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Soliloque ludique

À Jacqueline Nanson

L'harmonie résulte d'accords.
Les êtres, subissant leur sort,
Ne ménagent pas leurs efforts
Pour se créer un doux confort.

Or, souvent poussés vers un port,
Sans bagages ni passeport,
Ils auront à se rendre forts.
Ne s'attirant jamais de torts.

Prendront un langage incolore,
Semblant un déroutant folklore.
N'oseront dire qu'ils déplorent
Ce qui se produira encore.

La mémoire en son coffre-fort
Garde scellées ses règles d'or.
Sous l'effet d'un brusque ressort,
S'unissent des mots en essor.

24 juillet 2016

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administrateur théâtres

Le 30ème spectacle d'été de l'Abbaye de Villers-la-Ville, AMADEUS, de Peter Shaffer, est mis en scène par ...Alexis Goslain.13691099_1116661748421338_7257732583696250803_o.jpg  

Cloches divines et chuchotements,  génie versus talent : suspense tragique.  Antonio Salieri souffre d’un mal terrible, une souffrance hélas très humaine : un mal profond, nourri au sentiment d’injustice,  au désenchantement, au dépit, à la frustration, à la vanité et à l’envie, à l’incompréhension et finalement à la colère amplifiée de scène en scène jusqu’à l’apothéose finale. Un mal du siècle?

Cette jalousie maladive nourrit sa colère contre Dieu et la voix de son interprète, le jeune et joyeux Mozart. L’adepte malgré lui de la Médiocratie passera-t-il à l’acte? Devant la foule des « ombres du futur » il  rejoue, pas à pas, mot à mot, affect par affect, sa propre mise à mort. Il est rongé par la culpabilité. Il tente de se faire comprendre et explique pourquoi il devint l’assassin de Wolfgang Amadeus Mozart.12273175856?profile=original

 Un rôle en force, en nuances, en reliefs psychologiques intenses et noirs qui s’opposent merveilleusement au brillant personnage de Mozart, enfant gâté, génie  spirituel exhibé à travers l’Europe par son père, au rire ravageur mais vulgaire, à la limite de l’obscénité, coureur de jupons, incapable de gérer sa famille, caustique vis-à-vis de ses prédécesseurs,  cinglant en paroles, mais aussi libre et lumineux que l’autre est sombre et diabolique. L’adolescent gonflé de gloire enfantine est en effet  incapable de se prendre en charge, notamment  à cause d’un père abusif, omniprésent, régentant toute la vie de son fils jusque dans les moindres détails et vivant une célébrité factice au travers de la gloire de son fils, au moins jusqu’au mariage non autorisé avec la douce Constance Weber. Comme on le sait, son opéra Don Juan et d’autres comme Mitridate Re di Ponto témoignent de ce malaise intense et de l’absolue nécessité de la clémence. Ironie du sort, au cours de la pièce, on assiste à un développement poignant où Salieri  passe presque aux yeux de Wolfgang comme un père de substitution, sans savoir que ce dernier complote à sa perte.

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Le ballet psychologique des deux personnages principaux est un combat de héros qui ne plait   pas  seulement aux jeunes générations ! Ainsi, Didier Colfs dans le rôle de Salieri et Denis Carpentier dans celui de Mozart sont totalement gagnants dans leur interprétation masculine. Affublés de merveilleux costumes, signés Thierry Bosquet, ils virevoltent devant les décors irréels  et pourtant si  évocateurs de François Jaime Preisser, qui  emportent l’imaginaire en défilant sur la muraille de la grande scène de Villers-la-Ville. Les « Venticelli », sortes d’oiseaux de malheur,  ces espions à la solde de Salieri, forment une sorte de chœur antique  très dynamique. Le tout est cadré par un  flux d’extraits de la divine musique de Mozart, symbole de lumière parmi les ombres que nous sommes. Le décor sonore est de Laurent Beumier.     

Antonio Salieri, nanti d’un  défaut d’Hubris démesuré,  aimait tant  la musique qu’il voulait l’inscrire dans une vie consacrée à Dieu. Mais  il commit  l’erreur fatale de mettre  Dieu au défi.  Dieu ne l’entendit pas de cette oreille, on n’achète pas le Seigneur!   De plus,  il déteste les pharisiens. Donc, malgré son mode de vie chaste et exemplaire en surface,  Salieri  déploie une âme immonde. Constance Weber, la jeune épousée de Wolfgang qui s’est  résignée à venir lui demander de l’aide, en témoigne. Julie Lenain dans ce rôle est un bijou de vivacité et de féminité, elle est au mieux de sa forme.  Mais de manière  hypocrite, perfide  et insidieuse, Salieri va faire en sorte que Mozart et sa jeune famille  sombrent dans le désespoir et la déchéance. Il  rejoue devant nos yeux, nous les  « ombres du futur »,  le  crime  pervers et parfait. L’italien s’approprie la mort de Mozart à défaut d’avoir pu égaler sa musique, afin qu’à tout jamais, son nom, associé à celui de Mozart, se fraie un chemin d’éternité.

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Le spectateur se trouve comblé de toutes parts. Tout d’abord bien sûr par la beauté estivale de  l’écrin des  ruines abbatiales mais surtout  par le texte de Peter Shaffer si bien mis en scène et interprété par  une  équipe de comédiens  enthousiastes que l’on a envie d’applaudir encore et encore: Maroine Amini, Camille Pistone, Michel Poncelet, Marc Deroy, Jean-François Rossion, Lucas Tavernier en très germanique Empereur d’Autriche, et un majordome … Anthony Molina-Diaz, ravi de participer  à ce  30ème spectacle d'été de l'Abbaye de Villers-la-Ville, une production de Del Diffusion.  Vu le succès, le spectacle se prolongera jusqu’à la mi-août! 

