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12273012087?profile=original"Le jeu du prince des sots et de mère sotte" est un Jeu théâtral comprenant cri, sottie, moralité et farce et en vers de Pierre Gringore (vers 1475-1538), créé le mardi gras 24 février 1512, et publié la même année.

 

La devise figurant au frontispice de l'ouvrage: «Tout par Raison; Raison par tout; Par tout Raison» invite le public à écouter sérieusement les Sots qui s'entretiennent joyeusement des affaires politiques de l'époque.

 

Le cri appelle tous les Sots à se rassembler. On apprend que le Prince des Sots doit tenir sa cour: débute alors une revue des états, à laquelle prennent part nobles, puis prélats, avant qu'apparaisse le peuple, sous les traits de Sotte Commune. Survient Mère Sotte, dont les vêtements symbolisent la papauté; elle expose ses ambitions. Ses acolytes, Sotte Fiance [confiance] et Sotte Occasion, ainsi qu'un astrologue, tâchent de gagner seigneurs et prélats à ses projets. Ceux-là résistent; ceux-ci sont séduits. Ils combattent entre eux jusqu'au moment où l'on découvre Mère Sotte sous le costume de l'Église.

 

La moralité met en présence Peuple français et Peuple italique, tous deux sommés par Punition divine de se convertir au plus vite et d'abandonner leurs démérites. Tant de réflexion appelait détente: telle est la charge assignée à Doublette, épouse insatisfaite qui préfère les services amoureux de Faire à ceux de Dire, car «dire sans faire, il n'est rien pire».

 

Comme dans la Chasse du Cerf des Cerfs (1510), Pierre Gringore fait l'apologie de la politique de Louis XII, monarque qui s'emploie à contrer les effets de l'ambition du pape Jules II. Mais le jeu renforce la satire de l'Église: légèreté du prélat qui «mieux se connaît à chasser / Qu'à dire matines», vente des pardons, arrivisme du clergé évoqué sous les traits de Sotte Occasion, ambitions temporelles d'une Église qui fait concurrence au pouvoir du Prince, telles sont les allusions qui font dire que «l'Église a de mauvais piliers». Le peuple, à qui l'on reconnaît un certain bon sens, notamment quand il attaque l'Église, n'est pas épargné dans la satire de Gringore: ses préoccupations matérielles qui lui font soupirer que «faute d'argent, c'est douleur non pareille», son indifférence quant aux questions d'intérêt national lui valent quelque réprobation dont la moralité se fait elle aussi l'écho. Politique, ce théâtre l'est à plus d'un titre: la satire est explicitement au service de l'éloge royal. Louis XII, «lequel se fait craindre, douter, connaître», ennemi de bigoterie, est seul gardien de l'ordre et de la paix. Cette justification valait peut-être d'être précisée en une conjoncture économique difficile que le jeu évoque à plusieurs reprises.

 

La tension entre les réalités de la vie du temps, rendues avec une certaine licence, et le double masque, que constituent le personnage du sot et l'univers carnavalesque, laissent entrevoir le statut ambigu du théâtre de Gringore, en cet automne du Moyen Age. Le propos sérieux se déploie dans la fête du jeu verbal en un bouquet de calembours, et ce, dans l'immédiate proximité des débordements grivois de la farce justifiés par le pouvoir seigneurial chargé de juger le cas de Doublette à qui son mari demande raison de ses fredaines. «Ce n'est que jeu»: telle est l'expression qui clôt la farce et peut bien renvoyer à l'ensemble de l'ouvrage. Une signature de Sot, qui, quand tout est dit et qu'il va quitter la scène, prétend n'avoir exprimé aucune vérité qui vaille.

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À quoi bon!

 

Soliloque

Je n'arriverai pas à réellement croire

Qu'avec le temps, pour les vieillards: va, tout s'en va!

J'accueille les saisons, les plaisirs, les déboires.

Souvent en écoutant, émue, mon coeur qui bat.

Il est vrai que les ans ont changé mon ardeur.

Je ne me force plus, me dis: tout peut attendre!

J'aime à rester passive, à me laisser surprendre,

Sensible à la lumière, au charme d'une fleur.

J'évite les soucis, les regrets. À quoi bon!

Mais je n'ai pas pour tout la même indifférence.

Certaines habitudes héritées tiennent bon

M'empêchent de penser que rien n'a d'importance.

À quoi bon! À quoi bon! et un autre À quoi bon!

Or je garde l'envie de me sentir utile.

Mon âme reste aimante et saine ma raison.

Je soigne mon jardin, toujours aussi fertile.

17 mai 2014

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Ecriture à l'aube,

 

Calice,

lisse et chaud,

rose claire,

close dans

la nuit d'encre.

Gorge blanche,

palpitante,

 d'une femme amoureuse,

heureuse dans

ce secret bleu-feu ;

Calice,

lisse et chaud,

rose claire,

l'unique éclose

au seuil de l'aube ;

Douceur de l'air,

velours pourpre,

murmure identitaire,

voleuse d'instants

géants pour elle.

Chaleur silencieuse,

écriture paresseuse,

bourdonnante,

par moments euphorique,

bue par les prunelles

 rebelles et magiques

de mon chat noir ébène.

Écriture musicienne.

 

NINA

 

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Une aventure

 

 

Les premiers jours, Pierre avait logé dans un hôtel situé à proximité de l’Université. Il y avait là les petits restos et les cafés qu’il fréquentait lorsqu’il était étudiant. Personne ne l’y reconnaissait plus. L’Université, c’est comme un bus qui vous aide à parcourir quelques années de la vie, puis c’est comme s’il n’y avait jamais eu de bus et, pour certains, comme s’il n’y avait jamais eu d’Université. Ni de vie.

Il allait s’efforcer d’effacer le temps qui s’était écoulé depuis la fin de ses études jusqu’à ce jour. Il se voulait un autre homme. Il n’y croyait pas réellement mais c’était un cadre mental qu’il voulait s’imposer. Et qui l’apaisait. Une seconde vie commençait.

Le soir, pour éviter la solitude de sa chambre, il allait prendre un verre dans un bar qu’il fréquentait lorsqu’il était encore étudiant. Situé dans une impasse, « La jambe de bois » avait une clientèle limitée à d’anciens étudiants nostalgiques et à des jeunes qui se faisaient offrir à boire par les anciens. A une certaine heure du soir, Pierre s’asseyait au piano après avoir offert un verre au pianiste habituel.

- C’est bon ce que tu fais. Pourquoi t’as pas continué ?

- On croit qu’on choisit. On ne choisit pas.

- Tu parles comme un vieux.

Il ne vivait pas encore avec Clotilde. Il ne l’avait rencontrée qu’un an plus tard. Ce n’était  pas une liaison. Comme beaucoup d’autres hommes sans doute, et peut être de femmes, il avait une mémoire bien compartimentée. Celle qui permet de vivre sans regarder derrière soi.

Il n’est pas nécessaire de détruire le moindre souvenir. Il suffit de l’abandonner dans un coin de ce vaste fourre-tout qu’est la mémoire. On peut ainsi mener deux vies en parallèle, et prétendre qu’il ne s’agit que d’une aventure sans lendemain lorsqu’on est le sujet d’une rencontre inattendue.

Clotilde, il l’avait rencontrée à l’Archiduc, un bar à la mode, où se pressaient les amateurs de musique de jazz. A partir de onze heures du soir, il était impossible d’y circuler. Pour se déplacer, il fallait se creuser un chemin parmi les consommateurs collés les uns aux autres en s’excusant pour la forme et en levant son verre au dessus de la tête. Autant de balises liquides qui indiquaient que quelqu’un, homme ou femme, se trouvait en dessous. Face à face, corps contre corps. Ce soir là c’était Clotilde et lui.

- Je vous offre un verre ?

- Si nous parvenons au comptoir, avec plaisir.

Quelques heures plus tard, ce fut Clotilde qui demanda :

- On va chez toi ou chez moi ?

Clotilde était divorcée. Elles sont nombreuses les femmes divorcées. Il arrive que les maris se séparent de leur épouse durant leur mariage sans qu’elles en soient averties. Lorsqu’elles le sont, à moins d’un arrangement de convenance, le couple divorce pour de vrai. Parfois, il le regrette.

Clotilde et son mari n’étaient mariés que depuis deux ans lorsqu’elle avait appris qu’il la trompait avec sa secrétaire. Il avait dit :

- Ce n’est pas ma faute. Je pensais bien que je lui plaisais, je le lui avais répété : ne vous penchez pas comme ça lorsque vous êtes derrière mon dos pour lire un rapport en même temps que moi. Tu sais la poitrine qu’elle a, elle la met pratiquement sous mon nez, le corsage entr’ouvert.

C’était un homme fat et suffisant. Il semblait jouir en se confessant, avait dit Clotilde.

- C’est un accident. Je ne suis qu’un homme, après tout.

Il avait juré qu’il quitterait sa secrétaire sur le champ, c’est Clotilde qu’il avait quittée.

Pierre et elle s’étaient revus les jours suivants. Elle avait demandé le premier jour :

- Tu veux revenir ce soir ?

Il ne savait pas ce qu’il devait répondre. Elle avait été ardente. Durant la nuit, il avait pensé à Béatrice qui lui avait appris à caresser le corps d’une femme.

Elle avait fixé les règles.

- On couche mais on ne s’est rien promis.

Acheteuse de lingerie féminine pour une chaine de grands magasins, un tiers de son temps se déroulait à l’étranger. Elle achetait non seulement de ces parures qui excitent l’imagination des maris mais des culottes de coton, des combinaisons et autres sous-vêtements destinés à la majeure partie des femmes. Davantage de tailles X, XL et E.L que de S. et Médium. Les médecins le confirment d’ailleurs, si le bedon menace les messieurs, c’est sur les fesses que se porte d’abord l’embonpoint des femmes.

- Cela permet d’occuper les mains des messieurs lorsque la conversation commence à languir.

Sans s’être rendu compte du temps qui passait, Pierre et elle vivaient pratiquement ensemble depuis trois ans. Parfois, lorsqu’il se taisait, elle craignait qu’il ne s’ennuie. Alors que le temps des confidences à cœur ouvert n’était pas encore venu. Quand les gens voyagent, veulent-ils se créer des souvenirs qu’ils évoqueront plus tard ? Peut être.

Il y avait à Milan une foire de la lingerie deux fois par an.

-Tu connais Milan ? Tu connais l’Italie ?

- Non.

- Je t’invite.

L’hôtel de la Place, à proximité de la Cathédrale et des rues étroites où se trouvent les bars à filles, était un hôtel de grand luxe. Au sous sol, un bar permettait d’y passer la soirée en écoutant un pianiste. C’était un hôtel très cher. Clotilde s’en moquait. Elle disait :

- Ils ne me payent pas pour mes beaux yeux mais pour l’argent que je leur rapporte. Je travaille comme un nègre mais je veux vivre comme un prince.

Ils formaient, croyait-elle, une sorte de ménage incertain mais installé. Elle avait été séduite par ce garçon un peu plus jeune qu’elle qui ne demandait qu’à apprendre ces gestes que beaucoup de jeunes gens prétendaient connaitre de façon innée mais dont ils usaient maladroitement face à des jeunes femmes prêtes à toutes les découvertes.

Aux gestes mécaniques de l’amour, elle donnait un rythme qui les rendait différents en fonction d’une dramaturgie imperceptible qui variait selon l’heure ou les endroits. Clotilde faisait l’amour comme un violoniste se sert de son violon. Sans abandon véritable mais soucieuse du plaisir partagé. Elle préservait sa liberté en n’appartenant à personne.

- Le jour où moi ou toi, on a envie d’être seul, il suffit de le dire.

C’était sa façon à elle, sans blesser son partenaire, de dire qu’ils n’étaient pas unis pour la vie. Ou que de temps à autre, une rencontre inattendue pouvait se produire sans qu’il s’agisse d’une rupture définitive. Il faut bien le reconnaitre, il est souvent plus ardu de rompre que d’être amoureux.

Clotilde avait quarante-trois ans, l’âge des premières déchirures. De celles qui commencent à corroder la texture des chairs.

Depuis quelques années, chaque matin elle contemplait son visage avec une attention douloureuse. Une femme n’a que sa beauté, pensait-elle. Le jour où elle cesse de plaire, elle cesse d’exister.

Lorsque son mari avait quitté Clotilde, elle était restée prostrée de nombreux mois, incapable de mettre quelques idées en place : elles lui paraissaient aussi incongrues les unes que les autres, sans rapport aucun avec la réalité. C’étaient à peine des bouts de pensée aussi inconsistants que les cercles que font dans l’eau les galets jetés par des enfants.

Puis elle s’était efforcée de se reprendre, comme on dit. Ses déplacements à l’étranger, elle les prolongeait sans nécessité, rien que pour remplir un temps dont elle se rendait compte combien il était vide depuis qu’elle était seule à l’affronter.

Elle eut quelques aventures. De celles qui naissent, et se défont tout aussi vite, à partir d’un regard plus appuyé, presque par lassitude, pour ne pas dire non ou parce qu’on a envie de dire oui à quelqu’un. Et parce que son corps, elle voulait s’en persuader comme si c’était le signe du début de sa délivrance, avait à nouveau ses exigences. Elle en avait éprouvé un bien-être ambigu.

Pierre était arrivé à un moment décisif mais elle doutait déjà du pouvoir qu’elle pouvait exercer sur un homme. Parfois, elle souhaitait que son visage soit le seul objet de son regard pour le détourner d’autres femmes. Mais parfois, elle souhaitait qu’il regarde d’autres femmes pour le détourner du sien dont elle était devenue moins sûre.

Un jour, ils s’étaient rendus à Paris. Elle devait s’y rendre pour ses affaires et elle lui avait demandé de l’accompagner. C’était en septembre, les jours étaient encore beaux. Elle avait rêvé pour elle et pour lui que ce soit comme le jour d’une première rencontre. De celles qui surviennent par hasard sans en connaitre la fin. Un instant épargné du temps.

C’était un week-end de Foires commerciales, la plupart des hôtels affichaient complet. Celui qu’elle avait retenu n’était pas très luxueux mais il était situé à proximité du Boulevard Saint-Germain et des brasseries aux terrasses illuminées. De plus en plus souvent elle cherchait des endroits animés. Elle avait parfois le sentiment que le silence risquait de les séparer.

- C’est tout ce que j’ai pu trouver. Tu n’es pas trop déçu ?

La chambre était petite, le lit en occupait la plus grande partie. Elle avait ôté sa blouse et sa jupe avant de défaire les valises. Elle se savait attirante. Ils étaient si proches l’un de l’autre qu’à chaque fois qu’elle passait près de lui, il sentait l’odeur de sa peau mêlée à celle de son parfum. Une odeur qu’il commençait à bien connaître et qu’il  retrouvait sur lui lorsqu’elle était absente. Dieu sait à qui elle le faisait penser.

Il avait le ventre contracté. Peut-être était-ce l’atmosphère de cette chambre ? Les hôtels pour beaucoup, hommes ou femmes, suscitent la même sensation que celle que leur procure le sentiment de commettre un adultère.

Elle s’était tournée vers lui. Il la trouvait belle.

- Tu veux faire l’amour ?

Sa voix était claire. Elle posait la question de la même manière que si elle avait demandé s’il voulait un verre d’eau.

- Je crois que j’ai envie de toi.

- Tu crois que tu en as envie ou tu en as envie ?

Elle riait.

- Si nous voulons aller au restaurant, nous n’avons pas de temps à perdre, je vais prendre un bain.

Elle avait ouvert le robinet de la baignoire, et elle avait ôté sa culotte et son soutien-gorge. Elle était entrée dans l’eau pendant qu’il la regardait, troublé par ce corps si tranquille. Elle avait tendu la main.

- Tu veux prendre un bain avec moi ?

Lorsqu’ils étaient sortis de l’hôtel, il faisait déjà nuit.

Clotilde s’était accrochée à son bras, sa cuisse touchait la sienne comme si leurs corps se cherchaient encore. Ce sont ces attouchements là, si vite oubliés, qui marquent le corps des amants véritables.

- Est-ce que ce que tu connais le Harry’s bar ? C’est un endroit fantastique. Au sous-sol il y a un piano, et si tu le lui demandes, le pianiste te joue des airs d’autrefois.

- Non, je ne connais de bar que l’Archiduc.

Le bar était pratiquement vide. Toutes les lampes n’étaient pas encore allumées. Il était trop tôt.

Pour Clotilde, c’étaient des souvenirs qui lui étaient propres. Elle eut peur soudain des souvenirs qui appartenaient à Pierre. Certains d’entre eux probablement appartenaient aussi à une autre.

Elle n’avait plus repris son bras de la soirée. Cette nuit-là, recrus de fatigue, mouillés de sueur, ils avaient fait l’amour avec la rage de deux lutteurs épuisés mais incapables de se vaincre.

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La régénération dans le conte kabyle

