Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Toutes les publications (128)

Trier par

L'immense fosse du néant

 

Méditation

 

Tant que la vie nous est laissée,

Avec une énergie constante,

Nous vivons ce qui se présente,

La tête haute ou bien baissée.

La sagesse rend acceptable

Ce qui ne peut être évité,
Peut suggérer de profiter

Des bonnes choses périssables.

Certains se voient dédommagés,

Au-delà de toute espérance,

De torts et de lourdes souffrances

Qui les rendirent affligés.

Chaque destin est différend.

Après de multiples méandres,

Qui ne manquent pas de surprendre

Il ne reçoit plus de courant.

L'immense fosse du néant

Où les destinées aboutissent

Et à jamais s'y engloutissent,

Ne hante pas les jeunes gens.

Ils s'enivrent de leur amour,

De la force des sentiments.

Hors la splendeur du firmament,

Tout peut disparaître en un jour.

30 juin 2014

Lire la suite...

Après quarante ans de silence

 

Je ne ressens plus de souffrance,

Pensant à mon ami chéri.

Son nom au complet m'attendrit,

Venant à moi dans le silence.

Pensant à mon ami chéri,

Au sortir de l'adolescence,

Venant à moi dans le silence.

Sur lui, en vers, j'avais écrit.

Au sortir de l'adolescence,

Rêveuse, n'ayant pas compris,

Sur lui, en vers, j'avais écrit,

Dans la tristesse et l'innocence.

Rêveuse, n'ayant pas compris,

Croyant à son indifférence,

Dans la tristesse et l'innocence,

J'accueillais un futur en gris.

Croyant à son indifférence,

Je le vis partir pour Paris.

J'accueillais un futur en gris.

Puis me vint un aveu de France.

Je le vis partir pour Paris.

Quarante années de souvenance!

Puis me vint un aveu de France.

Son amour n'avait pas péri

 

30 juin 2014

 

Lire la suite...

Un chat nommé Pirate

 

Pirate, lorsque nous l’avons recueilli faisait du stop au bord de la route.

- Attention, dit ma fille Catherine, il va se faire écraser.

Le temps de m’arrêter et d’ouvrir la portière pour le chasser de la route, il était monté dans la voiture et s’était installé sur les genoux de Maggy, mon épouse, qui occupait le siège du passager.

- Quel culot, dit-elle.

Il était déjà trop tard, nous avions un chat de plus.

C’est Catherine qui le baptisa.

- A la manière dont il est monté à bord de la voiture, dit-elle, il s’est conduit en véritable pirate.

Dès ce jour là, sous son aspect de tendre crapule, Pirate s’efforçât  de mériter son nom avec l’arrogance d’un émir du pétrole. Que vous le croyiez ou non, il imitait le comportement du prince Malko, dit S.A.S, ou celui d’Hubert Bonnisseur de la Bath, agent de la C.I.A.

Je ne sais plus lequel des deux, dans les manuels d’un certain Bruce, un spécialiste si j’en crois le nombre d’ouvrages dont il est l’auteur, est décrit comme étant un prince pirate. C’est une description assez courte, c’est vrai, mais tout aussi évocatrice, il me semble, que celle de Flaubert lorsqu’il dessine le portrait du jeune Bovary pénétrant pour la première fois dans une classe de sixième.

Peut-être Pirate, lui aussi, avait-il lu les nombreux volumes qui relatent les aventures de ces deux personnages de papier. Dans une vie antérieure, cela va de soi.

Les bouddhistes professent que tout être vivant dispose de sept vies et d’autant de réincarnations possibles. Autant que les chats, dit-on. Les bouddhistes savent de quoi ils parlent, ce sont des sages par définition. Sinon pourquoi portent-ils une robe qui dissimule leurs attributs masculins. Et leurs pensées par conséquent lorsqu’ ils sont en présence de femmes.

Sept vies ! A peine si on a le temps d’en remplir intelligemment une seule.

Jean Dufour, un ami qui se donne des allures d’intellectuel prétend qu’on ne peut être sûr de rien en cette matière. 

- On  manque d’imagination.

Curieux phénomène que celui de l’imagination. On affirme que les artistes ont de l’imagination. En réalité, ils n’ont pas d’imagination mais une acuité de vision que la plupart des êtres humains ont perdue. Rimbaud, le poète, vous savez : celui qui à tiré des coups de pistolets sur son amant et en a acquis une renommée universelle, affirmait qu’ils étaient des « voyants ».

- Il n’imite pas, il invente. 

Serge mon fils est ingénieur et s’exprime comme un philosophe.

- il invente comme ces artistes qui vivent toujours à moitié dans le rêve et à moitié dans la réalité. Ils me font penser aux singes que nous étions. Dotés d’une queue dont nous nous servions pour sauter d’une branche à l’autre des arbres.

Plus tard, bien plus tard, en devenant hommes et aptes à nous tenir sur nos jambes, nous avons perdu nos queues. Ne riez pas. Les artistes ont oublié qu’ils l’ont perdue, ils s’efforcent toujours de s’accrocher aux branches les plus hautes et ils se cassent la figure.

Est-ce que Pirate était un artiste ? En tout cas, son comportement ne me paraissait que trop naturel. Il tentait de faire croire aux chattes du voisinage qu’il était un chat extraordinaire. Il y a des hommes, à ce qu’on m’a dit, qui  font  exactement la même chose, sans autre motif et avec beaucoup de succès. Avec les femmes, pas avec les chattes, bien entendu.

Et Pirate, ce diable, y réussissait fort bien lui aussi, je m’en suis aperçu, un soir du mois d’août, en prenant le frais, assis sur un banc, dans le parc qui se trouve en face de notre maison.

Une amie que la vie a rendue experte affirme que tous les mâles se ressemblent en matière sexuelle. Chats ou non. Seules des inhibitions de nature culturelle, irrationnelles par nature, rendent certains moins aptes à affronter les représentantes du sexe opposé. Quels que soit le nom qu’on leur donne. Bonne éducation, pudeur, galanterie, ce ne sont que les cache-sexes de notre timidité.

- Les femmes sont sensibles au succès. Peu importe les moyens utilisés pour les conquérir.

Je ne sais pas si Pirate était dénué d’inhibitions. Le fait est que le jour où il se mêla pour la première fois à une assemblée amoureuse, il ne respecta aucune des règles dites civiles.

Il se dirigea vers la femelle sans se préoccuper des autres chats. Il tourna autour d’elle tandis qu’elle grognait puis, comme s’il ne lui portait plus aucun intérêt, il s’éloignât en se dandinant. Savez-vous ce qui arriva ? La chatte le suivit, quelques pas en arrière.   

Je l’ai très souvent constaté par moi-même. Dès que dans un cercle quelqu’un se porte vers le centre, il en devient le leader avec l’assentiment tacite du cercle soumis et soulagé. Honneur au vainqueur !

Le lendemain, je surveillais les chats du voisinage.  Ils étaient assemblés à l’endroit habituel mais aucune femelle ne se trouvait parmi eux. Je pensais : malheur aux vaincus ! Une seule femelle vous fait défaut, et toutes les autres femelles vous délaissent.

Ils avaient l’air de s’ennuyer à mourir. Ainsi va la vie.

 

Lire la suite...

L'homme à la découverte de son âme

12273027286?profile=original"L'homme à la découverte de son âme" est un ouvrage du psychiatre et psychologue suisse Carl Gustav Jung (1875-1961) paru en 1934. L'un des horizons essentiels que nous ouvre la lecture de cette oeuvre est celui des "projections". La projection est le phénomène selon lequel un individu imprime sur un sujet ou un objet du monde qui l'environne une tonalité psychique qui est un trait de sa vie intérieure.

L'être humain est doublement relié au monde dans lequel il vit: par la pereption, d'une part, par la projection, de l'autre. La projection est ce que l' individu investit dans le monde, les mirages, les chimères de l'esprit qu'il plaque sur l'objet et qui en interdisent bien souvent la perception. La projection estompe, modifie, travestit la perception; elle peut même l'effacer pour se substituer à elle. Ces projections sont d'autant plus tenaces qu'elles ont pour origine l' inconscient.

Une autre notion étudiée dans ce texte est celle de l' "archétype", c'est-à-dire une structure mentale innée. C'est une sorte de "Gestalt" (forme), une sorte d'image de l' instinct. Ces archétypes forment l'architecture mentale de base d'un individu. Mais le plan archétype de l'être n'est pas immuable. C'est un plan vivant, évoluant avec l'âge du sujet.

Lire la suite...

Une douce complicité

 

J'ai longtemps chanté à tue-tête,

Innocemment, comme un oiseau,

Dans la rue quand il faisait beau,

Que je me sentais l'âme en fête.

À vélo, ou en conduisant,

Je restais rarement muette.

J'aimais les airs de bal-musette.

Ô le charmant petit vin blanc!

Ce qui me semble surprenant

Est que je captais des sourires.

On a dit contagieux le rire,

Or la gaieté l'est tout autant.

Je sais que j'entendis parfois,

Ineffable félicité,

Pour montrer sa complicité,

Un passant chanter avec moi.

29 juin 2014

Lire la suite...
administrateur théâtres

PhotoFestival Musiq 3 dimanche 29.06 - 11:00 - Studio 4

#24 Opera for kids: Brundibár

 

 

Un top ce matin  à 11 heures! le Studio 4 accueille une foule nombreuse de jeunes familles qui viennent écouter l’opéra pour enfants « Brundibar ». Créé en 1938 par le compositeur tchèque Hans Krasa pour survivre en temps de guerre et joué pour la première fois en 1943 dans le camp de concentration de Terezin, cette œuvre  célèbre le pouvoir de la musique comme outil de résistance  et chante les vertus de  la solidarité et de la générosité. Aninka et Pépicek, orphelins de père d'une famille pauvre, tentent de porter secours à leur mère malade en lui trouvant du lait. Ils s’aperçoivent que sans argent, jamais ils ne pourront se procurer le précieux aliment. Ils rêvent aussi de tous les délices dont ils sont privés !  L’imagination aidant, ils décident de chanter dans les rues de leur quartier pour trouver l'argent qui leur manque. Cependant, ils se voient bientôt menacés et chassés par Brundibar, un terrible musicien affublé d’un ridicule orgue de barbarie qui ne tolère en rien cette  innocente concurrence. Une discrète allusion au dictateur de l'Allemagne nazie.  Trois animaux magiques, Le Chien, le Chat et le Moineau, amis des deux malheureux, font appel aux enfants du voisinage. « Droit et justice nous allons défendre ! » Ils se rassemblent et renversent  le tyran « avide de gloire et d’argent »  grâce à la  puissance de leur chant collectif.

 Au Steinway, à l’accordéon et à la direction d’orchestre, l’excellent Patrick Leterme, entouré par un jeune orchestre raffiné de musiciens adultes très prometteurs. Ils joueront  discrètement dans l’ombre à gauche pendant que le plateau s’éclaire pour accueillir les  protagonistes.  Une petite vingtaine d’enfants entre huit et quinze ans surgit. Ils  sont vêtus pauvrement,  à l’ancienne, façon village. Les filles, la plupart  sagement coiffées en tresses, les garçons …un peu gavroches. Les costumes témoignent d’une grande inventivité, bien que tous déclinés dans  les mêmes  tons feuilles mortes. Des caisses de bois d’antiques déménagements  sont les  seuls accessoires dont ils disposent. Qu’importe ! Ils chantent, jouent, se meuvent sur le grand plateau du Studio 4 avec une aisance surprenante. Ils sont extraordinaires, ces mômes de rêve qui connaissent intégralement leurs partitions et dont la diction est impeccable, élégante et claire. Ils sont reliés entre eux par une étrange connivence, une force secrète qui exclut la moindre distraction. Une telle  simplicité naturelle est belle à regarder et fait plaisir à entendre. Les timbres s’harmonisent à la perfection et leurs chorégraphies ne sont pas en reste, elles sont  réglées au millimètre. Les  changements de scènes sont exécutés avec une  rare précision, apparemment sans la moindre surveillance extérieure. De la graine de professionnels?

 Voilà  donc une heure de spectacle musical très abouti qui cache sans doute un grand  nombre d’heures de répétitions  intensives et dont on ressort captivés et admiratifs, touchés par le message de l’œuvre qu’ils ont si bien comprise et mise en scène avec une telle conviction. Leur hymne final rassure sur la nature humaine  et  exhorte à l’espérance. Et il reste à l’oreille, en plus des chants des enfants ce motif  lumineux et entraînant joué à la flûte et à la clarinette…comme une ode à la vie!

L’opéra pour survivre en temps de guerre

Choeur d'enfants | Patrick Leterme, direction, piano, accordéon | Vincent Goffin, mise en scène | Héloïse Mathieu, costumes | Quentin Debroeyer, violon | Laure Bardet, violon | Sofia Costantinidis, violon | Cyril Simon, violoncelle | Natacha Save, contrebasse | Gilles Bréda, flûte | Andrés Pueyo López, clarinette | Roeland Henkens, trompette | François Couvreur, guitare | Simon Drachman, percussions | Elèna Lavrenov, violon | Aubin Denimal, violoncelle | Claire Ringlet, production 

Vous les retrouverez en tournée en Wallonie, (www.festivaldewallonie.be) pendant tout le festival et  lors d’une dernière à Flagey le 23 novembre 2014.  

http://www.flagey.be/fr/programme/15492/-24-opera-for-kids-brundibar

 

Lire la suite...

L'accès au bonheur

 

                                                                              Propos

 

Toujours, une joie surgissant,

Emplit notre être de tendresse.

Elle agit comme une caresse,

Cause un émoi réjouissant.

...

Ardentes ou simplement plaisantes,

Toutes les grâces s'évaporent.

D'autres nous surprendront encore,

Certaines seront exaltantes.

...

Nombreux plaisirs sont des cadeaux,

Ne requièrent pas de mérites.

Des tendances dont on hérite,

Les font accueillir comme il faut.

...

Notre bonheur naît de désirs

Qui sont comblés assidûment,

Au prix de gros efforts, souvent.

N'est pas facile à réussir

...

Il prend forme dans l'endurance,

Petit à petit, de longs jours.

Malgré des réserves d'amour,

Il ne survit pas à la chance.

...

4 juin 2012

Lire la suite...

12273028470?profile=original

"Essai sur l'homme et le temps": sous ce titre général ont été regroupés cinq essais de l'écrivain allemand Ernst Jünger: "Traité du rebelle" (1951, "Polarisations" (1951), "Traité du sablier" (1954), "Le noeud gordien" (1953) et "Passage de la ligne" (1951).