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http://www.villers.be/fr/spectacle-amadeus

http://www.deldiffusion.be/

http://www.rtbf.be/culture/scene/theatre/detail_wolfgang-amadeus-mozart-s-invite-aux-ruines-de-l-abbaye-de-villers-la-ville?id=9354391

http://www.rtbf.be/musiq3/article/detail_amadeus-a-l-abbaye-de-villers-la-ville?id=9356579&utm_source=musiq3&utm_campaign=social_share&utm_medium=fb_share

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Alouette

Mon Alouette

O mon alouette des lointains champs
Façonne moi de ta voix sauvage,
De cet appel doux et si ardent
Et prend ma vie dans ton sillage
Dans ton immense et déserte plage
je germerai en toi en mille sons
je grandirai en toi en échelle de tons,
chavirant ,sur mille rivages,
En braises de vagues en rage ,
Attisées à jamais par la brise du temps

Abdennour Mezzine

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La nuit

La nuit

 

La nuit,

 Tu t’étales, en cette vaste côte laiteuse, vierge, câline et sauvage. 

La nuit,

Tu te lèves en moi, en ce voile de lumière, ce calme serein, en cette vie qui façonne à nouveau la malandre de mon âme en naufrage.

La nuit,

Ô la nuit,

La voile qui me chavire, me lance ensorcelé de ton feu, aux plus loin de tes rivages.

La nuit,

Cette chanson de tes vagues, mon éternelle résurrection, ma

nostalgie, la mélancolie et le faux silence des coquillages.

La nuit, frétillement à ton infatigable ressac, ta douce turbulence et la danse de mon âme dans ton sillage.

La nuit,

Ce chant matinal des brises des champs d’eau lointaine et solitaire, qui me narre sans cesse le secret de tes braises enfouies dans la

Ô la nuit, Cette merveilleuse danse, des marées hautes et basses, un doux soleil qui se lève et m’inonde, de ton visage.

Tanger 24.12.2013

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Dans le chaos diabolique

Songerie

Tous les citoyens de la terre
Désirent y demeurer cent ans.
Rester en vie est l'important.
Faire partie du grand mystère!

La nature fait bien les choses,
Renouvelle les énergies,
Répand tendresse et poésie
Ouvre des voies qu'elle propose.

Les êtres humains qui naissent nus
Se vêtissaient de peaux de bêtes,
Lourdes parures toutes faites.
Puis à créer sont parvenus.

Grâce aux efforts de certains d'eux.
Connurent des gains fabuleux.
Apprirent à penser, à dire.
Or la planète est en délire.

L'amour crée des liens affectifs,
Partout, des criminels actifs
Les tranchent avec sauvagerie
Sans que s'apaise leur furie.

Préoccupés par leurs prières,
Ne perçoivent pas la lumière
De la lune qui resplendit.
Sans sa douceur restent maudits.

22 juillet 2016

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Cogitation d'un grand papa

 Pastiche d'une fable de  La Fontaine

Un grand-papa, qui se berçait,
Se mit soudain à rêvasser.
Sa petite-fille, bien sage,
Traçait des mots sur une page.
Sans lever le nez pour le voir,
Elle finissait ses devoirs.

Il avait pourtant récité
De jolis vers pour l'inciter
À faire une petite pause.
Hélas! en ce moment, il n'ose,
Même s'il la couve des yeux,
Cesser d'être silencieux.

Comment pourrait-il lui apprendre
Ce qu'enfin il a pu comprendre.
Ce n'est qu'à la fin du parcours,
Qu'on réalise avec humour,
Ou des regrets, nombreuses fois,
Ce qui eut été un bon choix.

Les fables amusent les enfants.
Sans les instruire pour autant.
La liberté n'a point de prix.
Il faut ignorer le mépris
Quand on accueille la paresse,
Dans l'abandon et la tendresse.

10 mars 2004

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Lorsque des souvenirs lointains remontent à notre mémoire, c’est le plus souvent éventés, ou au contraire surchargés. Plus essentiels que la souvenance exacte de lieux, les mots dits, ou parfois, le visage de ceux qui ont croisé notre route, c’est l'émotion, la sensation qui a jailli en nous et qui, des années plus tard, revient baigner, ou hanter notre âme. Il arrive même que le souvenir de la sensation soit plus fort que la sensation elle-même.

Ci-dessous, les voix des poètes Philippe Jaccottet, Eric Piette et Roland ladrière...


" Le peu de souvenirs qui me restent de chaque époque de ma vie, et leur vague, me remplit d’étonnement. Ainsi, de cette chambre d’hôtel de la rue d’Odessa – la faible ampoule et le miroir au plafond, le fracas des trains- mais quoi d’autre ? On aura vécu comme en rêve".
"Parfum des fleurs : respirer un iris ou une rose est l’unique geste qui me reporte immédiatement, irrésistiblement, à l’enfance ; et non pas comme si je me rappelais un de ces instants, mais comme si j’y étais, le temps d’un éclair, transporté. Il est étrange que la présence d’un âge déjà lointain se soit attachée à ce qui est le plus frêle, le plus invisible, au souffle d’êtres aussi brefs ".
(Jaccottet, La Semaison, Carnets 1968-1979 et 1954-1967)

"Les plaies de l'enfance
au placard
de l'inachevé

lorsqu'avec toi
sous des draps
nous rejouons la même vie

elle nous saisit entiers
avant que reviennent
les plaies de l'inachevé"
(Eric Piette, L'impossible nudité, Le Taillis Pré, 2014)

"Une lueur inhabituelle,
le souvenir qu'on en garde.

On pense
à des années-lumière
de vide
qui s'éclaireraient toutes entières"
(Roland Ladrière, Inconnaissance éblouie, Editions De Corlevour, 2015)

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Amoureuse,

Tomber amoureuse,

entrer dans l'écriture,

liseré ciel sur un corsage blanc,

le temps s'étend,

les minutes sont lentes,

infini est l'instant.

Tomber amoureuse,

envol dans l'entre-deux,

un feu doux dans un regard clair,

corps à corps avec la terre,

les ombres se font claires,

tout est vert.

Tomber amoureuse,

cœur tout neuf à chaque fois,

les horloges n'en font plus qu'à

leurs têtes,

juste le bonheur d'être,

nos peaux jouent  à la devinette,

pour se dire l'une à l'autre nos

pensées secrètes, réciproques.

Tomber amoureuse,

se fiche de l'inessentiel,

toucher à l'infini, puis écrire ;

exister.

NINA

 

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VOYAGE...VOYAGE...

Partir seule en voyage

Loin des doutes du moment

Se frotter aux nuages

Et courir dans le vent...

Etre accroc à le vie

La lassitude en veille...