I. Introduction Différent du mythe, ou mythe travesti dont il est sans doute une relique dégénérée quant à son sens sacré, le conte évoque, à travers l’apparente affabulation puérile qui le caractérise, une situation pourtant qu’on peut qualifier d’archétypale. Si le mythe explique, le conte exprime. Loin d’être un aspect accessoire de l’expression orale et littéraire d’une société, il est dans les sociétés sans écriture l’élément fondamental dans la transmission de certains caractères structuraux de la société. On peut dire du conte ce qu’avait dit R. Bastide de l’art, qu’ "il peut nous permettre d’atteindre les métamorphoses de la sensibilité collective, les rêves de l’imaginaire historique, les visions du monde". On passerait sans peine des interprétations du conte au conte des intérprétations tant les méthodes requises à cet effet sont nombreuses et variées. De la lecture de surface jusqu’à la psychanalyse, en passant par le structuralisme anthropologique, il n’est pas de thème qui ne soit étudié à la lumière du symbolisme universel. Ici sa valeur initiatique, là son sens psychologique. Sa richesse symbolique s’ouvre à des interprétations diverses sans qu’elles s’excluent pour autant. Bruno Bettelheim, dans Psychanalyse des contes de fées reconnaît que les "contes, comme toutes les oeuvres d’art, possèdent une richesse et une profondeur qui vont bien au-delà de ce que peut tirer d’eux l’examen le plus complet". Les interprétations qui ont voulu trouver ou retrouver dans le conte des pratiques sociales se sont toujours limitées aux aspects initiatiques. La structure initiatique des contes est sans aucun doute évidente. M. Eliade se pose, à ce propos, la question de savoir "si le conte décrit un système de rites ressortissant à un stade précis de culture ou si son scénario initiatique est ’imaginaire’ dans le sens qu’il n’est pas lié à un contexte historico-culturel, mais exprime plutôt un comportement anhistorique, archétypal de la psyché" . II. origine et originalité L’origine du conte kabyle, malgré plusieurs tentatives d’éclaircissement, reste un point sombre. J.B. Moreau affirme que c’est au carrefour des trois courants et riches des trois rapports ancestro-culturels : influence sémite, apport indo-européen et civilisation des éleveurs agriculteurs d’Afrique du Nord, que naquit le conte kabyle" . Les emprunts arabes proviendraient d’une époque qui remonte au IXème siècle, notamment à partir de la conquête arabe de l’Afrique du Nord au VIIème siècle. Ce dernier fait constitue une frontière dans l’histoire des berbères. La filiation et les emprunts des contes kabyles n’est pas encore bien établie à l’heure actuelle. Plutôt son origine, c’est son originalité qui nous importe ici. Certes, le conte est universel quant à sa structure et ses grands archétypes. Toutefois, il porte toujours la marque du groupe social où il est fonction, parce qu’il est conçu à l’intérieur d’une communauté, d’une tradition. Bien sûr que, au-delà de la structure et de la forme, au-delà des intuitions premières, on peut sonder les profondeurs du conte pour y trouver les grands archétypes. Néanmoins, "les archétypes se lient à des images très différenciées par les cultures et dans lesquelles plusieurs schèmes viennent s’imbriquer". Il faut chercher, en partant d’une unité de structure archétypale chez les peuples du monde entier, les différentes conceptions de l’idéal de chacun, lequel est modifié par l’histoire, l’interférence des cultures. Ainsi, dans la plante d’immortalité et de jouvence, le sémite aura soif d’immortalité quand l’indien y chercherait le rajeunissement : deux idéaux différents. L’agencement du récit, les lieux privilégiés, la structure dramatique sont les facteurs qui déterminent sa spécificité. "Les symboles, comme les archétypes, dit M. Eliade, sont diversement vécus et valorisés. Le produit de ces actualisations multiples constitue les ’styles culturels’". La variabilité d’interprétation n’épuise pas le symbole originel, ni les possibilités d’avoir accès à un symbolisme cohérent. Nous verrons plus loin qu’il y a une "logique des symboles" qui s’appuie sur les deux régimes (diurne et nocture) dont on a parlé plus haut, qui rappelle d’ailleurs celle des rites. Ici tout concourt et s’agence dans un but précis : celui de la régénération. Symboles cycliques (serpent et lune) y souvent présents. La fontaine (eau symbole de la régénération) est fréquemment le lieu où s’établit l’énigme entre le héros et la stut (sorcière). C’est là que se préfigure toute l’action future et se réalisent toutes sortes de métamorphoses. Les rites d’initiation, apparents dans les contes, font souvent mourrir puis renaître. Plutarque disait déjà : "s’initier, c’est mourrir". L’initiation est non seulement un acte de la connaissance mais aussi un rituel de régénération, la promotion de la continuité de la vie. Aussi, dans le conte kabyle, y a-t-il une idée en filigrane d’une régénération du cosmos et du collectif humain. Le symbolisme du conte rend transparent cette idée de régénération de la nature et le commencement d’une "ère nouvelle", c’est-à-dire la répétition périodique d’une nouvelle création. La régénération est, comme son nom l’indique, une nouvelle naissance. Nous verrons plus loin que les débuts des contes s’activent souvent sur la stérilité de la femme et, corrélativement, de la famille, voire du danger de la non reproduction de la société. III. Analyse 1. Structure narrative Rapporté à la symbolique des structures anthropologiques de l’imaginaire, la régénération s’inscrirait, parce qu’elle présuppose la répétition cyclique ad infinitum du cosmos, au registre de la deuxième dominante du "régime nocture" qu’a décrit Gilbert Durand, régime à dominantes digestives et cycliques. La deuxième dominante (cyclique) regroupe les techniques du cycle, du calendrier agricole ou de l’industrie textile, les symboles naturels ou artificiels du retour, les mythes et les drames astrologiques. On verra dans les contes apparaître fréquemment les symboles cycliques et de retour, ainsi que les drames qui en découlent en vue d’une régénération future. On s’intéresse ici principalement aux symboles cycliques et à ces drames constitutifs de la régénération. D’abord la préparation de la régénération (début du conte), ensuite les épreuves de la régénération (le coeur du conte), enfin la remise en ordre, après régénération, constituera la fin du conte. Entendons par "régénération" (ré-génération) le quête symbolique du renouvellement du groupe social, et ce, dans le contexte du conte, par un éventail de symboles à caractère universel. Pour ce faire, nous nous sommes, entre autres, inspirés principalement des ouvrages de M. Eliade. Cependant le thème de la régénération, dans son agencement, épouse la structure du conte. Nous avons, par conséquent, transposé les étapes de la régénération sur les étapes ou grandes parties que V. Propp a définies dans son ouvrage sur la morphologie du conte. Propp en a, en effet, dégagé trente et une fonctions qui se regroupent en trois grandes parties : la première décrit la préparation du Mal. Pour notre première partie, ce sera "la préparation de la régénération". La deuxième partie de Propp est consacrée à la lutte du héro contre le Mal. Elle correspondra à notre partie intitulée "épreuves de la régénération". La victoire du Bien occupera la troisième partie de la division de Propp. Elle sera pour notre étude "la régénération" proprement dite. Cette transposition peut paraître arbitraire et sans fondements, ou à tout le moins force un peu à l’excès le symbole. Mais il faut inscrire cette correspondance symbole et représentations sociales dans une lecture de textes qui s’interdit toute conclusion quant à la véracité du reflet symbole sur la réalité ou la de réalité sur le symbole. Elle les prend dans leurs mouvements respectifs. Les coutumes, rites et autres pratiques sociales invoquées ici pour justifier un tel symbolisme sont empruntées à toute l’aire de la société berbère, principalement le Maroc et l’Algérie. 2. Préparation de la régénération La majorité des contes débute par la stérilité, au sens large du terme, qui compromet la continuité du groupe et sa désintégration, augure d’une mort. C’est dans la crainte d’un devenir "néant", conséquent d’une effroyable stérilité, qu’il faut chercher le motif de la régénération, présent dans le conte kabyle. Les symboles mobilisés à cet effet sont : a) le symbole lunaire, b) le symbole ophidien, c) le symbole aquatique. La correspondance entre les phases de la lune et la croissance puis la décroissance de la vie végétale, animale et humaine, est l’une des plus vieilles croyances de l’humanité. Les phases de la lune sont elle-mêmes un élément de grands rythmes cosmiques. En cherchant à résumer en une formule unique la multiplicité des hiérophanies lunaires, M. Eliade conclut qu’ "elles révèlent la vie qui se répète rythmiquement. Toutes les valeurs cosmologiques, magiques et religieuses de la lune s’explique par la modalité d’être : c’est-à-dire qu’elle est ’vivante’ et inépuisable dans sa propre régénération". M. Eliade souligne un autre aspect de la lune comme l’agent de destruction périodique des ’formes épuisées’. Voilà pourquoi dans le conte "l’Homme-serpent", la mère vient consulter la lune pour connaître l’état de son ’vieillissement’. Et la lune de répondre : "toi et moi sommes également belles, mais la fille que tu portes en toi nous passera en beauté". Il faut rappeler que le terme agur, en kabyle, désigne indifféremment la lune et le mois. La lune est mesure du temps. "métreur" d’âge, ce qui lui vaut la capacité de prévoir l’avenir. Clair de lune ne se dit-il pas en kabyle thiziri n g agur ? dont thiziri vient du radical IZR qui veut dire voir ? Le choix du moment où la lune est croissante pour l’inauguration des labours, la célébration des mariages et l’ourdissage du métier à tisser, est très significatif de la valeur conférée à la lune pour son pouvoir de fécondation et de reproduction. Dans un conte intitulé "ce que deviennent les vielles lunes", l’ancienne lune est pilée en petits morceaux pour en faire des étoiles. Car "la lune est la mère du pluriel". On dit que la lune "naît", et, partant, annonce la naissance, voire le renouvellement, la régénération puisqu’elle est le premier mort et le premier ressuscité. La pelote de laine, produit de tissage, est une épiphanie lunaire. Elle est symbolique du devenir, de la continuité déjà anoncée par la lune, "tisseuse de destins". Pour récolter les fèves que leur mari a prétendu semer, les deux femmes du conte "le malin, la bête et l’ogresse" ont fait rouler un tamis de la hauteur d’une colline pour retrouver l’emplacement des fèves. La pelote de laine et le tamis sont souvent ainsi utilisés pour égarer un ou plusieurs personnages du conte, et symbolisent "l’éternel retour". De même, le symbole ophidien récèle le triple secret de la mort, de la fécondité et du cycle. Le serpent est une force tellurique, symbole de résurrection, car il vient de la terre, donc des morts. Aussi est-il le gardien de la pérennité ancestrale. Son nom est azrem, provenant sans doute de azlem : épeler, égrener, effeuiller. En changeant de peau, il se "rajeunit". D’où sa capacité symbolique de régénération. Ainsi, il est "l’époux de toutes les femmes". Ses relations avec les femmes sont néanmoins multiformes. Plusieurs contes kabyles le confirment. Elles ne peuvent en aucun cas être expliquées au moyen d’un symbolisme érotique simpliste. C’est d’ailleurs moins par son caractère phallique aue par son symbolisme de régénération et d’initiation qu’il intervient très souvent dans les contes kabyles. Dans "l’Homme-serpent", c’est lui qui inaugure, après la lune, toute la suite du conte en chargeant "l’homme-serpent" d’assurer la continuité du groupe social en élevant la fille aux cheveaux d’or. Dans le conte "le poil du bon secours", la reine stérile mit au monde un serpent après en avoir émis un voeu. Dans "la jalousie d’une marâtre", c’est paradoxalement une fille qui élève un serpent. Il lui régénérera plus tard les yeux, arrachés par la marâtre, en les léchant. L’hydromancie florissait chez les Kabyles, et les Berbères en général. N’est-ce pas l’eau qui garde les armes ardentes des ancêtres ? Les cours d’eau, les sources, sont les lieux d’un culte qui s’adresse aux morts, lesquels, par leur présence, donne à l’eau sa fécondité, son pouvoir de régénération et de renaissance. "Grain de pois chiche" est né après qu’une femme eut fait un souhait d’avoir un garçon. A la suite de ses pérégrinations, "grain de pois chiche" fut avalé par un lion. C’est à la proximité d’une fontaine qu’il réussit à faire une césarienne au lion et sortir ainsi de son ventre, "renaître" naturellement alors que sa première naissance fut anormale. L’eau est en pays berbère remède contre la syphilis, contre donc la dégénérescence de toute forme de vie. Le caractère régénérateur de l’eau apparaît plus clairement dans les termes mêmes qui désignent les éléments aquatiques : lilu, vieux mots libyque, désigne "l’eau" ; la mer se dit ilel, le fleuve il et ilul veut dire "il est né". Enfin abbwuc désigne et le coquillage et le pénis. On y retrouve de fréquentes apparitions de la vieille sorcière qui, devançant le héros, s’installe à la fontaine et feint de puiser de l’eau. Le héros, en allant faire désaltérer son cheval à l’abreuvoir, trouvera la sorcière faisant semblant de remplir son outre d’eau avec un tamis ou une calotte de gland. Le héros impatient l’écartera de la margelle. Et la vieille de lui lancer : "tu ne traîterais pas les gens de la sorte si tu avais épousé une telle", ou lui annonçant l’existence d’une soeur qu’il n’a jamais connue. Ces jeux ont une valeur augurale dans la suite du conte. Ils introduisent par le truchement du symbolisme de l’eau, celui de la régénération. Le tamis, dont la fonction est de séparer le grain de l’ivraie, est réduit ici à ne rien séparer. Il perd sa valeur fonctionnelle au profit de sa valeur symbolique, annonçant, par sa forme circulaire, le cycle, le renouvellement. La fréquente apparition du tamis à proximité de l’eau, ne fait que confirmer la logique des symboles s’unissant pour contribuer à la régénération permanente. Un vieux sage expliquait au héros, dans le conte "l’enfant et le roi des génies", que le fontaine dont le fond était en argent, la voûte en or, et les eaux blanches, était la fontaine de la vie. Celui qui y boit ne mourra pas. Nous y voyons, d’après ce qui prècède, que le contact avec l’eau, parce qu’elle est le point de départ des drames qui attendent le héros, comporte toujours l’idée de régénération. "L’eau est aussi un type de destin (....), un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être", "elle est (...) une invitation à mourir". 3. Epreuves de la régénération Le désir de régénération et d’éternité compose avec l’agressivité et la négativité. Car, c’est un passage difficile d’un état à un autre. La régénération est un acte grave et dramatique qui ne saurait s’accomplir sans désordre social. Les activités sociales s’usent et doivent se régénérer. C’est à cette nécessité fondamentale que répond en défintive la régénération. C’est dans le passage de la stérilité à une abondante progéniture, comme d’une saison sèche à une saison humide de germination et de fécondité, que se réalise l’épreuve de la régénration, s’accompagnant de destruction et de mort (sacrifice). Les contes obéissent à cette loi en mettant en scène des ogres anthropophages et nécrophages (anti-hommes), des teriel (ogresses anti-femmes), des nains et autres formes humaines étranges qui font frontière entre l’ordre et le désordre. Ils sont médiateurs entre la stérilité et la fécondité. Témoins ces combats violents entre ces personnages asociaux et le héros, car l’agon est générateur de fécondité. Les héros est souvent appelé à s’immiscer dans un combat pour séparer deux adversaires éperviers, serpents, fourmis, béliers. Le désordre qui caractérise l’épreuve de la régénération s’appuie sur l’inversion des rôles de tous ordres en mettant à nu les oppositions sacré/profane, masculin/féminin, culture/nature, dedans/dehors, sec/humide. Dans le conte de "l’Homme-serpent", le serpent se charge de toutes les activités féminines, entre autres cueillette du bois, éducation des enfants, domaines réservés à la femme. L’homme qui, selon le dicton kabyle, est la "lampe du dehors" devient la "lampe du dedans", espace féminin par excellence. L’homme-serpent se repaît du "sang menstruel" pour avoir failli à sa virilité en marchant sur un serpent. Virilité offensée exige réparation et, ce dramatiquement, dans le sang, car le "sang n’est jamais heureux". La chute de l’homme-serpent n’est que la traduction du moment néfaste et tragique, nécessaire à la régénération, moralisé sous forme de punition. Il y a, en fait, bouleversement et tremblement des valeurs : "une valeur qui ne tremble pas est une valeur morte". Laoust cite, chez les Douzrous (Berbères d’Anti-Atlas), ces rites de retour du printemps qui consistent à choisir deux fiancés symboliques, de les escorter jusqu’à un sanctuaire qui, pour l’occasion, devient un lieu de prostitution sacrée. Ce bouleversement des condition sociales, symbolisé dans le conte par la chute de l’homme-serpent, est omniprésent dans le conte kabyle. L’esclave prend la place de la princesse, où la princesse revêt la peau d’un âne pour se faire prendre pour esclave, la femme maligne met au monde un enfant idiot, et la femme idiote un enfant malin. Des alliances matrimoniales se contractent souvent dans le conte entre les animaux et les êtres humains. Les jeunes filles se marient avec des inconnus de forme animale, des démons, des ogres, avec des étranges personnages qui leur défendent de les regarder dans la lumière. Le héros du conte "l’ogresse Yemma nouja" épouse la fille de l’ogresse. C’est un ogre qui prend pour femme la fille de l’infortuné vieillard du conte "délivré par ses frères". Toutes ces relations sont une volonté d’assurer l’androgynie de tout être, de transcender les contraires, opération indispensable à la régénération. Ainsi le nègre se transforme en belle femme blonde, le héros en gazelle, le serpent en prince charmant. Métamorphoses qui annoncent la palingénésie. Le rétablissement de l’ordre, perturbé par les épreuves de la régénération, se fait par l’offrande aux "invisibles" d’un bélier en holocauste, surtout par la mort des ogres qui incarnent le monde sauvage et stérilisateur. Le massacre des ogres, de par leur nombre (40 ou 99), est un sacrifice caricatural, une offrande votive en vue d’une fécondité. Le héros hérite d’ailleurs de la richesse des ogres. Les ogres sont parfois brûlés, le feu purificateur anéantissant ainsi leur pouvoir stérilisateur. 4. La régénération Après le sacrifice, massacre du dragon, des ogres, du méchant, etc., s’inaugure l’ère de la remise en ordre du monde et des choses. L’Homme-serpent a retrouvé sa forme humaine, une fois le renouvellement du groupe social assuré. Si le vieux ou le roi représente "la mémoire collective", alors le remplacement du roi par son fils, et l’abondante progéniture ne fait que "rafraîchir" cette mémoire et, partant, garantir sa pérennité. L’ère nouvelle est toujours attestée, dans le conte, par la consommation d’un mariage, et la naissance d’enfants abondants, mâles, souvent au nombre de sept, symolisant le retour de l’ancêtre éponyme. Comme le souligne G. Durand : "l’abondance est liée à la notion du pluriel, comme la sécurité temporelle l’est à celle de redoublement, c’est-à-dire la liberté de recommencement qui transcende le temps". Comme la régénération est aussi renaissance, le héros renaît souvent après avoir été dévoré. En effet, le héros avalé par l’ogresse, puis extrait de son ventre par son frère ou demi-frère après avoir tué celle-ci, rescussite en humant une herbe qu’une fourmi ou un lézard aura fait sentir à son adversaire tué sous les yeux du héros. Le héros sauveur lave son frère comme un nouveau-né. Ainsi, la dissolution sociale est vaincue au travers de la régénération qui se donne à voir dans toutes ces métamorphoses et renaissances. IV. CONCLUSION Nous avons vu que le conte s’appuie, est-ce banal de le souligner, sur des pratiques sociales où le groupe social est confronté aux problèmes existentiels. Le conte, document ethnographique, est inépuisable quant à sa richesse symbolique. Il met en lumière, outre les structures imaginaires du groupe qui le porte et le dit, à travers ses transformations narratives au fil du temps, un véritable outil pour questionner le présent dans ses quêtes originaires et sa projection dans le futur. La langue berbère (Tamazight) qui fut et demeure le véhicule de ce conte concentre en elle tout ce qui tisse précisément cet imaginaire. Sans trop forcer le trait, on peut dire que la revendication pour sa reconnaissance n’est autre qu’une lutte contre la mort. On comprend pourquoi tous les blocages politiques peinent à l’éradiquer pour être ancrée profondément dans l’imaginaire qui sédimente le réel. Puissent les non à Tamazight se souvenir du verbe lacté ! Achour Ouamara

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La terre nourricière

 

Soliloque

Je ne peux pas facilement

Croire à ce que je sais possible,

Quand une énergie invisible

Doit agir favorablement.

L'énorme force de la terre

Dépend des lois de la nature

Et du hasard qui seul assure

Les facteurs qui sont nécessaires.

D'un reverdissant arbrisseau,

Je coupe une petite branche

Et, avec un grand soin, je tranche

La base en forme de ciseaux.

Je la plante et vite l'arrose.

Elle est dépourvue d'énergie.

Agira ou non la magie?

Je voudrais y croire et je n'ose.

Il est quasi sûr que la terre

Va se hâter de pomper l'eau,

Dans cette tige d'arbrisseau.

C'est une mère nourricière.

16 mai 2014

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Un cimetière de province

 

 

 

La dernière fois que je suis retourné au cimetière du sud, dix ans avaient passé. Les mauvaises herbes parmi les tombes y poussaient plus nombreuses qu’auparavant. Question d’économies, sans doute. Le gardien se faisait vieux. Certaines tombes en étaient presque entièrement recouvertes. A croire que les parents des décédés étaient morts à leur tour. Ou que leurs descendants n’éprouvaient pas le besoin de méditer  devant une dalle de pierre.

Ils étaient tous là, ceux qui incarnaient une partie de cette ville qui était la mienne et, en dessous ou à côté, ceux  qui l’avaient incarnée en d’autre temps.

C’est une étrange douceur que celle des cimetières lorsque aucune cérémonie n’y a lieu. On n’y pense pas qu’aux morts mais, soit aux morts soit aux vivants, on y pense sereinement. Exister y paraît aussi extravaguant que de ne pas exister. 

Beaucoup de ceux qui partent rêvent d’une autre vie. Parfois d’un autre amour. Moi aussi je m’étais exilé. Mais c’est soi-même qu’on emporte.

Dix ans plus tard,  j’avais eu envie de revenir. 

Les premiers mois, en Australie, je me roulais sur mon lit en pensant à la femme que j’avais aimée. Les femmes que j’y avais connues, c’est en pensant à elle que je les prenais. L’une d’elle, une nuit, avait dit.

- Arrêtes, tu me fais mal. Pour qui me prends-tu ?

Cette sensation d’avoir la poitrine serrée dans un étau avait lentement disparu. Au point que parfois, j’avais recherché cette pression du ventre que je ne retrouvais plus. Plus tard, j’en avais été frustré.  Je n’étais même plus parvenu à l’imaginer.

Hier, j’avais été prendre un verre dans cette taverne que j’avais tant fréquentée. Alfred, était toujours barman. Il était plus lent. Il était plus chauve. Il n’avait plus honte de porter des lunettes. Mais il reconnaissait toujours ses anciens clients qu’il appelait par leur prénom, précédé du  « monsieur » censé reconnaitre les barrières qui existent entre des jeunes gens de bonne famille et le serveur qu’il était.

Julie était mariée, avait-t-il dit. A un riche négociant, un veuf dont la femme, c’est ce qu’on disait, était incapable de résister aux tentations de la mode. Quatre fois par an, elle se rendait à Paris pour faire ce qu’elle appelait les boutiques. Le veuf, avec Julie, avait hérité d’une femme moins frivole, à même de le seconder dans ses affaires, et Julie avait hérité d’une garde-robe dont elle s’était débarrassée à l’exception des fourrures qu’il n’y avait eu qu’à retoucher. Je n’avais pas cherché à la revoir.

Les gens qui comptaient désormais en ville n’étaient plus les mêmes que ceux que ceux que j’avais connus.

Le directeur de la police judiciaire, l’un de mes anciens amis, depuis longtemps avait été muté à l’occasion d’une flatteuse promotion, et son successeur avait fait table rase du passé.

- Il faut que la police se transforme.

Il ajoutait pour montrer son érudition et sa connaissance des choses de la vie :

- Pour que les choses restent ce qu’elles sont.

Le passé avait définitivement disparu. Il est vrai qu’il  ne concernait que moi.

 

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Je suis du peuple des cantiques

 

Doux ami,

Je suis du peuple des cantiques,

Sonnets, ballades et rondeaux.

J’ai l’âme simple et romantique

La vie m’émeut de ses cadeaux.

...

Chaque matin, chaque saison,

La joie qu’apporte l’harmonie

S’installe au creux de ma maison

S’y développe en symphonies.

...

Je sais que le dieu des vivants,

Qui régente à son gré la terre,

Permet des actes décevants

Mais moi, naïvement, j’espère.

...

La vie me berce ou m’éblouit.

J’ouvre mon être à la musique

Et mon âme s’épanouit

Dans un univers fantastique.

...

Je voudrais être troubadour,

À l’ère de la machinerie,

Chanter en stances mon amour,

Et te lier sans tricherie.

...

L’âme en santé ne vieillit pas,

Les ans sont impuissants contre elle.

Je suis demeurée jouvencelle,

Le resterai jusqu’au trépas.

11/11/89

 

 

 

 

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Une histoire polonaise

 

 

Tout avait commencé en Pologne, à Czestochowa en 1931. J'insiste:1900. Parce que ces évènements sont déjà si lointains qu'ils n'eussent étonné personne s'ils s'étaient produits en 1831. Mais peut être que c'est plus tôt encore qu'il faut commencer. Lors de ce jour où on peut imaginer que s'est formée une petite goutte de mon sang. La plus rouge, ou la plus noire.

Radomsko se trouve à quinze kilomètres environ de Czestochowa. Benjamin Warschawski, mon arrière grand père du côté maternel y était propriétaire d'une ferme. Il possédait une vache et quelques poules. Il ne manquait ni d'œufs ni de lait. De profession, si on peut appeler ça une profession, il était prêteur d'argent. Banquier? Non. Il ne prêtait que de petites sommes, sans garantie, à des gens qui en avaient besoin pour une raison ou pour une autre. Un mariage par exemple ou des funérailles, l'un ou l'autre coûte cher, et on ne peut pas toujours reporter l'évènement. Usurier? C'est vrai qu'il ne prêtait qu'à des taux importants. Mais où était le bénéfice puisqu'il ne recouvrait jamais le moindre centime de l'argent prêté.

- Tu vois, tu leur prêtes de l'argent qu'ils n'ont pas l'intention de te rendre, et en retour, ils t'enverraient volontiers au diable. Mais ils saluent bien bas le boucher, membre éminent de la communauté, dont ils ignorent que c'est lui qui avance à l'usurier Warchawski, contre une confortable commission, l'argent que celui-ci leur prête.

Ce boucher, mais qui le leur dirait, ne comprend pas la faiblesse de Benjamin envers ses débiteurs. Ou alors, qu'il inscrive les sommes prêtées sous la rubrique "œuvres de bienfaisance"; disait-il avec ironie.

- Voyez-vous, Benjamin, les hommes de justice, ça existe, non? Et les règles doivent êtres respectées si on veut que la paix règne entre les hommes.

Il ajoutait, et peut être était-il plus fin d'esprit que celui que l'on prête aux membres de sa corporation.

- Je vous aime bien, Benjamin, mais songez que si les hommes sont inégaux sur bien des plans, c'est probablement que le Très Haut l'a voulu ainsi. Comment serions-nous compatissants envers les pauvres s'il n'y avait pas de pauvres. A quoi servirait le comité de bienfaisance?

Benjamin ne faisait pas partie du comité de bienfaisance. Il n'était pas un notable au même titre que le boucher, le marchand de tissus ou le meunier. Si les notables le respectaient, mais pas davantage que l'instituteur, c'est parce qu'il savait écrire, et qu'il est des circonstances où un écrit est aussi important que la confiance procurée par une solennelle poignée de mains. Il ne demandait jamais rien à personne, si bien que personne dans le village n'avait jamais du lui refuser quelque chose. C'était un honnête homme.

Il en était à son second mariage, sa première épouse était morte peu après la naissance de leur fille.

Sa première épouse et lui avaient vécu de manière très honorable, et économe. On peut même dire qu'ils ne vivaient de rien. Les plus pauvres du village, aidés par la charité des gens biens de la communauté, mangeaient mieux qu'eux.

- Penses, ma petite colombe, les sacrifices que nous faisons aujourd'hui que nous sommes jeunes et en bonne santé, nous en retirerons les bénéfices lorsque nous serons vieux.

Malheureusement, sa première épouse n'eut jamais l'occasion de juger si son raisonnement était juste ou non, elle était morte trop tôt. Peut être qu'il était juste. Qui peut le dire?