Le "Traité du rebelle", ouvrage d'une remarquable densité et d'une inspiration élevée, répond sur un point central aux préoccupations et aux angoisses de notre temps. La puissance et la perversité croissantes de ce Léviathan moderne qu'est l' Etat totalitaire semble rendre toute résistance illusoire et vaine. Or, Ernst Jünger s'attache à démontrer que l'individu décidé à défendre coûte que coûte la liberté (sa liberté) trouve au fond de lui-même des ressources telles qu'il suffit d'un petit nombre de "rebelles" pour sauvegarder, dans l'avilissement général, les valeurs essentielles et même pour saper les fondements de l'Etat. L'homme (le Rebelle, le "Waldgänger" qui "prend la forêt" comme on "prend le maquis") est chez Jünger le symbole d'une attitude morale dans laquelle il voit le seul recours efficace de la dignité humaine contre l'écrasement ou la dégradation sournoise que lui font subir les totalitarismes modernes sous couleur de démocratie intégrale. Le Rebelle est l'individu du concret. Quant à son "royaume", "il faut supposer l'existence de points où l'homme ne pense être atteint, ni bridé, et moins encore détruit par aucun pouvoir aucune tyrannie terrestre. Les forêts sont sanctuaires". Il importe de savoir que tout homme est immortel et qu'une vie éternelle l'a élu pour demeure: elle peut rester pour lui une contrée inconnue et pourtant habitée: l'accès peut ressembler à un puits qu'ont recouvert depuis des siècles les décombres, les ruines et la souffrance. L'homme dans sa tentative d'y trouver la source, avive sa soif, "qu'il croît dans le désert - et ce désert est le temps". Altéré, l'homme attend que quelque chose vienne apaiser ses souffrances: la théologie, la science, la philosophie, le Verbe et son lieu, "la forêt" au sens mythique: refuge contre la mécanisation de l'existence par l' Etat, lieu du danger, de la solitude, mais siège d'une liberté primitive, inaliénable, et de ses attributs: la vigilance, le mépris de la mort. Cet essai est à la fois méditation éblouissante et critique pertinente; chaque phrase y montre une pensée à vif.

"Il est des outils, des organes, des objets qui ne trouvent jamais la destination conforme à leur structure", écrit Ernst Jünger dans "Polarisations". Pour en connaître l'usage, l'expérience est nécessaire. "Le sens, au contraire, se communique plutôt par la vue de l'ensemble, selon des modes étrangers à l'évolution temporelle et à son mécanisme." Si un livre est fait pour être lu, telle oeuvre, cependant, imprimée en idéogrammes, demeure, dans une bibliothèque d'Occident en un état d'inexaucement; ailleurs, tel livre perdu dans la forêt vierge provoquera la crainte et deviendra un talisman ou bien sera brûlé. Ainsi, au-delà de la lecture, le caractère magique du livre: ses lettres, "derrière lesquelles se cache bien un mystère, sans égard à leur usage pratique". "La vie devrait mener de degré en degré, de voile en voile d'illusion, comme par des portes qu'ornent des signes toujours plus riches de sens, vers une surprise sans cesse approfondie, un enjouement croissant." Car toute vie est attente d'un complément qui va le parfaire et que l'homme doit arracher à la malédiction du temps.

Le "Traité du sablier" est un essai sur les techniques de mesure du temps. L'homme est dévoré par le temps qu'il a créé en créant les instruments susceptibles de le mesurer, mais l'horloge ne fait que développer les conséquences de l'invention humaine par excellence, la roue, pièce maîtresse des machines et symbole de l'activité monotone et épuisante. L'analyse de Jünger rejoint l' intuition du mystique baroque Angelus Silesius: l' inquiétude vient de la roue, qui par l'intermédiaire du balancier mesure le temps. Le "Traité du sablier" n'est donc qu'en apparence une histoire de la mesure du temps: ombre, cadran solaire, clepsydre, horloge, sablier, tous ces instruments représentent, sous une forme visible, un certain rapport de l'homme au temps: il n'est que d'interpréter leur configuration. Pour Jünger, le temps est en nous et nous le projetons hors de nous-mêmes en appareils qui le créent en le mesurant. Le mouvement d'horlogerie, ancêtre et modèle de toutes nos machines, a dû être conçu à une époque d'inquiétude et de fièvre intellectuelle: sans doute au XIe siècle et sans doute par l'ingénieux et ambitieux Gerbert d'Aurillac, élevé au trône de saint Pierre sous le nom de Sylvestre II, et qui ne fut pas soupçonné pour rien d'être un magicien. Ernst Jünger est trop sage pour s'imaginer que la roue puisse être arrêtée, ou le sens de sa marche inversé. Il propose plutôt à son lecteur le repos spirituel dans un autre temps, dont le sablier est l'image: temps silencieux, au cours paisible, des travaux de l'esprit, de la liberté intérieure (on peut retourner indéfiniment le sablier), de la méditation; quiétude semblable à celle de saint Jérôme dans sa cellule. La réflexion de Jünger s'ordonne autour de trois gravures de Dürer, où figure le sablier, et dont chacune représente l'un des aspects du temps qu'il crée: le Hieronymous im Gehäuse (réflexion), la Melancolia (conscience de la mort omniprésente), le Ritter Tod und Teufel (triomphe sur la mort elle-même): le sablier brisé.
Il faut comprendre le "noeud gordien", comme une question posée par le destin; il se renoue à l' infini, de même que la question, à l' infini, ne cesse de se poser. "La grande rencontre, l'effort d'équilibre se renouvelle périodiquement, comme celles des principes mâle et femelle. Et tout comme pour celle des sexes, il n'en résulte ni solution, ni hiérarchie, mais la fécondité. Elle est comprise dans la constitution, la structure du monde historique: c'est pourquoi, bien qu'elle n'aille pas sans souffrance, elle ne doit pas être interprétée comme un symptôme morbide."

"Le noeud gordien" a pour thème l'éternelle opposition entre l' Est et l' Ouest, ces termes étant pris dans un sens métaphysique, plus que politique (forces chthoniennes et esprit); si cette opposition a été source de ruines et de deuil, Jünger estime cependant que dans bien des événements, ses effets ont été bénéfiques: événements dont la répétition pose le problème du retour qui est inconcevable sans un centre immobile. L'optique de l'homme prisonnier du temps le contraint à décomposer le déroulement des faits en anneaux de croissance et en sections de zodiaque, avec des ruptures et des rencontres à sa périphérie. L'être temporel ne peut en pénétrer l'unité, sauf à de certains instants de ravissement et d'enthousiasme." Supposer au centre du devenir, comme dans le moyen de la roue, une essence intime, immobile, revient à admettre "qu'en elle les constellations se rejoignent, par exemple l'avant et l'après, le toi et le moi, l' Est et l' Ouest". "Il n'y a au fond qu'un retour. Il a lieu quand l'homme reconnaît l'émergence de l' éternel dans le temps. Le monde alors, devient dense. Cette manière de connaître la réminiscence, ou aussi la vénération, en est un aspect. C'est la part que prend l'homme à la réalité. Elle ne peut être sans lui."

Le dernier essai, "Passage de la ligne", est une pénétrante analyse du nihilisme moderne. Et la difficulté de le définir tient sans nul doute à ce que l'esprit ne peut se représenter le néant. "Il s'approche de la zone où s'effacent intuition et connaissance - les deux grandes méthodes auxquelles il est tenu." Mais le titre de l'essai indique suffisamment que ce nihilisme tend à être dépassé, et il importe dès maintenant de repérer autour de nous des oasis où des parcelles de liberté ont pu survivre pendant l'ère de ce Léviathan qu'est trop souvent l' Etat.

Lire la suite...

Xander ou Bibig, le nom d'un chien.

 

Bibig n’est pas son véritable nom. Bibig est le diminutif de Big Boss. Big Boss non plus n’est pas son véritable nom. Nous le lui avons donné par modestie. Et parce que dans la rue, les enfants se moquaient de lui. Son patronyme véritable, en effet, avait une connotation aristocratique qui, il faut le reconnaître,  fait toujours envie  aux gens du peuple. Il se nommait : Xander des Agasses.

 Bibig est un teckel à  poils courts qui est avec nous depuis près de dix ans.

Avant Bibig, nous avions un autre teckel qui portait le nom de Charlot. C’était un chien superbe à la poitrine large et aux pattes arquées comme des pieds de chaise Louis XVI.

Nous l’aimions beaucoup malgré une singularité assez gênante : il ne supportait pas le mouvement des volets de fenêtre. Chaque matin et chaque soir, pendant que je tournais la manivelle, il hurlait à la mort.

Lorsque nous étions en voiture, à chaque fois que nous avions le malheur de passer devant le magasin d’un commerçant qui ouvrait sa devanture métallique, Charlot se précipitait sur le pare-brise, par-dessus la tête de ma femme,  et se mettait à hurler une fois de plus. Ma femme était obligée de détourner la tête parce que nos voisins de colonne nous regardaient avec mépris. Avec d’autant plus de mépris que nous avions collé sur la vitre arrière une affichette qui disait : votre chien, c’est votre enfant, ne l’abandonnez pas durant  vos vacances !

A part ce trait de caractère, Charlot était charmant. Il était affectueux et ne se plaignait pas trop de la présence de nos enfants et de nos chats. Nous en avions quatre. Deux enfants et deux chats. Serge, Catherine, Nabuchodonosor. Et Puce que dans le langage familier des parents, nous appelions Sergeot, Cathy, Nabu et Pupuce .

Avez-vous remarqué ? Dans les familles aimantes, le prénom des proches subit toujours de curieuses altérations. Ma femme, je l’appelais mon petit poulet alors qu’aux premiers temps de notre mariage, c’était petit castor puis coco qui est assez commun. Plus tard, ce fût chou et enfin petit poulet. Je me demande si je l’ai jamais appelée : mon chéri !

Charlot et nos chiens s’entendaient très bien. Ils dormaient ensemble, ils jouaient ensemble et ils mangeaient ensemble. En fait, lorsque je dis qu’ils mangeaient ensemble, ce n’est pas tout à fait vrai. C’est Charlot qui mangeait avec eux.  Dès qu’il avait achevé son repas, il se ruait sur celui des chats. Néanmoins, parce qu’il n’était pas assez rapide pour vider à lui seul les trois écuelles à la fois, chacun des chats achevait tout de même un repas par jour.

A la mort de Charlot, Pupuce qui était maigre et farouche, nous pensions que c’était là sa nature, prit du poids et devint plus sociable. Il est probable que trois animaux, deux enfants et deux adultes constituent une population excessive pour l’épanouissement des chats et qu’il suffit que cette population se réduise pour que tout rentre dans l’ordre. A en croire les psychologues, il n’en va pas autrement pour l’espèce humaine. Dans un grand nombre de couples, il se produit des phénomènes analogues. L’un des deux est de trop.

Charlot était un chien plein de vitalité, il courait toujours. Dans les escaliers, dans la cuisine, dans les chambres, il passait d’un point à un autre à la vitesse de l’éclair. Lorsque vous souhaitiez vous rendre dans les waters, à peine aviez-vous ouvert la porte qu’il y était assis avant vous. Nous y étions habitués.

Malheureusement, il courait aussi dans la rue après tout ce qui le dépassait de la taille. Dobermans, Bergers allemands, facteurs, voitures, il les poursuivait tous, aveuglé par l’instinct du chasseur. Pour ce qui était des chiens et des facteurs, ce n’était pas trop grave, un peu d’intimidation suffisait à le calmer. En revanche, il les pourchassait jusqu’à ce qu’elles aient tourné le coin de la rue. Ce n’est qu’alors qu’il revenait, heureux, persuadé je suppose qu’elles ne repasseraient plus devant lui. Pauvre Charlot !

C’était au début du mois de Mai. Il faisait chaud, la porte-fenêtre du jardin était ouverte. Les cerisiers du Japon étaient en fleurs et, sur les trottoirs, l’éclat du soleil était tout rose. C’était une journée bénie pour le repos. Maggy travaillait dans la cuisine et moi, à moitié somnolent, je lisais dans le salon.

Soudain, nous avons entendu les hurlements d’une voiture, les aboiements rageurs de Charlot, des crissements de frein. Puis plus rien. Le temps d’arriver en courant, la rue avait retrouvé son calme et son éclat.

Charlot était étendu au beau milieu de la rue, irrémédiablement immobile sans l’apparence d’une blessure. Parfois, lorsque le soleil était trop fort, c’est dans la même position qu’il s’abandonnait dans le jardin pour dormir.

Que fallait-il faire ? Ce que chacun d’entre vous auriez fait. Nous avons décidé de reporter sur un de ses frères, l’affection que nous portions à Charlot.

 

Adopter un enfant est une tâche compliquée et grave. Si on réfléchissait autant au moment de le concevoir pour son propre compte, un grand nombre de nuits ne seraient pas ce qu’elles sont.

Faut-il s’’en plaindre ou s’en réjouir ? Serait-il souhaitables que des institutions philanthropiques, des assistants sociaux et des magistrats assistent les jeunes mariés au soir de leur nuit de noce, je ne sais pas. Mais, il y a là une sorte de discrimination à une époque où il paraît naturel de rendre compte aux autorités de tant d’aspects de notre vie privée.

Quoiqu’il en soit, s’il est moins compliqué d’adopter un chien que d’adopter un enfant, c’est cependant une démarche qui demande beaucoup de sérieux. Qui choisir ?

Des psychologues prétendent que le compagnon à quatre pattes est le fidèle reflet de son maître. A moins que ce soit le contraire ? Cela signifie que le choix d’un chien implique d’abord de bien se connaitre soi-même.

Les Romains qui ont tout dit, à moins qu’il ne s’agisse des Grecs ?, disaient que ce n’était pas fréquent de leur temps. Ce ne l’est pas davantage aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, vous l’avez remarqué, ce sont les chiens qui choisissent leur maître. Plus perspicaces d’instinct, ils pèsent les avantages et les inconvénients d’une liaison avec tel ou tel individu dont aucun C .V. ne leur a été soumis.

J’ai souvent vérifié que lorsque l’être humain se montre dans son plus grand naturel devant un groupe de chiens, et qu’il accepte d’être élu par l’un d’entre eux, il se fait un ami qui de toute évidence lui était destiné. Bien plus que son épouse lorsqu’il se marie pour dieu sait quelles raisons frivoles, le nombre élevé des divorces le démontre tous les jours.

Maggy et moi, comme des adultes conscients, nous avons évoqué ce que nous attendions de lui. Il devait être gentil pour vivre en bonne entente avec les enfants et les chats. Grand et vigoureux pour effrayer les voleurs et nous défendre. D’un naturel tranquille, il resterait en place sur le siège arrière de la voiture. Naturellement, le mouvement des volets ne devrait pas l’effrayer.

Ce pouvait être un batard, nous n’étions pas vaniteux. Toutefois, il fallait songer à certains de nos amis qui pourraient trouver étrange que nous n’ayons pas un chien de race. D’autre part, j’avais vu à la T.V. des chiens français très amusants, des Briards qui rassemblaient les moutons sans qu’il soit nécessaire de leur en donner l’ordre. Un Briard, me disais-je, ce serait bien !

Maggy me fit remarquer :

  • Il y a peu de chances que nous ayons un jour des moutons.

Nous en avons discuté quelques heures sans grande conviction. C’est comme pour le choix d’une voiture. On joue avec l’idée de choisir une marque différente de celle que l’on a et finalement, on achète la voiture qu’on possède déjà.