Rechercher les envies

Que le corps s'émerveille!

Se pencher vers la mer

En humer les parfums

Et la tête à l'envers

Danser dans ses embruns...

Vivre enfin de l'été

Sans penser à demain

De tous ses pores vibrer

S'enchanter du matin...

J.G.

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Semblant une géode

Un stylo à la main, je demeure songeuse.
J'aimerais déloger cette idée ennuyeuse
Qu'on ne peut dépasser le talent que l'on a.
Ma raison intervient pour clore le débat.

J'accepte l'évidence à l'amère saveur.
Or reste convaincue que certains créateurs
Reçoivent une énergie passagère puissante
Qui augmente la leur et la rend différente.

En vérité, en cet instant voulais m'offrir,
Un présent précieux qui devait m'attendrir.
Semblant une géode hermétiquement close,
Un poème gardant cristallisées les choses.

20 juillet 2016

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L'intuition salvatrice

La providence est l'énergie,
Continuellement active,
Qui intervient dans chaque vie,
Dont nombreuses à la dérive.

Parfois on la nomme Hasard.
Elle manie le fantastique.
Laisse se répandre les arts
Dans leur espace poétique.

Elle propose l'espérance,
Bien agréable à contempler.
Or moins seyante est la prudence
Qui à certains, même déplaît.

Nous interpellent des pensées,
Rendant plus ou moins attentif.
Pourrait nous sembler insensé
Un avertissement furtif.

Soudain un éclair prophétique
Suggère à un être choisi
D'éviter un endroit tragique.
Ce conseil lui sauve la vie.

Que devient l'humaine existence?
Partout des forces destructives,
Des barrages de résistance.
L'espérance reste chétive.

20 juillet 2016

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Au tableau du ciel

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Au tableau du ciel, une valse vaporeuse
se joue des rayons du soleil flamboyant.
Dans la profonde unité de ce grand décor,
un vent sillonne avec agilité l'immensité diaphane
où dans cette inconsistance se répandent
les nuances les plus tendres.
Vogue musique des profondeurs !
Glisse vaisseau frémissant d'ivresse !
la tête renversée, cheveux agités dans l'air iodé,
mon esprit que la houle caresse se consume
en la présence merveilleuse d'une paréidolie.
Ô lare aux contours effilés, toi qui revêts l'empyrée
de ta beauté de suaire, sur le pont de la sacolève
accompagnes mes pérégrinations avant que le doigt divin
ne te déchire et te renvoie à ton monde lointain.

Nom d'auteur Sonia Gallet

recueil © 2016

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La Promotion des Lettres belge octroie chaque année des bourses de résidence d’auteurs au Literarisches Colloquium Berlin.  Ces bourses sont d’un montant de 1.500 €.

Pour qui? Les résidences sont accessibles aux écrivains de nationalité belge qui ont déjà publié un ouvrage littéraire à leur seul nom chez un éditeur répondant aux exigences de la charte de l’édition professionnelle.

Quand partir? Les résidences, d’une durée d’un mois, ont lieu en janvier, février ou mars 2017.

Quand postuler? La date limite pour postuler est fixée au 31 août 2017.

Comment postuler? 

Les dossiers de candidature devront comporter :

♦ une lettre de motivation circonstanciée ;

♦ un curriculum littéraire reprenant l’ensemble des publications de l’auteur et signalant les traductions en allemand ;

♦ un synopsis du projet pour lequel la bourse est demandée ;

♦ un extrait (environ 15 pages) du manuscrit permettant d’évaluer l’écriture de l’ouvrage

Téléchargez le formulaire qui devra accompagner les candidatures.

Le dossier de candidature doit être envoyé en version papier et en version électronique.

♦ La version papier sera adressée au :
Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Service de la Promotion des lettres
Commission des Lettres
Nadine VANWELKENHUYZEN
Boulevard Léopold II, 44
1080  Bruxelles.

♦ La version électronique sera adressée à : commission.lettres@cfwb.be

Quels critères de sélection? Au-delà des qualités du dossier, les candidats seront sélectionnés en accordant un ordre de préférence aux auteurs traduits en allemand et ayant une connaissance de base de la langue allemande.

Une question? commission.lettres@cfwb.be

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Les mirages de ma vie

Pantoum

Je laisse s'écouler mon temps
Sans en faire un utile usage.
Or je capte, et les mets en page,
Les grâces de certains instants.

Sans en faire un utile usage,
J'ai vécu de très nombreux ans.
Les grâces de certains instants
M'advenaient sans aucun présage.

J'ai vécu de très nombreux ans
Ayant même corps et visage.
M'advenaient sans aucun présage
De nouveaux rôles exaltants.

Ayant même corps et visage,
Fus transformée complètement.
De nouveaux rôles exaltants
À leur tour, devinrent mirages.

19 juillet 2016

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12273177463?profile=originalPeintre, graveur et poète visionnaire anglais, William Blake est l'un des artistes les plus évidemment inspirés que le monde ait connus. Ses poèmes lyriques et prophétiques, ainsi que l'oeuvre gravé qui leur est lié, constituent l'une des rares mythologies originales des Temps modernes. Les grands problèmes humains - la séparation, le mal, le salut - y sont abordés par le biais d'un symbolisme anthropomorphique parfois complexe, mais d'une singulière profondeur, et dans une optique qui se réclame du christianisme, mais se rapproche surtout de l'hérésie gnostique. L'originalité essentielle de Blake réside dans l'humanisme passionné avec lequel il proclame la valeur sacrée de l'énergie créatrice en général, et de l'imagination poétique en particulier, où il voit non seulement la forme mais la source même du divin. Il annonce et devance par là la plupart des conquêtes du romantisme européen.

