trouve déjà ce que Northrop Frye a appelé le thème dominant de la littérature canadienne: «l'évocation d'une terreur primitive».
Littérature de la colonie et de la jeune nation
De petites communautés de pionniers, vivant closes sur elles-mêmes, aux frontières d'une immensité inculte où régnait un esprit que Frye appellera la «mentalité de garnison»: telle est l'expérience des colons.
Le premier roman canadien-anglais, qui est aussi le premier roman nord-américain, est un roman de garnison, The History of Emily Montague, fut publié en 1769, juste après la conquête. L'auteur, Frances Brooke, était la femme du chapelain de la garnison de Québec. Par une facétie du sort, la première description proprement littéraire de la vie au Canada présente un caractère mondain, et une de ses coquettes prédit au pays un piètre avenir artistique: «Les rigueurs du climat suspendent les pouvoirs mêmes de l'entendement [...]. Le génie ne prendra jamais grand essor où les facultés de l'esprit restent transies la moitié de l'année.»
Effectivement, à part plusieurs romans historiques de valeur contestable, dont le plus connu est The Golden Dog (1877) de William Kirby, le Québec ne devait guère servir de cadre à la littérature anglaise avant l'ère moderne où Montréal s'est acquis le titre de centre littéraire anglais autant que français.
Pionniers du Haut-Canada
À cette époque, ce furent plutôt les colonies du Haut-Canada et de la Nouvelle-Écosse qui contribuèrent à la littérature naissante. Dans le Haut-Canada (actuellement la partie sud de l'Ontario), la première vague d'immigrants anglais qui déferla après les guerres napoléoniennes comprenait nombre de gens d'une certaine culture dont les efforts pour s'adapter à une nouvelle et rude existence nous sont rapportés dans des oeuvres telles que Roughing it in the Bush (1852) de Susanna Moodie, ou le livre de sa soeur, Catherine Parr Traill, The Backwoods of Canada (1836). Ces oeuvres contiennent des informations très vivantes sur les pionniers de l'Ontario, mais racontent également l'humour, le courage, l'endurance, et parfois la détresse intime qui composaient l'âme secrète des garnisons.
Exilés du Vieux Continent, ces émigrants n'appartenaient pas encore au Nouveau, et un amalgame d'impatience et d'espoir, de désorientation et d'orgueil anime leur oeuvre. Cette ambiguïté caractérise souvent, encore de nos jours, les écrivains immigrants.
Colons de la Nouvelle-Écosse
À l'est du pays, dans les colonies maritimes, vinrent s'établir quelque soixante-dix mille sujets demeurés fidèles à la couronne britannique après la révolution américaine.
Ce noyau de colons déjà habitués à la vie nord-américaine forme la base de la première vraie communauté britannique au Canada. Lorsque ces citoyens purent s'occuper de littérature, ils suivirent le courant néo-classique du XVIIIe siècle. The Rising Village (1825) d'Oliver Goldsmith, petit-neveu du poète anglais du même nom, est un exemple de ce genre d'imitation directe. The Stepsure Letters (1821) de Thomas McCulloch est une satire, dans un style ironique qui rappelle celui de Swift. Mais Thomas Chandler Haliburton, avec la création de son personnage Sam Slick, un Américain colporteur d'horloges en Nouvelle-Écosse, fait preuve d'une réelle originalité. Après son apparition dans The Clockmaker (1836), ce rusé Sam Slick devait être le héros d'une demi-douzaine d'autres livres et valoir à son auteur d'être reconnu comme le premier homme de lettres canadien de réputation internationale. La popularité de Haliburton égala, de son vivant, celle de Dickens, et on peut le comparer à Mark Twain ou à cet autre grand écrivain humoriste canadien, Stephen Leacock.