C’est Cathy qui résolut la question après avoir longtemps pleuré dans sa chambre. Elle ouvrit la porte du salon en disant :

-J’en veux un comme Charlot.

Le choix était fait.

Madame VanSteen était la présidente du Teckel Club. Nous lui avons téléphoné. Elle comprenait l’importance de la décision que nous allions prendre et elle nous félicitât pour la gravité avec laquelle nous l’envisagions. Elle était confrontée quotidiennement avec les mêmes problèmes de conscience mais elle ne trouvait pas toujours en face d’elle notre pondération chez des couples bien intentionnés, certes, mais un peu légers. Ils choisissent leur Teckel en fonction de sa taille mais ils ignorent tout de sa psychologie. Puisque nous avions eu un teckel, elle nous encouragea à en adopter un autre. Ce n’était pas dire du mal des autres chiens que de dire que le teckel est particulièrement attachant. Sans parler de son intelligence qui est exceptionnelle malgré, parfois, des aspects troublants.

C’est vrai mais, à en croire madame Vansteen, c’était le signe d’une spiritualité quasi humaine. Je n’ai pas compris ce qu’elle entendait par spiritualité quasi humaine. Personnellement, je n’aurais pas songé à faire ce rapprochement.

Bref, elle connaissait un petit éleveur qui venait d’avoir une portée de champions. Il ne s’en défaisait qu’à contre coeur mais puisque nous étions des gens honorables, madame Vansteen était sûre qu’il nous confierait un chiot sans regret.

  • A quel prix ?

C’était une question stupide, semble-t-il. Je haussai les épaules et je dis à madame Vansteen qu’elle n’aurait pas à le regretter, elle non plus. Dès que je serais en possession de mon chien, je demanderais mon affiliation au Teckel Club et je lui enverrais le montant de ma cotisation.

Le soir même, tous les quatre, Maggy, Serge, Cathy et moi, nous étions chez l’éleveur en question.

A la périphérie de la ville, il occupait une petite maison comme en occupent les retraités. Elle était constituée d’une salle à manger qui fait office de hall d’entrée et de salon, d’une cuisine et, la partie essentielle de la maison, d’un appentis ouvert sur le jardin.

Chez la plupart des retraités, l’appentis sert d’atelier de bricolage. En réalité, c’est une sorte de réserve où les épouses relèguent leur mari pour ne pas l’avoir dans les pieds toute la journée ou, au contraire, un refuge pour les maris que la vie professionnelle  n’a pas habitué à vivre en commun avec celle qu’ils ont conquise lorsqu’ils étaient encore des jeunes gens sans expérience.

Les parents de Bibig quant à eux concentraient leur passion sur les trois chiens qu’ils possédaient. Trois teckels qu’ils élevaient comme on élève des enfants. Peut-être mieux. Il faut dire que ces enfants-là leur procuraient de nombreuses satisfactions. Lauréats de concours internationaux, chacune de leur saillie représentait un petit capital. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

La mère de Xander, par exemple, était une chienne dont l’arbre généalogique avait de quoi faire pâlir d’envie des familles humaines à la noblesse souvent moins prestigieuse. Quant à ses  performances, ses diplômes étaient là pour en attester, si notre Serge, il n’est pourtant pas sot, voulait un jour les égaler, c’est le Prix Nobel qu’il devrait s’efforcer d’obtenir.

Au bout d’une demi-heure durant laquelle chacun d’entre nous parlât des siens, nous pûmes enfin voir les enfants.

J’avoue que je fus un peu déçu. Je ne sais pas très bien à quoi je m’attendais mais de voir côte à côte dans un panier, deux chiots pas plus gros que de grosses souris, les yeux fermés, pas plus longs qu’une paire de saucisses de Francfort sur une assiette m’inquiétait. Etaient-ce là les descendants d’une grande famille ? Et si la mère s’était mésalliée, nos éleveurs le reconnaîtraient-ils ?

Maggy les trouvaient ravissants tous les deux. Elle prétendit qu’on voyait rarement des chiots si beaux à leur naissance. Elle avait dit la même chose à la naissance de chacun de nos enfants. Je reconnais qu’en l’occurrence, elle ne s’était pas trompée mais je restais troublé. En outre, le problème était de savoir qui choisir des deux, de Xander ou de sœur jumelle ? Après les avoir réveillés, on les fît marcher. Ils étaient aussi patauds l’un que l’autre. Ils ressemblaient à de petits boudins en mouvement. Moi, je guettais les yeux. Je me disais : je prendrai celui dont le regard pétillerait d’intelligence, celui dont le regard en croisant le mien se ferait complice.

Ils n’avaient pas l’air de s’intéresser à nous. Leur seule préoccupation était de retrouver leur panier.

Cependant, l’un d’entre eux avait quelque chose que l’autre n’avait pas, c’était Xander. Lorsque  Catherine le prit dans ses bras, il eut cet air qu’il conservera, je présume, toute sa vie. Celui d’un être accablé par la fatalité et qui porte sur son visage toute la désolation du Monde. Est-ce qu’un si jeune chien pouvait éprouver de tels sentiments ? Cette expression de nature quasi métaphysique me mit mal à l’aise. 

Vous voyez comment sont les gens ? Ce qui me gênait était précisément ce qui attendrissait ma fille. Je me disais : est-ce qu’il n’a pas l’air bête ? Et Cathy pensait : Comme il a l’air malheureux. Peut-être avions nous raison tous les deux ? On peut être malheureux de se savoir bête.

Naturellement, je gardai mes réflexions pour moi tout en me demandant s’il était sage de s’encombrer d’un être qui à vos propres embêtements ajouterait les siens. Je tentai de dire :

-Une petite chienne nous apportera plus de joie. Elle sera plus docile aussi.

Maggy haussa les épaules.

-Tu as toujours été sensible au beau sexe, voilà tout.

Quant à Catherine, il y a longtemps qu’elle éclatait de rire lorsque je parlais de docilité féminine. Ce fut Xander qui gagnât.

Je signai un chèque au porteur, je mis Xander dans la poche intérieure de mon imperméable et nous rentrâmes à la maison.

Nous nous assîmes tous les quatre dans le salon et Xander fut déposé entre nous sur le tapis. Les deux chats, à peine intrigués, regardaient l’intrus qui paraissait si misérable.

Nous regardions Xander, assis sur son petit derrière qui ne regardait personne.

-Je me demande s’il se plaira parmi nous ?

Serge qui n’avait rien dit de la soirée remarqua soudain une petite flaque qui mouillait le tapis. 

  • Mais il fait pipi.

Il était offusqué.

-Tu vois, triompha Cathy, tu avais tort de t’inquiéter. Il vient de marquer son territoire, il accepte de reste.

Lire la suite...

Vivante,

 

L'air embaume la menthe,

suave et léger,

à l'instar d'un baiser débutant,

frôlant l'adolescente peau,

à ma maturité mêlée ;

féminité exacerbée,

tour à tour réservée, délurée.

Papillon vert sur moi posé,

à peine en équilibre,

promesse de vous,

de moi si fou ;

vie toute floue.

L'air embaume la menthe,

en plein coeur de Paris,

entre Bastille et République,

assise à la terrasse d'un café,

à vous je songe,

j'imagine un livre à deux écrit,

cet enlacement sublime,

de deux voix,

l'une bleue, l'autre noire ;

l'éternité d'une rencontre,

qui jamais ne s'estompe,

ce tâtonnement toujours,

cet incessant désir,

à l'ombre de nous revoir,

où l'ensoleillement y demeure marine ;

vêtue d'un long châle blanc,

je vous y attends,

près de notre livre entrouvert,

qui de vous s'impatiente !

La vie est une histoire.

 

Lire la suite...

Un chat nommé Brigand

 

  

Brigand était un autre de nos chats. Et son histoire mérite d’être racontée au même titre que celle des autres membres de la famille.  

Le jour où Maggy et Catherine nous amenèrent Brigand, leur comportement à toutes les deux était celui d’une mère et de sa fille qui s’efforcent de préparer l’époux et le père à un heureux événement, toutes exaltées encore par les congratulations d’un gynécologue  plus inconscient que méchant.

Brigand était visiblement de nationalité étrangère et elles se demandaient, la mère et la fille, comment il serait accueilli chez nous. D’évidence, Brigand était italien. De la deuxième génération sans doute, mais italien tout de même.

Maggy et Cathy l’avaient recueilli dans un quartier populaire dont la majeure partie de la population était d’origine maghrébine mais Brigand était tellement noir de poil, à l’exception de deux vibrisses blancs comiquement dressé l’un vers le haut l’autre vers le bas, qu’il ne pouvait être que latin. Son regard, j’imagine que le légendaire Rudolf Valentino, le célèbre cheik blanc des films de ma toute enfance, devait avoir le même. Mais qui se souvient encore du nombre de femmes qui se sont suicidées sur sa tombe? Leurs filles, j’imagine, se suicident ou se suicideront sur celle d’Elvis. A moins qu’aujourd’hui, il suffise d’une commémoration sous une caméra de la Télévision pour marquer sa douleur.

D’une douceur attendrissante, le regard de Brigand était typiquement celui des séducteurs napolitains mi crème-mi café. Quant à sa voix, elle n’avait rien de comparable à celle des chats indigènes. Ce n’était pas un miaulement mais un ensemble de sons placés si haut dans les octaves qu’elle vous faisait inévitablement penser à La Callas. Peut-être en plus faux mais je n’ai pas l’oreille musicale de sorte que je ne pourrais le jurer.

Et son allure, me direz-vous ? Là encore, il se distinguait des chats de notre connaissance. Ce n’est pas qu’il faisait autre chose, non. Il le faisait autrement. Sa queue par exemple était toujours dressée alors que chez d’autres, c’est souvent affaire de circonstances. Peut-être qu’elle lui servait d’antenne pour se déplacer dans la nuit ?

Il ressemblait à un petit navire qui naviguait sur le tapis du salon. Parfois, je me disais qu’on aurait du y attacher une oriflamme marquée de son nom ou d’une marque d’aliments pour animaux.

Brigand donnait l’impression de venir d’une autre planète. Autant Nabu et Pupuce, eux aussi faisaient partie de notre famille, appréhendaient le monde extérieur et revenaient régulièrement s’assurer que nous étions toujours là, autant Brigand ne pouvait se passer de la nuit. Dieu sait ce qu’il  faisait, il ne rentrait que pour manger ou pour de courts moments de repos.

Enfoui dans un fauteuil, immobile comme une pierre, il reprenait des forces avant de repartir pour des courses dont nous ignorions tout. Jamais, nous ne l’avons rencontré au milieu de la rue, dans le jardin d’un voisin ou chassant un oiseau qui s’envole.

- Il entretient deux foyers ; disait Maggy avec un peu de jalousie.

Si c’était vrai, il aurait du être gras or il était maigre comme un pruneau. Doublement repu, il aurait du être lourd, or sa démarche, si légère, était un singulier mouvement à peine perceptible qui le portait en avant. Seuls les médecins dans les hôpitaux, le regard pensif, la santé de leurs patients ne les quitte jamais, arpentent les couloirs de cette manière.

Vous vous souvenez de Jésus de Nazareth ? Au crépuscule, Jésus est assis parmi quelques apôtres. Une légère brume s’élève du sol encore brûlant de Palestine. Ils sont silencieux, un halo de spiritualité les entoure.

Lorsque Brigand, Nabu et Pupuce étaient réunis, étendus sur le tapis, se regardant d’un œil, méditant de l’autre, je ne pouvais m’empêcher d’évoquer cette scène dont il me semblait mais je peux me tromper, qu’elle dépeignait le message fondamental de ce Jésus, méditation et amour. D’ailleurs, vous l’avez peut-être remarqué vous aussi, la barbe de Jésus est aussi noire qu’est noir le poil de Brigand.

- Jésus ! Tu n’es pas un peu zinzin ?

C’est Cathy qui s’exprimait de cette manière en s’adressant à moi. Est-ce que toutes les filles s’expriment ainsi quand elles parlent à leur père ? J’ai de la peine à le croire.

Quoiqu’il en soit, pour en revenir à des propos plus sérieux, la personnalité de Pupuce, une de nos chattes, avait évolué de façon significative depuis que Brigand était parmi nous. Miraculeusement ? Je n’oserais l’affirmer. Mais elle prenait du poids, elle descendait plus souvent de l’armoire où naguère elle passait ses journées, son regard qui avait toujours exprimé de l’angoisse se faisait plus serein. Elle se frottait contre mes jambes et, de temps en temps, lorsqu’elle me savait derrière elle, d’un balancement alangui de la croupe, elle me faisait des avances. Lorsque ses yeux me fixaient, fendus comme deux blessures dont le sang serait vert, tendres comme ceux d’une femme qui s’abandonne au début de son mariage, c’est ridicule à dire, elle me troublait. Il m’arrivait de la caresser avec la sensation indéfinissable que quelque chose pouvait se produire tandis que Pupuce de son côté, je le devinais, semblait penser que c’était possible. Je crois que Pupuce était amoureuse de moi. Après sa mort, je l’ai avoué à ma femme, cela ne prêtait plus à conséquence.

Un jour Brigand n’est pas revenu. Nous avons affiché son portrait sur le tronc des arbres de l'avenue en dépeignant son caractère. Il est gentil mais il est fier comme un hidalgo qui serait italien. Il ne se laissera pas approcher sauf si vous lui tendez une écuelle de foie de veau haché ou une boite ouverte de whiskas royal. Si rien ne sert à rien, téléphonez-nous.

Une semaine plus tard, il est réapparu. Il était sur le seuil de l'entrée et Maggy avait à peine ouvert la porte qu'il s'était rué dans la chambre de Cathy où il a passé deux jours entiers sans descendre dans la cuisine.

Lorsqu'il est descendu, la démarche hésitante, inspectant tout l'appartement comme si c'était la première fois qu'il y venait, nous l'avons trouvé amaigri. Son regard nous a surpris. Comment dire? Un regard venu d'ailleurs. Nimbé de spiritualité. Ce regard, je l'ai vu quelques fois sur les portraits de mère Thérèsa.

Et tout est rentré dans l’ordre. 

 

 

Lire la suite...

VISAGES OUBLIES

Voyage à travers les rivages de la Méditerranée par les visages  usés par le temps des civilisations baignées de lumière

Voyage que nous offre ce grand photographe Mimmo Jodice qui me touche particulièrement car , chacun peut alors y imprimer sa pensée et son ressenti

Images intemporelles

  (Toulon Hôtel des Arts dans le cadre de Photomed Juin 2014)12273025473?profile=original

dossier - étude plus complet " Au gré des jours " blog Arletteart

12273025288?profile=originalLe Labyrinthe du temps ...entre ombre et lumière

12273026292?profile=original

Lire la suite...

Un hasard heureux

 

Propos

Sur la route de son destin,

Sinueuse, ou rectiligne,

Chacun espère d'heureux signes,

S'aventurant chaque matin.

Il ne peut aller en arrière,

Corriger des gestes posés.

Parfois, ose se proposer

De démolir une barrière.

Il dépend certes du hasard,

Qui intervient, imprévisible.

Il lui fut longtemps impossible

D'agir quand il était trop tard.

