Tu m’entraînes vers des paysages féeriques
aux bien étranges couleurs.
Mais là où tu vas, je vais.
Car je ne vois de couleurs que dans ton sillage.
Partout ailleurs, où que je regarde,
il n’y a que triste grisaille d’un éternel hiver.
Publications en exclusivité (3129)
Trois individus qu’ils soient hommes ou femmes,
Avançant sur leur chemin tels des étrangers,
Comme des nageurs en des couloirs séparés,
Se querellent sur la valeur de leur âme.
” - Je suis au départ de toute création.
Comme inspirée par une voix divine,
Ma pensée vers le nouveau s’achemine
Et tisse la toile de toutes inventions !
- Vrai ! mais que seraient-elles sans la parole,
Sans elle, ne pouvant être révélées,
Ne seraient-elles pas telles des idoles
Vouées à n’être que par soi encensées ? ”
Quant au bâtisseur, l’homme du bout de chaîne,
Si le penseur a pensé pour lui tel projet,
Si l’orateur a parlé pour qu’il comprenne,
Il pleure pour un clou qu’il ne peut enfoncer !
Quand il pleut
sur mes jardins
je pense
aux quatre saisons
à l'oiseau deviné
sous les nuages
je pense
aux ailes invisibles
de nos éternels
recommencements
Les partenariats
Lettres
Merci à Martine pour sa complicité
Merci à Jerry Delfosse
De l'enthousiasme et de l'effervescence ce vendredi 25 novembre 2022 à l'Espace Art Gallery qui accueillait huit talents de notre sphère littéraire et artistique, tous investis dans leur art. Des Mozart des mots et de l'écrit ! Une soirée réussie ? Jugez-en par vous -mêmes !
Auteur, chroniqueur et collaborateur culturel, l'animateur et organisateur de la soirée a développé, en ouverture, les bienfaits de la lecture qu'elle soit silencieuse ou publique : stimulation du cerveau, ralentissement de maladies (Alzheimer, démence,...), diminution du stress, amélioration des connaissances, du vocabulaire, de l'écriture, de la mémoire, de la capacité d'analyse, relaxation, paix intérieure, divertissement,... Lisez, bon Dieu !
Toutes les deux poètes membres de L'Auberge littéraire, Tatiana Gerkens et Edith Henry ont ensuite pris place face au public pour nous livrer en duo une fascinante lecture d'extraits de leurs ouvrages respectifs "Incandescence" et "J'ai 70 ans et je danse la sardane". Tout feu tout flammes, elles ont admirablement capté l'attention, plaisir des mots assuré, réussite totale.
Auteure de "Redevenir", ouvrage autobiographique à caractère ésotérique, Florence De Smedt Dumont s'est lancée avec calme et assurance dans la lecture du passage-phare de son oeuvre, touchant un public très attentif, son propre vécu posé sans réserve à l'aide de mots précieusement choisis, authenticité et belle sensibilité.
Artiste, peintre, sculpteur, poète et philosophe, José Mangano nous a lu plusieurs poèmes enjoués de son cru, souriant, surprenant, et récité en finale un poème qu'il aime particulièrement, nous faisant traverser le temps et l'espace. Oubliés les Plaisirs d'hiver qui débutaient le même soir à quelques centaines de mètres de nous !
Poétesse née dans les Carpates fille d'un éminent écrivain roumain, Taya Léon (Tamara Frunza) suivait Mangano ; concentrée, elle nous a fait investir "La Terre travestie" (éditeur : Daniel Simon), titre de son diversifié et bouleversant recueil de poèmes, avant de nous présenter quelques inédits de sa plume. Everest de poésie singulière !
Ecrivain et professeur de français publié notamment aux Editions Encre Rouge, Manuel Verlange nous a, quant à lui, livré avec coeur et esprit un bel extrait de "Portrait de ma mère en fuite", l'un de ses ouvrages, puis présenté "Changer le cours des fleuves", l'odyssée d'un riche industriel parti de peu, contraste manifeste avec les talents qui le précédaient mais de bien belle teneur. Qualité de fond et de forme au rendez-vous !
Photographe professionnelle, artiste plasticienne et comédienne auteure de scénarios et de sketches, Anita De Meyer, c'est la singularité, les mots au service de l'esprit, l'humour au premier plan. Une force fragile associée à un élan tout en nuances. La scène, une de ses passions !
Poète et peintre auteure de nombreuses publications, Jacqueline Gilbert, pour qui le roman, la poésie et la nouvelle semblent ne plus avoir de secrets; nous a, en clôture, plongé dans son propre univers très diversifié aux mots accrocheurs, enchanteurs, vigueur et enthousiasme à la clé malgré l'heure tardive !
Une soirée plus que réussie ? En témoignaient les regards, lumineux, les sourires, les applaudissements nourris, signes manifestes pour le présentateur et organisateur d'un petit bonheur de rencontres à réitérer, la prochaine soirée : le vendredi 27 janvier 2023 à 19h15.
Thierry-Marie Delaunois
auteur, chroniqueur et collaborateur culturel
organisateur et présentateur des "Soirées Lectures de Bruxelles" de la galerie.
Ces deux-là, vous le verrez, n’ont rien en commun :
L’un étant pincé comme un gardien de prison,
L’autre qu’on appelle un bon épicurien,
Bref, chacun chez lui accroché à sa raison !
” - Je vois que rien ne vous fait perdre l’appétit,
Que des guerres ensanglantent la planète,
Que des enfants creusent pour un pauvre penny,
Ne vous gêne et vous mène à la diète ! ”
- ” Je ne suis pas à l’affut de la misère,
De nature gaie la vie m’émerveille,
Je glane ma petite part de la terre
Avant que sous elle je trouve le sommeil ! ”
Nos deux sbires ne se mettront jamais d’accord,
C’est ainsi depuis que le monde est monde.
Car l'un, triste, plaindra les malheurs de tous bords,
Quand l'autre boira le meilleur à la ronde !
DANS LES SPHÈRES DU DÉSIR : L’ŒUVRE DE CAROLINE DANOIS
Du 08-10 au 31-10-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken 83, 1000 Bruxelles) vous convie à une exposition consacrée à l’artiste belge, Madame CAROLINE DANOIS, intitulée : KISS ME, SI JE VEUX.
L’on remarque, dès la première approche avec son œuvre, que CAROLINE DANOIS se situe entre plusieurs cultures. Plusieurs cultures est synonyme de d’un ensemble de discours esthétiques aux racines multiples. D’origine vietnamienne, élevée en Occident, ayant beaucoup voyagé, sa peinture témoigne d’influences culturelles diverses et importantes. Cela se remarque, notamment, dans l’attitude culturelle de certains de ses personnages, particulièrement en ce qui concerne le langage amoureux dont nous parlerons plus loin. Toujours est-il que ses personnages sont, d’un point de vue physique, de conception orientale. Ceci précisé, ne perdons pas de vue la thématique principale de cette exposition, à savoir le discours, à la fois, sur le désir et sur l’art d’aimer. Néanmoins, le désir est ici pris sous l’angle du désir de l’Homme pour la Femme. Le titre de l’exposition est très explicite sur la philosophie du discours de l’artiste : il s’agit d’une approche amoureuse et sensuelle du masculin vers le féminin, laquelle ne pourra, en définitive n’avoir lieu, uniquement que si le Femme le consent, permettant ainsi à la fusion spirituelle et charnelle de s’accomplir pleinement. Et cela devient l’ordre d’entrée des manifestations amoureuses : le spirituel précède le charnel lesquels devront conduire à l’étreinte épanouie. D’un point de vue chromatique, chaque scène érotique s’inscrits sur deux plans de couleur différente, toujours tendre, créant une belle harmonie : même DANS LES BRAS DE MORPHÉE (que nous évoquerons plus loin), répond à cette esthétique car le contraste saisissant entre les couleurs rouge et blanc, ne perturbe nullement le regard.
TEMARI KISS (huile sur toile-huile sur toile)
L’attitude amoureuse des personnages dérive directement de l’art érotique japonais que l’on retrouve dans les Shungas de la fin du 17ème siècle, jusqu’au milieu du 19ème siècle (bien que les Shungas soient, dans l’ensemble, plus « osées » par rapport aux œuvres de l’artiste). Cette œuvre présente, en l’occurrence, un baiser langoureux conçu dans le cérémonial de sa pose sur la bouche de l’autre ainsi que dans l’attitude physique qui prélude à l’étreinte. Dans l’art érotique japonais, les bouches de l’Homme et de la Femme s’alignent sur le même plan.
Ici, l’on constate un léger déphasage dans l’alignement des personnages, ce qui a pour résultat que le visage de l’Homme étant plus décalé par rapport à celui de la Femme, sa bouche s’imprime en superposition sur la sienne. La tête de la femme ainsi que les épaules, les mains et le pied (à peine esquissé) contrastent avec le vert de la robe et le pantalon gris à fleurs noires et rouges. Cela est dû au fait (devenu une constante dans l’œuvre de l’artiste) que les corps sont d’une blancheur immaculée. Ce qui a pour effet de les envisager dans une sorte d’évanescence charnelle.
La tête, les mains et le pied de l’homme contrastent harmonieusement avec le vert de la chemise ainsi qu’avec le bandeau qu’il porte sur la tête. La boule de laine qu’il tient dans la main (le temari) est utilisée dans un jeu faisant partie de la tradition thaïlandaise.
Notons que c’est également le vert qui domine l’ensemble chromatique. On le retrouve, notamment, à l’avant-plan largement dominé par le bleu-foncé ainsi que dans l’arrière-plan conçu en vert-clair. Les fleurs, sur le pantalon de l’homme attirent le regard, amplifiant l’intensité de la scène.
FIN DE JOURNÉE (100 x 50 cm-huile sur toile)
Même si, dans l’œuvre précédente, l’homme est en léger décalage face à la femme, force est de constater, après lecture de l’image, qu’elle occupe une position légèrement dominante sur l’Homme, en ce sens qu’elle le dépasse en hauteur de quelques centimètres. FIN DE JOURNÉE nous donne une image, non pas de domination mais presque de « protection » vis-à-vis de l’Homme. Par sa façon d’être penchée sur lui, la femme donne le sentiment de le « couver » amoureusement. Néanmoins, elle se trouve physiquement sur lui. Ce qui, dans l’art érotique japonais duquel ces œuvres dérivent, est parfaitement impensable. L’Homme a toujours le « dessus » sur la Femme. Inutile d’insister sur le fait que cette chorégraphie sexuelle a été usitée par l’artiste précisément pour « contrebalancer » cet état de choses.
KISS ME, SI JE VEUX (100 x 70 cm-huile sur toile)
Cette œuvre reprend le titre-même de l’exposition, laquelle est centrée sur la tempérance entre les désirs des deux sexes. Nous sommes ici dans un moment d’incertitude. Va-t-elle se donner à ces hommes? Va-t-elle se refuser à eux? Son corps, immaculé, semble vouloir se donner par l’image de ce soutien-gorge en forme de papillon rouge (couleur à la symbolique érotique de surcroît), lequel ne tient qu’à un fil. Les baiser n’existe, à la fois, que dans l’attente de sa matérialisation ainsi que dans le contact charnel entre la bouche du personnage masculin (en bas à droite) qui embrasse goulument les doigts de la femme. Le cadrage de cette œuvre a été longuement pensé. Il se décline en trois étapes : deux étapes régies par le noir. Un premier carré -noir - sur le périmètre de la toile (extérieur). Ensuite, en partant du bas, un deuxième carré également noir, enserrant le buste ainsi que les jambes du couple, jusqu’au personnage (conçu à moitié corps), embrassant les doigts de la Femme. Le deuxième carré (également noir) s’élance jusqu’aux épaules de la Femme – à l’intérieur. Et ce n’est qu’à partir des épaules de celle-ci que se conçoit la troisième étape dans un troisième carré - couleur or – encadrant les personnages masculin et féminin, dans la partie supérieure de la toile. Il s’agit d’un cadrage intérieur « ouvert », en ce sens qu’il permet simultanément à la main du personnage féminin ainsi qu’au coude du personnage masculin du bas, à droite de la toile, de sortir su cadre. Ce qui permet à l’œuvre de s’amplifier dans un élan d’élasticité. Comme pour l’ensemble de l’œuvre de l’artiste, le jeu des mains constitue un véritable dialogue gestuel : il souligne l’abandon dans les bras baissés de la femme offrant sa main à la bouche du personnage du bas, à droite qui l’embrasse. Mais il indique également la possession dans le geste de l’homme serrant passionnément la taille de la femme. De même que pour TEMARI KISS (mentionné plus haut), un léger déphasage s’opère dans la position des visages de l’homme et de la femme, en ce sens que celui de l’homme est en retrait par rapport à celui de la femme.
FIN DE JOURNÉE (cité plus haut)
L’œuvre reprend la même thématique amoureuse. Comme nous l’évoquions précédemment, le jeu des mains (et des pieds dans ce cas-ci) est capital. Mais ici, nous assistons à une sorte de danse « statique », tellement le jeu des membres est agité, à l’intérieur d’une lenteur rituelle. Les mains s’inscrivent dans un fabuleux enchevêtrement des formes. A’ tel point qu’il permet toutes les audaces : remarquez la torsion extrêmement allongée du bras gauche du personnage masculin entourant la femme et ressortant de la gauche de celle-ci. Cette audace, nous retrouverons dans l’œuvre suivante. L’Art permet de transcender la réalité dans l’audace d’une licence artistique. Car dans la réalité, cette extension du bras est physiquement impossible.
Le dialogue des corps se forme dans une danse lente au cours de laquelle le corps de la femme se « glisse » littéralement entre les jambes de l’homme.
Dès lors, par rapport à l’art érotique de culture japonaise, duquel l’artiste s’inspire, les « règles » sont inversées, en ce sens que dans la tradition érotique japonaise, l’homme, de par sa position physique dans l’espace, « domine » la femme, en se plaçant sur elle. Dans cette œuvre, le désir fougueux de l’homme est atténué par la tendresse. Dès lors, cette posture de la femme, embrasse la dialectique qui anime le discours pictural de l’artiste, selon lequel c’est la femme qui a le dernier mot. Par sa posture, elle indique son consentement à la fusion physique, assurant ainsi l’harmonie charnelle.
BAISER DE MORPHÉE (100 x 100 cm-huile sur toile)
Situé entre de deux plans par rapport à un chromatisme opposé formé de blanc (vers le bas) et de rouge (vers le haut), le couple s’enlace.
Nous assistons à un splendide jeu de contrastes. Le blanc immaculé de la femme fait de sorte que de par sa blancheur, elle émerge de l’avant-plan, également blanc.
Tandis que l’homme, dans un souci de contrepoint pictural, est revêtu d’un manteau à fleurs de couleur verte. Sa décoration est constituée de quatre notes harmonieuses, à savoir le blanc, le jaune, le bleu et le noir. Une légère note bleu-pâle parsème le bras gauche de la femme et se termine dans sa main. Le jeu des mains est d’ailleurs très intéressant. L’artiste nous démontre par un tour de force qu’en Art, TOUT est possible! Observez la main de l’homme enlaçant la femme, conçue en plan : on la voit dépassant le torse de la femme. Il s’agit toujours d’une licence picturale que l’artiste se permet. Elle consiste à (dé)montrer que l’Art dépasse la réalité, en ce sens que cette extension du bras de l’homme enlaçant la femme est, dans la réalité, tout à fait irréalisable, le bras de l’homme étant trop court pour y arriver. Ce n’est que par une cassure de rythme que l’artiste nous fait croire à l’impossible : le bras, occulté par le corps de la femme, fait apparaître de derrière son dos, une main massive, comme par enchantement. La main de la femme, elle, venant par en-dessous, saisit doucement l’homme par l’épaule. Pour la première fois, concernant les œuvres présentes dans l’exposition, la femme, à l’instar de l’homme, est chauve.
L’artiste renoue, une nouvelle fois, avec la tradition bouddhiste, en ce sens que les cheveux sont considérés comme une perruque. Dès lors, leur rasage constitue une étape vers la simplicité, non dépourvue de sensualité.
La femme porte sur son front un symbole dont le dessin est inspiré de l’art traditionnel thaïlandais. L’homme est graphiquement affirmé dans le champ visuel par un trait noir, autant appuyé que discret, sur les contours de son vêtement au chromatisme prononcé, le séparant à la fois de son propre visage d’un blanc immaculé ainsi que de la femme. Par contre, aucun trait noir ne délimite le corps de celle-ci face à l’arrière-plan de couleur rouge, devenant ainsi évanescente par rapport à l’homme. Il s’agit, à l’instar de l’ensemble de l’œuvre de l’artiste, d’une vision mystique du désir. Une vision partant d’une ritualisation scénique de préliminaires érotiques conduisant à l’extase du rapport charnel. Ne perdons jamais de vue qu’il s’agit, selon l’artiste, d’un acte-pacte lequel ne peut être approuvé que par la Femme.
FÉLINE (38 x 30 cm-huile sur toile)
Cette toile est la synthèse d’une typologie de regards englobant délicatesse et désir. Mais ici, un stade supplémentaire a été franchi dans l’image de la séduction. De plus, on la retrouve sur le visage des deux personnages. Le visage de l’homme, posé sur les reins de la femme, semble l’ausculter comme l’on écoute les vibrations de la terre. Cette œuvre est un triptyque reprenant le corps de la femme exposé sur les trois parties de la toile. Celle-ci offre une série chromatique basée sur trois couleurs : le blanc (pour le corps de la femme et le visage de l’homme), le bleu clair (pour le vêtement de l’homme) et le vert de l’arrière-plan.
LE DIALOGUE DES VISAGES ET DES MAINS
Les visages, issus comme nous l’avons précisé, de la tradition picturale japonaise, dérivant de l’art érotique, parcourent l’œuvre de l’artiste. Ils ont pour fonction d’instaurer un dialogue amoureux et s’ils se font face, c’est pour délimiter le champ de leur désir. Car tout, dans leur nature, est une question d’impulsion directionnelle. Les visages, d’un blanc immaculé à l’instar des corps, souvent penchés et plongés dans la plus sainte douceur, conduisent vers le corps de l’autre par l’intermédiaire du regard qui semble être « à l’écoute ». Les mains, elles, assurent une continuité dans les liens entre les personnages. Elles vivent, comme dans les danses thaïlandaises, en scandant le rythme.
LE DIALOGUE DES VÊTEMENTS
Les vêtements des personnages sont, en réalité, des costumes de scène. Car nous sommes ici dans un vaste théâtre, celui du désir. Notre désir. Car ce sont les costumes qui habillent et dénudent simultanément les personnages, en ce sens qu’aucun d’entre eux n’emprisonne les corps mais le libère en laissant transparaître la blancheur essentielle à son Etre. De plus, ils sont, dans une large mesure, amples, permettant aux membres de s’étirer à souhait.
Ce qui accentue le sentiment de liberté qui anime l’œuvre de l’artiste. Ils sont animés par le contraste, à la fois, pictural et symbolique, qu’ils entretiennent autant entre eux ainsi qu’avec la blancheur des chairs. Il y a, en plus d’une mise en scène de l’esthétique, un érotisme du costume dans sa dimension symbolique. Cette dimension symbolique se retrouve, notamment, dans la façon dont l’artiste « enveloppe » l’homme, blotti entre les bras de la femme, dans MORPHÉE. Porte-t-il un vêtement ou est-il enroulé dans une couverture le maintenant bien au chaud, au sein d’une chaleur à la saveur presque maternelle? Les costumes sont également l’instrument instaurant le lien affectif avec les différentes cultures dans lesquelles l’artiste a évolué : l’Orient et l’Occident se retrouvent, faisant partie d’un TOUT. Ils habillent geishas et notables mais aussi Vierges de tradition européenne. Ils évoluent au rythme des courbes enrobant les personnages dans le chemin de cette mystique sensuelle.
LES TROIS « MADONNES »
C’est par cette appellation que l’artiste les nomme après que nous lui ayons fait remarquer la ressemblance stylistique de l’une d’entre elles avec le thème de la « Vierge à l’Enfant » dans la peinture de la Renaissance italienne.
ADOPTED (70 x 60 cm-huile sur toile)
Tout comme les deux autres, cette œuvre témoigne d’une influence européenne. Comment séparer le symbolisme d’une telle scène d’avec une Vierge à l’Enfant de la Renaissance italienne? L’enfant, placé à la gauche de la mère, est entouré d’une aura rappelant l’auréole chrétienne. La position du visage de la femme, elle-même entourée d’une aura dorée, regarde au loin. Celui de l’enfant regarde vers sa mère. Elle porte une coiffe sortie de l’imagination de l’artiste, néanmoins fort proche de certaines coiffes féminines de la Renaissance italienne.
L’arrière-plan est divisé en une zone dorée incluant une deuxième zone bleue, elle-même incluant la coiffe de la femme. A’ l’instar de KISS ME, SI JE VEUX (mentionné plus haut), le cadre est « ouvert », permettant au bras droit de la femme de s’exposer brièvement vers un extérieur fictif. Le jeu des mains entre la mère et l’enfant témoigne d’une infinie douceur. Insistons, néanmoins, sur le fait que pour l’artiste, aucune inspiration strictement « religieuse » n’est à rechercher dans ce tableau. Il s’agit d’une œuvre de plénitude totale. Œuvre « autobiographique » ? En un certain sens si l’on tient compte que l’artiste, d’origine vietnamienne, a été elle-même adoptée. Cette œuvre est, en fait, une réminiscence d’un épisode majeur de sa vie.