 

1. De la perception vulgaire au pouvoir visionnaire

 

William Blake est né à Londres, et il y est mort. Son père, modeste bonnetier, ne lui imposa aucune instruction primaire, mais lui fit très tôt apprendre le dessin, puis le métier de graveur, qui demeurera le sien toute sa vie. En 1782, il épouse Catherine Boucher, jeune femme presque illettrée qu'il initie à sa profession et qui lui sera jusqu'au bout d'un soutien patient et dévoué. En 1787, il perd son frère tendrement chéri, Robert. Il semble que Blake ne se soit jamais résigné à cette mort, et qu'elle ait déclenché chez lui non seulement des hallucinations, auxquelles il était prédisposé depuis l'enfance, mais surtout une prodigieuse puissance créatrice de visionnaire qui ne devait plus l'abandonner. Ses premiers poèmes (Esquisses poétiques ) avaient été publiés sous forme de plaquette en 1783. A partir de 1788, il gravera lui-même ses textes et leurs illustrations, et les colorera un par un, avec sa femme, au fur et à mesure des commandes à satisfaire. Mais les acheteurs sont peu nombreux : Blake entend faire droit sans réserve à l'exigence altière d'une vocation spirituelle et esthétique hors de pair, et se trouve ainsi porté à contre-courant de la mode, obstinément voué à la solitude et à la pauvreté. C'est au jour le jour, et grâce à la sollicitude de quelques amis fidèles, qu'il pourvoira à ses besoins et à ceux de sa femme (le couple est resté sans enfants). Héritier de la tradition non conformiste, Blake fréquentera un certain temps les cercles prorévolutionnaires de Paine, Godwin, Priestley, et n'en trahira jamais l'idéal, malgré le démenti infligé par l'histoire à l'élan qui anime ses Premiers Livres prophétiques.  Il se replie davantage, dans la deuxième partie de sa vie, sur son univers intérieur, et en entreprend l'exploration approfondie dans ses Seconds Livres prophétiques , reléguant définitivement à la catégorie du mythe l'apocalypse dont il avait cru entrevoir, dans les révolutions américaine et française, la réalisation historique. Il ne reçut de son vivant que l'hommage de quelques disciples affectueux, qui commanditèrent ses dernières grandes oeuvres graphiques, et préservèrent le souvenir et l'héritage spirituel de leur maître. C'est à la génération suivante que la biographie de Blake par Gilchrist (1863) et l'étude enthousiaste de Swinburne (1868) parvinrent à susciter pour ce génie singulier un intérêt qui n'a cessé de croître.

« La divine forme humaine »

Tout entière orientée par la vision d'une unité perdue à reconquérir, la pensée de Blake saisit l'homme dans sa double identité de créature et de créateur, dans la tension entre la finitude de son existence et la divinité de son être. L'homme de Blake se trouve d'emblée dégagé de la culpabilité morale de sa chute. S'il est déchu, prisonnier de ses sens, de l'espace, du temps, c'est que le monde est lui-même déchu, c'est que la Chute ne fut autre que la Création : la chute non d'un homme mais de Dieu, ou plutôt de l'Homme-Dieu. Dieu n'existe pour Blake que dans l'homme et par lui, il est d'essence humaine ; et l'homme n'est qu'un dieu qui s'est voulu seul Dieu, s'imposant du même coup la solitude et les entraves de l'existence divisée. Il appartient à l'homme de s'ouvrir à nouveau à la plénitude du divin qu'il porte en lui :

Car la Miséricorde a un coeur humain,

 

La Pitié un visage humain,

Et l'Amour la divine forme humaine.

 

Mais cette accession ne saurait nullement se produire par la négation de sa propre humanité. Blake n'a que haine pour la morale chrétienne traditionnelle, qui maintient l'homme non seulement sous le joug spirituel du péché, paralysant sa divine énergie, mais aussi dans l'esclavage économique et politique : la religion fut toujours le principal pilier de la tyrannie monarchique et « Dieu n'est qu'une allégorie des rois ». Tout aussi dégradante lui apparaît l'emprise de l'aveugle Raison empirique, aveugle parce que liée au seul témoignage des sens, captive de la mesquinerie du réel et de la nécessité. La faculté privilégiée par quoi l'immanence du divin se révèle et s'accomplit, c'est l'imagination, que Blake appelle aussi « génie poétique ».

 

Le salut par l'imagination

 

L'imagination abolit aux yeux de Blake la séparation illusoire que la raison institue entre le sujet et l'objet ; elle lui dévoile l'unité du fini et de l'infini, lui livre « l'éternité dans l'instant, le monde dans un grain de sable ». A la finitude de la perception vulgaire, Blake oppose le pouvoir visionnaire, qui traverse la prison des sens et la surface des apparences pour accéder de plain-pied à la dimension de l'infini : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, le monde apparaîtrait tel qu'il est, infini. » C'est donc par le total accomplissement de son pouvoir visionnaire que l'homme peut espérer reconquérir sa divinité, l'apocalypse étant révélation. Les livres prophétiques de Blake se donnent pour tâche de l'y conduire. Par prophétie, il faut entendre chez lui non la prédiction ou la prédication, mais l'approfondissement et l'illumination de l'espace intérieur à l'homme, dont l'espace extérieur et le temps ne sont que l'illusoire projection. Partant des symboles de l'expérience immédiate - celle de la tyrannie morale et politique - Blake remontera toujours plus avant dans la chaîne des causes, pour élucider les conflits métaphysiques qui ont dû présider à la Création, c'est-à-dire à la chute originelle, bien antérieure à celle d'Adam et Eve. Mais cette antériorité est causale plus que temporelle : la Chute se reproduit à chaque instant, et de même c'est à chaque instant que le génie poétique peut transcender la finitude de l'existence et conquérir la vision apocalyptique de l'éternité. « Chaque fois qu'un individu rejette l'erreur et embrasse la vérité, cet individu fait l'objet d'un Jugement dernier. »

Les symboles de cette cosmogonie spirituelle sont parfois obscurs ou instables. Il ne faut pas en conclure à l'incohérence d'un cerveau délirant, mais à la nouveauté et à la difficulté d'une quête où Blake s'aventurait aussi seul que devait l'être Freud cent ans plus tard dans son exploration de l'inconscient (dont toutes les instances trouveraient d'ailleurs chez Blake une personnification adéquate). Confiant en l'infaillibilité de son intuition, c'est à elle seule qu'il entend se fier : « Il me faut trouver mon propre système, ou me laisser asservir par celui d'un autre. »

L'humanisme impétueux de Blake, sa foi dans les pouvoirs réels de l'imagination expliquent peut-être qu'il n'ait pu partager le goût de ses contemporains pour les poses mélancoliques ni leur culte de la nature. La mélancolie serait pour lui complaisance à la mort, mépris de la vision apocalyptique et de l'énergie qui est « délice éternel » ; quant à la nature, comment oublier qu'elle n'est qu'un état déchu et chaotique de l'être, et que c'est à l'imagination créatrice de l'homme qu'il incombe de lui donner forme et signification ? « Là où l'homme n'est pas, la nature est stérile. »

Bien que sa carrière se soit déroulée en marge du mouvement romantique proprement dit, et que ses contemporains plus célèbres ne lui aient accordé qu'une admiration superficielle et condescendante, Blake fait incontestablement partie de la lignée des grands visionnaires : Novalis, Nerval, Hugo, Rimbaud et Nietzsche sont à beaucoup d'égards ses frères spirituels.