Quand restent séparés deux êtres,

Qui s'aiment toujours tendrement,

Sans contact, malheureusement,

Ils cessent de dire: peut-être!

Or, si visité par l'espoir,

L'un pense à la technologie,

Elle peut faire par magie,

Ce que nul n'aurait pu prévoir.

Pour créer un hasard heureux,

Qui console, embellit la vie,

Il faut qu'une obsédante envie

Motive un humain astucieux.

28 juin 2014

Lire la suite...

Les heures diaprées

 J'ai quitté la ville et ses lumières

 Fuyant les diatribes nombrilistes

 Le pourrissement de l'atmosphère

 La cupidité et l'affairisme

 Tour à tour phalène ou sédentaire

 De ma vie je savoure la quintessence

 Tel un griot léger et solitaire

 Chaque jour, chaque heure, devient plus intense

 L'amour, la tendresse, les sphères étoilées

 La beauté du monde, la force de l'espoir

 Le soleil, la pluie et la douceur du soir

 Ravissent mon cœur, aux heures diaprées

 Ces heures où sortant du combat vainqueur

 Blessé, mais serein s'avance le bonheur

Lire la suite...

12273024895?profile=original" Algèbre des valeurs morales" est un essai publié en 1935 par l'écrivain français Marcel Jouhandeau . Cet ouvrge regroupe trois petits essais que l'auteur eût aimé publier séparément.

Le premier "Apologie du Mal", se place sous l'autorité de Pascal: "On montre sa grandeur en touchant les deux extrémités à la fois.' L'auteur commence par montrer l'équivalence des vertus et des vices: "les vertus sont sujettes à des vices particuliers qui les rendent inutiles", "les grands vices conditionnent les grandes vertus" et "ainsi, toutes les vertus sont encloses, bâillonnées dans chaque vice, et tous les vices dans chaque vertu". Ces vices d'ailleurs exaltent en nous des désirs qui surgissent de l'inconnu, et ne sont pas loin de mener à la sagesse. Bien et mal se retrouvent ainsi en parfaite adéquation, se correspondant, se répondant mutuellement; et quelquefois le mal lui-même contribue à la pureté morale: "le pervers ne voit que ce qu'il subsiste de vice dans la vertu même, et le chaste ce qui reste de vertu même dans le vice", et à la dignité morale: "c'est ma faute, mais j'honore ma faute et je fais en sorte que ma faute m'honore".

Le second livre est une "Erotologie". Haine et Amour se conjuguent dans la passion. Mais cette passion elle-même, d'où naît-elle? du Désir bien sûr, ou Désir qui naît lui-même de la solitude, et qui tempère ses excès des excès de l' orgueil. L'auteur fait aussi la part de la Volupté: n'est-il pas lui-même "l'amateur de visages au pied de l'arbre des visages"? et bien sûr de la fatalité et de l'Election. Enfin, en deux derniers chapitres, Jouhandeau s'applique à décrire la genèse de la Passion: les premiers symptômes, l'éclipse de l'univers, l'éclipse même du plaisir; puis ce sont les départs, les relais, et l'auteur s'attache plus précisément à décrire l'attitude du chrétien en face de sa passion. Nouvelles éclipses: celle du moi, celle de l'objet aimé même tant celui-ci devient universel et doué d' ubiquité; la passion entre dans le domaine de l' inconnaissable. Quant à la place de Dieu: "J'aime: Dieu est jaloux de quelqu'un. Je suis aimé: Dieu est jaloux de moi".

Troisième livre. "Défense de l' Enfer". Corps et âme, l'homme est livré au temps: "la flèche qui me transperce est dans l' éternité". Et Dieu est pour chacun "une projection de soi qui rejette le moi à sa vraie place, dans son humilité et son orgueil absolus". La souffrance n'est pas nécessairement un châtiment, et la douleur ne saurait être le propre de l' Enfer; l' Enfer procède de la nature de Dieu et de l'Ame et, par conséquence d'une inconséquence divine, se trouve être l'oeuvre de l'homme et non de Dieu. "Ainsi toute la grandeur de l'homme procède du pouvoir qu'il a de se perdre à sa volonté éternellement."

Lire la suite...

Histoire d'une émigrée

  

 

A proximité de la gare, des cafés ouvrent largement leurs rideaux. Les passants peuvent contempler la silhouette de celles qui viendront s'asseoir à leur table s'ils désirent leur tâter les cuisses. Ou s'ils désirent leur caresser les seins. Mais seulement s'ils le désirent. Et s'ils leur offrent à boire.

Les cafés de la rue de Mérode ne sont pas des bordels. Les serveuses n’y sont pas des putains. Ce sont des étrangères qui viennent à peine d'immigrer, qui ne parlent pas le français ou très mal et qui, autant que leur mari qui travaille au noir dans la construction, doivent contribuer à gagner l'argent nécessaire pour vivre. Il en faut un peu, même pour vivre un peu.

Il y avait là une fille qu'on appelait Nina. Elle venait de débarquer, et un intermédiaire, peut-être son protecteur, prétendait qu'elle était slovaque. De ces filles dont la réputation était grande. Les slovaques, disaient les connaisseurs, étaient douées en matière sexuelle.

Il avait ajouté, à l’intention de Jean Clerbaut, le patron du café :

- Et figures toi qu'elle aime ça. Elle n'en a jamais assez.

- Jamais assez ?

- Tu verras par toi-même si tu veux.

Jean avait essayé. Il ne pouvait pas affirmer qu'elle aimait ça mais elle était docile. C'était essentiel pour le travail.

Nina était une jolie fille un peu charnue, les hanches assez larges. Avec l'âge, c'est sûr, elle prendra du poids. Les clients aimaient ça. On en a plein les mains, disaient-ils en riant. Dommage qu'elle affichât toujours l'air triste d'une vierge effarouchée comme si on s'attaquait à sa vertu à chaque fois qu'un client lui mettait la main sur la cuisse.

Le patron du café lui répétait souvent:

- Souris donc. Après tout, ta poitrine c'est ton gagne-pain.

Elle ne comprenait pas ou elle faisait semblant de ne pas comprendre. Elle avait constamment le visage triste.

- Tu comprends, on dirait qu'elle vient de perdre sa mère.

Jean l’avait dit à sa femme qu'il tenait au courant de la marche des affaires. Elle était de bon conseil.

- Et si on la prenait pour le ménage? Maria, je dois toujours passer derrière elle. Je ne dis pas qu'elle n'essuie pas, mais elle ne le fait pas à fond.

- Pourquoi pas.

Il ne le dit pas à sa femme, Louise n'aurait pas apprécié, mais Maria avec qui il couchait de temps en temps, ne l'excitait plus beaucoup.

Le lendemain, Nina entra par la porte particulière, celle qui menait aux escaliers, et monta à l'étage où les Clerbaut avaient leur appartement. Trois pièces en enfilade, et à l’étage au-dessus la chambre à coucher, la salle de bain, et une seconde chambre un peu plus petite qui aurait pu servir de chambre d'enfant si le bon dieu l'avait voulu.

Elle gagnait moins d'argent  mais elle n'appréciait ni la bière ni la main des clients. Faire le ménage ne la rebutait pas d'autant plus qu'au bout de quelques jours Louise qui la trouvait sympathique faisait le ménage avec elle. Le temps gagné sur les tâches ménagères, Louise et Nina le consacrait à bavarder entre femmes.

Parce que son français était encore fort hésitant, quand Nina s'adressait à Louise, plutôt que de la vouvoyer, elle lui disait:

- Madame faire les choses très bien.

Et Louise, un instant, avait le sentiment d'être une personne de la haute société à une époque où, elle l'avait lu dans un magazine, on s'adressait aux maîtres à la troisième personne. C'était idiot mais cela avait son charme.

Jean n'était pas mécontent de cet arrangement. Désormais il avait deux femmes à domicile, et il profitait de Nina lorsque Louise faisait des courses en ville. Quelques caresses lorsqu’elle passait à sa portée. 

Au bout d'un mois, Louise s'était attachée à Nina comme à un membre de sa famille.

- C'est qui ce gentil grand petit garçon?

- Vaclav, Madame.

- Vaclav. Et il parle bien le français ?

Nina avait emmené son fils. Le mercredi après-midi, il n'y avait pas école mais la voisine qui le gardait le mercredi jusqu'au retour de Nina avait du s'absenter.

- Tu as bien fait.

Vaclav était un garçonnet de trois ans aux cheveux noirs et aux yeux bleus qui la fixait avec ce qu'elle devinait être un peu d'inquiétude. Elle était profondément émue de penser que le fils d'un de ces terribles slovaques, des hommes frustes à en croire certains magazines, qui ouvraient leur couteau à la moindre remarque déplaisante, pouvait avoir de l'inquiétude devant elle. Ces hommes, de véritables brutes pour qui les femmes n'étaient que des…, elle n'osa pas poursuivre sa pensée. Elle se pencha.

- Je peux t'embrasser.

Elle se tourna vers Nina.

- Amène-le avec toi le mercredi. Ce n'est pas la peine de payer quelqu'un pour le garder.

Jean avait dit à sa femme qu'elle avait eu tort, Nina n'était que la femme de ménage mais Louise avait répondu:

- Rien qu'une femme de ménage?

Jean n'avait pas insisté. Louise le regarda se lever en s'appuyant sur les coudes et sortir le dos courbé. Son pas sur l'escalier était celui d'un homme qui descend les marches avec prudence. Il n'avait que cinquante huit ans cependant.

C'est étrange. Cet homme qu'elle avait épousé il y a vingt ans ne lui était plus rien. Un étranger qui ce soir se glisserait dans son lit en lui tournant le dos. Elle se demandait pourquoi elle l'avait épousé.

Elle se souvenait de leurs caresses, de leurs enlacements, mais les images qu'elle évoquait lui étaient devenues plus éloignées que celles qu'elle lisait dans ses magazines durant une heure tous les après-midi, avant d'ouvrir la télévision.

Tout l'amour qu'elle ressentait, elle était sentimentale comme une jeune fille, elle pleurait lorsque les scènes d'un film étaient tristes, elle s'aperçut qu'elle le portait sur le fils de Nina qui aurait pu être son petit fils si Nina avait été sa fille. En revanche, elle ne voyait pas le rôle de son mari dans ce tableau.

Elle fît venir Nina tous les jours de la semaine. Elle était fatiguée; disait-elle.

- Je ne sais pas si c'est ce que j'ai mangé mais j'ai l'estomac tout barbouillé.

Qu'elle vienne tous les jours, et plus encore, pensait Jean. Ce doit être la ménopause. Il n'avait pas envie de se disputer avec Louise. D'ailleurs, lui aussi, avait l'estomac barbouillé.

- Tu n'irais pas voir le médecin?

Il disait non en secouant la tête. Un peu de Malox ferait l'affaire. Et puis il eut des crampes d'estomac.

- Monsieur pas bien.

- C'est la méchanceté qui remonte.

Un jour après le repas, il était assis dans son fauteuil et lisait son journal. Il eut un haut-le-cœur, le journal glissa sur ses genoux, il avait la bouche ouverte, il était mort. Un arrêt cardiaque.

Louise n'aurait pas imaginé que cela irait si vite. Elle en parla à Nina.

- Tu vas vivre ici. Je ne peux pas vivre seule. Il y a la petite chambre. Ce sera votre chambre au petit et à toi.

Au bout de quelques jours tout fût arrangé. Nina avait déménagé les quelques meubles qu'elle possédait et Louise avait acheté ce qui d'après elle manquait à Nina et à son petit garçon. Le petit Vaclav appelait Louise: bouba.

- On dirait bonne maman.

Quant au café, ce fut Nina qui descendit pour servir les boissons. Elle apprit à sourire et, parfois, à rire lorsque le client faisait une plaisanterie. Pour des plaisirs plus masculins comme le disait Louise, elle engagea une jeune polonaise qui venait d'immigrer, et qui ne se fâchait pas quand un client qui lui offrait à boire lui tâtait la cuisse un peu au dessus du genou.

 

 

Lire la suite...

Certains membres du réseau ont parfois leur adresse mail personnelle piratée.

Ce fait qui n'est aucunement lié avec le réseau provient très souvent de l'imprudence des possesseurs de comptes mails qui perdent ainsi tous leurs courriers mails.

Je rappelle à ces personnes qu'il faut prendre des précautions drastiques pour ne pas se faire pirater son adresse mail: utilisez de longs mots de passe composés de chiffres et de lettres, et ne confier son mot de passe à personne. Ainsi qu'utiliser un moyen sûr pour retenir son mot de passe.

Ces personnes sont obligées alors de choisir une nouvelle adresse mail.

Pour essayer de résoudre ce genre de problèmes qui les empêchent de communiquer avec le réseau, je signale que l'on peut me contacter personnellement via l'adresse 

https://twoople.com/art

Cela vous permettra de chatter personnellement avec moi afin d'essayer de régler vos problèmes

Pour connaître ma disponibilité en live chat, examinez la colonne de droite du réseau: ma disponibilité  y est indiquée en dessous du logo du chat:

823fff03fbefb2afbf88.jpg?width=100

Cordialement

Robert Paul

Lire la suite...

Plus de nouvelles pour un moment !

Trop de choses à la fois à vous raconter, l'intensité du voyage, du stage, des découvertes et des enchantements liés ne le permettant pas : la cadence est si soutenue, que le temps manque pour essayer de vous donner plus de nouvelles pour l'instant.

Alors je réunis quelques photos de temps forts du voyage pris au hasard lors des derniers jours en les associant à quelques pages des carnets de voyages (certaines inachevées), prouvant la réussite et le plaisir des participants, pour vous faire patienter un peu sur la suite de nos aventures, car nous partons demain matin pour l'Amazonie, où une pirogue nous attend pour notre prochaine étape...

Vous n'aurez donc aucune nouvelle pendant une bonne semaine au moins, étant coupés d'Internet pour quelques jours.

Alors à bientôt, j'essaierai de faire quelques articles sur ce stage tout à fait exceptionnel à notre retour, en attendant, voici les photos promises, puisées dans les centaines de photos prises au cours de ces derniers jours...

Sous les sommets andins...

Sous les sommets andins...

Epicerie du petit village d'Andahuylillas par Daniela

Épicerie du petit village d'Andahuylillas par Daniela

Danses traditionnelles de la jeunesse de Cuzco.

Danses traditionnelles de la jeunesse de Cuzco.

Au marché de Pisac par Michèle.

Au marché de Pisac par Michèle.

Entre les étals de ce marché...

Entre les étals de ce marché...

Le marché andin de Mercé.

Le marché andin de Mercé.

Le train des Andes à plus de 4000 m.

Le train des Andes à plus de 4000 m.

La marchande de couleurs de Laurette.

La marchande de couleurs de Laurette.

Les pierres gigantesques d'un mur du site Inca de Sacsaywaman.

Les pierres gigantesques d'un mur du site Inca de Sacsaywaman.

L'Urubanba vu des fenêtres de notre wagon...

L'Urubanba vu des fenêtres de notre wagon...

Les incroyables mines de sel de Maras.