Poètes de la Confédération
Les manifestations de la fierté nationale seront cristallisées, vers 1880, dans les oeuvres d'un groupe de poètes connus sous le nom de Poètes de la Confédération. Deux d'entre eux, Bliss Carman et son cousin Charles D.G.Roberts, étaient originaires des provinces maritimes; deux autres, Duncan Campbell Scott et Archibald Lampman, étaient fonctionnaires gouvernementaux à Ottawa. Ces auteurs chantent les forêts, les fleuves, les rivages ou les saisons de leur patrie; ils furent les premiers à prêter une voix au paysage canadien. Leur poésie est influencée par le romantisme anglais, mais se distingue pourtant de celle des lakistes par un caractère nettement moins philosophique. Elle cherchait plutôt à exprimer, au moyen d'images et de cadences concrètes, l'âme des paysages nordiques. Cette réticence à moraliser et cette fidélité au fait observé sont un héritage que les poètes canadiens continuent à exploiter.
Vers la même époque naissait le mythe du Canada pays d'aventure, qui devait alimenter une abondante production d'oeuvres rentables. Beaucoup d'écrivains anglais, tels R.M. Ballantyne, G.A. Henty et Robert Service, ou américains, tels James Oliver Curwood et Jack London, commencèrent à situer leurs histoires au Canada en utilisant sa réputation de «dernière frontière». Plusieurs écrivains canadiens exploitèrent la même veine: parmi ceux-là, le clergyman Ralph Connor dont les romans de «plein air» connurent un vif succès. Dès les premières années, on vendit près de cinq millions d'exemplaires de ses trois premiers volumes. À cette époque de succès commerciaux mais de médiocrité artistique, les romans de valeur sont ceux qui expriment la satire sociale. En 1904, The Imperialist de Sara Jeannette Duncan révéla un talent qui fut comparé à celui de Henry James. Cependant au faîte de sa carrière, S.J. Duncan se fixa aux Indes, devenant ainsi un des premiers écrivains canadiens expatriés. En 1910, Stephen Leacock publia son premier livre d'essais humoristiques, Literary Lapses, qui fut suivi d'oeuvres de la même veine à la cadence d'un livre par an jusqu'à la mort de l'auteur en 1944. Bien que son génie excelle dans ces courts récits humoristiques, l'oeuvre de Leacock la plus chère aux Canadiens est son unique roman, Sunshine Sketches of a Little Town (1912), le portrait d'une petite ville dans l'Ontario.
Romanciers des prairies
La différence entre le tableau de la vie dans la brousse décrite par Susanna Moodie et celui de la petite ville ensoleillée de Leacock illustre l'extraordinaire développement de l'Est canadien à l'ère victorienne. Le tournant du siècle correspond aux débuts de l'ouverture massive de l'Ouest canadien et, vers 1925, toute une série de romans de la terre évoquèrent ce chapitre de l'histoire du Canada. Des romans comme The Viking Heart (1923) de Laura Salverson, Wild Geese (1925) de Martha Ostenso, Grain (1926) de Robert Stead, et surtout les essais et les romans de Frederick Philip Grove, Over Prairie Trails (1922) et Settlers of the Marsh (1925), décrivirent les espérances de divers groupes ethniques, scandinaves, islandais, anglais. Ces livres révèlent un nouveau style réaliste, très différent de la fiction romantique qui fut exploitée avec tant de succès par Mazo De La Roche à partir de Jalna (1927).
Littérature contemporaine
Poésie moderne
Les premières oeuvres véritablement modernes marquant la fin de l'époque pionnière et rurale seront des poèmes et non des romans. E.J. Pratt est considéré comme le premier des poètes modernes canadiens. Dans Newfoundland Verse (1923), on remarque déjà les qualités qui, dans les dix-huit volumes suivants, firent de Pratt le poète le plus important de sa génération: la solidité de l'observation scientifique, un grand intérêt pour les triomphes techniques de l'homme moderne, une vision cosmique de l'évolution, ainsi qu'un esprit plein de verve et d'humour. Dans ses dernières oeuvres: The Titanic (1935), Brébeuf and His Brethren (1940) et Towards the Last Spike (1952), l'histoire de la construction du chemin de fer transcontinental, Pratt narre avec talent les efforts héroïques de l'homme aux prises avec le temps et l'espace dans le contexte canadien.