En seconde noces, il épousa une jeune veuve qui lui donna une fille, elle aussi. Comme ils craignaient d'être incapables de procréer des garçons, et que l'éducation des enfants coûte cher avant qu'ils ne soient en mesure de rembourser, ils décidèrent de s'en tenir aux deux filles existantes. Et si le bon dieu voulait bien qu'elles fussent jolies, le montant de la dot serait plus facile à négocier. Il avait raison, mon grand-père maternel. On racontait même, ce sont les temps modernes qui voulaient ça, qu'il y avait des jeunes gens qui se mariaient par amour. Sans dot. Par amour!

Sa seconde épouse, elle se prénommait Fêla, était issue d'un bourg proche du village. Elle était la fille unique d'un relieur de livres aux doigts d'or dont la clientèle allait des membres de la synagogue aux autorités civiles de sa région tant ses talents étaient reconnus. De plus, il passait pour une sorte de sage que, tout naturellement, tout le monde appelait rabbi. Il ne disait jamais grand-chose mais il écoutait avec tant d'intérêt tandis que ses doigts lissaient la couverture d'un livre, que ses interlocuteurs, au bout d'un moment, avaient le sentiment  d'avoir reçu une solution à leur problème.

Un jour, aux approches de Noël, un charroi considérable s'était arrêté à la porte de rabbi Jung. C'était le comte Potocki, en personne, qui venait lui demander son avis quant à un livre qu'il se proposait d'offrir à l'Université de Cracovie. Personne n'avait jamais su ce que le comte et le rabbi s'étaient dit mais l'entretien avait duré plus de trois heures. Le village tout entier s'était interrogé durant trois jours. Est-ce qu'il faut trois heures pour parler d'un livre? Quoiqu'il en soit, les rues étaient restées illuminées jusque tard dans la nuit. On eut dit un tableau de Chagall. Oui, Monsieur!

Bref, Fêla était ma grand-mère maternelle, et la fille sans dot de Benjamin Warschawski, Sarah, était ma mère.

J'avais un père aussi. Tout le monde a un père, c'est indéniable. Il avait un père lui aussi, qui était mon grand-père, tandis que le père de son père, était son grand-père à lui. Ainsi de grand-père en grand-père, on pourrait retracer toute l'histoire de ma famille en remontant jusqu'à celui qui sur le Mont de Sion avait transmis les Tables de la Loi au chef du peuple élu.

Le prénom de mon grand-père paternel était Samuel. C’est aussi le mien. Je connais son visage parce que j'ai longtemps conservé une photo de lui dans mon portefeuille.

A l'époque de la photo, à vue de nez, si on peut parler de nez à propos d'un juif, il était âgé de soixante ans.  Une gosse moustache, déjà blanche, barrait son visage. Il portait une caquette de cuir, chaussait des bottes de feutre comme les paysans du voisinage, et vendait sur une charrette à bras, des fruits et des légumes. Le commerce, pensait-il probablement, était la façon la plus certaine de s'enrichir, au moins de nourrir sa famille, hors le vol ou la loterie.

Ma grand-mère, Léa, l'avait épousé parce qu'il était bel homme, d'aspect viril, et parce que sa profession leur permettrait de gravir les échelons de l'échelle sociale, et de devenir, pourquoi pas ?, des notables dont la place est réservée à la synagogue où Léa se rendait régulièrement.

Samuel s'y rendait aux grandes fêtes et le samedi, comme tout bon juif, mais pas plus souvent. Mon oncle Alexandre, le frère aîné de mon père, moins pratiquant encore, ne s'y rendait jamais. Ni mon père parce qu’il avait lu que la religion était l’opium du peuple. C'était le souci de leur mère.

Alexandre, devenu jeune homme, ne frayât plus beaucoup avec les gens du voisinage. Vêtu comme un bourgeois de Varsovie, tout l'argent qu'il gagnait était consacré à sa garde-robe. Il portait la cravate et le chapeau de feutre, et plutôt que la veste matelassée comme la portait son frère, ou le blouson de cuir qu'affectionnait mon père, il était vêtu d'un pardessus droit de couleur marine. Un vrai bourgeois. Plus encore. Un de ces aristocrates polonais qui s'expriment en français et qui baisent la main des dames.  

Il n'y a que dans les mélos du dix-neuvième siècle, et dans l'Ancien Testament, que le fils prodigue revient au chevet de sa mère à l'heure où elle s'éteint.

La mère de mon père n'a jamais revu Alexandre ni Bogdan, son petit-fils. A l'âge de trente ans, Bogdan poursuivait ce qui était censé devenir une très belle carrière au sein de l'épiscopat polonais. Je dois être un des rares juifs dont la famille aurait pu, dans sa généalogie, s'honorer à la fois d'un rabbin et d'un futur archevêque. Bogdan, je ne l'ai revu que longtemps après la guerre.

Le milieu dans lequel mon père avait grandi n'était pas très orthodoxe. Il portait une casquette de jeune voyou, et n'allait pas à la synagogue. C'était un libre-penseur.

En 1928, il avait vingt-deux ans. C'était un homme de taille moyenne, de corpulence maigre, au visage émacié. Les yeux profondément enfoncés dans l'orbite donnaient à son regard une sévérité qu'il ne recherchait pas. Toutefois, par un phénomène assez courant, ceux qui l'écoutaient en le regardant étaient sensibles à ses arguments, et lui faisaient confiance malgré son jeune âge.

Membre du syndicat des cordonniers, il intervenait si souvent en séance qu'on le prenait pour un de ses dirigeants. De plus, comme si l'activité syndicale ne lui suffisait pas, il s'était affilié au parti communiste. C'est dire, je le dis avec ironie, qu'il avait tout pour plaire à la communauté juive de Czestochowa.

En 1919, en Russie, après les sept jours qui ébranlèrent le monde, comme l’avait écrit un journaliste américain, un groupe d'hommes, surpris de sa victoire, avait pris le pouvoir. Il prétendait le transformer, ce monde. Mon père, dans la mesure de ses moyens, parce qu'il était juif et qu'il souhaitait que les hommes, tous les hommes, juifs ou non, soient égaux, voulait y contribuer. Je suppose que c'est à lui que je dois cette propension que j'ai à rêver le monde.

Mais l'environnement politique, à l'époque, en Pologne, était hostile aux libertaires de tous poils. Que pouvaient faire des jeunes gens épris de liberté sinon lutter dans l'obscurité.

C'est ce qu'ils faisaient à quelques uns dans l'arrière salle d'un café où se tenaient les réunions syndicales et les meetings des autres partis juifs. Et parmi ces quelques uns, c'était prévisible, l'un d'eux était un indicateur de police.

Le pauvre devait enjoliver ses rapports pour mériter son salaire parce que les jeunes révolutionnaires dont mon père faisait partie ne risquaient pas de renverser le pouvoir. Comme on dit, les paroles s'envolent. De plus, après une certaine heure, qu'il pleuve ou qu'il vente, la révolution pouvait attendre. Mon père prenait congé de tout le monde pour se rendre, devinez où? Vous avez gagné. A Radomsko pour rejoindre sa future fiancée.

Elle était belle ma mère. Elle avait la taille de mon père. Elle se tenait droite, la poitrine en avant. Elle avait des cheveux noirs légèrement ondulés, et des yeux tout aussi noirs bordés de longs cils rehaussés de mascara. Une bouche pulpeuse qu'elle soulignait de rouge sang. Elle portait des bottes qui n'étaient pas des bottes de paysan. Chemisier masculin et jupe qui s'arrêtait au dessus du genou, comme c'était la mode à Varsovie, elle devait plaire plus qu'il n'est permis à une jeune fille dans une petite ville de province.   

Elle avait été séduite par ce garçon qui parlait d'égal à égal avec des notables plus âgés que lui, et qui faisait quinze kilomètres à pieds, plus tard à vélo, pour venir lui parler de tout et de rien, au début en tout cas, et pour l'emmener danser après que Benjamin Warchawski y ait consenti. Rabbi Cohen, consulté, avait estimé que ce garçon de la ville qui ne faisait pas un bon juif dans le sens où l'entendaient certains, ferait probablement un bon époux. Ils se marièrent le 15 novembre 1929.

Comment il avait fait la connaissance de ma mère, comment ils étaient devenus amoureux l'un de l'autre, qu'est-ce qu'ils se racontaient quand ils étaient ensemble, je l'ignore. Je suppose que les choses se passaient hier, et avant-hier, comme elles se passent aujourd'hui. On jette une pièce en l'air, et c'est pile ou face. Tout compte fait, ce n'est pas une méthode plus mauvaise qu'une autre.

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ADMINISTRATEUR GENERAL

L’Espace Art Gallery a le plaisir de vous présenter du 21/05 au 08/06/2014 l’exposition  événement des artistes suivants : Martine Raeymaekers (Be) peintures, Florence Penet (Fr) peintures, Anne Marie Chasson (Fr) sculptures et Isabelle Constant (Fr) sculptures.

 

Le VERNISSAGE a lieu le 21/05 de 18h 30 à 21h 30 et l’exposition du mardi au samedi inclus de 11h 30 à 18h 30. Et sur rendez-vous le dimanche.

 

Vernissage qui sera agrémenté d’extraits de Musique Celtique interprétés par la harpiste Françoise MARQUET.

 

Le FINISSAGE a lieu le 07/06 de 11h 30 à 18h 30.

 

         Martine RAEYMAEKERS (Be) peintures

         « M’ARTINESSENCE » 

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         Florence PENET (Fr) peintures

         « Entre rêve et réalité »

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Collectif de la GALERIE :

         Anne Marie CHASSON (Fr) sculptures

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Isabelle CONSTANT(Fr) sculptures

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A voir également « La grande table en bois » réalisée par l’artiste

Louis de VERDAL (Fr) sculpture

 

Exposition du 21 mai au 08 juin 2014.

 

Espace Art Gallery 35 rue Lesbroussart 1050 Bruxelles. Ouvert du mardi au samedi de 11h 30 à 18h 30. Et le dimanche sur rendez-vous. GSM : 00 32 (0) 497 577 120

 

INFOS ARTISTES ET VISUELS SUR :

 

Le site de la galerie www.espaceartgallery.eu

Le site de la galerie se prolonge également sur

Le réseau Arts et Lettres à l'adresse: http://ning.it/KUKe1x

Voir: https://artsrtlettres.ning.com/ (Inscription gratuite)

Diaporama des plus belles expositions de l'Espace Art Gallery :  

Voir: http://ning.it/KHOXUa

Les critiques de François Speranza sur Arts et Lettres :

Voir : http://j.mp/1dDwL9m

Expositions de l’Espace Art Gallery d’avril 2011 à avril 2014 :

Voir : http://j.mp/1dO2y7o

 

INVITATION A PARTICIPER A UN CONCERT

Samedi 17 mai 2014

Concert de Formiga and Cigale par Anna Amigô et Eva Genniaux.

 

Notre projet est un voyage à travers l’Europe et sa musique traditionnelle. Une harpe celtique, un violon et deux voix plus que magiques transportent ceux qui les écoutent en des lieux mythiques et inattendus pendant plus d’une heure d’évasion.

 

Formiga and Cigale transforment la scène en un espace plein de glamour, d'humour et bien sûr de musique. Un répertoire riche et vaste en chansons traditionnelles de différentes régions de l'Europe, fruit de leurs voyages et de leurs rencontres. Troubadours modernes, elles adaptent et arrangent les morceaux pour arriver à un style qui leur est propre. Histoires de princesses, de guerres, d'amour impossible, de mère qui empoisonne leur fille, de vent soufflant sous un kilt et de gigues endiablées; Formiga and Cigale vous embarquent dans leurs aventures, réelles ou imaginées, à travers le continent. Laissez-vous séduire par l’univers de ces deux baroudeuses (une catalane Anna Amigô et une française Eva Genniaux habitant en Belgique). Que le spectacle commence…

 

Lien : https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/invitation-a-participer-a-un-concert-le-samedi-17-mai-2014-20h

 

Infos pratiques : 20h à 21h 30. Espace Art Gallery, rue Lesbroussart 35 à 1050 Ixelles.

PAF : 5 €. Réservations souhaitées au 00 32 (0) 497.577.120. Places limitées (35) et verres de l’amitié après. Les bénéfices du concert seront au profit de Formiga and Cigale.

 

Rappel de l’exposition en cours : à ne pas rater !

 

-Titre : « Les pièces du temps » 

Artiste: William Kayo (Cam) technique mixte

Vernissage le 30/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 30/04 au 18/05/2014

Finissage le 17/05/2014 de 11h 30 à 18h 30.

 

Voir le billet du critique d’art François Speranza sur l’artiste : http://j.mp/1kH6oDE

 

Voici les trois prochaines expositions :

 

-Titre : « 5e expositions des artistes de la L.I.R. » 

Artistes : Collectif d’artistes multidisciplinaires dans le cadre de l’exposition événement des 40 ans de la Ligue en faveur des Insuffisants Rénaux A.S.B.L. Artistes présents :

Fabienne Cristyn (porcelaines), Anne Monjoie (aquarelles et dessins), Marianne Modave (pastels), Anny Van Gorp (aquarelles), Philippe Vroye (aquarelles), Liliane Sanchez (peintures), Joël Coppens (collages), Catherine Colasse (photographies), Rosy Gutierrez (peintures), Catherine Van Haute (photographies), Bindels Myriam (huiles et aquarelles), Danielle Beaurain (écrivain), Françoise Giaiotto (céramiques), Dominique Leroy (dessins), Michèle Meijer (acryliques et aquarelles) et Israel Severine (photographies).

Vernissage le 11/06 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 11/06 au 29/06/2014

Finissage le 28/06/2014 de 11h 30 à 18h 30.

&

-Titre : « Différents regards sur l’art » 

Artiste : Marc Laffolay (Fr) peintures et sculptures

Vernissage le 11/06 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 11/06 au 29/06/2014

Finissage le 28/06/2014 de 11h 30 à 18h 30.

 

En juillet la galerie est fermée.

 

-Titre : « Différents regards sur l’art » 

Artiste : Marc Laffolay (Fr) peintures et sculptures

Vernissage le 06/08 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 06/08 au 31/08/2014

Finissage le 30/08/2014 de 11h 30 à 18h 30.

 

La rentrée culturelle à lieu le 10 septembre 2014.

 

Au plaisir de vous revoir à l’un ou l’autre de ces événements.

 

Bien à vous,

 

                                                        Jerry Delfosse

                                                        Espace Art Gallery

                                                        GSM: 00.32.497. 577.120

                                                        Mail de réponse eag.gallery@gmail.com

                                                        Le site de la galerie www.espaceartgallery.eu

 

Le site de l'Espace Art Gallery se prolonge également sur le Réseau Arts et Lettres à l'adresse: http://ning.it/KUKe1x

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TU ME MANQUES...

Tu savais si bien écouter

A toi, on pouvait se confier

Quelques mots avec justesse

Sur le cœur faisaient caresses

Tu me manques...

Ta vie semblait être tranquille

Pourtant je te sentais fragile

De quelques blessures anciennes

tu étais encore la gardienne!

Tu me manques...

Tu étais très juste et si bonne

Ton aspect froid était maldonne!

Et déjà mon regard d'enfant

T'avait perçue inconsciemment...

Tu me manques...

Me souviens de ce dernier jour

Où tu es partie pour toujours

C'était en mai, il y a longtemps

J'ai encore froid en y pensant!

Tu me manques...

J.G.

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Si vous parcourez les différents évènements répertoriés par le site du Ministère de la Culture, vous y découvrirez mon intervention au musée d’archéologie de Montrozier (voir cette page ici), un moment unique et inattendu, que je réserve à tous les visiteurs de ce bel « espace archéologique » de 14 h à minuit samedi prochain.
Ce sera pour la « Nuit européenne des musées » qui fête son dixième anniversaire cette année, et qui aura lieu en même temps que la Journée internationale des musées, dans la nuit du 17 au 18 mai 2014.
Cette importante manifestation, sous la houlette du Ministère de la Culture, offre des découvertes parfois exceptionnelles aux visiteurs des musées concernés, avec souvent d’étonnantes surprises, comme l’accès aux « fantasmagories de Robertson » au Musée des Arts et Métiers dans le 3ème arrondissement à Paris.
Je reviendrai dans un futur billet sur le lieu de grand intérêt où j’interviens moi-même, géré par le Conseil Général de l'Aveyron sous la houlette de la très férue et dynamique Conservateur Départemental Madame Aline PELLETIER, secondée avec talent pour ce musée par Philippe GRUAT directeur, et Alain SOUBRIE l’un des principaux animateurs.
Je tiens d’ailleurs ici à les remercier tous pour l’accueil qu’ils m’y ont réservé, et l’attrait, l’efficacité et l'envergure de leur action concernant la mise en valeur et la pérennisation de notre patrimoine.

"Les sentinelles" Acrylique et sable dolomitique sur toile, l'une de mes peintures que découvriront dans l'obscurité et à la torche les visiteurs de l'Espace Archéologique de Montrozier pour La Nuit Européenne des Musées" 2014..."Les sentinelles" Acrylique et sable dolomitique sur toile,
l'une de mes peintures que découvriront dans l'obscurité et à la torche,
les visiteurs de l'Espace Archéologique de Montrozier
pour La Nuit Européenne des Musées" 2014...

Alors, si vous êtes (ou passez) en Aveyron ce samedi après-midi (ou en soirée), préparez dès maintenant votre soirée au musée archéologique de Montrozier : vous serez surpris de ce qui vous y attend !
D’abord, vous découvrirez les « gestes de la préhistoire » présentés par un préhistorien aveyronnais exceptionnel : Georges BORIES, aussi doué pour tailler le silex que pour nous initier à la vie de nos lointains ancêtres du paléolithique, une rencontre et un moment passionnants pour tous, car c’est aussi en famille que vous êtes attendus (es).
Ensuite, en ce qui concerne ma propre intervention, je vous laisse lire ci-dessous ce qu’en écrit La Dépêche du Midi dans un article d’avant-hier, je pense qu’il résume assez bien l’esprit qui animera les quelques heures que je passerai en compagnie des visiteurs, dont peut-être vous, si vous passez par-là :
« …Animation, surprenante et inédite, celle concoctée par Alain Marc à Montrozier, sur la préhistoire et le monde souterrain.
Son exposition sera à découvrir dans l'obscurité, munie de lampes torches qui seront distribuées à l'entrée. «Il s'agit de confronter l'interprétation et l'imaginaire face à la réalité scientifique», indique l'artiste.
«Depuis mon enfance, je me suis toujours intéressé à la préhistoire et au rôle de la muséographie dans notre monde contemporain», poursuit le même.
Outre son travail d'aquarelliste qui témoigne de choses et de lieux qui ont un rôle important dans la quête de notre identité, son travail porte aussi sur la problématique du regard, sur le questionnement de ce qu'il restera de nous dans les siècles à venir.
«Que nous laissent du passé ces traces durables sur l'origine de nos civilisations et de l'humanité ? », s'interroge Alain Marc dont l'orientation créatrice était toute tracée depuis des découvertes archéologiques majeures dans sa jeunesse.
«La découverte de ses œuvres à la lampe torche, plus facile à voir qu'à la lumière du grand jour, sera un moment fort de cette Nuit des musées», commente Bernard Saules.
L'artiste dédicacera aussi son livre intitulé «L'Aven aux merveilles». Parallèlement, une paroi de grotte sera reconstituée pour l'occasion afin que chacun puisse s'exprimer. «Chaque participant pourra remplir ce mur d'art pariétal», explique Alain Soubrié de Montrozier, sans oublier la visite de la nouvelle expo du musée sur le néolithique.
Montrozier sera ouvert de 14 heures à minuit, Salles-la-Source de 20 h 30 à 23 heures, et Espalion de 19 heures à 22 heures, le 17 mai. »
(Je précise pour « L’Aven aux Merveilles » que j’y écoulerai là le dernier carton qu’il me reste de cet ouvrage, car l’édition a été épuisée à sa parution en moins de 5 semaines).
Et si cela vous intéresse, je vous reparlerai à la lumière de cette « Nuit des Musées », de la finalité de mon travail pictural et des questions qu’il pose (sachant que dans les précédents articles où je l’ai déjà abordé, je n’ai jamais encore dévoilé le sens premier de ma démarche)…

12273012868?profile=originalL'affiche départementale de La Nuit Européenne des Musées 2014

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Les aléas du métier.

 

Après qu’il eut décroché un poste dans une boite qui payait bien ses agents, Jérôme avait épousé Sylvie. C’était la fille d’un médecin et elle était jolie.

En supplément à ses appointements, il avait l’usage d’une voiture dont les frais, carburant, garage, etc…étaient supportés par la firme, et la disposition d’un studio qui lui permettait de ne pas rentrer chez lui lorsqu’il était fatigué ou que le temps ne s’y prêtait pas. Sylvie l’avait décoré à son goût, elle connaissait ceux de Jérôme.

La société qui l’employait proposait du matériel de laboratoires. Elle était active, disait-on, dans l’industrie de la santé.

Son directeur lui avait dit :

- Vous devez vous efforcer d’inviter vos prospects à dîner. C’est à table que se contractent les meilleures affaires.

A quarante ans, Jérôme était ce qu’on appelle un bel homme. Son visage rieur suscitait la sympathie. Sa stature et sa nature légère plaisaient aux femmes.

C’est à table qu’il avait conquis Geneviève. Elle achetait le matériel demandé par les médecins de la clinique dont elle était la directrice des achats.

Après le repas, il l’avait ramené chez elle. Sur le pas de la porte, elle avait proposé de prendre un dernier verre.

- Vous voulez monter pour prendre un dernier verre ?

- Je ne peux pas. Je dois encore rentrer en province.

Il s’était penché vers elle, il avait appuyé légèrement ses lèvres sur les siennes.

Dans la voiture, après qu’elle ait refermé la porte, il se demanda s’il ne s’était pas conduit comme un imbécile.  

Le lendemain il apprit qu’une invitation à prendre un dernier verre après un repas entre un homme et une femme signifiait que la femme lui offrait son lit et son corps. Il se sentît humilié. Qu’est-ce qu’elle avait pensé de lui.

Geneviève était séduisante. Plusieurs fois, à table, il avait détourné les yeux de sa poitrine. Après avoir bu quelques verres de vin, elle avait eu chaud, il le voyait,  elle avait entr’ouvert son chemisier.

A la fin de la matinée, il lui téléphona pour prendre de ses nouvelles. Puis, comme s’il y pensait soudain :

- Ah, je voulais vous dire, je ne rentre pas ce soir. On peut dîner ensemble ? Je vous le promets, on ne parlera pas d’affaires.

Il devina que le court silence de Geneviève était une hésitation de circonstance.

- Vous avez de la chance, Jérôme, je suis libre ce soir.

Elle l’avait appelée : Jérôme. Il se promit de téléphoner à Sylvie avant de se rendre au restaurant.