Quant au romantisme moderne, sous sa forme surréaliste, il n'a pu que reprendre en bloc - christianisme mis à part - l'essentiel de sa doctrine : la volonté de réconcilier l'homme avec son désir, la politique révolutionnaire et la morale libertaire, la critique du rationalisme, la valorisation du mode de pensée onirique et du « modèle intérieur » en art, et surtout l'espoir d'atteindre, par l'exercice illimité de l'imagination, ce « point suprême » où les contraires « cessent d'être perçus comme contradictoires » (A. Breton). Un siècle et demi après sa mort, Blake demeure à la pointe du romantisme.

 

2. Reconquête de l'innocence perdue

 

L'oeuvre de Blake peut se subdiviser en écrits lyriques, théoriques et prophétiques - qui sont souvent les trois à la fois. On en citera ici les principaux. Les Chants d'Innocence  (1789) et Les Chants d'Expérience  (1794), chefs-d'oeuvre de sa poésie lyrique, mettent en parallèle « deux états contraires de l'âme humaine ». L'innocence enfantine est pour Blake l'état le plus proche de la béatitude éternelle dont la chute dans l'existence incarnée a privé l'humanité. Mais, de sa participation à l'éternité, chaque enfant est à son tour sevré par le passage inéluctable à l'adolescence. Juxtaposés presque terme à terme aux Chants d'Innocence , les Chants d'Expérience  en constituent une amère parodie. Là où s'épanouissaient la liberté, la pureté, la tendresse, la joie, et la perception spontanée du divin, règnent maintenant la culpabilité, la contrainte, la misère spirituelle et matérielle. Certes, l'enfant portait en lui la vulnérabilité au mal, mais c'est contre la société de son temps que Blake dresse son réquisitoire, contre l'hypocrisie d'une civilisation qui exploite et humilie l'enfance en se réclamant de la charité chrétienne et de la raison. Cette « petite chose noire » pleurant dans la neige, c'est le petit ramoneur ; ses parents, à l'église,

... louent Dieu et son prêtre et son roi,

Qui se construisent un paradis de notre misère.

Et l'horreur de Blake devant la corruption de l'innocence et de l'amour par la moralité conventionnelle - celle des prêtres en noir qui « ligotent avec des ronces mes joies et mes désirs » - éclate avec une violence presque insoutenable dans le poème intitulé « Londres », où

... la malédiction de la jeune putain

Étouffe les pleurs de l'enfant nouveau-né,

Et accable de fléaux le corbillard du mariage.

La chute originelle est vouée à se reproduire dans chaque être humain jusqu'à la délivrance. Mais cette délivrance ne saurait être précipitée par un retour illusoire à l'innocence (c'est le sujet du Livre de Thel  gravé en 1789). Nous ne pouvons pas nous soustraire à notre condition divisée. C'est seulement d'une réintégration dialectique des contraires par la puissance unifiante de l'imagination que nous viendra le salut - par la réconciliation de l'innocence et de l'expérience, le mariage du ciel et de l'enfer. La beauté, à chaque lecture plus surprenante, de ces courts poèmes tient en partie à la fraîcheur d'une vision véritablement enfantine, c'est-à-dire syncrétique, du monde. Les objets conservent intacte toute leur force de présence concrète ; nulle intellectualisation ne vient entamer leur fonction symbolique, qui est de rendre immédiatement sensible la plénitude limpide ou mystérieuse de l'être dans toutes les formes de l'existence finie, et de faire percevoir « l'éternité dans l'instant ».

Il n'y a pas de religion naturelle  et Toutes les religions sont une  (1788) : ces très courts manifestes théoriques proclament l'humanisme religieux de Blake, son rejet de tout déisme et de tout dogmatisme théologique. « Il n'y a pas de religion naturelle » parce que l'homme perçoit plus et autre chose que la finitude naturelle où se cantonne sa raison. La nature étant déchue, elle ne saurait révéler à l'homme la vérité à laquelle il aspire et qu'il doit tenir de sa seule imagination, ou « génie poétique ». Le génie poétique étant d'autre part universel, toutes les religions en dérivent, et n'en sont que les formes particulières : « Toutes les religions sont une », et l'homme en est l'unique source.

 

3. Mythes de la réconciliation

 

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer  (1790-1793), malgré une structure assez composite, demeure l'exposé le plus précis des idées de Blake. La stratégie de ce pamphlet consiste à inverser ironiquement les symboles du Bien et du Mal, l'Ange et le Démon ; à identifier Satan avec l'énergie créatrice et à faire de l'Ange le représentant du dogmatisme ascétique et hypocrite du christianisme traditionnel. Dans la section des « Proverbes de l'Enfer », d'une frappe étonnamment incisive, se dessinent quelques thèmes essentiels :

a ) Toute vitalité est sacrée, et la répression de l'instinct en entraîne la perversion : « Celui qui désire mais n'agit pas engendre la pestilence. » « Mieux vaut étouffer un enfant au berceau que de nourrir des désirs non agis. »

b ) La loi morale répressive est responsable du mal : « De même que la chenille choisit les plus belles feuilles pour y poser ses oeufs, de même le prêtre pose sa malédiction sur les plus belles joies. » « Les prisons sont construites avec les pierres de la loi, les bordels avec les briques de la religion. »

c ) L'énergie et l'imagination créatrice l'emportent sur les contraintes dogmatiques de la raison : « La route de l'excès conduit au palais de la sagesse. » « Tu ne peux savoir ce qui est assez, à moins de savoir ce qui est plus qu'assez. » « Les tigres de la colère sont plus sages que les chevaux de l'instruction. » « L'exubérance est beauté. »