PETITE MARIE : LA JEUNESSE DE MARIE ON N’EN PARLE PAS (70 x 60 cm-huile sur toile)
Nous sommes face à une œuvre à l’atmosphère festive et désinvolte. Remarquons que cette fois, le nom de « Marie » est prononcé. Il n’y a donc aucune ambigüité sur le propos. A’ la question : «s’agit-il d’un même et unique personnage féminin représenté deux fois, à deux moments différents de son existence? », l’artiste répond : « pourquoi pas? ». La question reste ouverte. Il s’agit surtout de représenter une fillette qui se penche, au de-là du cadre, conçu comme une fenêtre ouverte sur le Monde. Sa mère la retient doucement, en la mettant gentiment en garde d’un geste contrôlé de la main. Cette main, comprise entre celles de la fillette, forme une entité directrice car on peut y voir la volonté d’une diagonale (à peine perceptible) accompagnant, de façon rythmique, la posture penchée vers la fenêtre de la jeune fille. Remarquez la présence de la coiffe sur la tête de la mère ainsi qu’une copie de celle-ci, conçue de façon géométrique (un rien plus rude) portée par la fillette.
BB NELSON. LE GRAND AVENIR DE NELSON M. (70 x 60 cm-huile sur toile)
« Nelson M. » est, en fait, Nelson Mandela. Retenons la remarque de l’artiste à propos de cette toile : « Le comble, pour Nelson Mandela, s’il avait eu une maman « européenne »…..aurait-il entrepris la même bataille pour le respect des Noirs? » On peut se le demander. Et, tout en se le demandant, l’on peut remarquer que l’enfant n’est plus « blanc », selon les conventions occidentales de l’art sacré mais bien « noir ». Le jeu des mains de l’enfant dont l’une saisit le sein de sa mère est très émouvant. Notons, concernant ces trois tableaux, la conception du cadre, extrêmement fleuri dont le décor rappelle l’esprit « art déco » que l’on trouve sur les vêtements des personnages.
READ MY LIPS (150 x 100 cm-huile sur toile)
Nous sommes en présence d’un diptyque dont la dominante chromatique est vert. Le visage humain se limite aux narines et aux lèvres, rendues charnues par l’artiste.
L’on a le sentiment de se trouver face au totem de quelque société traditionnelle, tellement l’atmosphère qui s’en dégage traduit la pensée « primitive ».
Des motifs végétaux, dérivés de la tradition thaïlandaise, ornent les coins supérieurs ainsi que le bas du visage. Une série d’autres motifs agrémentent le haut et le bas de la composition. Ce sont principalement des bandes horizontales et verticales garnies de motifs géométriques. La bande centrale verticale du bas nous revoie à la dialectique principale de l’œuvre dans la conception de quatre visages antagonistes, l’un présentant un faciès de couleur rouge faisant face à une figure de couleur noire, de profil, sur fond vert (en haut). Ils sont prolongés, en bas, par le même schéma sur fond noir, présentant un visage de couleur verte face à un visage de couleur jaune (tous deux en silhouette). Qu’il soit positif ou négatif, le motif antagonique, symbolise en Histoire de l’art, l’émergence d’un rapport. Par conséquent d’un échange. Mais que vient faire ce bambou, posé horizontalement, entre les deux panneaux du diptyque? Nous remarquons qu’il « coupe » littéralement le visage en deux, à hauteur des lèvres, rendues pour l’occasion, extrêmement charnues. La tige de bambou « bloque » pour ainsi dire la parole, en fendant le visage. En le fendant, il exprime l’impossibilité du personnage d’exister. Le traitement chromatique du visage ne déroge pas de la façon dont l’artiste peint les chairs du corps humain : il est blanc, presque translucide.
ANALYSE DES DESSINS PRÉPARATOIRES
Celles ou ceux qui n’ont jamais vu les dessins préparatoires de Michel-Ange ne peuvent comprendre leur importance dans la réalisation picturale. Il y a les ajouts et il y a les manques. Les indications techniques qui révèlent, in fine, les allongements et les raccourcis, conduisant aux motivations psychologiques de l’artiste. L’intimité du chef-d’œuvre dévoilée.
CAROLINE DANOIS éveille par ses dessins préparatoires, le même sentiment de curiosité face à la complexité de certaines de ses œuvres.
PETITE MARIE
La conception spatiale ne varie pas par rapport au résultat pictural. Le jeu des mains, formant une diagonale (à peine perceptible) est néanmoins présent. Il assure l’inclinaison amorcée par la position de la jeune fille. Les deux personnages portent la même coiffe. Celle-ci structure la gestion de l’espace sur les trois-quarts de la toile. Les vêtements sont laissés vides de motifs ornementaux.
BB NELSON
Dans le résultat final, les mains de l’enfant tâtent la mère. Elles sont parfaitement positionnées sur le sein gauche de la mère (droit par rapport au visiteur). Dans le dessin, le tâtonnement est très incertain. Les mains de l’enfant semblent presque trouver leur chemin avec difficulté.
ADOPTED
Le jeu des mains semble tout aussi incertain, en ce sens que celles de l’enfant ne sont pas « traversées » par les mains de sa mère. En fait, elles se touchent. Les regards ont été modifiés. Les deux personnages se regardent. Tandis que dans le rendu pictural, celui de la mère fixe le lointain. La conception du cadre est intéressante, en ce sens que la bordure est parsemée de toutes petites fleurs. Dans la toile, il est polychromé (bleu-chromatisme dominant-brun et rouge).
READ MY LIPS
Le dessin préparatoire va droit au but! Il s’agit d’aller à l’essentiel. L’œuvre s’inscrit, non pas sur un diptyque mais bien sur une entité, malgré le bambou traversant la bouche. Le visage n’a pas encore été scindé. Deux zones bi-chromées (jaune sur la gauche, rouge sur la droite) séparent le bas du visage. Un anneau est accroché à la narine droite (gauche par rapport au visiteur) du personnage. Ce détail est absent dans le rendu pictural. Le bambou, traversant la bouche est prolongé vers les limites du cadre. La dimension « totémique » évoquée plus haut, n’est en rien envisagée dans l’esquisse. Tout s’est accompli lors de la création.
FIN DE JOURNÉE
Ce dessin est, sans doute, le seul qui « colle » le mieux au rendu pictural. Le couple occupe la zone gauche de l’espace. Le jeu des mains ne diffère nullement de celui de la toile. Il en va de même pour le jeu des pieds. La femme se glisse, à l’instar du rendu final, entre les jambes de l’homme. Comme dans la toile, le couple est laissé entre deux espaces chromatiques (non encore précisés par la couleur), fixant l’avant et l’arrière-plan.
Née à Saïgon, adoptée dès l’enfance par une famille belge, citoyenne du Monde par conviction, elle est issue de plusieurs cultures. CAROLINE DANOIS a passé son enfance à New-York et a fait ses études à l’Ecole Internationale de Bangkok.
Elle a, par la suite, entrepris ses études artistiques à l’Université des Beaux Arts de Silapakorn, en Thaïlande où elle a étudié l’art traditionnel thaïlandais ainsi que le graphisme.
Elle a d’ailleurs enseigné cette matière à la Faculté des Lettres en Côte d’Ivoire. Elle est titulaire d’un Master en Thérapie de Famille et Sexualité.
CAROLINE DANOIS peint à l’huile. Sa peinture, faite d’une matière délicatement étalée sur la toile, est lisse. Cette artiste est riche d’un enseignement traditionnel qu’elle conjugue avec une esthétique résolument contemporaine. Sa peinture peut être qualifiée de « distinguée », à la fois dans le sens premier du terme mais aussi parce que tout se distingue dans l’espace pictural qu’elle parcourt. Rien n’est surchargé. Aucune lourdeur ne vient perturber cette douce harmonie faite de rites et de couleurs. Indépendamment de son univers féerique, son œuvre est avant tout militante, nourrie d’un féminisme lumineux et progressiste. Un humanisme centré sur l’équilibre naturel entre l’Homme et la Femme, blottis à l’unisson du désir.
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
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L'artiste CAROLINE DANOIS et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
" L'art d'être grand-père" est un recueil poétique de Victor Hugo (1802-1885), publié à Paris chez Calmann-Lévy en 1877.
Derniers vers de Victor Hugo (les Quatre Vents de l'esprit, publiés par la suite, furent écrits auparavant), ce recueil apparaît comme son testament poétique. Conçu avec la naissance de Georges et Jeanne, les enfants de Charles Hugo, apparition survenue dans le vide créé par la mort de l'épouse de Victor, celle de ses fils et l'internement de sa fille Adèle, cet ensemble fut trop souvent réduit à quelques poèmes un peu mièvres pour anthologies thématiques. Il redistribue pourtant les thèmes développés dans les Châtiments et les Contemplations. Composé de 18 sections comprenant de une à douze pièces où Hugo utilise une grande variété strophique, le recueil développe l'art du grand-père, soit celui d'«obéir aux petits». Loin du sentimentalisme familial chevrotant, il s'agit de rendre évidente la complicité des âges extrêmes dans leur relation avec l'au-delà. Naissance et mort sont deux aurores et le grand-père apparaît parfois comme un vieux gamin vaguement anarchiste, dispensateur de dons, ceux de la lune ou de friandises. Hugo donne le monde à ses petits-enfants.
Le cycle du «Jardin des Plantes» (IV) raconte de nouveau la Genèse. Dans ce microcosme de la Création, où se définit l'immanence divine, le bien compose avec le mal. Cet ancien Jardin du roi, devenu Muséum national d'histoire naturelle, allégorise à sa façon l'Histoire et se peuple de misérables. Enfin, il s'y mêle l'«infiniment grand» et l'«infiniment charmant» dans l'unité de la variété libre, cet ordre véritable. Infini et néant, mixte d'idéal et de chimère, esthétique du labyrinthe: le Jardin des Plantes rassemble enfer et paradis et laisse entrevoir une «lueur dans l'énorme prison». «Pêle-mêle de branchages augustes», le poème du "Jardin des Plantes", où la Genèse se combine aux fables de La Fontaine ou au matérialisme philosophique, rassemble la pensée hugolienne sur la nature et l'Histoire. Passé et présent s'y fondent, annonce de l'avenir.
A ce don poétique de l'univers s'ajoute celui de l'écoute: «Le babil des marmots est ma bibliothèque» (XV, 7). C'est que les enfants parlent une langue d'avant Babel, bégaiement d'avant la poésie, comme «les Griffonnages de l'écolier» (VIII) le sont du dessin. Ces arabesques figurent les combinaisons de l'infini. Le rapport à l'enfance s'énonce dans «Grand âge et bas âge mêlés» (VI). Relation privilégiée, cette complicité de la sagesse et de l'innocence conduit à rejeter tout autant le républicanisme athée que le cléricalisme obscurantiste. De là le refus de la dure loi des pères et de l'écrasement par le péché originel («l'Immaculée Conception», VII). Il faut en finir avec Satan. En attendant le triomphe des petits, le grand-père poète chante «l'Épopée du lion» (XIII), «Enfants, Oiseaux et Fleurs» (X), «Deux Chansons» (XVI) et le «Laus puero» (XV). Au-delà des contradictions et des antithèses, un chant d'amour et d'espérance se construit, reprenant les accords des harmonies poétiques précédentes: confiance dans les pouvoirs illimités de la poésie et éclosion de la lumière dans les ténèbres.
La dernière partie, «que les petits liront quand ils seront grands», conclut et ouvre. Si le progrès boite, si le poète est humilié en ces temps d'imposture, le jour succédera à la nuit, et il faudra bien accepter l'aurore. La justice, c'est-à-dire la pitié, triomphera, et le pardon à venir se lit dans l'ordre du monde: l'âme est «à la poursuite du vrai» (XV, 5).
PUEBLO
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ASCANIO CELESTINI - DAVID MURGIA, une FABULEUSE symbiose
Pueblo, dans la lignée de Discours à la nation et Laïka, chante l’authenticité de ces vies oubliées, les perdants, ceux que l’on s’obstine à ne pas voir. Cela donne des portraits attachants, nourris de rêves, de leurs légendes propres, reconnaissants à la vie de ses moindres cadeaux. Dans la bouche de David Murgia qui raconte encore et encore, ils font foule, se croisent, se répondent. On les découvre dans le quotidien avec leur dignité, leur code de l’honneur, les affabulations qui les nourrissent, leur candeur parfois ou leur résignation.
C’est enlevé, plein de grâce en dépit du contexte sordide. Ce sont les petites gens à qui on jette des miettes, des restes périmés de nourriture, un coin au bout d’un parking pour y planter une tente. Ils exercent des activités éphémères, ils vivent dans la rue. Il y a Léonore, la caissière, qui joue à la reine derrière son banc au supermarché et retrouve le soir le fantôme de son père sublimé, Saïd, le manutentionnaire sans-papiers, la tenancière de bar incollable sur les machines à sous, le gamin de huit ans - caché parmi les spectateurs - un petit gitan livré à lui-même depuis la mort de son père, Dominique la clocharde qui n’a pas son pareil pour concocter des festins avec des produits destinés au rebut et qui vit une histoire d’amour avec Saïd.
Tout un peuple silencieux, non revendicateur, qui vit à deux pas de nos maisons et appartements et que l’on peut voir de nos fenêtres pour autant que l’on aille à leur rencontre et que l’on délaisse la télé.
Plaidoyer politique, la trilogie de Celestini est une véritable prouesse théâtrale. David Murgia nous guide dans ce peuple aux ramifications infinies avec un bagou à vous filer le tournis. Empruntant le débit des bonimenteurs, il s’infiltre parmi ce peuple, les observe, se fond en eux, commente, digresse, camarade avec le public qui le suit dans ce souffle de 90 minutes presque sans respiration. Son rythme rejoint l’accompagnement sonore assuré par Philippe Orivel, lui-même sur scène avec son accordéon ou son clavier. Ensemble, ils nous transportent dans cette chevauchée fantastique au pays des écorchés, là où l’humour pallie la misère mais où la tragédie et la séparation ne sont jamais loin. Rapatriement ou noyade, l’actualité rattrape la fable.
Ascanio Celestini, rappelons-le, est le meilleur représentant de cette veine artistique appelée théâtre-récit, née à la fin des années 80 dans le prolongement de l’art de la narration de Dario Fo. On retrouve chez Celestini la même virtuosité à traiter des sujets graves sur le ton de la farce.
À voir sans modération.
Palmina Di Meo
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HOME - morceaux de nature en ruine
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PERFORMANCES D’ACTEURS AU NATIONAL
3 acteurs sur scène dans un décor de réfectoire minimaliste de maison de retraite.
3 acteurs non grimés. Ils sont jeunes mais leurs corps sont habités du maintien et des rictus de vieillards. C’est hallucinant, un rien dérangeant...
Des tics et des succions aux crispations et aux tremblements de leurs membres, ils sont asservis à leur rôle de pensionnaires en fin de vie.
Tout obéit à une temporalité suspendue. La vie s’écoule au rythme de la progression de ces corps fatigués, voûtés, dans un ralenti souligné par l’immense horloge donnant l’heure en temps réel.
Un temps qui s’étire entre la gestion des déplacements et l’attente des rituels quotidiens, les repas, les visites régulièrement annulées.
Une attente perceptible dès le début qui fait écho à celle des spectateurs, pressentis comme des visiteurs. Une observation réciproque où le moindre mouvement, le moindre bruit devient événement et suscite des réactions non pas verbales mais des pincements de lèvres, des haussements interrogatifs de sourcils, obligeant l’assistance à une concentration sur ces mouvements imperceptibles.
Paradoxalement, les accidents majeurs, les chutes, la dégradation de l’environnement sont dédramatisés, dilués dans l’indifférence générale, ce qui introduit une forme d’humour défensif.
Pour obtenir un tel résultat, les acteurs ont côtoyés des personnes âgées dans une maison de retraite d’Ixelles et ont créé avec eux des liens par une véritable rencontre. Imprégnés de l’atmosphère de lente décrépitude de ces lieux d’assistance pour personnes à mobilité réduite qui ne sont autre que des mouroirs, ils ont parfait la maîtrise de leurs mouvements au moyen de la méthode Feldenkreis. Sans copier quiconque, sans caricaturer, ils ont créé des personnages originaux avec les résistances de leur propre corps, nous renvoyant à une lecture documentariste.
Diplômée de l’Insas, Magrit Coulon, la metteuse en scène, s’intéresse à la gestion du temps comme outil d’architecture scénique depuis son mémoire de fin d’études. « Home - morceaux de nature en ruine » a été récompensé du prix Maeterlinck de la meilleure Découverte. Sur une dramaturgie de Bogdan Kikena avec qui elle a fondé sa compagnie Wozu ?, elle capte avec une maestra incontestable les infimes soubresauts de vies en suspension et nous aspire lentement, le temps d’une représentation, dans ces espaces temporels que l’on a instinctivement tendance à éviter.
Chapeaux bas à ces artistes, Carol Adolff, Alice Borgers, Anaïs Aouat et Tom Geels qui ont physiquement disparus dans l’incarnation de ces personnages qui nous attendrissent malgré eux, empruntant les voix par des moyens techniques les voix des pensionnaires du Home Malibran.
Palmina Di Meo
Prix d’excellence pour Notre Dame de Paris, d'après Victor Hugo au théâtre du Parc, janvier 2022
Le directeur du magnifique théâtre Tristan Bernard à Paris avait décidé de présenter le spectacle de Thierry Debroux, Notre Dame de Paris d’après Victor Hugo, du 7 mars au 30 juin 2020. Ils ont pu jouer trois petits soirs, et puis … l’épidémie de Covid a foudroyé toute la beauté de ce magnifique travail de transmission !
Enfin, voici que le 13 janvier 2022, après une longue errance à travers les aléas du drame sanitaire mondial, le spectacle revient sur les planches du théâtre Royal du Parc à Bruxelles et c’est un véritable triomphe. Musical, visuel et théâtral.
Le texte, Notre D(r)ame, publié aux éditions Lansman, est inspiré par la terrible catastrophe de l’incendie de Notre Dame du 16 avril 2019. L’hubris démesuré de l’homme moderne fut incapable d’empêcher la toiture, la charpente et la flèche conçue par Violet Leduc de se transformer en brasier. Restaient seulement le désespoir des pierres, les voix effarées des gargouilles et des chimères de la cathédrale dont Thierry Debroux semble avoir pu surprendre les mystérieuses conversations et les craintes d’une reconstruction hâtive.
L’univers imaginaire inventé par l’auteur est magique: les époques conversent ensemble comme si elles étaient au paradis. Le temps est dilué, l’immortalité de l’œuvre de Victor Hugo et de la Cathédrale, se confondent avec une histoire d’amour contemporaine d’une jeune danseuse hip hop en mal d’amour, prête au suicide et qui n’a jamais entendu parler de la Belle Esmeralda. L’œuvre de Victor Hugo bondit sous les yeux de la vivante cathédrale qui trône au centre du plateau : on se gorge d’émotions à chaque tour de la cathédrale sur elle -même, entendez, chaque fois que l’une de ses façades égrène heures et jours différents. Non sans rappeler les façons de Monet, le grand maître des lumières impressionnistes. Ah quelle superbe rosace !
Dans une harmonie à tomber, les comédiens jouent dans la joie, avec une énergie décuplée par les privations subies depuis deux ans. On assiste à une espèce de renaissance sur ce plateau où ils se montrent franchement éblouissants.
Comme si, l’espace d’un spectacle, on pouvait jusqu’à oublier la pandémie.
Les changements de scène se font sans le moindre bruit, ils sont d’une fluidité remarquable et de même pour les passages entre le jeu et le narratif. On se trouve au cœur de l’art vivant. Prenez le mouvement imprimé à la corde qui meut la cathédrale, ne fait-il pas fait penser à des gestes de batelier ? Ne sommes nous pas, à Paris ou à Venise, tous sur une nef des fous? A moins que l’on soit plus d’humeur à y voir le mythe de Sisyphe.
Un art consommé de la concision et de la polysémie anime le créateur. L’œuvre fleuve de Victor Hugo se retrouve exposée en 1H25 SANS ENTRACTE. Tout y est. Oui, on est gratifié d’un authentique élixir de magie théâtrale.
D’un côté, il y a le peuple de pierres séculaires, les chimères de Violet Leduc, avec le dénommé stryge, le « démon pensif », sous l’apparence d’un buste de femme oiseau aux yeux en escarboucles, et de l’autre les antiques gargouilles du Moyen-âge gothique. Ces impressionnantes marionnettes se font la conversation avec les voix des personnages principaux. Didier Colfs papillonne entre le détestable prêtre lubrique Claude Frollo, le Stryge, un rat de la cour des miracles, un juge répugnant, et … un quidam de la foule des manants. C’est un bouleversant Stéphane Fenocchi qui s’empare du personnage monstrueusement attachant de Quasimodo, il fait la gargouille 23, se mue en corbeau maléfique avant de rejoindre lui aussi lui aussi la foule. Le vaniteux Phoebus, sous les traits de Mickey Bicar, se transforme en gargouille 52 , ramasse les oripeaux de Clopin Trouillefou et fait un innommable avocat de la défense qui ne trouve rien à dire. Enfin, Marc Laurent, le Poète Gringoire en grand échalas égaré dans la cour des miracles se glisse dans la gargouille 37 – allô mademoiselle 36-37, votre prénom c’est bien Juliette – avant de tomber pour la très radieuse, l’incomparable Marie Phan qui a accepté de jouer le rôle stupéfiant d’Esméralda, avec son adorable chèvre, ton sur ton avec ses jupes de bohémienne. L’énergie de ce spectacle est au zénith, vous fait un bien fou et vous raccommode avec toute la tristesse du monde.