Le lendemain matin, il avait passé la nuit avec Geneviève, il était en train de se rhabiller, elle lui dit :

- Tu as aimé ? Tu en avais l’air en tout cas.

Il rougit en regardant Geneviève nue qui avait rejeté les draps.

- Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de te revoir.

En réalité, je sais pourquoi.

Elle l’avait dit en souriant. Il sourit lui aussi avec ce sourire un peu fat qu’ont parfois les amants sortis du lit de leur maitresse et les garçons-coiffeurs qui présentent un produit coiffant à la télévision.

- On se revoit demain ? Je préparerai une petite dînette.

- Ce n’est pas possible demain, il faut que je rentre.

- Pourquoi ?

- Je suis marié. 

Il promit que le surlendemain, il passerait la nuit chez elle, il prendrait ses dispositions.

Ce soir là, il eut envie de Sylvie bien avant qu’ils ne se soient mis au lit.

Le lendemain, elle le regarda avec surprise.

- Tu rentres ce soir ? On pourrait aller au restaurant.

- Non, malheureusement.

Pour le petit déjeuner, elle tint absolument à lui beurrer ses tartines. Et à le regarder manger.

Le soir, en faisant l’amour avec Geneviève, c’est à Sylvie que Jérôme pensait.

Geneviève posa la main sur ce Jérôme dont elle avait le sentiment qu’il était devenu, et chaque partie de son corps, sa propriété.

Lorsqu’il revint deux jours plus tard comme il l’avait promis, il trouva, posé sur le lit, un pyjama dont il ne porta que la veste déjà déboutonnée et un pantalon soigneusement plié.

- Maintenant, tu es chez toi, Jérôme. Je t’ai préparé un jeu de clés de l’appartement.

Elle lui avait aussi acheté trois chemises. Il les enfilait dès qu’il arrivait chez elle. En revanche, celles qu’il portait chez lui, il les achetait lui-même. Sylvie n’était pas toujours au courant de ce qui était tendance ou non. Désormais, il avait deux foyers : celui qu’il avait choisi au terme de ses études, et celui dont il se promettait de se défaire à chaque fois qu’il passait la nuit avec Geneviève.  

Il avait des remords, et il aimait ces remords qui  étaient la preuve de son amour pour Sylvie.

Dieu sait pourtant combien Geneviève était inventive en matière de sexe. Mais elle était économe de ses démonstrations. Elle connaissait l’adage : qui veut aller loin ménage sa monture. Et Sylvie profitait indirectement de l’expertise de Geneviève.

Les choses auraient pu, longtemps, continuer ainsi pour le bonheur de tous mais le destin, on le sait, fait souvent preuve d’un peu d’imagination.

Un dimanche après-midi, alors que Jérôme et Sylvie venaient à peine de sortir de chez eux, ils rencontrèrent Geneviève qui se promenait en regardant les étalages.

- Jérôme !

Geneviève avait l’air aussi surprise que   l’étaient Sylvie et Jérôme. Jérôme lui tendit la main en s’exclamant.

- Madame Derover !

Il se tourna vers Sylvie.

- Madame Derover est une cliente de la société. Une bonne cliente.

Sylvie la salua d’un signe de tête tandis que Jérôme la présentait.

- Sylvie, ma femme.

- Mes félicitations, Jérôme. Votre femme est charmante. Coïncidence, je voulais visiter une ville de province, et je constate que c’est la vôtre.

Sylvie l’invita à prendre le café avec eux dans une pâtisserie de la place. Jérôme souriait aux deux femmes, tour à tour. Chaque remarque des deux femmes lui faisait hocher la tête. Il ajoutait de temps à autre :

- Comme c’est vrai !

Ce fut un après-midi parfait.

C’est souvent la nuit que les couples échangent des réflexions importantes, les yeux au ciel, dans l’obscurité de leur chambre à coucher.

- Elle te tutoie ?

- C’est une habitude dans le milieu médical.

- C’est une jolie femme.

- Tu trouves ? Je la trouve assez quelconque.

- Tu couches avec elle, j’imagine.

Elle lui tourna le dos, et fit semblant de s’endormir.

Cette fois, pensa Jérôme, il fallait réagir. C’est de leur vie à Sylvie et à lui qu’il s’agissait. Dès demain, il agirait. Mais, d’abord, dormir.

Sylvie et lui déjeunèrent comme d’habitude mais sans se regarder. Elle ne lui beurra pas ses tartines. Il monta en voiture sans l’embrasser ni sur les lèvres ni sur les joues.

- Au revoir.

Il avait hâte d’être le soir pour se rendre chez Geneviève. Après leur entrevue, peut être qu’il rentrerait chez lui, ou bien il irait à l’hôtel, il hésitait encore.

C’est à l’hôtel qu’il se rendit directement après le travail, et après un repas vite avalé dans un resto chinois. Il ne savait pas comment dire à Geneviève que leur aventure devait prendre fin.

Il tergiversait. Au fur et à mesure que le temps passait, il imaginait soit la rupture suivie de la promesse d’une amitié presqu’éternelle, soit la rupture brutale et douloureuse. Finalement, il prit une décision irrévocable.

C’est à Geneviève qu’il devait l’annoncer. Face à face. Il regrettait de ne pouvoir s’en ouvrir à Sylvie, elle était toujours de bon conseil.

- Il faut que je te parle, Geneviève. Tu es disponible ? C’est grave ce que je dois te dire.

- Tu veux me parler de Sylvie et de moi ? Viens, je t’attends.

Il raccrocha le téléphone. Soudain, il n’était plus certain d’avoir agi avec intelligence.

 Il faisait déjà nuit. La circulation était presque inexistante. Il était pressé d’arriver et, cependant, il roulait lentement comme s’il craignait d’arriver trop tôt.

La porte de l’appartement était entrouverte. Geneviève  se trouvait dans la chambre à coucher. Elle disait :

- J’arrive, Jérôme.

Elle était en peignoir. Elle s’avança. Elle l’embrassa au moment même où il pensa à détourner la tête.

- Mon Jérôme, je suis contente que tu sois venu. Je pensais à toi si fort. Tu aimes mon nouveau parfum ? Viens, nous parlerons après. Tu as raison, il en est temps.

Elle était nue sous son peignoir.

Les hommes sont ainsi faits. En matière de sexe, ils raisonnent aussi bien qu’en d’autres matières. C’est à ça que sert la raison. En matière de sexe cependant ils raisonnent également bien, mais après. Avant, c’est le trou noir de la pensée. Le lendemain, il était encore dans le lit de Geneviève.

Il avait dormi longtemps. Geneviève était dans la cuisine. Elle préparait le petit déjeuner. Elle avait enfilé un t-shirt de sorte que lorsqu’elle avait poussé la porte pour voir si Jérôme était réveillé, il avait pu voir qu’elle n’avait pas mis de culotte.

Elle le lui avait dit, il y avait peu de temps. Elle rêvait de passer une journée entière au lit avec lui sans s’habiller. Jamais Sylvie ne le lui avait proposé.  

Il le regrettait un peu. Une épouse devrait être aussi une maîtresse.

A table, elle avait préparé un repas froid. Il avait mis son pyjama, veste et pantalon, elle avait jeté son peignoir sur un T-shirt qui lui couvrait les jambes jusqu’aux genoux. Ils parlèrent enfin de leur couple et de celui de Jérôme. Calmement.

Jérôme en convint en son for intérieur, il n’y avait aucune raison sensée pour rompre avec Geneviève. Il aurait pu la rencontrer avant qu’il n’ait rencontré Sylvie, et rien n’eut été compliqué. C’est Sylvie qu’il fallait convaincre sans gâcher tout ce qui les liait.

Divorcer, tout le monde le sait, est une procédure pénible. Souvent elle est la suite d’un  coup de tête qu’on regrette rapidement. Divorcer est parfois plus pénible encore que de supporter celui d’avec qui on divorce. Mais le mal fait, rares sont ceux qui font marche arrière.

Il y a ceux qui n’ont jamais tenté de divorcer parce qu’ils ont reculé et ceux qui ont fait semblant d’ignorer qu’il y a des raisons de le faire.

Quoi qu’il en soit, il suffit de détourner les yeux pour conserver son rang aux yeux d’autrui.

Sylvie et Jérôme ne divorcèrent pas. Ils continuèrent de vivre côte à côte. Un jour sur deux. L’autre était destiné à Geneviève qui, elle non plus, n’en parla plus.

Il suffit de ne plus y penser pour que les problèmes les plus complexes cessent de l’être.

Un peu plus tard, Jérôme plutôt que d’aller au bureau en voiture y alla en train. C’était moins fatiguant. Il ne prospectait plus les clients, il dirigeait les prospecteurs.

C’est dans le train qu’il fit la connaissance d’Arlette qui devint sa maîtresse.

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En fleurs et en pleurs

En fleurs et en pleurs

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l.gifes pétales, d'un blanc rosé,
Des merveilleuses fleurs brisées,
En gros éclats gisent à terre,
Témoins d'une gloire éphémère.

Sur le gazon vert, que la pluie
A rafraîchi pendant la nuit,
Larges morceaux de porcelaine
Et sur l'arbre, des fleurs en peine.

Hier, il était magnifique,
Lumineux, quasiment magique,
Un ravissement pour les yeux.
Il me semblait si vigoureux!

Le voilà en métamorphose,
Lors, la nature qui dispose,
Le vêtira dans peu de temps
D'un nouvel habit attrayant.

Mais ce matin, il est en pleurs,
Dépouillé de nombreuses fleurs.
J'en recueille tous les débris
Et rêveuse, je m'attendris.

5 mai 2006
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Sabine ou la femme divorcée.

-

Elle était âgée de quarante ans à l’époque. Chez l’homme ou chez la femme, il y a des âges où la vie est sur le point de basculer. Et parfois, elle bascule.

Aujourd’hui, à l’âge de cinquante-six ans, elle était encore fort séduisante. Elle avait été, à l’époque de son divorce, une femme qui enflammait les hommes au travers  de la sensualité qu’elle dégageait.

Un jour, elle avait appris que son mari l’avait trompée. Il était médecin. Il faisait encore des visites à domicile. Il avait prétendu qu’une patiente l’avait pratiquement violé. Nue sous sa robe de chambre.

Elle le lui avait reproché, et elle avait entrepris une procédure en divorce. Ce fut l’affaire de plus d’un an. A quarante-deux ans, elle était devenue une femme  libre. Une femme seule.

Elle eut un amant. Le mari séparé d’une amie. Marcel souhaitait l’épouser. Elle était sexy, elle faisait bien l’amour. Il ne le disait pas mais elle faisait beaucoup mieux l’amour que ne le faisait sa femme, et elle faisait bien la cuisine. Une cuisine légère parce qu’elle surveillait sa ligne, et savoureuse. 

Elle cessa de voir Marcel.

La vie est imprévisible. Il ne devait pas être âgé de plus de vingt cinq ans celui qui l’avait abordée dans une brasserie, attablé à une table voisine. Un beau garçon, de belles proportions physiques, le visage souriant, il devait plaire indubitablement. Il lui avait plu à elle. Il aurait pu être son fils ! Elle exagérait mais c’était d’autant plus excitant.

- Je peux m’asseoir ?

Elle avait dit oui. Elle n’avait pu s’empêcher d’ajouter :

- Un lapin ?

 - Pas un lapin, un signe du destin.

- Oh ! Vous n’exagérez pas un peu ?

- A peine.

Il ne manquait pas d’audace. Ce fut une liaison qui dura quatre mois. Il la retrouvait deux fois par semaine dans l’appartement qu’elle occupait depuis son divorce. Elle aimait cette façon qu’il avait de la regarder lorsqu’elle était nue. Elle plaisait. Elle pensait : il ne me regarde pas, il me détaille. Il découvre la femme en moi.

Robert, c’était son nom, était sur le point de se marier. Sa rencontre avec Sabine avait bouleversé sa vie, celle de sa fiancée, et plongé ses parents dans la désolation.

Un monsieur de près de soixante ans avait sonné à sa porte et la main sur le cœur, une véritable scène de théâtre, il lui avait dit qu’il était le père de Robert.

- Vous ne me connaissez pas, mais…

Elle ne savait pas si elle devait rire et vamper ce brave homme. Raide et très convenable, il ne savait pas, c’était criant, comment ne regarder Sabine que dans les yeux.

Les années passèrent. Elle eut sa dernière aventure avec des jeunes gens lorsque l’un d’eux, le fils d’une amie, lui avait demandé conseil.

- Comment faire ? J’aime Nathalie et je suis incapable de le lui dire.

Elle hésitait entre les larmes et le rire. Mais le jeune homme ne s’aperçut de rien. Sans aucun doute, il était d’une timidité maladive. Elle aurait aimé l’initier.

- Tu l’as déjà embrassée. Tu l’as déjà touchée ?

- A vous, je peux le dire : je ne suis plus un homme lorsque je suis à côté d’elle.

- Plus un homme ?

C’était une véritable confession. Il ne considérait pas que Sabine était vieille ou laide mais ses attraits qui faisaient envie il y avait peu de temps encore aux jeunes gens de son âge n’éveillaient aucune sensation physique chez ce jeune homme. C’est de Nathalie qu’il rêvait. Qu’il éprouvait le besoin de décrire.

Sabine avait trouvé Nathalie quelconque. A l’image de ces jeunes fille en pleine métamorphose qui se bandent les seins parce qu’elles les trouvent trop gros ou qui bourrent de ouate leur soutien-gorge parce qu’elles les trouvent trop menus.

Depuis, elle avait eu davantage de rapports amoureux avec les hommes de sa génération. Mais si elle y mettait plus de science, et eux aussi, elle n’en retirait pas les mêmes satisfactions  lorsqu’elle se retrouvait seule. C’est durant ces moments que, debout devant son miroir, elle se regardait, les mains sous les seins.

- Sabine !

Elle rentrait chez elle après s’être rendue au cinéma. A peine si elle se souvenait du film. Elle l’avait reconnu sans hésiter, c’était la voix de Pierre, son ex-mari, le médecin dont elle avait divorcé quinze ans auparavant.

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- Sophie est morte.  

- Sophie est morte ?

Souvent les phrases se font l’écho les unes des autres, parfois ce sont les silences qui les prolongent, les uns et les autres expriment des sentiments confus.

Sophie était la femme qu’il avait épousée après son divorce. La solitude soudaine des maris, plus que la beauté ou les qualités de leur future épouse, les pousse souvent à se remarier.

Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient pas rencontrés, Sabine et lui. La surprise fut d’autant plus grande. Elle n’alla pas sans un regard inquisiteur sur ce que les corps des uns et des autres étaient devenus.

- Tu veux monter ?

- J’avais besoin de parler à quelqu’un

Elle habitait au troisième étage. L’ascenseur, proche de la cage d’escalier, était étroit. Il pouvait transporter trois personnes pourvu qu’elles se serrent. Pierre détourna la tête. Sans ce geste instinctif de savoir-vivre, il aurait eu le nez et les yeux sur la poitrine de Sabine dont il se souvenait soudain de la tiédeur.  

L’appartement était spacieux. Après le hall, on pénétrait dans le salon. On devinait à droite la porte des chambres à coucher.

- Tu es bien ici.

Pendant qu’elle apportait les verres, elle se souvenait qu’il aimait le whisky. Elle constatait qu’elle-même durant toutes ces années était restée fidèle à la même marque.

- Toujours de l’eau plate ?

Il la regardait, et il pensait qu’elle n’avait pas changé. Lui non plus, aux yeux de Sabine, s’il n’avait plus les traits juvéniles du mari qu’il avait été, n’avait pas l’air d’un vieillard. Un peu d’embonpoint  mais la taille bien droite. Il avait l’air vigoureux. Pourquoi s’étaient-ils séparés ? Elle était incapable de se répondre. Et Pierre, que devait-il en penser ?

Il avait besoin de se confier. Pour l’écouter, elle s’était assise sur le fauteuil à deux places, les jambes repliées. A cette place précisément où elle s’asseyait lorsqu’elle était avec son amant avant qu’ils ne se lèvent tout à coup pour s’embrasser.

Elle était incapable de dire comment les choses allaient évoluer. Ce sont des situations dont on devine la fin. Peut être que l’alcool faisait déjà son effet. Pierre se leva. Elle se leva à son tour.

- Il est tard, il faut que je m’en aille. J’avais besoin de parler. Je te remercie, Sabine.

Ils s’embrassèrent comme de vieux amis, et elle le reconduisit à la porte.

 

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Jardin de fleurs JGobert

Dans cet éden, ce paradis, ce jardin de fleurs scintillent à nouveau le bonheur, l’espérance. Dés votre arrivée, votre regard se pose sur ces parterres, ces massifs de fleurs d’ancolies, d’anémones, d’angéliques.

Toutes sont là pour vous accueillir et vous souhaiter la bienvenue.

Après quelques pas dans cet azur scintillant, d’autres vous sourient, bluets, campanules, capucines. Ce rayonnement, cette propagation de fleurs s’étend à l’infini et vous embaume, vous exalte l’âme adoucie d’un rêve parsemé de clématites, de colchiques, de coquelicots.

Le jardinier s’active chaque jour pour que tout ce monde resplendisse et couvre votre cœur de délice. Dans un coin ombragé, giroflées, muguets, pensées  se reposent de tant de beauté et regardent les immortelles se dorer au soleil. D’autres encore se prélassent, se libèrent d’éclat couleur d’iris, de cytises, de digitales.  Un génie éclaire un carré de giroflées, de glaïeuls et lui envoie un léger souffle pour les balancer délicatement.

L’intencité, l’illumination de ce lieu perçoit les sentiments les plus minuscules, les plus petits et en fait un havre d’apaisement. C’est ainsi qu’est né ce calice de paix entouré des fleurs de la terre. Des espèces rares y sont et d’edelweiss est parsemé cet unique rocher. A ses pieds, pavots, pivoines s’élèvent vers le ciel.

De cette perception délicate de toutes ces senteurs monte vers le firmament l’émotion d’être dans la lumière. Les épines des roses ont disparu et leurs beautés resplendissent. Bien d’autres sont là aussi pour colorer cette peinture et n’ont pas renoncé à leurs couleurs d’instinct. Le tableau est gigantesque et les touches de jaune, de rouge, d’orange, de pourpre se mélangent au bleu, à l’azur, à l’indigo. Le vert domine cette toile pour unir ce monde enfin recomposé de toutes ces mains éclatantes. Une rivière coule au milieu de ce paradis, limpide, brillante de mille destins et anime de son cliquetis le balbutiement éphémère de l’air.

 Sur le bord de ce ruisseau, à la première lueur du jour, les violettes attendent le passage d’une accueillante caresse qui en fera un minuscule bouquet à la collerette dentelée.

Ici, le temps et les saisons n’ont pas de prise et toutes les fleurs comme les âmes vivent ensembles dans un même élan mélangeant fleurs de printemps, d’été et d’automne. Muscaris, œillets, renoncules s’agitent d’émotion, tulipes, primevères d’émoi, œillets, cytises d’un trouble si parfait qu’il en est douceur.

Cet endroit n’a pas de fin et se déroule devant vous comme le bleu des lavandes à l’infini. L’esprit rêveur vous transporte dans ce monde de beauté et de paix

JGobert.

 

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Ogotemmêli

"Dieu d'eau" est un essai de l' explorateur et ethnographe français Marcel Griaule (1898-1956), publié en 1948. Dirigeant, avec Mme G. Dieterlen, une mission scientifique en Afrique occidentale, Marcel Griaule a, pendant plus de quinze ans, étudié les moeurs et la langue d'une tribu africaine considérée comme une des plus arriérées: les Dogons, population soudanaise de la boucle du Niger. Lorsque la mission fut bien au courant des institutions, coutumes et rites de ce groupe, l'auteur reçut de la bouche de l'un des "anciens" de la tribu, le chasseur aveugle Ogotemmêli, la révélation de la cosmogonie et de la théogonie dogon, enseignement qui démontra que ces traditions sont extrêmement élaborées, qu'elles constituent une explication systématique du monde et de l'homme, et que, par conséquent, bien des notions européennes quant à la mentalité noire, dite primitive, sont à réviser entièrement. "Dieu d'eau" retrace les conversations de Griaule avec Ogotemmêli, conversations qui durèrent trente-trois jours et qui, en faisant surgir une métaphysique d'une très grande complexité, jettent une lumière nouvelle sur les cérémonies et les rites africains que l'on connaissait déjà, mais dont on ne soupçonnait pas la philosophie profonde. Déjà, le titre de chacune des trente-trois journées peut nous éclairer sur la nature des entretiens: "La première parole et la jupe de fibres", "La seconde parole et le tissage", "La troisième parole et le grenier de terre pure", "La troisième parole et le vomissement du système du monde", "La troisième parole et les travaux de rédemption", "Invention de la mort". Pour entreprendre de décomposer le système du monde, Ogotemmêli sait commencer à "l'aurore des choses" et repousser les détails sans intérêt comme par exemple la formation des quatorze systèmes solaires dont parle le peuple, à terres plates et circulaires disposées en pile. C'est ainsi qu'il ne traite que du système solaire utile: le dieu Amma, dieu unique "avait créé le soleil et la lune selon une technique plus compliquée qui ne fut pas la première connue des hommes mais qui est la première attestée chez Dieu: la poterie. "Le dieu lança la glaise dans l'espace -elle s'étale, gagne au nord qui est le haut, s'allonge au sud qui est le bas, même si tout se passe à l'horizontale. La terre "s'étend à l'orient et à l'occident, séparant ses membres comme un foetus dans la matrice... Elle est un corps, c'est-à-dire une chose dont les membres se sont écartés d'une masse centrale." Ce corps est une femme, posé à plat, face au ciel. "Amma qui est seul et veut s'unir à cette créature, s'approche d'elle." Ce fut le premier désordre de l' univers. La force vitale de la terre est l' eau. Dieu a pétri la terre avec de l'eau. Même la pierre possède cette force, car l'humidité est dans tout, jusque dans la parole par la salive. Les entretiens de la deuxième journée nous expliquent le verbe à partir du métier à tisser: la peau sur laquelle file la femme est le soleil, car le premier cuir utilisé ainsi a été celui du soufflet de forge qui avait contenu le feu solaire; le tournoiement du fuseau est le mouvement de la spirale de cuivre qui propulse le soleil, spirale que figurent souvent les lignes blanches ornant l' équateur de la fusaïole; le fil descendant de la main de la fileuse est le fil de la Vierge, le long duquel est descendu le système du monde; "la parole est dans le bruit de la poulie et de la navette. Tout le monde entend la parole; elle s'intercale dans les fils, remplit les vides de l'étoffe. Elle appartient aux huit ancêtres; les sept premiers la possèdent, le septième en est le maître; et elle est le huitième." "Les paroles des sept ancêtres remplissent les vides et forment le huitième. La parole étant eau, chemine selon la ligne chevronnée de la trame." Outre cet ouvrage remarquable sur les Dogons de Marcel Griaule, citons "Jeux Dogons" (1938), "Masques Dogons" (1938).