Les incroyables mines de sel de Maras.

Le site grandiose du Machu Pichu sous le soleil.

Le site grandiose du Machu Pichu sous le soleil.

12273022882?profile=originalCroquis de Catherine au Machu Pichu

Touristes découvrant le Machu Pichu par Alice.

Touristes découvrant le Machu Pichu par Alice.

Fête sacrée de Torre-Chayo au village de Yucay

Fête sacrée de Torre-Chayo au village de Yucay

Dernier regard aux sommets...

Dernier regard aux sommets avant le départ pour la forêt amazonienne

Lire la suite...

Une étoile si bleue...

---

---

---

---

---

---

Par delà les chemins connus, ceux qu’empruntent les manants, les passants, les marchands et les chevaux aux charrettes attelés, en marge des sinueuses sentes de terre dont les poussières, les cailloux et les herbes folles regorgent d’empreintes de semelles, de crachats et de sueurs perdues dans l’effort de marcher, au-delà de ces horizons parfois camouflés par des haies puis soudain dévoilés en liseré sur les terres et que bien des regards ont scruté pour y apercevoir le prochain clocher, une butte familière ou un toit de chaumière, il est un sous-bois…

Que nul ne fréquente. Que personne ne voit.

Caché des regards. Évité de jour et craint le soir…

-

C’est là que s'est déroulée une histoire devenue légende. 

Qui, selon ce qu’il en est dit, s’est passée sous la lune lors d’une de ses nuits d’apogée.

-

Pour y accéder, à ce sous-bois, il faut s’armer de patience, de témérité et de résistance. De pugnacité aussi pour se décider, dans cette zone de jachères, à affronter les hauts chardons dressés sur plus d’un mètre de profondeur en bord de forrière, pareils à une armée de robustes vigiles dont les épines contondantes et bien affûtées décourageraient quiconque d’avancer.

Mais nous n’en sommes…

Et avançons…

Et puisons dans notre audace la  persévérance, aguerris d’avoir pu franchir les premières lignes de ce front nous nous aventurerons aux prises avec des lianes de ronces enchevêtrées, qui debout, qui couchées, telles un inextricable filet de mailles serrées de végétation hostile et dense étalée à la manière d’un tapis au sol ou, dressées, échevelées, pareilles à une clôture et épaisses comme un mur de donjon, vous dépassant de plus d’une tête et ne se laissant ni prendre ni arracher sans vous égratigner et vous blesser jusques à sang.

Enfin, si alors vous êtes parvenu à vous frayer un passage vous foulerez au pied, et contre toute attente, un moelleux couvert de mousses d’un vert sombre et brillant, rutilant même sous les rayons de la lune que les fières branches des grands hêtres laissent filtrer doucement. Alors, devant vous voyez, se dresseront les ruines d’une bâtisse de ferme ancienne, silencieuses et abandonnées, dont les toitures, les portes et les murs, envahis de lierres et de vigne vierge, furent le théâtre d’événements étranges que l’on se raconte de par le pays mais dont nul ne sait le vrai… 

Mais personne, depuis lors, à ce que l’on dit, ne s’est aventuré par ici.

Là où se déroulèrent les faits, il y a bien longtemps, la nature a repris possession des lieux et seuls les biches, les sangliers, les chevreuils, les lièvres, les écureuils et tous les oiseaux ayant établi nidation alentours y viennent se désaltérer à la source qui coule là, pas loin devant vous, écoutez, regardez, elle chante à vos pieds…

Et alimente le ru qui serpente en contrebas.

-

Le temps passant, l’histoire est devenue un conte. 

Nuancé de larmes, de bleus et d’ors…

Toutefois, et en dernière recommandation, pour le pouvoir comprendre ce conte, vous devez vous rendre en ces lieux à la vingt huitième nuit du calendrier lunaire… Car ce n’est qu’alors, en nocturne, quand l’astre est à son sommet, que vous pourrez entrer dans la magie des lieux et remonter le temps jusqu’à cette nuit d'autrefois où se déroulaient les événements que je m'en vais vous narrer, ci-après : 

-

-

-

Dans cette clairière cachée au milieu du touffu et du feuillu de végétations sauvages se dressait jadis une ferme, isolée, solitaire, à l’écart du village et de ses habitants. Ferme où vivait une famille avec quatre enfants parmi lesquels Flo, l’aînée, qui avait onze ans.  

L’aînée. Qui lavait, récurait, cirait, rangeait, raclait, tordait, nettoyait tout au long de la journée. Et encaissait des coups de poings et de trique partout où elle passait. Elle était l’enfant d’une famille de rustres besogneux sans égards ni tendresse. Dont le père, toujours fulminant, rentrait tard le soir des champs où il cultivait ou des bois où il coupait. Dont la mère, chaque année engrossée, toujours à grogner et rouspéter, toujours ceinte d’un méchant tablier, travaillait du matin jusque loin en soirée à s’occuper des vaches dans les étables, des cochons dans la porcherie, des trois chevaux de trait, des volailles du poulailler et du potager tout en élevant sa pecquée de marmots nés les uns à la suite des autres et qui seraient au nombre de neuf s’il n’y avait eu l'avant-dernier écrasé par la charrue, les deux pertes peu après couches et les deux mort-nés. L'on n'en faisait pas trop grand cas, de la marmaille, et si elle n'avait la robustesse pour résister ou la chance de croître, elle s'éteignait...

Depuis ses cinq ans, Flo fut mise à contribution pour toutes les tâches ménagères et n’avait pour sa vie d’enfant tout simplement « pas l’temps ! ». Mais Flo n'exigeait rien. Taiseuse par habitude, soumise par usage et modeste par coutume elle vivait ses journées dans le rythme austère qu'était le sien comme celui de tous depuis que nés. Sauf qu'elle était la plus grande et la seule sur qui ses parents pouvaient s'appuyer.

-       « Si seulement elle avait été un garçon...» ne cessait de maugréer sa mère.

Peu de soins et d'attentions, beaucoup de besognes, d'isolement et de punitions étaient le lot journalier de la petite fille.  Comme tous elle recevait le pain, et le beurre que l’on mettait dessus, comme tous elle mangeait à la table du soir sa ration de soupe et de potée au lard mais en sa qualité d’aînée elle était rompue à toutes les basses besognes que l'on exigeait d’elle.  Elle fut enrôlée à la manière d’un forçat dans une carrière, comme un conscrit dans une armée et telle le condamné sur une galère elle n’avait à dire rien et devait s'exécuter.  D'ailleurs elle ne pipait mot et acceptait son sort sans poser la moindre question, sans jamais élever le ton, sans se plaindre ni penser s’insurger. Jamais.  Elle dormait peu et souvent restait tard dans la nuit sous le regard vigilant de son père qui, une fois les travaux domestiques terminés se mettait en devoir, pour plaire à monsieur le curé, de lui imposer les lettres en lui donnant à gratter, de sa plume, des feuilles lignées. Alors, dans le silence des soirs et le chuintement de l’eau sur le feu, dans la bouilloire, elle s’acquittait de cette tâche comme d’une pénitence, sa main allant et venant, suivant la plume traçant et crissant sur le papier, courbée à la table des repas, sous le néon, dans la cuisine, quand sa mère raccommodait et que les petits étaient depuis longtemps déjà couchés.

Sans doute elle se sentait désespérée par moments. Sans doute aussi qu'une révolte grondait en elle. Mais elle n’osait la manifester.  Car les coups tombaient partout sur son corps, au petit bonheur la chance, à mains nues, avec le ceinturon toujours prêt, accroché à la patère, ou avec le bâton, oui, les coups pleuvaient. Et Flo subissait. Et s’estimait néanmoins heureuse encore car elle savait qu’ailleurs, dans d’autres fermes, d’autres enfants comme elle vivaient le pire et pour certains, pire qu’elle...

Elle n’avait qu’un seul espoir, ne rêvait qu’à une seule liberté.  Celle d’être enlevée de là où elle était pour aller ailleurs. Peu lui importait où, mais ailleurs. Et elle y songeait si fort, en rêvait si tant qu’elle croyait vraiment qu’un jour cela lui arriverait. C’était son histoire secrète. Elle se berçait de ce rêve pour s’endormir et tout le jour durant le labeur et le soir quand elle restait punie par son père, à genoux sur la règle en fer, les bras en l’air et des poids dans les mains, elle supportait la sévérité et l’injustice de ces punitions grâce à son rêve qui se déroulait devant ses yeux comme s’il devenait vrai. Elle trimait.  Elle souffrait. Elle trinquait.  Mais dans le silence et l’isolement de sa solitance elle soliloquait, et attendait. L’heure de son enlèvement. Avec le temps elle s’était construit une carapace qui lui permettait de supporter bien des brimades, des récriminations et des maltraitances, des humiliations, des vexations et des offenses car dans son calvaire elle attendait, fervente y croyait, se demandant juste quand, enfin, tout cela se terminerait.

Elle n’avait pas de vie. Elle était au milieu du bétail et des humains comme un petit animal domestique, une petite bête de somme sur laquelle ses parents se faisaient les ongles et les dents. Au fond de son cœur, malgré toutes ses douleurs, elle n’avait aucun doute qu'il y aurait une fin à tout « cela », qu'un jour viendrait ce moment ou «cela» ne serait plus.  

Au secret de sa tête elle s’était construit, jour après jour, soir après soir, une légende dont l’héroïne était une grande étoile toute bleue, toute brillante et scintillante. Souvent, de nuit, quand elle se trouvait à écrire, penchée sur son cahier, elle relevait la tête et scrutait, avide, par la fenêtre de la cuisine, le ciel de nuit. Cherchant son étoile. Elle l’aurait bien juré sur le missel de monsieur le curé qu’elle la verrait un jour qui l’attendrait.  Alors elle lui parlait, tout bas dans sa tête lui racontait ses rêveries éveillées. Lui disait comment un soir elle devrait venir la chercher pour l’emmener là-bas, loin, très loin, en des contrées où les enfants ne triment ni ne pleurent ni ne souffrent. Elle lui racontait dans ses murmures et au travers de ses larmes combien elle voulait s’y accrocher pour toujours, pour le restant de sa vie entière, à son étoile bleue.

Ainsi se déroulait la vie de Flo, fillette mal aimée, triste et solitaire. La plus grande, la plus soumise. Maltraitée aussi par les petits qui quelquefois étaient si méchants; souvent victime de leurs sarcasmes et vilenies son esprit construisait et développait un monde étrange et quelque peu terrifiant.  Un monde calciné, saccagé, en lambeaux éparpillés. Dévasté. Car hormis la lumière de l’étoile bleue de ses songes éveillés, tout autour d’elle n’était qu’ombres et obscurités. Les travaux le nez au sol, les isolements dans la cave et au grenier, les punitions diverses, les coups, les cris, les frayeurs des ordres que sa mère lui lançait, les peurs face à son père quand il revenait le soir, épuisé et brutal, tout était triste et douloureux pour elle de sorte que ses rêves de nuit se peuplaient de créatures vilaines et méchantes, hideuses, redoutables, malodorantes et salissantes, rôdant autour de ses jambes, la faisant s’encourir terrifiée de peur, la faisant tomber dans des précipices profonds, profonds, très profonds.  D’où elle s’éveillait le cœur battant, haletante, en hurlant.  Et en sueur.

Elle finissait par en devenir muette pour ainsi dire. Son père la disait têtue, récalcitrante, indisciplinée. Sa mère la disait arrogante, fière, mal née... Et l’étau de l’exclusion et du rejet se refermait ainsi de plus en plus autour de la fillette et tandis que les autres, ses deux frères et sa sœur, jouaient, couraient, se régalaient de grand air, de campagne, de vie, de jeux et de rires elle se cloîtrait de plus en plus dans sa bulle de mutisme et n’avait pour distractions, de tous temps, qu’à vaquer aux besognes dans la maison, dans les étables ou dans le jardin. Durant les rares moments de relâche elle traînait quelque  part dans un coin quand elle n’était pas punie, pour se faire oublier. Et dans son cœur meurtri l'événement de son enlèvement tant attendu, tant espéré, prenait tellement forme qu’il lui semblait avoir vie.

---

Flo avait un secret. Réel. Bien à elle. Elle possédait un coin tranquille que nul ne connaissait. Un endroit où jamais personne n’allait.  Plus loin par-delà les bâtiments de la ferme, au-delà de la grange, sous un appentis abandonné depuis de longues années, elle s’était fait un petit trou de pailles et de foin au milieu de folles brindilles d’herbes sauvages qui poussaient là et de débris de matériel agricole laissés pour compte et rouillés.  Il y passait parfois un vieux chat gris et roux, un matou pouilleux qui venait avec elle contempler et scruter les étoiles. Car c’est de nuit qu’elle y allait. Quand enfin son père et sa mère dormaient. A la faveur de l’obscurité elle se glissait hors de son lit, rampait le long du couloir de l’étage, descendait lentement les escaliers en prenant garde de ne faire craquer aucune marche, se faufilait vers l’arrière de la maison par le couloir de la cuisine et se glissait dehors, dans le noir, en passant par l’étroite fenêtre des toilettes, se hissant contre le mur comme un petit singe agile et léger, laissant la fenêtre entrebâillée pour pouvoir y remonter plus tard au retour et longeant les soues elle trottinait jusqu’à l’enclos où elle passait au travers des fils barbelés, tellement habituée à les écarter qu’elle ne s’y blessait plus guère et partait en courant, toute frêle dans sa longue robe de nuit blanche, et pieds nus, à travers les prairies jusqu'à l’appentis où, se hissant de la pointe des pieds sur les dents de la herse traînant là depuis toujours, elle s’installait, se calfeutrait dans son abri. Et songeait… Tandis que les autres dormaient. Jamais aucun d’eux n’y viendrait la chercher, elle en avait la certitude. D'ailleurs même son père avait peur de l’endroit et le prétendait hanté pour décourager quiconque d’y aller de sorte que tout le village en parlait et avait finit par le croire sans jamais plus qu’aucun villageois, ni même monsieur le curé, ne se hasardaient à s’en approcher.

Là, elle était tranquille. Là, elle rêvait... A l’arrivée de son étoile bleue, et à son enlèvement.  Elle scrutait le ciel, attentive comme une astrologue elle interrogeait les planètes, parlait aux étoiles, assurée qu’une nuit ‘cette chose là’ se produirait, sûre qu’un de ces soirs elle irait tout là bas, dans le royaume de l’étoile bleue, celle qui brillait en son âme et la hélait. Celle qui la prendrait avec elle, qui la ferait sauve car elle en serait sauvée.

---

---

---

Ce soir là il faisait tranquille dans les alentours.  Pas un souffle de vent, pas une brise, pas une goutte de pluie ne perturbait la nuit et la lune était toute pleine de lumière dans le ciel même si par endroits il se voilait de lourds et longs nuages noirs venus l’obscurcir. Flo s’était calfeutrée dans son abri et explorait le firmament en compagnie de son chat, accoudée à la minuscule petite meurtrière percée dans une des cloisons de l’appentis et regardait, les yeux droits dans la voûte céleste. Les nuages défilaient, lents, et semblaient s’effilocher, tremblants, en passant devant l’astre.