Dominique-Hélène Lemaire pour Arts et Lettres , le 878e billet culturel depuis la création du blog
Du 13 janvier au 12 février 2022
Théâtre Royal du Parc
Rue de la Loi, 3 1000 Bruxelles
thttp://www.theatreduparc.be
info@theatreduparc.be
+32 2 505 30 30
Simone de Beauvoir
On peut dater de l'année 1970 une transformation irréversible du rapport des femmes à la littérature. Jusqu'alors l'opinion commune considérait les femmes artistes comme des exceptions. On s'intéressait parfois aux «images de la femme» dans l'histoire des textes littéraires, mais on ignorait presque totalement la pratique des femmes écrivains. Femme image ou reflet d'un désir masculin, voilà ce que le féminisme de la seconde moitié du XXe siècle aura violemment contesté, sous une forme ou sous une autre, au moment même où, dans un système économico-politique qu'il faudrait qualifier plutôt à présent d'«antisexuel» que de «mâle», les médias, la publicité, l'organisation du travail et de la production mettent plus que jamais peut-être en circulation l'objet d'échange et de commerce «femme». Si bien que l'on se trouve devant le paradoxe suivant: on ne peut parler correctement des textes féminins sans prendre pour point de départ le nouveau féminisme, alors qu'il n'est pas sûr que ce dernier ne soit pas lui-même rapidement devenu l'objet d'un commerce particulièrement lucratif (réel ou symbolique), notamment dans l'édition.
Vers 1970, le nouveau mouvement féministe, né principalement aux États-Unis (au Women's Rights Movement réformiste des années soixante succède en 1968 le Women's Liberation Movement, beaucoup plus radical), n'expose plus seulement, comme les rassemblements précédents, des objectifs de lutte contre l'inégalité des sexes, mais s'efforce aussi d'affirmer et de représenter la «différence féminine», différence, disent les féministes, de sexualité, de perception du corps, d'expérience et de langage, si bien que la question culturelle se trouve d'emblée au centre du mouvement. Le nouveau féminisme produit ses propres écrivains et ses propres artistes, dont l'art se définit en fonction d'un a priori féministe, comme Kate Millett ou Adrienne Rich, aux États-Unis, Monique Wittig, Xavière Gauthier ou Hélène Cixous, en France. Il affirme par ailleurs la nécessité de réévaluer les pratiques féminines, traditionnellement mineures: journaux intimes, broderies, couture, cuisine, etc. Le mouvement réactualise enfin les grandes oeuvres féminines et en permet une relecture qui prenne en compte le point de vue spécifique d'après lequel elles ont été réalisées: c'est le cas, par exemple, de l'oeuvre de Virginia Woolf, ou même, dans une certaine mesure, en France, de celle de Gertrude Stein. Le «féminin» dans la culture n'apparaît ainsi plus seulement comme une fonction négative mais aussi comme un élément dynamique, voire novateur.
1. L'édition féministe
Parmi les causes (entrée massive des femmes dans le monde du travail, débats publics et lois nouvelles sur l'avortement, la contraception, l'égalité des droits civiques et sociaux, etc.) qui ont fait de la question féminine un sujet d'actualité de grande ampleur, l'apparition d'une «édition féministe», consacrée exclusivement aux interventions des femmes, est loin d'être négligeable. Cette édition féministe rend en effet possible un regroupement de textes féminins, crée un foisonnement extrêmement important et ressuscite certaines oeuvres (par exemple, des romans américains du XIXe siècle tels que The Awakening, de Kate Chopin, ou Ethan Frome, d'Edith Wharton; en Italie, Una donna, de Sibilla Alleramo, etc.). Elle a enfin incité les maisons d'édition traditionnelles à ouvrir à leur tour des collections réservées aux femmes. Il en a résulté depuis 1974 environ une prolifération tout à fait extraordinaire de textes écrits ou prononcés par des femmes, dans des domaines aussi différents que l'ethnologie ou la poésie, le témoignage ou le pamphlet, etc.
Issue du mouvement féministe, cette édition révèle la réussite des femmes à se faire entendre. Cela commence aux États-Unis: aux innombrables pamphlets des premières années du Women's Lib succèdent vers 1969 les journaux, remplacés ou secondés vers 1972 par les revues, les magazines, etc., puis pris en charge vers 1973 par les maisons d'édition, avec les livres, dont la publication devient de plus en plus large. La présentation, la mise en pages, les contenus des journaux initiaux (It Ain't Me Babe, Of Our Backs, Every Woman...) indiquaient déjà l'orientation principale des publications féministes futures: plus que de littérature, ou même de journalisme, il s'agit de prises de parole et de témoignages.
En France, les options sont parfois différentes, ou même hostiles au féminisme américain. C'est ainsi que les éditions Des femmes ont refusé le terme de «féminisme» comme sujet à des emplois suspects ou trop limités et ont créé, à partir du groupe Psychanalyse et politique, ce qu'elles appellent le Mouvement des femmes. On retrouve néanmoins dans l'édition française les grands traits de l'édition féministe américaine. Des titres comme Dire nos sexualités (Xavière Gauthier), Parole de femme (Annie Leclerc), L cause (titre d'une revue), La Ventriloque (Claude Pujade-Renaud), Les Mots pour le dire (Marie Cardinal), Les Parleuses (Xavière Gauthier et Marguerite Duras), Les Doigts du figuier, Parole (Jeanne Hyvrard), etc., indiquent assez comment, pour les femmes françaises aussi, la première fonction de l'écriture est de permettre la communication, l'explosion d'une parole enfin libérée du silence ou d'un «bavardage» rendu à ses droits. L'accent est mis sur les caractères «spontané», «direct», prosaïque, ordinaire de cette parole: les femmes écrivent pour parler, simplement, à la première personne, entre elles ou pour se faire entendre d'un destinataire absent. Leurs écrits sont des confessions, proches en cela des journaux intimes qu'elles tenaient avant que n'existe une édition féministe (et qui accèdent parfois eux-mêmes à la publication, tel ce recueil américain d'extraits de diaries of women édité par Mary Jane Moffat et Charlotte Painter). La répétition, de livre en livre, de témoignages et d'expériences identiques, presque interchangeables, l'importance du facteur quantitatif, l'accent mis sur l'expérience quotidienne (dans le film de Chantal Akerman, Jeanne Dielman, le spectateur assiste de bout en bout aux activités ménagères de Jeanne), la dominante «gynécologique» (récits de grossesses, d'avortements, etc.) sont autant d'éléments qui contribuent à créer une sorte d'«effet de foule», d'un genre très nouveau. L'édition féministe nous montre, en effet, ce que nous n'avions jamais vu ; ces «couloirs obscurs de l'histoire» aurait dit Virginia Woolf, où une foule, constituée non plus d'hommes au travail mais de femmes, s'occupe à traiter, dans l'anonymat, les problèmes individuels ou familiaux de la vie quotidienne. Il arrive que ces récits consolident la tradition, comme L'histoire est un tricot, d'Annie Leclerc, mais ils parviennent aussi parfois, plus positivement, à interroger cette «identité anonyme» des femmes à laquelle sont consacrées depuis longtemps les grandes oeuvres féminines. Certains de ces textes nés du nouveau féminisme présentent néanmoins le danger de la confusion de l'oral et de l'écrit, de l'usage non critique d'une «langue de femme» (mais une telle langue est-elle possible?) et du recours, d'un narcissisme souvent naïf, à un «je» qui semble signifier une adéquation parfaite du sujet à lui-même.
2. Contre-culture
Les premiers livres publiés ont été pour la plupart, en particulier aux États-Unis, des ouvrages théoriques, le mouvement féministe étant d'abord un rassemblement politique et idéologique. Qu'il s'agisse de rééditions des grands classiques de l'analyse féministe (essentiellement, Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, The Feminine Mystique [La Femme mystifiée], de Betty Friedan, ou encore, sur un autre plan, L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, de Engels) ou d'études nouvelles dont la réputation a grandi très vite (Sexual Politics [La Politique du mâle], de Kate Millett; The Dialectic of Sex [La Dialectique du sexe], de Shulamith Firestone; The Female Eunuch [La Femme eunuque], de Germaine Greer; et aussi en Angleterre, Psychoanalysis and Feminism [Psychanalyse et féminisme], de Juliet Mitchell; en Italie, Dalla Parte delle Bambine [Du côté des petites filles], d'Elena Gianini Belotti, etc.), ou encore d'anthologies regroupant des interventions variées de femmes (par exemple, le recueil américain de Robin Morgan, Sisterhood Is Powerful) et révélant par là, de manière tangible, l'existence du «mouvement» comme tel (cf. en France, des numéros spéciaux de revues republiés en livres comme Les femmes s'entêtent ou des recueils de textes étrangers comme Écrits, Voix d' Italie), ces textes doivent nous être présents à l'esprit, si nous voulons être en mesure de lire dans leur histoire les fictions féministes qu'ils ont précédées. Malgré des différences sensibles d'analyse ou d'option, ils finissent tous par constituer une contre-culture.
La phrase célèbre écrite par Simone de Beauvoir dès 1949 dans Le Deuxième Sexe: «On ne naît pas femme, on le devient» indique sans doute le point central de toute théorie féministe. Le livre d'Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, analysant les conditions répressives de l'éducation des filles, va dans le même sens. De là découlent, schématiquement, deux tendances de l'analyse féministe: d'une part, celle qui accorde aux phénomènes socio-historiques la première place et demande, comme le déclaraient en novembre 1977 les femmes de la revue Questions féministes, le droit pour les femmes aussi «au neutre [à la définition non sexuée], au général»; et, d'autre part, celle, dominante au moins sur le plan des publications, qui, tout en tenant compte constamment de l'histoire de l'oppression des femmes, met en avant dans une thématique de la différence quelque chose qui serait comme une «nature féminine». Mais dans tous les cas l'écriture féministe est amenée, de manière plus ou moins principale, à mettre en lumière un aspect de la condition faite aux femmes, et à dénoncer les expériences négatives de viol, d'exclusion ou d'oppression. Celles-ci ne constituent pas, néanmoins, le sujet unique de l'écriture, qui fait aussi écho à une attitude globalement et explicitement théorique du féminisme comme critique et analyse du «patriarcat». De ce point de vue, le livre de Valerie Solanas, S.C.U.M. Manifesto (Society for Cutting Up Men, c'est-à-dire Société pour la castration des hommes), a marqué en son temps (1968-1971), sous la forme du scandale, l'histoire du mouvement: l'auteur, qui était au même moment en prison pour avoir agressé l'artiste Andy Warhol, proposait pour dénouement d'une fiction délirante où les femmes devenaient les «maîtres du monde» l'assassinat de tous les hommes. Dans la théorie, c'est le patriarcat comme entité politique et idéologique qui est mis en question. Aux États-Unis toujours, des livres comme celui de Kate Millett (La Politique du mâle) s'attachent à décrire les modes de répression sexuelle et culturelle à l'égard de la femme, tels qu'on peut les repérer dans la littérature «masculine», en analysant les principes d'un «pouvoir mâle». Les féministes américaines ont encore créé, dans la plupart des universités, des women's studies, où sont étudiés les schémas littéraires dominants, ainsi que des revues de critique littéraire et culturelle (telle la revue Signs à Chicago). Si, enfin, l'essai-fiction de Virginia Woolf intitulé Trois Guinées (1938) a rencontré un succès tel qu'il a été traduit et publié à nouveau dans la plupart des pays où existe une édition féministe, c'est parce qu'il met violemment en procès un ordre patriarcal qui conduit à la guerre et au fascisme et interdit aux femmes les possibilités matérielles et symboliques d'accéder à la culture.
L'unité des différentes tendances du féminisme réside dans l'affirmation constante de ce point de vue critique, c'est-à-dire différent. À cet égard, l'évolution du mouvement est à peu près partout identique. D'une manière générale, on constate vers 1974 un déplacement des préoccupations sociopolitiques vers des objectifs plutôt culturels; c'est le cas très nettement en France, avec les éditions Des femmes. L'Italie, où le féminisme demeure assez «violent», fait un peu exception. Dans tous les cas, le phénomène de mondialisation de l'édition féministe aboutit à la constitution d'un nouveau champ culturel construit sur un principe de sororité (sisterhood, sorellanza, etc.) qui fait que tous les grands livres du féminisme, qu'il s'agisse d'essais ou de fictions, sont traduits dans presque toutes les langues.
La revue belge Les Cahiers du G.R.I.F. présente dans un de ses numéros intitulé «Créer» un exposé assez clair de l'analyse féministe de la question culturelle. C'est la notion même de création qui s'y trouve critiquée: «On peut se demander [...] si la hantise de la création [...] ne relève pas de la conception propre de l'Occident industriel, qui consiste à définir l'homme par sa capacité de produire des objets.» Cette condamnation de l'objet -et donc notamment de l'«objet d'art» -est un élément fondamental des réalisations féministes, en particulier dans le domaine de la littérature. Le mot même de littérature apparaît comme suspect, et on lui préfère celui d'écriture, qui met l'accent sur une pratique et semble éloigner le danger fétichiste dénoncé dans la culture dominante. Les textes féministes rechercheront les caractères de l'«éphémère», du «non-art»: inachèvement, refus de la «phrase», et souvent de tout travail de formalisation esthétique, réévaluation de la communication aux dépens du «langage poétique». Il s'appliqueront surtout à privilégier un rapport direct de l'écriture au corps, comme on peut le voir par exemple dans Le Corps lesbien de Monique Wittig: tout dans ce livre, la présentation, la mise en page, la typographie, semble fait pour produire l'illusion d'une identité absolue du livre et du corps. Par analogie avec la notion de «négritude», Simone de Beauvoir avait posé celle de «féminitude» : elle voulait désigner par là un ensemble de qualités acquises dans l'oppression. C'est bien ainsi qu'il faut envisager la contre-esthétique de l'écriture féministe, et c'est pourquoi on peut aussi parler à son propos de contre-culture. Ce faisant, on prend également en compte un «sous-développement» tendanciel des textes féminins.
Bien que dans un «féminisme» de type américain et un «mouvement» de type français, les axes de l'élaboration théorique soient les mêmes (Marx et Freud, repris et critiqués dans une pensée féministe), les analyses, et leurs conséquences sur les productions littéraires, sont assez radicalement différentes. La tendance américaine impose en effet une théorie principalement négative (critique universitaire du patriarcat) et privilégie les expériences de révolte et d'engagement. Les textes de fiction qui en résultent sont en majorité des poèmes, qui retranscrivent directement un lyrisme oral de revendication ou d'amour (telle l'oeuvre d'Adrienne Rich) ou des romans de style classique rapportant des situations d'oppression ou des relations sentimentales (par exemple, Sita, de Kate Millett). Dans l'ensemble, la langue proprement dite n'est pas remise en question, à la différence du mouvement des femmes en France, pour lequel «le rapport au corps et aux images maternelles» reste principal, produisant une réévaluation non seulement des contenus du discours «phallocentriste», mais de la langue elle-même, dans le jeu de ses signifiants et de ses hiatus esthétiques -s'il est vrai que «la fonction maternelle est liée au processus pré-oedipien et, par cela même, à la réalisation esthétique» (Julia Kristeva). C'est dire que le mouvement français est solidaire de la culture contre laquelle il pose une contre-culture qui serait de l'ordre du refoulé.
3. Héroïnes
«Ont-elles jamais existé, ces fabuleuses nations de jeunes filles, ces démons montés, galopant dans tous les coins du monde en faisant gicler de tous côtés glace et sable doré?...» se demande Helen Diner dans Mothers and Amazons: The First Feminine History of Culture. Le féminisme tend en effet à inventer une histoire mythique des femmes, puisque, comme le notait Virginia Woolf, «nous ne savons rien d'elles, excepté leur nom, la date de leur mariage, le nombre d'enfants qu'elles ont portés». Sans parler des féministes célèbres de l'histoire (Mary Westmacott, Flora Tristan, Louise Michel, Alexandra Kollontaï...) dont les écrits, romanesques ou théoriques, sont réédités, toute femme dont le nom est demeuré, pour une raison ou pour une autre, dans notre culture, peut faire figure d'héroïne: par exemple, Anna O, la «première hystérique» de Freud, symbole d'une parole différente, formulée non pas sur le mode d'un discours, mais au lieu même du corps (par les symptômes); ou encore, Lou Andréas-Salomé, inspiratrice des premiers psychanalystes et d'écrivains comme Nietszche ou Rilke, retirée quant à elle dans une expérience de recherche de l'origine et de la différence des sexes vécue sur son propre corps; il y aurait encore Elizabeth Packard et Zelda Fitzgerald, empêchées toutes deux d'écrire, malgré leur talent, par la vanité d'un homme, ou Colette et Anaïs Nin, figures d'une expérience littéraire typiquement féminine. On réédite parfois les oeuvres de ces héroïnes. On publie des biographies et des commentaires de leur vie ou de leurs écrits. On redécouvre des textes plus ou moins «féministes» qu'elles ont pu écrire, comme ce recueil de textes d'Anaïs Nin intitulé Être une femme. Les héroïnes du nouveau féminisme sont aussi des personnages romanesques conçus par des femmes, telle la «Lol V.Stein» de Marguerite Duras, emblème de la féminité comme absence, oubli de soi, ou encore ce personnage d'un roman très populaire de Sylvia Plath, The Bell Jar (La Cloche de détresse), que son auteur conduit à la découverte de son exploitation sexuelle et de son oppression sociale et culturelle. Enfin, quelques grandes fictions féministes (Trois Guinées, Une chambre à soi, de Virginia Woolf, La Cloche de détresse, etc.) prennent fonction de textes sacrés. Car, et Virginia Woolf le montre exemplairement, il ne suffit pas à une femme qui veut écrire de reconnaître dans sa mémoire un héritage spécifiquement féminin, maternel («Car nous, c'est à travers la pensée de nos mères que nous pensons, si nous sommes femmes...»), il lui faut encore inventer une généalogie nouvelle d'artistes femmes, une histoire culturelle féminine, un précédent non plus seulement familial mais social.
Cette nécessité de revendiquer un héritage au moins double (sinon triple, puisque bien sûr il faudra tenir compte aussi de l'intertexte culturel au sens large, représenté, par exemple, chez Virginia Woolf par la fascination pour la bibliothèque paternelle) indique d'ailleurs une des articulations contradictoires de l'«écriture féminine». Celle-ci est en effet amenée, de manière explicite ou non, à mettre en scène un rapport de rivalité entre une tendance «maternelle», tournée vers le don, la dissolution d'identité, l'anonymat, la ritualité, et une tendance culturelle qui en est dans une certaine mesure l'antithèse. Comme le dit encore Virginia Woolf, «il est significatif que, des quatre grandes romancières -Jane Austen, Emily Brontë, Charlotte Brontë, George Eliot-, aucune n'a eu d'enfants, et deux sont restées célibataires». La reconstruction d'une histoire des femmes par le nouveau féminisme est tributaire elle aussi de cette contradiction: d'un côté, les mères en général sont les héroïnes méconnues des temps passés, les femmes dont il faut lever l'oppression ; mais, de l'autre, les héroïnes sont aussi Amazones (comme dans le livre de la féministe américaine Ti-Grace Atkinson, Odyssée d'une Amazone) ou sorcières (voir le groupe américain Witch ou la revue française Sorcières), femmes stériles, homosexuelles ou frigides qui ont créé, dans le refus de la normativité sexuelle et dans la folie, les éléments de leur propre histoire.
4. Suicidées de la société
«Toute femme née pourvue d'un grand don au XVIe siècle serait certainement devenue folle, se serait tuée ou aurait terminé ses jours dans une chaumière solitaire à l'orée du village, à demi sorcière, à demi magicienne, crainte et faisant l'objet de moqueries...» (Virginia Woolf, Une chambre à soi.) «Elle parle la langue des marécages. Pourquoi s'étonner qu'on ne la comprenne pas? Quelquefois, par mégarde, le patois. Mais tu ne dois pas. La sorcière au châle noir éructe...» (Jeanne Hyvrard, Les Prunes de Cythère.)
Si la «sorcière», déjà louée au XIXe siècle, dans des termes grandioses, par Michelet, a pu apparaître aux nouvelles féministes (et tout particulièrement en littérature) comme un archétype de figure féminine revendicatrice, c'est sans doute par la force de négativité qu'elle représente. Personnage d'une mythologie noire opposée aux mythologies «familialistes», nantie d'un pouvoir parallèle au pouvoir social, liée à cette nature mystérieuse et sans parole que notre idéologie associe à la féminité, elle rassemble les traits d'un irrationnel où la maternité productive et positive se renverse en une puissance de mort. Or tel est bien le problème central de la réflexion féministe contemporaine. En effet, si dans la fonction maternelle une femme peut ressentir, en tant qu'individu, le risque d'un clivage opéré sur son corps et d'une perte d'identité, si la maternité ne dit pas le tout de la féminité, cette dernière sera renvoyée, par un principe d'exclusion, à l'espace négatif de la sorcière: solitaire, mutique, asociale, improductive, repliée sur une féminité en absence, confrontée à l'image persécutrice de sa propre mère, une telle femme sera projetée dans un processus de déconstruction de type psychotique, que souvent l'écriture, ce «garde-fou» (LaraJefferson, Folle entre les folles), ne suffira pas à détourner ou à objectiver.
De ce point de vue, l'histoire d'un certain nombre de femmes écrivains pourrait être racontée comme celle de «suicidées de la société» (pour reprendre la formule d'Artaud à propos de Van Gogh). Un grand nombre des meilleurs auteurs féminins du XXe siècle ont en effet vécu et sont morts dans des conditions tragiques, traversés et détruits par cette «folie» qui n'est jamais qu'un bord assigné par le système social. Virginia Woolf, divisée toute sa vie entre l'écriture et la maladie mentale, se noie dans la rivière proche de sa maison en mars 1941, à l'âge de cinquante-neuf ans. Sylvia Plath, poète (Ariel) et auteur de La Cloche de détresse, roman paru en 1963, se suicide un mois après la sortie de celui-ci, à l'âge de trente ans; Anna Kavan (Neige, Demeures du sommeil), Sophie Podolski (Le pays où tout est permis), ainsi que Danièle Collobert (Il donc) mettent aussi fin à leurs jours. Unica Zürn, dessinatrice et écrivain, auteur de deux très beaux livres, L'Homme-Jasmin et Sombre Printemps, après avoir été internée à plusieurs reprises dans des cliniques psychiatriques, se suicide le 19 octobre 1970, à l'âge de cinquante-quatre ans. Toutes ces femmes ont expérimenté sur leur propre corps ces traits de la maladie et de la douleur dont notre société a fait, depuis la parole de la Bible («Tu enfanteras dans la douleur»), un apanage de la féminité. De cette déchirure physique et mentale, leurs textes ne cessent de rendre compte: L'Homme-Jasmin se présente comme le journal clinique d'une malade qui jouit des images colorées, des rêves, des symboles et des rites étranges de son délire; Demeures du sommeil met en scène l'alternance fascinante de la veille et du sommeil, de la douleur et du rêve peuplé de fantasmes et de fantaisies; La Cloche de détresse est le récit de la crise psychique grave qu'a subie vers l'âge de vingt ans Sylvia Plath elle-même.