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L'hymne à la joie

 

Doux ami,

Quand je reste sans m'activer,

Trop nonchalante pour bouger,

Ne ressentant pas d'allégresse

Ni aucun désir de tendresse,

J'appelle à moi des chansonniers

Qui sauront me désennuyer.

Leur ironie face à la vie

Ou leur tendre mélancolie.

M'alimentent certes en sagesse;

Mon indifférence me laisse.

Je réagis à leurs propos

Et je soliloque aussitôt.

La bonne humeur est contagieuse.

Le bel humour me rend joyeuse.

Je médite sur le talent

De ceux qui amusent les gens.

Je me moque de moi, chétive,

Or sans tarder me réactive.

Mais aujourd’hui, dès le matin,

Énergique et pleine d’entrain,

J'accueille à nouveau l'espérance.

 Je veux rendre hommage à la chance

Dont me semble libre la voie.

Je chante fort l'hymne à la joie.

3/9/1989

 

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La saison des amours.

 

 

La rue Van Helmont se trouve à proximité de la place Rouppe mais quelle expédition pour y parvenir! Ce n’est pas tant la distance ou les difficultés ou les mystères de la rue qui font obstacles mais l’appréhension qui vous saisit avant de déboucher sur la place. Vous parcourez une rue étroite et, soudain, en pleine lumière vous débouchez sur une immense surface couverte de deux terre-pleins de verdure. Derrière la place, une avenue large comme plusieurs fois la rue Van Helmont conduit vers une autre place qui, elle, se trouve devant la gare. Une place immense cette fois, entourée de cafés aux noms bizarres, Le Laboureur, la Ville de Rome, Les Amis Comiques, dans lesquels un grand nombre d’hommes jouent aux cartes.

Place Rouppe, il n’a que deux cafés. On n’y joue pas aux cartes, on y joue au jacquet. A droite, s’élève un grand bâtiment, une sorte de cube, aux fenêtres régulièrement alignées mais des rideaux empêchent de voir à l’intérieur.  Sur le fronton, il est écrit: Maison des Huit Heures. En réalité, j’hésite. Et si ce n’était pas sur cette place là que se trouvait la Maison des Huit Heures?

Le 11 de la rue Van Helmont se trouve au début de la rue. C’est important de le dire parce qu’en face, à dix mètres peut-être, pas beaucoup plus en tout cas, se trouvait un magasin de bonbons qu’on pouvait acheter à la pièce. Les rouleaux de diables y étaient particulièrement demandés sauf par certains qui trouvaient que ce n’était pas beau de tirer dessus, les dents serrées, déjà noires, les lèvres ouvertes par l’effort. Mais ce sont les mêmes qui sur leur tablier nouaient leur écharpe sur le devant pour paraître plus âgés alors que la plupart d’entre nous la nouaient dans le dos.

Des camarades plus délurés ou plus aventureux nous racontaient qu’au delà de ce que nous pouvions voir, il y avait de nombreuses rues qui ne se nommaient pas Van Helmont. Ce devait être vrai. Déjà l’école où je me rendais tous les jours se trouvait rue des Six-Jetons. Néanmoins, c’est la rue Van Helmont, on le sentait bien, qui était le centre de la ville. Nicolas Pelz qui était mon ami, il était aussi un bon élève, et un fils aimant, lui, disait ma mère, m’avait dit un jour où je me demandais pourquoi il y avait tant d’animation dès qu’on s’éloignait de la rue. « Plus tard, tu verras ».

Notre immeuble, une grande et large bâtisse avait une entrée qui donnait sur une cour où s’élevaient trois autres bâtiments. Au milieu de la cour se trouvait une auge de pierre, une pompe à main et une tôle ondulée pour frotter le linge. Je n’ai jamais pénétré dans aucun de ces trois immeubles. Notre logement se trouvait dans l’immeuble en façade, et je pense que chacun des immeubles constituait pour chacun de ses occupants un quartier distinct au caractère singulier, peut-être même une autre ville. D’ailleurs les gens ne se connaissaient pas tous, ils étaient trop nombreux, ils n’avaient pas les mêmes horaires de travail, ils venaient de régions différentes, et leurs accents parfois les rendaient difficiles à comprendre pour des enfants.

Ce dimanche-là, Nicolas me dit que c’était le bon jour pour voir.

-Tu comprends, c’est dimanche.

Pour lui montrer que j’avais parfaitement compris, j’ai répété :

-Oui, c’est dimanche.

Et nous nous sommes mis en route, tandis que nos copains continuaient de discuter.

Finalement, il ne fallait pas aller trop loin pour déboucher dans un autre monde. Simplement prendre à gauche la rue de Bogards et, plutôt que de traverser le boulevard comme je le faisais chaque jour pour aller à l’école, s’arrêter à la station de tram. Ca m’était formellement interdit quand je n’étais pas accompagné de ma mère ou de mon père. Mais Nicolas Pelz qui était un bon élève, mes parents avaient probablement omis par négligence de le citer parmi les personnes fiables, d’autant qu’il avait deux ans de plus que moi.et que Nina, la fille de l’épicière, je l’avais déjà remarqué, lui faisait des grimaces amoureuses.

- Nous allons au théâtre, dit-il, ça te va ? Mais tu fais comme moi. .

Nous sommes montés sur le premier tram qui s’est présenté, et nous avons parcouru la distance entre deux arrêts avant que le contrôleur ne nous demande où nous souhaitions aller.

-A la gare du Midi, à répondu Nicolas.

-Pauvres gamins, vous allez exactement dans le sens contraire. Mais ne vous affolez pas, vous descendrez au prochain arrêt et vous prendrez le tram dans l’autre sens. Vous avez compris ? Et en secouant la tête, il nous a fait un sourire.

Nous sommes descendus mais nous n’avons pas traversé pour reprendre un autre tram ? Nous étions pratiquement arrivés à destination. En fait, le théâtre où nous menait Nicolas n’était pas un véritable théâtre mais un cabaret. Les gens y venaient pour boire un verre tout en regardant sur la scène qui se trouvait au fond, d’autres gens qui chantaient ou qui racontaient des histoires gaies ou tristes. Nicolas qui était un habitué, me dit qu’il ne savait pas pourquoi les applaudissements, c’était la coutume d’applaudir après chaque prestation, étaient plus nourris quand c’était des histoires ou des chansons tristes. Il avait même vu, je te jure croix de bois croix de fer, une femme pleurer si bruyamment que le monsieur qui l’accompagnait n’arrêtait pas de lui taper sur le dos en disant : «  voyons, voyons, c’est pour rire ».

Et pour rentrer, c’est simple : les enfants qui accompagnent leurs parents ne payent pas, tu fais comme moi, tu te mets auprès d’un couple, et si le monsieur ou la dame te regarde, tu leur fais ton plus beau sourire.

Ce fût un après-midi éblouissant.

Ce jour-là, j’ai appris aussi que la ville était immense. En rentrant à pied, je me suis rendu compte qu’il y avait, à côté des boulevards animés que parcouraient des trams et des voitures, de nombreuses rues Van Helmont où des enfants assis sur le trottoir, les pieds dans le caniveau, discutaient ou s’ils avaient envie de crier, jouaient au ballon. Décidément, la rue Van Helmont, N°11 ou pas, n’était pas le centre du monde. Depuis, l’enfant que j’étais et celui que je suis devenu ont perdu beaucoup de leurs illusions. J’étais âgé de dix ans, nous étions en 1936, un autre siècle commençait.

-Sale juif, avait crié un condisciple de l’école des Six-Jetons, deux ans auparavant. Je ne savais pas ce que c’était un juif. J’ai demandé à mon père qui m’a expliqué tant bien que mal ce que c’était mais je n’ai pas très bien compris, et j’ai fini par oublier ses explications et le cri de mon condisciple.

Tout avait commencé en Pologne, à Czestochowa pour être précis; en 1926. J’insiste sur 1900. Parce- que ces événements sont déjà si lointains que cela n’eût étonné personne, s’ils s’étaient produits en 1826. 1800, vous voyez ?

Un soir, Janus, un ami d’enfance de mon père qui était membre de la police était venu le prévenir.

- Demain, on va venir te cueillir, il vaut mieux qu’on ne te trouve pas. Un mort, Léon, un mort au coin d’une rue! On sait bien que tu n’y es pour rien  Mais tu es gênant. Désormais, la Pologne est trop petite pour toi.

Le lendemain, il était en Allemagne sans avoir embrassé ni son père ni sa mère ni ses sœurs. Il ne les reverrait jamais. Il voulait rejoindre la France qui, chacun le sait, est la seconde patrie de ceux qui sont épris de liberté. Il faut ajouter qu’un cousin éloigné mais un cousin tout de même, il se nommait Fréderic, s’y était installé quelques années auparavant et pourrait vraisemblablement l’accueillir le temps de se retourner.

C’est à Bruxelles qu’il devait prendre le train pour Paris. Mais il avait quelques heures à perdre et autour de la gare, il y avait de nombreux cafés. Il s’attabla et commanda du doigt une bière pour faire comme la plupart des consommateurs. C’est drôle, pensait-il, en les écoutant parler, leurs langages ont des consonances étranges. Certaines évoquaient l’allemand, d’autres le roumain, quel était celui dont on pouvait affirmer qu’il s’agissait du français la langue du pays ? Il y avait même au comptoir un homme, il faisait de grands gestes en parlant à un ami, qui tout d’abord n’avait éveillé aucun intérêt tant son langage lui était familier. Il s’exprimait en polonais. A Bruxelles !

Les gares comme les ports sont, pour chacun de ceux qui y débarquent, encore un petit morceau de leur pays. Juste le temps de ressentir avec une sensation de déchirure que tout leur est étranger parce que, sorti du brouhaha de la gare, ils savent à peine dire bonjour ou : «  pouvez vous m’indiquer un hôtel pas trop cher? » Ou mieux encore : « connaissez-vous quelqu’un qui parle le polonais ? »

Rien ne vaut les gares pour changer de continent quand on n’est qu’un pauvre diable qui ne peut s’offrir de voyage pour le plaisir, et condamné à rester sur place. Ceux qui voyagent pour leurs affaires ne voyagent pas, ils se déplacent par nécessité mais ne changent pas réellement de pays ou de région ou même de continent. Il leur suffit de connaitre la langue ou de se faire accompagner, ou de manger dans des restaurants où le maitre d’hôtel est capable de dire en français, s’il s’agit d’un français bien entendu: «  bonjour Monsieur ». Pour certains, entrer dans une gare, c’est le premier pas pour l’exil, pour d’autres c’est le sceau infamant de l’émigration. Ni les uns ni les autres n’en reviennent intacts.

Le grand polonais du comptoir lui avait d’abord demandé de quelle ville, il venait. Il le lui avait demandé en Yiddish après lui avoir demandé « comment se porte un juif », ce qui n’était pas une question, comme on pourrait le croire mais une sorte de mot de passe. Mot de passe oublié depuis que les juifs s’expriment exclusivement dans leur langue maternelle, et dès lors, comme leurs compatriotes non juifs, ils cessent souvent de se comprendre. Ou alors, parce que comme leurs compatriotes non juifs, lorsqu’ils entament une conversation, ils parlent mais ils n’écoutent pas. Dieu sait ce que serait devenue notre planète si, tous, ils s’étaient écoutés.

Oui, le polonais savait où il pouvait rencontrer un de ses concitoyens, un certain Louis qui était en Belgique depuis quelques mois ; décidément, ici ou en Pologne, le monde n’était qu’un village. Il logeait au dessus d’un café, dans une petite rue à proximité de la gare, et il était d’accord pour partager sa chambre avec Léon. Un matelas déroulé le soir ferait un lit convenable pour un jeune homme d’à peine trente et un ans. Et Paris ? Ce qui l’avait décidé à rester en Belgique, c’était le comportement des ivrognes. En Pologne, lorsqu’un juif empruntait en sens inverse le trottoir que suivait un ivrogne, par prudence il descendait du trottoir et traversait la rue. En Belgique, et il le répétait à qui n’était pas fatigué de l’entendre, c’est le contraire qui se produisait, l’ivrogne descendait dans le caniveau en s’excusant. Un pays avec de tels ivrognes méritait beaucoup de considération. Vive le roi ! Vive la Belgique !

Il s’était engagé dans la même entreprise que Louis, et comme lui et quelques autres, il coltinait des sacs de ciment. Lorsqu’ils rentraient, ils avaient pris l’habitude de s’installer à une table du café, à cette époque on disait un estaminet, et en prenant une bière, une seule, chaque centime comptait, il évoquait l’avenir. Un tout petit peu d’argent, un logement, et la venue de sa femme et de leur enfant. C’était en 1927.

Cet homme que je décris en disant « il », cet homme qui n’a pas encore de visage, c’était mon père. Il était né en 1896, il était donc âgé de 31 ans. A cet âge-là, beaucoup d’entre-nous, juifs ou non, sortent à peine de l’adolescence. Que Dieu le garde cet homme qui ne croyait pas en Dieu mais qu’est-ce que ça change ?

Il avait fini par trouver du travail dans une fabrique de chaussures. La chance ! Fabriquer des chaussures, c’était précisément son métier. Il gagnait mieux sa vie qu’en portant des sacs, et son dos s’en portait mieux. Et c’était mieux que le travail auquel se livraient un grand nombre de ses compatriotes dans les mines du côté de Charleroi ou dans les métiers du fer à Liège ou à Herstal.

Il avait été convoqué par la Sureté de l’Etat, et il avait promis en demandant le statut de prisonnier politique, de ne plus s’occuper de manière active de politique ni de perturber l’ordre public. Peu de temps plus tard, il avait fait venir sa femme et son fils, et c’est aussi à cette époque qu’il emménagea au 11 rue Van Helmont. Ils y vécurent de nombreuses années, heureux de vivre avec des voisins qui leur ressemblaient, et agacés par ces mêmes voisins qui leur ressemblaient trop.

Ils en avaient parlé durant de nombreuses soirées. Mon père ne voulait pas rester à Bruxelles. « C’est comme si nous étions toujours en Pologne », disait-il. « C’est en Belgique que Samuel fera ses études, et il sera un belge semblable aux autres belges. A Bruxelles, nous ne connaissons que des juifs, même l’épicerie est juive. Nous construisons nous même un mur que nous avons reproché aux non juifs de Pologne d’avoir érigé entre nous et eux, soyons ouverts aux autres ».

Je ne pas sûr évidemment que c’est en ces termes là que mon père s’est exprimé devant ma mère mais l’esprit de son discours devait être celui-là.

Par contre, j’ai un reproche à lui faire, il y a prescription c’est vrai : pourquoi, lorsqu’on est amené à prendre des décisions aussi difficiles, elles modifient la vie de tous les membres d’une famille, pourquoi n’interroge-t-on pas les enfants? Eux aussi, on leur arrache une partie de leur passé, aussi concret pour eux qu’un territoire. A peine ont-ils eu parfois le temps d’embrasser une petite fille blonde à qui ils tiraient les nattes, et qu’ils ne reverront plus jamais.

Pourquoi, ont-ils choisi la ville de Tournai ? Un jour, c’était un dimanche, nous étions endimanchés tous les trois comme il convenait un dimanche, nous avons pris le train jusqu’à Tournai. En sortant de la gare, j’étais entre mon père et ma mère, chacun d’eux a serré ma main plus fort, nous étions sur une place beaucoup plus petite que celle qui se trouve devant la gare du midi à Bruxelles mais plus grande que la place Rouppe que je connaissais bien.

-C’est ici que nous vivrons désormais. Et, peut-être comme la plupart des gens, jusqu’à la fin de nos jours.

J’ai toujours suspecté mon père d’avoir l’amour du théâtre.

-Ainsi soit-il, a dit ma mère en Yiddish.

C’était un jour de la mi-juillet. Un jour de soleil et de douceur de l’air. Les arbres de la place, les façades, les rails brillants, l’éclat qui les recouvrait était plus brillant qu’à Bruxelles, et mes parents, je l’ai vu sur une ancienne photographie, avaient l’air d’un couple de provinciaux béats devant un panorama repris sur la plupart des guides. Il me semble que c’est sur cette photographie que je les ai vraiment regardés. Ma mère avait trente six ans, elle portait un chapeau cloche muni d’une voilette, les cheveux noirs, bouclés à la permanente soulignaient le bord de son chapeau, le rouge à lèvres était rutilant comme c’était alors la mode, le rouge baiser qui ne laisse pas de trace. Ce n’était pas une très grande femme. A en juger par la photo, sa taille devait être de un mètre soixante-deux, soixante-trois. Bref, me semble-t-il, c’était une jolie femme, et séduisante aussi. Mais un fils peut-il juger de la beauté de sa mère ?. Mon père portait bien droit sur la tête un chapeau de feutre, plus tard il ne portera que des Borsalino qui venaient de chez Tilts, boulevard Anspach à Bruxelles, et un costume étroit de couleur marine. Son visage avait des pommettes saillantes, des yeux sombres, et  ses chaussures brillaient comme des chaussures neuves. Probablement qu’elles l’étaient. Ils m’avaient enfoncé mon béret jusqu’au milieu du front.

-Nous allons aller à pieds, ce n’est pas très loin. Tu veux bien marcher ? Tu es un grand garçon ?

La rue Royale va de la gare jusqu’ à l’Escaut. Un pont qu’un technicien  levait à chaque fois que se présentait un chaland permettait de rejoindre la rue Notre-Dame où se trouvait le cinéma Palace. Son propriétaire, Monsieur Leveau, le père d’un de mes futurs condisciples, consacrait le dimanche matin de dix heures à midi à des séances dites enfantines. C'est-à-dire, en général, à des films de cow-boys où Tom Tyler se mesurait à Géronimo, le chef vénéré des apaches. C’est un peu plus loin que mon père avait loué un magasin surmonté d’un étage et d’un grenier qui bientôt serait un magasin de chaussures à l’enseigne de « chez Sammy ».Un certain monsieur Marlier, grossiste en chaussures, qui faisait des affaires avec la fabrique dont mon père était devenu le contremaître, lui avait suggéré de le louer. Il s’était engagé à lui fournir des marchandises qu’il n’aurait à payer que trois mois plus tard. En quittant la rue Van Helmont, mon père devenait à la fois un provincial et quittait, peut-être pour toujours, la condition ouvrière. « C’est la lutte finale » n’évoquerait plus que des souvenirs de jeunesse. Certes, il ne savait pas à quel point mais j’imagine qu’à cette époque, la plupart des gens, belges ou non, étaient soucieux des évènements guerriers qui agitaient l’occident après qu’on se soit promis en 1918 de tout faire pour ne jamais plus recommencer d’enterrer, encore vivants, des armées entières de jeunes gens. Mais c’est vrai que les gens sont toujours soucieux de l’influence des événements sur leur vie. Généralement, ils ressentent que leur existence est vulnérable à des événements qui ne les concernent pas, et dont ils ne voient d’ailleurs pas en quoi ils devraient les concerner, que lorsqu’il se passe quelque chose.qui entaille leur sommeil. Ils en veulent alors à ceux qui troublent leur sommeil. Parfois, ils en veulent aux dominateurs et parfois à leurs victimes. Et parfois tout au fond de leur cœur, parce-que ce ne sont pas des choses qui se disent à haute voix, ça dépend de l’endroit et de l’entourage, ils en veulent davantage aux victimes, les dominateurs sont trop dangereux en effet. Jusqu’alors, dieu merci, on ne se battait qu’en Espagne paraît-il, mais sait-on où ces choses-là s’arrêtent ? Faut-il décider de ce qu’il faut faire ou ne pas faire ? Quelqu’un peut-il garantir que les décisions prises sont judicieuses ? J’imagine que mes parents s’étaient posé de nombreuses questions. L’avenir leur démontrera qu’ils auraient tout aussi bien pu jouer leurs décisions aux dés. Mais ni mon père ni ma mère ne jouait aux dés.

La rue Van Helmont n’était pas le centre du monde, je m’en étais aperçu lors de mes explorations en compagnie de Nicolas Pelz, l’enfant qui aimait sa mère, lui. Mais les dimensions de Bruxelles m’étaient inconnues. Bruxelles était-elle une grande ville, une très grande ville ? Je n’en savais rien. Par contre, Tournai était une grande ville. Il m’avait fallu cinq heures pour en faire le tour par les grands boulevards qui séparaient la ville proprement dite de ses différents  faubourgs. C’était une ville en étoile. C’est drôle, vous vous éloigniez du centre, en haut, en bas, par la gauche ou par la droite, et vous aboutissiez à des routes qui portaient le nom de leur endroit de destination : chaussée de Valenciennes, chaussée de Bruxelles, chaussée de Lille, etc. Toutes les villes ont-elles des routes qui mènent à d’autres villes ? Mais peut-être toutes les villes sont elles de grandes villes pour un enfant de dix ans.

Mon père m’avait inscrit à l’Ecole de la Justice.  Curieux nom pour une école ! Monsieur Richard en était le directeur et cumulait cette fonction avec celle d’instituteur des classes de cinquième et de sixième. En outre, mais ce devait être à titre personnel, il était le patron  de la troupe scoute laïque qui faisait partie des Boys scouts de Belgique alors que les élèves de l’enseignement catholique adhéraient aux Boys scouts nommément désignés catholiques, et portaient à l’épaule des fourragères jaunes, les nôtres étant vertes. Quant aux jeunes garçons qui défilaient en chemise bleue, c’était des Faucons rouges. J’ai toujours été fasciné par la symbolique des couleurs. Une couleur, et à quoi bon parler ? Vous affirmez avec force vos convictions idéologiques ou à quel groupe d’hommes vous appartenez. Sans ironie stupide de ma part.

J’aimais beaucoup l’Ecole de la Justice. En fin d’année scolaire, jusqu’au jour officiel des vacances, les cours terminés, on pouvait apporter des livres ou Spirou et Mickey, ou dessiner comme le faisait Esteban Ontillera, un refugié espagnol que des Tournaisiens avaient recueillis. Moi, c’était des livres que je me procurais à la Bibliothèque catholique parce qu’elle était sur le chemin de l’école et qu’elle possédait tous les livres de Jules Vernes dans la collection Hatzfeld. Bien sûr, il y avait aussi les livres de la comtesse de Ségur née Rostopchine dont j’aimais le général Dourakine qui était plus gentil que ne le prétendait Sophie, et puis je devinais son accent et je m’efforçais de l’imiter. Da, camarade Tovaritch.  Et, à la fin de l’année, j’appris aussi auprès de Zola, à la stupéfaction de Monsieur Richard, les dures conditions de travail des cheminots français. La bête humaine, c’était fort, non ?

