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Les aléas du métier.

 

Après qu’il eut décroché un poste dans une boite qui payait bien ses agents, Jérôme avait épousé Sylvie. C’était la fille d’un médecin et elle était jolie.

En supplément à ses appointements, il avait l’usage d’une voiture dont les frais, carburant, garage, etc…étaient supportés par la firme, et la disposition d’un studio qui lui permettait de ne pas rentrer chez lui lorsqu’il était fatigué ou que le temps ne s’y prêtait pas. Sylvie l’avait décoré à son goût, elle connaissait ceux de Jérôme.

La société qui l’employait proposait du matériel de laboratoires. Elle était active, disait-on, dans l’industrie de la santé.

Son directeur lui avait dit :

- Vous devez vous efforcer d’inviter vos prospects à dîner. C’est à table que se contractent les meilleures affaires.

A quarante ans, Jérôme était ce qu’on appelle un bel homme. Son visage rieur suscitait la sympathie. Sa stature et sa nature légère plaisaient aux femmes.

C’est à table qu’il avait conquis Geneviève. Elle achetait le matériel demandé par les médecins de la clinique dont elle était la directrice des achats.

Après le repas, il l’avait ramené chez elle. Sur le pas de la porte, elle avait proposé de prendre un dernier verre.

- Vous voulez monter pour prendre un dernier verre ?

- Je ne peux pas. Je dois encore rentrer en province.

Il s’était penché vers elle, il avait appuyé légèrement ses lèvres sur les siennes.

Dans la voiture, après qu’elle ait refermé la porte, il se demanda s’il ne s’était pas conduit comme un imbécile.  

Le lendemain il apprit qu’une invitation à prendre un dernier verre après un repas entre un homme et une femme signifiait que la femme lui offrait son lit et son corps. Il se sentît humilié. Qu’est-ce qu’elle avait pensé de lui.

Geneviève était séduisante. Plusieurs fois, à table, il avait détourné les yeux de sa poitrine. Après avoir bu quelques verres de vin, elle avait eu chaud, il le voyait,  elle avait entr’ouvert son chemisier.

A la fin de la matinée, il lui téléphona pour prendre de ses nouvelles. Puis, comme s’il y pensait soudain :

- Ah, je voulais vous dire, je ne rentre pas ce soir. On peut dîner ensemble ? Je vous le promets, on ne parlera pas d’affaires.

Il devina que le court silence de Geneviève était une hésitation de circonstance.

- Vous avez de la chance, Jérôme, je suis libre ce soir.

Elle l’avait appelée : Jérôme. Il se promit de téléphoner à Sylvie avant de se rendre au restaurant.

Le lendemain matin, il avait passé la nuit avec Geneviève, il était en train de se rhabiller, elle lui dit :

- Tu as aimé ? Tu en avais l’air en tout cas.

Il rougit en regardant Geneviève nue qui avait rejeté les draps.

- Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de te revoir.

En réalité, je sais pourquoi.

Elle l’avait dit en souriant. Il sourit lui aussi avec ce sourire un peu fat qu’ont parfois les amants sortis du lit de leur maitresse et les garçons-coiffeurs qui présentent un produit coiffant à la télévision.

- On se revoit demain ? Je préparerai une petite dînette.

- Ce n’est pas possible demain, il faut que je rentre.

- Pourquoi ?

- Je suis marié. 

Il promit que le surlendemain, il passerait la nuit chez elle, il prendrait ses dispositions.

Ce soir là, il eut envie de Sylvie bien avant qu’ils ne se soient mis au lit.

Le lendemain, elle le regarda avec surprise.

- Tu rentres ce soir ? On pourrait aller au restaurant.

- Non, malheureusement.

Pour le petit déjeuner, elle tint absolument à lui beurrer ses tartines. Et à le regarder manger.

Le soir, en faisant l’amour avec Geneviève, c’est à Sylvie que Jérôme pensait.