Soudain, Flo ressentait l’arrivée d’une bourrasque de grand vent. Alors que plus tôt, au sortir de la maison, tout était calme et serein voilà que d’inattendues et brutales rafales secouaient même jusqu’à l’abri où elle se tenait, faisaient chavirer jusqu'aux cimes des arbres plus loin dans la prairie et toutes les grandes herbes le long du ruisseau en contrebas. Rageur et violent, le vent sifflait et soufflait et paraissait vouloir emporter tout. La lune était régulièrement masquée par ces gros nuages qui ne cessaient de s'accumuler et la nuit se faisait noire d’encre.

-       « Il faut que je rentre, » se dit Flo, inquiétée, «papa pourrait se réveiller et peut-être avoir besoin de moi. Il faut que j’aille. Vite. Sinon je vais me faire punir gravement.»

Mis à part que son escapade ne soit découverte, Flo ne ressentait aucune crainte. Elle était curieuse surtout de voir se déchaîner si étrangement les éléments. Sortant de la masure elle allait se poster à l’entrée, près de la porte condamnée.  Sa pâle et menue silhouette d’enfant se dessinait dans l’obscurité.  Sa robe de nuit blanche voletait autour de ses jambes et de son petit corps gracile, mais elle n’en avait cure.  Au contraire, cela l’amusait de le sentir jouer dans ses cheveux, soulever sa robe, la chassant autour d’elle pareille à des voiles hissées et claquant. Et Flo riait, toute seule dans la nuit, bousculée par cette tempête, sous la lune qui la regardait. Mais il fallait partir. Cela seul l’inquiétait.  Le vent augmentait en puissance et devenait féroce. Flo riait aux éclats. Sa voix rivalisait avec les plaintes de la nature soumise aux gifles du vent et s'en allait ricocher contre les toitures des étables, et plus loin encore il lui semblait sa voix s’en allait jusqu’aux crinières des peupliers et des hêtres et peut-être, qui sait, jusqu’au clocher de l’église du village. Le souffle puissant chargé de poussières lui cinglait le visage et les jambes mais elle n’eût pas peur. Seule l’idée de son père se réveillant et découvrant son absence lui faisait courir des frissons d’épouvante dans le dos.

Brusquement, aussi vite que s’était levé le vent tout se calmait, tout s’apaisait d’un seul coup, tout se fit silence.  Plus un souffle. Plus une brise. Plus un murmure. Rien. Adossée contre le mur de briques, Flo relevait son visage vers le ciel, et étonnée le trouva tout changé.  Elle regardait la lune qui lui souriait à nouveau, remplie de lumière et c’est alors, oui c’est alors qu’elle la vit.  

L’étoile ! 

L’étoile bleue. 

Si bleue.

L’étoile bleue dont elle rêvait depuis tellement longtemps. 

Le ciel en était tout éclairé, et tout illuminés étaient les alentours , et la lune se teintait de bleu elle aussi tout à coup.  Même le paysage semblait avoir changé.  Il était devenu bleu lui aussi.  Bleues les cimes des arbres, et bleue la prairie et bleus les toits de la ferme et des dépendances, et bleues même, elle les voyait bleues les tuiles des maisons là-bas plus loin, et celles de l’église aux confins de la nuit sur l’horizon lui aussi bleui et le coq, non plus doré et brillant dans la lueur de la lune mais devenu bleu lui aussi et lançant, tel un faisceau, en myriades de rayons, comme un phare, ses reflets bleus sur la campagne et sur les bois tout autour.

-       « Oh !!! » Flo était subjuguée. « Comme c’est beau !... »

Même sa longue robe de nuit blanche était devenue bleue, toute bleue.  Elle tombait sur ses pieds nus pareils à une cataracte divine. Flo s’extasiait, battait des mains, riait et à la fois pleurait de joie et d’émerveillement.  Tout était devenu bleu et beau.  Elle n'en revenait pas.  Elle voyait la lumière l’inonder, la pénétrer, créer autour de sa silhouette un halo magique, floconneux, soyeux, vaporeux… Tout bleu. En relevant à nouveau la tête elle regarda droit dans l’étoile.

-       «Là voilà ! Oh, comme ce serait bien,» soupirait Flo, «si je pouvais partir sur cette étoile et voyager pour toujours dans le ciel tout bleu assise sur une de ses branches si bleues…»

Tout à coup, et malgré l’incontestable présence de la grande étoile dans le ciel Flo n’y croyait plus trop, à son rêve. Un doute cruel et subit lui embarrassa le cœur.

-       « Une étoile ne peut pas descendre du ciel. Une étoile ne vient pas chercher les petites filles tristes sur la terre. »

Toute cette histoire n’était que le fruit de son imagination et de ses rêveries d’enfant solitaire. Elle se sermonnait. Cependant, voilà que justement l’étoile bleue grossissait et s’enflait et devenait grande, mais grande, très très grande. Mieux même, c’était tout comme si elle s’approchait. Et cette fois, Flo prit peur car en vérité son rêve se réalisait puisque l’étoile, toute grosse devenue, et bleue comme jamais, s’approchait de la petite fille. 

-     «Mais comment ? C’est peut-être un incident de la nature,» se dit-elle. «comment donc une étoile pourrait-elle descendre de si haut et de si loin pour s’approcher des champs, et des bois et de moi ?»

A nouveau elle n’y croyait plus, n’y croyait pas.  C'est au moment précis où le doute s’insinuait dans son esprit, qu'aussi subitement qu’arrivait la tempête tout à l’heure que tout prenait des airs bien étranges, si insolites, si féeriques autour d’elle. Magiques à la fois qu’inquiétants.  Et Flo eût peur. Une peur d’enfant. Derrière l’astre qui paraissait avancer une longue traînée d'un bleu translucide tapissait à présent le ciel.  Et c’était beau ! Tout était si beau ! Si bleu ! Flo battît des mains, exaltée, extasiée. Tremblante à la fois d’appréhension et de joie, toute emplie du mystère de cette beauté que le ciel lui offrait, émerveillée du spectacle que la nuit lui apportait, rien que pour elle, rien que pour son âme, rien que pour ses yeux.

Rien que pour ses plaies…

Subjuguée, quoique perplexe, Flo s’éloignât de l’appentis et fit quelque pas au dehors, dans l’herbe dont la rosée, doucement, lui chatouillait les orteils et les talons.  Elle s'avançait, les bras tendus vers le ciel comme si elle allait pouvoir saisir l’étoile.  Mais celle-ci paraissait tellement loin encore.  Si loin. Inaccessible pour les enfants terriens.  Le léger bruissement des feuilles dans les peupliers et les hêtres lui murmuraient aux oreilles comme des milliers de petites voix. La vie, en cet instant, semblait à Flo douce et charmante et gentille et facile et dépourvue de menaces, de souffrances, d’angoisses et de doutes et de peurs.

Et voici que l’étoile bleue s’avançait vers la terre. Voici qu’elle s'approchait pour de vrai, de tout là-haut elle arrivait jusqu’aux pieds de Flo où, enfin, elle se posait, tranquillement et comme si cela lui était tout naturel, sur l’herbe. Et tout cela dans un grand remue-ménage de bleus. Et Flo ne connût aucune frayeur. Elle alla d’un pas lent, sans aucune hésitation, vers l’étoile et lui tendit la main. Son rêve était vrai ! Il  se passait là devant ses yeux.  L’enfant s’avançait vers l’étoile au point de la toucher du bout des doigts puis, de la paume, la caressa sur une des branches la plus proche d’elle, stupéfaite de constater que l’étoile n’avait aucune aspérité, aucune rugosité, que tout en elle était lisse, et tendre, et doux.  Et que non plus elle ne brûlait. La surface en était tiède et veloutée comme les joues d’un bébé.  Et Flo frémit. Et se sentit animée d’une secrète énergie. Elle recula de quelques pas pour contempler l’astre bleu venu lui rendre visite.  Et c’est dans ce recul, prenant distance ainsi, qu’elle le vit...

Le jeune garçon sur une des branches de l’étoile, assis.  

Qui lui sourit.

Habillé d’un bel habit de soie et de satin, d’un bleu aussi bleu que l’étoile, ce qui le confondait avec elle.  Autour de son cou, attachée à un ruban de velours d’un profond bleu scintillait une minuscule étoile de cristal sertie de pierres de lumières bleus claires et translucides, cerclées  d’or, pareilles à une eau fraîche, limpide et pure. Tout dans les traits du visage du garçon lui était doux.  Ses yeux, son nez, sa bouche, ses dents, même ses mains qu’il levait vers elle dans un signe de bienvenue paraissaient à Flo souriants et lumineux.  Et comme il était gracieux, comme il avait l’air précieux, comme il était joli dans son habit, assis, longiligne, confondu à l’étoile, comme faisant partie d’elle. Dedans l’étoile. Oh, il ne devait guère être plus âgé que Flo.

-       « Nous sommes à peu près de même taille. Et sans doute du même âge.» jugeait-elle.

Flo n’avait jamais accordé beaucoup d’importance à ses congénères.  Les garçons et les filles elle ne les connaissait presque pas puisqu’elle n’allait jamais à l’école, et quand certains d’entre eux, venus du village pour la cueillette des champignons, passaient non loin des prés et des enclos de la ferme ils ne faisaient que se moquer d’elle. Aucun d’eux n’était de ses amis…  Ils la conspuaient, la huaient, la ridiculisaient, lui lançaient des pierres même quand ils la voyaient mener les vaches aux pâtures et elle se cachait alors derrière la Brunette pour se dérober à leurs moqueries tout autant qu’aux projectiles qu’ils lui destinaient. Mais là, devant ce jeune garçon elle se sentait sans crainte ni défiance, au contraire, elle sentait grandir en son cœur et son âme une émotion profonde, un sentiment de tendresse, de confiance et de douceur pour ce garçon assis tout habillé de bleu arrivé du ciel sur son étoile bleue.

Comme tout cela était étrange. Comme tout cela était beau.

Flo se sentait légère et joyeuse comme jamais elle ne le fut.

-       « D’où viens-tu ? » lui demande le jeune homme en inclinant légèrement le buste d’un geste aimable, se penchant ainsi au dehors de l’étoile, le visage tourné vers Flo.

-       « De là-bas… » répond Flo faisant un vague geste vers les étables et la chaumière.

-       « Qui es tu ? » lui demande le garçon.

-       « Je m’appelle Flo ! » lui répond l’enfant solitaire.

-       « Que fais-tu là ? » insiste encore le garçon assis sur l’étoile.

-       « Je t’attendais...  » lui répond Flo d’une voix tremblante. « Ne t’en vas pas s’il te plaît… » ajoute-t-elle tout bas, timidement.

-       « Tu m’attendais ? » questionne le garçon, surpris.

-       « Oui… » dit Flo.  Elle exhale un long soupir et reprend : « Depuis si longtemps. Si tu savais seulement… »

-       « Et comment m’as-tu découvert ? »  lui demande le garçon .

-      « Mais... » dit Flo surprise,  «...c’est toi qui m’as trouvée ! Il y a eu beaucoup de vent, puis le ciel a changé de couleur, la lune et les arbres et les maisons et l’herbe sont devenus bleus, et j’ai vu ton étoile là-haut toute belle et si bleue qui teintait le monde en bleu, et je l’appelais, l'espérais… Je voulais y grimper, m’y accrocher, je m’imaginais voyager dessus pour partir.  J'en faisais le vœu.  Et puis elle est arrivée près de moi et te voilà ! »

-       « Oh ! » dit-il avec un soupçon de drôlerie dans l’angle des yeux, « Il me semble que tu fais erreur.»

Alors Flo plongea ses yeux loin dans le regard du garçon qui reflétait une immense gentillesse et tant de douceur. Elle se sentait rayonnante.

-       « Tu te trompes je crois oui..." continuait-il,  « Car vois-tu, pour que je sois parvenu à te trouver, pour que tu sois arrivée à me laisser te trouver, tu as du parcourir une longue route, un long et lent et solitaire et pénible chemin.  Et si tu n’avais pas l’âme claire, translucide et pure, transparente comme le bleu de mon étoile, je n’aurais pu te voir ni te sentir m’inviter à te rejoindre, et toi tu ne pourrais me voir même de tes propres yeux au milieu de tout ce bleu. »

-       « Mais bien sûr que je t’ai attendu ! » s’exclame Flo dans un vif élan de sincérité. « Et pour sûr que j’ai fait un long chemin et que j’ai l’âme claire et que je te vois bien ! Je n’ai jamais fait de mal tu sais, même si ils le disent, jamais ! Je n’ai même jamais tué ni une fourmi ni un scarabée ni même une araignée. Pourtant j’ai peur d’elles quand ils me punissent dans la cave. Mais jamais je n’en ai tué une seule, d’araignée. » Et elle ajoute, plus bas : « Combien elle est belle ton étoile alors ! Et, dis-moi... Tu resteras ici, près de moi, longtemps ?... »

-       « Cette étoile est ma maison et je vais et je viens où je veux quand je veux puisque c'est en elle que je demeure ; » lui répond-il, « et que c’est elle qui me mène partout. Puisque c'est en elle que je vis et qu’ensemble nous voyageons dans les cieux.  Je dors en elle et elle me transporte. Dans tout l'univers... »

-

Il en avait de la chance ce garçon ! Flo ne ressentait aucune jalousie, au contraire, elle se sentait très épanouie. Et éblouie.  Et si heureuse aussi de pouvoir regarder l’étoile, si enchantée tout autant de pouvoir se mirer dans les yeux doux et profonds du garçon.  Les admirer, en remplir les siens, s’en nourrir.

-

-       « Peut-être que c’est cela, le bonheur, » se dit Flo et voilà que son cœur se mettait à cogner en dedans contre ses flancs à coups rapides et violents comme jamais il n’avait cogné dans sa poitrine, pas même dans ses pires terreurs, pas même dans ses pires douleurs… Il lui semble le sentir tressauter de joie contre ses côtes pour la toute première fois de son existence.

-       « Où voudrais-tu aller ? » lui demande le garçon assis dans l’étoile. 

Le cœur de Flo bondit de plus belle. Peut-être qu’il aimerait l’emmener avec lui faire une ballade dans le ciel, ou même repartir avec elle pour faire des voyages, partout, avec lui ?… 

-       « Où ? » Flo soupire, hausse les épaules, s’accroupit sur le sol et lui raconte d’une voix ferme : « Mais… Partout ! Comme tu me l’as dis !  N’importe où ! Partout ailleurs qu’ici, voilà ! Dans le ciel, près de la lune, près du soleil, au dessus des rivières et des rizières et des mers.  Dans les vents et les tempêtes, dans les aurores boréales, j’en ai vu dans le grand livre d’images des aurores boréales, c’est si beau, et dans les couchers des soirs et sur les levers des matins ! Partout où tu voudras, mais ailleurs qu’ici ! »

En faisant un ample geste du bras Flo désignait tout ce que représentaient pour elle les lieux qu’elle souhaitait quitter. Son visage tout éclairé de lumière bleue reflétait sa détresse, son impossible bonheur.  C’est alors qu’elle se rendit compte que le jour à l’horizon se levait, que l’aube pointait et qu’il allait falloir rentrer là bas dans la clairière du sous-bois, dans la maison où elle  devra grimper l’escalier en catimini jusqu’à l’étage et retrouver son lit avant que les autres ne se réveillent et ne se lèvent. De lassitude, ses deux bras lui retombent le long du corps. Retourner là-bas... Et une insondable désespérance s’empare de la petite.