A l’époque, les enfants devaient suivre en supplément aux cours importants, les cours de religion dispensés par un curé ou ceux de morale dispensés par monsieur Boulle ou Bouilloire, c’était son surnom, ou alors, c’était tout simplement monsieur Houart,  Houart + Boulle =Bouilloire, qui affirmait que la liberté permettait à qui le voulait bien de se laver les pieds dans une bassine sur cette estrade de classe sans qu’on puisse le lui interdire. Ou alors, c’est que je n’ai pas bien compris. Au catéchisme en tout cas, j’étais le meilleur, j’adorais discuter du sexe des anges, et le bon dieu assis sur un nuage, c’était simple et ça me faisait rêver. Je ne suis pas resté longtemps au cours de religion malgré l’insistance de  monsieur le curé qui prétendait que c’était un juste retour des choses pour un enfant juif tandis que monsieur Richard disait :

-Justement, sa place n’est pas au catéchisme.

Et pour me consoler, il me fit enrôler chez les louveteaux où j’acquis rapidement le grade de sizainier et le totem d’ornithorynque exubérant ainsi qu’un anneau de cuir tressé pour y glisser mon foulard. J’avais une cape aussi dont je rejetais les pans derrière le dos. Je devais avoir fière allure, je le voyais dans le regard des jeunes filles qui fréquentaient l’école des filles. C’est fou ce qu’il m’arrivait en cette année 1937. A croire que le monde ne tournait que pour moi.

Cet été là, le camp scout se tenait dans un bois situé près de la côte. Nous avions monté les tentes dans la propriété d’un ami des jeunes qui mettait  un de ses prés à leur disposition, en particulier à celle des scouts parce- qu’ils avaient le sens du respect de la propriété et celui de la discipline. Plus jeune, cet ami de la jeunesse avait été militaire, et il regrettait ce temps où, à ses dires, les choses étaient différentes. Le matin, il assistait au salut au drapeau.

Durant le jour, nos activités  nous occupaient à des jeux de groupe, au crépuscule, elles nous menaient en file indienne à l’orée du bois. Certains d’entre nous n’étaient pas à l’aise, on le sentait au volume de la voix qui faiblissait, jusqu’à se transformer en gémissements larmoyants chez les plus jeunes des jeunes. Je ne sais pas pourquoi mais c’est vers moi qu’ils cherchaient refuge et je les encourageais en faisant des grimaces, en sautant comme devaient sauter les Indiens sur le sentier de la guerre, en entourant leurs épaules de mes bras tutélaires. Est-ce que j’avais peur, moi ? Je crois qu’ils ne s’inquiétaient pas de savoir si j’étais inquiet, moi aussi.

A l’école aussi je m’étais fait des amis. Trois. Trois seulement. Les autres ne savaient pas quelle attitude avoir envers un jeune garçon qui venait d’une autre ville, dont le nom était très différent du leur, et à qui monsieur Richard, c’était visible, portait de l’affection. Heureusement, un des trois garçons qui m’avait adopté, était un robuste gaillard qui s’était institué mon garde du corps personnel  et que j’appelais Jeff, à la flamande, plutôt que Joseph, patronyme dont il avait honte. Personne dès lors pour chercher la bagarre.

J’oubliais: le dimanche matin, revêtu de ma tenue de scout, je faisais parfois la tournée des terrasses de café de la Grand’ Place pour vendre des choses quelconques au profil d’une œuvre de bienfaisance. Parce-que j’étais poli, parce-que je n’avais aucun accent du terroir, et je l’ai entendu d’une dame auprès de laquelle je m’approchais, parce-que j’avais des yeux noirs et de longs cils, « oh, le joli petit scout », je faisais de bonnes recettes et j’en étais fier. C’était vraiment formidable. Cela aurait pu être une époque formidable. En 1939, les Français déclaraient la guerre aux Allemands. C’était la première année de mes études secondaires. Une première année très courte.

Un jour de mai 1940, le préfet réunit élèves et personnel dans le préau et annonça que le matin même, les Allemands avaient envahi la Belgique et que les cours étaient suspendus jusqu’à nouvel ordre. Il ajouta que nous pouvions rentrer chez nous.

Dommage ! Au magasin, les affaires étaient bonnes, et mes parents s’adaptaient sans trop de difficultés à leur nouvelle vie. Une seule fois, il y eut un problème, du moins je l’ai cru, ma mère avait invité une cousine qui avait émigré de Pologne peu de temps auparavant, le temps de lui permettre de s’installer. Je pense qu’elle envisageait d’épouser un villageois des environs pour acquérir la nationalité belge, et qu’elle était prête, je le lui ai entendu dire, s’il le fallait, à l’épouser pour de vrai. Mais un dimanche que le magasin était fermé, et que ma mère était allé rendre visite à une amie qu’elle s’était faite depuis peu, et que moi je cherchais mon père, j’ai poussé la porte de la chambre à coucher de mes parents. Mon père y était avec la cousine de ma mère: ils étaient au lit. Le lendemain, je n’en ai deviné la raison que bien plus tard, la cousine de ma mère renonçait à se marier à Tournai, et reprenait le train pour Bruxelles.

Mes parents n’avaient plus de nouvelles de mes grands parents ni du reste de la famille, ils paraissaient abattus et s’entretenaient en polonais lorsque j’étais présent. En fait, je me souviens très mal de cette période. Et je ne sais pas si mes souvenirs datent de cette année-là ou des actualités que regardais au cinéma, après la guerre, avant le grand film. Toutes les images se mêlent, c’est comme une vieille pellicule de film documentaire, au son aigu, où les villes ont des noms étranges, où les gens parlent avec de grands gestes, où des soldats traversent l’écran d’un pas d’automate, où des gens ont un ballot sur l’épaule et marchent sur les routes en ayant l’air de ne pas , savoir où ils vont, et moi je crois reconnaître parmi eux cette grand-mère qui portait un chignon à étage et qui s’était affolée parce que, les mains nues, j’avais retiré du four un gâteau brûlant lorsque, j’avais six ans, mes parents m’avaient envoyé en Pologne pour que mes grands parents puissent voir et embrasser leur petit fils.

C’est quoi la mémoire ? Une histoire qui commence par la fin et qui ne ressemble pas à celle qui commence par le début? C’était une année importante, je le sens bien, mais il faut que je creuse mon imagination plus que mes souvenirs pour la reconstituer.

Mais de quoi se souvient un enfant de douze ans ? J’avais un camarade, le fils d’un voisin, un nommé Serge, il est devenu architecte, prix Godecharle, il mangeait des vers de terre. Un autre, Lucien, était le fils d’un monsieur qui prêtait de modestes sommes d’argent à de petites gens. Son patronyme était Lion, on surnommait son fils « lionceau », et on riait  Nous nous sommes revus bien plus tard et nous ne souvenions pas de la même chose.

Quelques jours plus tard, les Allemands bombardaient Tournai dont il ne resta pas grand-chose du centre-ville, et le lendemain nous étions des milliers à rejoindre d’autres milliers de gens qui se dirigeaient à pied, ou en voiture pour ceux qui en disposaient, vers la France en nous écartant du milieu de la route pour laisser passer quelques minces charrois militaires. Je me souviens que c’était durant un été particulièrement chaud, le destin a parfois des attentions surprenantes qui sont censées adoucir, je suppose, les aléas du moment. C’est vrai, pour toute une génération de jeunes gens, les grandes vacances commençaient  plus tôt que d’habitude, et s’annonçaient pleines d’action. Vive les vacances !

Pour nous qui n’avions pas dépassé St-Omer dans le Pas-de-Calais, le retour a duré quatre ou cinq jours. Pas plus. Mais nous revenions sur une autre planète où les charrois militaires poursuivaient leur avance, mais plus vite, dont les militaires parlaient allemand et distribuaient en souriant des bâtons de chocolat et des cigarettes. Ils disaient : Deutschland gut, Deutschland gentil.

A l’Athénée, les rumeurs allaient vite. On disait qu’à la radio anglaise, un général français prétendait que la France n’avait pas perdu la guerre, seulement une bataille, et qu’il fallait résister jusqu’à la victoire. Soit! Je suis donc entré en guerre, clandestinement, mais en guerre tout de même, et j’avais dans la poche intérieure de mon veston, comme certains de mes condisciples, la photo de ce général. Sammy Braunberger contre Adolph Hitler. Taïaut !  

Le magasin de mes parents avait été détruit par les bombardements. Pourtant, il fallait bien nous loger et gagner notre vie à tous les trois. Comme au bout de la rue Henri Paris, tout près de la gare, il y avait un café de disponible, mon père l’a loué. Guerre ou pas, les gens continuent de boire, disait-il. C’est la vie, les choses continuent. Idem pour la rentrée des classes, elle s’est faite dans l’ordre. Est-ce qu’il y a eu un discours du préfet ? Je ne m’en souviens pas mais tout le monde, je crois, était au courant de ce qui s’était passé. Les Allemands étaient les maîtres du pays. Et moi, mon père me l’a expliqué du mieux qu’il a pu, j’ai appris que j’étais juif, que je devais m’endurcir, et parler le moins possible. Sauf, bien sûr, quand le professeur m’interrogeait et que je connaissais la réponse  C’est curieux, il me semble que si j’avais eu un caractère vindicatif, j’aurais pu en vouloir à mon père d’être juif. Je n’avais rien demandé, et lui-même ne semblait pas y être tellement attaché. Alors? C’était quoi : être juif ? Je remis cette discussion à plus tard. Lorsqu’on se tait, on ne risque pas de dire des sottises, disait mon père, apprends à te taire. Et n’oublie pas, tu es juif mais il n’est pas nécessaire de le crier sur les toits. C’était peu de temps avant l’imposition de l’étoile jaune.

C’était un dimanche, Jeff me l’a rappelé longtemps après. C’était un jour très ensoleillé et les promeneurs avaient tendance à laisser ouverts leur col et leur veston, il y avait même de jeunes dandys qui portaient leur veste sur l’épaule et laissaient trainer jusqu’au sol les culottes de golf qui étaient à la mode cet été là. Moi, mon costume de dimanche sur le dos, malgré le ciel uniformément bleu, je portais mon imperméable replié dans sa longueur sur l’épaule comme, dans les histoires de capes et d’épées, les spadassins  portent  leur cape au dessus de leur baudrier.

-Tu as peur qu’il pleuve ?

C’est Jeff qui m’avait interpellé en riant.

Jeff qui, bien plus tard, m’a dit que je l’avais regardé avec arrogance, que je lui avais crié :

-Tu veux savoir :

D’un geste brusque, j’avais tiré mon imperméable jusqu’au sol et dévoilé  un bout de chiffon jaune cousu sur la poitrine avec dessus, écrit en lettres gothiques, le mot : Jude.

-Qu’est-ce que c’est ?

-Tu vois bien, Jude, juif, c’est ainsi qu’on marquait les juifs au Moyen Age.

Le lendemain, à l’Athénée, il y avait quatre élèves qui portaient sur la poitrine un chiffon jaune sur lequel, ils avaient écrit : moi pas Jude.

Le préfet leur a demandé de l’ôter, et moi j’ai dit que c’était chic mais que ce n’était pas nécessaire. Un seul Jude suffisait. Peut être est-ce de cette manière que j’ai continué d’apprendre que j’étais juif. Ou de la manière suivante. Un jour, en classe, le professeur de français, monsieur Granchamp, s’est assis face à l’estrade, à un pupitre du premier rang, et :

- Braunberger, au tableau.

Je suis allé jusqu’au tableau et je me suis retourné vers la classe.

Monsieur Grandchamp a repris :

- Comment ça se fait Braunberger ?  Braunberger, c’est bien un nom d’origine germanique, pourquoi ne le prononcez vous pas à l’allemande, avec un gue, Braunberguer. C’est pour vous cacher ?

- Je ne sais pas, monsieur.

C’est alors qu’un condisciple, Evrard, que je connaissais à peine, s’est levé et à posé une question.

-Grandchamp, monsieur, en allemand ça veut bien dire feld, comme feldgendarme ?

-Ca suffit. On reprend le cours.

J’avais en une seule matinée appris deux choses importantes. Monsieur Grandchamp n’aimait pas les juifs, semble t il, et George Evrard que je connaissais à peine n’aimait pas ceux qui montraient qu’ils n’aimaient pas les juifs. George avait plus de quatorze ans, il avait entamé ses études secondaires sur le tard, il avait doublé sa seconde année et il n’était pas intéressé par d’autre cours celui de français. Après la guerre, il est devenu un comédien réputé en France sous le nom de George Aurel. Je m’étais fait un ami, peut être en avais-je d’autres ? Mais je me souvenais des recommandations de mon père : Parle le moins possible, et quand je voulais exprimer mon amitié à Georges, je le disais en pensée.

Le nom, ce n’est rien. Il parait qu’ils te demandent d’ôter ton pantalon pour regarder ta quéquette. Et pour les filles, comment ils font ? Peut être que ça faisait partie des conversations de préau ou de conciliabules des membres clandestins de la Résistance à l’Athénée, je ne m’en souviens plus. C’est drôle, il me semble que j’aurais dû me souvenir de ces jours-là, je n’étais plus un enfant. Mon père par exemple, comment se passaient les jours pour lui ? Un jour, en rentrant des cours, je traversais le café pour aller à la cuisine, j’ai vu mon père attablé avec un cheminot allemand qui lui disait à voix basse, « tu comprends ich bin ein communist », et j’étais rouge de honte. Parler à un allemand !  Tout ce que je peux dire, c’est que c’est ainsi que se passèrent les jours pour Sammy Braunberger jusqu’à la mi-quarante-deux. Soit, d’accord : je suivais des cours d’art dramatique au Conservatoire et j’ai été obligé de les abandonner,  soit, d’accord : les autorités communales ont dû me faire une attestation selon laquelle j’étais d’un an plus jeune qu’à la vérité sinon j’aurais dû abandonner mes études secondaires, d’accord encore : le professeur Grandchamp ne m’interrogeait pas souvent. Mais je vais dire une chose absurde : s’il n’y avait pas eu la guerre, tout cela ne serait apparu que comme de simples contrariétés au garçon de quinze ans que j’étais, plus préoccupé par la mode zazou de l’époque, les chansons de Charles Trenet, y a de la joie…y a de la joie…partout y a de la joie, et par la petite Adam, la fille du tailleur, lorsqu’elle passait de l’autre côté de la rue, la tête droite et le regard fixe. Je l’avoue, c’était la première jeune fille dont j’ai été amoureux. A l’exception de la fille de l’épicière de la rue Van Helmont. Mais, c’est à Nicolas Pelz qu’elle faisait des grimaces. Non pour se moquer de lui, il était malin Nicolas, mais parce qu’il faisait semblant de ne pas la remarquer Les filles sont comme ça. Elles aiment qui ne les aime pas. Ce n’est pas juste.

En 1942, soudain tout a changé. Les juifs étaient appelés à se rendre à la ville de Malines, munis de quelques vêtements, pour y prendre le train vers l’Allemagne. Je ne sais plus comment mes parents avaient été avertis officiellement, ni par quelles autorités, du jour où ils devaient le faire mais dès le lendemain, ils disposèrent de faux papiers selon lesquels ils étaient belges, moi aussi du même coup, et se nommaient Léon Berger pour mon père, Cécile Vander pour ma mère tandis que moi, j’abandonnais le prénom de Sammy au profit de celui de Pierre. C’était le père de Serge qui nous les avait fournis. Membre de l’Armée Secrète, c’était à lui que mon père transmettait les renseignements que lui donnaient des cheminots allemands. Nous n’étions plus juifs et nous avons ôté de nos vêtements cette étoile jaune que tout naturellement nous portions jusque-là parce que les autorités allemandes l’avaient décidé sans nous demander notre avis. Et parce que pour les êtres humains, leur première inclination est d’obéir aux ordres que leur donne l’autorité. C’est à ça, j’imagine, que servent d’abord les cours de civisme.

 Quelques jours plus tard, nous avions franchi la frontière française, et quelques jours plus tard encore, nous sommes entrés dans ce qu’on nommait la France Libre ou la France nono, soit pour ceux qui l’ont oublié : la France non occupée. Pour certains encore, c’était la France de Vichy. Celle du Maréchal Pétain qui s’était donné à la France et devant lequel les écoliers chantaient virilement « Maréchal, nous voilà », cet homme devait aimer les petits enfants. Celle de Laval qui représentait, disait-on, le vrai Français, l’homme de la terre paysanne, fruste d’aspect, habillé sans recherche, une grosse mèche sur l’œil droit et la moustache drue, mais un patriote qui haïssait les Anglais parce qu’il se souvenait de Trafalgar. C’est à Châteauroux, .devant un fonctionnaire de la préfecture, que mes parents et moi, avons confirmé notre choix : Nous étions Belges, nous n’aimions pas l’occupant, mais surtout nous n’étions pas juifs. Ce que ce fonctionnaire admit sans discuter. Mon père l’avait ressenti, une certaine complicité s’était établie entre lui et nous.

A Châteauneuf les Bains, les Autorités Françaises avaient institué un camp de rassemblement pour les personnes originaires de Belgique, juives ou non. C’était un ancien hôtel qui servait de camp. Le mot camp était très à la mode à l’époque, il avait une connotation inspirée par la nature, le scoutisme, le travail en commun et la solidarité, toutes ces vertus que prônaient le Maréchal. Dirigé par un ancien officier de l’armée, le colonel Lisbonne, juif lui aussi, il s’y trouvait des couples jeunes ou moins jeunes, avec ou sans enfants, qui n’avaient d’autre désir que de fuir les allemands en France ou ailleurs, des jeunes hommes qui voulaient rejoindre l’Angleterre, la ville de Miranda en Espagne était, paraît-il, l’endroit à rejoindre, et des hommes seuls constamment prostrés après un voyage  qui leur avait demandé plus d’énergie qu’ ils n’en disposaient, dont on devinait qu’ils voulaient dormir et pour certains, peut être, s’arrêter définitivement.

Mes parents ne faisaient pas partie du camp. Le fonctionnaire de la préfecture les avait envoyés à Châteauneuf afin de les joindre plus facilement lorsque les papiers d’identités qu’il faisait établir à leurs noms et au mien, des documents authentiques ceux là, seraient prêts.

Ils y avaient loué une petite maison aux Garachon, des paysans natifs du village qui se faisaient ainsi quelques sous. La maison avait été baptisée «Au petit bonheur », je crois que c’était le titre d’une pièce à succès, et bien des jeunes gens, avant de se diriger vers l’Espagne, venaient s’y faire tirer les cartes par ma mère ; elle s’était découvert une vocation qui les ravissait parce que les cartes, ô miracle, leurs étaient toujours favorables. Vers l’Espagne ou vers un autre camp, s’ils étaient pris à la frontière. C’était la vie !

Châteauneuf les Bains en 1942 était un village de moins de mille habitants, encaissé dans une vallée, à proximité de la Sioule qui s’élargissait à cet endroit, de sorte que depuis une sorte de plage herbeuse, on pouvait y plonger ou se dorer au soleil. Sur les hauteurs, il y avait quelques résidences occupées par des gens de la ville, et même quelques Parisiens, qui y passaient l’été. Je suppose qu’il s’agissait d’auvergnats que leur vie professionnelle retenait en ville, mais dont les sentiments restaient attachés à ce village où les bruits de la guerre ne s’entendaient pas. Sans ce camp rempli d’étrangers, la plupart des villageois n’auraient été troublés ni par les bruits ni par les images de la guerre.

Andrée Bragard, je l’appelais la grande Dée, était la fille d’un haut fonctionnaire parisien, auvergnat de naissance, qui revenait chaque été à Châteauneuf où il laissait sa femme et sa fille .durant les beaux jours. C’est au bord de la Sioule que j’ai fait la connaissance d’Andrée, elle devait avoir mon âge, et que nous sommes devenus amoureux l’un de l’autre, l’été en tout cas. L’été nous nous le disions d’ailleurs de vive voix et l’automne, lorsqu’elle rentrait à Paris,  nous nous le disions par correspondance. Les échanges par correspondance étaient les plus passionnés et les plus chauds.

Comme tous les jeunes gens, je présume, j’étais amoureux de quelqu’un et de l’amour que ce quelqu’un m’inspirait. Mais pour moi, je dois bien avouer que lorsqu’Andrée était à Paris, elle ne comblait pas mon amour et j’étais prêt à aimer une jeune Espagnole que je rencontrais sur la place du village en face de la boulangerie. Si ce n’est que j’avais des espagnoles l’opinion d’un garçon pusillanime. Le sens de l’honneur de la famille  « si tu n’épouses pas ma fille je te tue », me retenait, je n’avais pas envie de me marier ni de mourir si bien que j’étais amoureux en silence. Il  y avait aussi parmi les réfugiés un couple de Hollandais qui avait deux filles, Bella et Bianca, et je ne savais pas si j’étais amoureux de l’une d’entre elles ou des deux à la fois. Je ne l’ai jamais su parce qu’un peu plus tard nous quittions Châteauneuf pour Clermont Ferrand, et peu après lorsque les allemands avaient occupé le reste de la France, le camp avait disparu après qu’ils soient venus un soir avec plusieurs camions pour emmener tous ceux qui n’avaient pu s’enfuir, le colonel Lisbonne en tête et en uniforme. Son képi étoilé qu’un soldat avait arraché, a été retrouvé le lendemain sur les marches du camp. Son képi de colonel français.

A Clermont, mon père avait trouvé du travail dans une petite cordonnerie et moi une situation de vendeur dans une librairie de la rue du 25 Novembre. J’étais toujours amoureux mais cette fois des deux vendeuses du magasin de chaussures qui se trouvait à côté de la librairie. Et d’Andrée parce que retournée à Paris, elle laissait courir mon imagination au travers de notre correspondance.

J’ai revu Andrée à Paris après la libération. Nous sommes allés applaudir Yves Montand qui chantait des airs de cow-boys américain, puis nous nous sommes dit au-revoir et nous ne nous sommes jamais revus. Trois ou quatre ans plus tard, j’ai vu sa photo dans un magasine à l’occasion de son mariage avec un pilote de compagnie aérienne. C’était une fille de bonne famille, elle demeurait dans le seizième arrondissement, avenue de Ségur pour être précis.

Nous sommes restés à Clermont jusqu’à la libération. Quelques jours auparavant, mon collègue, un jeune français, m’avait dit qu’il partait rejoindre le maquis, et le lendemain de la libération, sans en parler à mes parents qui s’y seraient opposés, avec des milliers de gens, ceux qu’on a surnommés les résistants de la dernière heure, je faisais la file pour m’engager dans les Forces Françaises Libres. Je m’étais déjà choisi un nom de guerre : judex pour sa connotation particulière. Le recruteur m’a regardé : Judex hein, a-t-il dit, il a demandé mon âge, il a dit que j’étais trop jeune et je suis rentré chez nous. Quelques jours plus tard nous sommes partis pour Paris ; le train était bondé. Il me semble que durant les guerres les trains sont toujours bondés. Nous voulions rejoindre la Belgique. Et moi, j’avais pris conscience pour de vrai que le monde ne se limitait pas aux frontières de la rue Van Helmont, je le savais déjà, que les routes qui s’écartent des villes traversent d’autres villes et se perdent loin, très loin, sans qu’on puisse en voir le bout, et par une étrange métamorphose où se mêlent le temps, l’histoire et la géographie, font qu’un jeune garçon sort définitivement de l’enfance.

 

Accueil

La saison des amours

 

La rue Van Helmont se trouve à proximité de la place Rouppe mais quelle expédition pour y parvenir! Ce n’est pas tant la distance ou les difficultés ou les mystères de la rue qui font obstacles mais l’appréhension qui vous saisit avant de déboucher sur la place. Vous parcourez une rue étroite et, soudain, en pleine lumière vous débouchez sur une immense surface couverte de deux terre-pleins de verdure. Derrière la place, une avenue large comme plusieurs fois la rue Van Helmont conduit vers une autre place qui, elle, se trouve devant la gare. Une place immense cette fois, entourée de cafés aux noms bizarres, Le Laboureur, la Ville de Rome, Les Amis Comiques, dans lesquels un grand nombre d’hommes jouent aux cartes.

Place Rouppe, il n’a que deux cafés. On n’y joue pas aux cartes, on y joue au jacquet. A droite, s’élève un grand bâtiment, une sorte de cube, aux fenêtres régulièrement alignées mais des rideaux empêchent de voir à l’intérieur.  Sur le fronton, il est écrit: Maison des Huit Heures. En réalité, j’hésite. Et si ce n’était pas sur cette place là que se trouvait la Maison des Huit Heures?

Le 11 de la rue Van Helmont se trouve au début de la rue. C’est important de le dire parce qu’en face, à dix mètres peut-être, pas beaucoup plus en tout cas, se trouvait un magasin de bonbons qu’on pouvait acheter à la pièce. Les rouleaux de diables y étaient particulièrement demandés sauf par certains qui trouvaient que ce n’était pas beau de tirer dessus, les dents serrées, déjà noires, les lèvres ouvertes par l’effort. Mais ce sont les mêmes qui sur leur tablier nouaient leur écharpe sur le devant pour paraître plus âgés alors que la plupart d’entre nous la nouaient dans le dos.

Des camarades plus délurés ou plus aventureux nous racontaient qu’au delà de ce que nous pouvions voir, il y avait de nombreuses rues qui ne se nommaient pas Van Helmont. Ce devait être vrai. Déjà l’école où je me rendais tous les jours se trouvait rue des Six-Jetons. Néanmoins, c’est la rue Van Helmont, on le sentait bien, qui était le centre de la ville. Nicolas Pelz qui était mon ami, il était aussi un bon élève, et un fils aimant, lui, disait ma mère, m’avait dit un jour où je me demandais pourquoi il y avait tant d’animation dès qu’on s’éloignait de la rue. « Plus tard, tu verras ».

Notre immeuble, une grande et large bâtisse avait une entrée qui donnait sur une cour où s’élevaient trois autres bâtiments. Au milieu de la cour se trouvait une auge de pierre, une pompe à main et une tôle ondulée pour frotter le linge. Je n’ai jamais pénétré dans aucun de ces trois immeubles. Notre logement se trouvait dans l’immeuble en façade, et je pense que chacun des immeubles constituait pour chacun de ses occupants un quartier distinct au caractère singulier, peut-être même une autre ville. D’ailleurs les gens ne se connaissaient pas tous, ils étaient trop nombreux, ils n’avaient pas les mêmes horaires de travail, ils venaient de régions différentes, et leurs accents parfois les rendaient difficiles à comprendre pour des enfants.

Ce dimanche-là, Nicolas me dit que c’était le bon jour pour voir.

-Tu comprends, c’est dimanche.

Pour lui montrer que j’avais parfaitement compris, j’ai répété :

-Oui, c’est dimanche.

Et nous nous sommes mis en route, tandis que nos copains continuaient de discuter.

Finalement, il ne fallait pas aller trop loin pour déboucher dans un autre monde. Simplement prendre à gauche la rue de Bogards et, plutôt que de traverser le boulevard comme je le faisais chaque jour pour aller à l’école, s’arrêter à la station de tram. Ca m’était formellement interdit quand je n’étais pas accompagné de ma mère ou de mon père. Mais Nicolas Pelz qui était un bon élève, mes parents avaient probablement omis par négligence de le citer parmi les personnes fiables, d’autant qu’il avait deux ans de plus que moi.et que Nina, la fille de l’épicière, je l’avais déjà remarqué, lui faisait des grimaces amoureuses.

- Nous allons au théâtre, dit-il, ça te va ? Mais tu fais comme moi. .

Nous sommes montés sur le premier tram qui s’est présenté, et nous avons parcouru la distance entre deux arrêts avant que le contrôleur ne nous demande où nous souhaitions aller.

-A la gare du Midi, à répondu Nicolas.

-Pauvres gamins, vous allez exactement dans le sens contraire. Mais ne vous affolez pas, vous descendrez au prochain arrêt et vous prendrez le tram dans l’autre sens. Vous avez compris ? Et en secouant la tête, il nous a fait un sourire.

Nous sommes descendus mais nous n’avons pas traversé pour reprendre un autre tram ? Nous étions pratiquement arrivés à destination. En fait, le théâtre où nous menait Nicolas n’était pas un véritable théâtre mais un cabaret. Les gens y venaient pour boire un verre tout en regardant sur la scène qui se trouvait au fond, d’autres gens qui chantaient ou qui racontaient des histoires gaies ou tristes. Nicolas qui était un habitué, me dit qu’il ne savait pas pourquoi les applaudissements, c’était la coutume d’applaudir après chaque prestation, étaient plus nourris quand c’était des histoires ou des chansons tristes. Il avait même vu, je te jure croix de bois croix de fer, une femme pleurer si bruyamment que le monsieur qui l’accompagnait n’arrêtait pas de lui taper sur le dos en disant : «  voyons, voyons, c’est pour rire ».

Et pour rentrer, c’est simple : les enfants qui accompagnent leurs parents ne payent pas, tu fais comme moi, tu te mets auprès d’un couple, et si le monsieur ou la dame te regarde, tu leur fais ton plus beau sourire.

Ce fût un après-midi éblouissant.

Ce jour-là, j’ai appris aussi que la ville était immense. En rentrant à pied, je me suis rendu compte qu’il y avait, à côté des boulevards animés que parcouraient des trams et des voitures, de nombreuses rues Van Helmont où des enfants assis sur le trottoir, les pieds dans le caniveau, discutaient ou s’ils avaient envie de crier, jouaient au ballon. Décidément, la rue Van Helmont, N°11 ou pas, n’était pas le centre du monde. Depuis, l’enfant que j’étais et celui que je suis devenu ont perdu beaucoup de leurs illusions. J’étais âgé de dix ans, nous étions en 1936, un autre siècle commençait.

-Sale juif, avait crié un condisciple de l’école des Six-Jetons, deux ans auparavant. Je ne savais pas ce que c’était un juif. J’ai demandé à mon père qui m’a expliqué tant bien que mal ce que c’était mais je n’ai pas très bien compris, et j’ai fini par oublier ses explications et le cri de mon condisciple.

Tout avait commencé en Pologne, à Czestochowa pour être précis; en 1926. J’insiste sur 1900. Parce- que ces événements sont déjà si lointains que cela n’eût étonné personne, s’ils s’étaient produits en 1826. 1800, vous voyez ?

Un soir, Janus, un ami d’enfance de mon père qui était membre de la police était venu le prévenir.

- Demain, on va venir te cueillir, il vaut mieux qu’on ne te trouve pas. Un mort, Léon, un mort au coin d’une rue! On sait bien que tu n’y es pour rien  Mais tu es gênant. Désormais, la Pologne est trop petite pour toi.

Le lendemain, il était en Allemagne sans avoir embrassé ni son père ni sa mère ni ses sœurs. Il ne les reverrait jamais. Il voulait rejoindre la France qui, chacun le sait, est la seconde patrie de ceux qui sont épris de liberté. Il faut ajouter qu’un cousin éloigné mais un cousin tout de même, il se nommait Fréderic, s’y était installé quelques années auparavant et pourrait vraisemblablement l’accueillir le temps de se retourner.

C’est à Bruxelles qu’il devait prendre le train pour Paris. Mais il avait quelques heures à perdre et autour de la gare, il y avait de nombreux cafés. Il s’attabla et commanda du doigt une bière pour faire comme la plupart des consommateurs. C’est drôle, pensait-il, en les écoutant parler, leurs langages ont des consonances étranges. Certaines évoquaient l’allemand, d’autres le roumain, quel était celui dont on pouvait affirmer qu’il s’agissait du français la langue du pays ? Il y avait même au comptoir un homme, il faisait de grands gestes en parlant à un ami, qui tout d’abord n’avait éveillé aucun intérêt tant son langage lui était familier. Il s’exprimait en polonais. A Bruxelles !

Les gares comme les ports sont, pour chacun de ceux qui y débarquent, encore un petit morceau de leur pays. Juste le temps de ressentir avec une sensation de déchirure que tout leur est étranger parce que, sorti du brouhaha de la gare, ils savent à peine dire bonjour ou : «  pouvez vous m’indiquer un hôtel pas trop cher? » Ou mieux encore : « connaissez-vous quelqu’un qui parle le polonais ? »

Rien ne vaut les gares pour changer de continent quand on n’est qu’un pauvre diable qui ne peut s’offrir de voyage pour le plaisir, et condamné à rester sur place. Ceux qui voyagent pour leurs affaires ne voyagent pas, ils se déplacent par nécessité mais ne changent pas réellement de pays ou de région ou même de continent. Il leur suffit de connaitre la langue ou de se faire accompagner, ou de manger dans des restaurants où le maitre d’hôtel est capable de dire en français, s’il s’agit d’un français bien entendu: «  bonjour Monsieur ». Pour certains, entrer dans une gare, c’est le premier pas pour l’exil, pour d’autres c’est le sceau infamant de l’émigration. Ni les uns ni les autres n’en reviennent intacts.

Le grand polonais du comptoir lui avait d’abord demandé de quelle ville, il venait. Il le lui avait demandé en Yiddish après lui avoir demandé « comment se porte un juif », ce qui n’était pas une question, comme on pourrait le croire mais une sorte de mot de passe. Mot de passe oublié depuis que les juifs s’expriment exclusivement dans leur langue maternelle, et dès lors, comme leurs compatriotes non juifs, ils cessent souvent de se comprendre. Ou alors, parce que comme leurs compatriotes non juifs, lorsqu’ils entament une conversation, ils parlent mais ils n’écoutent pas. Dieu sait ce que serait devenue notre planète si, tous, ils s’étaient écoutés.

Oui, le polonais savait où il pouvait rencontrer un de ses concitoyens, un certain Louis qui était en Belgique depuis quelques mois ; décidément, ici ou en Pologne, le monde n’était qu’un village. Il logeait au dessus d’un café, dans une petite rue à proximité de la gare, et il était d’accord pour partager sa chambre avec Léon. Un matelas déroulé le soir ferait un lit convenable pour un jeune homme d’à peine trente et un ans. Et Paris ? Ce qui l’avait décidé à rester en Belgique, c’était le comportement des ivrognes. En Pologne, lorsqu’un juif empruntait en sens inverse le trottoir que suivait un ivrogne, par prudence il descendait du trottoir et traversait la rue. En Belgique, et il le répétait à qui n’était pas fatigué de l’entendre, c’est le contraire qui se produisait, l’ivrogne descendait dans le caniveau en s’excusant. Un pays avec de tels ivrognes méritait beaucoup de considération. Vive le roi ! Vive la Belgique !

Il s’était engagé dans la même entreprise que Louis, et comme lui et quelques autres, il coltinait des sacs de ciment. Lorsqu’ils rentraient, ils avaient pris l’habitude de s’installer à une table du café, à cette époque on disait un estaminet, et en prenant une bière, une seule, chaque centime comptait, il évoquait l’avenir. Un tout petit peu d’argent, un logement, et la venue de sa femme et de leur enfant. C’était en 1927.

Cet homme que je décris en disant « il », cet homme qui n’a pas encore de visage, c’était mon père. Il était né en 1896, il était donc âgé de 31 ans. A cet âge-là, beaucoup d’entre-nous, juifs ou non, sortent à peine de l’adolescence. Que Dieu le garde cet homme qui ne croyait pas en Dieu mais qu’est-ce que ça change ?

Il avait fini par trouver du travail dans une fabrique de chaussures. La chance ! Fabriquer des chaussures, c’était précisément son métier. Il gagnait mieux sa vie qu’en portant des sacs, et son dos s’en portait mieux. Et c’était mieux que le travail auquel se livraient un grand nombre de ses compatriotes dans les mines du côté de Charleroi ou dans les métiers du fer à Liège ou à Herstal.

Il avait été convoqué par la Sureté de l’Etat, et il avait promis en demandant le statut de prisonnier politique, de ne plus s’occuper de manière active de politique ni de perturber l’ordre public. Peu de temps plus tard, il avait fait venir sa femme et son fils, et c’est aussi à cette époque qu’il emménagea au 11 rue Van Helmont. Ils y vécurent de nombreuses années, heureux de vivre avec des voisins qui leur ressemblaient, et agacés par ces mêmes voisins qui leur ressemblaient trop.

Ils en avaient parlé durant de nombreuses soirées. Mon père ne voulait pas rester à Bruxelles. « C’est comme si nous étions toujours en Pologne », disait-il. « C’est en Belgique que Samuel fera ses études, et il sera un belge semblable aux autres belges. A Bruxelles, nous ne connaissons que des juifs, même l’épicerie est juive. Nous construisons nous même un mur que nous avons reproché aux non juifs de Pologne d’avoir érigé entre nous et eux, soyons ouverts aux autres ».

Je ne pas sûr évidemment que c’est en ces termes là que mon père s’est exprimé devant ma mère mais l’esprit de son discours devait être celui-là.

Par contre, j’ai un reproche à lui faire, il y a prescription c’est vrai : pourquoi, lorsqu’on est amené à prendre des décisions aussi difficiles, elles modifient la vie de tous les membres d’une famille, pourquoi n’interroge-t-on pas les enfants? Eux aussi, on leur arrache une partie de leur passé, aussi concret pour eux qu’un territoire. A peine ont-ils eu parfois le temps d’embrasser une petite fille blonde à qui ils tiraient les nattes, et qu’ils ne reverront plus jamais.

Pourquoi, ont-ils choisi la ville de Tournai ? Un jour, c’était un dimanche, nous étions endimanchés tous les trois comme il convenait un dimanche, nous avons pris le train jusqu’à Tournai. En sortant de la gare, j’étais entre mon père et ma mère, chacun d’eux a serré ma main plus fort, nous étions sur une place beaucoup plus petite que celle qui se trouve devant la gare du midi à Bruxelles mais plus grande que la place Rouppe que je connaissais bien.

-C’est ici que nous vivrons désormais. Et, peut-être comme la plupart des gens, jusqu’à la fin de nos jours.

J’ai toujours suspecté mon père d’avoir l’amour du théâtre.

-Ainsi soit-il, a dit ma mère en Yiddish.

C’était un jour de la mi-juillet. Un jour de soleil et de douceur de l’air. Les arbres de la place, les façades, les rails brillants, l’éclat qui les recouvrait était plus brillant qu’à Bruxelles, et mes parents, je l’ai vu sur une ancienne photographie, avaient l’air d’un couple de provinciaux béats devant un panorama repris sur la plupart des guides. Il me semble que c’est sur cette photographie que je les ai vraiment regardés. Ma mère avait trente six ans, elle portait un chapeau cloche muni d’une voilette, les cheveux noirs, bouclés à la permanente soulignaient le bord de son chapeau, le rouge à lèvres était rutilant comme c’était alors la mode, le rouge baiser qui ne laisse pas de trace. Ce n’était pas une très grande femme. A en juger par la photo, sa taille devait être de un mètre soixante-deux, soixante-trois. Bref, me semble-t-il, c’était une jolie femme, et séduisante aussi. Mais un fils peut-il juger de la beauté de sa mère ?. Mon père portait bien droit sur la tête un chapeau de feutre, plus tard il ne portera que des Borsalino qui venaient de chez Tilts, boulevard Anspach à Bruxelles, et un costume étroit de couleur marine. Son visage avait des pommettes saillantes, des yeux sombres, et  ses chaussures brillaient comme des chaussures neuves. Probablement qu’elles l’étaient. Ils m’avaient enfoncé mon béret jusqu’au milieu du front.

-Nous allons aller à pieds, ce n’est pas très loin. Tu veux bien marcher ? Tu es un grand garçon ?

La rue Royale va de la gare jusqu’ à l’Escaut. Un pont qu’un technicien  levait à chaque fois que se présentait un chaland permettait de rejoindre la rue Notre-Dame où se trouvait le cinéma Palace. Son propriétaire, Monsieur Leveau, le père d’un de mes futurs condisciples, consacrait le dimanche matin de dix heures à midi à des séances dites enfantines. C'est-à-dire, en général, à des films de cow-boys où Tom Tyler se mesurait à Géronimo, le chef vénéré des apaches. C’est un peu plus loin que mon père avait loué un magasin surmonté d’un étage et d’un grenier qui bientôt serait un magasin de chaussures à l’enseigne de « chez Sammy ».Un certain monsieur Marlier, grossiste en chaussures, qui faisait des affaires avec la fabrique dont mon père était devenu le contremaître, lui avait suggéré de le louer. Il s’était engagé à lui fournir des marchandises qu’il n’aurait à payer que trois mois plus tard. En quittant la rue Van Helmont, mon père devenait à la fois un provincial et quittait, peut-être pour toujours, la condition ouvrière. « C’est la lutte finale » n’évoquerait plus que des souvenirs de jeunesse. Certes, il ne savait pas à quel point mais j’imagine qu’à cette époque, la plupart des gens, belges ou non, étaient soucieux des évènements guerriers qui agitaient l’occident après qu’on se soit promis en 1918 de tout faire pour ne jamais plus recommencer d’enterrer, encore vivants, des armées entières de jeunes gens. Mais c’est vrai que les gens sont toujours soucieux de l’influence des événements sur leur vie. Généralement, ils ressentent que leur existence est vulnérable à des événements qui ne les concernent pas, et dont ils ne voient d’ailleurs pas en quoi ils devraient les concerner, que lorsqu’il se passe quelque chose.qui entaille leur sommeil. Ils en veulent alors à ceux qui troublent leur sommeil. Parfois, ils en veulent aux dominateurs et parfois à leurs victimes. Et parfois tout au fond de leur cœur, parce-que ce ne sont pas des choses qui se disent à haute voix, ça dépend de l’endroit et de l’entourage, ils en veulent davantage aux victimes, les dominateurs sont trop dangereux en effet. Jusqu’alors, dieu merci, on ne se battait qu’en Espagne paraît-il, mais sait-on où ces choses-là s’arrêtent ? Faut-il décider de ce qu’il faut faire ou ne pas faire ? Quelqu’un peut-il garantir que les décisions prises sont judicieuses ? J’imagine que mes parents s’étaient posé de nombreuses questions. L’avenir leur démontrera qu’ils auraient tout aussi bien pu jouer leurs décisions aux dés. Mais ni mon père ni ma mère ne jouait aux dés.

La rue Van Helmont n’était pas le centre du monde, je m’en étais aperçu lors de mes explorations en compagnie de Nicolas Pelz, l’enfant qui aimait sa mère, lui. Mais les dimensions de Bruxelles m’étaient inconnues. Bruxelles était-elle une grande ville, une très grande ville ? Je n’en savais rien. Par contre, Tournai était une grande ville. Il m’avait fallu cinq heures pour en faire le tour par les grands boulevards qui séparaient la ville proprement dite de ses différents  faubourgs. C’était une ville en étoile. C’est drôle, vous vous éloigniez du centre, en haut, en bas, par la gauche ou par la droite, et vous aboutissiez à des routes qui portaient le nom de leur endroit de destination : chaussée de Valenciennes, chaussée de Bruxelles, chaussée de Lille, etc. Toutes les villes ont-elles des routes qui mènent à d’autres villes ? Mais peut-être toutes les villes sont elles de grandes villes pour un enfant de dix ans.

Mon père m’avait inscrit à l’Ecole de la Justice.  Curieux nom pour une école ! Monsieur Richard en était le directeur et cumulait cette fonction avec celle d’instituteur des classes de cinquième et de sixième. En outre, mais ce devait être à titre personnel, il était le patron  de la troupe scoute laïque qui faisait partie des Boys scouts de Belgique alors que les élèves de l’enseignement catholique adhéraient aux Boys scouts nommément désignés catholiques, et portaient à l’épaule des fourragères jaunes, les nôtres étant vertes. Quant aux jeunes garçons qui défilaient en chemise bleue, c’était des Faucons rouges. J’ai toujours été fasciné par la symbolique des couleurs. Une couleur, et à quoi bon parler ? Vous affirmez avec force vos convictions idéologiques ou à quel groupe d’hommes vous appartenez. Sans ironie stupide de ma part.

J’aimais beaucoup l’Ecole de la Justice. En fin d’année scolaire, jusqu’au jour officiel des vacances, les cours terminés, on pouvait apporter des livres ou Spirou et Mickey, ou dessiner comme le faisait Esteban Ontillera, un refugié espagnol que des Tournaisiens avaient recueillis. Moi, c’était des livres que je me procurais à la Bibliothèque catholique parce qu’elle était sur le chemin de l’école et qu’elle possédait tous les livres de Jules Vernes dans la collection Hatzfeld. Bien sûr, il y avait aussi les livres de la comtesse de Ségur née Rostopchine dont j’aimais le général Dourakine qui était plus gentil que ne le prétendait Sophie, et puis je devinais son accent et je m’efforçais de l’imiter. Da, camarade Tovaritch.  Et, à la fin de l’année, j’appris aussi auprès de Zola, à la stupéfaction de Monsieur Richard, les dures conditions de travail des cheminots français. La bête humaine, c’était fort, non ?

A l’époque, les enfants devaient suivre en supplément aux cours importants, les cours de religion dispensés par un curé ou ceux de morale dispensés par monsieur Boulle ou Bouilloire, c’était son surnom, ou alors, c’était tout simplement monsieur Houart,  Houart + Boulle =Bouilloire, qui affirmait que la liberté permettait à qui le voulait bien de se laver les pieds dans une bassine sur cette estrade de classe sans qu’on puisse le lui interdire. Ou alors, c’est que je n’ai pas bien compris. Au catéchisme en tout cas, j’étais le meilleur, j’adorais discuter du sexe des anges, et le bon dieu assis sur un nuage, c’était simple et ça me faisait rêver. Je ne suis pas resté longtemps au cours de religion malgré l’insistance de  monsieur le curé qui prétendait que c’était un juste retour des choses pour un enfant juif tandis que monsieur Richard disait :

-Justement, sa place n’est pas au catéchisme.