Mais Pratt était un solitaire. Le premier groupe de poètes modernes se trouvait à Montréal. F.R. Scott, A.J.M. Smith, Leo Kennedy et A.M. Klein commencèrent à écrire et à publier ensemble à la fin des années vingt. Une anthologie de leurs oeuvres parut en 1936 sous le titre de New Provinces. Leurs poèmes étaient modernes, autant par leur forme que par leur contenu, écrits en vers libres, empruntant le rythme et le vocabulaire de la langue courante, ainsi qu'une imagerie relevant de la vie urbaine contemporaine. Influencés par les réformes d'Eliot, de Yeats et d'Auden, ces poètes se servaient de toute une gamme d'éléments nouveaux puisés non seulement dans la nature mais dans les aspects politiques et sociaux de la vie moderne, ce qui donnait souvent à leur poésie le ton d'une satire mordante.
Le groupe montérégien de 1920 s'était rallié à la révolte poétique anglaise; les poètes de la génération suivante se tournèrent plutôt vers les poètes américains William Carlos Williams et Ezra Pound, Montréal devenait le centre de la création poétique pendant et juste après la Seconde Guerre mondiale, avec de jeunes poètes tels que P.K. Page, Patrick Anderson, Louis Dudek et Irving Layton, qui écrivaient dans une série de «petites revues» dont les principales étaient Preview et First Statement (1942-1945), ainsi que Northern Review (1946-1956) dont le directeur dynamique était John Sutherland.
Ces poèmes étaient certes variés, mais reflétaient pourtant une tendance commune à l'engagement et au non-conformisme; ils exprimaient un intérêt commun pour la ville et dévoilaient les misères humaines qu'elle sécrète. Le groupe acceptait certaines contributions de l'extérieur, telle celle de Raymond Souster, le troubadour des rues de Toronto.
Une nouvelle génération de poètes se déclare au commencement des années soixante. Des provinces atlantiques, avec les poèmes engagés de Milton Acorn et Alden Nowlan, à la côte pacifique où le groupe Tish, mené par George Bowering, inaugure un style dépouillé, frondeur, personnaliste, l'activité poétique bat son plein. Le critique George Woodcock a recensé plus de 1125recueils parus entre 1960 et 1973. Partout de nouvelles voix se font entendre, de nouvelles revues et maisons d'édition surgissent, et un sain régionalisme vient remplacer les tendances nationalistes ou internationalistes de la première vague de poésie moderne. À Vancouver, appuyés par les expériences constamment renouvelées de leur aîné Earle Birney et l'exemple de Phyllis Webb, de jeunes poètes tels que Bill Bisset, Nichol, Pat Lane, Lionel Kearns et Daphne Marlatt se lancent dans la poésie typographique et surréaliste. Les prairies s'expriment dans les vers de Dorothy Livesay, John Newlove, Dale Zieroth, Andrew Suknaski et Robert Kroetsch. À Toronto, centre traditionnel de culture anglo-canadienne, toute une école se forme sous l'égide du célèbre critique Northrop Frye. Parmi les plus connus on peut citer Margaret Atwood, James Reaney, Jay Macpherson et D.G. Jones. Il y fleurit également des talents aussi divers que ceux de Margaret Avison, Michael Ondaatje, Dennis Lee, Al Purdy, Christopher Dewdney ou Gwendolyn MacEwen. Malgré la présence du chanteur-poète Leonard Cohen, du poète-traducteur John Glassco et du poète-éditeur Louis Dudek, Montréal s'éclipse pendant un certain temps, mais semble retrouver un regain de vie avec les jeunes poètes du groupe Véhicule vers la fin des années quatre-vingt.
Théâtre
Le théâtre canadien ne compte que peu d'oeuvres marquantes avant 1960. On peut citer les comédies urbaines de Robertson Davies et les pièces poétiques de James Reaney. Plusieurs facteurs ont contribué depuis, pourtant, à un essor remarquable: la fondation du Stratford Shakespearian Festival en 1953, l'appui du Conseil des arts, la construction de théâtres dans la plupart des grandes villes et la formation de compagnies dramatiques professionnelles à travers le pays. Les jeunes dramaturges font preuve d'une conscience sociale aiguë. Leurs pièces exposent les problèmes des populations indigènes (George Ryga, The Ecstasy of Rita Joe, 1967); l'aliénation des immigrants terre-neuviens déplacés dans la métropole de Toronto (David French, Leaving Home, 1972); les difficultés des victimes de la paralysie cérébrale (David Freeman, Creeps, 1972); l'homosexualité dans les prisons (John Herbert, Fortune and Men's Eyes, 1967); la vie précaire des classes dépourvues à Montréal (David Fennario, Balconville, 1979); ou le conflit entre générations à propos d'une ferme dans les Prairies (Sharon Pollock, Generations, 1982). D'autres encore mettent en scène des personnages légendaires tels George F. Walker, Zastrozzi (1977), Michael Ondaatje, Billy the Kid (1973), Carol Bolt, Red Emma (1974) ou John Gray, Billy Bishop (1981).
Le roman aujourd'hui
Si quelques-unes des oeuvres les plus importantes de la littérature canadienne-anglaise sont de la poésie, il n'en reste pas moins que le roman reflète mieux la diversité du pays. La plupart des romanciers sont d'inspiration régionaliste, mais on compte deux exceptions. Morley Callaghan a toujours revendiqué le titre d'écrivain international. Pendant ses années de formation, vers 1929, il connut Hemingway, Fitzgerald et Joyce, expérience qu'il décrira dans son livre autobiographique, That Summer in Paris (1963). La plupart de ses romans, tels que Such Is My Beloved (1934) et More Joy in Heaven (1937), se situent pendant la dépression économique des années trente dans un milieu urbain et sont marqués d'un caractère social et religieux. Le critique américain Edmund Wilson présente Callaghan comme un génie méconnu; on découvre en effet que ses oeuvres principales, The Loved and the Lost (1951) et Morley Callaghan's Stories (1959), sont, dans la tradition réaliste universelle, des oeuvres de grande valeur.
L'autre écrivain qui a tenté de dépasser le cadre régional est Hugh MacLennan. Dans plusieurs de ses romans, il s'est efforcé de définir le caractère national canadien: dans Barometer Rising (1941) par rapport à l'Angleterre, dans The Precipice (1948) par rapport aux États-Unis et dans The Watch that Ends the Night (1959) par rapport à l'Europe de l'après-guerre. Two Solitudes (1945) et The Return of the Sphinx (1967) traitent de la dualité culturelle au Canada et Voices in Time (1980) prophétise sur l'avenir du pays dans un style de science-fiction.
Parmi les autres romanciers, il en est peu qui cherchent, comme MacLennan, à analyser le caractère national si ce n'est Hugh Hood qui dans son roman-fleuve The New Age (1975), dont huit volumes ont déjà paru, fait la chronique de sa génération. Pour la plupart, les romanciers canadiens se contentent de décrire le caractère géographique, culturel et social de leur propre région. Les romans historiques de Thomas Radall, le livre vibrant et intime de Ernest Buckler, The Mountain and the Valley (1952), et le récit sobre et réaliste de David Adams Richards, de The Coming of Winter (1974) à Evening Snow Will Bring Such Peace (1990), nous font pénétrer dans les provinces maritimes. Un groupe de romanciers juifs dont les plus importants sont A.M. Klein, The Second Scroll (1951), Leonard Cohen, Beautiful Losers (1966), et surtout Mordecai Richler, Son of a Smaller Hero (1955), The Apprenticeship of Duddy Kravitz (1959), St. Urbain's Horseman (1971) et Solomon Gursky Was here (1989), ont choisi Montréal comme le centre vital de leur création.