On retrouve dans les textes littéraires à proprement parler féministes, mais cette fois-ci sous une forme le plus souvent idéologique, cette même représentation de la folie: des femmes comme Jeanne Hyvrard, Emma Santos, Hélène Cixous, Madeleine Gagnon revendiquent un droit au délire. «Ils disent qu'ils vont me guérir. Mais c'est pour me normaliser. Ils disent que je suis folle. Mais c'est pour ne pas entendre ma voix», explique Jeanne Hyvrard dans Mère la mort; «La folie me fait peur et me séduit. La folie me fait danser», raconte Madeleine Gagnon dans Retailles. Enfin, d'une manière plus générale encore, on peut dire que le discours psychiatrique ou psychanalytique est une référence systématique des écrits féministes. Nombreuses sont, par exemple, les fictions de femmes qui se présentent comme un récit de maladie mentale, une correspondance avec un psychanalyste, etc. À cet égard, deux livres ont peut-être plus particulièrement fait date dans le contexte du féminisme: celui de Lara Jefferson, Folle entre les folles, et celui de Mary Barnes et Joseph Berke, Mary Barnes, un voyage à travers la folie. Tous deux retracent le combat authentique que deux femmes aliénées et internées ont mené, par les moyens de l'art (pour Lara Jefferson, l'écriture, pour Mary Barnes, la peinture), contre leur propre maladie. Associé à l'antipsychiatrie moderne, le féminisme a ainsi permis la publication de textes traditionnellement privés, relégués dans les dossiers médicaux, et a par là même contribué à révéler le lien historique de la féminité et de la psychose.
5. Le «continent noir»
À propos de la sexualité féminine, Freud emploie la formule désormais bien connue de «continent noir» de la psychanalyse. À peu près à la même époque, un jeune Juif viennois, Otto Weininger, publie un livre raciste, mysogine et antisémite, Sexe et Caractère, et se suicide quelques mois plus tard après avoir déclaré à un ami: «As-tu déjà pensé à ton double? et s'il arrivait maintenant! Le double est cet être qui sait tout de chacun, qui sait même ce que personne jamais n'avoue!» Et Freud encore disait: «La pénétration dans la période pré-oedipienne de la petite fille nous surprend, comme dans un autre domaine, la découverte de la civilisation minoé-mycénienne derrière celle des Grecs.» Dans ces trois exemples apparaît la même image: celle d'une étrangeté (sexuelle) de la femme, décrite en termes de race. Cette étrangeté est aussi proximité violente d'un «double» de soi-même: autre côté, autre race, métaphore du dehors ou du différent au plus profond de soi, cette image raciste, qui fait référence à l'organisation colonialiste des sociétés occidentales, confond dans la même exclusion la femme et le «colonisé» (Juif, Noir...). Or cette confusion est revendiquée par les féministes elles-mêmes, de la même manière qu'elles peuvent revendiquer une définition négative par la «folie».
Le mouvement américain a ainsi parfois repris à son propre compte le slogan des Noirs: I am black and I am beautiful; Simone de Beauvoir, on l'a vu, forge le mot de «féminitude» sur le modèle de «négritude»; Hélène Cixous, juive française de mère allemande et originaire d'Afrique du Nord, fait, elle, l'éloge du «continent noir»; dans Les Prunes de Cythère, Jeanne Hyvrard écrit l'histoire d'une colonisation dans les «îles», et dédie son livre «au Nègre inconnu». Les exemples de ce retour par les féministes modernes à un imaginaire «africain» ou plus largement d'exotisme et de sauvagerie pourraient être multipliés presque à l'infini. De manière peut-être plus troublante, on le retrouve aussi avec la même fréquence chez des auteurs qui n'ont pas de rapports directs avec le mouvement ou, du moins, avec sa théorie et ses axes de revendication. Pour Marguerite Duras, l'écriture est ainsi le moyen d'un retour aux images de l'enfance en Indochine et d'une réflexion sur un passé colonial désormais clos, où la pauvreté côtoyait la richesse et où la maladie, la perte de soi, la mort étaient les fondements mêmes où se relançait la vie des femmes (Un barrage contre le Pacifique, Le Vice-Consul, India Song). La question coloniale est encore centrale chez Doris Lessing qui consacre une partie de son oeuvre principale, Le Carnet d'or, à des scènes rhodésiennes à travers lesquelles l'analyse politique en termes de lutte des classes tenue par les personnages masculins apparaît à la fois dérisoire face à l'oppression plus tragique des Noirs rhodésiens, et illusoire du point de vue des personnages féminins. Enfin, on ne saurait oublier que le premier roman de Virginia Woolf, La Traversée des apparences (The Voyage Out), a également pour cadre un pays tropical et que c'est dans la région centrale de la forêt, vierge comme Virginia, que l'héroïne, Rachel, rencontrera sa féminité, sa sexualité et, du même coup, sa destruction et bientôt sa mort.
Si cette métaphore «africaine» est si insistante, ce n'est pas seulement par dénonciation du système politique colonialiste mais aussi parce que le colonialisme lui-même est porteur d'associations imaginaires riches en irrationnel. Les méthodes de colonisation, par exemple, renvoient à des images de viol; la justification économique (alimentaire) traite d'autre part le Tiers Monde comme un grand corps maternel nourricier dont les trésors sont saisis par les colons, alors que lui reste affamé: images de la mère affamée, de la mère sans mère, de la fille sans mère (on pense au personnage de la mendiante dans les romans de Marguerite Duras). Tel est bien le grief féminin inconscient que le nouveau féminisme met au jour: dans une organisation symbolique qui privilégie historiquement (au moins depuis l'invention de la figure de la Vierge mère...) le rapport de désir du fils et de la mère, qu'en est-il de la fille? Freud insistait sur l'importance de la phase pré-oedipienne de relation à la mère chez cette dernière. L'«Afrique» est à la fois la fille et la mère: la fille dépossédée de l'aliment, de l'amour, nécessaires à sa vie et à la reconnaissance de soi, et la mère au ventre plein des trésors merveilleux que la fille revendique (images, couleurs, sons sauvages, rythmes, etc.). C'est pourquoi on trouvera dans la plupart des textes féminins sinon un éloge de la nature comme espace sauvage, miraculeux (par exemple dans La Prisonnière des Sargasses de Jean Rhys), du moins la tentation d'une écriture au plus près des sensations, des rythmes simples, des euphonies (Hélène Cixous, Jeanne Hyvrard, Virginia Woolf...), une écriture «jubilatoire» où souvent le plaisir de la profération des sons et des mots l'emporte sur la narrativité, comme on peut le voir notamment dans l'oeuvre de Gertrude Stein.
L'écriture est le plus souvent pour les nouvelles féministes le moyen d'une régression vers des «épousailles» (Annie Leclerc) avec le corps maternel. De là provient le déploiement d'une thématique du corps qu'on retrouve de texte en texte: éloge d'une sensualité diffuse, prégénitale ou polymorphe (Luce Irigaray, Ce sexe qui n'en est pas un), fétichisme du mot aux dépens de la phrase, qui indiquerait une articulation de type phallique (Virginia Woolf jugeait déjà la phrase «masculine» trop «lourde» pour une femme), définition d'une écriture-flux à l'image du sang menstruel (Marie Cardinal, Emma Santos, Jeanne Hyvrard...) ou, au contraire, d'une écriture éclatée, morcelée, fragmentaire, lapidaire (Agnès Rougier, Danielle Collobert, voire l'Américaine Joan Didion), hostile aux effets d'unité ou d'unicité stigmatisés dans l'écriture masculine, insistance, au total, sur l'idée d'une multiplicité spécifiquement féminine.
6. L'autobiographie de tout le monde
Le trait peut-être le plus frappant de cette écriture féminine que le nouveau féminisme des années 70 met en avant soit dans les textes qu'il produit, soit dans ceux dont il permet la redécouverte et la relecture, c'est son caractère à peu près systématiquement autobiographique. Sans parler des textes féministes, dont on a pu dire qu'ils étaient souvent très proches de la confession ou du journal, les grands textes féminins contemporains apparaissent tous, de près ou de loin, traversés par un projet d'autobiographie ou du moins de biographie écrite (reformulée sur un mode artistique). En cela, ils appartiennent aussi -et sans doute en premier lieu -à la littérature moderne.
Certaines fuient cette biographie écrite, comme Sylvia Plath, qui compose des poèmes pour reculer le moment du roman, qu'elle juge «sale», cruel, trop près de l'intimité des événements vécus. Pourtant, elle rédige La Cloche de détresse, et son dernier travail aura été un projet de roman. D'autres, en revanche, n'y résistent pas, comme Unica Zürn ou Anna Kavan rapprochées dangereusement par l'écriture de leurs fantasmes les plus implacables. Doris Lessing, Marguerite Duras, Gertrude Stein, ou même Colette ou Anaïs Nin, s'y adonnent avec tout leur art. Virginia Woolf y parvient, après le long détour d'une vie et d'une oeuvre: ce sont ses derniers textes, les plus beaux peut-être, regroupés après sa mort dans un recueil intitulé Instants de vie (Moments Of Being).
L'autobiographie conçue par les femmes présente une qualité spécifique ou, du moins, nouvelle: celle de ne pas être la construction, par les moyens complexes de l'écriture, d'un sujet à peu près unifié, ou aspirant à l'être, même dans les plus grandes contradictions, comme dans les textes contemporains «masculins». Le sujet d'une oeuvre féminine n'existe pas, n'existera pas. Il se perd, se multiplie, se diffracte dans les multiples figures, les mouvements minuscules du quotidien. «Autobiographie de tout le monde», ce texte féminin vaut pour une autre vie, d'autres vies -bien vite la question même de la «féminité» ne se pose plus. Cette autobiographie insignifiante, ou plutôt non inscrite dans une logique de la représentation du sens (qu'on lise, par exemple, les absurdités algébriques de Gertrude Stein, sa manière de construire une poétique des lieux communs de la communication verbale), trace un parcours durable, mais fragmenté, accidenté, discontinu, pour des femmes qui rêvent de «flotter avec les bouts de bois à la surface de la rivière» (Virginia Woolf).
Prix littéraires de l’Académie : les premières sélections
L’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (Arllfb) décerne chaque année des prix littéraires. Les premières sélections viennent d’être dévoilées.
Les prix de l’Arllfb
L’année dernière, à l’occasion de son centenaire, l’Arllfb a repensé en profondeur l’organisation de ses prix littéraires. Jusque-là, les prix portaient les noms des fondations qui les dotaient (prix Bosquet de Thoran, prix Georges Garnir, prix Sander Pierron…). Ces appellations, déconnectées de l’objet du prix, n’étaient pas toujours claires pour le grand public, et plusieurs dotations se sont en outre éteintes au cours du temps. Pour pérenniser son travail de repérage et de reconnaissance des talents littéraires, l’Académie a donc créé de nouveaux prix. Elle remet désormais – entre autres – le prix du Roman, le prix de Poésie, le prix de l’Essai, le prix des Arts du spectacle ou encore le prix Découverte.
Les finalistes de l’édition 2021 sont connus dans trois premières catégories.
Le grand prix des Arts du spectacle
Ce prix annuel doté de 1.500 € récompense une oeuvre théâtrale, mais aussi éventuellement un scénario de cinéma ou de télévision, un seul en scène, etc.
En 2020, le lauréat du prix était Stanislas Cotton, pour Mes papas, l’ogre et moi (Lansman).
Les finalistes :
Noémie Carcaud, Take care, Les oiseaux de nuit
Geneviève Damas, Quand tu es revenu, Lansman
Zenel Laci et Denis Laujol, Fritland, Les oiseaux de nuit
Florian Pâque, Etienne A., Lansman et Avec le paradis au bout, Les Cygnes
Anne-Cécile Vandalem, Kingdom précédé de Tristesses et Arctique, Actes Sud-Papiers
Le grand prix de Poésie
Prix annuel doté de 1500 €, le prix de Poésie est attribué pour l’ensemble d’une œuvre ou un recueil remarquable d’un.e poète belge.
L’édition 2020 avait couronné Christian Hubin pour L’intemps (L’étoile des limites).
Les finalistes :
Jan Baetens, Après, depuis, Les impressions nouvelles
Karel Logist, Soixante-neuf selfies flous dans un miroir fêlé, L’arbre à paroles
Serge Meurant, Empreintes, Le cormier
Francesco Pittau, Épissures, L’arbre à paroles
Jacques Richard, Sur rien mes lèvres, Le cormier
Le grand prix du Roman
Récompense annuelle dotée de 1.500 €, le prix du Roman couronne un auteur ou une autrice belge, pour un ouvrage (roman, nouvelles, fictions en prose, etc.) publié durant l’année.
Le ou la lauréat.e succédera à Stéphane Malandrin, récompensé en 2020 pour Je suis le fils de Beethoven (Seuil).
Les finalistes :
Hubert Antoine, Les formes d’un soupir, Verticales
Sophie d’Aubreby, S’en aller, Inculte
Zoé Derleyn, Debout dans l’eau, Le Rouergue
Emmanuelle Dourson, Si les dieux incendiaient le monde, Grasset
Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux, Verdier
DU CARRÉ A’ L’INFINI : L’ŒUVRE DE MARIE CÉLINE BONDUE
Du 02-04 au 30-04-21, l’ESPACE ART GALLERY (83, Rue de Laeken, 1000 Bruxelles) a le plaisir de vous présenter l’œuvre du peintre belge, Madame MARIE CÉLINE BONDUE, intitulée : CHEMINS INCONNUS.
Il y a dans l’œuvre de MARIE CÉLINE BONDUE la volonté infatigable d’un esprit de recherche. Un équilibre rigoureux entre abstrait et figuratif exprimé dans le mystère de la « forme ». Il y a des architectures inconnues soutenues par une géométrie axée sur le carré. Un carré conçu à l’instar d’une fenêtre donnant sur un infini qui se fait infime, comme situé à l’autre bout d’une lorgnette. Il y a des paysages baignés par des brumes à la blancheur diaphane. Il y a des jeux chromatiques du plus bel effet, destinés à mettre en exergue cet ensemble onirique. L’artiste nous expose une variation d’états d’âme, basés sur un jeu de couleurs et de lumière, en passant par une douce mélancolie jusqu’à la matérialisation de la joie la plus expressive.
BARRICADES (100 x 100 cm-huile sur toile)
L’espace est construit de façon abrupte, en ce sens qu’aucune progression tangible ne scande la voie au regard, comme pourrait la scander une suite définie de plans, conduisant l’oeil vers un but déterminé. Nous sommes face à un chaos abstrait qui trouve son élément dans la ville, pensée comme le décorum dramatique à la mesure d’un chantier urbain. Le visiteur est mis devant le fait accompli d’un acte dans son déroulement présent, celui de la destruction irrévocable d’un moment. En laissant promener le regard, un univers fantasmagorique se profile, à l’arrière-plan : celui des silhouettes fantomatiques et spectrales d’immeubles, enserrées à l’intérieur d’un brouillard à dominante blanche. Ils ne sont repérables qu’à travers la présence noirâtre, effacée de leur structure. Sont-ils là? Étaient-ils là? Sont-ils en passe de disparaître? Ils deviennent des souvenirs en devenir. Sur la partie supérieure gauche, une forme indéfinissable que seule l’artiste est à même de définir : un carré d’un très beau noir dans lequel s’inscrit une grue conçue en une série de traits rouges. L’avant-plan de l’image nous montre un terrain labouré par les travaux en cours. C’est à ce stade que le titre de l’œuvre prend toute son importance : deux barricades, toujours à l’avant-plan, l’une perpendiculaire à l’autre, « barrent » symboliquement l’accès au visiteur face à cette vision apocalyptique où le silence des couleurs opaques règne en maître. D’un point de vue technique, ces deux barricades dévoilent l’intérêt indéfectible de l’artiste pour le collage.
En effet, cette particularité régit la totalité de son œuvre exposée, en ce sens que dans chacune de ses toiles, l’on trouve un ou plusieurs éléments de collage galvanisant l’esthétique de l’œuvre.
FUSION AUTOMNALE (95 x 70 cm-huile sur toile)
Nous sommes transportés dans l’abstraction totale, tant dans le rendu graphique que dans le rendu de l’idée originelle. L’œuvre grâce à son chromatisme rend parfaitement le sens à son titre. L’idée de la Nature est littéralement transfigurée pour atteindre l’incandescence des notes verte, rouge, jaune et noire, offrant au visiteur l’image transcendée de la forêt à l’heure de l’automne. La note rouge, au centre de la toile, s’avère être d’un fauvisme exacerbé. Néanmoins, à aucun moment elle n’écrase les autres. Ce qui est d’ailleurs une constante notoire dans l’œuvre de l’artiste : aucune couleur ne l’emporte sur l’autre, même la plus vive. Dans cette œuvre, se distingue en outre la présence (assez discrète) de la figure géométrique, évoquée plus haut, par la vision (confuse de prime abord) du carré. La zone centrale de l’œuvre, flamboyante et attirant le regard, conçue en rouge vif, est axée sur un carré travaillé au couteau sur sa partie supérieure. Cet espace accapare le regard en le conduisant au loin, vers un arrière-plan qu’une légère trouée jaune rend à peine perceptible. Sur la droite de la toile, une sorte de tourbillon réalisé en vert assure une continuité dans le rythme. Tandis qu’une série d’élongations au noir symbolisent une volonté de verticalité associée à celle de l’arbre, comme pour stabiliser ce même rythme dans un dialogue cosmique entre les saisons. Car l’automne offre ce qui reste de l’été dans un délire de couleurs fusionnelles. Comme spécifié plus haut, même dans les teintes les plus vives, nous vivons la présence d’une harmonie ontologique, en ce sens qu’aucune couleur n’est là pour en occulter une autre. Tout s’accorde à l’unisson dans la même partition chromatique. Notons que le cercle vert, évoquant l’idée du tourbillon, sur la gauche de la toile constitue la dernière étape de la réalisation.
ROUGES (73 x 100 cm-huile sur toile)
Cette œuvre est non seulement un excellent exemple de la maîtrise du chromatisme par l’artiste mais aussi la preuve de l’amour pour les couleurs de celle-ci. Car elle les aime et cela se voit par l’acharnement que le peintre met à les travailler au couteau et au chiffon. Cette toile est un travail sur le rouge dans une dialectique constante entre la puissance de la couleur et la lumière la mettant en exergue ainsi que sur l’élaboration du rouge dans son exploration. Elle se décline sur quatre variations.
Cette toile risque fort de déséquilibrer le visiteur, car ce qu’il pourrait interpréter comme faisant partie des différentes étapes créatives pour atteindre le but, se révèle être, en dernière analyse, un jeu de dupes destiné à l’égarer dans l’hypothèse d’une analyse rationnelle. En réalité, l’artiste a élaboré son travail en six étapes :
- mise en place d’une couche rouge de fond
- encadrement en rouge de Venise sur le périmètre de la toile
- couche d’ocre/rouge orangé
- renforcement de l’intensité chromatique par une couche de rouge vif
- application d’un collage en carton (en bas de la toile)
- réalisation d’un carré rouge rehaussant l’intensité chromatique
C’est précisément cette sixième et dernière étape, ce carré rouge conçu « comme point final», terminant l’œuvre, qui donne au visiteur l’illusion immédiate qu’il s’agit de la première étape chromatique par laquelle l’artiste a abordé son exploration de la couleur rouge. Des stries dynamisent le carré rouge vif. Réalisées au couteau, elles diffèrent de par leur forme à celles présentes sur un autre carré, de petites dimensions, en haut sur la gauche du carré central, lesquelles témoignent d’une géométrie rigoureuse, à l’opposé de celles figurant sur le carré rouge vif, lesquelles sont conçues de façon anarchique. Notons que le collage en carton dans le bas de la toile présente également des stries, naturelles celles-là car elles reprennent les ondulations de la matière originale. Elles sont légèrement rehaussées de blanc et s’accordent parfaitement au rythme de l’ensemble. Cette œuvre rassemble à elle seule les composantes esthétiques de l’écriture picturale de l’artiste.
FENÊTRE 2 (50 x 50 cm-huile sur toile)
Une de ces constantes esthétiques est l’image de la fenêtre. Celle-ci, concrétisée par le module du carré, est l’image d’une porte donnant sur le Monde. Si, dans l’œuvre précédente, le rouge est à l’honneur dans un éventail de variantes, nous sommes à présent dans l’univers du bleu.
Une couleur qui se marie mythologiquement avec l’image de la fenêtre, puisqu’elle annonce symboliquement le ciel. Toujours à l’instar de l’œuvre précédente, la fenêtre s’inscrit dans le module du carré démultiplié. Cette composition est un ensemble de cinq carrés augmentée d’un rectangle au bas du second carré.