Geneviève posa la main sur ce Jérôme dont elle avait le sentiment qu’il était devenu, et chaque partie de son corps, sa propriété.

Lorsqu’il revint deux jours plus tard comme il l’avait promis, il trouva, posé sur le lit, un pyjama dont il ne porta que la veste déjà déboutonnée et un pantalon soigneusement plié.

- Maintenant, tu es chez toi, Jérôme. Je t’ai préparé un jeu de clés de l’appartement.

Elle lui avait aussi acheté trois chemises. Il les enfilait dès qu’il arrivait chez elle. En revanche, celles qu’il portait chez lui, il les achetait lui-même. Sylvie n’était pas toujours au courant de ce qui était tendance ou non. Désormais, il avait deux foyers : celui qu’il avait choisi au terme de ses études, et celui dont il se promettait de se défaire à chaque fois qu’il passait la nuit avec Geneviève.  

Il avait des remords, et il aimait ces remords qui  étaient la preuve de son amour pour Sylvie.

Dieu sait pourtant combien Geneviève était inventive en matière de sexe. Mais elle était économe de ses démonstrations. Elle connaissait l’adage : qui veut aller loin ménage sa monture. Et Sylvie profitait indirectement de l’expertise de Geneviève.

Les choses auraient pu, longtemps, continuer ainsi pour le bonheur de tous mais le destin, on le sait, fait souvent preuve d’un peu d’imagination.

Un dimanche après-midi, alors que Jérôme et Sylvie venaient à peine de sortir de chez eux, ils rencontrèrent Geneviève qui se promenait en regardant les étalages.

- Jérôme !

Geneviève avait l’air aussi surprise que   l’étaient Sylvie et Jérôme. Jérôme lui tendit la main en s’exclamant.

- Madame Derover !

Il se tourna vers Sylvie.

- Madame Derover est une cliente de la société. Une bonne cliente.

Sylvie la salua d’un signe de tête tandis que Jérôme la présentait.

- Sylvie, ma femme.

- Mes félicitations, Jérôme. Votre femme est charmante. Coïncidence, je voulais visiter une ville de province, et je constate que c’est la vôtre.

Sylvie l’invita à prendre le café avec eux dans une pâtisserie de la place. Jérôme souriait aux deux femmes, tour à tour. Chaque remarque des deux femmes lui faisait hocher la tête. Il ajoutait de temps à autre :

- Comme c’est vrai !

Ce fut un après-midi parfait.

C’est souvent la nuit que les couples échangent des réflexions importantes, les yeux au ciel, dans l’obscurité de leur chambre à coucher.

- Elle te tutoie ?

- C’est une habitude dans le milieu médical.

- C’est une jolie femme.

- Tu trouves ? Je la trouve assez quelconque.

- Tu couches avec elle, j’imagine.

Elle lui tourna le dos, et fit semblant de s’endormir.

Cette fois, pensa Jérôme, il fallait réagir. C’est de leur vie à Sylvie et à lui qu’il s’agissait. Dès demain, il agirait. Mais, d’abord, dormir.

Sylvie et lui déjeunèrent comme d’habitude mais sans se regarder. Elle ne lui beurra pas ses tartines. Il monta en voiture sans l’embrasser ni sur les lèvres ni sur les joues.

- Au revoir.

Il avait hâte d’être le soir pour se rendre chez Geneviève. Après leur entrevue, peut être qu’il rentrerait chez lui, ou bien il irait à l’hôtel, il hésitait encore.

C’est à l’hôtel qu’il se rendit directement après le travail, et après un repas vite avalé dans un resto chinois. Il ne savait pas comment dire à Geneviève que leur aventure devait prendre fin.

Il tergiversait. Au fur et à mesure que le temps passait, il imaginait soit la rupture suivie de la promesse d’une amitié presqu’éternelle, soit la rupture brutale et douloureuse. Finalement, il prit une décision irrévocable.