L'idéologie du Mariage du Ciel et de l'Enfer  sera développée dans les Premiers Livres prophétiques , dont la rédaction s'étale de 1789 à 1795. Les Visions des filles d'Albion  (1793) reprennent le thème de la morale puritaine déjà évoqué dans Le Mariage du Ciel et de l'Enfer.  Elles sont à la fois le mythe de l'origine de cette morale et la représentation symbolique des conflits psychologiques individuels qui en résultent. Blake y proclame la sainteté de l'amour sexuel : « Heureux, heureux amour ! libre comme le vent des montagnes... »

 

Révolutions et libération

 

Les deux révolutions dont Blake fut le contemporain et qui fournissent le sujet de La Révolution française  (1791, inachevée) et America  (1793) manifestent sur le plan politique l'affrontement éternel entre les forces de l'oppression et celles de la liberté, le combat d'Urizen et Orc. Face à Urizen - caricature de Jéhovah - incarnant la tyrannie de la morale et de la raison, Orc est le héros prométhéen qui inspire les insurgés, réduit en poussière les tables de la Loi, et libère les puissances du désir et de l'imagination. Europe  (1794) reprend ce conflit de plus haut, dans la perspective d'un mythe cyclique dont la figure centrale est ici Énitharmon, symbole de la finitude de l'étendue, et du principe de passivité féminine, où Blake voit une cause essentielle de la soumission à la tyrannie d'Urizen.

Le Livre d'Urizen  (1794) et les ouvrages qui le complètent - Le Chant de Los , Le Livre d'Ahania , Le Livre de Los  (1795) - constituent la première tentative de Blake pour élaborer en un mythe complet sa conception de la Genèse comme chute. Urizen y apparaît comme l'un des éternels qui, en proclamant orgueilleusement le règne séparé de sa loi, s'exclut lui-même de l'éternité. De la contemplation solitaire de sa propre puissance surgiront, par divisions successives, les essences et les catégories du monde créé. Mais Urizen ne sait que diviser et mesurer. C'est à Los, incarnation de l'énergie poétique éternelle, que revient la mission de donner une forme viable à la matière et de forger un à un les éléments du corps humain. L'engeance d'Urizen se multipliant sur terre, le prêtre originel veille à la retenir captive sous sa loi en tissant, à l'image des circonvolutions du cerveau humain, le filet inextricable de la religion.

C'est dans Vala, ou les Quatre Zoas  - écrit entre 1795 et 1804 et finalement laissé inachevé - que Blake entreprendra de refondre sa Genèse dans la vision plus vaste encore d'un mythe véritablement universel. Les quatre « Zoas » sont les essences constitutives de l'homme (intellect, sensibilité, imagination, instinct). Le conflit de ces identités éternelles, leur division en « spectres » et en « émanations » se déroulent entièrement dans le songe du géant Albion, dont Blake fait l'archétype humain sous quelque forme qu'il se manifeste (l'individu, la nation anglaise, l'humanité, ou Blake lui-même). L'espace intérieur de l'homme est ainsi le lieu d'un affrontement cosmique, dont la dialectique - parfois enchevêtrée, mais trouée d'éblouissantes envolées lyriques - aboutit à la triomphale reconquête de l'unité perdue.

 

L'erreur de Milton

 

L'influence de Milton sur la pensée de Blake ne le cède en importance qu'à celle de la Bible. Le grand poème que Blake lui dédie (Milton , 1804-1808) a pour objet, dans ses grandes lignes, de « sauver » Milton de la seule erreur dont il ait été victime - celle qui contraignit le poète puritain à déifier l'autorité et la raison, dans Le Paradis perdu , et à vouer aux gémonies, en la personne de Satan, les valeurs de liberté, d'énergie et d'authentique spiritualité que lui dictait son génie poétique. Milton redescend donc des cieux, entre en Blake, et entreprend ainsi un voyage initiatique où il lui faudra apprendre à transcender son moi, cause première et toujours efficiente de la Chute ; à affronter le fantôme glacial de son propre Dieu, Urizen, qu'il vaincra en le pétrissant d'argile vivante et en lui imprimant ainsi la divine forme humaine ; à renoncer à sa conception puritaine de l'amour afin de reconstituer avec son « émanation », symbole de toutes les femmes qu'il avait aimées, l'androgyne initial que la Chute avait séparé. Tous deux régénérés, s'étant délivrés de leur « spectre » rationnel et de leur moi charnel, s'unissent enfin dans la vision apocalyptique, partagée par Blake et sa femme, de Jésus et des Quatre Zoas. D'autres thèmes se mêlent à celui du rachat de Milton, mais l'essentiel du poème est le mouvement qui porte Blake de la préoccupation de la Chute et de l'origine du Mal, qui sous-tendait ses précédents ouvrages, au thème de la réconciliation et du salut.

L'éternité dans le temps

La difficulté d'interprétation de Jérusalem  (1804-1820), le poème le plus considérable qu'il ait écrit, tient en partie à l'étrangeté du symbolisme. Blake n'hésite pas à personnifier des noms de lieux anglais dans le contexte biblique de sa prophétie, et à mêler à ses propres figures mythologiques des personnages issus des légendes arthuriennes. Mais ce mélange a un sens : il exprime l'identité fondamentale entre le drame métaphysique qui se joue dans l'éternité et le même drame vécu, sur le plan de l'histoire, par l'Angleterre en général et par Blake en particulier. L'obscurité de l'oeuvre tient également à la verticalité quelque peu statique de sa structure : les quatre parties, plutôt que de retracer une progression, reprennent le même affrontement à différents niveaux. Si les thèmes en sont connus, l'accent est souvent nouveau par rapport aux oeuvres précédentes. Le christianisme de Blake s'y fait moins hérétique ; c'est une religion de la compassion, du pardon, du sacrifice de soi qu'il oppose à la religion de la culpabilité, à ce qu'il appelle la religion « druidique » dont Urizen est le dieu cruel, et le déisme la forme la plus dégénérée.