- le carré de départ se décline sur un bleu clair
- il est suivi par un carré en bleu plus foncé
- un carré d’un bleu plus clair confère à la composition un côté « brouillard », plongeant le regard dans une atmosphère presque irréelle
- le bleu plus prononcé annonce la dernière étape :
- une zone ressortant discrètement au centre de la toile, à peine perceptible, agrémentée d’un blanc saillant, sert d’ « ouverture » à la fenêtre, laquelle, telle la fente d’une serrure, invite le regard à s’y plonger pour s’y perdre
- un collage en forme de rectangle blanc termine la composition. Il est conçu en toile de jute, il s’agit d’une matière très épaisse, étalée à la spatule
Comme nous l’avons spécifié plus haut, le quadrilatère (qu’il soit carré ou rectangle) régit la presque totalité de l’œuvre de l’artiste.
L’artiste aime terminer une composition en se lançant une sorte de « défi », en ce sens qu’elle « jette » à la face de la toile quelque chose qui la singularise tout en la mettant « en péril » car cet acte décide de la réussite ou de l’échec de l’œuvre. C’est le cas des collages placés au bas de la toile en ce qui concerne ROUGES et FENÊTRE 2 (cités plus haut). Quant à FUSION D’AUTOMNE (également mentionné plus haut), il se termine par ce tourbillon vert en forme de cercle, comme la signature de son Etre créateur, jeté à la face du créé comme le joueur jette les dés sur le tapis du hasard. L’artiste qui a fait de l’abstraction son mode d’expression, a d’abord commencé par l’aquarelle. Son abstraction se définit par la recherche d’une réalité concrète qu’elle retransforme à sa guise, convaincue du fait que la forme est partout. La forme omniprésente, est comme nous l’avons spécifié, souvent mise en relief par le carré. Or, le carré, à cause de sa spécificité géométrique, nous ramène, temporairement, hors de l’abstraction en l’atténuant légèrement. Il devient le symbole concret au sein d’une perspective abstraite.
Quelque chose de matériellement tangible (voire de rationnel), une porte ou…une fenêtre, nous révélant chez l’artiste la volonté d’une recherche d’absolu dans la possibilité d’un ailleurs qu’elle porte en elle-même.
Précisons que les titres, si évocateurs accompagnant ses œuvres, lui viennent toujours après leur création. L’artiste a fréquenté l’Académie de Wavre.
Sur les conseils de son professeur, elle délaisse les petits formats pour évoluer dans les grands. Précisons qu’elle est à la base de la création de toutes ses couleurs. Elle peint exclusivement à l’huile.
MARIE CÉLINE BONDUE nous a exprimé son désir de continuer à évoluer dans les grands formats mais également d’explorer la figure transcendant de tous temps la mythologie figurative, à savoir la figure humaine. A’ la vue de deux œuvres non exposées montrant deux formes longilignes glissant tout en longueur au centre d’un brouillard réalisé en teintes douces, la présence humaine, comme cachée aux profanes, s’est révélée tel un fantôme encore pris dans sa chrysalide….
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
Lettres
N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
A voir:
Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
MARIE CELINE BONDUE et François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Photos de l'exposition de MARIE CELINE BONDUE à l' ESPACE ART GALLERY
LA FORME ENTRE SCULPTURE ET PEINTURE : L’ŒUVRE DE PATRICK STEENS
Du 04-O6 au 27-06-21, l’ESPACE ART GALLERY (83, Rue de Laeken, 1000 Bruxelles) a le plaisir de vous convier à découvrir l’exposition du peintre belge, Monsieur PATRICK STEENS, intitulée : UPRISING.
Il est extrêmement rare de constater une symbiose aussi prenante entre peinture et sculpture au sein de la trajectoire créative d’un artiste. PATRICK STEENS nous révèle autant de sculpture dans sa peinture que de peinture dans sa sculpture.
TALISMAN (100 x 100 cm-acrylique sur toile)
A’ titre d’exemple, concernant sa production picturale, cette toile telle est un mariage formel entre couleurs et extension géométrique. Chromatisme et formes deviennent consubstantielles à l’intérieur de l’espace pictural. Sculpture et peinture se conjuguent tandis que la forme se dilate dans une géométrie comprise dans des zones chromatiques « limitrophes », en ce sens qu’aucune d’entre elles n’empiète sur l’autre. Enserré à l’intérieur d’un cadre de couleur blanche, l’arrière-plan met en exergue l’ensemble de la composition se déclinant en jaune-or, alternant avec de légères pointes de couleur verte et grise. A’ partir de là, l’ensemble se développe au regard. Les couleurs, bien affirmées, ne tombent jamais dans l’excès, évitant ainsi une charge chromatique trop vive. La palette est composée de rouge, de bleu, de vert de gris et de rouge-bordeaux. Les couleurs se répartissent à l’intérieur d’une répartition géométrique, à l’apparence simple laquelle ne dévoile sa complexité qu’à partir d’un examen attentif.
Cinq zones en bleu apparaissent avec à l’intérieur de chacune d’elles, des dessins conçus en réticulaires, rappelant des plans de villes, élaborés en quartiers quadrillés avec des rues, des places et des avenues.
Quatre zones en gris sont parsemées d’un fin pointillé répondant à la dynamique engendrée par le réticulaire des zones bleues.
Cinq zones de couleur rouge alternent avec six zones de couleur verte.
Comme toute œuvre de nature géométrique, un centre de conception rectangulaire de couleur blanche, unit les différentes parties à l’ensemble, assurant un point d’intersection entre le haut et le bas de la toile.
Mais c’est assurément cette forme en « S » retourné, conçue dans un très beau violet (mélange de bleu et de rouge) qui intrigue le regard par sa nature massive, rappelant la pierre sculptée.
Force est de constater que concernant l’œuvre peinte de l’artiste, deux écritures picturales s’entrechoquent tout en se complétant. Une écriture reprenant les formes issues de l’univers intérieur du peintre-sculpteur, associée à une autre écriture où la forme participe de la Nature dans sa réception, à la fois directe, néanmoins transcendée dans sa conception.
BIOSPHÈRE (100 x 100 cm-acrylique et collages)
Il s'agit d'une œuvre dans laquelle peinture et collages alternent pour célébrer la figure humaine à l’intérieur du créé. La figure humaine personnifiée par la Femme, s’affirme dans un bleu-ciel, à la limité du surréalisme magrittien. Elle se révèle à partir d’un arrière-plan de conception blanche, agrémentée de bleu-clair. Deux arbres (dont on ne voit que les troncs, rappelant des colonnes) servent de ligne de force mettant en relief le corps de la Femme. L’avant-plan du tableau est occupé par une Nature riche en plantes aux couleurs issues de l’imaginaire de l’artiste. Si tout est peinture, seuls les feuilles tombantes et les oiseaux (conçus à l’acrylique au couteau) résultent de collages.
BLOWN BY THE WIND (112 x 82 cm-acrylique sur toile)
Dans ce triptyque, les feuilles en automne ne résultent d’aucun collage (comme dans l’œuvre précédente). A’ l’instar de TALISMAN (cité plus haut), la composition est propulsée vers le regard à partir d’un arrière-plan aux tonalités tendres mais efficaces dans l’expression physique du sujet. Ici, l’arrière-plan se compose de vert, de rouge, de jaune et d’orange. Tout le chromatisme de l’automne que l’on retrouve dans les feuilles balayées par le vent.
PEINTURE-SCULPTURE
Des liens ontologiques existent, notamment, dans l’utilisation fréquente de la forme imbriquée, unissant les autres tant dans le volume comme dans la couleur.
Comparons TALISMAN (évoqué plus haut) avec TOGETHERNESS.
TOGETHERNESS (H 40 cm-pierre bleue du Hainaut sur granit)
Dans les deux œuvres, la création s’accomplit dans l’enlacement des formes. TOGETHERNESS résulte de l’entrelacement de deux cercles en pierre bleu du Hainaut que l’artiste a poli pour arriver à l’épurement du derme. La belle couleur bleu de cette pièce a fasciné le sculpteur car elle lui a donné l’opportunité de se distancier du blanc « immaculé » du marbre de Carrare, lequel a fini par s’imposer dans l’esthétique sculpturale occidentale. Notons le rôle du socle conçu en granit noir luisant destiné à mettre la sculpture en relief.
Nous retrouvons ce même discours avec LAS PALABRAS DE AMOR (H 60 cm).
Si dans l’œuvre précédente, l’union se faisait dans la fusion de deux cercles distincts, celle-ci offre une sorte d’ « accouchement », en ce sens que la forme naît de la forme : c’est à partir du bas que l’élancement prend naissance, dès la première pièce, pour littéralement s’échapper de son point de départ et atteindre la deuxième pièce vers le haut, dans une sorte de « baiser » qui voit les deux amants fusionner l’un dans l’autre, par une étreinte qui scelle la composition. Cette œuvre a été réalisée dans un marbre d’origine iranienne, appelé « marbre soraya ».
Par ses créations, l’artiste nous révèle son idée du « concept », en ce sens qu’il se manifeste par l’éclair de la forme que la sculpture suscite dans l’imaginaire du visiteur.
NOIRE DE MAZY (H 60 cm)
A’ titre d’exemple, dans cette pièce, la légèreté de son élan et sa finesse, évoquent l’élément féminin dans sa corporalité. L’artiste nous a même avoué que chez certains, elle évoque également l’image de la flamme par l’élan qui, vers le haut, la propulse.
UNDER THE SKIN (H 60 cm)
Tandis que cette oeuvre évoque, toujours dans sa matérialité corporelle, l’image du buste masculin à l’intérieur d’une antiquité classique devenue « contemporaine ». Il s’agit d’un très beau travail sur de la pierre de sable. Le torse est habillé avec du plomb ajouté. Cette pièce fait partie de ce que l’artiste considère comme une forme de « promotion sociale » de la pierre sculptée. En fait, la pierre de sable est considérée dans la sphère des ateliers de sculpture comme le « parent pauvre » des matériaux à sculpter. Par cette œuvre, l’artiste a voulu aller à contre-courant, en lui rendant ses lettres de noblesse. Dans la hiérarchie du monde minéral, si la pierre de Mazy (connue et appréciée jusqu’à Carrare, en Toscane) fait partie des matériaux prisés en matière de sculpture, la pierre de sable est considérée comme faisant partie du « bas de gamme ».
Au fur et à mesure que le visiteur tourne autour des deux pièces précitées, il s’aperçoit que grâce à la taille que l’artiste a apporté à l’œuvre, la forme vit, se métamorphose et ressuscite à chaque tournant.
Si pour PATRICK STEENS, la sculpture participe globalement de l’abstraction, la peinture n’est pas en reste car à maints égards, cette même abstraction s’y retrouve en tant qu’élément moteur (cfr. TALISMAN ainsi que dans RIVER OF DREAMS, où la note dominante est le vert, amplifié par une tendre lumière jaune que les stries de la brosse du peintre-sculpteur mettent en évidence.
RIVER OF DREAMS (122 x 61 cm-acrylique sur toile)
Il y a, par conséquent, deux écritures dans la peinture de cet artiste : une écriture fondée sur l’abstrait que l’on retrouve dans sa sculpture et une écriture provenant de sa mythologie personnelle où la forme s’inscrit dans un vocabulaire connu : BIOSPHÈRE – la Nature (cité plus haut) en est l’unique exemple concernant la présente exposition.
PATRICK STEENS considère la peinture comme étant une clé expérimentale de sa sculpture, en ce sens qu’elle lui accorde un terrain d’expérimentations que la seule sculpture ne pourrait lui offrir, comme la problématique des formes et des couleurs…). La forme est pour lui primordiale car elle investit l’espace et de ce fait, participe à la création d’autres formes. De formation académique, l’artiste a fréquenté l’Académie communale de Sint-Pieters-Leeuw, en Belgique dans le Brabant flamand, avant de suivre des stages à Carrare, en Italie. Si, à ses débuts, il a indistinctement utilisé l’huile et l’acrylique, il s’exprime désormais essentiellement à l’acrylique. Cette technique dont le temps de séchage est très court, lui permet d’appliquer le nombre désiré de couches sur la toile aidé par un liant lui servant à diluer la peinture sur laquelle il ajoute les pigments nécessaires à sa recherche de transparence et de brillance. Si nul n’est imperméable aux influences, notre peintre-sculpteur demeure extrêmement vigilent à les garder à bonne distance, pour ne pas y succomber.
PATRICK STEENS nous offre une œuvre à la charnière entre l’image peinte et l’image sculptée. Loin d’être une œuvre hybride, il s’agit d’un langage aux ramifications culturelles complémentaires.
Un travail de recherche où la forme s’imbrique dans la forme. Une œuvre où sculpture et peinture se répondent dans toutes leurs facettes pour arriver au renouvellement de cette même forme, dans un éternel retour, vers d’infinis possibles.
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
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Photos de l'exposition de PATRICK STEENS à l'ESPACE ART GALLERY
L’ESPACE COMME THÉÂTRE DU SENTIMENT VITAL : L’ŒUVRE GRAPHIQUE DE SERGE DEHAES
Du 06 au 29-08-21, dans le cadre du SALON d’ÉTÉ 2021, l’ESPACE ART GALLERY (83, Rue de Laeken 1000 Bruxelles) a le plaisir de vous présenter l’œuvre du peintre et dessinateur belge, Monsieur SERGE DEHAES.
Avec SERGE DEHAES, nous avons affaire à un artiste « polyvalent », en ce sens qu’il associe avec le même bonheur, l’aquarelle, le dessin, la peinture et la bande dessinée. Cet éclectisme est corroboré par une excellente connaissance des styles. Chacune des œuvres exposées est un concentré de maîtrise, stylistique et technique.
NEDER SUR MEUSE (29 x 39 cm-aquarelle, pastel et crayon)
Cette œuvre concrétisme l’association de l’aquarelle, par ses couleurs tendres posées en aplat, soulignant les fleurs ainsi que la végétation entourant la maison avec la grande qualité du dessin. Ce dessin, lequel par la mise en perspective du dispositif mural de la maison, agencé par le dispositif des fenêtres, articule le mur en accroissant la sensation d’avancement. La peinture, présente dans la conception des arbres, met en exergue les troncs. Particulièrement en ce qui concerne l’arbre en avant-plan sur la droite donc les racines s’immergent dans l’eau. Observez la façon dont l’écorce est soulignée. De longs traits au crayon, structurent le corps de l’arbre sur toute sa longueur, le recouvrant de sinuosités, accélérant ainsi le rythme du mouvement des racines se dilatant vers l’eau. L’artiste s’est exclusivement concentré, en premier, sur la couleur en attendant qu’elle sèche pour utiliser, par la suite, un gras au lieu d’un crayon aquarelle. La présence du peintre se ressent également dans la conception du petit sentier en pierres se mouvant vers l’intérieur du jardin dans son uniformité géométrique. Elle se révèle aussi dans la conception spatiale : 6 plans structurent l’ensemble de la toile.
- le cours d’eau réfléchissant la silhouette des arbres et de la maison
- l’allée en terre claire sur laquelle évoluent les personnages
- le jardin sur lequel trônent les arbres et la maison
- le champ désert strié par des sillons
- l’allée des arbres verts
- le bleu clair du ciel, encadrant l’ensemble de la composition et faisant écho avec le bleu (plus foncé) du cours d’eau agité par les remous.
L’ensemble vibre à l’intérieur d’une dynamique rarement atteinte à l’intérieur d’un calme ambiant.
Le coloriste se révèle dans la magnifique conception de la couleur verte dans l’élaboration du gazon ainsi que des feuilles des sapins.
Chacune d’entre elles est tributaire de deux tonalités axées sur le vert : l’une claire, l’autre sombre. Le chromatisme régissant les fleurs sur le parterre, associant essentiellement le rouge, le jaune et le bleu, confère à l’ensemble une gaité ainsi qu’une innocence, débouchant sur l’idée d’un style, celui de l’art dit « naïf » réinterprété selon la sensibilité de l’artiste. Notons que ce dernier a traité l’arrière-plan du tableau, par après, en atelier.
TOKYO (59 x 43 cm-digigraphie)
C’est avec cette œuvre que s’affirme le dessinateur de bande dessinée. Elle s’inscrit dans ce que l’on pourrait qualifier d’ « aventure urbaine », en ce sens que l’artiste a fait partie d’un groupe appelé « The Urban Sketchers », dont l’enjeu consistait pour les artistes (qui ne se connaissaient pas) à se donner rendez-vous dans une ville déterminée et de dessiner un même sujet à partir de visions différentes. Et ce, quel que fut le temps. Il est arrivé à l’artiste de travailler sur place pendant trois ou quatre heures d’affilée. Créée, précisément « in situ » au Japon (comme son titre l’indique), cette œuvre se distingue par son côté « crépusculaire », suscité par un ciel rouge alterné de jaune, contrastant avec deux zones sombres coupées par une plage blanche en leur milieu, dans le bas de la toile. L’ensemble des passants déambulant dans la rue accentue ce côté « crépusculaire ». Les édifices sont traités, chromatiquement, par du bleu foncé (en dégradés) et du blanc (également en dégradés), alternant avec des notes jaunes et rouges : les hiéroglyphes japonais sur le toit de l’immeuble au centre, à l’arrière-plan de la toile. Les fils électriques des poteaux servent d’axes reliant divers points dans l’espace, augmentant ainsi la dynamique narrative. Le visiteur sera à coup sûr intrigué par cette croix blanche, posée au sol entre deux plages, d’un bleu sombre. Si l’artiste Ignorait l’explication de sa présence sur ce lieu, force est de constater que cette forme va jusqu’à intriguer le passants, puisqu’un couple se fige face à elle de façon ostentatoire.
CHEZ ANNICK SCHAERBEEK (100 x 320 cm-huile sur toile)
Il s’agit d’un diptyque comportant des similitudes au point de vue de l’organisation spatiale :
- les deux panneaux sont structurés à l’arrière-plan par deux fonds chromatiques différents : du rouge pour le panneau de gauche et du bleu pour le panneau de droite. Tous deux sont encadrés par une plinthe blanche, délimitant le plan moyen. Une ligne, également de couleur blanche, sur le panneau de gauche, fait office de séparation entre les deux pièces (les deux panneaux)
- l’organisation spatiale des deux panneaux s’articule sur un avancement des deux pièces centrales, à savoir les cheminées, lesquelles accentuent progressivement leur rythme vers l’avant. Cet avancement prend son point de départ à partir du prolongement du mur formant un cube.
L’avant-plan, faisant office de parquet, offre un ensemble cinétique déterminant pour la dynamique de l’œuvre. Il y a une opposition subtile exprimée entre l’élément vertical de l’arrière-plan et l’élément horizontal de l’avant-plan, offrant un déséquilibre visuel accentué par des situations presque en trompe-l’œil : les lamelles du parquet, le revêtement en damier, noir et blanc, à l’intérieur de la cheminée ainsi que le tapis posé sur la droite du panneau de gauche. La verticalité est assurée, notamment, par les deux fauteuils striés, accentuant l’affrontement visuel entre les éléments verticaux et horizontaux.
La table retournée, soutenue par trois chaises, sur laquelle sont posés différents objets lesquels, de par la position oblique de la table, offrent un déséquilibre trouvant son origine dans la peinture de Matisse. Déjà, concernant NEDER SUR MEUSE (évoqué plus haut), l’artiste avait basé sa composition sur ce même principe. Prenons en considération le fait qu’il aime les points de vue frontaux, donnant au visiteur le sentiment d’un décorum théâtral.
Concernant l’œuvre précitée, nous avions attiré l’attention sur le fait que l’artiste avait reproduit le style dit « naïf » selon sa sensibilité propre.
ACADEMIE DE ST. JOSSE (27 x 33 cm-aquarelle, pastel, crayon)
Avec cette œuvre, nous assistons à une déclinaison, à la fois picturale et conceptuelle du verbe « Apprendre ». Que voyons-nous? Une leçon basée sur l’apprentissage, à savoir l’image des élèves face au model à reproduire. A’ partir de « gribouillis » « maladroitement » posés, remplissant les personnages soit entièrement, soit sommairement, signifiant les visages dans les traits les plus évidents, parmi lesquels le nez, l’artiste nous convie vers une évocation rappelant l’écriture « enfantine », laquelle évoluant en dehors de toute culture, c’est-à-dire de toute « norme », se passe de codifications. Cette liberté retrouvée est une évocation sans entraves de l’Art brut (évoquée plus haut).
SERGE DEHAES a fait ses études à l’Académie des Beaux Arts de Bruxelles où Il a étudié le graphisme. Illustrateur, il enseigne la communication visuelle dans cette même institution.
Il retouche parfois ses toiles dans son atelier même si, de façon générale, l’essentiel de son travail est accompli. Le graphisme, la peinture, l’aquarelle, le dessin et le pastel, constituent l’éventail de sa personnalité créatrice. Chacune de ces disciplines lui permet de s’affirmer dans chaque domaine. Cette démarche est, comme il se plaît à le dire, dicté par le principe de la nécessité : celle d’un changement évolutif. Même si ce n’est pas fréquent, il lui arrive de prendre des photos mais uniquement dans le but de les retravailler picturalement. Mais ce qui d’emblée saute aux yeux, c’est son amour pour la couleur. Coloriste attitré de l’auteur de bandes dessinées Philippe Geluck, il travaille sous la contrainte morale de ne jamais tomber dans cette routine que seraient les « redites » en termes chromatiques concernant un même sujet. De toutes les étapes créatrices, c’est la couleur qui vient en premier. En effet, celle-ci est envisagée avant même la conception du dessin. L’artiste travaille au crayon aquarelle. Les masses de couleurs profitent de leur aspect consistant pour que l’on y dessine par dessus. Selon lui, le « dessin pur » n’est pas suffisant car il doit jongler avec l’ensemble des éléments, tels que la mise en couleurs et la perspective, à l’intérieur de la composition générale. Plusieurs artistes structurent son écriture picturale. Parmi ceux-ci, MATISSE (évoqué plus haut) et PICASSO ont une valeur primordiale. Matisse, en ce qui concerne la scansion rythmique de l’espace ainsi que pour son amour des couleurs posée en aplat. Pour la prédominance de cette même couleur sur le dessin ainsi que pour la pose du dessin dans la couleur. Picasso, parce que l’artiste le considère comme un chercheur infatigable, prêt à toutes les expériences, évitant ainsi le piège de cette « routine » dont nous parlions plus haut concernant le besoin de renouveler son travail de coloriste au service de l’auteur de bandes dessinées Philippe Geluck.