C’est à Geneviève qu’il devait l’annoncer. Face à face. Il regrettait de ne pouvoir s’en ouvrir à Sylvie, elle était toujours de bon conseil.

- Il faut que je te parle, Geneviève. Tu es disponible ? C’est grave ce que je dois te dire.

- Tu veux me parler de Sylvie et de moi ? Viens, je t’attends.

Il raccrocha le téléphone. Soudain, il n’était plus certain d’avoir agi avec intelligence.

 Il faisait déjà nuit. La circulation était presque inexistante. Il était pressé d’arriver et, cependant, il roulait lentement comme s’il craignait d’arriver trop tôt.

La porte de l’appartement était entrouverte. Geneviève  se trouvait dans la chambre à coucher. Elle disait :

- J’arrive, Jérôme.

Elle était en peignoir. Elle s’avança. Elle l’embrassa au moment même où il pensa à détourner la tête.

- Mon Jérôme, je suis contente que tu sois venu. Je pensais à toi si fort. Tu aimes mon nouveau parfum ? Viens, nous parlerons après. Tu as raison, il en est temps.

Elle était nue sous son peignoir.

Les hommes sont ainsi faits. En matière de sexe, ils raisonnent aussi bien qu’en d’autres matières. C’est à ça que sert la raison. En matière de sexe cependant ils raisonnent également bien, mais après. Avant, c’est le trou noir de la pensée. Le lendemain, il était encore dans le lit de Geneviève.

Il avait dormi longtemps. Geneviève était dans la cuisine. Elle préparait le petit déjeuner. Elle avait enfilé un t-shirt de sorte que lorsqu’elle avait poussé la porte pour voir si Jérôme était réveillé, il avait pu voir qu’elle n’avait pas mis de culotte.

Elle le lui avait dit, il y avait peu de temps. Elle rêvait de passer une journée entière au lit avec lui sans s’habiller. Jamais Sylvie ne le lui avait proposé.  

Il le regrettait un peu. Une épouse devrait être aussi une maîtresse.

A table, elle avait préparé un repas froid. Il avait mis son pyjama, veste et pantalon, elle avait jeté son peignoir sur un T-shirt qui lui couvrait les jambes jusqu’aux genoux. Ils parlèrent enfin de leur couple et de celui de Jérôme. Calmement.

Jérôme en convint en son for intérieur, il n’y avait aucune raison sensée pour rompre avec Geneviève. Il aurait pu la rencontrer avant qu’il n’ait rencontré Sylvie, et rien n’eut été compliqué. C’est Sylvie qu’il fallait convaincre sans gâcher tout ce qui les liait.

Divorcer, tout le monde le sait, est une procédure pénible. Souvent elle est la suite d’un  coup de tête qu’on regrette rapidement. Divorcer est parfois plus pénible encore que de supporter celui d’avec qui on divorce. Mais le mal fait, rares sont ceux qui font marche arrière.

Il y a ceux qui n’ont jamais tenté de divorcer parce qu’ils ont reculé et ceux qui ont fait semblant d’ignorer qu’il y a des raisons de le faire.

Quoi qu’il en soit, il suffit de détourner les yeux pour conserver son rang aux yeux d’autrui.

Sylvie et Jérôme ne divorcèrent pas. Ils continuèrent de vivre côte à côte. Un jour sur deux. L’autre était destiné à Geneviève qui, elle non plus, n’en parla plus.

Il suffit de ne plus y penser pour que les problèmes les plus complexes cessent de l’être.

Un peu plus tard, Jérôme plutôt que d’aller au bureau en voiture y alla en train. C’était moins fatiguant. Il ne prospectait plus les clients, il dirigeait les prospecteurs.

C’est dans le train qu’il fit la connaissance d’Arlette qui devint sa maîtresse.

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Commentaires

  • Un sacré cavaleur .... Mais quand s'arrêtera-t-il ?

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