En outre, l'un des thèmes essentiels de Jérusalem  est le rôle négatif de la « volonté féminine ». La sournoise soif de puissance de la femme, et son adhérence aux séductions de la nature, à l'existence végétative constituent un danger permanent pour la liberté imaginative de l'homme. L'acte de génération n'est sacré que pour autant qu'il conduit à une régénérescence spirituelle, et non à un dégradant enracinement dans l'existence charnelle. Envers et contre tous ces obstacles, l'énergie prophétique mènera à bonne fin son combat : l'union d'Albion et de son émanation, Jérusalem, consacre l'avènement de la Cité de Dieu sur terre. La réconciliation universelle englobe même les philosophes du matérialisme empirique que Blake avait considérés comme ses plus dangereux ennemis, Bacon, Newton et Locke. Ainsi, la science vient se ranger aux côtés de la poésie dans l'harmonie éternelle des contraires, où le triomphe de l'imagination rend à toute chose sa forme humaine.

 

4. Des livres qui sont autant de tableaux

 

L'artiste était en Blake indissolublement lié au poète. Il refusa toujours d'abandonner ses oeuvres à l'anonymat de l'impression, préférant les graver et les illustrer une à une, plaque par plaque. On ne saurait donc vraiment lire Blake comme il voulait être lu sans regarder ses livres comme autant de tableaux, sans embrasser du regard l'entrelacs de branches, de nuages et de lettres que dessinent ses titres, la flore et la faune minuscules évoluant en délicates arabesques entre les lignes du texte, et surtout - richement colorées - les puissantes figures qui l'encadrent, le complètent et le commentent. Les visions de Blake l'étaient au sens propre du terme : révélations à la vue autant qu'à l'intellect.

Les essences spirituelles que découvrait en lui-même le prophète, il incombait au graveur de les rendre visibles. L'imagination, c'était aussi pour lui le pouvoir de projeter ces images. On comprend assez que le modèle n'ait pu en être qu'intérieur. Très tôt, Blake s'est insurgé contre l'imitation servile de la nature, préférant de même aux « formes mathématiques » et desséchées du néo-classicisme celles, plus vivantes et plus humaines à ses yeux, de la sculpture gothique. Son humanisme intransigeant explique d'autre part qu'il ait toujours insisté sur la nécessité d'un tracé ferme, net et précis, et que ce soit à l'exemple de Michel-Ange qu'il ait dû le plus clair de son style graphique. C'est que rien n'était plus défini pour Blake que la perception de l'infini. Car l'infini est en l'homme, il a donc forme humaine, et la mission quasi religieuse de l'artiste est de la lui dévoiler.

Urizen-Jéhovah sera donc un vieillard massif à la longue barbe blanche et au regard de pierre. On le voit, sur le célèbre frontispice d'Europe , un genou en terre, délimitant et divisant l'univers matériel au moyen d'un gigantesque compas. Contrastant avec l'opacité rocheuse d'Urizen, la jeunesse éternelle de l'imagination éclate dans la forme conquérante d'Orc, ou d'Albion régénéré, vu de face, bondissant radieux par-dessus les montagnes, les bras grands ouverts à la liberté et à la vie.

La composition de Blake est toujours frappante par sa simplicité : à l'horizontalité cadavérique des créatures pétrifiées dans le sommeil de l'existence incarnée, aux arceaux des branches et des rochers pesant de tout leur poids de formes matérielles répondent le hiératisme vertical des figures contemplatives et surtout la torsion flamboyante des corps qui s'élancent vers l'infini, et que Blake saisit parfois dans un raccourci dramatique. Ce symbolisme expressionniste ne va pas toujours sans gaucherie. Mais la franchise des visions de Blake, leur raideur même leur confèrent un pouvoir de fascination onirique. Elles obsèdent l'imagination tels les hiéroglyphes d'un langage à la fois mystérieux et familier, issu d'un au-delà qui serait en nous, et dont l'intelligence ne saurait être que de l'ordre de la révélation.

 

5. Un art insolite

 

L'art de Blake est à la fois une révolte contre l'art du passé et celui de son époque ; il condamne surtout l'art mondain de Reynolds, mais il renie aussi la peinture à l'huile des grands maîtres vénitiens et flamands, qualifiant les oeuvres de Rubens et de Rembrandt de « barbouillage ». Dans ses aquarelles et dans ses détrempes, Blake veut un contour net qui est selon lui la garantie d'un art authentique. Sans doute doit-il en partie à Michel-Ange qu'il admire cette puissance et cette pureté dans le dessin.

Blake passait un composé de colle à bois et de blanc d'ouf sur un emplâtre préparé sur de la toile, du bois ou du métal. Il appelait ces détrempes des fresques, à cause de leur ressemblance avec les peintures murales des primitifs italiens.

Autre méthode : combiner les techniques de la peinture et de l'imprimerie ; Blake peignait un dessin par détrempe sur un carton, puis l'imprimait par pression sur papier ; cette impression était reprise au pinceau et à la plume.

C'est son jeune frère, mort en 1787, qui, déclare-t-il, lui aurait révélé en rêve le procédé de la gravure à l'eau-forte qu'il devait utiliser pour illustrer ses poèmes. Les mots et les motifs étaient dessinés sur la plaque de cuivre qui était ensuite gravée à l'acide. Le texte et le dessin restaient en relief, puis étaient peints à la main, à l'aquarelle par exemple. C'est le cas de ses poèmes lyriques et de la remarquable série de gravures du Livre de Thel  et du Mariage du Ciel et de l'Enfer , vers 1795.

Un grand nombre de ses estampes colorées expriment son dégoût du monde matériel. Il en peint les symboles, désireux de libérer ainsi son imagination des horreurs qu'ils représentent. Dans Nabuchodonosor , le roi de Babylone apparaît sous une forme bestiale. Son Isaac Newton  est un symbole de l'univers mécanique.

Le monde intérieur et désintéressé de ses Chants d'Innocence , comme celui des gravures qui illustrent les Pastorales  de Virgile - ravissantes gravures sur bois qu'il réalisa dans sa vieillesse avec l'aide de Linnell - s'oppose au monde rationaliste, mercantile et matérialiste de la révolution industrielle suggéré dans ses Chants d'Expérience.  Il aurait voulu concilier ces contraires comme l'indique le titre de l'une de ses oeuvres : Le Mariage du Ciel et de l'Enfer.  Sa vision est celle de l'union de deux mondes qu'il connaît depuis son enfance. Ses Livres prophétiques , illustrés de sa main, traitent de l'Angleterre et s'interrogent sur son destin spirituel.