SERGE DEHAES nous convie dans son univers féerique où les couleurs enrichissent et définissent l’atmosphère trouvant ainsi sa révélation dans un déséquilibre progressif au diapason du regard lequel, à chaque étape de son périple, réinvente le sentiment vital de l’espace.
Signature de l'artiste: Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
L'artiste SERGE DEHAES et François L. Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Photos de l'exposition de SERGE DEHAES à l'ESPACE ART GALLERY
Robert Paul a dédié ce réseau Arts et Lettres à Max Elskamp.
D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau
Suit une brève biographie d'Elskamp.
Max Elskamp est né le 5 mai 1862 à Anvers, non loin de l'église Saint-Paul. A cette époque, la ville possédait encore toute sa noblesse flamande, marchande et maritime. Les anciens quartiers, aux ruelles étroites et, tour à tour, grouillantes et silencieuses, firent sur l'enfant une impression profonde. Toute son oeuvre sera pénétrée de l'odeur sauvage du fleuve, où de grands coups de vent jetaient la senteur du goudron et des cargaisons, et les notes rauques des sirènes. Ses yeux s'étaient ouverts sur les bassins aux mâtures nombreuses, les écluses, les embarcadères et leurs pilotis, les magasins d'épices rares et exotiques, les marins aux parlers rudes et divers, les allées et venues des débardeurs et des filles, les voiliers aux noms touchants et magnifiques et les petites gens du quartier. Tout enfant encore, Max Elskamp suivra ses parents dans une maison neuve, au boulevard Léopold, dans un quartier neuf, lui aussi, et patricie, comme on disait alors. Mais ce vaste et magnifique hôtel, où pourtant devait s'écouler sa vie, occupera moins sa pensée que le décor de ses premières années. Jeune garçon, il était invinciblement attiré par le port et y passait toutes ses heures de liberté.
Son père avait été banquier; artiste de goût, il menait son fils au Musée et lui montrait une admirable collection de primitifs. Sa mère, rêveuse et mystique, atteinte d'une maladie mystérieuse, lui apprenait à éviter de faire souffrir. C'est d'elle qu'il tint en horreur, qu'il gardera toute sa vie, de la force brutale, son attention aux choses les plus humbles, sa curiosité de leur sens caché, et une sensibilité très subtile et très discrète, une sensibilité de solitaire. Max Elskamp doit à son père le sens de la beauté des images, de la ligne et de la couleur, et une dignité de grand seigneur timide. L'hérédité nordique, du côté paternel, s'alliait en lui à l'hérédité française et wallonne que lui avait transmise sa mère. Les vacances d'été dans la campagne wallonne au sein d'une famille joyeuse alternaient pour lui avec le séjour rêveur et solitaire, près du grand port flamand.
Elskamp fit quelques voyages. Il connut le métier des marins et des bateliers. Il s'intéressa à tous les anciens artisanats aux traditions séculaires. Le nom des objets et des outils, leur forme parfaite par l'usage, les gestes et les tableaux et les chansons de l'humble vie populaire, il recueillit tout dans sa mémoire et dans son coeur. Il reçut ainsi la leçon de l'apparence et de la vie profonde des choses, et l'intuition prolongeait l'étude.
Comme tant de fils de famille riche, à l'époque, il fit des études de droit. Mais il ne s'intéressa guère au barreau et le quitta après très peu de temps. Il éprouva un grand et pur amour pour une jeune fille qu'un autre épousa et emmena en Egypte. Il ne se consola jamais de l'avoir perdue. Ce furent des années vraiment désolées. Il se rapprochera davantage de son père et ce fut entre eux une admirable amitié. Sa mère mourut, puis, tragiquement, sa soeur. Lorsqu'en 1911, son père mourut, il sembla qu'il n'avait plus qu'à songer à la mort. Lui-même était malade et croyait qu'il ne guérirait plus.
Il avait écrit des poèmes qui furent publiés d'abord en plaquettes et en livres de haut luxe. Il en surveillait attentivement la typographie. Il les agrémentait de gravures qu'il taillait dans le bois selon les modes des anciens imagiers. Ils furent réunis en un volume qui parut au Mercure de France en 1898, sous le titre de "La Louange de la Vie" (Brève présentation suivra) . Ce volume comprend "Dominical", Salutations dont d'angéliques", "En symbole vers l'apostolat", Six Chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre" (Texte intégral suivra). La même année parut encore un recueil: "Enluminures" (Brève présentationsuivra).
Le poète se tut alors. Il s'était épris de folklore et rassemblait d'importantes collections. Les instruments qui ont servi à étudier les astres ou à mesurer le temps l'intéressaient particulièrement: horloges, gnomons, sextants, astrolabes, etc. Il s'en procura de toutes provenances, fit à leur propos des calculs et des études. Il semblait s'être fait dans sa solitude une manière de quiétude: ce n'était peut-être qu'une forme du renoncement. Quelque chose d'obscur le détournait de la littérature. On put croire alors que l'oeuvre du poète était terminée. Il se livrait à des recherches de technique et de science.
Ce fut la guerre de 1914, et l'exode vers la Hollande des civils qui voulaient éviter les horreurs de l'occupation allemande. Max Elskamp s'en fut par les routes à Berg-op-Zoom. Il y mena la vie misérable des réfugiés en exil. Sa dépression morale fut extrême et sa faiblesse inquiétante. En 1915, Henry van de Velde (voir le très précieux hommage qu'il rendit au poète), son plus ancien et son plus fidèle ami, parvint à le décider à rentrer à Anvers. Max y retrouvera sa maison abandonnée et le silence qu'il aimait. Il reprit ses occupations coutumières. Il se remit à la recherche et à l'étude des témoins émouvants de la vie populaire. Les souvenirs, belles images, occupaient de leur douceur ou de leur peine ses insomnies. Il se remit à graver le bois et à écrire des poèmes. La guerre prit fin. Ses journées se suivaient dans leur régularité et leur monotonie: mêmes occupations, entretiens avec quelques intimes, promenades avec la même amie, son "Accoutumée", comme il disait.
Après la période de la prostration, du silence et de l'exil - c'est ainsi qu'il la désignait lui- même - vint une période de production intense, de 1920 à 1924. Un premier recueil: "Sous les tentes de l'exode" (1921) (Brève présentation suivra), nous apporte le témoignage d'une sensibilité émue par les événements. Puis ce furent les "Chansons désabusées" (Brève présentation suivra) et "Maya" (Brève présentation suivra), --- (Texte intégralsuivra) où revivaient ses souvenirs d'amour et les anciens thèmes de sa rêverie (1922). En 1923, les "Délectations moroses" nous rappellent ses hantises et sa longue peine. "La Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégralsuivra) évoque de la façon la plus émouvante ce qu'il a le plus profondément aimé: les siens et le vieux quartier de ses premières années. En 1923 encore, "Les Sept Notre-Dame des plus beaux Métiers", le plus bel album de ses oeuvres xylographiques. En 1924, les deux derniers recueils qui parurent sous son contrôle: "Aegri Somnia" (Brève présentationsuivra) et "Remembrances".
Mais la maladie était venue, l'affreuse maladie et des obsessions terribles. La cloison s'était rompue entre l'univers et la vie intérieure. On a parlé de démence, d'accès de fureur et d'heures de dépression. Le poète est mort le 10 décembre 1931.
Il laissait quelques recueils de poèmes inédits. On en a publié la partie la plus importante et sans doute la plus belle: "Les Fleurs vertes", "Les Joies blondes", deux recueils qui parurent en 1934. Mais d'autres recueils demeurent inédits, dont il faut convenir qu'ils présentent des répétitions, des incohérences ou des traces de défaillance.
Familier de toutes les images chrétiennes, Max Elskamp ne fut pas catholique. "Religion vague et invoulue, dit-il, car je ne crois pas." Mais s'il fuyait les dogmes, il était pourtant "l'être le plus religieux" (Jean de Bosschère nous l'assure). Sa piété pour les choses et pour les hommes simples qui révèlent, sans le savoir, par des signes, ce qu'il y a d'essentiel en eux, suit des routes pour ainsi dire franciscaines et le mène à la mystique populaire. Dans l'évocation des croyances et des rites, "résonne la hantise mystique". Sa curiosité et le besoin de pénétrer plus profondément dans la compréhension de l'être et de sa solitude le conduiront à une sorte de bouddhisme qui n'était pas le bouddhisme et où il alliait deux sensibilités, la flamande qu'il s'était formée dans la solitude, et la chinoise qu'il avait rêvée; mystique de douceur, de silence et de paix. Mais sa pensée ne put s'y arrêter. Il était obsédé par des spéculations dont on ne trouve l'expression que dans sa correspondance. Il poursuivait, dans son absolu, le mystère de l'Etre, de l'Unité, du Temps et de l'Eternité. Ses dernières années lui apportèrent une douloureuse féerie pleine de persécutions, qui n'étaient pas toutes imaginaires.
Il vivait au plus haut de sa vaste et belle demeure, remplie de curiosités et d'oeuvres d'art. La chambre qu'il habitait était, tour à tour, la cellule monastique d'un fervent lecteur de l'"Imitation de Jésus-Christ", et l'atelier d'un artiste féru de la scrupuleuse perfection de l'artisan des anciens métiers. Sorte de moine laïc, préoccupé d'astronomie et de pensées secrètes. De là-haut, comme d'une tour, dans sa rêverie, ses confusions et ses clartés, "il était l'homme le plus vivant d'Anvers,, il était l'âme même d'Anvers, son honneur et sa légende". Il fuyait le contact des négociants et des grands armateurs. Solitaire et comme regardant au plus profond de soi-même, c'était la ville en lui en tout ce qu'elle a de durable et de meilleur, dans les joies et les douleurs, dans les prières et les chansons du peuple.
Cette vie d'Anvers, il nous la lègue dans son oeuvre, comme il fait revivre le quartier où il passa son enfance. "La rue Saint-Paul où je suis né, rue de consulats, maritime, joignant l'Escaut. Notre maison se trouvait pour ainsi dire enclavée dans l'église Saint-Paul, et mon enfance s'est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée, chef-d'oeuvre d'un sacristain en délire, où l'on voyait, entre les barres de fer, Christ au tombeau et dans de grandes et terribles flammes rouges, brûler sans fin les âmes du Purgatoire. En août passaient chez nous les baleines, les géants des Ommegancks flamands; et les hivers, si près du fleuve, les nuits d'hiver surtout étaient affreuses et trop emplies de bruit du vent, des glaces et de la marée. . ." Toute la vie véritable de sa vieille ville flamande, nous la retrouvons partout dans ses livres, mêlée à sa pensée, et site de ses souvenirs, particulièrement dans sa "Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégral suivra) --- (Brève présentation suivra), où il nous a parlé de lui et des siens de la façon la plus émouvante.
Les premiers recueils de Max Elskamp, réunis dans "La louange de la vie" en 1898, nous le révèlent tel qu'il ne cessera d'être. Les thèmes de ses chants - il en parlait comme de l'"enfantin missel de notre Passion selon la vie" - s'ordonnent en suites régulièrement organisées. Déjà sa manière est fixée. Elle peut sembler d'un ton si préconçu qu'on a voulu y déceler de l'artifice. Il s'était choisi un style très consciemment personnel. Evitant à la fois les épanchements et l'accent "pleurard", comme il disait, il était parvenu à ralentir le débit et à concentrer les images. Il ne tarda pas à s'aperçevoir que ce ton et son rythme correspondaient à ceux des anciennes chansons flamandes Sa langue, une langue bien personnelle, faite d'ellipses et de tours syntaxiques inusités, création unique dans nos lettres, donnait l'impression d'archaïsme et s'adaptait merveilleusement à la nature de son inspiration. On a dit qu'il avait emprunté aux symbolistes, à Verlaine et à Mallarmé. Mais il suffit de lire une seule de ses strophes, un de ses couplets, pour découvrir ce que sa manière et son rythme ont de personnel. La langue des symbolistes, qui, chez d'autres, paraît une affectation et une préciosité vaines, est, chez lui, non un balbutiement ni un ornement, mais la forme même de la sensibilité. "Langue prodigieuse, dit Jean Cassou, faite d'appositions, de participes adjectivés, d'ablatifs absolus, de substantifs sans articles, langage tout naturellement synthétique, c'est-à-dire en contradiction complète avec le génie français, mais qui impose à notre raison sa densité paradoxale, son chant en sourdine, ses basses tenues, sa douce et lente marche d'orgue. Il ne s'agit point ici de disposer un discours, mais de juxtaposer en les retenant gauchement, par le moyen le plus immédiat, des images modestes et touchantes." Max Elskamp, craignait qu'on lui en fût grief; il disait, dans un moment de découragement: "J'écris trop au Nord". Et il marquait par là ce qu'il y a d'étrange dans sa manière, et aussi d'archaïque, souvenir des vieilles chansons populaires. Rien ne pouvait mieux convenir qu'elle à une pensée qui n'a rien d'actuel et dont on peut dire qu'elle vit hors du temps, dans un décor que les âges passés lui ont transmis.
Gens des vieux métiers et des corporations, dans des ruelles de béguinage, que longent derrière leur murs clos des jardins bien ordonnés. Joie quotidienne et gestes réguliers. Heures prévues comme à l'office et dont chacune a sa couleur et son objet. Saisons alternées. Passages des barques et lumières des jardins, prières devant chaque Madone, au coin des rues. Telles sont les visions du poète. Mais dans ces visions qu'il transcrit en bon imagier qui connaît les choses, sans déformer leur réalité, se trouve une réalité seconde, "celle du rêve et de l'absolu". De la réalité familière toujours vivante, il s'évade dans un monde à son image, mais où les choses cachées ont une vie claire, un monde où tout est de l'âme, où tout chante des paroles humaines, très simples et très chargées. Flandre est parée de ses plus belles saisons, de ses plus belles couleurs. Les anges et la Vierge y vivent, comme ils vivaient voisins des bonnes gens de jadis. Le paysage est un signe, un miroir intérieur où se reflète le coeur du poète. Il semble s'en tenir à ce qu'il voit; mais l'attention de son coeur - sa tendresse - est si grande que tout s'en trouve magnifié. Humblement, il nous propose ses "Enluminures", comme s'il copiait les apparences. Or, mystiquement, ce sont des présences qu'il évoque devant nous, par la force de son amour. Mystique, sans doute il l'est, bien qu'il n'adhère à aucune croyance. Mais il a l'amour de cette évidence qu'est pour lui la vision. C'est une foi encore, personnelle et secrète et qui le remplira de plus en plus de souffrance que de joie. Il souffre amèrement de souvenirs anciens. Il souffre aussi d'une douloureuse peine métaphysique. Mais il souffre seul, lui, le doux qui a horreur de la force, le pacifique qui craint de blesser les fleurs ou les objets, le disciple de l'Ecclésiaste qui mesure la vanité des choses et de nos souffrances mêmes, et qui n'arrive pas à se résigner, lui le bouddhiste pour qui toute vie est sacrée. Ses peines et ses pensées sont encloses dans ses belles images, avec une tendre discrétions.
Les chansons se succèdent évoquant tous les aspects d'une pensée qui se replie sur les images familières et sur les anciennes affections. Ce seront encore les "Chansons désabusées", "Maya", "Aegir somnia", "Les Délectations moroses". Mais depuis l'exil et "Les Tentes de l'Exode", il y a dans plus d'un poème quelque chose de moins indirect. Le lien demeure entre les faits particuliers de la vie et le chant qui en procède. L'aveu est plus nettement circonstancié. L'oeuvre en conserve quelque chose de tremblant et de plus fiévreux. Un accent nouveau se mêle à l'ancienne diction. Ce sont toujours des chansons "d'une perfection villonesque". Le tour populaire et la fraîcheur n'en sont pas feints, - car le poète est toute sincérité. Mais ce ne sont plus seulement ces petits airs comme on s'en chante pour bercer, pour calmer sa peine d'être un homme. Le poète est toujours possédé par sa volonté d'art. Son style et sa langue, comme ses rythmes familiers, lui sont si habituels que, souvent, le vers s'assouplit, se précipite. La pensée profonde qui "accompagne presque tous ses chants", les déborde constamment. La douleur, celle de la dureté de sa vie comme celle des souvenirs qui le harcèlent, lui est insupportable. Le destin est trop lours pour qu'on l'accepte sans percevoir l'effort. Il est altéré de perfection, et il n'y a plus de commune mesure entre la pensée, toute métaphysique, et les chansons. Le rêve même est trop pénible. Et celui qui avait prêché la paix et la joie et l'amour, défaille. Il lui arrive d'essayer de se distraire en décrivant des objets ou des estampes. Ses poèmes "ne sont jamais des peintures futiles". (Jean de Bosschère nous le signale utilement). Ces poèmes sont "des signes". Max Elskamp semble se hâter de tout dire pour pouvoir enfin se taire lorsqu'il éprouvera le besoin de crier sa plainte. Cette discrétion est bien aussi d'un homme de chez nous. Il peut se faire que nous l'ignorions, car il n'est pas fréquent que ces poètes profonds et renfermés écrivent ou parlent: contemplatifs, leur poésie est en eux et on a de la peine à la deviner, car elle se nourrit de solitude et de silence.
D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau
Et voir encore ici: Max Elskamp et le presse privée en Belgique (documents issus de ma collection privée)
VENTZISLAV DIKOV : VOYAGE INITIATIQUE ENTRE L’ORDRE ET LE CHAOS
Du 03-09 au 26-09-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken 83, 1000 Bruxelles) vous présente l’œuvre du peintre bulgare, Monsieur VENTZINSLAV DIKOV, intitulée : L’ORDRE ET LE CHAOS.
Il y a chez VENTZISLAV DIKOV un besoin vital d’exprimer le sujet à travers une relation amoureuse et harmonieuse avec la forme. Dans le cas de cet artiste, la forme revêt surtout la figure humaine, essentiellement exprimée par la tête dont la particularité est de n’appartenir à aucun genre déterminé. Cette tête, séparée du corps, devient l’essentiel de la toile, en ce sens qu’elle occupe la totalité du cadre. Mise en relief par un monochromatisme spécifique constitué de couleurs tendres (voire volontairement ternes, précisément pour accentuer cette mise en relief), qu’elle soit campée de face ou de profil, la tête confère l’autonomie essentielle au sujet, en tant qu’identité de sa propre nature. Sa conception varie entre stylisation (visages ovales en élongation) et renflement du volume. Sont-ce encore des visages ou sommes-nous dans l’univers du masque, voire à certains moments, du totem?
BE YOURSELF/RESTE COMME TU ES (120 x 100 cm-huile sur toile)
Nous sommes face à une série de visages, apparemment disparates, puisqu’ils varient entre postures de face et postures de profil. La « direction » du visage est assurée par le regard, lequel fixe pour la plupart des cas, le visiteur. Ceux de profil, ont presque tous les yeux clos. Un prognathisme affirmé confère à l’œuvre l’identité voulue, soulignée par la linéarité du trait. Les expressions en profil, témoignent excellemment de l’efficacité du trait. Le visage, situé à l’extrême gauche, vers le bas, offre une conception se distinguant du reste par ses traits massifs que le nez fin, servant de ligne médiane, la petite bouche, les yeux et les sourcils, mettent en exergue. Des graffitis s’inscrivent sur un espace libre (en haut à droite) rappelant le « street art ». Remarquons qu’on les retrouve également sur le visage massif dont nous venons de parler.
NO ORDINARY LOVE/UN AMOUR EXCEPTIONNEL (150 x 130 cm- huile sur toile)
Sont-ce encore des formes humaines? Ces deux visages antithétiques, de par leur dimension massive, semblent s’affronter au centre d’une arène monochromatique, laquelle diffère peu du chromatisme appliqué aux personnages (constitué de notes bleues, jaunes et gris-clair).
Une fois encore, c’est la force du trait, discrètement souligné à restituer la matérialité aux deux figures formant le couple.
THE BIRTH OF CONSCIOUSNESS/LA NAISSANCE DE LA CONSCIENCE (100 x 100 cm-huile sur toile)
Une fois n’est pas coutume, au lieu d’aborder, in primis, le sujet central de la toile, concentrons-nous sur l’arrière-plan. Il témoigne de l’ambivalence à évoluer simultanément sur le plan figuratif et abstrait, ressentie par l’artiste. Cet arrière-plan est construit sur des éléments filiformes, à la charnière entre la végétation luxuriante et la forme abstraite, totalement inconnue. Concernant le sujet central, la tête, de profil possède l’ensemble des signes inhérents aux autres profils : prognathisme affirmé, yeux clos et bouche fermée. L’ensemble est orchestré par un trait, à la fois fin et incisif. La couleur du visage est le blanc, agrémenté de touches bleues et jaune-clair, ne contrastant nullement avec le blanc initial, pour ne pas altérer la spécificité psychologique du sujet. Remarquons qu’une seule oreille du personnage n’est que vaguement esquissée.