-       « Il me faut partir... Reviendras tu ? » demande-t-elle à la fois pleine de crainte et d’espoir au jeune garçon.

-       « Bien sûr je reviendrais ! Si tu le veux toi ! Tu me retrouveras toi-même et ici même ! Tu verras ! Et même mieux que cela.  Je serai là pour toi et tu me verras puisque tu viendras à moi ! Qui sait, même que tu m’appelleras… »

Tout en parlant il défaisait de son cou le ruban bleu dont il laissait glisser l’étoile de cristal et la tendant à l’enfant lui dit :

-       « Voici pour toi, en gage de notre amitié et de mon prochain retour. »

-      « Oooooh ! » s’exclame Flo dans un soupir ravi, toute rayonnante de surprise et de plaisir. «Un gage ! Pour moi ? Merci ! Je la mettrais à l’abri ta petite étoile, bien cachée sous le matelas de mon lit, et je la regarderais chaque soir en pensant à toi. Mais à présent il faut que je file, sinon mes parents vont se réveiller et je me ferais battre, c’est certain. »

-

Alors, à reculons Flo s’éloigne de l’étoile tout en saluant le jeune garçon, devenu son ami, du regard.  Il a pour elle un doux sourire. Et Flo s'en retourne dans le matin levant, courant, pareille à un petit fantôme dans sa robe de nuit blanche, foulant d’un pas pressé l’herbe mouillée, ne se retournant pas une seule fois.

---

---

---

Revenue dans la maison elle gravit, preste, les marches de l'escalier sur la pointe des pieds.  Et se hâte vers son lit pour s’y emmitoufler, grelottante de cette nuit exubérante, froide mais magique qu’elle vient de vivre. Juste à temps ! Le réveil dans la chambre d’à côté se met à sonner. Flo allait reprendre le bât de sa vie blessée pour une nouvelle journée. Mais elle n’était plus seule à présent. Elle avait un ami. Et il reviendrait ! Et elle le reverrait ! Et elle s’assoupit, paisible, gardant bien serrée dans sa paume droite la petite étoile de cristal et de diamants, toute bleue de lumières célestes et de promesses. Il allait revenir. Il le lui avait promit. Quand sa mère ouvrait la porte de sa chambre, lui criant de descendre préparer la table, Flo sautait de son lit sans fatigue ni lassitude ni appréhension.  Et c'est sans peur qu'elle enfile ses chaussons, va à la salle de bains se débarbouiller, s’habiller puis descend préparer les déjeuners.

Durant vingt longs jours et vingt longues nuits sans repos ni répit Flo ne put aller rejoindre la cabane pour y rêver.  Elle était harcelée jusqu’au soir et même tard, très très tard, de travaux et de pénitences et pas un moment ne lui était laissé pour respirer.  

Un soir, après la soupe, monsieur le curé était venu jusqu’à la ferme et avait tenu avec ses parents de longs conciliabules. Curieuse et inquiète, Flo s’était postée dehors, près de la fenêtre de la cuisine, pour écouter ce qu’ils racontaient. Une catastrophe !

-       « Votre fille est en âge d’aller à l’école depuis longtemps. Vous ne pouvez la garder à la maison comme servante, c’est inconvenant ! »

-       « Inconvenant ?! » grondait papa. «Inconvenant ! Voyez-vous ça comme vous m'parlez m'sieur l'curé ! Comment voulez vous qu'nous arrivions à m'ner toutes ces b'sognes adon ? Nous avons trois enfants en bas âge, ma femme est grosse à nouveau et moi j'suis aux champs tout l'long des jours ! Nous avons b'soin d'l’aide de not'fille aînée, rendez vous compte allons ! Elle n’a rien à faire à l’école, elle n’y apprendra qu'du vent ! J'lui fais faire ses exercices pour écrire voilà qu'est d'jà bien suffisant. »

-       « Certes non ! » s’exclamait le curé. «Vous avez le devoir de scolariser votre fille monsieur Descourt, sans quoi je me verrais dans l’obligation de faire venir les gendarmes !!! »

-       « Des gendarmes !? Chez nous ? Ah tudieu ! Comme vous y allez m'sieur l'curé ! » l’interrompit sa mère. « Il n’en s'ra pas question ! Et nous prend'not'aînée, ça, pardi, ne s'pourrait qu'à la condition qu'vous nous trouviez un garçon d'ferme et une servante ! Mais qui les paiera ? Pas nous toujours bien !»

-       « Je peux vous aider pour cela, mais cette enfant ne doit plus continuer comme ça !» dit le curé déterminé, « Il y a le fils de Gloria, il est un peu simplet mais il connaît les tâches, et Gloria pourra remplacer votre fille dans la maison en échange du logis et du couvert pour autant qu’ils soient à l’église et aux vêpres chaque dimanche. »

-       « Non ! » fut la réponse tonitruante de son père. « Nous n'voulons d'personne chez nous ! Surtout pas Gloria et son bon à rien d'fils. Il n’a pas tout'sa tête m'sieur le curé, vous l'savez fichtre bien ! D’ailleurs, c't'école, c'est pô nous qui la payera ! Rapport qu'on n'a pas d'quoi ! Un dédommag'ment oui, v'la c'qu’il faudrait nous donner pour nous prend'not'fille ! Vous l'savez bien que nous n’avons pas d'quoi d'jà nous nourrir et nous chauffer tout'la famille. »

-       « Pour cela soyez sans crainte. Cette enfant est une sauvageonne. Il faut l’éduquer, la discipliner, lui apprendre les devoirs civiques et religieux, il faut qu’elle apprenne les travaux d’aiguille et les prières. Nous pourrions la placer chez les religieuses du couvent de la Sainte Croix. Elle y fera des travaux de lessive et de nettoyage en échange de son apprentissage. Toutes les jeunes filles travaillent là-bas. Vous n’aurez qu’à vous en louer, plus tard. »

Un grand silence tombait dans la cuisine. Quelques raclements de gorge, quelques soupirs, des bruits de goulot de bouteille puis de verres, et enfin la conversation qui reprenait sur un ton plus apaisé. Mais dehors, le long du mur près de la fenêtre, Flo n’écoutait plus. Elle grelottait de terreur. Les religieuses du couvent de la Sainte Croix ?! Mais quelle horreur ! Il n’y avait là que des orphelines ! Et toutes habillées de la même manière, en long, et en gris... Puis maman lui a toujours dit que ces nonnes là étaient très méchantes et qu’elles battaient les enfants. Oh non ! Cela ne se pouvait. Et puis Gloria, et son fils, qu’allaient-ils venir faire ici ? Ce garçon lui, il était sourd comme un pot, et bête comme une poule, puis sale encore, comme un crapaud. Et totalement construit de travers avec ça... Quelle aide apporterait-il à son père celui-là ? Et puis cette Gloria, toute grosse comme elle était, comme une truie qui n’avançait pas, et qui avait la mauvaise langue disait maman; comment allait-elle pouvoir s'en accommoder elle, si bourrue, si sévère, si vilaine parfois, et toujours à la bourre ?

-       « De toute façon, » se dit Flo, « son couvent à monsieur l'curé, j'n’irais pas. Du tout ! »

Les chaises se bougeaient dans la cuisine...

-       « Sommes-nous d’accord ? » demandait le curé.

-       « A condition m'sieur l’curé...» répondait le père, «...qu’il ne faille rien payer pour la gosse, que nous ayons les deux chariots d'foin d'chez les Médard à l’hiver chaque année et que Gloria et son rej'ton aillent s’installer dans l'sous-pente et s'contentent des mêmes rations qu'Flo nous sommes d’accord oui. Puis d'toute manière, comme vous l'dites bien, c't'enfant a b'soin d'discipline et d'correction sinon il n’en sortira jamais rien d'bon. Quand viendrez-vous la chercher alors ? »

-       « Ah ! Enfin ! Vous voilà devenu raisonnable, » répondait le curé en toussotant. « L’école recommence juste après la Pâques, dans une semaine. Je vous enverrais une des filles de la Sainte Croix pour prendre la petite. Elle n’aura pas besoin de linge. Le couvent fournit tout aux demoiselles qu’il héberge. »

Le reste de la conversation se noyait dans un lourd brouhaha pour Flo. Ses oreilles sifflaient, bourdonnaient, ses tempes battaient, elle se sentait nauséeuse et courait aussi vite qu’elle le put jusqu’à la porcherie où son estomac, sous l’effet de crampes et de spasmes, se vidait de ce qu’elle avait avalé au souper. Après quoi, suante et tremblante, elle reprit le chemin de la maison, passa par derrière et rentrait dans la cuisine. Papa et maman était encore assis à la table. Monsieur le curé était parti.

-       « Où étais-tu passée ? » criait maman. « Tu d'vais laver les assiettes du repas ! Pourquoi ne l'fais-tu pas ? »

-       « J’étais dehors maman. J’avais entendu des bruits dans les soues, je pensais qu’un des cochons se serait enfui. »

-       « Nous n'ferons jamais rien d'bon avec toi ! » tonna son père, « Mais...» grinçait-il entre ses dents, «tout ça va changer à présent ! Tu vas aller à l’école ! Chez les filles de'la Sainte Croix ! Où tu s'ras dressée ! Là-bas tu verras, t'apprendras à obéir et à marcher droit ! Durant plusieurs années qu'tu'auras à travailler et à filer doux. Nous n’avons plus l'moyen t'faire obéir. Ni celui de t'nourrir. D'autant qu'tu ne fais pas grand'ouvrage pour ce qu'tu coûtes en nourriture ! »

Et sa mère d’ajouter, de son air renfrogné et mécontent :

-       « Ah bah ! Là qu't'en as d'la chance toi dis le ! Tu vas pouvoir t’instruire pour l'heure ! Comme les riches !...»

Le cœur anxieux, les jambes tremblantes, Flo se martelait l'esprit de questions. Elle ne comprenait pas. Elle marchait droit lui semblait elle, et filait doux.  Et travaillait. Et tout ce qui lui était demandé, elle le faisait.

-       « Je ne veux pas aller au couvent papa ! » Flo pleurait à chaudes larmes. « Les religieuses sont méchantes, c’est maman qui l’a dit ! »

-       « Tu f'ras c'qu’on t'dira d'faire et sans discuter ! » répliquait son père tout en lui administrant une claque en pleine face. « V'là pour la peine ! Et à présent monte dans ta chambre qu’on n't’entende plus ! »

Sanglotant, elle gravissait l’escalier. Elle faisait pourtant toujours tout ce qu’on lui demandait. Ne rechignait jamais. Elle rêvait aussi, c’est vrai, des fois, les mains dans l’eau de vaisselle ou de lessive, ou sur le manche du balai, elle rêvait.  Elle rêvait à en oublier de frotter ou de balayer. Elle rêvait, encore, des fois, sur les longues pages de punitions écrites dont sa main droite tant souffrait. C’est vrai, elle rêvassait comme le disait maman. A en avoir oublié un jour de verrouiller les battants d'une soue à cochon. Quelle pagaille ce jour là ! Ou à  renverser le seau de lait, une fois que c'était arrivé, mais c'était une fois de trop, elle ne l'oubilierait jamais la raclée qu'elle a prise de son père, où elle avait été se blottir près de Brunette durant toute la nuit, pleurant à s'en arracher les côtes, réchauffée par son haleine dans son cou... A en oublier de remplir les lignes du cahier de son écriture penchée.  Appliquée. Alors papa criait et se fâchait, la houspillait ; alors papa l’injuriait et la bourrait de coups pour qu’elle avance.  Ou déchirait sa page et elle devait recommencer tout, les yeux brûlants de fatigue, n'y voyant plus clair...

Tout en montant vers sa chambre elle entendait encore la grosse voix de papa qui disait :

-       « Y'a plus d'chemin avec elle. C’t'une bonne chose que d'nous en séparer et d'la placer."

Et Flo eut peur.  Peur de ne jamais plus revoir l’étoile si bleue, ni le jeune garçon si aimable aux yeux de miel et d’océan.  Qui lui parlait avec tant bonté. Et lui souriait. Elle se fit des remontrances et des promesses tout en se glissant dans son lit après avoir récupéré sous son matelas son étoile de cristal. Elle se maitriserait se dit-elle, jusqu’à ce qu’il revienne. Elle tiendrait sa bouche cousue.  Elle ne répondrait pas, elle ne répondrait  plus. Ne montrerait pas sa peur.  Elle jouerait à merveille l’enfant docile, courbée, soumise et bornée, comme ils la voulaient, elle jouerait même les stupides dans l’espoir que l’on ne veuille pas d’elle dans l’institution de la Sainte Croix.  Qu’on la trouve trop bête, trop arriérée pour y aller.

Mais depuis la visite de monsieur le curé, son père avait changé. C’était comme si toute sa méchanceté brusquement était venue à la surface, à moins qu'il ne soit fâché qu'elle partait, ou triste, après tout c'était son papa... Et même maman, qui pourtant parfois avait des moments de tendresse pour elle, voilà qu’elle était devenue son ennemie, la harcelant à l’ouvrage, lui jouant des tours vilains comme de la faire trébucher dans le purin en tendant devant ses pieds le manche de la pelle à racler. Et Flo souffrait. Mais s’appliquait à se faire petite, obéissante et disciplinée. Hélas, malgré ses efforts à leur plaire, un soir où maman était en colère contre Flo qui n'avait pas fini de peler les pommes de terre elle fut battue par son père dès qu’il était rentré, à coups de ceinturon sur les fesses, les mollets, dans le dos, partout et même jusque dans le cou. Elle avait beau hurler, il n’arrivait plus à se maîtriser. Et maman regardait. Sans broncher. Jusqu’à ce que Flo s’affaissait sur le sol, immobile, inerte, presqu’inconsciente.

Elle ne sut jamais comment elle se retrouvait dans son lit. Elle s’y réveillait au cœur de la nuit, suffoquant encore de douleur, ramassée en boule sous ses couvertures, les larmes lui coulant des yeux sans s’arrêter.