Blake se révolte contre l'idéalisme académique et froid de Reynolds. « La nature n'a pas de limite, mais l'imagination en a », écrit Blake. Le contour continu est pour lui comme une vérité mystique, et la ligne pure représente l'essence de chaque être. Le dessin linéaire de l'artiste trouve une harmonie entre une symétrie rigide et une ligne souple. Ainsi retourne-t-il en quelque sorte à un art médiéval, produit d'un christianisme encore irrationnel et mystérieux. Ses oeuvres rappellent les enluminures du Moyen Age ; Blake est proche de l'art gothique à la fois par sa technique et sa vision. S'il refuse l'art flamand et l'art vénitien, faits de lignes et de masses brisées, il recherche, au contraire, une forme définie, un contour bien tracé, une ligne précise et expressive.

Antinaturalisme

Cet art souligné n'est pas réaliste, car pour Blake le corps matériel de l'homme n'est pas l'être véritable de l'homme auquel ses dessins entendent donner forme. Certains l'ont accusé de ne pas savoir dessiner. S'il le faisait rarement d'après nature, il pouvait cependant rendre la forme du corps avec une très grande précision, mais il a toujours refusé de copier la nature, cherchant avant tout à exprimer une idée, ce qui explique ses corps le plus souvent tordus et son style quelquefois maniéré.

Le paysage pur ne l'intéresse pas davantage. Contrairement à la plupart des peintres anglais, il n'est ni un paysagiste ni un portraitiste. C'est par la puissance de son imagination visuelle que son art vit : l'un des exemples les plus frappants est le portrait grotesque de L'homme qui a construit les pyramides  où Blake cherche à recomposer une vision par juxtaposition de symboles.

Ses oeuvres visionnaires ne sont pas figées, elles trouvent leur force et leur dynamisme dans la torsion des corps, dans la fluidité des éléments, dans la valeur expressive, expressionniste même, de son dessin.

Le génie inventif de Blake est aussi à l'aise avec des thèmes fantastiques ; dans l'estampe Pitié  qui illustre un passage de Macbeth , Blake visualise des mots de manière presque surréaliste. Une symétrie en mouvement caractérise toute son oeuvre. L'art de Blake ne vit pas seulement par la ligne, mais aussi par la couleur. Le Paradis perdu  et Le Paradis reconquis  de Milton sont à l'origine d'une série d'aquarelles remarquables : La Création d'Eve , Satan ébouillante Job , détrempe sur bois d'acajou.

Exécutés dans sa vieillesse, ses dessins pour La Divine Comédie  révèlent ce que son symbolisme a de plus personnel. Son sens aigu de la couleur souligne le jeu des lignes dans des vortex de tons purs : Dante habillé de rouge symbolise les passions, et Virgile, qui l'est de bleu, le génie poétique.

Son contenu mythique, et même mystique, rend l'art de Blake difficile. Le Cercle de la vie de l'homme  (1821) figure par exemple une idée néo-platonicienne : le retour de l'âme à l'Un à travers le monde matériel où elle a chuté.

L'originalité de Blake interdit qu'il eût des disciples. Il vécut en dehors de la révolution intellectuelle et esthétique de son pays et de son époque. Son retour romantique vers l'art gothique n'a rien à voir avec le goût pour les ruines de son contemporain Turner ; ce n'est pas le décor qui l'attire, mais plutôt le contenu religieux qu'il évoque. La réalité n'est pour lui, et il est en cela proche de Turner, qu'un point de départ pour l'imagination ; mais là s'arrête leur similitude, car l'oeuvre de Blake annonce celle des préraphaélites.

Pour Blake comme pour Coleridge, « un esprit et une vision sont organisés ». Ce que cherchent précisément à traduire ses images, c'est la vision pure, unique, d'un monde dont il cherche à réconcilier les contraires. Son art se veut un lien entre le temporel et l'éternel. Lorsqu'il identifie l'art à la religion, Blake fait songer aux Veda qui enseignent que l'image n'a pas par elle-même de réalité ; l'image, comme l'oeuvre d'art, n'a de sens que comme un moyen adapté à une fin, qui ne peut être que de vivre une expérience intérieure.

 

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Pantoum sur un moment serein


À nouveau dans la nonchalance,
J'observe des nuages gris.
Les percent des rayons et puis
Des gouttes tombent en silence.

J'observe des nuages gris,
Les vois s'éloigner à distance.
Des gouttes tombent en silence,
Sur le gazon bien reverdi.

Les vois s'éloigner à distance.
Le ciel vaporeux m'attendrit.
Sur le gazon bien reverdi,
Des fleurs colorées se balancent.

Le ciel vaporeux m'attendrit.
L'instant seul a de l'importance.
Des fleurs colorées se balancent,
La menthe a un parfum de fruit.

L'instant seul a de l'importance,
Paisible, exempt de nostalgie.
La menthe a un parfum de fruit.
J'écarte les réminiscences.

Paisible, exempt de nostalgie,
S'achève mon temps d'existence.
J'écarte les réminiscences,
Me berce dans la poésie.

18 juillet 2016

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Mariage.

 

Dans une clarté sacrée,

par les mains du soleil touchée,

deux êtres se sont dit oui.

Elle avait cette allure innée,

 de grâce, de distinction ;

 son regard profondément bon,

azuré touchait , émerveillait , les grands yeux

maritimes de celui qu'elle chérit.

Leurs mains émues, fiancées et promises, se sont

en un instant précieux, enlacées pour

s'épouser en un chant liturgique.

Leurs bouches si neuves et nues, en une

seconde magique, se sont cueillies,

 puis données l'une à l'autre ;

 de ces visages jumeaux, à force de s'aimer,

de se goûter, sont nés une arborescence blanche,

un soleil, un grand secret.

Ils se sont dit oui religieusement,

 ont distribué à l'instar de baisers,

chacun de leurs sourires aux amis,

aux familles qui partageaient

cette cérémonie bleue et chaude.

Il se sont dit oui dans une blancheur originelle.

 

NINA

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