A CHILD IN EVERYONE/L’ENFANT EN CHACUN DE NOUS (70 x 60 cm-huile sur toile)
De tous les visages exposés, celui-ci demeure le plus fascinant car il laisse le visiteur pantois par tant de mystère discrètement suggéré. Mais avant tout, il est impossible de ne pas se poser une question : y a-t-il une volonté de « portrait » dans cette œuvre? Même symbolique ou simplement imaginaire, la notion de « portrait » se signale (bien avant toute ressemblance physique) par l’intensité du regard, lequel fixe pour ne pas dire « scrute » le visiteur. Il y a comme un aimant établissant la dynamique du contact. De plus, à la différence avec les figures humaines exposées, le visage du personnage est extrêmement soigné. Sa barbe est courte et fine ainsi que sa chevelure. Les sourcils sont tout autant fins et soignés. Pour assurer une parfaite stabilité spatiale à l‘intérieur de la toile, les oreilles du personnage (pour qu’elles ne débordent pas le cadre stricte du visage) sont à peine esquissées, dégageant ainsi le volume de la face dans toute son amplitude. Son cou, gracile, débute à partir de la base du tableau. Servant de socle, il permet au visage de s’affirmer en élongation. Ce dernier ne recouvre pas la totalité de l’espace. De couleur uniforme (un mélange de noir et de brun), il contraste avec la vivacité de la couleur des chairs, animant ainsi le portrait. Le visiteur est surpris par un autre élément, à savoir la dimension « iconique » du personnage, centrée à la fois sur la vivacité chromatique des chairs du visage ainsi que par l’intensité (presque magico-religieuse) du regard. L’artiste a commencé ce tableau sans penser précisément à un autoportrait, sans barbe.
Ensuite, il l’a ajoutée, ce qui créé une ressemblance physique avec l’artiste. A’ ses dires, le sujet est à la fois lui et un autre, surtout si l’on tient compte des chairs lumineuses du visage qui sont celles d’un enfant (cfr. Le titre). Il a débuté la composition par le visage (en tant que structure de l’édifice facial sur laquelle repose l’ensemble des attributs), pour enchaîner ensuite par le nez, les yeux et la bouche. Les animaux surplombant le crâne, sont des créatures largement hybrides, allant vers le chien, le zèbre-girafe ainsi que deux autres espèces totalement inconnues.
CHAOS AND ORDER (116 x 81 cm-huile sur toile)
Cette œuvre est un hommage à René Magritte. Elle sanctionne également le passage entre deux états d’âme vécus par l’artiste : un état de désordre dû à une mauvaise expérience amoureuse qui l’a laissé dans un état de confusion et de questionnements humains et artistiques. Et un état d’ordre où il retrouve ses moyens. La pipe de Magritte se trouve dans l’ « ordre ». « Elle est clean » comme le dit l’artiste. Celle qu’il a conçue est de facture personnelle. Tout cela s’exprime par un passage allant du surréalisme magrittien qu’il aime moyennement, à l’état d’abstraction, concrétisé par l’arrière-plan dans lequel l’artiste se retrouve. Il exprime ainsi un certain malaise par rapport à Magritte dans les proportions de la pipe, lesquelles ne sont pas rigoureusement respectées, en y apportant de sérieuses modifications. Commençons par la couleur de la pipe chez Magritte : elle est brune sur toute la chambre et noire sur l’entière superficie du tuyau. Elle est séparée, en son milieu par le sempiternel raccord doré, séparant les deux parties de l’objet. Le chromatisme de l’arrière-plan diffère peu de celui de la pipe. Le haut de l’objet confine avec la partie haute de la toile. La pipe de VENTZISLAV DIKOV, elle, même si elle réside dans la sphère de l’image, demeure par son chromatisme jaune vif, « immatérielle », par comparaison à celle de Magritte. Spatialement, par rapport à la toile, la pipe de l’artiste est plus décentrée que celle du peintre surréaliste, laquelle demeure ancrée dans sa rectitude. A’ la différence de celle de l’artiste, la pipe de Magritte se termine par une lentille. L’arrière-plan de la composition de VENTZISLAV DIKOV, de par sa couleur bleu de fond, agrémenté par un mélange de tracés blancs filandreux, confinant vers une calligraphie inconnue, « vibre » autour de la pipe, l’entraînant dans une dimension carrément « transcendantale ». Ces mêmes tracés blancs filandreux peints en élongation devant la chambre de la pipe, rappellent néanmoins, l’idée de la fumée s’échappant de celle-ci, la ramenant (par l’anecdote) à son usage premier. Le titre de cette toile, oppose l’ordre au chaos. Nous sommes confrontés à la dialectique même de l’œuvre de l’artiste, en ce sens qu’elle traduit son intérêt premier pour le chamanisme. En associant la personne de l’artiste avec celle du chamane, il s’efforce à établir un équilibre entre le connu et l’inconnu, en assumant, à l’instar du chamane, le passage entre ces deux territoires sacrés. En passant d’une dimension à une autre, il cherche à trouver des réponses à ses territoires personnels. En associant le chamane au créateur, il renoue avec le rôle mythique du musagète, alliant sens et images dans une immédiate perception.
CECI N'EST PAS UNE PIPE (René Magritte - 1929)
LEMONS/CITRONS (81 x 65 cm-huile sur toile)
Si, concernant la figure humaine, le visage n’exprimait que rarement son appartenance à un genre, cette œuvre, la dernière en date de l’artiste, aborde clairement la figure humaine sous les traits assurément féminins. Si, jusqu’à présent, la figure humaine se réduisait à des têtes, cette figure de femme se révèle être acéphale et ne se réduit qu’au corps. Avouons que le contraste est saisissant, en ce sens que, après nous avoir offert des visages épanouis aux chairs claires et vives, l’artiste décide de ne nous montrer qu’un corps filiforme et décharné. Notons, néanmoins, que pour la première fois dans cette exposition, la Femme (même lugubre et maladive) est mise à l’honneur. Son image alterne sur deux plans : un espace blanc à gauche, montrant un long corps féminin sans tête, conçu de face. Un espace noir, proposant la même femme décapitée, cette fois de profil, à droite.
Mais, que diable me direz-vous, viennent faire les deux citrons, figurant en plein milieu de la toile? L’artiste les a peints de façon subconsciente. Ce n’est qu’après les avoir peints qu’il s’est aperçu de leur présence, d’où le titre du tableau. Dès lors, est-ce encore la femme le sujet central ou sont-ce les citrons? Si, comme l’admet l’artiste, celui-ci n’accorde qu’une importance toute relative aux titres, les citrons sont, par conséquent le sujet central de l’œuvre. Néanmoins, la femme est bel et bien présente et les citrons ne semblent qu’accessoires!
Cela n’est absolument pas étonnant, étant donné que pour le peintre, un titre à la complexité extrême limiterait la liberté du visiteur dans son ressenti. Mais, comme on n’aime généralement pas les œuvres sans titres, il se place un peu, selon ses dires, « entre les deux ». Il affirme, néanmoins, que mettre un titre, constitue d’emblée, une démarche déjà très intellectuelle, par conséquent, limitative.
Cette exposition est le résultat d’une errance personnelle. L’ORDRE ET LE CHAOS est la conjonction entre l‘épidémie du Covid-19 avec le chaos sentimental personnel qui déchirait l’artiste, tout en lui imposant une réflexion sur la place de la Femme, à la fois, dans le Monde et dans sa vie. Cela a exacerbé en lui le sentiment d’appartenance, en tant qu’artiste, dans le Monde ainsi que sa responsabilité face à son œuvre.
Sa vision mystique du chamanisme, lui a permis d’entrer en phase avec son subconscient dans la conception de sa peinture. Son amour pour le visage humain lui est venu après qu’il se soit confronté au bestiaire (il est également un excellent peintre animalier). Il considère d’ailleurs le visage humain comme une fenêtre ouverte sur le Monde. Et cette fenêtre s’avère être l’état de désinhibition succédant à celui d’introversion, se rapportant à son propre chaos. L’importance qu’il accorde au trait est due au fait qu’il a beaucoup dessiné dès son enfance, à un point tel qu’il exécute des esquisses avant de s’attaquer à la toile. Il en a d’ailleurs des carnets, cultivant derechef, la troisième dimension. A’ la question : « où vous situez-vous entre l’écriture abstraite et figurative? », l’artiste répond : « entre les deux ». Il précise, à ce propos, qu’il n’y a pas selon lui, d’art « figuratif » car ce qui importe, ce sont les couleurs et les formes.
VENTZISLAV DIKOV, qui est guitariste classique de formation, s’avère être parfaitement autodidacte en matière de peinture. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il pratique également la sculpture. Sa technique est basée sur l’huile. Il travaille la peinture comme un dessin. Il se sert également du couteau, des spatules et des brosses pour lisser parfaitement la matière.
Ses influences sont, pour le moins, inattendues, en ce sens que la lecture d’un ouvrage tel que DIALOGUE AVEC GIOCOMETTI de Yanaihara Isaku (1955) sur le processus de création chez Alberto Giacometti, peintre et non plus éternellement sculpteur, comme on l’a désormais décrété, ont accéléré son évolution en tant qu’artiste. Une autre source d’influence est constituée par les musées qu’il a visités au cours de ses voyages.
VENTZISLAV DIKOV nous raconte son imaginaire à travers un long livre de fables qui se perdent dans la nuit de l’Inconscient, à l’intérieur duquel, le visiteur-chamane traverse les régions sacrées de ses propres rêves.
Signature de l'artiste. Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
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Robert Paul, éditeur responsable
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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
L'artiste VENTZISLAV DIKOV et François L. Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Photos de l'exposition de VENTZISLAV DIKOV à l'ESPACE ART GALLERY
LE NOIR, ARGILE DE LA VIE : L’ŒUVRE DE JEAN-PIERRE CRANINX
Du 03-09 au 26-09-09-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken, 83, 1000 Bruxelles) vous présente une exposition du peintre belge JEAN-PIERRE CRANINX, intitulée : BLACK AND LIGHT.
Force est de constater que depuis 1979, les matières noires de PIERRE SOULAGES ont engendré des germinations de peintres obsédés par « l’outrenoir », en tant qu’idiome pictural et mystique. JEAN-PIERRE CRANINX est de ceux-là. S’inscrivant dans les pas de Soulages, tout en restant lui-même, il interroge le NOIR en tant que note chromatique et la retransforme, en lui conférant les pouvoirs de la révélation et de l’effacement du sujet. Et nous nous remémorons la phrase biblique magique : « Que la Lumière soit et la Lumière fut! » Il s’agit, en réalité, de l’avènement d’une rencontre dynamique, sans laquelle le mouvement n’a pas lieu. Par « mouvement », nous entendons la mise en création de la forme dans son mouvement, c'est-à-dire de son existence amorcée. L’artiste nous invite à la capter.
Nous avons, avec l’œuvre exposée, l’exemple même d’une peinture « hybride », en ce sens qu’à l’intérieur d’un même cadre, une myriade de tonalités dérivant du traitement de la couleur noire, se révèlent en un ensemble de variations tonales. Outre cela, l’intérieur du cadre, témoigne d’une belle dextérité sculpturale, car on y trouve des pistes arpentables, des rébus et des losanges en brillance. Le peintre révèle aussi des formes rappelant la silhouette humaine flottant dans l’air. Il y a, également, de matière rocheuse accrochée au cadre. Tout ce qui permet au tableau de vibrer. Mais par-dessus tout, il y a l’éternel retour de l’obscurité et de la lumière, comme fondement à la dynamique du mouvement. Spécifions, d’emblée, qu’à son grand étonnement, le visiteur ne trouvera jamais aucun titre accompagnant les œuvres. Un titre, serait selon le peintre, un moyen trop facile d’orienter le public dans une interprétation. Observons également qu’à une seule exception, nous trouverons une œuvre peinte sur toile, car d’habitude, elles sont réalisées sur une feuille en peuplier de cinq ou six millimètres d’épaisseur.
Son œuvre se définit, globalement, en deux temps : le temps des tableaux « sculptés » et le temps de tableaux « lisses ».
ŒUVRES « SCULPTEES »
(100 X 70 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : enduit, acrylique, époxy)
Est-ce l’étalement d’une onde, émergeant du centre sur le magnétisme de l’espace en expansion? A’ partir du Noir primordial (le centre), se développent une série d’ondes, en spirale, comme à partir du choc entre la pierre lancée et l’eau dormante. A’ partir de ce point noir, se construit toute une variation de clairs-obscurs, en étalement que seules les dimensions du cadre limitent dans l’espace mais que le visiteur poursuit par le biais de son imaginaire. Ce premier exemple permet, d’emblée, de comprendre la dialectique de l’artiste concernant le NOIR, conçu cette fois-ci, en tant que « non couleur », en ce sens qu’il n’existe que pour la retenir sans la restituer. Techniquement, ce type de noir, a été réalisé par des pigments à base de nanotubes de carbone, conçus pour capter l’impact de la lumière. Des reliefs, créant des ombres, ornent le centre pour accentuer, selon l’artiste, une impression de néant. Et c’est à partir de ce « néant » que s’étalent ces magnifiques variations créées sur base d’un NOIR dans une myriade de différences, révélant désormais une lumière libérée. Précisons que ce tableau est cette exception, évoquée plus haut, concernant l’unique œuvre réalisée sur feuille de peuplier de cinq ou six millimètres d’épaisseur.
(100 X 100 cm-châssis entoilé -technique mixte : acrylique, époxy)
Un véritable travail d’orfèvre structure cette toile finement ciselée. De dérivation cubiste, cette œuvre est un jeu de polygones, en losanges, de tailles diverses, destinés à capter et à expulser la lumière après l’avoir absorbée. Cet amour-rejet, à la fois physique te mystique, ne s’articule que par la différence tonale des noirs. Ces formes, à la fois concaves et convexes, assument simultanément, le maintien et l’expulsion de la lumière.
(120 X 120 CM-panneau bois sur châssis bois technique mixte : pâte papier, enduit, acrylique, époxy)
Parmi ces « tableaux sculptures », celui-ci révèle totalement sa matérialité presque cyclopéenne par deux pièces en papier mâché, posées sur le cadre, traitées de sorte à rappeler l’élément rocheux. L’ajout de reliefs a pour but de capturer la lumière. La surface lisse (particulièrement dans le bas de la pièce ainsi que les trouées laissant s’échapper la lumière) a été réalisée à base de coulées d’époxy, une matière liquide qui ne se peint pas et ne peut qu’être coulée, tout en étant contenue dans des formes.
Le fond est réalisé en ultra mât, de sorte à ne pas réfléchir la lumière et garder l’atmosphère d’un espace inquiétant.
ŒUVRES « LISSES »
(100 X 70 cm panneau bois sur châssis bois-technique : acrylique, époxy, vernis polyester)
L’objet (lequel peut être également considéré comme sujet) de cette œuvre est, essentiellement, cette série de stries descendantes, en demi-spirales, vers la base du tableau. Le but répond au besoin, carrément élémentaire chez l’artiste, de graver une empreinte lumineuse sur le NOIR. Et c’est toute l’œuvre qui brille!
(120 X 80 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : acrylique, époxy)
Le même discours soutient cette pièce, cette fois-ci, dans une argumentation plus complexe, accentuée par cette coulée d’époxy, coulant de haut en bas, à partir de la gauche et scindant le tableau sur toute sa longueur.
Ces deux œuvres se répondent simultanément, en ce sens qu’elles remontent dans le temps. Celui de l’histoire de l’Art. Remarquons, d’emblée, que l’artiste ne cultive pas exclusivement le NOIR. Il aime à les comparer à d’autres couleurs, telles que le rouge et le jaune dont il faut parler pour percevoir sa démarche.
(100 X 70 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : acrylique, époxy, vernis)
Dans un carré central d’importance supérieure, partent en gravitation, une série de quadrilatères de dimensions spatiales différentes. Ceux-ci s’opposent, non seulement dans la forme mais aussi dans leur matière, imposant leur brillance. De même que dans l’œuvre suivante (le polyptique), l’artiste se base et respecte l’esthétique rigoriste du peintre néerlandais PIET MONDRIAN (1872-1944). Ce dernier, mû par l’éthique du groupe De Stijl (le Style), à savoir l’utilisation des formes et des couleurs pures, considère les formes comme étant la concrétisation des mathématiques (exprimées par la géométrie), associées aux couleurs considérées pures, étant représentées par le rouge, le bleu et le jaune, devant correspondre à un ordre mathématique et social, dicté par l’art.
Ces couleurs « pures » étant en opposition avec les couleurs noir, blanc et gris (mélange de blanc et de noir), considérés comme des « non couleurs ». Le but recherché par De Stijl était celui de l’harmonie à la fois humaine et politique.
'150 X 150 cm-9 petits tableaux sur châssis bois-technique mixte : acrylique, époxy, vernis)
Basé sur un polyptique de neuf couleurs associées, celles-ci répondent, comme nous l’avons signalé, aux exigences de peintre Mondrian, en ce qui concerne les couleurs jaune et rouge ainsi que par la disposition des carrés, l’un par rapport à l’autre (la géométrie étant dérivée des mathématiques, dans le but d’assurer l’équilibre de l’ensemble – artistique et social). Cette œuvre polychromée a pris deux ans à l’artiste pour être réalisée. Trois types de NOIR ont été utilisés : le très brillant, le scintillant (en surface) et le très mât, en guise d’absorbant.
Le jaune et le rouge assurent l’esthétique philosophique de « De Stijl » à l’intérieur de la composition du polyptique.
(100 X 70 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : acrylique, enduit minéral, époxy)
Nous évoquions, plus haut, des formes de silhouettes et des rébus. Cette œuvre est un mélange de plusieurs procédés graphiques : le cadre central (scindé en sa hauteur), semble présenter des silhouettes découpées en contre-jour. Tandis que le carré du haut, sur la gauche, fait penser à une sorte de jeu de piste. Cette œuvre est une suite de cadres enchâssés d’un dans l’autre, témoignant d’une rare force dynamique, dans la réalisation du mouvement, assuré par l’intense traitement de la matière, à la fois lisse et rugueuse.
(120 X 120 cm-panneau sur bois-technique mixte : enduit, acrylique, époxy)
Cette œuvre, aux cadres striés, permets à la lumière de réfléchir. En ce déplaçant, les motifs se modifient. Cela est dû au fait que les stries, réalisées avec de la matière épaisse, vont dans tous les sens.
JEAN-PIERRE CRANINX est un peintre pour qui la matière compte énormément puisqu’il se définit comme « artiste du relief et de la matière à traiter ». Il utilise une technique mixte (époxy, acrylique, matières minérales, pigments…). Il a fréquenté les Beaux Arts, en obtenant un Master en Arts Plastiques Visuels. Il enseigne d’ailleurs l’Orientation en Design à Liège.
Il a, également, donné des cours de Design à Valenciennes (France). Observons qu’à l’instar des peintres de la Renaissance, il signe ses tableaux d’un monogramme, afin que la signature n’accapare qu’un minimum d’espace sur la toile. Le titre de l’exposition est, de par sa nature, fort explicite. Il nous évite de tomber dans la bipolarité : blanc/noir, noir/blanc. Le titre étant BLACK AND LIGHT et non pas BLACK AND WHITE. Par ce choix, l’artiste transcende la barrière chromatique pour atteindre l’essence même des choses.
Soulages a, comme nous l’avons spécifié plus haut, donné le stimulus à l’artiste d’entrer dans l’art et s’intéresser ainsi, comme beaucoup de peintres, à cette obsédante couleur noire. Il s’en est imprégné en assistant à plusieurs expositions consacrées au créateur de « l’outrenoir ». L’artiste s’en distingue, toutefois, par le rejet de son style qu’il juge trop « minimaliste », lequel n’utilise que deux tonalités de la couleur noire. Il rejoint, néanmoins, Soulages dans l’idée que, symboliquement, le NOIR n’est pas une couleur « négative ». JEAN-PIERRE CRANINX nous faisait remarquer que déjà, à l’Antiquité Classique et Proche-Orientale, les Egyptiens vénéraient la couleur noire car elle était apparentée au limon, lors des crues du Nil. Ce qui assurait la fertilité du sol, par conséquent la stabilité politique, religieuse et économique du pays. L’artiste, habitant La Hesbaye (région de Belgique, elle-même riche en limon noir), s’est littéralement senti attiré par cette terre noire, comme fasciné par cette argile de vie. A’ l’instar de Soulages, il considère le NOIR comme une couleur pouvant passer de vie à un trépas symbolique, selon la volonté de l’artiste, en ce sens que « couleur et non couleur », ne dépendent que du traitement chromatique qu’on lui accorde. En référence à la sentence biblique, à savoir « Que la Lumière soit et le Lumière fut », le jet lumineux apporté par le peintre est au commencement de tout. En dernière analyse, le NOIR à l’instar des autres couleurs ne vit que par la peinture.
(Le monogramme de JEAN-PIERRE CRANINX)
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
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Robert Paul, éditeur responsable
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Photos de l'exposition de JEAN-PIERRE CRANINX à l'ESPACE ART GALLERY
VOYAGE AU CENTRE DE LA PARÉIDOLIE : L’ŒUVRE DE JOËL JABBOUR
Du 08-10 au 31-10-21, l’ESPACE ART GALLERY a plaisir de vous inviter à une exposition consacrée au photographe belge, Monsieur JOËL JABBOUR, intitulée : ART DÉCO ET ART DÉCALÉ.
JOËL JABBOUR, répondant à sa précédente exposition de septembre 2019, intitulée : FRESQUES ET FRASQUES, renoue avec sa thématique initiale, à savoir l’architecture revue (et corrigée!) par l’objectif de sa caméra (celle de son gsm!). Les édifices recréés témoignent d’une variation sur le grand angle, en ce sens qu’elles sont sujettes à de distorsions rarement atteintes dans le résultat obtenu. Si, dans l’exposition précédente, la parole était à la fantaisie, l’exposition actuelle redouble d’intensité imaginative. Le discours esthétique demeure le même, néanmoins, l’on remarque un renouvellement esthétique dans l’élaboration plastique du sujet. Celui-ci virevolte et se démultiplie jusqu’à se perdre dans un lointain que l’œil ne perçoit plus. Le discours photographique de l’artiste se développe globalement sur deux temps. Ces deux temps sont matérialisés par deux clichés superposés. A’ partir d’un thème central, l’artiste le développe en deux moments distincts.
- un cliché laissant le visiteur deviner de quel édifice il s’agit.
- un cliché du même édifice complètement transformé.
Si les deux clichés témoignent de sa vive fantaisie, chacun d’eux se distingue de l’autre par une dilatation de la forme à l’intérieur de l’espace, jusqu’à ce que celle-ci devienne tentaculaire dans ses distorsions.
ATOMIUM (60 x 40 cm)
Ce cliché explicite parfaitement cette définition stylistique. Le cliché inférieur nous offre une vision volontairement confuse de l’édifice. L’ATOMIUM est représenté dilaté, à l’horizontale, « masqué » par des fragments vaporeux, à l’instar de nuages. Ceux-ci se trouvant devant les boules de l’édifice, sont formés à partir de jets d’eau de la fontaine placée devant le monument, donnent l’image d’une constellation atomisée. La construction s’inscrit sur le fond bleu du ciel. Ce qui contribue à son identification parfaite. Le cliché supérieur, est lui, l’objet d’une distorsion conçue à outrance. Cette distorsion est techniquement obtenue en bougeant frénétiquement le gsm, afin de rendre le rendu photographique flou et donner ainsi l’impression visuelle que les boules de l’édifice sont flasques.
La gestion de l’espace n’est plus la même. Si l’édifice du cliché inférieur occupe l’essentiel de l’image, se délinéant sur un fond bleu, le cliché supérieur présente, en réalité deux ATOMIUMS, réalisés sur deux extrémités du même espace. La composition se détache d’un arrière-plan blanc-opaque. L’artiste renoue également avec un autre thème envisagé lors de son exposition précédente, celui de l’élément végétal associé à l’appareil architectural. Le contraste entre le blanc de l’édifice et le vert de la végétation teinté de noir et de brun, offre un très bel effet chromatique.
HOTEL SOLVAY (60 x 40 cm)
Cette œuvre donne à l’artiste l’opportunité première de recréer l’architecture filmée selon sa fantaisie et sensibilité. Nous assistons ici à une transformation de la forme. A’ partir d’une façade appartenant à « l’Art nouveau », l’artiste, profitant de la dimension torsadée des balcons en fer forgé, fait de cette façade une œuvre digne de l’architecte Antoni Gaudi. Pensons à certains aspects plastiques de la SAGRADA FAMILIA (Barcelone) et la comparaison sautera aux yeux.
L’art de JOËL JABBOUR se révèle être, avant tout, un discours critique. Cela se vérifie avec CONSILIUM (60 x 40 cm) Cette œuvre prend pour mire les institutions européennes. Le côté humoristique est, néanmoins, tempéré par une certaine déception concernant l’accueil qu’il a reçu auprès de celles-ci, à propos de ses clichés, lesquels ne furent pas, selon l’artiste, appréciés à leur juste valeur. Le côté, aussi ironique que bon enfant, contrastant avec la dimension politique et architecturale imposante de l’édifice, s’affirme dans les moustaches grotesques que l’artiste a posées sur ce qui ressemble à un visage.
PARLEMENT EUROPÉEN (60 x 40 cm)
De par sa riche végétation, cette photographie fait écho à l’œuvre du photographe qui dans son désir de totalité, assemble l’élément végétal au béton.
BRUXELLES-JUSTICE (60 x 40 cm)
Ces deux photographies participent également de ce même discours. Le cliché de gauche met en scène l’appareil judiciaire recouvert d’échafaudages, qu’il faut considérer comme des béquilles pour soutenir l’institution. Le cliché de droite insiste sur la petitesse de l’individu, écrasé par l’appareil judiciaire.
FLAGEY (60 x 40 cm)
L'édifice devient un ensemble de spirales virevoltant dans un circuit d’entrelacs vertigineux, sur lesquels l’on peut encore distinguer quelques attributs (tels que le nom du bâtiment) attestant de son identité et de sa fonction. L’édifice est, pour ainsi dire, « découpé » en fines lamelles qu’une myriade de torsions rend méconnaissable. A’ l’instar de œuvres précédentes, le ciel sert d’arrière-plan (cliché supérieur), ce qui unit le sujet à l’espace environnant.
DE FRÉ (60 x 40 cm)
Avec le traitement de l’Eglise Orthodoxe, située à l’Avenue De Fré (Uccle), l’artiste nous offre un moment de divertissement dans son interprétation de la façade. Si le cliché supérieur (la façade prise à l’horizontale) peut, dans sa partie inférieure, faire apparaître l’esquisse d’un regard, le cliché d’en bas, présenté dans une distorsion verticale, nous dévoile deux yeux cernés par des volutes (les fenêtres en œil de bœuf) avec, dans le bas de ce carré minuscule une fenêtre plus petite, évoquant l’image d’une bouche. Une fois encore, l’élément végétal se présente à l’avant-plan (cfr. le cliché supérieur) reléguant l’église conçue en blanc, au second plan. Le cliché inférieur nous offre un très beau contraste entre le gris de la bâtisse et le blanc de l’arrière-plan dans lequel elle s’inscrit. Dans notre article précédent consacré à l’artiste, nous insistions sur son passé de cinéaste.
BEAUX ARTS (60 x 40 cm)/HOTEL BEETHOVEN (60 x 40 cm)
Cela se perçoit dans cette vue, en plongée, prise dans la Salle Henri Leboeuf, aux Beaux Arts de Bruxelles, vide. Au fond de cette image, faisant penser aux prises de vues du cinéma fantastique et psychédélique des années ’60, gît le piano solitaire que le cadrage rend minuscule. Ces deux clichés sont symboliquement reliés par un dénominateur commun, à savoir la musique classique : la prise de vue supérieure représente une vision de la façade de l’Hôtel Beethoven, recréée sur des variations serpentines de courbes et d’entrelacs. Si nous employons le terme « vision », c’est parce que celui-ci nous ramène, par-delà la photographie, à la peinture dans une série de variations abstraites.
PORTE DE HALLE (60 x 40 cm)
Dans le précédent article concernant la première exposition de l’artiste à l’EAG, nous évoquions son côté « dadaïste ». A’ quoi peuvent bien faire penser ces « deux » caméras braquées sur le visiteur et reliées entre elles, à partir de deux axes en forme de « V » ? L’interprétation revient de droit au visiteur.
LA FORME EN « V » La forme en « V », même si on ne la perçoit pas toujours du premier coup d’œil, demeure le pivot de chacune de ses compositions.
Car elle souligne l’empreinte d’un rabattement interne, celui opéré par la superposition du côté droit sur le côté gauche de l’image. Dès lors, par ce rabattement interne, l’image se dédouble et chaque élément en est démultiplié. Par conséquent, les « deux » caméras scrutant jusqu’au tréfonds le visiteur, présentes dans PORTE DE HALLE (mentionné plus haut), n’est donc qu’un seul élément replié sur lui-même dont l’existence se définit dans sa dualité. Le cadrage de ce plan est d’une importance capitale. A’ partir de cette contre plongée, il ne peut être ni trop haut ni trop bas. Il est juste parfait pour que les yeux scrutant entrent en contact avec ceux du visiteur. Nous retrouvons là le talent du cinéaste évoqué plus haut. PORTE DE HALLE présentant, comme nous le constatons, cette forme en « V », celle-ci a été prise au zoom. Cette technique est selon l’artiste, la possibilité de raconter une histoire en une seule image.
Et, en s’immergeant dans l’univers de MONNAIE (60 x 40 cm), l’on s’aperçoit que l’utilisation du zoom démultiplie un même plan à l’infini. Il a été obtenu en avançant et en reculant, jouant ainsi sur la longueur focale.
HET BOOTJE (LE PETIT BATEAU) (Anvers-maison Art Nouveau) (60 x 40 cm)
Nous retrouvons ce « V » catalyseur de la forme sur le haut de la façade dans sa fonction de rattachement des deux parties de la même image.
BRUXELLES-JUSTICE (cité plus haut), la forme en « V » se manifeste dans la conception des échafaudages (cliché de gauche). Remarquons, à propos du rabattement interne, la colonne (redoublée) du cliché de droite, censée de par sa hauteur imposante, représenter la Justice écrasante face à l’individu démuni. Les « deux » colonnes portantes deviennent, par conséquent, les piliers de la Justice.
Une différence, flagrante par rapport à la première exposition de l’artiste à l’EAG, consiste dans le fait que l’exposition précédente était plus centrée sur la réalité. Celle-ci en est plus lointaine. Auparavant (comme spécifié plus haut), l’édifice photographié se présentait d’emblée transformé, recréé. A’ présent, il se présente de façon carrément « explicative », sur deux clichés : une vue dans laquelle le sujet est reconnaissable et une autre où il est totalement absorbé dans une dimension abstraite. Même si le dénominateur commun entre les deux expositions demeure la vision personnelle d’un Art déco (et décalé), celle-ci en présente une variation, somme toute, plus abstraite par rapport à la première.
L’artiste pense poursuivre son itinéraire créateur dans cette voie, à savoir un réexamen urbanistique et sociétal fondé sur une grammaire à l’abstraction picturale et cinématographique, placée dans rapport essentiellement critique. Au cours du vernissage de son exposition, l’artiste fut accosté par un visiteur qui lui fit une remarque fort intéressante, à savoir que son œuvre est psychologiquement comparable à la « paréidolie » ou si l’on préfère, à l’ « aperception », c'est-à-dire la capacité qu’a notre cerveau de former, notamment, des visages en observant intensément, par exemple, des nuages. Comme lorsque nous étions enfants. JOËL JABBOUR, sous cet aspect des choses, n’est pas le premier artiste à s’essayer à cet exercice. Il a, dans l’Histoire de l’Art, un fameux prédécesseur, en la personne du peintre italien du 16ème siècle, ARCIMBOLDO, qui à partir d’éléments végétaux, créait des visages.
JOËL JABBOUR n’est pas en reste! Sa démarche créatrice demeure la même : à partir d’une donnée formelle, il engage un tournant démiurgique qui la retransforme en lui conférant une identité plastique et psychologique nouvelle.
L'artiste JOEL JABBOUR et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Exposition des oeuvres de l'artiste JOEL JABBOUR à l'ESPACE ART GALLERY
LE CUBISME PRIMITIF RESSUSCITÉ DANS L’ŒUVRE PLASTIQUE DE FRANҀOISE BARON
Du 08-10 au 31-10-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken 83, 1000 Bruxelles), a consacré une exposition dédiée à la sculptrice française, Madame FRANҀOISE BARON, intitulée : NOUVELLES RÉALITÉS.
FRANҀOISE BARON s’inscrit, au sein de la continuité de l’évolution artistique, dans le dialogue qui a ouvert avec l’expressionnisme (à partir de 1908), le panorama intellectuel et culturel européen du 20ème siècle, à savoir l’aventure cubiste. De par la taille de l’objet sculpté, elle renoue avec l’esthétique de l’époque, en redéfinissant l’Homme dans les sphères humaine et spatiale.
Les pièces exposées de l’artiste se divisent en 3 séries : les danseurs, les musiciens et les « portraits ». C'est-à-dire, les sujets de prédilection du cubisme, au début du 20ème siècle. D’autres pièces apportent une plus value à son discours plastique. Les œuvres présentées attestent d’une utilisation rigoureuse de la grammaire cubiste. Les personnages, et par extension, l’Homme dans sa dimension iconographique, est présenté sous un certain nombre de facettes, le définissant dans l’espace. Les membres des corps sont repliés sur eux-mêmes, dans une dimension géométrique, proche de la mécanique d’horlogerie. Tout se tient dans cet ensemble de segments assemblés. Une coupe en appelle une autre. Et la forme apparaît, issue d’une myriade de coupes sélectives jusqu’à trouver un dialogue formel.
LES DANSEURS
ROCK BRONZE et DANSEURS offrent deux moments opposés de la danse : le mouvement séparant les danseurs et le mouvement les réunissant.
ROCK BRONZE
DANSEURS
Cela suppose deux moments rythmiques différents. Un rythme accéléré, « jazzistique » (même si, en l’occurrence, il s’agit de « rock », opposé à un rythme lent, style « slow »). Les deux moments indiquent deux phases pulsionnelles dans le rendu sculptural. Un relâchement permettant au couple de reprendre la lignée rythmique après l’avoir quittée et une fusion les rapprochant dans un enchevêtrement de courbes, créant une série de variations plastiques.
ROCK BRONZE Le rythme endiablé permet aux personnages de s’étirer jusqu’à ce que leurs formes traduisent des stries verticales, matérialisées par le manteau de l’homme et la jupe de la femme, tombant vers le bas ainsi que des angles droits spécifiques du buste, dans la diagonale qu’il forme, chez l’homme et des jambes, également en diagonale, chez la femme, accentuant la phase de séparation. Le bras gauche (droit par rapport au visiteur), que la femme soulève pour accéder à sa tête, offre une forme triangulaire, augmentant le rendu cubiste. La partie arrière de la pièce est structurée par une série de stries, à la fois verticales et horizontales, témoignant de la raideur du mouvement déclenché par les danseurs. Le rythme lent, symbolisant le rapprochement du couple, s’avère être l’antithèse de l’œuvre précédente : plus d’angles droits ni de stries verticales et horizontales.
DANSEURS Tout se joue sur la courbe, par le biais de laquelle la douceur du rapprochement s’accomplit. Cela se remarque de façon émouvante, à l’arrière de la pièce, lorsque l’on observe la main de la femme caresser la tête de l’homme, dans un geste de tendresse. Pus que tout, c’est la fusion qui s’opère. Et cela se révèle, une fois encore, en observant la partie arrière de l’œuvre, laquelle confirme la fusion des deux personnages en une seule pièce.
LES MUSICIENS
LE VIOLONCELLISTE
Nous sommes, avec cette œuvre, en plein cubisme du début du 20ème siècle. Le musicien, surtout le musicien jouant d’un instrument à cordes, tel que la guitare ou le violon, fut l’un des sujets de prédilection des cubistes tant en peinture qu’en sculpture. Cette œuvre nous montre un violoncelliste jouant. Pourquoi évoquer le cubisme du début du 20ème siècle? Parce que le style de cette pièce, dans sa conception plastique, participe de cette esthétique. En réalité, il faut voir dans cette œuvre l’émergence de deux personnages : le musicien et son violoncelle. L’un étant consubstantiel de l’autre. Et surtout, l’un étant issu de l’autre car, vu de face, l’instrument à cordes prend naissance dans le creux du musicien. Dans ses entrailles. Les deux personnages s’entremêlent et se rejoignent dans les angles. Observez le geste penché unissant le violoncelle au musicien. L’on pourrait carrément parler d’une « étreinte amoureuse », tellement le visage du musicien (ou plus exactement, le rendu de son visage) se penche, presque voluptueusement vers les volutes de son instrument, conçues comme un cou féminin. Cela provient de la diagonale formée entre le violoncelle et le corps du celliste. La tête de ce dernier opposée à la partie supérieure de l’instrument à cordes forme l’étreinte de deux corps comme pour un baiser.
PORTRAITS-VISAGES
Avec les portrais-visages, l’artiste se concède une voie intermédiaire entre le cubisme et un réalisme évoluant dans le temps.
PORTRAIT 1
Cette pièce nous propose, en quelque sorte, « le visage et son double », en ce sens que l’une de ses parties, la droite (gauche pour le visiteur), est grâce au prognathisme accentué sur cette partie du visage, fort proche du masque à la Picasso. Pensons aux « DEMOISELLES D’AVIGNON 1907) où nous retrouvons le masque africain. La pièce est scindée en deux parties, séparées par un long nez à l’arête fort épatée, se terminant par une petite bouche en cœur, délimitant les deux parties du visage. La partie gauche (droite par rapport au visiteur) est tout à fait lisse et ne présente aucun attribut. La taille de cette dernière à été réalisée dans le but d’accentuer les différences entre les deux parties tout en faisant de sorte que la partie lisse soit, à la fois plus petite que celle sculptée et par conséquent, déséquilibre imperceptiblement le volume de la pièce. Les cheveux sont conçus en de longues stries horizontales. Ce qui s’avère être la signature graphique de l’artiste en ce qui concerne le rendu plastique de la coiffure.
LES DEMOISELLES D'AVIGNON (FRAGMENT)
FIER DE SERVIR
Cette tentation de vouloir flirter avec la réalité dans la représentation du visage humain se retrouve dans cette pièce. Ce visage masculin portant un béret de marin se révèle être un hybridisme entre cubisme et réalisme, à la fois dans le style comme dans les proportions. Mais à y regarder de près, même dans l’effort réaliste, l’artiste ne peut résister à la tentation d’ « encadrer » la partie avant du visage (comprenant l’œil, le nez et la bouche - en leur moitié) à l’intérieur d’un cadre partant de l’arête du nez pour se terminer à hauteur du menton. Ce qui rappelle l’origine cubiste dans la conception de la pièce. L’oreille sort en saillie et se distingue du reste du visage. La partie arrière de l’œuvre nous révèle le béret de marin, parfaitement pensé et réalisé. La partie droite (gauche par rapport au visiteur) n’est qu’un ensemble anguleux. Cette pièce, bien qu’aboutie, donne un sentiment d’inachevé.
PORTRAIT VIERGE
L’artiste renoue avec l’iconographie « sacrée » en la personne de la Vierge. L’approche stylistique fait penser à l’art roman. Tous les attributs sont présents : la position de la tête du personnage, au visage allongé, penché vers le bas, en signe de commisération envers le genre humain. Sa position, occupant la gauche (droite par rapport au visiteur), les yeux mi-clos, légèrement soulignés par le creux délicat des cernes ainsi qu’une fine bouche fermée, répondent au vocabulaire des signes médiévaux exprimant la douceur. La chevelure est toujours formée de stries. Celles-ci occupent les deux côtés de la tête avec cette fois-ci, des ondulations bien marquées, contrastant avec les stries lisses présentes sur les autres sculptures. Un voile, posé de trois-quarts, laissant apparaître la chevelure, recouvre la totalité de la tête pour se terminer à la base du buste. Plastiquement, cette pièce est un exploit, car étant réalisée en bronze, son allure, rehaussée par sa patine, donne le sentiment de la pierre blanche et lisse, typique de la sculpture en pierre du Moyen Age.
PIETA’
L’artiste s’autorise une liberté, à savoir que le Christ ne repose pas sur les genoux de la Vierge. En fait, celle-ci le porte à bras le corps. Pour mieux exprimer son état de cadavre, le Christ a été conçu comme un pantin désarticulé qui laisse pendre ses membres vidés de leur force. Sa tête, retournée en arrière, accentue ce sentiment d’abandon. Un détail, concernant la Vierge, se situe dans la conception du visage. Celui-ci, réduit à un carré, regarde vers la gauche (droite par rapport au visiteur), ce qui diffère du contexte original de la fin du Moyen Age dans lequel le regard de la Vierge se tourne vers le Christ mort. A’ cette remarque, l’artiste insiste sur le fait que son visage dépasse le stade de la mort pour se tourner vers la Résurrection, c'est-à-dire vers le futur.
FRANҀOISE BARON a découvert la sculpture à l’âge de vingt ans après avoir « goûté », comme elle le dit, à la terre. Bien qu’elle n’ait pas une formation strictement académique, on ne peut pas la qualifier d’« autodidacte » au sens stricte du terme. En effet, elle a suivi des ateliers de sculpture à Paris qui lui ont donné les bases du métier. Les conseils avisés d’un sculpteur chinois lui ont été primordiaux pour son développement artistique.
Après sa vie professionnelle, elle s’est entièrement consacrée à son art. D’abord sculptrice figurative, elle a éprouvé le besoin de se tourner vers autre chose.
Le cubisme s’est avéré être une révélation, celle de la forme, non plus abordée de façon « réaliste » mais bien transformée en une myriade de segments, chacun d’entre eux à l’origine de l’autre. Cela l’a assurée dans la conviction que l’on peut dire plus de choses par le biais du cubisme. Sa démarche créatrice implique, comme nous l’avons vu, l’emploi d’un langage comportant, à la fois des courbes, des droites et des angles. Ces formes sont les outils tactiles appuyant la manifestation du sentiment dans le rendu plastique. Sa sculpture est, stylistiquement, fort proche du cubisme du début du 20ème siècle. On ne peut s’empêcher de penser à Lipshitz dans l’évolution de la forme et cela est fabuleux car il ne s’agit nullement d’un « retour à l’expéditeur » mais bien du résultat inconscient de sa production artistique, à l’intérieur d’un environnement contemporain. Remarquons que la sculpture cubiste est fille de la peinture du même style. Dès lors, il nous a été impossible de ne pas poser, à l’artiste, la question à savoir si la peinture lui était familière. Elle nous a répondu par la négative, en insistant fortement sur le fait qu’elle ne peut, en aucun cas, concevoir une œuvre de façon préparatoire. Tout au plus, peut-elle avoir une vague idée d’ensemble mais cela s’arrête là.
A’ par trois exceptions, l’artiste aborde le corps humain par la géométrie. Celle-ci trouve sa plénitude dans la formation du carré pour exprimer le visage et les mains (lesquelles attestent la présence de doigts, à peine esquissés). Même s’il lui arrive de céder au rendu réaliste, c’est le cubisme qui reprend le dessus. Techniquement, l’artiste affectionne le bronze. La technique usitée est celle « à cire perdue».
FRANҀOISE BARON, comme tout artiste qui se respecte est « passeuse de culture ». Par la maîtrise de son art, elle ressuscite une époque de très haute culture, témoin des bouleversements majeurs d’un 20ème siècle en formation. Gageons que cette résurrection artistique, associée aux nécessités de notre temps, l’amènera vers d’impossibles contrées.
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
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Photos de l'exposition de FRANCOISE BARON à l'ESPACE ART GALLERY