Et pour me consoler, il me fit enrôler chez les louveteaux où j’acquis rapidement le grade de sizainier et le totem d’ornithorynque exubérant ainsi qu’un anneau de cuir tressé pour y glisser mon foulard. J’avais une cape aussi dont je rejetais les pans derrière le dos. Je devais avoir fière allure, je le voyais dans le regard des jeunes filles qui fréquentaient l’école des filles. C’est fou ce qu’il m’arrivait en cette année 1937. A croire que le monde ne tournait que pour moi.

Cet été là, le camp scout se tenait dans un bois situé près de la côte. Nous avions monté les tentes dans la propriété d’un ami des jeunes qui mettait  un de ses prés à leur disposition, en particulier à celle des scouts parce- qu’ils avaient le sens du respect de la propriété et celui de la discipline. Plus jeune, cet ami de la jeunesse avait été militaire, et il regrettait ce temps où, à ses dires, les choses étaient différentes. Le matin, il assistait au salut au drapeau.

Durant le jour, nos activités  nous occupaient à des jeux de groupe, au crépuscule, elles nous menaient en file indienne à l’orée du bois. Certains d’entre nous n’étaient pas à l’aise, on le sentait au volume de la voix qui faiblissait, jusqu’à se transformer en gémissements larmoyants chez les plus jeunes des jeunes. Je ne sais pas pourquoi mais c’est vers moi qu’ils cherchaient refuge et je les encourageais en faisant des grimaces, en sautant comme devaient sauter les Indiens sur le sentier de la guerre, en entourant leurs épaules de mes bras tutélaires. Est-ce que j’avais peur, moi ? Je crois qu’ils ne s’inquiétaient pas de savoir si j’étais inquiet, moi aussi.

A l’école aussi je m’étais fait des amis. Trois. Trois seulement. Les autres ne savaient pas quelle attitude avoir envers un jeune garçon qui venait d’une autre ville, dont le nom était très différent du leur, et à qui monsieur Richard, c’était visible, portait de l’affection. Heureusement, un des trois garçons qui m’avait adopté, était un robuste gaillard qui s’était institué mon garde du corps personnel  et que j’appelais Jeff, à la flamande, plutôt que Joseph, patronyme dont il avait honte. Personne dès lors pour chercher la bagarre.

J’oubliais: le dimanche matin, revêtu de ma tenue de scout, je faisais parfois la tournée des terrasses de café de la Grand’ Place pour vendre des choses quelconques au profil d’une œuvre de bienfaisance. Parce-que j’étais poli, parce-que je n’avais aucun accent du terroir, et je l’ai entendu d’une dame auprès de laquelle je m’approchais, parce-que j’avais des yeux noirs et de longs cils, « oh, le joli petit scout », je faisais de bonnes recettes et j’en étais fier. C’était vraiment formidable. Cela aurait pu être une époque formidable. En 1939, les Français déclaraient la guerre aux Allemands. C’était la première année de mes études secondaires. Une première année très courte.

Un jour de mai 1940, le préfet réunit élèves et personnel dans le préau et annonça que le matin même, les Allemands avaient envahi la Belgique et que les cours étaient suspendus jusqu’à nouvel ordre. Il ajouta que nous pouvions rentrer chez nous.

Dommage ! Au magasin, les affaires étaient bonnes, et mes parents s’adaptaient sans trop de difficultés à leur nouvelle vie. Une seule fois, il y eut un problème, du moins je l’ai cru, ma mère avait invité une cousine qui avait émigré de Pologne peu de temps auparavant, le temps de lui permettre de s’installer. Je pense qu’elle envisageait d’épouser un villageois des environs pour acquérir la nationalité belge, et qu’elle était prête, je le lui ai entendu dire, s’il le fallait, à l’épouser pour de vrai. Mais un dimanche que le magasin était fermé, et que ma mère était allé rendre visite à une amie qu’elle s’était faite depuis peu, et que moi je cherchais mon père, j’ai poussé la porte de la chambre à coucher de mes parents. Mon père y était avec la cousine de ma mère: ils étaient au lit. Le lendemain, je n’en ai deviné la raison que bien plus tard, la cousine de ma mère renonçait à se marier à Tournai, et reprenait le train pour Bruxelles.

Mes parents n’avaient plus de nouvelles de mes grands parents ni du reste de la famille, ils paraissaient abattus et s’entretenaient en polonais lorsque j’étais présent. En fait, je me souviens très mal de cette période. Et je ne sais pas si mes souvenirs datent de cette année-là ou des actualités que regardais au cinéma, après la guerre, avant le grand film. Toutes les images se mêlent, c’est comme une vieille pellicule de film documentaire, au son aigu, où les villes ont des noms étranges, où les gens parlent avec de grands gestes, où des soldats traversent l’écran d’un pas d’automate, où des gens ont un ballot sur l’épaule et marchent sur les routes en ayant l’air de ne pas , savoir où ils vont, et moi je crois reconnaître parmi eux cette grand-mère qui portait un chignon à étage et qui s’était affolée parce que, les mains nues, j’avais retiré du four un gâteau brûlant lorsque, j’avais six ans, mes parents m’avaient envoyé en Pologne pour que mes grands parents puissent voir et embrasser leur petit fils.

C’est quoi la mémoire ? Une histoire qui commence par la fin et qui ne ressemble pas à celle qui commence par le début? C’était une année importante, je le sens bien, mais il faut que je creuse mon imagination plus que mes souvenirs pour la reconstituer.

Mais de quoi se souvient un enfant de douze ans ? J’avais un camarade, le fils d’un voisin, un nommé Serge, il est devenu architecte, prix Godecharle, il mangeait des vers de terre. Un autre, Lucien, était le fils d’un monsieur qui prêtait de modestes sommes d’argent à de petites gens. Son patronyme était Lion, on surnommait son fils « lionceau », et on riait  Nous nous sommes revus bien plus tard et nous ne souvenions pas de la même chose.

Quelques jours plus tard, les Allemands bombardaient Tournai dont il ne resta pas grand-chose du centre-ville, et le lendemain nous étions des milliers à rejoindre d’autres milliers de gens qui se dirigeaient à pied, ou en voiture pour ceux qui en disposaient, vers la France en nous écartant du milieu de la route pour laisser passer quelques minces charrois militaires. Je me souviens que c’était durant un été particulièrement chaud, le destin a parfois des attentions surprenantes qui sont censées adoucir, je suppose, les aléas du moment. C’est vrai, pour toute une génération de jeunes gens, les grandes vacances commençaient  plus tôt que d’habitude, et s’annonçaient pleines d’action. Vive les vacances !

Pour nous qui n’avions pas dépassé St-Omer dans le Pas-de-Calais, le retour a duré quatre ou cinq jours. Pas plus. Mais nous revenions sur une autre planète où les charrois militaires poursuivaient leur avance, mais plus vite, dont les militaires parlaient allemand et distribuaient en souriant des bâtons de chocolat et des cigarettes. Ils disaient : Deutschland gut, Deutschland gentil.

A l’Athénée, les rumeurs allaient vite. On disait qu’à la radio anglaise, un général français prétendait que la France n’avait pas perdu la guerre, seulement une bataille, et qu’il fallait résister jusqu’à la victoire. Soit! Je suis donc entré en guerre, clandestinement, mais en guerre tout de même, et j’avais dans la poche intérieure de mon veston, comme certains de mes condisciples, la photo de ce général. Sammy Braunberger contre Adolph Hitler. Taïaut !  

Le magasin de mes parents avait été détruit par les bombardements. Pourtant, il fallait bien nous loger et gagner notre vie à tous les trois. Comme au bout de la rue Henri Paris, tout près de la gare, il y avait un café de disponible, mon père l’a loué. Guerre ou pas, les gens continuent de boire, disait-il. C’est la vie, les choses continuent. Idem pour la rentrée des classes, elle s’est faite dans l’ordre. Est-ce qu’il y a eu un discours du préfet ? Je ne m’en souviens pas mais tout le monde, je crois, était au courant de ce qui s’était passé. Les Allemands étaient les maîtres du pays. Et moi, mon père me l’a expliqué du mieux qu’il a pu, j’ai appris que j’étais juif, que je devais m’endurcir, et parler le moins possible. Sauf, bien sûr, quand le professeur m’interrogeait et que je connaissais la réponse  C’est curieux, il me semble que si j’avais eu un caractère vindicatif, j’aurais pu en vouloir à mon père d’être juif. Je n’avais rien demandé, et lui-même ne semblait pas y être tellement attaché. Alors? C’était quoi : être juif ? Je remis cette discussion à plus tard. Lorsqu’on se tait, on ne risque pas de dire des sottises, disait mon père, apprends à te taire. Et n’oublie pas, tu es juif mais il n’est pas nécessaire de le crier sur les toits. C’était peu de temps avant l’imposition de l’étoile jaune.

C’était un dimanche, Jeff me l’a rappelé longtemps après. C’était un jour très ensoleillé et les promeneurs avaient tendance à laisser ouverts leur col et leur veston, il y avait même de jeunes dandys qui portaient leur veste sur l’épaule et laissaient trainer jusqu’au sol les culottes de golf qui étaient à la mode cet été là. Moi, mon costume de dimanche sur le dos, malgré le ciel uniformément bleu, je portais mon imperméable replié dans sa longueur sur l’épaule comme, dans les histoires de capes et d’épées, les spadassins  portent  leur cape au dessus de leur baudrier.

-Tu as peur qu’il pleuve ?

C’est Jeff qui m’avait interpellé en riant.

Jeff qui, bien plus tard, m’a dit que je l’avais regardé avec arrogance, que je lui avais crié :

-Tu veux savoir :

D’un geste brusque, j’avais tiré mon imperméable jusqu’au sol et dévoilé  un bout de chiffon jaune cousu sur la poitrine avec dessus, écrit en lettres gothiques, le mot : Jude.

-Qu’est-ce que c’est ?

-Tu vois bien, Jude, juif, c’est ainsi qu’on marquait les juifs au Moyen Age.

Le lendemain, à l’Athénée, il y avait quatre élèves qui portaient sur la poitrine un chiffon jaune sur lequel, ils avaient écrit : moi pas Jude.

Le préfet leur a demandé de l’ôter, et moi j’ai dit que c’était chic mais que ce n’était pas nécessaire. Un seul Jude suffisait. Peut être est-ce de cette manière que j’ai continué d’apprendre que j’étais juif. Ou de la manière suivante. Un jour, en classe, le professeur de français, monsieur Granchamp, s’est assis face à l’estrade, à un pupitre du premier rang, et :

- Braunberger, au tableau.

Je suis allé jusqu’au tableau et je me suis retourné vers la classe.

Monsieur Grandchamp a repris :

- Comment ça se fait Braunberger ?  Braunberger, c’est bien un nom d’origine germanique, pourquoi ne le prononcez vous pas à l’allemande, avec un gue, Braunberguer. C’est pour vous cacher ?

- Je ne sais pas, monsieur.

C’est alors qu’un condisciple, Evrard, que je connaissais à peine, s’est levé et à posé une question.

-Grandchamp, monsieur, en allemand ça veut bien dire feld, comme feldgendarme ?

-Ca suffit. On reprend le cours.

J’avais en une seule matinée appris deux choses importantes. Monsieur Grandchamp n’aimait pas les juifs, semble t il, et George Evrard que je connaissais à peine n’aimait pas ceux qui montraient qu’ils n’aimaient pas les juifs. George avait plus de quatorze ans, il avait entamé ses études secondaires sur le tard, il avait doublé sa seconde année et il n’était pas intéressé par d’autre cours celui de français. Après la guerre, il est devenu un comédien réputé en France sous le nom de George Aurel. Je m’étais fait un ami, peut être en avais-je d’autres ? Mais je me souvenais des recommandations de mon père : Parle le moins possible, et quand je voulais exprimer mon amitié à Georges, je le disais en pensée.

Le nom, ce n’est rien. Il parait qu’ils te demandent d’ôter ton pantalon pour regarder ta quéquette. Et pour les filles, comment ils font ? Peut être que ça faisait partie des conversations de préau ou de conciliabules des membres clandestins de la Résistance à l’Athénée, je ne m’en souviens plus. C’est drôle, il me semble que j’aurais dû me souvenir de ces jours-là, je n’étais plus un enfant. Mon père par exemple, comment se passaient les jours pour lui ? Un jour, en rentrant des cours, je traversais le café pour aller à la cuisine, j’ai vu mon père attablé avec un cheminot allemand qui lui disait à voix basse, « tu comprends ich bin ein communist », et j’étais rouge de honte. Parler à un allemand !  Tout ce que je peux dire, c’est que c’est ainsi que se passèrent les jours pour Sammy Braunberger jusqu’à la mi-quarante-deux. Soit, d’accord : je suivais des cours d’art dramatique au Conservatoire et j’ai été obligé de les abandonner,  soit, d’accord : les autorités communales ont dû me faire une attestation selon laquelle j’étais d’un an plus jeune qu’à la vérité sinon j’aurais dû abandonner mes études secondaires, d’accord encore : le professeur Grandchamp ne m’interrogeait pas souvent. Mais je vais dire une chose absurde : s’il n’y avait pas eu la guerre, tout cela ne serait apparu que comme de simples contrariétés au garçon de quinze ans que j’étais, plus préoccupé par la mode zazou de l’époque, les chansons de Charles Trenet, y a de la joie…y a de la joie…partout y a de la joie, et par la petite Adam, la fille du tailleur, lorsqu’elle passait de l’autre côté de la rue, la tête droite et le regard fixe. Je l’avoue, c’était la première jeune fille dont j’ai été amoureux. A l’exception de la fille de l’épicière de la rue Van Helmont. Mais, c’est à Nicolas Pelz qu’elle faisait des grimaces. Non pour se moquer de lui, il était malin Nicolas, mais parce qu’il faisait semblant de ne pas la remarquer Les filles sont comme ça. Elles aiment qui ne les aime pas. Ce n’est pas juste.

En 1942, soudain tout a changé. Les juifs étaient appelés à se rendre à la ville de Malines, munis de quelques vêtements, pour y prendre le train vers l’Allemagne. Je ne sais plus comment mes parents avaient été avertis officiellement, ni par quelles autorités, du jour où ils devaient le faire mais dès le lendemain, ils disposèrent de faux papiers selon lesquels ils étaient belges, moi aussi du même coup, et se nommaient Léon Berger pour mon père, Cécile Vander pour ma mère tandis que moi, j’abandonnais le prénom de Sammy au profit de celui de Pierre. C’était le père de Serge qui nous les avait fournis. Membre de l’Armée Secrète, c’était à lui que mon père transmettait les renseignements que lui donnaient des cheminots allemands. Nous n’étions plus juifs et nous avons ôté de nos vêtements cette étoile jaune que tout naturellement nous portions jusque-là parce que les autorités allemandes l’avaient décidé sans nous demander notre avis. Et parce que pour les êtres humains, leur première inclination est d’obéir aux ordres que leur donne l’autorité. C’est à ça, j’imagine, que servent d’abord les cours de civisme.

 Quelques jours plus tard, nous avions franchi la frontière française, et quelques jours plus tard encore, nous sommes entrés dans ce qu’on nommait la France Libre ou la France nono, soit pour ceux qui l’ont oublié : la France non occupée. Pour certains encore, c’était la France de Vichy. Celle du Maréchal Pétain qui s’était donné à la France et devant lequel les écoliers chantaient virilement « Maréchal, nous voilà », cet homme devait aimer les petits enfants. Celle de Laval qui représentait, disait-on, le vrai Français, l’homme de la terre paysanne, fruste d’aspect, habillé sans recherche, une grosse mèche sur l’œil droit et la moustache drue, mais un patriote qui haïssait les Anglais parce qu’il se souvenait de Trafalgar. C’est à Châteauroux, .devant un fonctionnaire de la préfecture, que mes parents et moi, avons confirmé notre choix : Nous étions Belges, nous n’aimions pas l’occupant, mais surtout nous n’étions pas juifs. Ce que ce fonctionnaire admit sans discuter. Mon père l’avait ressenti, une certaine complicité s’était établie entre lui et nous.

A Châteauneuf les Bains, les Autorités Françaises avaient institué un camp de rassemblement pour les personnes originaires de Belgique, juives ou non. C’était un ancien hôtel qui servait de camp. Le mot camp était très à la mode à l’époque, il avait une connotation inspirée par la nature, le scoutisme, le travail en commun et la solidarité, toutes ces vertus que prônaient le Maréchal. Dirigé par un ancien officier de l’armée, le colonel Lisbonne, juif lui aussi, il s’y trouvait des couples jeunes ou moins jeunes, avec ou sans enfants, qui n’avaient d’autre désir que de fuir les allemands en France ou ailleurs, des jeunes hommes qui voulaient rejoindre l’Angleterre, la ville de Miranda en Espagne était, paraît-il, l’endroit à rejoindre, et des hommes seuls constamment prostrés après un voyage  qui leur avait demandé plus d’énergie qu’ ils n’en disposaient, dont on devinait qu’ils voulaient dormir et pour certains, peut être, s’arrêter définitivement.

Mes parents ne faisaient pas partie du camp. Le fonctionnaire de la préfecture les avait envoyés à Châteauneuf afin de les joindre plus facilement lorsque les papiers d’identités qu’il faisait établir à leurs noms et au mien, des documents authentiques ceux là, seraient prêts.

Ils y avaient loué une petite maison aux Garachon, des paysans natifs du village qui se faisaient ainsi quelques sous. La maison avait été baptisée «Au petit bonheur », je crois que c’était le titre d’une pièce à succès, et bien des jeunes gens, avant de se diriger vers l’Espagne, venaient s’y faire tirer les cartes par ma mère ; elle s’était découvert une vocation qui les ravissait parce que les cartes, ô miracle, leurs étaient toujours favorables. Vers l’Espagne ou vers un autre camp, s’ils étaient pris à la frontière. C’était la vie !

Châteauneuf les Bains en 1942 était un village de moins de mille habitants, encaissé dans une vallée, à proximité de la Sioule qui s’élargissait à cet endroit, de sorte que depuis une sorte de plage herbeuse, on pouvait y plonger ou se dorer au soleil. Sur les hauteurs, il y avait quelques résidences occupées par des gens de la ville, et même quelques Parisiens, qui y passaient l’été. Je suppose qu’il s’agissait d’auvergnats que leur vie professionnelle retenait en ville, mais dont les sentiments restaient attachés à ce village où les bruits de la guerre ne s’entendaient pas. Sans ce camp rempli d’étrangers, la plupart des villageois n’auraient été troublés ni par les bruits ni par les images de la guerre.

Andrée Bragard, je l’appelais la grande Dée, était la fille d’un haut fonctionnaire parisien, auvergnat de naissance, qui revenait chaque été à Châteauneuf où il laissait sa femme et sa fille .durant les beaux jours. C’est au bord de la Sioule que j’ai fait la connaissance d’Andrée, elle devait avoir mon âge, et que nous sommes devenus amoureux l’un de l’autre, l’été en tout cas. L’été nous nous le disions d’ailleurs de vive voix et l’automne, lorsqu’elle rentrait à Paris,  nous nous le disions par correspondance. Les échanges par correspondance étaient les plus passionnés et les plus chauds.

Comme tous les jeunes gens, je présume, j’étais amoureux de quelqu’un et de l’amour que ce quelqu’un m’inspirait. Mais pour moi, je dois bien avouer que lorsqu’Andrée était à Paris, elle ne comblait pas mon amour et j’étais prêt à aimer une jeune Espagnole que je rencontrais sur la place du village en face de la boulangerie. Si ce n’est que j’avais des espagnoles l’opinion d’un garçon pusillanime. Le sens de l’honneur de la famille  « si tu n’épouses pas ma fille je te tue », me retenait, je n’avais pas envie de me marier ni de mourir si bien que j’étais amoureux en silence. Il  y avait aussi parmi les réfugiés un couple de Hollandais qui avait deux filles, Bella et Bianca, et je ne savais pas si j’étais amoureux de l’une d’entre elles ou des deux à la fois. Je ne l’ai jamais su parce qu’un peu plus tard nous quittions Châteauneuf pour Clermont Ferrand, et peu après lorsque les allemands avaient occupé le reste de la France, le camp avait disparu après qu’ils soient venus un soir avec plusieurs camions pour emmener tous ceux qui n’avaient pu s’enfuir, le colonel Lisbonne en tête et en uniforme. Son képi étoilé qu’un soldat avait arraché, a été retrouvé le lendemain sur les marches du camp. Son képi de colonel français.

A Clermont, mon père avait trouvé du travail dans une petite cordonnerie et moi une situation de vendeur dans une librairie de la rue du 25 Novembre. J’étais toujours amoureux mais cette fois des deux vendeuses du magasin de chaussures qui se trouvait à côté de la librairie. Et d’Andrée parce que retournée à Paris, elle laissait courir mon imagination au travers de notre correspondance.

J’ai revu Andrée à Paris après la libération. Nous sommes allés applaudir Yves Montand qui chantait des airs de cow-boys américain, puis nous nous sommes dit au-revoir et nous ne nous sommes jamais revus. Trois ou quatre ans plus tard, j’ai vu sa photo dans un magasine à l’occasion de son mariage avec un pilote de compagnie aérienne. C’était une fille de bonne famille, elle demeurait dans le seizième arrondissement, avenue de Ségur pour être précis.

Nous sommes restés à Clermont jusqu’à la libération. Quelques jours auparavant, mon collègue, un jeune français, m’avait dit qu’il partait rejoindre le maquis, et le lendemain de la libération, sans en parler à mes parents qui s’y seraient opposés, avec des milliers de gens, ceux qu’on a surnommés les résistants de la dernière heure, je faisais la file pour m’engager dans les Forces Françaises Libres. Je m’étais déjà choisi un nom de guerre : judex pour sa connotation particulière. Le recruteur m’a regardé : Judex hein, a-t-il dit, il a demandé mon âge, il a dit que j’étais trop jeune et je suis rentré chez nous. Quelques jours plus tard nous sommes partis pour Paris ; le train était bondé. Il me semble que durant les guerres les trains sont toujours bondés. Nous voulions rejoindre la Belgique. Et moi, j’avais pris conscience pour de vrai que le monde ne se limitait pas aux frontières de la rue Van Helmont, je le savais déjà, que les routes qui s’écartent des villes traversent d’autres villes et se perdent loin, très loin, sans qu’on puisse en voir le bout, et par une étrange métamorphose où se mêlent le temps, l’histoire et la géographie, font qu’un jeune garçon sort définitivement de l’enfance.

 

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