Plusieurs écrivains nous donnent de l'Ontario des visions saisissantes: l'un est Robertson Davies dans ses satires de la vie bourgeoise, soit dans The Salterton Trilogy (1951-1958), soit dans une oeuvre plus dense et plus imaginative, The Deptford Trilogy (1970-1975), soit dans The Cornish Trilogy (1981-1988); un autre est Hugh Garner dans ses contes naturalistes sur les classes pauvres de Toronto. Un troisième, Michael Ondaatje, nous donne le grand roman poétique de la ville de Toronto avec In the Skin of a Lion (1987).
Sinclair Ross dans As for Me and my House (1941) ainsi que la plus grande romancière des prairies, Margaret Laurence dans The Stone Angel (1965), A Jest of God (1966) et The Diviners (1974), évoquent la monotonie, la solitude et l'hypocrisie qui règnent dans les petites villes de l'Ouest canadien. Cette même région est dépeinte avec plus d'humour et de poésie par W.O. Mitchell dans Who Has Seen the Wind (1947), qui raconte l'éveil au monde d'un jeune garçon vivant dans la province de Saskatchewan. Enfin les paysages montagneux de la Colombie britannique servent de cadre aux oeuvres du peintre Emily Carr, Klee Wyck (1941), de Ethel Wilson, dont l'esprit et la culture animent Hetty Dorval (1947) et Swamp Angel (1954), ainsi qu'au roman de Sheila Watson, The Double Hook (1959), dont l'art dépouillé atteint l'universel au-delà de la petite communauté qu'elle décrit.
On ne doit pas sous-estimer l'apport de certains écrivains immigrants à la littérature canadienne-anglaise. Bon nombre de romans contemporains reflètent ce phénomène d'une transplantation culturelle. Adèle Wiseman décrit les aventures d'une famille de juifs ukrainiens dans The Sacrifice (1956), John Marlyn celles d'une famille hongroise dans Under the Ribs of Death (1957); Henry Kreisel expose le sombre retour d'un émigrant autrichien dans son pays d'origine dans The Rich Man (1948), et Austin C. Clarke analyse la situation équivoque d'un groupe d'immigrants de La Barbade à Toronto dans The Meeting Point (1967).
Plusieurs romanciers ont fait leur marque depuis 1960. Margaret Atwood est connue aussi bien pour sa poésie et sa critique (Survival, 1972) que pour ses romans, dont les plus importants sont Surfacing (1972), The Handmaid's Tale (1985) et Cat's Eye (1988). Alice Munro, de Lives of Girls and Women (1971) à Friend of My Youth (1989), dépeint la petite ville ontarienne avec lyrisme et justesse. Mavis Gallant, qui situe la plupart de ses nouvelles en France, donne pourtant un portrait fictif de sa jeunesse à Montréal dans Home Truths (1981). Robert Kroetsch crée une nouvelle mythologie comique dans Badlands (1975), Alibi (1983) et The Studhorse Man (1968), tandis que Rudy Wiebe explore l'histoire de ses ancêtres mennonites dans The Blue Mountain of China (1970), du peuple amérindien dans The Temptations of Big Bear (1973) et du Nord canadien dans The Mad Trapper (1980). Jack Hodgins célèbre l'île de Vancouver dans The Invention of the World (1977) et Timothy Findley évoque brillamment les deux guerres mondiales dans The Wars (1977) et Famous Last Words (1981).
Depuis 1970, les meilleurs auteurs francophones du Québec sont régulièrement traduits, et Marie-Claire Blais, Roch Carrier, Gabrielle Roy et Michel Tremblay sont aussi connus en anglais qu'en français. Plusieurs immigrants récents- Leon Rooke et Audrey Thomas des États-Unis, Joseph Skvorecky de Tchécoslovaquie- enrichissent également le patrimoine littéraire, et on compte comme faisant partie de la littérature canadienne l'importante contribution de certains résidents temporaires, tels John Buchan, Wyndham Lewis, Malcolm Lowry (Under the Volcano, 1947), Brian Moore (The Luck of Ginger Coffey, 1960, et Black Robe, 1985).
Les littératures