---

---

---

C’est cette nuit là qu’elle se décidait. Cette nuit là qu'elle s'en allait. Déterminée à ne plus revenir jamais, dût-elle mourir de froid et de faim dans l’appentis. Elle extirpait à grand peine son petit corps meurtri et douloureux, rempli de blessures et de bleus de sous les couvertures et allait, pieds nus et au creux de l’obscurité, longeant le couloir vers la cuisine jusque dans les toilettes et se hissait avec peine vers la petite fenêtre. Cette fois cependant Flo ne la laissait pas entrebâillée.  Elle la fermait ! Avec le loquet, par l'interstice aménagé dans le montant, passait par les soues à cochons, et sans un regret, sans un regard en arrière, allait jusqu’à la prairie où elle se trainait plus qu’elle ne marchait jusqu’à la cabane abandonnée, décidée à ne plus revenir chez eux là-bas, jamais.  Plus jamais ! Dans sa menotte, bien serrée, elle tenait son étoile de cristal, son talisman. Et se fit promesse que jamais aucun d’eux, pas même le curé, pas même les nonnes, ni ses frères ni sa soeur, ne la convainqueraient de revenir, et au pire ne la retrouveraient vivante. Elle resterait là cachée dans l’appentis jusqu'à ce que son ami revint sur l'étoile bleue, elle y dormirait et même y mourrait de faim s'il tardait, elle s'en fichait bien. Ce qui était certain c'est qu'elle n'avait plus ni l’idée ni le goût de revenir dans cette maison. Elle décidait de leur tourner le dos à jamais., Son dos si douloureux, son dos zébré de coups de ceinturon dont la peau brûlait à se frotter contre le tissu de sa robe de nuit tandis qu’elle se hâtait tant qu’elle pouvait à traverser en boitillant le pré baigné de la clarté lunaire.  Ses yeux étaient de braises, ses larmes de plomb.  Les joues cuisantes de honte, de souffrance et de colère aussi, et les dents serrées, et les poings brandis, elle se jurait que jamais non, jamais plus elle ne retournerait dans cette famille, dans cette maison. 

-       « Jamais plus ! » 

Elle murmurait. Ses pieds nus foulaient l'herbe encore tiède du soleil de ce début de printemps.   La lune était pleine.  Les arbres tranquilles.  Une grenouille coassait.  Le silence lui répondait. Arrivée près de l’entrée de l'appentis elle se mit à genoux contre le mur et levait les bras au ciel. De longues et lentes larmes ruisselaient sur son petit visage tourmenté par la souffrance et le chagrin. Elle ouvrait ses mains et la petite étoile de cristal se mit à briller sous les rayons de la lune, toute bleue et scintillante dans la nuit. Et elle appelait de tous ses vœux sa grande étoile bleue et son ami qui la conduisait.

Et le vent se levait, comme l’autre fois.  Il rugissait, soufflait, s’affolait, exhalait une haleine douceâtre de fin de journée, s'agrippait à la robe de nuit de Flo, la faisait claquer autour de ses épaules, de ses jambes et sur ses hanches. 

Puis tout se calma. Puis tout devint beau. Et bleu. 

Et l’étoile si bleue apparût une nouvelle fois dans le ciel.  Et tout devint lumière.  Et le garçon, souriant, était assis sur une des branches comme en un sofa, de la même manière que l’autre fois.  Il la regardait, des mains la saluait et lui demandait :

-       "Où étais tu de ces nuits passées ?" 

Alors Flo se laissa choir dans l’herbe.  Alors Flo se racontât, bouleversée de tristesse à la fois que transportée de bonheur.  Des heures durant lui semblait-il se raconter.  Tandis que le monde entier tout autour paraissait figé.  Comme si les aiguilles avaient cessé leur course sur le cadran du temps.   La lune ne changeait plus de place.  Les nuages ne circulaient plus dans le ciel. Pas un souffle de vent ne remuait dans les branches des hêtres et des peupliers. Il semblait que la nature entière, de la source au ruisseau plus loin, en contrebas, l’écoutait. 

Et Flo parlait.  Elle pleurait de même et racontait.  Absolument tout. Les maltraitances, les privations, les violences, les humiliations, les injures et les coups de ceinturon ainsi que la méchanceté des enfants du village et la menace de l’institution des filles de la Sainte Croix.  Tout ce qui lui donnait goût de s’en aller loin ailleurs, hors d’ici, pour toujours, elle le racontait au jeune garçon, son ami, qui l’écoutait sans dire un mot, attentif. Et toute la campagne autour, éveillée de son sommeil, semblait suspendue à ses lèvres, le ciel lui-même vibrait sur une corde tendue et ténue où venait s’accrocher et se briser en mille éclats et sonorités sa petite voix d’enfant, tantôt sanglotant, tantôt vibrant de colère, tantôt triste, si immensément, si démesurément triste. Flo parlait comme jamais elle ne l’avait fait. Elle se confiait pour la première fois de sa vie, assise par terre sous la clarté de la lune pleine, inondée de la lumière bleue de l’étoile et enveloppée du regard brillant et bienveillant de son nouvel ami.

Et les nuages, et les arbres, et le ciel et la lune, et l’appentis, les toitures et le clocher plus loin et même le coq, et le jeune garçon tout vêtu de bleu qui lui souriait bien installé sur la branche de l’étoile bleue, et même le vieux chat tout galeux, ce sauvage, venu se rouler en boule à ses pieds., écoutaient. Tous faisaient silence pour entendre la terrible histoire de la petite fille niée, blessée, maltraitée, offensée, rejetée. Et rien ne bougeait. Les nuages restaient à l’affût d’un signe pour reprendre leur lente course, les cimes des arbres restaient figées comme si plus un souffle ne pourrait les remuer.  La lune semblait en apesanteur, comme accrochée par des fils invisibles au firmament. Et les yeux du vieux matou étaient devenus des fentes au travers desquelles un rai ardent témoignait de son intense concentration.

-       « Tous m’ont trahi !  Tous m'ont menti ! »  Criait Flo dans ses pleurs. «Et je ne veux jamais plus y retourner. Car il y a pire encore que tout ce que je t’ai dis ! Ils veulent me dresser, durant de longues années, disent-ils, mais je sais que de là où ils me mettront je n’en reviendrais jamais. Car là-bas, à Sainte Croix, tu ne pourras pas venir me voir. D’ailleurs, s’ils savaient mon secret, ils m'enfermeraient, me cloîtreraient.  Et ça, j’en mourrais !"  

A ces mots Flo lève les bras devant elle  et implore le jeune garçon.

-       « Je t’en prie, laisse  moi m'asseoir sur ton étoile, laisse moi m'installer tout près de toi.  Je me ferais toute petite. Je ne te dérangerais pas. Je t’en supplie, emmène moi d’ici ! Loin, très loin d’ici.  Je ne veux plus revenir jamais ! Sinon, je préfèrerai mourir encore que de devoir subir un  jour de plus ce qu’ils me font endurer..» 

Sa voix éclate contre le ciel, se fendille contre la lune, s'éparpille dans les étoiles alentours. 

-       « Si je t’emporte dans mon voyage, tu ne reverras jamais plus ni ton clocher, ni les toits des maisons.  Ni les arbres.  Ni la source. Ni le ruisseau.  Ni la prairie, ni l’appentis.  Ni non plus tes amis. Ni non plus les autres, tes frères, ta sœur, tes parents.  Ni Brunette ni ton chat non plus.»

-       « Je n’ai pas d’amis ! » réplique Flo tout de go, « Il n’y a personne qui se soucie de moi. Monsieur le curé peut-être, mais il ne me manquera pas. Il ne m’a jamais demandé si je souffrais. Pourtant, je pense qu’il le sait. Jamais je n’ai raconté à personne tout ce que je viens de te dire car je n'ai personne à qui le dire, personne pour m’entendre le dire, personne pour m’écouter.  Et je me fiche bien de leur clocher, et de leur toit, et de leur école. Et des nonnes aussi !  Et je me ris des autres à présent, mes frères, ma sœur et mes parents. Puisqu'ils ne peuvent que me faire du mal c’est qu’ils ne m’aiment pas.  Et les arbres, la source, le ruisseau, les prairies, nous en verrons depuis le ciel aussi dans tous les voyages que nous pourrons faire sur ton étoile si bleue. Et puis même Brunette tiens, et mon matou, tu m'as dis que tu pouvais aller partout, où tu voulais. Nous reviendrons par ici leur refaire un calin, si tu le veux bien de temps en temps. C’est avec toi que j’ai envie de partir. S’il te plaît, emmène moi, j’en ai toujours rêvé, j’ai toujours imaginé qu’elle viendrait un jour me chercher l’étoile si bleue, je savais qu’elle viendrait m’enlever d’ici pour ne plus jamais revenir, oui, c'est vrai, c’est tout ce que je désire tu sais.  Ne plus revenir ici jamais. Laisse-moi venir avec toi. Sauve-moi d’ici. C’est en ta compagnie que j’ai l’envie de partir, je veux m’assoir près de toi, je veux ne faire plus qu’un avec toi.  Me confondre comme toi au bleu si bleu de ton étoile. Et partir dans le ciel là d'où tu es venu. Et oublier toutes mes peines, toutes mes larmes, tous mes chagrins. Et nous serons amis pour toujours, et nous voyagerons parmi les rayons du soleil et de la lune, et notre amitié sera semblable aux vents du Sud, et aux berges des rivières, et je n’aurais plus forme. Je deviendrais comme toi, une voyageuse du ciel.  Je te prie, emmène moi avec toi.»

Son cri de supplication s’élevait haut dans la nuit. Le visage de la petite fille était envahi de larmes, de lourdes et chaudes larmes roulant, s’entrechoquant, tombant littéralement comme des clous hors de ses yeux, rebondissant presque sur ses pommettes avant de s'étaler sur ses joues et s'écraser sur son menton et sur son corsage dont le blanc s’irisait du bleu de l’étoile.

Et tout à coup la nature et les éléments reprennent leur cours alors que s'élève la voix du garçon à son tour :

-       « Il faudra alors que tu acceptes les ondes éternelles du firmament.  Es tu prête ? »

-       « Oui ! » dit Flo sans hésiter " Oui ! Je suis prête ! Donne-moi ces ondes éternelles et je les porterais pour pouvoir partir avec toi sur ton étoile.  Ne me laisse pas ici au milieu des méchants qui ne font que de me lacérer le cœur, de me déchiqueter l’âme, de me noyer dans mes propres pleurs. »

Alors le jeune garçon défît de son cou lle ruban de velours bleu dont, lors de sa première visite, il avait détaché l’étoile de cristal et tendit sa main ouverte vers la petite. Celle-ci y déposait le bijou serti de pierres de lumières claires et translucides, pareilles à une eau fraîche, limpide et pure et toute cerclées  d’or. Il enfilait l’étoile sur le ruban, se penchait vers l’enfant pour le lui passer autour du cou. Sans hésitation, sans peur aucune, Flo baissait la tête pour qu’il puisse lui mettre le bijou.

Les dernières larmes de Flo brillaient sur ses joues comme de petits feux follets tandis qu’elle levait son fin visage vers l’étoile toute bleue. L’étoile de cristal désormais pendue à son cou se mit à briller de tous ses feux, et les pierres scintillaient comme des gouttes d’une eau savoureuse, fraîche, parcourue d’ondes lumineuses.  Et la petite fille, tout à coup, se senti le cœur, la pensée et l’âme rafraichis. Des larmes brillaient encore sur son visage dans la clarté bleue de l’étoile mais ses pleurs et ses sanglots s’étaient arrêtés. Elle se savait en paix. D’un geste infini et lent le jeune garçon se penchait vers Flo et de ses doigts si délicats cueillait les derniers pleurs sur ses joues, les posant sur ses propres yeux tout en lui disant dans un murmure :

-       « Tu ne pleureras plus. Je te le promets. » 

Une vague de lumières bleues se mit à tournoyer autour de la petite fille et vint s’emparer d’elle, la soulevant, l’enlevant de l’herbe où elle se tenait encore accroupie, pour la transporter et la poser, légère, aérienne, à côté du jeune garçon sur la branche de l’étoile si bleue. Durant un court moment, en un instant fugitif, tel en un rêve, elle se sentit soudée et protégée contre le flanc du garçon si gentil, si doux, si tendre, sécurisée par sa douceur vaste et son regard profond. 

Enfin Flo se sentit s'élever, se fondre, se confondre aux bleus de l’étoile et à la clarté de la lune puis elle se sentit se transformer pour devenir pareille à des milliers et des millions d’étoiles, à une pluie d'étoiles, à une galaxie d’étoiles, et elle riait. Aux éclats. Et s'abandonna à ce rire et ne connût aucune peur. Et du ciel jaillissait vers les arbres, vers la source et le ruisseau et vers le village et son clocher le rire cristallin de l’enfant martyrisée qui venait de se confier, entière, aux éléments célestes.

-       « Ne pleure plus s’il te plait. » entendit-elle encore lui dire le jeune garçon près de son oreille. « C’est fini à présent. Tu n’es plus de ce monde de méchants ! » 

Et l’Etoile. Si Bleue. Très haut dans le ciel. Parmi les éternelles. S’élevait. Toute brillante.

Et à jamais…

---

--

-

--

---

L'on dit qu'à quelques jours de là une battue fut organisée par les gendarmes dans les campagnes et jusqu’au ruisseau à la demande de monsieur le curé auprès de monsieur le maire pour retrouver la petite Flo, disparue, mais qu’ils en rentraient bredouilles. Comme les villageois se défiaient à outrance de l’appentis, il fallut bien faire venir des gardes-civils de la ville pour l’explorer afin d’avoir le cœur net.

L'on dit qu'elle y fut trouvée comme endormie, toute pelotonnée et toute roidie dans sa blanche robe de nuit, gardant contre son sein, serrée dans l'une de ses petites mains, une délicate étoile de cristal.

L'on dit que le charpentier du village fabriquait un magnifique cercueil tout blanc serti de petites étoiles pareilles à celle-là, et qu'il lui fut choisi par les gens du village qui tous participaient à son prix, une belle dalle de marbre de carrare qui fut garnie de pierreries tout autour et qu'au beau milieu de celle-ci la petite étoile retrouvée dans le poing serré de la fillette fut enchâssée.

L'on dit qu'après une grand-messe durant laquelle la chorale des filles de la Sainte Croix lui adressait ses plus beaux psaumes, dans le jardin à l’arrière de l’église, au pied d’une absidiole, face au soleil levant, elle fut ensevelie.

L'on dit de même que monsieur le curé priait pour elle tous les jours jusqu’à son décès et que la pierre tombale de Flo est encore à ce jour fleurie en permanence.

L'on dit aussi qu’à chaque lune pleine le matou revenait hanter la tombe en geignant et qu’un jour au matin on l’y retrouvât mort.

L'on dit encore qu’une grande étoile aux rayons bleus brille dans le ciel durant les nuits claires et que ses lumières intenses se reflètent en myriades de scintillements bleus au centre de la petite étoile sur la dalle de marbre blanc sous laquelle repose Flo, l’enfant martyre endormie.

---

---

---

---

L'on dit que les parents Descourt furent mis au ban du village, que leurs enfants furent placés à l’orphelinat, et que le sous-bois, avec le temps et les saisons reprenait sur la clairière ses pleins droits.

Puis l'on dit que la ferme tombait en ruines et en poussière d’année en année. Et enfin, que plus personne, pas même un chasseur, n’y a jamais remis les pieds...

---

---

---

MandraGaure 

---

---

---

 

Lire la suite...
RSS
M'envoyer un mail lorsqu'il y a de nouveaux éléments –

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles